Après avoir vaincu Psammenits et soumis toute l’Égypte, poussé par un désir immodéré de conquêtes, aveuglé par l’orgueil qui lui faisait braver toutes les difficultés opposées par la nature et par le climat à ses projets, Cambyse envoya cinquante mille hommes de son armée dans les déserts au-delà des pyramides, dans la seule intention de détruire le temple de Jupiter Ammon. Ce temple était situé dans une de ces petites parties de terre qu’on appelle oasis, qui sont fertiles et cultivées et paraissent comme des espèces d’îles, vertes, fraîches et fleuries, au milieu des mers de sables brûlants et arides de ces contrées désertes. Ces cinquante mille hommes périrent et furent tous engloutis dans le sable soulevé par un tourbillon de vent. Ce désastre horrible n’ouvrit pas les yeux à Cambyse. Il avait envoyé des ambassadeurs au roi d’Éthiopie, qui lui portaient de riches présents et l’invitation de reconnaître l’autorité des rois de Perse. Le fier monarque répondit, en bandant un arc d’une immense grandeur, qu’il se soumettrait lorsqu’il trouverait un Persan assez fort pour tendre cet arc. Irrité de cette réponse, Cambyse entra avec son armée dans les déserts qui séparent l’Égypte de l’Éthiopie. Brûlés par le soleil, accablés par la soif et la faim, les Perses fuirent bientôt obligés de manger leurs chevaux et leurs chameaux, et enfin s’entre-tuèrent eux-mêmes pour se procurer une épouvantable nourriture. Terrassé sans combattre et vaincu par la nature, le roi se vit forcé de revenir en Égypte, ayant perdu plus de trois cent mille hommes dans cette folle entreprise. Arrivé à Saïs, il exerça une inutile et cruelle vengeance sur le cadavre d’Amasis, et dépouilla le tombeau d’Osymandias du cercle d’or qui l’environnait. Lorsqu’il revint à Memphis, il trouva toute la ville en fêtes : on y célébrait celle d’Apis. Cambyse, croyant qu’on insultait par la joie publique à ses revers, fit d’abord périr plusieurs grands personnages et plusieurs prêtres ; mais, ayant enfin appris le véritable sujet de cette fête, il eut la curiosité de voir le dieu Apis et se le fit amener. Lorsque le taureau sacré fut devant lui, il se moqua de la superstition des Égyptiens et perça lui-même avec son glaive la cuisse de cette étrange divinité qui, peu de temps après, mourut de sa blessure. Ce prince aurait dû connaître assez la force de l’attachement de ces peuples à leur religion, pour ne pas s’attirer leur haine implacable en l’outrageant. Leur superstition avait été utile à ses succès ; car, lorsqu’il avait mis le siège devant Péluse, clef de l’Égypte, qui aurait pu l’arrêter longtemps, il fit précéder ses troupes de chats, de chiens, de brebis et d’autres animaux révérés parles habitants de cette ville ; on ne lui opposa dès lors aucune résistance, aimant mieux céder au vainqueur que de combattre des dieux. Cambyse, emportant les dépouilles de l’Égypte, revint dans ses États soulevés par un imposteur qui avait pris le nom de son frère, Smerdis, massacré précédemment par ses ordres. Comme le roi se préparait à le combattre, ayant fait une chute de cheval, il se blessa avec sa propre épée et mourut. Les Égyptiens remarquèrent que le glaive l’avait frappé à la cuisse, dans le même endroit où il avait blessé le dieu Apis, et cet événement fortifia leur superstition. Les Égyptiens opprimés cherchèrent constamment à secouer le joug des Perses. Darius Ier fut obligé de marcher contre eux. Une nouvelle révolte attira en Égypte les armes de Xerxès. Toujours vaincus et jamais subjugués, ils donnèrent la couronne à Inarus, roi de Libye, qui fut secouru par les Athéniens. Ce prince se soutint quelque temps sur le trône. Artaxerxés régnait alors en Perse. Décidé à détrôner Inarus, sans lui laisser le temps de s’affermir, il fit marcher contre lui une armée de trois cent mille hommes, sous le commandement d’Achéménide, son frère. La flotte athénienne battit celle des Perses, et Charitimes, général des Athéniens, s’étant joint à Inarus et aux Égyptiens, ils livrèrent bataille à Achéménide et le défirent si complètement que ce général, et cent mille de ses soldats y perdirent la vie ; le reste se sauva à Memphis. Artaxerxés irrité leva une nouvelle armée ; elle entra, en Égypte, sous les ordres de Mégabyse qui donna une grande bataille et mit en fuite Inarus et les Athéniens. Le malheureux Inarus, poursuivi jusqu’à Byblos, y fut pris. Mégabyse lui avait promis la vie ; mais Artaxerxés, cédant à la passion de sa mère qui voulait venger Achéménide, fit crucifier ce prince infortuné[1]. Ce manque de foi fut dans la suite la cause de tous les malheurs d’Artaxerxés. Cependant Amyrtacus, un des grands qui combattaient sous Inarus, avait échappé à la vengeance des Perses. Il ranima le courage des Égyptiens, et conserva l’indépendance d’une partie de ces contrées. Sept princes y régnèrent après lui, toujours attaqués par les Perses et secourus par les Grecs, qui acquirent alors une grande prépondérance en Égypte, et se firent payer chèrement leur assistance. Artaxerxés Mnémon rassembla de grandes forces pour renverser du trône d’Égypte l’un de ces princes nommé Accoris, qui l’occupait à cette époque. Il négocia en même temps avec les Athéniens et les détermina à ne point donner de secours aux Égyptiens. Pharnabaze fiât chargé de la conduite de cette guerre. Les préparatifs se firent avec tant de lenteur que deux années s’écoulèrent avant qu’on entrât en campagne. Pendant ce temps Accoris mourut. Psammuthis, son successeur, ne régna qu’un an. Néphrérite le remplaça et ne gouverna que quatre mois. Enfin Nectanébus monta sur le trône et régna dix à douze ans[2]. Vingt mille Grecs, sous la conduite d’Iphicrate, et deux cent mille Perses, commandés par Pharnabaze, s’emparèrent d’une forteresse près d’une des embouchures du Nil, dite Mendésienne. Ce fort était probablement aux lieux où l’on voit aujourd’hui Damiette ou Rosette. Iphicrate voulait qu’on marchât sur-le-champ à Memphis. Pharnabaze, jaloux de l’Athénien, temporisa : ce délai donna le temps aux Égyptiens de se reconnaître. Ils rassemblèrent leurs forces et harcelèrent tellement l’armée des Perses, qu’ils l’empêchèrent de s’avancer. L’inondation du Nil survint ; et Pharnabaze se vit forcé de retourner en Phénicie, après avoir perdu une grande partie de son armée. Nectanébus, délivré de ses ennemis, régna paisiblement et transmit le sceptre à Tachos, qui se voyant menacé d’une nouvelle invasion des Perses, leva des troupes et implora le secours des Lacédémoniens. Agésilas, roi de Sparte, âgé de quatre-vingts ans, commanda lui-même les troupes qui vinrent en Égypte. La simplicité de ce grand homme, la petitesse de sa taille, la grossièreté de ses vêtements, le firent mépriser par les Égyptiens. Tachos, lui marqua peu d’égards, ne profita point de ses conseils et ne voulut suivre que les avis de l’Athénien Chabrias, qui était venu le joindre volontairement. Agésilas voulait qu’on se bornât à défendre l’Égypte. Tachos, n’écoutant point la prudence, marcha avec ses troupes en Phénicie ; pendant son absence, les Égyptiens se révoltèrent, et, appuyés par Agésilas, ils placèrent sur le trône un parent du roi, nommé Nectanébus. Tachos, ne pouvant rentrer en Égypte, se retira à la cour d’Artaxerxés, qui lui donna le commandement de ses troupes contre les rebelles. Le nouveau roi Nectanébus fut troublé dans son règne par une autre révolte qu’excitait un prince de la ville de Menès : mais avec le secours d’Agésilas il vainquit son antagoniste et le fit prisonnier[3]. Darius Ochus, monté sur le trône de Perse après Artaxerxés, ne voulut plus confier à des généraux le soin de la guerre d’Égypte, et se mit lui-même à la tête d’une forte armée pour combattre Nectanébus et le chasser du trône. Un corps de troupes grecques servait sous ses ordres. Il marcha d’abord contre Péluse que défendaient cinq mille Spartiates commandés par Clinias. Dès le premier combat, Clinias fut tué et sa troupe taillée en pièces. Nectanébus, craignant que l’ennemi ne profitât de cette victoire et ne marchât droit à Memphis, se retira précipitamment dans cette capitale pour la défendre, abandonnant ainsi la garde de tous les passages qui auraient pu arrêter longtemps le vainqueur. La marche d’Ochus fut rapide ; il exterminait tous ceux qui se défendaient, et promettait la vie et la liberté à tout ce qui se soumettait. Cette politique, répandant à la fois la terreur et l’espoir, fit abandonner toute idée de résistance. Les villes ouvrirent leurs portes ; les troupes se débandèrent ; la défection devint générale, et Nectanébus, désespérant de pouvoir se défendre, se sauva avec ses trésors en Éthiopie, d’où il ne revint jamais. Ce prince fut le dernier roi de la race égyptienne[4] ; et, depuis, ce royaume a toujours été sous la domination étrangère, comme Ezéchiel l’avait prédit. Ochus, devenu maître de l’Égypte, voulut y détruire tout esprit et tout moyen de révolte. Il fit démanteler les places fortes, dispersa et massacra les prêtres, pilla les temples, changea la forme du gouvernement, les lois, et fit enlever les archives, antique dépôt où l’on gardait les registres des princes et les livres sacrés. Il inonda l’Égypte de sang et la réduisit en province. Le peuple égyptien, se moquant de l’embonpoint du roi et de sa paresse, lui avait donné le nom, de l’animal le plus stupide. Outré de cet affront, il dit qu’il prouverait qu’il n’était point un âne, mais un lion, et que ce lion mangerait leur bœuf. Dans sa colère il tira le dieu Apis de son temple, le fit sacrifier à un âne, et le donna à manger aux officiers de sa maison. L’eunuque Bagoas, l’un des grands officiers et des principaux ministres de Darius Ochus, était Égyptien. Il vit avec désespoir les malheurs de son pays, son humiliation et l’outrage fait à son culte. Dès lors il jura de venger sa patrie et sa religion, et, par la suite, satisfit sa passion avec autant de fanatisme que de barbarie. De retour en Perse, Ochus, se livra à la mollesse, abandonnant les rênes du gouvernement à ses ministres et à son favori Bagoas. Cet eunuque perfide l’empoisonna ; et, ne bornant même point là sa vengeance, il fit enterrer un autre mort à la place du roi, prit le corps de ce prince, et, pour venger Apis, le fit hacher par petits morceaux et manger par des chats. Il fit faire ensuite avec ses os des manches de couteau et de glaive, pour rappeler la cruauté de ce monarque. Usant en même temps du pouvoir qui lui avait été confié, il renvoya secrètement en Égypte les idoles des dieux, et tout ce qu’il put retrouver des archives et des ornements des temples. Ce traître immola à sa fureur toute la famille d’Ochus, et périt enfin sous les coups de Darius Codoman, le seul rejeton de la race royale qui fût échappé à son poignard. Darius Codoman, estimé par sa bravoure et par ses vertus, fut le plus malheureux des rois de Perse, puisqu’il vit son trône renversé et sa patrie conquise par Alexandre le Grand. On peut croire que, pendant ces événements, les Égyptiens avaient encore tenté de recouvrer leur liberté ; car l’histoire rapporte qu’Amyntas, déserteur de l’armée d’Alexandre, et qui commandait huit mille Grecs entrés au service de Darius, supposa avoir reçu un ordre du roi de Perse pour gouverner l’Égypte. Dans cette confiance, Péluse lui ouvrit ses portes. Levant ensuite le masque, il déclara ses prétentions à la couronne, et annonça qu’il voulait chasser les étrangers d’Égypte. Les Égyptiens, le regardant comme un libérateur, accoururent en foule près de lui. Il marcha vers Memphis et gagna une grande bataille ; mais, ses troupes s’étant ensuite dispersées pour piller, il fut surpris et tué. Cet échec rendit les Perses encore plus odieux aux Égyptiens qui volèrent au-devant d’Alexandre, lorsqu’il entra en Égypte pour soumettre, cette contrée à son empire. Ce conquérant voulut se rendre au temple de Jupiter Ammon ; il cherchait à fortifier son autorité sur la terre, en lui trouvant une origine dans le ciel. Les prêtres d’Ammon, gagnés par ses largesses, déclarèrent qu’il était fils de ce dieu. Alexandre, plus habile que ses prédécesseurs, rendit aux Égyptiens leurs anciennes lois, leurs anciennes coutumes et la liberté de leur culte. Voulant s’assurer leur soumission par leur amour, il confia l’administration civile du royaume à un Égyptien nommé Dolopas. Mais, en même temps qu’il se conciliait ainsi les cœurs par sa bonté, il donna sagement la conduite des troupes à des officiers macédoniens que commandait Cléomène ; et, pour que ce général ne pût point profiter de son autorité pour se rendre indépendant, il partagea le pays en départements, dans chacun desquels il établit un lieutenant qui ne recevait d’ordres que de lui-même. L’événement justifia sa prévoyance. Cléomène, dès qu’Alexandre fut parti, abusa de son pouvoir, commit des injustices et des exactions, et serait peut-être parvenu à la tyrannie, si les autres lieutenants ne s’étaient opposés à ses desseins. Alexandre bâtit la ville d’Alexandrie sur les bords de Alexandre mourut peu de temps après à Babylone. L’empire immense qu’il avait fondé ne lui survécut pas, et ses compagnons d’armes en partagèrent les débris. Ptolémée, fils de Lagus, eut en partage l’Égypte et toutes les conquêtes des Macédoniens en Afrique. |