De toutes les contrées de la Grèce, l’Attique est la seule dont les différentes parties, villes et bourgades grandes ou petites, aient offert le spectacle de l’unité, où la population tout entière ait marché de front et exercé des droits identiques[1]. Dans toutes les autres régions, nous trouvons l’opposition d’une el asse dominante et d’une classe subordonnée, quelquefois même esclave, comme en Laconie, ou une fédération plus ou moins étroite de petits états qui, alors même qu’ils se composaient d’une ville unique et du territoire environnant, avaient à cœur de conserver autant que possible leur indépendance et se soumettaient à l’autorité dont ils relevaient, faute de forces suffisantes pour la combattre ouvertement. La plupart de ces fédérations ont joué dans l’histoire des rôles très insignifiants ; aussi les sources ne nous fournissent-elles que des renseignements isolés et accidentels. Même sur les plus importantes d’entre elles nous en savons trop peu pour pouvoir nous représenter les relations qu’elles ont entretenues et les vicissitudes qu’elles ont traversées. Parmi les fédérations secondaires, on rencontre d’abord les Acarnaniens. On sait qu’ils avaient à Olpæ, point fortifié de l’Argos amphilochienne, un tribunal commun à toute la population[2], qui cessa d’exister durant la guerre du Péloponnèse ou fut transporté ailleurs, Olpæ se trouvant alors au pouvoir des Amphilochiens. L’histoire a conservé aussi le souvenir d’assemblées générales tenues parles Acarnaniens à Stratos[3]. Une inscription relativement récente mentionne en particulier une réunion de ce genre (τό κοίνον τών Άκαρνάνων), qui eut lieu sous la direction d’un sénat fédéral (βουλή) au temps de la domination romaine, mais antérieurement au règne d’Auguste[4]. On y voit signalés un Hiérapolos attaché à l’Apollon d’Actium, un Promnamon et deux Sympromnamons, dont les noms servent à fixer la date du monument. Le Hiérapolos est évidemment le prêtre du dieu que les Acarnaniens eurent de tout temps eu vénération singulière ; nous ne savons au juste si les autres fonctions étaient sacerdotales ou civiles. On peut conclure par analogie que dans la fédération des Acarnaniens, comme dans d’autres, le principal magistrat était le stratège, qualifié par Tite-Live de prætor[5]. Nous aurons à parler dans un des chapitres suivants de la ligue étolienne, qui acquit plus tard une importance considérable. En ce qui concerne les Locriens Ozoles, nous manquons absolument de renseignements sur leur organisation. Nous savons seulement par Strabon qu’ils avaient un sceau commun représentant l’étoile du soir (έσπερος), signe d’alliance probablement[6]. Les Locriens Opontiens et Epicnémidiens formaient sans doute aussi une association durant la guerre du Péloponnèse, mais plus tard on les retrouve divisés[7]. La Phocide qui s’étendait entre ces populations et les Locriens d’Ozoles comprenait vingt-deux villes réunies en fédération (κοινόν σύστημα)[8]. Les députés de ces villes formaient un sénat qui, au temps de Pausanias, tenait ses séances dans un bâtiment isolé entre Daulis et Delphes[9]. A l’exception des Delphiens qui rompirent le lien fédéral, les autres paraissent avoir observé constamment l’alliance. Il en fut de même des petites cités doriennes situées au nord du Parnasse, sur lesquelles d’ailleurs nous n’avons pas de renseignements précis. Nous ne sommes pas plus avancés pour les nations éparses dans la Thessalie : les Magnètes, les Maliens, les Achéens de la Phthiotide, les Dolopes, les Perrhèbes, les Oétéens et les Ænianes, tous placés vis-à-vis des Thessaliens dans une dépendance plus ou moins étroite, suivant les circonstances, depuis le temps où, .à la suite de la guerre de Troie, le peuple parti de la Thesprotide devint maître du pays auquel il donna son nom. Les Thessaliens eux-mêmes fondèrent dans la contrée dont ils s’étaient emparés un certain nombre d’états régis par des constitutions analogues et liés entre eus par des intérêts communs[10]. Partout ils formaient une caste à part, vis-à-vis des anciens habitants réduits à l’état des hilotes lacédémoniens, dont les uns, les Pénestes, cultivaient les champs et partageaient les fruits avec les propriétaires[11], tandis que les autres exerçaient dans les villes des industries de première nécessité. Les forces militaires consistaient surtout en cavalerie. De toutes les contrées de la Grèce, la Thessalie était la plus propre à l’élevage des chevaux, et la jeune noblesse ne servait guère qu’à cheval. L’infanterie était reléguée au second rang. Pour prévenir les révoltes des esclaves et tenir dans la dépendance les populations soumises, les Thessaliens avaient formé entre eut un pacte en vertu duquel ils devaient se secourir mutuellement toutes les fois qu’ils seraient menacés. Ils convoquaient aussi des réunions pour prendre des mesures d’intérêt général, et dans les cas urgents, lorsqu’ils sentaient le besoin d’une direction unique, ils désignaient un chef suprême désigné sous le nom de ταγός[12], qui avait pour charge de lever les contingents conformément aux listes matricules, et de faire rentrer les tributs. Il parait que, quand il n’y avait pas de ταγός, les tributs n’étaient pas régulièrement exigés[13], les impôts prélevés sur les marchés et sur les ports suffisant dans les circonstances ordinaires aux besoins de l’administration[14]. L’ensemble des forces militaires qui devaient répondre à l’appel du comprenait, au temps de Xénophon, six mille cavaliers et plus de dix mille hoplites. Ce chef était naturellement choisi dans les familles les plus considérables de la noblesse thessalienne, parmi lesquelles le premier rang appartenait aux Aleuades et aux Scopades, deux branches de la race des Héraclides. C’est un Monade désigné par le surnom de Pyrrhos, aux cheveux roux, qui, là une époque qu’on ne saurait déterminer, organisa la ligue, et pour faciliter la répartition des charges, divisa la contrée en quatre cercles : Thessalitis, Hestiæotis, Pélasgiotis[15], Phthiolis. Tous les Tagoi de Messénie, mentionnés jusque vers le IVe siècle av. J.-C. appartiennent à la famille des Aleuades qui, dans la région où étaient situés ses biens, paraît avoir exerce une autorité presque souveraine (δυναστεία) et avoir accaparé les premières magistratures. A la fin du Ve siècle, Lycophron de Phères[16], s’efforça d’imposer ses lois à toute la Thessalie, ce à quoi il ne put réussir, bien qu’il eût défait tous ses adversaires sur les champs de bataille. Après lui, un autre habitant de Phères, Jason, qui paraît avoir été son fils, parvint à se faire nommer Tagos[17], et se crut assez affermi dans ce poste pour rêver l’asservissement de la Grèce et préparer une expédition contre les Perses. Il fut assassiné avant d’avoir nus son projet à exécution[18]. Ses successeurs à Phèresne purent maintenir leur domination sur le reste de la Thessalie, et les luttes des partis fournirent à Philippe de Macédoine l’occasion de s’emparer de quelques villes et de faire accepter sa prépondérance par les autres[19]. Tout le pays resta dans cet état de dépendance vis-à-vis de la Macédoine jusqu’aux victoires des Romains qui, tout en rendant à la Thessalie une liberté nominale, affranchirent les populations assujetties aux Thessaliens[20]. Les Béotiens chassés par les Thessaliens de la région qu’ils occupaient aux environs d’Arné, et qui devint plus tard la Thessatiodide[21], avaient trouvé un asile dans la contrée appelée alors Aonie, à laquelle ils donnèrent leur nom. Ils s’emparèrent tout d’abord de Corouée et du territoire environnant[22], puis à l’aide de conquêtes successives, finirent par soumettre tout le pays. Leur ville la plus considérable était Thèbes, dont les dépendances comprenaient environ le tiers de la Béotie ; venaient ensuite Orchomène, Haliarte, Copée, Thespies, Tanagra, Platée et quelques autres, toutes entourées de possessions plus ou moins étendues, au milieu desquelles on rencontrait des villes secondaires, telles que Leuctres et Ascra dans la circonscription de Thespies, Onchestos, Okalée et Médéon dans celle d’Haliarte, Chéronée dans celle d’Orchomène, Potniæ, Thérapné, Pétéon et d’autres dans celle de Thèbes[23]. Les grandes cités formèrent une fédération ; on ne peut dire au juste quel était leur nombre, mais on suppose qu’il était originairement de quatorze, et qu’aux villes citées plus haut, sur lesquelles existent des témoignages certains, il faut joindre Lébadée, Corouée, Anthédon, Oropos, Eleutheræ, Acræphiæ[24]. Il y eut en tout cas des variations : quelques villes se détachèrent de la ligue, comme Eleutheræ qui de bonne heure se réunit à l’Attique, et Platée qui, peu avant la première guerre médique, vers l’an 519, contracta également alliance avec Athènes. Quelques-unes de ces cités perdirent aussi leur place comme membres immédiats de la confédération et tombèrent dans la dépendance d’états plus considérables. Oropos, dont on ne peut dire s’il faisait partie de la ligue à titre médiat ou immédiat, passa alternativement, à partir des Pisistratides, du parti des Athéniens dans celui des Béotiens, et finalement suivit la fortune d’Athènes[25]. Pendant la guerre de Péloponnèse, il ne devait plus y avoir que dix villes confédérées, à en juger par les onze Béotarques ou grands dignitaires de la ligue alors en fonction, dont deux représentaient la ville de Thèbes comme capitale, elles neuf autres les neuf villes alliées[26]. Parmi les Béotarques, les uns avaient la haute main sur les affaires civiles ; les autres commandaient les troupes[27]. Leurs fonctions étaient annuelles, mais ils pouvaient être réélus plusieurs années de suite. Le conseil fédéral qui avait à se prononcer sur les intérêts généraux était formé naturellement des députés des villes alliées, et se décomposa, au moins pendant la guerre du Péloponnèse, en quatre sénats[28]. Sur quoi reposait cette division, comment s’opéra-t-elle ? A ces questions nous ne sommes à même de répondre qu’en ce qui concerne le nombre des députés, la façon dont ils étaient élus et la durée de leurs fonctions. Ils se rassemblaient vraisemblablement auprès du temple d’Athéna Itonia, placé sur le territoire de Coronée, entre cette ville et Alalcomenæ[29]. Ce temple était du moins le sanctuaire de la ligue ; c’est là que l’on célébrait les grandes fêtes (παμβοιώτια). Platée avait aussi ses solennités (δαίδαλα), sur lesquelles nous aurons à revenir plus tard ; mais il est difficile de croire que les autres villes aient continué à y prendre part, après que Platée eut rompu ses liens avec la confédération. Pour leurs affaires intérieures, les villes fédérales étaient indépendantes, et leurs constitutions n’étaient nullement identiques ; toutefois nous avons peu de renseignements sur chacune d’elles. Comme dans toutes les autres contrées de la Grèce, le principe démocratique eut à lutter en Béotie contre l’oligarchie représentée par l’aristocratie traditionnelle, et les diverses factions eurent successivement le dessus. Thèbes, comme l’état le plus puissant, affecta constamment la direction suprême de la ligue, bien qu’elle ne fût pas toujours en mesure de soutenir ses prétentions et fût forcée de compter avec ses rivales. Ce frit durant la guerre du Péloponnèse que la prépondérance de Thèbes devint le plus incontestable ; elle affecta même quelques années après, durant les négociations qui précédèrent la paix d’Antalcidas, de représenter à elle seule toute la Béotie, et de réduire les autres villes au rôle d’instruments, pour tout ce qui concernait les relations extérieures[30]. Ce projet échoua devant la résistance des Spartiates et de quelques autres populations, et l’indépendance de toutes les villes de la Béotie fut, au contraire, expressément stipulée[31]. Lorsque, peu de temps après, les Spartiates se furent emparés par surprise de la Cadmée, et que le parti qui s’appuyait uniquement sur eux devint le maître dans Thèbes, il pouvait encore y avoir une telle chose que la fédération béotienne ; il ne pouvait plus être question de l’hégémonie des Thébains. Thèbes se releva toutefois de cet abaissement, en secouant la domination de Sparte, et surtout en brisant sa puissance par la victoire de Leuctres[32]. Plus tard, elle subit, comme le reste de la Grèce, la domination macédonienne. Après la bataille de Chéronée, Philippe y établit une garnison[33], et Alexandre la rasa, pour la punir d’avoir tenté de recouvrer sa liberté, à la mort de son père[34]. Quelques années plus tard, Cassandre releva ses murs ; mais jamais elle ne redevint une cité considérable[35]. Cependant une fédération des villes de la Béotie subsistait encore sous la domination romaine ; il en est fait mention dans les guerres contre Philippe et contre Persée[36]. Abolie parles Romains victorieux, elle paraît avoir été reconstituée jusqu’au moment où, à la suite de la destruction de Corinthe, toutes les ligues de ce genre furent interdites aux Grecs[37] ; mais bientôt Rome reconnut à quel point elles étaient inoffensives et se prêta à leur rétablissement. Les inscriptions nous ont conservé des traces de la ligue béotienne jusque sous la domination impériale[38]. On y voit des offices désignés par des dénominations dont il n’y avait pas encore d’exemples : à coté de βοιωτάρχαι, on trouve un άρχων έν κοινώ Βοιωτών et plusieurs à άφεδριατεύοντες, dont il ne vaut pas la peine de chercher à démêler les fonctions mal définies. Les succès de Thèbes et de ses confédérés, en faisant déchoir les Spartiates de leur ancienne prépondérance dans le Péloponnèse, donnèrent aux Arcadiens la pensée de former sur le même plan une ligue qui leur assurât une situation indépendante et respectée. Jusque-là l’Arcadie avait été composée de populations sans lien entre elles. Plusieurs états consistaient en villages jouissant des mêmes droits, qui n’étaient guère rapprochés que par des relations de voisinage et par un culte commun ; dans d’autres, les diverses localités se rattachaient à un comité directeur, chargé de veiller aux intérêts généraux et aux relations étrangères ; ailleurs enfin, des villes, dont les plus célèbres sont Tégée, Mantinée et Orchomène, s’étaient érigées en siège du gouvernement et dans un cercle restreint, faisaient sentir leur autorité à la contrée environnante. Tégée s’était longtemps défendue avec succès contre les envahissements des Spartiates, et lorsqu’elle accéda, vers l’an 560, à leur ligue, elle conserva encore vis-à-vis d’eux une situation indépendante. Régulièrement, Mantinée et Orchomène appartenaient aussi à la symmachie de Sparte, mais elles ne se faisaient pas faute, à l’occasion, de se joindre au parti contraire. Les autres villes de l’Arcadie ne font pas une grande figure dans L’histoire. Les cantons ruraux du sud et de l’ouest fournissaient volontairement l’arrière-ban de l’armée spartiate. Une partie de ces populations, comme les Suisses de nos jours, allaient même, tentés par l’appât de la solde, servir des états étrangers à la Grèce. Ce fut à Tégée et à Mantinée que naquit l’idée d’établir une ligue arcadienne sur des bases plus solides[39]. A Tégée, les avis étaient partagés, et le dissentiment aboutit à une lutte sanglante ; les partisans de la ligue finirent pourtant par triompher. Orchomène résista par jalousie contre Mantinée, et il en fut de même des villes situées dans la partie septentrionale de la contrée : Phénée, Stymphale, Psophis, Héræa, d’autres encore. Le seul résultat auquel on parvint fut que les cantons du sud-ouest quine comprenaient que des bourgades peu importantes et ouvertes à tout venant formèrent entre elles une alliance plus étroite, et unirent leurs efforts pour bâtir une ville qui devint leur capitale Cette nouvelle ville qui, sous le nom de Mégalopolis, s’éleva dans le pays des Mænaliens reçut la population de sept districts et environ de quarante bourgades[40]. Les villes qui avaient adhéré à la ligue, Mantinée, Tégée, Clitor, envoyèrent de leur côté un certain nombre de colons dans la nouvelle cité, dont le territoire, plus considérable que celui d’aucune autre ville arcadienne, s’étendait depuis les limites de la Laconie et de la Messénie jusque dans la partie sud-ouest et dans le centre de l’Arcadie. L’enceinte de la ville proprement dite n’avait pas moins de 50 stades ; mais le nombre des habitants n’était pas en proportion[41]. Mégalopolis était le siège du Conseil fédéral qui s’appelait les dix-mille (οί μύριοι) et des grands fonctionnaires, parmi lesquels, outré les magistrats désignés sous le nom général d’άρχοντες, nous trouvons seulement un stratège[42]. Une garnison sédentaire de 5.000 hommes était entretenue aux frais de l’État[43] Ainsi on n’avait pas réussi à organiser une fédération générale de l’Arcadie. Les villes mêmes qui avaient adhéré à celle dont Mégalopolis était le centre ne restèrent pas longtemps fidèles. Lorsque la ligue achéenne, dont nous aurons à nous occuper plus loin, prit de l’extension, Mégalopolis fit alliance avec elle, tandis que Tégée et Mantinée allaient grossir au contraire le parti opposé, en faisant cause commune avec les Spartiates ou les Étoliens. Il n’existait pas en Grèce d’autres fédérations d’États, au moins durant la période historique. Peu de temps après la migration dorienne, les villes argiennes tombées au pouvoir des Doriens, Argos, Trézène, Epidaure, et de plus Phlionte, Sicyone et Corinthe avaient formé, il est vrai, une association, à la tête de laquelle était Argos, et dont les membres étaient en outre unis religieusement par le culte commun d’Apollon Pythæcis[44]. L’existence de cette ligue est constatée encore au VIe siècle av. J.-C.[45] ; mais nous ne pouvons la suivre au delà. Dans les temps mieux connus, ces états ne nous apparaissent qu’isolés, ou cherchant un appui, suivant les circonstances, tantôt d’un côté tantôt de l’autre. L’Élide formait avec la Pisatide et la Triphylie moins une fédération d’états qu’un état fédéral dont elle était la tête, tandis que les deux autres parties n’en étaient que les membres[46]. Dans les contrées d’outre-mer, peuplées en tout ou en partie par les Grecs, nous trouvons aussi entre les diverses cités des alliances passagères, non une fédération durable. Les villes de la Crète s’associaient, en cas de besoin, pour repousser les invasions des ennemis ; ces associations de circonstance étaient appelées συγκρητισμός[47] ; mais nulle part il n’y a trace d’une ligue générale. Tout se bornait à des traités par lesquels certaines cités moins puissantes se rattachaient de gré ou de force aux états plus considérables[48]. Le syncrétisme avait cependant établi une sorte de lien ; à quel moment l’usage en fut-il introduit ? on ne saurait le dire. Nous trouvons aussi trace dans le IIIe ou le IIe siècle av. J.-C. d’un κοινοδίκιον, c’est-à-dire d’une cour de justice, appelée à juger les différends entre les états[49], sans qu’il soit possible de fixer les conditions dans lesquelles elle fonctionnait. — En ce qui concerne les colonies de l’Asie-Mineure, nous pouvons affirmer tout d’abord qu’il n’a jamais existé de fédération entre les colonies éoliennes. Les six villes doriennes honoraient en commun Apollon, sur le promontoire Triopique, et ces solennités pouvaient donner occasion à des délibérations touchant les affaires politiques ; mais il n’y avait pas encore là de fédération proprement dite, non plus qu’entre les populations ioniennes qui célébraient ensemble les Panionies en l’honneur de Poséidon Héliconien. Bien que des députés (πρόβουλοι) aient été chargés en plusieurs occasions de débattre les intérêts généraux dans le sanctuaire du Dieu[50], le lien qu’avaient établi ces fêtes était fort peu étroit, et les villes ioniennes ne se firent pas faute d’entrer en hostilité les unes contre les autres. Le conseil donné par Thalès d’établir à Téos un gouvernement central, chargé de veiller aux affaires communes, vis-à-vis duquel les différentes cités se comporteraient comme les dêmes envers leur capitale, de manière à former un état fédéral, non pas seulement une fédération d’états, ce conseil, dis-je, ne trouva pas d’écho[51]. La dépendance où, depuis Crésus, les Ioniens étaient placés à l’égard de la Lydie n’était pas gênante. Réduits à leurs propres forces, ils ne purent opposer à la domination des Perses qu’une résistance isolée, par suite impuissante. Cette domination d’ailleurs ne s’exerça pas non plus d’une façon oppressive. Les Ioniens devaient acquitter des tributs annuels, fournir des navires et des soldats, moyennant quoi ils restaient maîtres de leurs affaires intérieures. Les Perses se bornaient à exiger que le pouvoir fût entre les mains d’hommes dévoués à leurs intérêts, qui pour cette raison ont été dépeints par les historiens comme des tyrans. Toutes les querelles devaient être terminées pacifiquement, en vertu de sentences juridiques[52]. La tentative faite par les Ioniens, pour se soustraire à cette dépendance avec le concours d’Athènes, amena les guerres médiques, d’où provinrent des changements essentiels, non seulement dans les conditions des colonies, mais dans les relations des différents états de la Grèce. Avant d’aborder ce sujet, il est bon de jeter un coup d’œil sur les rapports généraux que les colonies entretenaient avec la métropole. |
[1] Il est évident que ce qui est dit ici de l’Attique ne s’applique pas au petit territoire de la Mégaride, qui en faisait autrefois partie.
[2] κοικόν δικαστήριον. Voy. Thucydide, III, c. 105.
[3] Xénophon, Hellen., IV, c. 6, § 3. Il y eut aussi plus tard des assemblées fédérales à Leucade ; voy. Tite-Live, XXXIII, c. 17.
[4] Corpus Inscript. Græc., n° 1793.
[5] Tite-Live, XXXIII, c. 16, et XXXVI, c. 11.
[6] Strabon, IX, p. 416.
[7] Voy. Rathgeber, dans l’Encyclopédie d’Ersch et Gruber, t. III, c. IV, p. 285.
[8] Strabon, IX, p. 423 ; voy. aussi W. Vischer, Ueb. d. Bild v. Staaten u. Bünden in Griechenl., Basel, 1849, p. 16.
[9] Pausanias, X, c. 4, § 1, et 5, § 1.
[10] Voy. Vischer, ibid., p. 19 et suiv.
[11] Voy. Schœmann, Antiq. grecques, t. I, p. 160.
[12] La mention faite par les historiens des rois de Thessalie ne prouve pas que ce titre fût usité chez les Thessaliens mêmes.
[13] Xénophon, Hellen., VI, c. 1, § 7.
[14] Démosthène (Olynth., I, c. 22, p. 15) ne parle que de ces retenus, dans un moment où il n’y avait évidemment pas de Tagos.
[15] Vov. Bultmann, Mythol., t. II, p. 273 et suiv. , Schœmann, Antiq. Jur. publ. Græc., p. 401, et Bursian, dans le Jahrb, f. Philol., 1859, p. 237.
[16] Xénophon, Hellen., II, c. 3, § 4.
[17] Xénophon, VI, c. 1, § 4 et 33-37.
[18] Diodore, XV, c. 60.
[19] Diodore, XVI, c. 40.
[20] Polybe, XVIII, c. 29 et suiv. ; Tite-Live, XXXIII, c. 32 et 34.
[21] Une autre Arné était située dans la Phthiotide, sur le golfe Pagasétique ; celle de la Thessaliotide s’appelait aussi Ciérion ; voy. O. Müller, dans les Gœtting. Anzeig., 1829.
[22] Strabon, IX, p. 411.
[23] Voy. Clinton, Fasti Hellen., t. II, p. 407, éd. Krüger.
[24] Voy. Schœmann, Antiquit. Jur. publ. Græc., p. 401, et Vischer, ueb. d. Bild. v. Staat. u. Bünden, p. 22. Ross, dans son recueil des anciennes Inscriptions locriennes (Leipzig, 1854), a proposé des objections très fondées contre l’adjonction de la ville de Chalia à cette liste.
[25] Voy. pour plus de détails le Mémoire de Preller, Oropus u. das Amphiaraion, dans les Berichte d. Sächs. Gesellsch, der Wissensch., 1852, p. 175 et suiv.
[26] Thucydide, IV, c. 91.
[27] Il est possible que les contingents particuliers fussent commandés par les Polémarques qui sont signalés dans plusieurs pays. Voy. Corpus Inscript. Græc., t. I, p. 710, et O. Müller, Orchomenos, p. 399.
[28] Thucydide, V, c. 38.
[29] Pausanias, IX, c. 34, § 1.
[30] Xénophon, Hellen., V, c. 1, § 32 ; Pausanias, IX, c. 13, § 1.
[31] Sur le peu de respect que Thèbes témoigna pour ces conventions, vov. Schœmann, Antiq. Jur. publ. Græc., p. 406 et suiv.
[32] Xénophon, Hellen., V, c. 4, § 63, et VI, c. 4 ; Diodore, XV, c. 37, 38, 46, 50 et 57.
[33] Diodore, XVI, c. 87.
[34] Plutarque, Alexandre, c. 11 ; Arrien, Exped. Alex., I, c. 7. § 8.
[35] Diodore, XIX, c. 54.
[36] Voy. Tite-Live, XXXIII, c. 2, avec les remarques de Weissenborn, et XLII, c. 44 et 45.
[37] Pausanias, VII, c. 16, § 9.
[38] Corpus Inscript. Græc., n° 1573 et suiv.
[39] Xénophon, Hellen., VI, c. 5, § 2 et suiv. ; VII, 1, § 23 ; Diodore, XV, c. 59, 62 ; Pausanias, VIII, c. 27, § 2. Dans ce dernier passage nous trouvons cités parmi les fondateurs de Mégalopolis un Lycomède de Tégée et un autre Lycomède de Mantinée, qui étaient aussi connus de Diodore. Voy. encore Vischer, ueb. d. Bildung. der. Staaten, etc., p. 28 et suiv.
[40] Pausanias, VIII, c. 27, § 2 et suiv. Voy. aussi Clinton, Fasti Hellen., t. II, p. 425, éd. Krüger. Sur la tradition d’après laquelle Platon aurait reçu mission de donner des lois à Mégalopolis, voy. Schœmann, Antiq. grecques, p. 201.
[41] Polybe, IX, c. 21, § 2 ; voy. aussi les remarques de Schœmann dans son édition de la Vie de Cléomène, par Plutarque, c. 23, § 4.
[42] Diodore, XV, c. 62.
[43] Xénophon, Hellen., VII, c. 4, § 34. Le nom d’έπάριτοι, donné à ces troupes, et que l’on retrouve dans Hesychius sous la forme έπαρόητοι, manque de clarté ; d’après Étienne de Byzance, il viendrait d’un district de l’Arcadie.
[44] Voy. O. Müller, die Dorier, t. I, p. 85 (83).
[45] Hérodote, VI, c. 92 : les Argiens imposent une amende aux Sicyoniens pour avoir violé leur territoire, et les Sicyoniens se soumettent à la sentence.
[46] Xénophon, Hellenica, III, c. 2, § 23 et 30, et VI, c. 5, § 2.
[47] Xénophon, Hellen., III, c. 2, § 23 et 30, et VI, c. 5, § 2.
[48] Plutarque, de frat. Amore, c. 19.
[49] Voy. Schœmann, Antiq. grecques, t. I, p. 342.
[50] Polybe, XXIII, c. 15, § 4 ; Corpus Inscr. Græc., n° 2556, v. 58.
[51] Hérodote, I, c. 141 et 170, et VI, c. 7.
[52] Hérodote, VI, c. 42.