HISTOIRE DU BAS EMPIRE (période antique)

 

EN OCCIDENT, VALENTINIEN III ET PLACIDIE, SA MÈRE ; EN ORIENT, THÉODOSE II ET PULCHÉRIE, SA MÈRE ; MARCIEN. DANS LES DEUX EMPIRES, AÉTIUS, GENSÉRIC, ATTILA, THÉODORIC

 

 

(An 425)

DÈS qu’on sut à Constantinople la mort d’Honorius, l’empereur d’Orient, ou plutôt Pulchérie, envoya en Dalmatie des troupes chargées de conduire en Italie Placidie et son fils Valentinien. Aspar, qui s’était distingué dans la guerre de Perse, les escortait et commandait l’armée de terre. Son père, Ardaburius, dirigeait la flotte. Ils apprirent dans leur route que Jean, l’un des favoris et des secrétaires d’Honorius, s’était emparé du trône d’Occident ; les vaisseaux grecs furent dispersés par une tempête. Le grand amiral Ardaburius tomba dans les fers de l’usurpateur ; mais, loin de se laisser abattre par ce revers, du fond de sa prison, il souleva en sa faveur les troupes italiennes qui composaient la garnison d’Aquilée. Jean, abandonné et livré par elles, fut exposé sur un âne aux huées de la populace, et décapité sur la place publique. Valentinien III fut reconnu, sans opposition, empereur d’Occident, l’an 425, empereur.

Théodose, informé des succès de ses généraux, les célébra par un triomphe bien différent des anciennes solennités. Marchant à pied, à la tête du peuple, depuis l’hippodrome jusqu’à la cathédrale, il chanta des psaumes, et se montra ainsi plus digne de la chaire que du trône. Il aurait pu disputer l’empire d’Occident à l’enfant de Placidie ; mais il préféra la paix, dans un état borné, aux risques d’une guerre civile, et, soit par une suite de son indolence naturelle, soit par soumission aux pacifiques conseils de Pulchérie, le patricien Hélion se rendit en son nom à Rome, salua, en présence du sénat romain, Valentinien III Auguste, et le revêtit de la pourpre.

Par un traité conclu, on arrêta le mariage du jeune empereur avec Eudoxie, fille de Théodose et d’Athénaïs. L’Illyrie fut cédée à l’empereur d’Orient : par ce même acte, l’unité du monde romain cessa totalement d’exister. Un édit solennel de Théodose déclara que les lois d’un empire n’auraient plus de force dans l’autre.

L’Orient et l’Occident se trouvèrent ainsi gouvernés par deux femmes ; mais Placidie, plus ambitieuse que Pulchérie, livra son fils aux voluptés pour l’éloigner des affaires, et conserva le pouvoir suprême pendant trente-cinq ans. Deux généraux habiles commandaient ses armées, Aétius et Boniface. Le dernier soumit l’Afrique, et défendit Marseille ; Aétius se rendit célèbre par la défaite d’Attila. Leurs grandes actions jetèrent encore quelques rayons de gloire sur les Romains. Si leur union avait duré, elle aurait probablement sauvé l’empire ; leur discorde en prépara la chute.

Aétius, jaloux de son collègue, le rendit suspect à Placidie, et détermina cette princesse à le rappeler d’Afrique. En même temps, par un condamnable artifice, il le fit avertir secrètement que le supplice l’attendait, s’il obéissait, et il persuada à l’impératrice que la désobéissance de ce général prouvait sa révolte. Boniface, se croyant perdu, flétrit sa gloire, trahit sa patrie, appela les Vandales à son secours, et conclut une alliance avec leur roi Gonsaric. Ce roi mourut et fut remplacé par le terrible Genséric son frère.

Ce prince, que le ravage du monde rendit célèbre, comme Alaric et Attila, renfermait, dans un corps petit et contrefait, une vaste ambition qu’aucun scrupule n’arrêtait, qu’aucune proie ne rassasiait. Dissimulé, sanguinaire, intrépide, ennemi du luxe, la vengeance était le premier de ses plaisirs : fécond en ruses, audacieux dans ses plans, prompt à les exécuter, il savait également répandre la terreur par ses armes et la discorde par ses intrigues.

Avant d’entreprendre la conquête qu’il méditait, il battit les Suèves en Espagne, les poursuivit jusqu’à Mérida, et fit périr dans un fleuve leur armée et leur chef.

Après cette victoire, il s’embarqua et descendit en Afrique. L’armée vandale, grossie par des Alains par des Goths par des transfuges romains, ne s’élevait cependant qu’à cinquante mille hommes ; mais Genséric augmenta ses forces, en s’alliant avec les Maures, et eu protégeant’ les donatistes persécutés. Saint Augustin dut regretter alors de ne pas s’être montré pour eux moins intolérant.

Boniface n’avait demandé que des secours ; Genséric parlait en maître. Le général romain se repentit de sa révolte et se réconcilia avec Placidie, qui venait de découvrir la perfidie d’Aétius. Le général, revêtu de nouveau du commandement des troupes romaines, marche sur Carthage, s’en empare et propose la paix à Genséric, qui refuse de traiter. Bientôt les deux armées se livrèrent une sanglante bataille ; Boniface fut vaincu et perdit ses plus braves soldats. Toute l’Afrique devint la proie de l’avidité des Vandales, de la férocité des Maures : cette vaste et fertile contrée, qu’on regardait alors comme le grenier du monde, vit ses champs ravagés, ses arts et ses monuments détruits, ses villes incendiées, ses citoyens livrés à l’esclavage et aux tortures. Carthage et Hyppone restaient seules debout au milieu de ce beau pays changé en désert.

Boniface, assiégé dans Hyppone, est encouragé dans sa résistance par les conseils fermes et les consolations pieuses de saint Augustin. Ce saint prélat meurt en pleurant les malheurs de sa patrie. Le siège dure quatorze mois ; enfin les Vandales, vaincus par l’opiniâtreté des assiégés, s’éloignent.

Aspar amène de Constantinople des vaisseaux et des troupes ; Boniface, de nouveau à la tête d’une grande armée, tente encore le sort des armes, mais la fortune trahit son courage ; il est battu ; Hyppone est prise, et l’Afrique est perdue sans retour.

Ce général, vaincu, revint à Ravenne. Placidie, ne voulut punir ni sa faute ni ses malheurs, ne se souvint que de ses services, et lui rendit sa confiance. Aétius, jaloux de son crédit, et résolu de le renverser, quitta la Gaule et descendit en Italie à la tête d’une armée de barbares : Boniface courut à sa rencontre, l’attaqua, le défit, mais revint mortellement blessé de la main du rival qu’il avait vaincu.

Placidie, pour venger sa mort, déclara ennemi de l’état. Après avoir tenté vainement de se défendre dans quelques forteresses de ses domaines, il se sauva chez les Huns. Ce fut ainsi que Rome perdit deux généraux habiles, ses derniers soutiens.

Carthage, abandonnée, ne succomba cependant qu’après huit ans de résistance. Enfin Genséric conclut la paix, en laissant à Valentinien l’illusoire souveraineté des trois Mauritanies.

Le roi vandale était le fruit d’une union illégitime. Redoutant les prétentions des fils de son frère, il les fit noyer avec leur mère. Ce fut après ce meurtre qu’il s’empara de Carthage, l’an 439, cinq cent quatre-vingt-cinq ans après la victoire de Scipion. On nommait cette cité la Rome d’Afrique. Elle se montrait l’égale de celle de l’Italie, en grandeur, en magnificence, en richesse, en commerce. On y jouissait de toutes les douceurs d’une longue civilisation. Un bois épais, situé au centre de la ville, offrait à ses habitants un frais ombrage, pour les garantir de l’ardeur d’un climat brûlant.

Les Vandales livrèrent cette riche cité au pillage, et contraignirent tous les citoyens, qu’ils épargnèrent ; à leur céder leurs terres, et à leur livrer leurs trésors. L’Italie et l’Orient se trouvèrent peuplés de sénateurs fugitifs et de patriciens naguère opulents comme des souverains, et qui se voyaient réduits à demander l’aumône.

Ce fut dans ce temps de destruction, de calamités, que quelques écrivains ecclésiastiques, qui substituaient des fables nouvelles aux anciennes, racontèrent ainsi l’histoire merveilleuse des sept dormans.

Sous l’empire de Decius, disaient-ils, sept jeunes nobles d’Ephèse, chrétiens et persécutés, se cachèrent dans une caverne pour éviter la mort : le tyran la fit murer. Dieu, protégeant ces jeunes martyrs, les plongea dans un profond sommeil qui dura cent quatre-vingt-sept ans, et qui finit lorsque Pulchérie et Théodose II occupaient le trône d’Orient. Â cette époque, Adolius, propriétaire de la montagne où se trouvait cette caverne, en fait extraire des pierres pour construire un bâtiment. Le jour pénètre dans le souterrain. Les sept dormeurs s’éveillent, croyant ne s’être reposés que quelques heures. Jamblius, l’un d’eux, se charge d’aller à la ville pour y chercher du pain. Il ne reconnaît plus ni l’aspect de la contrée, ni les traits de ses habitants ; il approche d’Éphèse, et voit, avec autant de joie que de surprise, la croix briller sur le faîte des temples. Entrant chez un boulanger, il étale pour le payer plusieurs pièces de monnaie, frappées au coin de Decius. Le boulanger s’en étonne, les voisins accourent, la multitude s’attroupe ; on le traîne devant le juge, croyant qu’il a découvert un trésor. Son récit paraît une imposture ; cependant on envoie chercher ses compagnons. La candeur de leurs réponses, les détails de l’histoire qu’ils racontent, et l’accord qui règne dans leurs discours, persuadent les plus incrédules ; enfin le peuple, les magistrats, l’évêque et l’empereur Théodose lui-même, convaincus que ces hommes saints sommeillaient en effet depuis près de deux siècles, s’humilient devant la puissance de Dieu, et se prosternent aux pieds des sept martyrs qui expirent tous ensemble, après avoir donné leur bénédiction aux spectateurs de cet inconcevable prodige.

Jean de Sarugues écrivit, deux ans après la mort de Théodose, l’histoire des sept dormans. Grégoire de Tours la traduisit ; on trouve leurs noms dans les calendriers romains, grecs et abyssiniens ; et comme les contes trompent, et plaisent dans tous les lieux, dans tous les temps, et se mêlent à tous les cultes, Mahomet, trouvant cette fable ingénieuse, l’adopta dans son Coran.

Ce qui malheureusement, loin d’être fabuleux, ne fut que trop réel, c’est la puissance colossale du barbare Attila, qui ravagea le monde, et se glorifia d’être appelé le fléau de Dieu. Cet orage effroyable, qui, sans le courage des Francs, la valeur de Mérovée et l’habileté d’Aétius, aurait soumis le globe à un joug plus absurde et plus humiliant glie celui qui pèse de nos jours sur les peuples africains, dura près d’un siècle, depuis 376 jusqu’à 463. Aucune irruption de barbares ne laissa sur son passage plus de ruines. Les Huns faisaient consister leur gloire à détruire, et c’était en changeant les contrées, conquises par eux, en de vastes solitudes, qu’ils voulaient signaler leur nom et affermir leur puissance. Les gémissements de ceux qu’ils opprimaient étaient à leurs yeux d’insolents murmures dont leur orgueil féroce s’offensait : le bruit des chaînes de leurs captifs, et le silence des tombeaux, pouvaient seuls satisfaire leur soif de dominer.

Lorsque, se précipitant des extrémités de l’Orient vers l’Occident, ils eurent chassé devant eux les Goths et les Vandales, la division s’établit parmi eux, et l’on put espérer un moment, que leurs discordes en délivreraient la terre. Leurs différents chiefstains se livrèrent des combats sanglants. Quelques-uns s’alliaient aux Goths, d’autres prêtèrent leurs armes aux Romains ; le grand Théodose lui-même avait compté parmi ses généraux un roi des Huns.

Plus tard, les Bavarois, et trois autres nations allemandes, dont leurs dissensions ranimaient le courage, secouèrent le joug de ces sauvages conquérants. L’empereur Théodose II fomentait secrètement cette révolte. Rugilas, qui gouvernait alors la plus nombreuse tribu des Huns, et dont les autres reconnaissaient, quoiqu’à regret, la prééminence, menaça l’empire d’Orient d’une invasion. Théodose effrayé envoya des ambassadeurs pour apaiser ce farouche guerrier. Ils trouvèrent Rugilas mort. Attila et Bléda, ses neveux, lui avaient succédé. Ils reçurent les ambassadeurs dans la plaine de Margus en Mœsie ; et, suivant l’ancienne coutume de ces barbares, ils restèrent à cheval pendant la conférence ouverte pour la paix.

L’empereur se vit obligé de souscrire aux conditions humiliantes qu’on lui dictait. Il augmenta le tribut qu’il devait payer aux Huns, leur accorda un port franc sur le Danube, et renonça solennellement à toute alliance avec leurs ennemis.

Ce fut à cette époque que les Grecs et les Romains virent pour la première fois le redoutable Attila. Ce prince, fils de Mondone, offrit à leurs regards l’horrible figure d’un Calmouck ; une tête large, un teint basané, un nez aplati ; une taille courte et carrée, et un regard à la fois faux et féroce. Il s’était déjà fait remarquer par sa cruauté et par sa passion pour la guerre ; dans laquelle il déployait plutôt les talents d’un général que la valeur d’un soldat. On ne lui reconnaissait qu’une vertu, la fidélité à remplir ses engagements ; il était esclave de sa parole.

Né pour dominer, il s’était habilement servi de l’ignorance superstitieuse de ses sujets qui le croyaient plus qu’un homme. Un pâtre, s’étant aperçu qu’une de ses génisses s’était blessée au pied, et cherchant la cause de cet accident, découvrit une pointe d’épée qui sortait de la terre. Il creuse le sol ; il en tire un glaive qu’il porte au roi. Attila sut persuader à ses peuples qu’on avait retrouvé l’épée de Mars, et que cette arme divine lui donnait des droits incontestables à l’empire de l’univers. L’épée de Mars devint l’idole des Huns. Ils l’entourèrent d’offrandes, et lui dévouèrent, comme victimes, la centième partie des captifs qui tombaient dans leurs mains.

Tous ces guerriers du Nord, qui avaient épouvanté l’Europe et l’Asie, tremblaient devant Attila ; et, convaincus de sa divinité, ils disaient que leurs yeux ne pouvaient soutenir le feu de ses regards.

Attila, qui n’eut de commun avec Romulus qu’un crime, commença son règne comme le fondateur de Rome, par l’assassinat de Bléda son frère. Après avoir dompté toutes les tribus de sa nation, toutes les hordes de la Scythie, il subjugua en peu d’années tous les peuples germains, se rendit maître des contrées belliqueuses de la Scandinavie, et répandit la terreur dans l’âme des Gaulois et des Bourguignons. On le reconnut enfin comme le monarque de tous les barbares. Les limites de son vaste empire étaient le Volga, le Danube, la mer du Nord, le Rhin et les Alpes. Il était également redouté comme guerrier et comme magicien.

Ardaric, roi des Gépides, Valamir, roi des Ostrogoths, abaissant leur couronne à ses pieds s’honoraient d’occuper dans son conseil les places de ministres. On voyait, rangés en haie, dans son palais rustique, comme gardes de sa personne, et même comme domestiques, une foule de princes, et de chefs de tribus, qui avaient rassemblé leurs peuples sous ses drapeaux ; et, si l’on en croit les historiens du temps, son armée s’élevait à près de huit cent mille hommes.     

Une de ses divisions fit une invasion en Perse ; elle étendit ses ravages jusque dans la Syrie. Lorsque l’empereur d’Orient voulut reconquérir l’Afrique, que Rome avait perdue, Attila, cédant aux vœux de Genséric, menaça de la guerre Théodose II, et, par cette diversion, sauva les Vandales.

On ne pouvait conserver longtemps la paix avec un peuple qui n’était qu’une armée. Les, Huns prétendirent que le traité de Margus était  rompu, et qu’on leur avait volé, dans le port franc du Danube, un trésor appartenant à l’un de leurs chefs : ils exigèrent qu’on leur rendit cet argent, et qu’on leur livrât l’évêque de Margus. La cour de Byzance refusant de redresser ces griefs, la guerre fut déclarée. Les Mésiens, craignant la fureur des barbares, pressaient vivement l’empereur de céder à l’orage ; et, pour se mettre eux-mêmes à l’abri des ravages qu’ils redoutaient, ils formèrent le dessein de livrer l’évêque de Margus aux barbares.

Celui-ci en fut informé, sacrifia ses devoirs, et son pays à sa sûreté, traita secrètement avec Attila, lui livra sa ville, et ouvrit ainsi les barrières de l’empire.

Aussitôt les Huns, comme un torrent furieux, se répandent dans la Mœsie, la dévastent, détruisent toutes ses forteresses, livrent aux flammes Syrmich, Neisse, Sardica, Martianopolis, et changent en désert toutes les contres situées depuis le Pont-Euxin jusqu’à l’Adriatique.

Ces calamités ne purent décider le faible Théodose à sortir de son palais, à quitter ses chapelets, à suspendre ses processions. Incapable de combattre, il chargea des généraux sans talents de rassembler ses armées. Ceux-ci perdirent une bataille près du Danube, une seconde au pied du mont Hémus, et virent détruire, dans une troisième défaite, les restes de leurs forces, qui devaient défendre la Chersonèse de Thrace.

Attila ravagea la Macédoine, brûla soixante-dix villes, et s’avança jusqu’aux faubourgs de Constantinople. Les murailles de cette ville et celles d’Andrinople l’arrêtèrent ; il ne savait que combattre, en plaine, et ignorait l’art des sièges.

Tant de revers jetaient l’Europe et l’Asie dans la consternation. Ce n’étaient point les maux ordinaires, que la guerre entraîne à sa suite, qui glaçaient alors les esprits de terreur ; on était menacé d’une destruction totale. Tout homme en âge de servir tombait sous le fer des barbares ; les vieillards et les femmes se voyaient tous réduits en esclavage ; leur faiblesse même ne les garantissait pas toujours de la mort ; et lorsque le nombre trop grand de ces captifs embarrassait le vainqueur, ils étaient immolés sans pitié.

Cette foule de Romains, dispersés chez les barbares, ne put les adoucir ni les civiliser. Ces guerriers farouches méprisaient les sciences, et surtout celle des lois. Les artisans leur apprirent quelques métiers ; les médecins s’attirèrent leur respect ; les prêtres en convertirent plusieurs : mais, comme la plupart des pontifes grecs étaient attachés à l’arianisme, ce fut cette hérésie qui se répandit parmi les conquérants du Nord.

Théodose II, que, suivant la coutume, on nommait toujours Auguste, et qui prenait le titre d’invincible, n’avait plus d’armée à opposer à ses ennemis. Trop lâche pour tenter de réveiller le courage de ses sujets, il ne sortait de son palais que pour aller à l’église. Incapable de combattre Attila, il implora sa clémence, et signa une paix honteuse. Par ce traité, la cour de Byzance céda, aux Huns un vaste territoire situé : au midi du Danube, depuis Belgrade jusqu’à Nova en Thrace, et s’assujettit à payer un tribut annuel de deux mille cent livres d’or, ainsi que six mille livres pour solder les frais de la guerre. L’épuisement des peuples et les infidélités des receveurs de l’impôt rendirent le paiement de cette contribution lent et difficile.

Au milieu de ce découragement des armées, de ces terreurs de la cour, de cet opprobre de l’empire, une petite ville de Thrace, Asymus, se montra romaine. Ses habitants, ne voulant pas reconnaître une paix humiliante, sortent de leurs murs, attaquent les Huns, se grossissent d’un grand nombre de déserteurs et de captifs, en forment une armée, livrent bataille aux barbares, les défont et les contraignent de sortir de leur territoire.

Sur les plaintes d’Attila, Théodose voulut obliger les Asymontains à exécuter le traité. En hommes généreux, résistant à la cour comme à l’ennemi, ils répondirent que jamais ils ne pourraient regarder le déshonneur comme une loi. Attila et Théodose cédèrent à leur fermeté.

Un des articles de la paix obligeait l’empereur à livrer au roi des Huns tous les Allemands, tous les Goths, tous les Scythes qui avaient déserté ses drapeaux pour entrer dans les troupes impériales. Les Romains ne pouvaient se décider à sacrifier, à dévouer à un supplice certain tant d’officiers dont le courage avait brillé dans leurs légions. L’impitoyable Attila pressait d’exécution d’une disposition si dure. Théodose lui envoya une ambassade, dans l’espoir de le fléchir. Il cherchait à gagner Constance, secrétaire d’Attila, qui pour prix de sa condescendance, exigea qu’on lui donnât pour femme une dame romaine, distinguée par sa naissance et par sa beauté ; la veuve du général Armatius fut la victime qui se dévoua, dans cette circonstance, au salut d’un si grand nombre de guerriers.

L’historien Priscus et Maximin, ambassadeurs de Théodose, se rendirent près d’Attila. La relation de ce voyage, par Priscus, fait connaître, avec détail, les mœurs de ces farouches conquérants. Le temps n’était plus où les envoyés romains dictaient des lois aux monarques, et traçaient autour d’eux, avec leur baguette, ion cercle dont ils ne pouvaient sortir, avant d’avoir juré d’obéir aux maîtres du monde. Les envoyés de l’empereur, reçus avec une fierté dédaigneuse, éprouvèrent des humiliations qui vengeaient enfin tant de rois si longtemps abaissés par l’orgueil romain. On les fit attendre plusieurs jours, avant de leur permettre d’approcher de la résidence de leur vainqueur. Quel spectacle pour des hommes récemment sortis de Constantinople ; de cette cité où presque tontes les maisons étaient des palais, où brillaient tout le luxe de l’Orient et tous les arts de la Grèce !

Les ambassadeurs d’un César, d’un Auguste, arrivent suppliants dans le village royal d’Attila, dont le palais n’était qu’un bâtiment rustique, en bois, entouré de palissades et de quelques tourelles. Ils traversent une foule de gardes, couverts de vêtements magnifiques enlevés aux Grecs et aux Romains, et sont contraints de se courber devant un homme vêtu comme un simple Tartare, sans ornements, et dont le trône n’était qu’une chaise grossière.

Les envoyés exposèrent avec dignité l’objet de leur mission, employant ces phrases orgueilleuses, et ce langage pompeux, consacré par d’antiques coutumes, mais qui convenait alors peu à un peuple abattu et dégénéré. Attila ne répondit à leurs discours que par des menaces. Croyez-vous, leur dit-il, qu’une seule ville de votre empire puisse prétendre à subsister, lorsqu’il me plaira de la détruire ? Cependant, après ce premier mouvement de colère, il s’adoucit pour eux, leur donna quelque espérance, et les invita à un grand banquet.

II avait aussi près de lui des envoyés de Valentinien. Les ambassadeurs des deux empires furent placés à ce festin, au-dessous de quelques petits princes barbares. Pendant ce long repas, suivant la coutume du Nord, on força les convives à boire avec excès ; et, pour varier leurs plaisirs, on fit jouer devant eux quelques scènes comiques par des bouffons ; on fit combattre, en leur présence, des captifs maures et des guerriers scythes célébraient par leurs chants les victoires d’Attila. Les femmes de ces barbares, plus libres que celles de l’Orient, étaient admises aux festins, et les épouses d’Attila conversaient familièrement avec les étrangers.

Le roi des Huns avait envoyé près de Théodose un ambassadeur nommé Édécon. Pulchérie conservait alors peu de crédit à la cour d’Orient. L’eunuque Chrysaphius, depuis quelque temps, gouvernait l’empereur. Ce vil ministre, de concert avec un de ses amis, nommé Virgilius, essaya de corrompre Édécon, pour l’engager à tramer une conspiration contre la vie d’Attila ; Édécon feignit d’y consentir. Théodose, malgré sa piété approuva ce complot meurtrier. Cependant Édécon informa son maître de cette trahison. Attila, plus généreux que les Romains de ce temps, dédaigna d’exercer une facile niais injuste vengeance sur les ambassadeurs qu’il avait entre ses mains.

Cependant Vigilius, qui avait servi d’interprète à ces ambassadeurs, et qui depuis était retourné à Constantinople, revint au camp d’Attila, portant avec lui les trois cents livres d’or promises aux conspirateurs. Attila le fit arrêter, lui fit tout avouer, lui laissa la vie, et envoya une nouvelle ambassade à Constantinople. Eslaw et Oreste étaient chargés de cette mission : Lorsqu’ils furent admis à l’audience de l’empereur, Eslaw dit à ce prince : Voici ce que mon maître m’a chargé de vous faire savoir. Théodose et Attila descendent tous deux de noble race. Attila, par ses exploits, a soutenu la dignité de ses aïeux : Théodose, par sa faiblesse, s’est montré indigne des siens ; il s’est dégradé ainsi que son peuple, en consentant à payer au vainqueur un tribut honteux. Par là, il a solennellement consenti à devenir le serf de celui que la gloire et la fortune ont placé au-dessus de lui. Il devrait, comme un sujet fidèle, lui obéir et le respecter, au lieu de conspirer, comme un vil esclave, contre son maître.

Le descendant du grand Théodose, assis sur son trône d’or, et qui n’avait jamais entendu que les accents de la flatterie, se vit forcé d’écouter, avec autant de confusion que de frayeur, les paroles sévères et la juste réprimande que, du haut de sa chaise de bois, le sauvage Attila lui adressait. Il rougit, se déconcerta, trembla, ne put répondre, livra aux ambassadeurs son eunuque Chrysaphius, et, pour apaiser Attila, choisissant les plus grands personnages de sa cour, lui envoya comme ambassadeurs Nommius et Anatolius, tous deux consulaires ; l’un grand trésorier, et l’autre maître général des armées.

Ce qui doit paraître étrange, et ce qu’expliquent cependant les faiblesses de l’amour-propre humain, c’est qu’à cette époque même, où l’empire déchu de sa grandeur se voyait sans défense livré aux invasions et aux outrages des barbares, le souvenir de la gloire romaine, le titre de consul, la mémoire de tant de puissance et de tant de triomphes inspiraient encore quelque respect. Le choix des ambassadeurs flatta l’orgueil sauvage du roi des Huns. Radouci par cet hommage, il vint au-devant des envoyés de Théodose, lui pardonna, fit grâce même à l’eunuque, et à l’interprète, rendit à l’empire plusieurs villes, mit en liberté un grand nombre de captifs, cessa d’exiger qu’on lui livrât les déserteurs, conclut la paix, et reçut, pour prix de la tête d’un vil eunuque, d’énormes tributs qui écrasaient l’empire, et qui auraient suffi à l’empereur pour payer une guerre glorieuse, au lieu d’acheter une honteuse paix des barbares.

Peu de temps après la signature de ce traité, l’an 430, Théodose, en se promenant, fut renversé par son cheval dans le Lycus, se brisa l’épine du dos et mourut la quarante-troisième année de son règne, et la cinquante-troisième de son âge.

Il fallait, pour relever l’empire, un caractère héroïque ; les grands, l’armée, le sénat et le peuple placèrent Pulchérie sur le trône, et la proclamèrent impératrice. Ce fut pour la première fois que l’on vit une femme régner sur les Romains.

Elle commença son règne par un acte de vengeance, qui en eût été un de justice, si elle avait suivi les formes de la loi. L’eunuque Chrysaphius, sans être jugé, fut décapité à la porte du palais. Le courage et les talents de Pulchérie la rendaient digne de régner ; mais le gouvernement d’une femme, contraire aux coutumes, pouvait exciter le mécontentement. Cette princesse ne voulut point s’y exposer : elle épousa un sénateur estimé, nommé Marcien, âgé alors de soixante ans, le revêtit de la pourpre, et l’obligea de jurer qu’il respecterait constamment son pouvoir et sa chasteté.

Marine et Arcadie, sœurs de l’impératrice, avaient, comme elle, fait vœu de virginité ; toutes trois écrivirent ce vœu sur des tablettes enrichies de diamants, qu’elles portèrent en offrande à l’église de Sainte-Sophie. Tout homme, excepté les prêtres, fut depuis ce temps exclu de leur présence ; leur palais devint : un monastère et leur cour une communauté religieuse.

Marcien justifia le choix de Pulchérie par la fermeté de son caractère, par la sagesse de sa conduite. Né en Thrace, au sein d’une famille pauvre, il avait été dix-neuf ans domestique, et ensuite compagnon d’armes des généraux Aspar et Ardaburius. Il se distingua sous leurs ordres en Perse et en Afrique. Son mérite lui attira l’estime générale ; sa modestie le mit à l’abri de l’envie. Monté sur le trône, il réforma par de sages lois les abus et les actes d’une tyrannie dont il avait longtemps souffert et il se montra aussi doux pour ses peuples que fier contre ses ennemis.

Attila lui fit demander avec hauteur le paiement du tribut annuel auquel s’était soumis Théodose. Le temps n’est plus, répondit Marcien, où l’on offensait impunément la majesté de l’empire. Je donnerai volontiers des subsides aux princes alliés qui me serviront fidèlement ; mais je répondrai aux menaces avec des soldats, du courage et du fer.

Apollonius, envoyé en ambassade près du roi des Huns, lui tint le même langage. Le barbare furieux menaça de tout exterminer et d’effacer du monde jusqu’au nom de Romain. Il écrivit en ces termes aux deux empereurs : Attila, ton maître, t’ordonne de faire préparer ton palais pour le recevoir ; il viendra bientôt t’y donner ses ordres.

Cependant, comme ce guerrier était encore plus habile que farouche, dès qu’il fut informé des dispositions que faisait Marcien pour le combattre, redoutant cette lutte avec un empereur belliqueux, il le laissa en paix, déclarant qu’il ajournait la conquête de l’Orient jusqu’au moment où il se serait emparé de la Gaule et de l’Italie. Il y marcha ; mais le sort y ramenait un guerrier que d’abord il avait protégé, et qui bientôt, prenant les armes contre lui, l’empêcha d’exécuter ses vastes desseins, et servit de digue à sa fureur.

Aétius s’était retiré chez les Huns après la mort de Boniface : mais, revenant bientôt plus terrible, à la tête de soixante mille de ces barbares, il inspira tant de crainte à Placidie, que cette princesse, n’osant le combattre, se livra totalement à cet ambitieux, et plaça son fils Valentinien sous sa tutelle. Cette prudence, ou cette faiblesse, assura son repos. La cour de Ravenne fut délivrée d’un ennemi formidable ; et acquit un salutaire appui.

Aétius, trois fois consul, maître général des armes, exerça le pouvoir suprême sous le nom de duc des Romains de l’Occident. Valentinien n’eut que le titre d’empereur, et jouit en repos de tous les plaisirs d’une cour corrompue, tandis que son général supportait seul le poids des affaires, et soutenait l’empire sur le bord de sa ruine.

Ce guerrier était scythe de naissance : Son père, nommé Gaudentius, avait épousé une Romaine. Dans sa jeunesse, Aétius fut envoyé comme otage, d’abord Près d’Alaric, et ensuite dans le camp des Huns. Il dut sa fortune à sa force, à ses talents, à sa beauté. On admirait son adresse à tous les exercices, sa patience dans les revers, son courage au milieu des périls ; on disait de lui qu’il était également difficile de le tromper, de le séduire et de l’intimider.

Heureux dans les combats, habile dans les négociations, il força les Vandales de respecter les frontières de l’Italie, protégea les Bretons contre les peuples du Nord, établit l’autorité de Rome dans une partie de l’Espagne et des Gaules, vainquit les Suisses et les Francs, et les força à combattre, comme auxiliaires, sous les aigles romaines.

Dans le temps de sa disgrâce, cherchant un asile dans le camp d’Attila, A s’était intimement lié avec ce conquérant, et avait même laissé auprès de lui son fils Carpillo. L’épuisement de l’Italie, lorsqu’il prit les rênes du gouvernement, la faiblesse de l’armée, la détresse du trésor, l’obligèrent d’abord, malgré la fierté de son caractère, à payer un tribut au roi des Huns, dans le dessein de retarder’ l’approche de l’orage dont il voyait l’Occident menacé.

Profitant habilement des divisions qui existaient toujours parmi les barbares, sous le règne même du terrible Attila, il trouva moyen de s’attacher un corps nombreux de Huns et d’Alains, dont il satisfit la cupidité, en leur cédant des terrains fertiles dans la Gaule, près de Valence et d’Orléans.

Un autre péril exigeait encore tous les soins de sa prudence, tous les efforts de son courage. La domination des Goths en Aquitaine s’affermissait chaque jour ; après le règne glorieux de Vallia, fondateur de ce royaume, Théodoric, fils du grand Alaric, monta sur le trône, et sut régner avec éclat. Loin de se contenter de ses possessions, il voulut s’emparer de la province romaine, et investit la ville d’Arles. Aétius le força d’en lever le siège ; mais bientôt les Goths et les Bourguignons, s’étant unis confire Rome, attaquèrent, les uns Narbonne et les autres la Belgique. Aétius, à la tête de sa cavalerie alaine et scythe, défit les Bourguignons, en tua vingt mille, et donna à ceux qui échappèrent de ce combat un territoire, en Savoie. Dans le même temps, huit mille Goths, surpris et attaqués, tombèrent sous les coups de son lieutenant, le comte Lictorius, qui, par cette victoire, délivra Narbonne.

Après de si brillants succès, Aétius retourna en Italie ; mais, pendant son absence, Lictorius, avec une troupe de Huns, tenta une entreprise téméraire sur Toulouse ; Théodoric lui livra bataille, mit ses troupes en fuite, et le fit prisonnier. Cet échec contraignit Aétius de revenir dans la Gaule. Ayant réuni ses forces, il marcha contre le roi des Goths. Lorsque leurs armées furent en présence, au lieu de combattre, ils négocièrent et conclurent la paix.

Théodoric, qui voulait civiliser ses peuples, envoya ses fils étudier les belles-lettres dans les écoles les plus renommées de la Gaule, cherchant à faire perdre à ses sujets l’habitude de la guerre, pour les attacher à l’agriculture et aux arts de la paix. Il crût assurer sa tranquillité, en formant des alliances avec les rois dont il pouvait redouter l’ambition. Ses deux filles épousèrent, l’une le fils du roi des Huns, et l’autre le roi des Vandales. Le sort trompa ses vœux. L’aînée de ces princesses devint promptement veuve, son mari périt victime d’une conspiration ; la seconde était réservée à de plus grandes infortunes.

Son beau-père, Genséric, roi des Vandales, barbare et défiant, croyait tout ce qui l’entourait disposé, comme lui, au crime. Universellement craint et haï, il redoutait tous ceux qu’il faisait trembler. Soupçonnant sa belle-fille de vouloir l’empoisonner, il lui fit couper le nez, les oreilles, et la renvoya, ainsi mutilée à Théodoric.

Le roi des Goths, indigné de cette atrocité, jura de se venger d’un si sanglant outrage, et conclut avec les Romains un traité dont l’objet était de renverser du trône cet assassin, et d’enlever l’Afrique aux Vandales.

Genséric évita ce danger par une diversion. Ce barbare, qui ne devait rencontrer partout que des ennemis, trouva un allié digne de lui ; il s’unit avec le féroce Attila. Le roi des Huns, sans perdre de temps, profita du prétexte qui s’offrait à son ambition, et, à la tête de sa nombreuse armée, il envahit la Gaule. Aucun obstacle n’arrêta d’abord la course de ce torrent dévastateur.

La justice est si nécessaire aux hommes qu’elle est encore invoquée par ceux qui la respectent le moins, et en commençant la guerre la plus injuste,  les princes les plus ambitieux cherchent par des manifestes à tromper les hommes qu’ils oppriment, les peuples qu’ils moissonnent, et à leur persuader qu’ils ne s’arment que pour soutenir des droits légitimes. Le barbare Attila lui-même crût nécessaire, en passant le Rhin, de colorer son agression, en réclamant la main et la dot de la princesse Honoria, fille de Placidie, qui s’était éprise pour sa gloire sauvage, et en annonçant le dessein de replacer sur le trône des Francs le fils aîné de Clodion, qui en avait été chassé par Mérovée. Depuis près d’un siècle les Francs occupaient la Toxandrie (partie de la Belgique), et les contrées situées sur les rives du Bas-Rhin. Ces peuplés avaient cédé le droit de les gouverner, à une famille qu’on nomma la famille mérovingienne. Quelques auteurs prétendent que le premier roi de cette race était ce Maraubaudus, que nous avons vu servir avec éclat dans les armées des Romains. Il parait que le trône, héréditaire dans la famille, ne passait point directement à l’aîné. Les Francs élisaient parmi les princes de cette maison celui qu’ils croyaient le plus digne de la couronne. Lorsqu’il était élu, on le proclamait en l’élevant sur un bouclier, cérémonie qui rappelait sans doute à ces princes que leur puissance, fondée par les armes, ne pouvait être soutenue que par elles, Les princes de la famille mérovingienne, portaient, pour se distinguer, une longue chevelure. On les appelait Reges criniti (rois chevelus). Tous les autres Francs se rasaient le derrière de la tête ; ils avaient de longues moustaches ; on les distinguait des autres barbares par la hauteur de leur taille, par la fierté de leurs yeux bleus ; ils portaient des habits étroits, et se servaient d’une lourdé épée, un immense bouclier les couvrait presque entièrement. Leur course était rapide ; ils traversaient à la nage les plus grands fleuves, excellaient à manier la hache, à lancer le javelot, et s’étaient acquis par leurs exploits une grande réputation de bravoure. Un croit généralement que la nation des Francs était une confédération formée par des tribus sorties de différents peuples de la Germanie, et qu’ils devaient leur nom à leur amour, pour la liberté.

Une autre confédération, sortie de la même source, avait donné à ceux qui la composaient le nom d’Allemands, probablement pour rappeler que c’étaient des hommes sortis de toutes les nations connues dates le Nord.

Le premier des rois chevelus, dont on ait cité des conquêtes dans la Gaule, était Clodion ; il faisait sa résidence dans une forteresse nommée Dispargum. Ce roi, voyant Rome occupée à lutter en Italie contre les barbares, et trouvant la seconde Belgique sans défense, s’empara de Cambrai et de Tournai. Il porta ses armes jusqu’aux rives de la Somme. Tandis que, fier de ses succès, il célébrait les noces de son fils, et que tout son camp se livrait à la débauche, qui, chez les barbares, était inséparable de pareilles fêtes, il se vit, pendant la nuit, au milieu d’un festin, surpris et attaqué par l’infatigable Aétius. Les Francs, plongés dans l’ivresse, n’eurent ni la force ni le temps de prendre leurs armes ; les Romains renversèrent leurs tables, pillèrent leur camp, s’emparèrent de leurs chariots, et emmenèrent captives les princesses et toutes les femmes qui assistaient à ces noces.

Clodion, forcé de fuir, répara cet échec, réunit sa troupe, et combattit si vaillamment Aétius, que cet habile général ne put lui enlever ses conquêtes, dont Trèves et Cologne faisaient partie.

Lorsque Clodion mourut, ses deux fils se disputèrent le trône ; Mérovée, le plus jeune, se rendit à Rome pour implorer la protection de Valentinien. Aétius traita ce prince comme s’il l’avait adopté pour fils, lui promit de puissants secours, et le renvoya dans l’a Gaule avec de magnifiques présents. Dans le même temps, son frère aîné sollicitait l’appui d’Attila ; qui, sur sa demande entra dans la Gaule, promettant de lui rendre le sceptre que les Romains lui enlevaient.

L’autre motif, pour lequel Attila prétendait s’armer, devrait paraître plus romanesque qu’historique ; mais les passions rendent vrai ce qui souvent n’est pas vraisemblable. La princesse Honoria s’était  laissé séduire par un chambellan, nommé Eugène. La sévère Placidie, sa mère, la bannit de sa présence et l’envoya à Constantinople. Honoria, vive et passionnée, ne put supporter la vie austère qu’on menait dans ce palais que Pulchérie et ses sœurs avaient changé en couvent. La renommée d’Attila séduisit son ardente imagination ; les mœurs sauvages des Huns, l’âpreté du caractère de leur chef, lui semblaient préférables aux rigueurs monastiques de la cour de Byzance. Au mépris de tous ses devoirs de femme, de princesse et de Romaine, elle écrivit au barbare, lui envoya son anneau, lui donna sa foi et le conjura de la réclamer comme son épouse.

Dans les premiers moments, Attila ne répondit que par un froid mépris à cette démarche extravagante. Dédaignant les liens d’un chaste hymen, il prenait et abandonnait plusieurs femmes au gré de ses caprices ; et le palais rustique de ce guerrier sauvage, semblable aux sérails des princes actuels de l’Orient, était rempli de beautés de différents pays, qui s’y voyaient traitées plus en esclaves qu’en épouses.

Cependant, lorsque le roi des Huns forma le dessein d’envahir la Gaule, inspiré par son ambition politique, et non par un frivole amour, il demanda aux cours de Ravenne et de Constantinople qu’on remît Honoria entre ses mains, et qu’on lui donna pour dot une partie du domaine impérial. C’était renouveler les insolentes prétentions que jadis les Tanjoux, ses ancêtres, avaient osé former sur les princesses de la Chine.

Il éprouva le refus qu’il attendait ; on lui déclara que la princesse était liée par d’autres nœuds, et que d’ailleurs, suivant les coutumes romaines les femmes n’avaient aucun droit de succession à l’empire. La famille d’Honoria la força d’épouser un homme obscur, et on l’exila dans une petite bourgade en Italie, où elle termina, au bout de quelques années, sa honteuse carrière.

Dès qu’Attila donna le signal de la guerre, tous les peuples barbares accoururent, à sa voix, des côtes de la mer Baltique, des rives du Volga, des bords du Danube et se réunirent au confluent du Rhin et du Nécker. Une troupe de Francs, conduits par le fils aîné de Clodion, leur servit de guides. La Gaule consternée paraissait frappée de stupeur, et se montrait semblable, non à un guerrier qu’on attaque, mais à une victime, que l’on sacrifie à un criminel qui reçoit et va subir son arrêt.

Les historiens du temps ne parlent de cette invasion que comme d’un incendie. Les barbares massacraient indifféremment les enfants, les femmes, les vieillards. Un grand nombre de ailles périrent dans les flammes. Metz tout entière fut détruite. La férocité des Huns n’y laissa subsister qu’une petite chapelle. Les écrivains ecclésiastiques de cette époque, en racontant ces désastres, ne citent que les miracles qui, au défaut de soldats, arrêtèrent quelquefois la marche de ces dévastateurs. Selon leur récit, les prières d’une jeune vierge de Nanterre, sainte Geneviève, sauvèrent Paris, et parvinrent à en éloigner Attila. Le roi des Huns, ayant passé l’Yonne, près d’Auxerre, vint camper sous les murs d’Orléans. Ce fut là, pour la première fois, qu’il trouva des portes fermées et des remparts défendus.

Le roi des Alains avait secrètement promis de lui livrer les Romains et la ville. Ce complot fut découvert et déjoué. Saint Aignan, évêque d’Orléans, ranima le courage de ses concitoyens. La garnison combattit avec opiniâtreté, et donna le temps au brave Aétius de venir à son secours.

Le général romain avait conclu une alliance avec Théodoric, roi des Visigoths ; tous deux marchèrent contre les Huns avec une armée nombreuse que grossissait un grand nombre de guerriers bourguignons, saxons et ripuaires. On y remarquait surtout une foule intrépide de Francs que commandait Mérovée. Informé de leur approche, le roi des Huns leva le siège et se retira, dans le dessein de se rapprocher des divisions qu’il avait laissées derrière lui. Les Romains, les Visigoths et les Francs le poursuivirent sans le laisser respirer. Cette retraite ne fut qu’un combat continuel. Enfin les deux armées, s’étant arrêtées dans les vastes plaines de Châlons, après quelques heures de repos, se livrèrent bataille[1].

Ce jour devait décider des destinées de l’Occident : Attila, dont ce grand péril augmentait la férocité naturelle, parcourt ses nombreuses lignes, composées de barbares de tous les climats. Les rois, les princes, les héros du Nord qui le suivent en foule semblent plutôt ses esclaves que ses compagnons, et, osant à peine lever, les yeux sur lui, ils attendent ses ordres dans un respectueux silence : Vous avez tout à espérer, rien à craindre, leur dit-il ; je vous commande, et Mars vous protège : mes exploits passés vous promettent la victoire ; la lâcheté des Romains est le garant de leur défaite. Qui pourrait nous arrêter ? seraient-ce ces Francs, divisés entre eux, et dont la moitié combat sous nos enseignes? seraient-ce  ces Visigoths, ces Bourguignons, qui, depuis tant d’années, fuient devant nous, et s’arrêtent ici plus par lassitude que par courage. Marchez avec une pleine confiance ; rien n’est au-dessus de vous que le destin, maître de l’univers. Aucun mortel n’échappe à ses décrets ; il tue l’homme faible dans la fuite, dans le repos, dans la paix, et sauve le brave au milieu de tous les périls de la guerre. Je ne vous dis plus que cette seule parole : inspiré par les dieux, je lancerai le premier dard, et je dévouerai les lâches à une mort inévitable.

Jornandès, historien des Goths, prétend que dans l’antiquité on ne vit jamais des passions plus féroces, des combattants plus nombreux, une bataille plus sanglante et plus opiniâtre.

L’espérance de pouvoir, après la victoire, piller et ravager à leur gré, sans obstacles, les plus riches contrées du monde, redoublait le courage et l’ardeur des guerriers d’Attila.

Les troupes d’Aétius, de Théodoric, de Mérovée, combattaient avec la fureur du désespoir ; chacun savait qu’il fallait mourir ou vaincre pour sauver sa liberté, son honneur, sa famille, sa patrie. Si les Huns restaient vainqueurs, l’Europe devenait barbare.

Tant de motifs enflammaient la bravoure, et permettaient peu de penser aux combinaisons de la tactique. Au lieu de manœuvrer, on se précipitait les uns sur les autres, on combattait corps à corps. Cette longue bataille ne fut qu’une affreuse mêlée.

La masse des Huns parvint à enfoncer le centre de leurs ennemis, et le séparer des deux ailes. Après des prodiges de valeur, Théodoric, blessé, tombe et meurt, entouré de ses plus braves guerriers qui voulaient lui faire un rempart de leur corps. On dit que les aruspices, consultés par Attila, lui avaient prédit qu’il serait vaincu, mais que son plus dangereux ennemi périrait. Au moment où les Huns, poussant leurs avantages, faisaient retentir l’air des chants de victoire, Thorismond, prince des Visigoths, descend d’une colline avec un corps de réserve, enfonce à son tour les barbares, ranime ses alliés, et change la face du combat. De toutes parts on se jette sur les Huns, on en fait un affreux carnage. Attila, comme un lion rugissant, fait d’inutiles efforts pour ramener ses soldats à la charge ; pour la première fois la terreur les rend sourds à. ses ordres ; ils prennent la fuite et se sauvent dans leur camp, où ils se retranchent, selon leur coutume, derrière leurs nombreux chariots.

Cent cinquante mille cadavres couvraient le champ de bataille ; des récits, probablement exagérés, doublaient ce nombre. Les Visigoths, vainqueurs, proclamèrent roi, sur ces sanglants trophées, l’intrépide Thorismond. Il conseillait à ses alliés d’assiéger Attila dans son camp, mais l’habile Aétius, qui ne redoutait plus les Huns, et qui croyait nécessaire, pour maintenir les Goths dans son alliance, de ne pas détruire complètement Attila, s’opposa à ce dessein. Il se chargea de défendre la Gaule, et décida Thorismond à partir pour Toulouse, afin de s’assurer un trône que pouvaient lui disputer quelques rivaux.

Après son départ, Aétius et Mérovée, harcelant sans cesse le roi des Huns, que le défaut de vivres et l’affaiblissement de son armée forçaient à la retraite, le battirent encore en plusieurs rencontres, et le poursuivirent jusqu’en Thuringe. Les soldats d’Attila, en traversant le pays des Francs, commirent d’horribles cruautés, massacrèrent les prisonniers, égorgèrent les otages, et firent écarteler deux cents jeunes femmes par des chevaux sauvages. Dans la suite, ces atrocités furent les motifs ou les prétextes de la vengeance que le fils de Clovis, exerça en Thuringe.

Attila, vaincu, loin d’être découragé, espéra qu’il se dédommagerait en Italie des revers qu’il avait éprouvés dans la Gaule. Ayant pressé de nouveau sans succès les deux cours impériales de lui livrer Honoria, il franchit les Alpes, et investit Aquilée[2]. On vit pour la première fois, pendant ce siège, les Huns se servir des machines de guerre et employer les arts de là civilisation pour détruire les peuples civilisés.

Les Romains dégénérés auraient seuls été incapables de résistance ; mais une troupe de Goths qui était à leur solde, et que commandaient les princes Alaric et Antala, releva leur courage.

La résistance fut aussi vive que l’attaque : après trois mois d’efforts inutiles, les Huns demandaient qu’on levât le siège, lorsque Attila, voyant une cigogne qui s’envolait du haut d’une tour de la ville, dit à ses soldats : Ce présage nous annonce un prompt succès ; cet oiseau domestique ne quitterait pas son asile, s’il ne prévoyait pas la destruction du lieu de sa retraite. Ces paroles remplirent d’espérances et d’ardeur les barbares découragés ; ils se précipitèrent sur les murailles d’Aquilée, la prirent d’assaut, la livrèrent au pillage, la rasèrent et la réduisirent en cendres. Après cette victoire, Attila ne rencontra plus, au lieu de Romains armés, que des esclaves tremblants, qui sacrifiaient leur honneur pour sauver leur vie. Padoue, Vicence, Vérone, Bergame, Pavie, Milan même, se soumirent. Dans cette dernière ville, Attila, ayant vu un tableau qui représentait l’empereur sur son trône ; et des princes scythes prosternés devant lui, le fit brûler et le remplaça par un autre tableau où lui-même était peint sur son trône ; recevant les hommages des deux empereurs qui déposaient leurs trésors à ses pieds,

Ces hordes de barbares ne se bornaient pas au pillage ; elles dévastaient les champs, abattaient les arbres, brûlaient les chaumières. Loin de les réprimer, Attila encourageait leurs excès, et disait avec orgueil que l’herbe ne croîtrait jamais où son cheval avait passé. Ce terrible fléau répandait partout la terreur tandis qu’il aurait dû réveiller les courages. Chacun, loin d’oser défendre sa patrie, ne songeait qu’à l’abandonner. Bientôt la Lombardie et la Vénétie furent désertes ; leurs habitants cherchèrent un refuge dans les îles du golfe Adriatique. Un prince des Goths les comparait à des poules d’eau, qui déposent leurs nids au milieu des vagues. Venise dut sa naissance à ces émigrations. L’intérêt commun unit tous les exilés ; la nécessité excita leur industrie et les rendit commerçants. La république qu’ils formèrent était composée de douze îles, gouvernées chacune par un tribun. Cet état naissant se consolida sous la protection des princes des Goths, et parvint depuis à une haute prospérité.

Les Francs et les Visigoths, qui s’étaient alliés avec Aétius, dans le dessein de chasser les Huns de la Gaule refusèrent de se joindre à lui pour défendre contre eux l’Italie. Ce grand général prouva que le succès dépend plus de l’habileté du chef que du nombre des soldats, et qu’il était, suivant les circonstances, aussi prudent qu’intrépide.

A la tête d’un faible corps de troupes d’élite il sut contenir Attila sans se compromettre, le harceler sans cesse, lui couper les vivres, éviter les batailles, et réduire la guerre en affaires de postes. Ce nouveau Fabius profitait de toutes les chances favorables, minait les forces de l’ennemi, ménageait les siennes et gagnait du temps ; ce qui est tout gagner dans les guerres d’invasion.

Tandis que les talents d’un seul homme luttaient ainsi contre la destinée, le lâche Valentinien, cédant à ses terreurs, fuyait de Ravenne, se retirait à Rome et voulait abdiquer un pouvoir dont le péril, à ses yeux, enlevait tous les charmes. Il proposait bassement au sénat et au peuple d’abandonner avec lui l’Italie. Ils ne lui permirent pas de suivre ce pusillanime dessein ; mais, comme on ne pouvait le décider à tenter le sort des armes pour s’affranchir, on lui conseilla d’essayer la voie des négociations.

Les ambassadeurs qu’il chargea de se rendre près d’Attila furent le consulaire Avienus, Trigétius, préfet du prétoire, et le pape Léon, qui dut à sa fermeté, au milieu des malheurs publics, le surnom de Grand.

Ils trouvèrent, par un contraste qui faisait cruellement sentir la différence des temps le féroce Attila, cet impitoyable dévastateur du monde, campé sur l’héritage du favori d’Auguste, de l’immortel Virgile.

Plusieurs motifs disposaient le roi des Huns à la paix. Aétius, par sa temporisation, avait lassé sa patience. Il était fatigué des blessures continuelles que lui faisait cet habile ennemi, aussi prompt dans la retraite que dans l’attaque, qu’il rencontrait partout et ne pouvait arrêter nulle part.

Ses guerriers sauvages, énervés par les débauches, ne résistaient plus à la chaleur du climat. Une fièvre contagieuse se répandait dans son armée. Attila, quoique impie, était superstitieux ; il craignait, d’après les prédictions de ses devins, d’éprouver le sort d’Alaric, et de mourir comme lui s’il entrait dans Rome. Les historiens du temps ajoutent que la gravité, l’éloquence de Léon et la majesté de ses habits pontificaux le frappèrent de respect, enfin que les apôtres Pierre et Paul lui étaient apparus, et l’avaient menacé d’ès vengeances du ciel, s’il persistait à vouloir détruire l’empire romain. Le célèbre Raphaël donna depuis à cette fable, par un tableau, le sceau de l’immortalité. Ce qui est certain, c’est que les ambassadeurs romains furent accueillis favorablement, et, en peu de jours, conclurent la paix.

Attila promit d’évacuer l’Italie, à condition qu’on lui livrerait Honoria avec une riche dot ; il déclara en même temps que, si la princesse n’arrivait pas dans ses états à l’époque convenue, il reviendrait avec une plus nombreuse armée porter le fer et le feu dans l’Italie, et détruire Rome de fond en comble.

Fidèle à sa parole ; il partit promptement et retourna dans son palais rustique, sur les bords du Danube. Quoiqu’il attendît Honoria, insatiable de plaisirs comme de conquêtes, il augmenta le nombre de ses femmes, et contraignit une riche et belle, captive nommée Ildico à l’épouser. Cet hymen, formé par la violence, causa sa perte, et le désespoir d’une femme délivra la terre d’un monstre que n’avaient pu détruire les plus formidables armées. Pour célébrer ses noces, le roi des Huns avait employé une journée et la plus grande partie de la nuit en fêtes et en festins : plongé dans l’ivresse, il se retira enfin avec sa femme que la haine au lieu de l’amour guidait près de lui. Le lendemain matin, ses guerriers, surpris de ne point le voir paraître, pénétrèrent dans sa tente, et le trouvèrent mort et baigné dans son sang. L’es barbares répandirent le bruit qu’il avait péri à la suite d’une violente hémorragie ; mais les Romains attribuèrent sa mort à la vengeance d’Ildico.

Son armée célébra ses funérailles avec la pompe des barbares : on chanta des hymnes pour immortaliser ses exploits ; les regrets donnés à la perte d’un guerrier si vaillant furent suivis de grands festins où le délire de l’ivresse se joignait bizarrement à celui de la douleur. Les escadrons guerriers des Huns firent retentir bruyamment l’air de leurs armes autour du corps de leur héros ; suivant leur coutume, ils se frappaient, déchiraient cruellement leur visage, et mêlaient aux éloges qu’ils lui prodiguaient cette terrible vérité : que l’hommage le plus digne d’un tel chef était non des larmes ordinaires, mais des larmes de sang. On enferma ses restes dans un magnifique cercueil, et pour qu’ils fussent à l’abri de toute insulte, imitant ce qui avait été fait pour Alaric, on immola les ouvriers qui avaient creusé son tombeau.

L’empire d’Attila, presque aussi étendu que celui d’Alexandre, n’eut pas une plus longue durée, et survécut peu à ses funérailles. Les fils qu’il avait eus de tant de femmes différentes se divisèrent ; les chefs des tribus se firent la guerre. Hellac, fils aîné d’Attila, soutenu par un grand parti, fut attaqué par des chefs qui voulaient se rendre indépendants. Il leur livra bataille en Pannonie, et perdit à la fois la couronne et la vie. Ardraric, son vainqueur, après lui avoir tué trente mille hommes, gouverna une partie de ses états. On l’appela roi des Gépides ; il régna dans le palais d’Attila, et sur les contrées qui s’étendaient jusqu’à la mer Noire. Les Ostrogoths formèrent un royaume séparé, depuis Vienne (Autriche) jusqu’à Syrmium. Dinginsich, un autre fils d’Attila, à la tête de quelques tribus, se défendit, en Thrace, quinze ans contre ses rivaux, attaqua l’empire d’orient, et péril, dans un combat. Enfin Sessac, dernier fils d’Attila, se retira en Scythie avec les Huns les plus attachés à la mémoire de son père ; mais ils en furent dans la suite chassés par les Avares et par les peuples de Sibérie, qui dispersèrent les derniers débris de ce fléau du monde.

Lorsque Attila et son empire s’écroulèrent, Placidie n’existait plus. Cette princesse mérita et conserva une juste célébrité. Elle fit tout ce qu’une femme pouvait faire. Son courage personnel n’aurait pu défendre l’empire, sa prudence le sauva, et sacrifiant ses ressentiments et son amour-propre blessé, elle sut, en rendant ; sa confiance au bravé Aétius,’donner à Rome un appui qui retarda sa ruine. Elle se montra aussi juste qu’habile. Tous les princes devraient avoir constamment sous les yeux ces belles paroles que l’on trouve à la tête d’une de ses lois : La majesté souveraine, disait-elle, se fait honneur en reconnaissant qu’elle est soumise aux lois ; la puissance de ces lois est le fondement de la nôtre. Il y a plus de grandeur véritable à leur obéir, qu’à vouloir commander sans elles. Par le présent édit, nous nous félicitons de montrer à nos sujets quelles sont les bornes que nous prétendons mettre à nôtre autorité.

Valentinien avait atteint l’âge de trente-cinq ans lorsqu’il perdit sa mère. Tant qu’Attila lui inspira quelque crainte, il se montra plutôt le disciple d’Aétius que son souverain ; il le combla de faveurs, et lui promit de prendre pour gendre son fils Gaudentius, auquel il destinait Eudoxie sa fille. Mais dès qu’il crut qu’il n’avait plus de dangers à redouter, sa reconnaissance fit place à l’envie, et, ne pouvant supporter la gloire d’un grand homme qui sauvait l’empire, il résolut de s’en défaire.

Aétius, indigné de cette ingratitude, prit les armes contre lui, et l’amena bientôt par la peur à une réconciliation. Trop confiant comme tous les hommes courageux, Aétius crut à la sincérité de ce prince lâche et perfide, et se rendit sans gardes dans le palais, pour presser l’empereur de célébrer, comme il en était convenu, les noces de Gaudentius.

Valentinien, violant tous les droits de la reconnaissance, de l’humanité, de la justice et de l’hospitalité, l’accabla de reproches dès qu’il le vit, tira son épée et l’enfonça dans le sein du guerrier qui avait soutenu sa couronne : jusqu’alors l’empereur n’était que méprisé ; depuis ce moment la haine générale succéda au mépris. Vainement il s’efforça de colorer ce crime et de justifier cet assassinat, en déclarant qu’Aétius prétendait au pouvoir suprême. Un sénateur lui répondit : J’ignore quels peuvent être vos motifs, mais ce qui est certain, c’est que vous avez agi comme un insensé qui se servirait de sa main gauche pour couper sa main droite. On trouvait ce prince si indigne du trône, que, sortant tout à coup de sa longue servitude, le sénat parut vouloir reprendre son ancienne indépendance.

Cependant Valentinien, marchant sur les traces d’Héliogabale et de Caligula, ne faisait consister la jouissance du pouvoir suprême que dans la violation des lois et dans le mépris de tous ses devoirs. Abandonné sans frein aux débauches les plus scandaleuses, il dédaignait sa femme et outrageait la pudeur des dames romaines les plus distinguées. L’épouse du sénateur Pétronius Maximus l’enflamma par sa beauté ; et comme il n’espérait pas la séduire, il résolut d’employer l’artifice et la violence pour satisfaire ses coupables désirs. Ayant invité Pétronius à venir jouer avec lui, il trouva le moyen de lui gagner tout son argent et même son anneau. Dès que cet anneau fut dans ses mains, il chargea un affranchi de le présenter à la femme de Pétronius et de lui dire que son mari voulait qu’elle vînt au palais. Elle y arriva sans défiance, y fut enfermée, et devint la victime du tyran qui ne respectait aucune vertu. Après l’avoir outragée, Valentinien la renvoya audacieusement chez elle ; elle y porta sa honte, sa douleur, et enflamma son époux de la soif d’une juste vengeance.

Parmi les gardes de l’empereur, il en restait plusieurs qui regrettaient Aétius et ne cherchaient que l’occasion de punir son meurtrier : Maximus Pétronius les encouragea par des présents et par des promesses ; ils formèrent une conspiration dont aucun ne trahit le secret, et, un jour, entourant l’empereur, au moment où il assistait dans le Champ-de-Mars aux jeux militaires, ils se jetèrent sur lui et le poignardèrent, ainsi que son vil favori, l’eunuque Héraclius.

La vie honteuse et la mort tragique de ce prince, l’incertitude du sénat, la dépravation du peuple l’audace renaissante des barbares, depuis qu’Aétius n’existait plus, semblaient présager à Rome une destruction prochaine et l’accomplissement de la prédiction faite à Romulus, lorsque douze vautours s’offrirent à ses regards. Les devins déclarèrent alors que Rome serait détruite douze siècles après sa fondation. Les Romains consternés se rappelaient avec terreur cet oracle ; un présage plus sûr de leur ruine était la perte totale de leur courage et de leurs vertus. On les voyait alors tremblant, fuir leur patrie, s’enfermer dans les monastères, ou chercher une honteuse sécurité dans les camps des barbares. La Gaule était ravagée par les Francs, les Goths et les Bourguignons. Les patriciens, dont les provinces n’alimentaient plus les richesses, ne pouvaient plus, comme autrefois, protéger leurs clients, et nourrir la multitude. L’Afrique était perdue sans retour ; les Vandales, enrichis par le pillage de l’Espagne et de la Sicile, fondaient une nouvelle Carthage sur les ruines de l’ancienne, et qui devait bientôt flétrir les lauriers et renverser la patrie des Scipions. Tel était l’état déplorable de l’empire d’Occident lorsque Valentinien mourut.

 

 

 

 


[1] An de Jésus-Christ 451.

[2] An de Jésus-Christ 452.