HISTOIRE DU BAS EMPIRE (période antique)

 

EN OCCIDENT, MAXIMUS, AVITUS, MAJORIEN, SÉVÈRE, ANTHÈME, OLIBRIUS, GLICÉRIUS, JULIUS NEPOS, AUGUSTULE. GÉNÉRAUX BARBARES, GENSÉRIC, RICCIMER, ORESTE ET ODOACRE. EN ORIENT, MARCIEN, LÉON, ZÉNON, EMPEREURS

 

 

(An 455)

PÉTRONIUS MAXIMUS, personnage consulaire, fut élu pour succéder à Valentinien ; sa grande fortune, son caractère, son amour pour la philosophie, lui concilièrent tous les suffrages. Avant de parvenir au pouvoir suprême, il en parut digne, et désira le sceptre. Mais dès qu’il le posséda, il n’en sentit plus que le poids. Effrayé de tous les périls qui le menaçaient, il dit, en soupirant, à Fulgentius, l’un de ses amis : Ah ! que j’envie le sort de ce Syracusain, de ce Damoclès, dont un seul destin vit commencer et finir le règne.

La femme de Pétronius, nouvelle Lucrèce, n’avait pu survivre à son déshonneur : Maximus, dont la mort du tyran n’avait pas assouvi la vengeance, força la veuve de Valentinien, l’impératrice Eudoxie, de l’épouser. Lorsqu’on eut célébré ses noces, l’empereur commit l’imprudence d’avouer à sa nouvelle épouse que c’était lui qui avait dirigé contre Valentinien le poignard de ses meurtriers, L’impératrice, indignée de se voir dans les bras de l’assassin de son époux, écrivit secrètement, si l’on en croit quelques historiens, à Genséric, roi des Vandales, le conjura de venir la venger, et l’assura que le désordre, qui régnait dans l’empire, ne devait lui faire craindre aucun obstacle qui pût l’arrêter. Tout à coup on apprit que Genséric, à la tête d’une flotte nombreuse, avait paru à l’embouchure du Tibre.

L’approche d’un ennemi excitait autrefois la fureur dans Rome ; alors elle n’y répandit que la terreur.

Maximus, loin de songer à réveiller les courages proposait lâchement au sénat de fuir avec lui. Le peuple, informé qu’on veut l’abandonner, s’irrite, s’émeute. Maximus se présente à lui pour le calmer ; un soldat le frappe, et la multitude furieuse déchire et traîne son corps dans les rues.

Trois jours après, Genséric et les Africains parurent aux portes de Rome. Le pape Léon, qui seul alors montrait quelque fermeté, alla trouver Genséric, le roi des Vandales, dans son camp, et obtint de lui que Rome serait préservée de l’incendie, du pillage, et les citoyens désarmés de la mort.

Les Africains ne respectèrent pas la parole de leur roi ; ils traitèrent la ville comme s’ils l’avaient prise d’assaut. La nouvelle Carthage vengea l’ancienne, et, pendant quatorze jours et quatorze nuits, Rome, livrée au pillage, vit ses monuments détruits, ses maisons livrées aux flammes, ses citoyens égorgés, et fut exposée à tous les outrages que peut commettre une fureur qui se croit justifiée par tant de siècles d’humiliation.

On transporta dans la patrie d’Annibal les dépouilles de sa rivale, et entre outres les trésors du temple de Salomon[1].

Eudoxie qui avait attiré la foudre sur Rome, n’en fut pas épargnée. Regardée avec horreur par les Romains, traitée avec mépris par les vainqueurs, ils la punirent eux-mêmes de sa trahison, lui enlevèrent ses richesses, et l’emmenèrent en servitude.

Les sénateurs, les patriciens, séparés de leurs femmes, tombèrent dans les fers des barbares, et l’on ne rendit la liberté qu’à ceux qui trouvèrent dans leurs vastes domaines le moyen de payer leur rançon.

Quoique Rome fût tombée sous les coups de Genséric, l’on pouvait dater la chute de l’empire de la mort d’Aétius. Dès que ce grand homme cessa de le soutenir par son courage et son activité les Francs s’étendirent jusqu’aux rives de la Seine.

Les Goths envahirent le centre de la Gaule. Les Saxons en infestèrent les côtes ; il ne restait aux Romains, dans ces contrées, que les provinces appelées aujourd’hui la Provence, le Lyonnais, l’Auvergne et le Berri.

Avitus, Gaulois, né en Auvergne, et nommé au commandement des armées par Maximus, défendit quelque temps avec bravoure ces faibles restes de la grandeur romaine. Théodoric, roi des Visigoths, s’allia avec lui, le fit élire empereur par les légions, et fit confirmer son élection par Marcien, empereur d’Orient.

Genséric, après avoir saccagé Rome, dédaigna d’y régner, et retourna en Afrique, chargé de butin. Les ombres du sénat et du peuple romain se soumirent, en murmurant, au nouvel empereur que Théodoric venait de leur donner, et ce choix leur semblait art surcroît d’affront. Ils n’échappaient au joug d’un Vandale que pour voir régner sur eux un Gaulois.

Théodoric, frère et successeur de Thorismond, soutint fidèlement son allié Avitus qu’il avait couronné ; il combattit les Suèves, qui voulaient s’emparer de l’Espagne, et les détruisit presque entièrement près d’Astorga.

Avitus, fort de son appui, après avoir pacifié la Gaule, se rendit à Rome. Son gendre, le célèbre poète Sidonius Apollinaris, prononça son panégyrique en six cents vers. La puissance des empereurs était tombée, mais non l’habitude de la flatterie, et ces idoles, presque renversées, recevaient encore de l’encens.

Avitus, par sa conduite, dissipa bientôt l’espoir que ses premières actions avaient fait naître. Il se livra aux voluptés, et se rendit, par ses excès, aussi méprisable que Valentinien. Un guerrier vaillant, nommé Riccimer, commandait alors les Goths auxiliaires qui composaient en Italie la seule force réelle des Romains. Ce général, ayant attaqué et battu les Vandales qui voulaient encore descendre en Italie, devint bientôt par l’estime publique, le maître de l’empire. Dans les temps de faiblesse et de calamité, tout se rallie autour du point qui montre encore quelque force. Riccimer, connaissant le mépris qu’inspirait Avitus, marcha contre lui, le vainquit dans un combat, près de Plaisance, le fit prisonnier, le déposa et lui laissa la vie. Mais pour l’empêcher de reprendre le, sceptre, il le força d’entrer dans les ordres sacrés, et d’accepter l’évêché de Plaisance.

Peu de jours après, Avitus, instruit que le sénat voulait le faire mourir, prit la fuite pour se retirer en Auvergne, et périt en route.

En traçant le triste tableau de la décadence de l’empire, nous sommes arrivés au moment où les événements ne nous offrent plus que l’histoire de quelques illustres barbares, au lieu de celle des Romains. Les consuls n’ont point d’autorité, des empereurs ne sont que des fantômes, le sénat qu’un vieux monument détruit, les légions ne présentent plus à nos regards que des soldats étrangers, et le peuple-roi est enfin si avili, que les conquérants, qui le foulent aux pieds, dédaignent de le gouverner.

Riccimer, né parmi les Suèves, gendre du fameux Vallia, et compagnon d’armes d’Aétius, ordonna au sénat romain d’élire, pour empereur, Majorien. Ce choix était tel qu’on devait l’attendre d’un guerrier si respecté. Le célèbre Aétius avait récompensé son mérite et ses brillantes actions par un avancement rapide. Revêtu de la pourpre, il répondit par sa justice et par son courage à l’attente publique. Procope et même Sidonius Apollinaris font, en peu de mots, un grand éloge de ce prince. Il fut, disent-ils, chéri par les Romains et redouté par leurs ennemis.

Il écrivit en ces termes au sénat : Je ne désirais point une élévation qui me place au milieu de tant de périls ; mais c’est précisément lorsque le trône devient un poste si dangereux, que j’aurais cru, en le refusant, montrer une lâcheté indigne d’un Romain. Loin d’oublier, au faîte du pouvoir suprême, que j’étais votre collègue, je regarderai toujours comme un honneur de faire partie de cet illustre corps. Je vous invite tous à m’assister dans la plus noble entreprise ; mon but est de rendre au peuple romain sa gloire et sa prospérité, et, pour y parvenir, je dois, avec votre appui, réformer les mœurs, redonner à la justice son ancienne vigueur, et faire en sorte que la vertu, depuis si longtemps opprimée, non seulement cesse d’être suspecte, mais redevienne au contraire le seul moyen d’obtenir notre faveur et les hautes dignités de l’état.

Tous ses actes prouvèrent la sagesse de son caractère, il diminua les impôts, réprima le luxe, remplit le trésor par ses économies, répara les édifices publies, et s’opposa, par des édits sévères, à leur dégradation.

On ne doit point croire que la fureur des barbares eût détruit tout ce que Rome avait perdu ; les Romains eux-mêmes, devenus pauvres et indifférents pour leur gloire passée, démolissaient ces nobles édifices pour bâtir à moins de frais leurs maisons. Ainsi Rome, qui s’était elle-même moralement perdue par sa dépravation, se détruisit matériellement de ses propres mains.

Majorien, loin d’imiter l’indolence de ses prédécesseurs, habita peu le palais de Ravenne. On revit enfin un empereur dans les camps ; il y ranima la discipline ; son exemple y fit renaître le courage. A la tête de ses légions, il attaqua près du Lyris les troupes du roi des Vandales, les battit, et tua le beau-frère de Genséric. Il voulait, après cette victoire, porter ses armes en Afrique ; mais aucun Romain n’osa suivre ce nouveau Scipion. Les barbares seuls restèrent sous ses enseignes.

Cependant une nouvelle guerre exerça son activité. Théodoric, roi des Visigoths, voulait venger son protégé Avitus. Il marcha contre les Romains dans la Gaule, et, malgré les vaillants efforts d’Égidius, lieutenant de Majorien, qui le repoussa plusieurs fois, il forma le siège de Lyon. L’empereur traversa les Alpes, et, après quelques succès qui rappelèrent aux Visigoths que Rome existait encore, il conclut la paix avec Théodoric, et revint en Italie.

Une volonté ferme crée des ressources, lorsque la faiblesse les croit toutes épuisées, trouva moyen, en peu de temps, de construire un grand nombre de vaisseaux, et de rassembler une forte armée.

Sa flotte était réunie dans le port de Carthagène ; l’empereur y conduisait des troupes, et se préparait à descendre en Afrique. Genséric, alarmé de ces dispositions, voulut traiter avec lui ; mais les excès commis dans Rome par les Vandales avaient rendu Majorien inflexible. Il prit le langage des anciens consuls, et refusa tout accommodement. Le roi des Vandales, ne pouvant détourner cet orage par la négociation, et craignant le sort des armes dans une pareille lutte contre un guerrier si habile et jusque-là si heureux, employa l’artifice pour le vaincre ; il trouva des traîtres qui livrèrent aux flammes la flotte romaine, et détruisirent en une nuit l’ouvrage de trois années. Après ce succès dû à la perfidie, il renouvela ses offres de paix, et la nécessité contraignit Majorien de les accepter.

A son retour en Italie, il trouva d’autres périls qu’aucun courage ne pouvait évités. Tous les hommes corrompus haïssaient la sévérité d’un prince qui voulait réformer les mœurs. Les soldats, accoutumés à la licence, supportaient impatiemment le joug de la discipline ; enfin on prétend que Riccimer, lui-même, voyant avec peine qu’au lieu de couronner un de ses lieutenants, il avait donné aux Romains un véritable empereur qui savait être reconnaissant et non dépendant. Lorsque Majorien revint, dans son camp à Tortone, tous ces mécontents y excitèrent une sédition, au milieu de laquelle l’empereur périt assassiné. On répandit le bruit qu’il était mort d’une dysenterie.

Les hommes vertueux le regrettèrent et lui élevèrent un tombeau dont la simplicité contrastait avec la magnificence des monuments, que la flatterie et la servitude avaient érigés pour tant de méprisables, tyrans[2].

Les uns et les autres ont cédé au temps ; les annales de l’histoire, monuments plus durables, conservèrent avec honneur le nom du dernier prince qui ait porté avec gloire la couronne d’un empereur et le glaive d’un général romain.

Livius Sévère fut proclamé Auguste par les ordres de Riccimer, qui régna sous son nom ; mais, en le décorant du diadème, son protecteur ne put le tirer de l’obscurité.

Les Alpes devinrent les bornes de l’empire ; cependant Marcellin défendait encore la Dalmatie, mais pour se rendre indépendant ; et, dans les Gaules, le brave, Égidius, qui avait apaisé une révolte en Armorique, soutenait dans ces contrées le nom romain. Égidius, dévoué à Majorien, se déclara l’ennemi mortel de ses meurtriers ; les Francs qui regardaient toujours la valeur comme le plus noble des titres et la première des vertus, déposant leur prince, offrirent leur couronne à ce héros qui les avait souvent vaincus. Égidius l’accepta ; mais, bientôt las de gouverner ce peuple impétueux et mobile, il rendit le sceptre à la famille de Mérovée, et mourut peu de temps après. On soupçonna Riccimer de l’avoir fait empoisonner.

Les Vandales délivrés de la crainte que Majorien leur avait inspirée, dévastaient les côtes de l’Italie, et menaçaient Rome d’une nouvelle invasion. Genséric, ayant forcé l’impératrice Eudoxie, sa captive, d’épouser son fils Hunéric  survit l’exemple d’Attila, et voulut que le peuple romain lui cédât un vaste territoire, comme dot de cette princesse. Riccimer, réduit aux seules forces de l’Italie, ne pouvait résister à un ennemi si formidable, s’il n’était secouru par l’empereur d’Orient ; et., pour obtenir cet appui, il fallait céder à la cour de Constantinople le vain honneur de nommer un empereur d’Occident.

Marcien était mort ainsi que Pulchérie. Aspar, le plus puissant des dignitaires de l’empire, aurait, pour lui succéder réuni tous les suffrages, s’il n’eut pas été arien. Mais, prévoyant que cet obstacle ne lui permettrait point de régner paisiblement, il fit élire, par le sénat, son intendant Léon, espérant que par ce choix, il conserverait la réalité de la puissance, et ne laisserait à sa créature qu’un vain titre.

Léon trompa son attente. Dès qu’il se vit sur le trône, s’étant ménagé l’appui d’un corps d’Isauriens, ses compatriotes, il secoua le joug de son protecteur, et acquit, par cette heureuse audace, le surnom de Grand. Au reste, il dut moins ce titre à ses actions qui eurent peu d’éclat, qu’à la reconnaissance du clergé catholique dont il favorisa constamment la puissance. Sous son règne, les prêtres eurent un grand crédit j ;l’habit ecclésiastique fut préféré à l’habit militaire, à celui de cour, et l’on vit même, contre la coutume et la raison, plusieurs illustres personnages, et entre autres le grand chambellan, prendre le vêtement monastique sans quitter leurs charges.

Léon répondit favorablement aux vœux du sénat et du peuple romain, qui lui demandaient un empereur ; il donna la pourpre à Anthème, gendre de Marcien, et promit d’unir ses forces à celles de Riccimer, pour enlever l’Afrique aux Vandales.

Anthème vint à Rome ; le sénat, le peuple, et les vrais maîtres de l’empire, les barbares, confirmèrent son élection.

Le nouvel empereur donna sa fille à Riccimer. Sidonius Apollinaris, dont la muse était accoutumée à louer tour à tour tous les Césars, qui paraissaient et disparaissaient si promptement sur le trône, obtint, d’abord la préfecture de Rome et la quitta ensuite pour l’évêché de Clermont en Auvergne.

Anthème était pieux, mais tolérant, et son indulgence pour les païens, qui lui mérita l’éloge de l’histoire, lui attira les reproches du pape Liber, successeur de Léon.

Les deux empereurs firent de prodigieux efforts pour assurer le succès de la guerre d’Afrique. L’ambition de Genséric avait trop prouvé qu’il fallait encore que Rome ou Carthage fussent détruites.

Marcellin battit les Vandales, et les chassa de Sardaigne. Hércaclius remporta une victoire sur les troupes de Genséric, près de Tripoli ; enfin Basilicus, ayant conduit sur les côtes d’Afrique la flotte de l’empereur d’Orient, composée de douze cents vaisseaux, les deux armées romaines réunies livrèrent bataille aux Vandales et les finirent en fuite.

Si les généraux, plus habiles, avaient su profiter de ce succès, Carthage, consternée, serait encore tombée sous leurs coups ; mais ils perdirent du temps et accordèrent à Genséric une trêve de cinq jours. Ce prince artificieux, qui savait aussi bien se servir de l’or que du fer, achète encore des traîtres qui lui livrent la flotte ; elle est attaquée, surprise, incendiée ; Basiliscus prend la fuite ; Heraclius et Marcellin se retirent ; Genséric recouvre l’empire des mers, s’empare de la Sicile et rejette en Italie la terreur que ce grand armement des deux empereurs avait répandue en Afrique.

Au milieu de ces revers, Anthème montra du courage : Je suis le seul homme de l’empire, disait-il, pour qui je n’appréhende rien ; je ne crains que pour le salut de l’état ; c’est le seul genre de crainte permis à un souverain.

Un des plus grands malheurs qui suivent souvent les revers, c’est la division qu’ils jettent dans les états ; ils rompent presque toujours l’union dont ils devraient faire sentir la nécessité : Anthème et Riccimer se brouillèrent dès que la fortune se déclara contre eux. Le général, las d’obéir, leva dans Milan l’étendard de la révolte, se déclara indépendant, trompa l’empereur par une fausse réconciliation, rassembla toutes ses forces et marcha contre Rome.

Anthème, digne de régner, puisqu’il sût combattre et mourir, se défendit pendant trois mois à la tête d’un peuple dont son exemple pouvait difficilement soutenir le courage : Riccimer, qui commandait des hommes plus aguerris, franchit enfin les remparts de la capitale, fit massacrer son beau-père, livra la ville à la cupidité de ses soldats, et plaça sur le trône Olibrius, de la famille Anitienne qui avait épousé Placidie, la dernière fille de Valentinien. Ce fantôme de prince, dont le nom est devenu un titre de mépris, ne parut et ne vécut que sept mois sur le trône.

Rome fut bientôt délivrée de Riccimer peu de temps après sa victoire et son crime, il périt, laissant le renom d’un grand capitaine, mais d’un politique perfide. Il avait donné et repris quatre fois l’empire d’Occident, qu’il défendit en brave soldat et gouverna en tyran.

Dans le même temps, l’impératrice d’Orient, Vérine, décida son époux Léon à donner l’empire d’Occident à son neveu Julius Nepos, qui gouvernait la’ Dalmatie. Nepos eut, à combattre un concurrent Glycérius, nommé par les Bourguignons ; car alors tout le monde, excepté Rome, disposait de l’empire romain. Nepos demeura vainqueur, fut reconnu en Italie ainsi que par le peuple des villes de la Gaule qui obéissaient encore à l’ombre de l’autorité romaine. Son règne fut court ; et fit regretter aux Romains qu’il n’eût pas duré plus longtemps, car il était juste et brave.

Cependant, pour trouver un appui contre les Vandales, Nepos céda l’Auvergne aux Visigoths. Il faisait sa résidence dans Ravenne. Oreste, patricien, qui commandait à Rome les Goths auxiliaires, se révolta contre l’empereur et conduisit ses troupes aux portes de Ravenne. Nepos, attaqué par ceux qui devaient le défendre, se vit obligé de fuir en Dalmatie. Cinq ans après, il y périt assassiné par l’évêque de Salonne, qui obtint pour prix de ce crime le siège épiscopal de Milan.

Oreste, autrefois secrétaire d’Attila, ambassadeur de ce roi des Huns à Constantinople, et parvenu au grade de général par la faveur de ce même Nepos qu’il détrôna, refusa de porter la couronne qu’il venait d’arracher, et  la donna à son fils Augustule. Les barbares, qui favorisaient cette usurpation, exigèrent pour récompense le tiers des terres de l’Italie. Oreste crut pouvoir parler en maître, il refusa d’accéder à leur demande et ne tarda pas d’éprouver, combien un crime nous rend dépendant de nos complices. Il avait trahi son bienfaiteur, son chef, et, à son tour, il invoqua vainement la fidélité de ceux que son exemple avait séduits.

Un autre secrétaire d’Attila, né parmi les Huns, Odoacre, fils d’Édécon, souleva, contre Oreste tous les barbares qui se trouvaient en Italie. Il leur prouva facilement que c’était désormais à eux à posséder les terres que tant de fois leurs armes avaient conquises et défendues. Ils accoururent tous à sa voix, assiégèrent Oreste dans Pavie, le prirent et le massacrèrent.

Odoacre résolut d’abolir, le titre d’empereur d’Occident. Cette grande résolution se fit sans résistance, sans combats ; et ce colosse romain, qui avait si longtemps fatigué la terre de son poids, miné par le temps, abattu par le malheur, détruit par la corruption, sembla tomber en poudre à la voix d’Odoacre, comme les corps frappés par la foudre[3].

Le barbare ne daigna pas, pour renverser le trône romain, tirer son glaive ; il ordonna au faible Augustule d’abdiquer, et, ménageant les coutumes d’un peuple, dont il anéantissait l’existence, il employa les formes de l’antique constitution pour la détruire. Le sénat, convoqué, et paraissant délibérer pour la dernière fois, reconnut l’inutilité de la division des deux couronnes, transféra le siége de l’empire à Constantinople, renonça formellement à tout droit de gouvernement et d’élection, et, écrivit à l’empereur d’Orient, successeur de Léon, pour lui recommander Odoacre, et pour l’inviter à revêtir ce guerrier de l’autorité suprême en Italie, sous le nom de Patrice. Tel fut le dernier décret du dernier sénat de Rome.

Zénon le reçut avec indignation, et répondit aux sénateurs : Vous aviez deux empereurs, Anthème et Nepos ; l’un a péri victime de votre lâcheté, vous avez chassé l’autre ; tant que celui-ci vivra, il sera votre souverain, et je n’en veux point reconnaître d’autre.

L’empereur d’Orient, après avoir cédé à ce premier mouvement, ne tarda pas à changer de langage, et, soit qu’il ne lui fût pas possible de vaincre les Goths et de relever Rome de sa chute, soit que son orgueil fût flatté de se voir seul revêtu du titre d’Empereur romain, il négocia avec Odoacre, et, se contentant d’une suprématie illusoire, le laissa, comme il le voulait, maître de l’Italie.

Augustule, remarquable par sa beauté, n’avait reçu de la nature et de l’éducation aucune vertu. L’apparition de ce prince sur le trône fut si courte, que son nom serait depuis longtemps oublié, s’il ne rappelait pas la chute de l’empire d’Occident.

Odoacre méprisait trop ce monarque dégradé pour le craindre ; lui laissant la vie, il l’exila de Rome avec sa famille. Plus éclairé que les autres barbares, Odoacre respecta les institutions de cette Rome dont il détruisait l’indépendance ; régnant sur son tombeau, il parut encore révérer son ombre. Sept ans après la ruine de l’empire, il rétablit le consulat, fit exécuter en Italie les lois des empereurs, et, pour tromper, par quelques glorieux souvenirs,’ce peuple humilié, il lui donna le spectacle d’un triomphe. Les Romains avilis en jouirent, oubliant que ce n’était plus pour eux la solennité de la victoire, mais celle de la servitude.

Le dernier empereur romain, Augustule, termina ses jours en Campanie, dans la maison de Lucullus. Ainsi ce palais, dont le luxe avait autrefois signalé la première époque de la décadence des mœurs, servit d’asile au prince qui, par sa faiblesse et par sa lâcheté, laissa s’écrouler sous lui le premier trône du monde ; et ce monument de la corruption romaine sembla doublement alors rappeler aux hommes cette vérité : Que les empires, comme les républiques, tombent, lorsque la vertu cesse de les soutenir.

Augustule avait reçu de son grand-père maternelle surnom de Romulus ; la fortune de son père lui fit décerner celui d’Auguste ; ainsi, par un sort étrange, le monarque sous lequel la capitale du monde périt, rappelait à sa mémoire les noms glorieux de son premier roi et de son premier empereur.

L’empire d’Occident avait subsisté cinq cent six ans, si l’on prend pour époque de son commencement la bataille d’Actium, douze cent vingt-neuf ans depuis la fondation de Rome.

 

FIN DE L’HISTOIRE ANTIQUE DU BAS-EMPIRE ROMAIN

 

 

 

 


[1] An de Jésus-Christ 455.

[2] An de Jésus-Christ 461.

[3] An de Jésus-Christ 476.