§ 5. — MANUSCRITS. ÉDITIONS. Les nombreuses persécutions dont le Talmud a été l'objet
en ont rendu assez rares les copies manuscrites, et en France il n'en existe
pas un exemplaire écrit qui soit complet. Mais en Allemagne, ou le goût de ces études a été respecté davantage et où ont eu lieu les dernières persécutions contre cet ouvrage comme on vient de le voir, on trouve quelques rares exemplaires dans les bibliothèques publiques, savoir : 1° Parmi les manuscrits de la bibliothèque royale de
Munich, deux nous intéressent. D'abord le Talmud Babli entier, écrit l'an
du monde 5103 (fin 1342), à Paris, par
R. Salomon ben Simson, à l'usage de Ben-Eliezer ben-Samuel ben-Joseph
ben-Jochanan ben-Mathatia de Paris ; le traité Berakhôth se trouve à
la suite de la section Moëd, et la section Zeraïm est écrite à
la fin du volume. On ne trouve pas en marge les commentaires habituels de
Raschi et des tossaphôth (glossateurs). 2° A la bibliothèque de la ville de Hambourg, il y a divers traités juridiques de la section des dommages (Nezikin), écrits l'an du monde 4944 (1184), n° 160-170 du catalogue Steinschneder (pp. 62-3). 3° A la bibliothèque grand-ducale de Carlsruhe, il y a le traité Sanhédrin incomplet, datant probablement du XIIe siècle ; ce volume avait appartenu primitivement à Reuchlin, qui écrivit sur la première page : Talmud hierosolymitanum in libris Sanhedrin quos Johannes Reuchlin Pforcensis sibi diligenter adquisivit, anno MDXII. II y a là une erreur ; ce traité n'est pas du Talmud de Jérusalem, mais de celui de Babylone. 4° La bibliothèque de l'université de Breslau possède
quelques feuillets fort anciens du traité Zebahim, analogues en
quantité et en provenance à ceux de 5° A Leyde, le manuscrit complet du Talmud de Jérusalem, fonds Scaliger (n° 3), est un de ceux qui ont servi de texte à la première édition[5] ; il subsiste seul et unique en son genre. 6° Le British Museum possède un manuscrit contenant huit traités du Talmud Babli relatifs aux fêtes[6]. Londres, comme Oxford, a dans ces derniers temps acquis des volumes détachés (oriental mss.). 7° La bibliothèque bodléienne, ou celle d'Oxford, est la plus riche de toutes sous ce rapport ; elle offre des traités du Talmud Babli jusque sous quatre formats divers, in-folio, in-4°, in-8° et in-12°, outre le premier volume du Talmud de Jérusalem[7]. 8° Un fragment du Talmud Babli, traité Pesahim, à Cambridge, Bibliothèque de l'Université, a été publié par W. H. Lowe[8], en 1879. 9° Il y a à Rome, selon le catalogue d'Assemani,
cinquante-sept traités du Talmud, répartis entre trente volume[9], dont la plupart
proviennent de la bibliothèque palatine de l'université de Heidelberg,
emportée à Paris, en 1797, lors des conquêtes de 10° Si l'Allemagne et l'Angleterre sont les pays le plus richement dotés sous ce rapport, si Munich possède seul un exemplaire complet du Talmud manuscrit, l'Italie, presque aussi riche en nombre de volumes détachés, a l'avantage d'offrir le plus ancien de tous les manuscrits ; c'est la bibliothèque nationale de Florence qui le possède en trois volumes in-folio[10]. Ils proviennent d'Antonio Magliabecchi, qui fut le fondateur de cette riche et précieuse collection de manuscrits et d'imprimés appelés Magliabechiana. Ces manuscrits se divisent ainsi : le premier volume
contient les traités Berakhôth, Bekhorôth, Temoura, Keritôt,
Tamid, Midôth, Meila, Kinin ; le deuxième
contient Baba-Kama et Baba-Metzia, et le troisième Baba-bathra,
Sanhédrin et Schebouôth. Une épigraphe à la fin du premier
volume porte ces mots : Écrit le vendredi 22 Eloul,
an 936 (ce qui correspond à septembre
1176 de J.-C) ; et quoique les deux autres volumes ne soient pas
datés, on reconnaît à l'identité des caractères que leur écriture est de la même
main et de la même époque que celle du premier. La
dite suscription, nous écrit M. Lasinio, est
certainement de la même main que celle qui a écrit tous les trois volumes.
Comme je n'ai pas voulu me fier seulement à moi-même sur une chose aussi
importante et aussi essentielle, j'ai interrogé les employés de la bibliothèque,
qui sont très expérimentés en fait de manuscrits, et dont l'un connaît suffisamment
l'hébreu pour juger de l'identité des caractères, et tous, à l'unanimité, ont
confirmé mon opinion. L'encre, la main, tout est sans doute du même temps et
de la m§me personne que le reste. En conséquence, le premier volume a été
écrit l'année 4936 de la création (malheureusement le copiste n'a signé ni son nom, ni le nom de la
ville où il a écrit) ; et notre manuscrit est
le plus ancien du Talmud que l'on connaisse, du moins jusqu'à présent.
Il y a aussi des morceaux du texte de 11° La bibliothèque de Turin contient les cinq principaux traités de la seconde section du Talmud Babli. 12° Celle de Parme, qui provient du bibliographe G. B. de Rossi, possède, outre un exemplaire de la Mischna[11] et l'Abrégé d'Alfasi, un manuscrit du traite Schabbath, date de l'an 1400. 13° En Orient, le Hakham de la communauté juive-espagnole à Jérusalem possède en manuscrit, dit Lebrecht, les traités du Talmud de Jérusalem pour toute la première section, ou Zeraïm[12]. 14° Il y a encore en Prusse un certain nombre de manuscrits modernes, les uns de 1709, au séminaire Israélite de Münster ; mais ils n'ont qu'un intérêt second aire, puisque ce sont des copies d'exemplaires imprimés. Enfin, depuis 1489, on a imprime successivement des volumes détachés[13], et la première édition du Talmud complet Babli a paru à Venise, en 1520 ; elle est devenue fort rare et ne se trouve plus que dans de grandes bibliothèques, par exemple à Paris[14]. Elle a suffi pour rendre ce livre impérissable et a servi à en reconstituer des éditions innombrables dans tous les formats ; elles sont plus ou moins complètes, selon que la censure ecclésiastique pouvait ou savait en faire retrancher les passages compromettants pour l'Église[15]. Dans l'édition complète de Bâle, 1578-81, la troisième en
date, et qui, presque toujours depuis, est restée l'édition classique, une étonnante
créature, le censeur, fit pour la première fois son apparition. Dans son désir
de protéger la foi contre tout danger — car on supposait que le Talmud cachait
de violentes invectives contre le christianisme sous les expressions et les
phrases les plus innocentes en apparence —, ce fonctionnaire fit des choses étonnantes.
Quand, par exemple, il rencontrait dans le livre quelque vieux Romain jurant
par le Capitole, ou par le Jupiter de Rome, aussitôt il lui venait des soupçons.
Assurément, ce Romain devait être un Chrétien, le Capitole était le Vatican
et Jupiter le pape. Et sur l'heure il effaçait le mot Rome, qu'il remplaçait
par un autre nom de lieu qui lui venait en tête. Une de ses contrées
favorisées parait avoir été |
[1]
Lebrecht, qui n'a pas examiné les manuscrits de visu, supposait qu'il en existe
plusieurs à Paris : il a été induit en erreur par l'ancien catalogue de cette
bibliothèque, qui est incorrect. Voir ses Wissenschaftliche Blätter dans
[2] Fonds de l'Oratoire, n° 56, nouveau catalogue général des manuscrits hébreux, n° 671, 3°. Cf. Archives israélites, 1868, p. 715.
[3]
N° 1337. Ce ne sont pas seulement des livres de
[4] Supplément 183, ou n° 1313 du nouveau catalogue.
[5] Steinschneider, Catalogue des manuscrits hébreux de la bibliothèque de Leyde, p. 341 ; Schiller Szinessy, occasional Notices of hebrew mss., n° 1.
[6] Fonds Harlington, n° 5508.
[7] Ce dernier ms., du XIVe s., pourvu d'un commentaire, fait partie du fond Michel. V. Neubauer, catalogue, n° 365 à 375.
[8]
Il l'attribue au IXe ou Xe siècle, d'après le fac-simile joint à cette édition.
— La même bibliothèque possède un ms. de
[9] L'auteur des Diqdouqé Sofrim y a puisé à pleines mains.
[10] Fonds Pluteum, cod. 7 à 9, ou classe III, n° XXXVIII α β γ de l'ancien catalogue latin, comme nous l'apprend une lettre particulière de M. F. Lasinio, professeur à l'université de Florence.
[11] Mss. Codices hebraici biblioth. J. B. de Rossi, t. I (Parma, 1803), n° 138, du XIIIe siècle.
[12] Le rabbin Dr Lehmann l'a publié avec le commentaire de R. Salomon Joseph Syrileio (ou plutot Serillo), à Francfort s. Mein, en 1875.
[13] V. ma Notice Les incunables hébreux, n° 48 à 51, 85, 122, 133-6, 238.
[14]
Bibliothèque nationale, Catalogue des livres de
[15] V. Raph. N. Rabbinowicz, MAAMAR etc., ma Notice Les Incunables hébreux, pp. 5 et 6, et le n° 26 ; Revue des études juives, V, p. 227, n. 1.