HISTOIRE DE SICILE

 

CHAPITRE PREMIER

 

 

Écrire l’histoire de la Sicile, ce n’est pas encore quitter la Grèce ; c’est parcourir ses plus brillantes colonies c nous y retrouverons le même ciel les mêmes dieux, des lois pareilles, un égal amour pour la gloire et pour la liberté, des tyrans cruels, des héros magnanimes, un peuple vaillant et mobile, enthousiaste et ingrat.

Les Grecs, sans cesse attaqués par les Macédoniens et par les Romains subirent d’abord le joug des premiers, et succombèrent ensuite totalement sous la puissance des seconds. Nous verrons de même la Sicile, désunie comme la Grèce, divisée en plusieurs républiques et en tyrannies lutter quelque temps contre Carthage et Rome ; et se fondre enfin pour toujours dans ce vaste empire romain ; destiné à conquérir le monde et à devenir à son tour la proie des barbares du nord.

La Sicile s’appelait autrefois Trinacrie, parce qu’elle à la forme d’un triangle. La fable dit qu’elle était habitée primitivement par des Lestrigons et des Cyclopes. Les Troyens, en fuyant leur patrie, y bâtirent les villes d’Érix et d’Égeste. Ses premiers habitants connus furent les Sicaniens, dont on ignore l’origine. Enfin, un peuple venant d’Italie, nommé Sicule, donna à cette île le nom qui lui reste.

Son circuit est de cent quatre-vingt-deux lieues ou quatre mille trois cents stades ; elle est très fertile en blés et en vins ; on croit même que le blé y est venu naturellement et s’est répandu de là dans toute l’Europe ; aussi on consacra cette contrée à Cérès et à sa fille. Les poètes disent que ce fut dans les charmantes prairies d’Enna que Pluton vit Proserpine s’enflamma pour elle et l’enleva. Ces prairies sont tellement parsemées de violettes et d’autres fleurs que les chiens, dans cette terre embaumée, perdent la trace des animaux qu’ils poursuivent : elles sont situées au centre de l’île, non loin de là on trouve une caverne souterraine, par laquelle Pluton retourna, dit-on, aux enfers en enlevant la déesse. On raconte que Minerve, Diane et Proserpine, voulant garder leur virginité, vivaient retirées dans ces prairies, et travaillaient à un voile dé fleurs dont elles firent présent à Jupiter. On prétend qu’en consacrant l’hymen de Pluton, Cérès donna pour dot la Sicile à Proserpine. Cependant la ville d’Hymère fut particulièrement consacrée à Minerve, et Syracuse à Diane. On l’appelait Ortygie, nom qu’on attribuait aussi quelquefois à toute la contrée.

La fable raconte que les nymphes pour lui plaire firent jaillir de la terre la fontaine Aréthuse ; et les poètes disent que ce fut par l’ouverture d’une autre fontaine, appelée Cyanée, que Pluton redescendit aux enfers.

Cérès apprit aux Siciliens l’art de l’agriculture, ils lui durent leurs premières lois. L’historien Philiste, parent du roi Denys, écrit que les Sicaniens venaient d’Espagne ; mais comme dans ces premiers temps la navigation était peu connue, l’opinion de ceux qui font venir d’Italie les premiers habitants de la Sicile paraît la plus probable.

Les Sicaniens habitaient d’abord sur les montagnes, dans de petites bourgades gouvernées par différents princes, ils possédaient toute l’île l’embrasement de l’Etna et ses éruptions les chassèrent vers l’occident. Longtemps après, une colonie italienne, formée, comme nous l’avons déjà dit, des Sicules, vint occuper la partie de l’île abandonnée : les deux peuples se firent de longues guerres, dont les événements ne nous sont pas connus. Les Grecs, profitant de leurs divisions, s’emparèrent des côtes, et y établirent des colonies. Les Chalcidiens bâtirent Léonte et Catane ; les Mégariens Mégare ; les Messéniens Messène ; Archias de Corinthe fonda Syracuse l’an 3295 du monde ; d’autres colonies s’établirent en Calabre, ce qui fit donner à la Sicile, et à la partie de l’Italie qu’elles habitaient, le nom de Grande-Grèce. Les habitants de Mégare fondèrent Hybla les Messéniens. Hymère ; les Syracusains Acre, Casmène, Camarine et Géla ; ceux de Géla Agrigente et Sélinonte.

Cette contrée, riches étendue et fertile, défendue par la mer des attaques du dehors, et propre, par la quantité de ses ports, à devenir maritime et conquérante, aurait pu balancer la puissance des plus grands états de l’Europe, si ses habitants s’étaient réunis sous un seul gouvernement ; mais la Sicile resta toujours divisée en différentes nations, gouvernées tantôt en républiques, tantôt en monarchies, cherchant toutes à s’étendre et se combattant sans cesse. Elles préparèrent ainsi une riche proie à l’ambition de Rome et de Carthage, et la Sicile devint la principale cause de leurs guerres et le théâtre de leurs luttes sanglantes.