HISTOIRE DE L’ÉGYPTE

 

DES ANCIENS PEUPLES

 

 

Les savants ne sont pas d’accord sur l’ancienneté des peuples : les uns pensent que les Chaldéens ont été la première nation civilisée ; beaucoup d’autres attribuent cette antériorité aux Égyptiens ; et, suivant l’opinion de quelques autres, les Indiens et les Chinois la leur disputent avec avantage.

Cette question, qui a occupé tant de grands esprits, nous paraît impossible à résoudre, puisque chacun de ces différents systèmes, ne s’appuie que sur des fables ou sur des faits épars, douteux et contestés ; d’ailleurs nous ne voyons pas bien à quoi pourrait servir la solution de ce grand problème. Ce qui est important pour tous les hommes n’est pas de savoir quel est le premier peuple sorti de l’état sauvage pour vivre sous d’empire des lois ; l’essentiel est de connaître les lois des différentes nations, leurs mœurs, leurs révolutions, l’histoire de leur gouvernement, et de bien étudier, pour notre propre intérêt, les causes de leur grandeur et de leur décadence, et tout ce qui peut avoir quelque influence sur la force, la durée des gouvernements et sur le bonheur des hommes.

Les philosophes se sont efforcés, tout aussi vainement, de faire prévaloir leurs différents systèmes sur l’origine de la civilisation ; d’abord l’état de pure nature nous semble une abstraction chimérique : car dès qu’il y a famille, il y a société et commencement de civilisation ; et cette famille, gouvernée d’abord, si l’on veut, par le pouvoir monarchique du père, a pu l’être républicainement à sa mort, si la nature ou le hasard n’a pas donné à l’aîné des enfants les moyens de succéder à l’autorité paternelle.

La réunion plus ou moins prompte de plusieurs familles pour former un peuple, a dû dépendre de la différence des localités, du climat, et de mille circonstances trop variées pour servir de base à une opinion certaine.

Dans les zones brûlantes ou glacées, la réunion des familles a dû paraître plus difficile et moins nécessaire. L’homme, se nourrissant de la chasse dans les climats froids, vit errant et isolé ; dans les contrées que le soleil féconde presque seul, le travail est peu nécessaire pour satisfaire le besoin de la vie ; mais les hommes y sont indolents et sans industrie. Ainsi tous les peuples dont la civilisation est la plus anciennement connue, habitent les climats tempérés. Au restes partout les peuples chasseurs, et après eux les peuples pasteurs, ont ‘été les plus lents à se civiliser ; et les nations livrées aux travaux de l’agriculture sont celles dont les progrès ont été les plus rapides. L’on en conçoit facilement la raison, puisque l’art de cultiver la terre rend les sciences nécessaires et l’industrie indispensable. Cet art demande des instruments, fait naître les fabriques et les métiers, exige la connaissance du temps, des saisons et du cours des astres ; enfin, l’agriculture multiplie les lumières des hommes, leurs rapports, leurs besoins et leurs jouissances.

Quant à la forme variée des gouvernements que se sont donnés différents peuples, elle a dépendu de la position dans laquelle ils se trouvaient, de la nécessité plus ou moins pressante de se défendre contre l’invasion des tribus nomades ou contre le pillage des chasseurs, et surtout du caractère des hommes que cette nécessité leur aura fait prendre pour chefs. Ainsi l’on pourrait croire qu’une peuplade tranquille, n’ayant à craindre que le choc des intérêts particuliers, a pu longtemps se laisser gouverner pacifiquement par la sagesse des vieillards ; tandis qu’une nation, menacée par ses voisins et forcée d’obéir au plus brave pour se défendre, aura marché plus rapidement à l’état monarchique.

Au surplus, comme les peuples n’ont écrit l’histoire de leur gouvernement que lorsqu’ils ont été fort avancés dans leur civilisation, il est évident que nous ne pouvons savoir rien de positif sur l’origine et les premiers progrès de ce même gouvernement. Tout ce qu’ont recueilli à ce sujet les auteurs les plus savants n’est fondé que sur des traditions incertaines, mêlées de ces fables qui entourent le berceau des peuples, comme elles amusent l’enfance des hommes.

Nous croyons donc devoir nous abstenir de toutes recherches inutiles et de toutes discussions approfondies sur cette matière qui, véritablement, est plus curieuse qu’importante. Ainsi, nous commencerons cette histoire générale par celle des Égyptiens, puisque cette nation, quand même elle ne serait pas la plus ancienne, est celle dont nous pouvons suivre avec moins de doute les traces dans les temps les plus reculés, et qui nous offre encore d’indestructibles et d’admirables monuments pour appuyer ses antiques traditions.

Les livres sacrés, en nous présentant l’histoire du peuple hébreu, nous font bien connaître le suite non interrompue des grands événements du monde depuis la création de la terre jusqu’à la naissance de J.-C. ; mais cette histoire, tracée par une main divine et que la foi respecte, doit être, soigneusement séparée de toutes les histoires profanes. D’ailleurs le peuple hébreu ne fut jusqu’à Jacob qu’une famille ; et, tandis que les autres descendants de Noé se dispersaient sur la terre, la famille d’Abraham vécut dans la simplicité pastorale. Les Hébreux ne devinrent une nation nombreuse que pendant leur captivité en Égypte, monarchie déjà puissante et riche, dont les rois avaient de grands et magnifiques palais, quand Israël était encore sous les tentes ; enfin la civilisation des Israélites naquit à leur sortie d’Égypte au milieu du désert ; elle ne suivit point les progrès plus ou moins lents des législations humaines, et Dieu lui-même dicta le code de Moïse, ce code immortel qui gouverna toujours les Juifs lorsqu’ils formaient une nation et qui les régit encore depuis qu’ils sont dispersés. Ainsi nous croyons qu’on peut, en suivant même les lumières de l’histoire sainte regarder le gouvernement, la civilisation et la législation des Égyptiens comme les monuments historiques les plus anciennement connus.