§ 11. — Éducation civique et habitudes sociales. Suivant l’orateur Démostrate[1], les Spartiates valaient mieux comme citoyens, et les Athéniens comme hommes privés ; cette distinction ne manque pas de justesse. L’homme, chez les Athéniens, ne disparaissait pas dans le citoyen aussi complètement que chez les Spartiates, et prenait plus de soin de son humanité. Il pouvait s’engager dans de fausses voies, mais, comme Platon le fait dire au Spartiate Mégillos[2], ceux d’entre les Athéniens qui étaient bons l’étaient excellemment, parce qu’ils l’étaient sans contrainte, en vertu des dons qu’ils avaient reçus du ciel, non par l’effet d’une discipline exercée dès l’enfance au nom de l’État. On ne connaissait pas à Athènes ces entraves, surtout depuis que l’Aréopage n’eut plus la charge de surveiller l’éducation. La force des habitudes morales et l’autorité de l’opinion servaient de frein à la jeunesse et de règle à l’âge mur. Périclès[3] complimente Athènes de ce qu’elle n’impose de gêne à personne et laisse chacun vivre à sa guise, de ce que les moyens de coercition sont remplacés par le respect de la loi, la déférence envers les magistrats et ce sentiment moral qui menace du mépris général, redouté à l’égal des peines les plus sévères, toute infraction au droit, à ce droit qui, pour n’être écrit nulle part, ne lie pas moins étroitement les consciences. Jusqu’à quel point cet éloge pouvait-il s’adresser sincèrement aux contemporains de Périclès ? L’orateur se proposait de montrer à ceux qui l’écoutaient ce qu’ils devaient être et ce qu’avaient été leurs pères, plutôt que de les représenter tels qu’ils étaient eux-mêmes, et c’est dans ce sens que durent être prises ses paroles. Cependant, bien que la réalité se soit souvent écartée de cet idéal, on retrouvait facilement encore chez les contemporains de Périclès les principaux linéaments du portrait qu’il nous en a transmis, et il serait fort injuste de les considérer comme un peuple mal policé. Nous allons essayer de faire voir, en ayant soin de ne pas nous renfermer dans le cercle trop étroit de la vie domestique, ce que pouvait être cette éducation traditionnelle qui relevait surtout de l’opinion publique, sans échapper complètement au contrôle de l’État, et nous signalerons autant que possible les modifications qu’elle subit avec le temps. Commençons par ce qui a trait à l’enfance. L’autorité du père sur l’enfant nouveau-né n’était guère plus limitée chez les Athéniens que chez la plupart des anciens peuples. Il pouvait, sinon faire mourir[4], du moins exposer l’enfant qu’il ne lui convenait pas d’élever. Que ces abandons fussent fréquents à l’époque dont la Nouvelle Comédie reproduit les mœurs, c’est ce qui est attesté par les imitations que nous en ont données les Romains, d’autant moins suspects d’avoir en cela transporté dans des pièces grecques les habitudes romaines que ces expositions d’enfants sont toujours des moyens calculés pour dénouer l’intrigue[5]. Les comiques grecs clous fournissent d’ailleurs la preuve directe que même des familles favorisées de la fortune ne se faisaient pas faute de se débarrasser ainsi de leurs enfants, en particulier des filles[6]. Il parait même que si cet acte dénaturé était formellement blâmé par les gens de bien, l’opinion générale ne le jugeait pas sévèrement. On exposait l’enfant de façon à pouvoir espérer qu’il serait sauvé de la mort par quelque bonne âme qui le recueillerait et l’élèverait. Le plus souvent, l’enfant portait des signes qui devaient aider ses parents à le reconnaître dans des temps plus heureux[7]. Il n’était pas permis de tuer un enfant que l’on avait commencé à élever[8]. Anciennement le père était autorisé à mettre son enfant en gage ou à le vendre ; Solon abolit ce droit, en n’exceptant de sa défense que les filles non mariées qui s’étaient livrées à un homme[9]. Il parait avoir permis l’abandon et l’exhérédation, dans quelles limites, on l’ignore ; mais il est certain que l’on ne pouvait recourir à une telle extrémité, capricieusement. Nous savons au moins d’une manière pertinente que l’abandon devait être porté à la connaissance du public par un héraut et dénoncé par conséquent au jugement de l’opinion[10]. — Les lois s’occupaient aussi de l’instruction à donner aux enfants ; elles prescrivaient du moins en termes généraux de leur apprendre la musique et la gymnastique[11]. Solon jugea superflu d’entrer dans plus de détails, s’en fiant à la conscience et à la raison individuelles des pères de famille. Un passage d’Isocrate[12] prouve que plus anciennement l’Aréopage était en droit d’intervenir contre ceux qui manquaient décidément à ces devoirs. Il est certain aussi que, s’il s’agissait d’orphelins, les tuteurs pouvaient être poursuivis en vertu de la γραφή κακώσεως, et que même l’Archonte chargé de protéger d’une manière générale les veuves et les orphelins pouvait de parla loi agir de son chef[13]. Les parents qui n’étaient pas en mesure d’assurer autrement l’existence de leurs enfants étaient tenus de leur apprendre un métier, faute de quoi, devenus vieux, ils n’avaient pas le droit de réclamer leur appui[14]. La même indignité frappait les parents qui avaient prostitué leurs enfants, sans préjudice de la peine dont ils étaient passibles, à la suite d’une accusation publique[15]. Sous le nom de musique était compris tout ce qui peut contribuer à la culture intellectuelle. Pour les pauvres, cela se bornait naturellement au strict nécessaire. Le grammairien (γραμματικός ou γραμματιστής) leur enseignait à lire, à écrire et à compter[16]. Il n’y avait pas chez les Athéniens, non plus que dans la plupart des villes grecques, de maîtres professant publiquement aux frais de l’État, et en effet il n’y en avait pas besoin, vu le grand nombre de gens qui tenaient des écoles libres et faisaient payer leurs leçons, suivant le degré de confiance qu’ils inspiraient aux familles. Les enfants commençaient à fréquenter l’école dans leur septième année ; lorsqu’ils avaient appris à connaître et à écrire leurs lettres, en copiant les modèles que leurs maîtres traçaient sous leurs yeux, ils s’appliquaient à clos exercices de lecture. On lisait souvent les poètes, et en particulier ceux qui étaient les plus propres à former le cœur et l’esprit de la jeunesse. A cet effet, on réunit de bonne heure dans des recueils des passages choisis d’Isomère, d’Hésiode, de Théognis, de Phocylide et d’autres[17]. Les enfants copiaient ces recueils, car il était rare qu’ils en possédassent des exemplaires, les apprenaient par cœur et les récitaient. Il n’est pas douteux que les maîtres joignissent à ces exercices des notions diverses ; sans doute ils expliquaient à leurs élèves les règles du langage. Toutefois cet enseignement plus relevé ne remonte pas au delà de Socrate, et pendant longtemps ne trouva pas accès dans les écoles d’un ordre modeste. Les enfants un peu plus avancés en age étaient initiés à la musique proprement dite, que les Grecs considéraient non seulement comme une distraction agréable, mais comme exerçant une influence décisive sur les sentiments et les dispositions de l’âme. La vie de l’homme, dit Platon[18], a besoin de nombre et d’harmonie intérieure ; aussi les enfants doivent-ils apprendre les pièces des bons poètes et s’étudier à les jouer sur la lyre, afin que, familiarisés avec la mesure, ils l’observent aussi dans leurs paroles et leurs actions. A l’enseignement de la musique se trouvait jointe ainsi la connaissance des chefs d’œuvre lyriques, et l’habileté à jouer des instruments n’avait d’autre but que de pouvoir réciter les poèmes avec un accompagnement approprié. La lyre, sur laquelle les enfants s’exerçaient, était bien l’instrument le plus propre à cet usage[19]. Souffler dans une flûte était réputé un passe-temps malséant pour un homme libre, sans doute depuis qu’Alcibiade avait refusé d’en jouer[20]. Ceux qui voulaient devenir musiciens de profession bravaient seuls ce préjugé, et il ne s’en trouvait guère parmi les futurs citoyens, qui voyaient s’ouvrir devant eux des carrières plus honorées. Suivant Aristote[21], pratiquer l’art comme un métier, non pour son plaisir ou pour acquérir un talent de plus, mais pour l’agrément des autres, et en vue d’en tirer profit, était une industrie convenable seulement à des mercenaires. Les virtuoses les plus en faveur et les plus richement payés n’étaient pas moins des hommes de condition inférieure. Ceux d’entre eus qui jouissaient de la considération publique le devaient moins à leur talent d’exécution qu’à la connaissance abstraite des lois musicales qui se rattachent aux problèmes les plus élevés de la philosophie. Comme moyen général de culture, la musique n’était prisée qu’en raison de son influence morale. Aussi, tant que l’on plaça dans l’équilibre de l’âme le principe de toute vertu, on ne fit servir à l’instruction de la jeunesse que des modes calculés pour produire cette harmonie, et en les associant à des paroles qu’ils avaient mission d’animer. La musique sans paroles ne semblait qu’un jeu sonore, et fut adoptée seulement lorsqu’on ne chercha plus qu’à chatouiller l’oreille ou à faire naître des sentiments vagues et confus. Cette décadence de la musique s’était produite dans Athènes dès le temps d’Aristophane. Les poètes eux-mêmes flattaient le mauvais goût du public, en accommodant des paroles à des rythmes efféminés[22]. Il paraît que les leçons de gymnastique commençaient à peu près en même temps que les leçons de musique et ne tenaient pas moins de place dans l’éducation. On ne se préoccupait pas seulement d’exercer le corps de l’enfant et de le préparer aux fatigues qu’il aurait plus tard à subir dans la paix et dans la guerre ; on pensait que le corps avait des droits à faire valoir aussi bien que l’âme, que c’était un devoir de développer en lui la beauté dont il est capable, d’autant que l’âme ne peut se sentir à l’aise dans un corps mal venu, et que la véritable καλοκαγαθία ne peut être réalisée que par l’accord harmonieux des deux parts dont se compose la nature humaine.. Les écoles destinées aux exercices physiques portaient le nom de palestres. Il y en avait dans Athènes un nombre considérable dont plusieurs, sinon toutes, avaient été construites aux frais du trésor[23]. Il n’existait au contraire que trois gymnases, qui n’étaient pas même spécialement destinés aux exercices gymnastiques. Quelques-unes de ces palestres portaient des noms d’hommes, tels que Taureas, Sibyrtios, Hippocrate. On ne sait si ces noms désignaient les personnages qui avaient bâti ou fait bâtir les édifices, ou bien les maîtres (παιδοτρίβαι). Il n’y avait pas plus de professeurs salariés publiquement pour la gymnastique que pour la musique et la grammaire. Les παιδοτρίβαι étaient des maîtres privés, qui offraient leurs services aux familles et qui, lorsqu’ils avaient réuni un nombre suffisant d’élèves, réglaient méthodiquement les exercices auxquels les jeunes garçons s’étaient livrés jusque-là sans plan arrêté, sous la direction de camarades plus âgés, et sous la surveillance des pères ou des pédagogues. On ne saurait douter que cet art ait été porté comme tous les autres à la perfection, lorsqu’on se rappelle ces paroles de Pindare : C’est d’Athènes qu’il faut faire venir des maîtres pour les athlètes[24]. L’athlétique proprement dite n’était pas cependant comprise dans le cercle des exercices jugés nécessaires à l’éducation physique de la jeunesse ; elle n’avait guère d’autre but que de créer des ressources pour la lutte, sans profiter à la santé, à la vigueur et à la beauté. Elle sacrifiait la culture de l’intelligence en faisant du corps le but unique de ses efforts, et agissait même quelquefois au rebours, en le rendant par un art factice impropre à un usage plus noble de ses forces. Aussi les hommes intelligents avaient-ils peu d’estime pour ces vaines parades. Solon avait montré ce qu’il en pensait[25], en réduisant la valeur des prix réservés jusque-là aux athlètes vainqueurs dans les fêtes solennelles. Les παιδοτρίβαι ne cherchaient donc pas dans les palestres à former des athlètes ; leur enseignement ne dépassait pas, sauf exception, les soins naturels et les exercices méthodiques fondés sur l’expérience, qui peuvent seuls mettre le corps à même de faire son service. On a opposé la gymnastique à l’enseignement des παιδοτρίβαι, comme on oppose le général au particulier, le plus au moins : la première représentant l’ensemble systématique de tout ce qui peut contribuer à l’entretien des forces corporelles, le second se bornant à la partie de l’art qui intéresse surtout la jeunesse et tient plus de l’empirisme que de la théorie[26]. C’est pourquoi le nom de γυμναστής était en général plus haut prisé que celui de παιδοτρίγης, de même que le nom d’instituteur sonne mieux que celui de maître d’école. Les maîtres chargés de diriger les exercices des hommes faits ou des jeunes gens qui se préparaient aux jeux agonistiques se faisaient donc appeler γυμνασταί, non παιδοτριβαί, bien que les palestres ne fussent pas fréquentées uniquement par les enfants, ni les gymnases par les hommes faits. Cependant les gymnases étaient moins destinés à donner les premières leçons de gymnastique qu’à perfectionner ceux qui avaient déjà passé par les palestres. C’étaient de vastes établissements où se trouvaient déjà réunies les facilités nécessaires pour toutes sortes d’exercices, et auxquelles plus tard on annexa des palestres. Athènes, dans sa période brillante, avait trois gymnases, l’Académie, le Lycée et le Cynosarge, tous trois situés hors de la ville. L’Académie, ainsi nommée d’un héros antique, Académos, était à mie distance de six à huit stades, moins de quinze cents mètres, dans la direction du nord-ouest, et comprenait un espace entouré de murs par Hippias, fils de Pisistrate, orné par Cimon d’aqueducs, de promenades, de bosquets et de jardins, dans lequel on rencontrait un grand nombre de chapelles et d’autels consacrés aux dieux ou aux héros[27]. Le Lycée, ou plus exactement le gymnase attenant au temple d’Apollon Lykeios, était situé à l’est de la ville, sur les bords de l’Ilissus ; il avait été décoré dans le même goût que l’Académie par Pisistrate, Périclès et l’orateur Lycurgue. Enfin le Cynosarge, voisin des précédents, avait emprunté son nom à un sanctuaire d’Héraclès oit, suivant une vieille tradition, un chien blanc (κύων άργός) avait dérobé une part de l’offrande, lors du premier sacrifice offert au Dieu[28]. Ce gymnase était autrefois le seul oit pussent s’exercer clos jeunes gens nés d’une mère non-citoyenne ; mais cette restriction avait cessé depuis Thémistocle[29]. Plus tard, deux nouveaux gymnases furent construits, Celui de Ptolémée, près le temple de Thésée, dont les Athéniens furent redevables, vers l’an 273, à la munificence d’un roi d’Égypte, probablement Ptolémée Philadelphe[30], et celui de Diogène, ainsi nommé peut-être d’après le nom du fondateur, qui est d’ailleurs complètement inconnu[31]. On trouve en outre mentionnés un gymnase d’Hermès et un gymnase d’Hadrien[32]. Il était naturel que ces établissements se multipliassent dans un temps où de l’Italie et des provinces de l’empire romain affluaient à Athènes des jeunes gens attirés sans doute par les leçons des rhéteurs et des philosophes, mais qui ne dédaignaient pas les exercices physiques[33]. Trois gymnases avaient suffi antérieurement aux jeunes citoyens désireux de se préparer au service militaire dans les deux années qui précédaient leur enrôlement, car tel était le but principal des gymnases, bien qu’ils profitassent aussi à de plus jeunes et à de plus âgés, et que leur destination fût moins l’effet de dispositions légales que celui des mœurs et de la tradition. Les lois relatives à l’éducation de la jeunesse ne contenaient aucun programme sur les matières d’enseignement, non plus que sûr les méthodes. Certaines dispositions assuraient seulement le maintien de l’ordre et de la décence, dans les écoles el, dans les lieux destinés aux exercices. Les parents avaient coutume de confier leurs enfants à des pédagogues, qui les conduisaient à l’école, les ramenaient à la maison et ne devaient jamais les perdre de vue. Mais cet office était dévolu à des esclaves et de préférence à ceux qui n’étaient pas capables d’autre chose, ce qui faisait que leur surveillance n’était pas une bien bonne garantie[34]. Les lois fixaient le nombre des élèves qui pouvaient, être admis dans chaque école, de manière à ce que la discipline s’exerçât facilement, ainsi que le temps qu’ils devaient y passer, et qui était mesuré par le lever et le coucher du soleil. Le maître devait avoir un âge mûr, c’est-à-dire plus de quarante ans. Il était interdit aux adultes autres que ses fils, ses frères ou ses gendres de visiter les écoles, ou de se mêler aux jeunes garçons dans les fêtes consacrées à Hermès et aux Muses, qui étaient aussi les fêtes de la jeunesse ; mais ces dispositions, qui ne sont pas toutes authentiquement attestées[35], tombèrent bientôt dans l’oubli[36]. Il n’existait pas chez les Athéniens, comme à Sparte et dans plusieurs autres cités, de collège analogue aux Pédonomes, chargés spécialement de veiller sur l’éducation des enfants. L’Aréopage avait pu d’abord remplir le même rôle, niais ces attributions ne lui furent pas rendues, ainsi que le prouvent les regrets d’Isocrate, lorsque ce tribunal recouvra une partie de soit autorité. Les magistrats ont les noms indiquent qu’ils prenaient part à la direction de la jeunesse dans les écoles et les gymnases, comme les Sophronistes, les Kosmètes, les Hypokosmètes et d’autres encore, appartiennent tous à des temps postérieurs. On n’en rencontre aucun en effet antérieurement la 115e Olymp., av. J.-C. 317[37]. L’établissement de ces fonctions s’explique sans peine par les mêmes circonstances qui firent sentir le besoin d’augmenter le nombre dès gymnases : Athènes, où la démocratie était devenue assez traitable, était visitée par un grand nombre de jeunes étrangers, dont les familles rie les y auraient pas envoyées si elles n’avaient été rassurées sur leur compte. Un discours de Dinarque[38], plus ancien de quelques années (Olymp. 114, av. J.-C. 324) mentionne les Épimélètes des éphèbes, et le peu qu’il en dit fait supposer qu’ils avaient aussi autorité sur la jeunesse ; nous ne savons rien de plus sur leur compte. On rencontre plus tard un Èpimélète et un Épistate du Lycée, ainsi qu’un Épistate de l’Académie[39]. Il en existait vraisemblablement aussi pour les autres gymnases ; mais il est possible que leur inspection portât seulement sur les bâtiments et sur le matériel, en tant que propriété de l’État. Toutefois, aussi longtemps que la nation se montra jalouse de maintenir intacte l’a pureté des mœurs antiques, on dut se passer difficilement de magistrats chargés de veiller sur l’enfance. Cela même ne suffisait pas ; en dehors de leur action, l’opinion publique réclamait une discipline sévère et des peines rigoureuses pour les jeunes gens qui s’écartaient de l’honnêteté. On en peul juger par un passage d’Aristophane, quoique déjà les choses eussent changé de son temps, comme le prouve le tableau qu’il a tracé du relâchement récemment introduit dans les mœurs. De ce tableau peut-être chargé, on peut toujours du moins induire que les cas d’immoralité étaient devenus trop fréquents dans les palestres et dans les gymnases. Ces établissements sont dénoncés par d’autres qu’Aristophane comme une excitation à la pédérastie[40]. Que la vue des formes jeunes et belles qui s’offraient aux regards saris vêtements ait pu, en même temps qu’elle faisait naître chez les esprits élevés nue satisfaction esthétique, provoquer des désirs impurs dans les Mmes charnelles, cela est hors de doute. D’autre part, on ne saurait nier qu’à Athènes comme à Sparte il ait existé entre les jeunes gens et les hommes faits un amour exempt de passion honteuse. Comment, s’il n’en eut pas été ainsi, des hommes tels que Platon, Socrate, d’autres encore, eussent-ils parlé de ce sentiment dans les termes dont ils se sont servis ? Comment eut-on jusque dans les gymnases élever des statues à l’Amour[41] ? Toutefois cet amour purifié ne l’était pas à ce point qu’il ne s’y mêlât quelque agitation des sens, quelque complaisance pour les attraits corporels, et sans doute il fallait une force morale qu’on ne peut attribuer à tout le monde pour être sûr de ne jamais franchir la limite posée par la décence. De nombreux exemples prouvent que souvent cette émotion prit le caractère passionné qui ne doit trouver placé qu’entre des sexes différents. Il était difficile en effet, si pure qu’elle eût été au début, qu’elle ne finît pas par se communiquer aux sens. L’opinion publique, dans les temps qui nous sont le mieux connus, ne se montrait pas sévère pour ces égarements. La sensualité satisfaite entre les bras d’un jeune ami ne paraissait pas chose coupable. Espérons que cette indulgence ne s’étendait pas aux actes monstrueux que supposent les mots εύρύπρωκος et καταπύγων. Mais s’il est vrai, comme le dit Æschine, que l’État ait prélevé un impôt sur les garçons qui se prostituaient pour de l’argent, il faut reconnaître que le vice était porté à un excès qui fait horreur, et que l’État qui le souffrait s’est chargé d’une honte que rien ne saurait effacer. Détournons nos regards d’un pareil spectacle, pour les reporter sur des sujets moins blessants. L’éducation proprement dite se terminait à la seizième ou, si l’on y comprend les exercices du gymnase, à la dix-huitième année, âge auquel les jeunes gens entraient en possession de leurs droits civiques, et inauguraient le service militaire, en qualité de περίπολοι. Il va sans dire que les pauvres n’attendaient passe moment et retiraient leurs enfants de l’école longtemps avant la seizième année, se contentant pour eus des connaissances les plus élémentaires, telles que la lecture, l’écriture, le calcul, à quoi se joignaient quelques exercices gymnastiques, y compris à ce qu’il paraît, la natation[42]. Les enfants de la classe inférieure apprenaient ensuite à gagner leur vie. Pour les riches au contraire, qui pouvaient prétendre à un plus haut degré de culture, l’éducation se prolongeait, et, pour beaucoup de choses, ne commençait précisément qu’à la jeunesse. L’instruction générale (έγκύκλιος παιδεία) qui se bornait à la connaissance et à l’intelligence des poètes, à une certaine habileté dans la musique et dans la gymnastique, devint beaucoup plus complexe au temps de Socrate. On trouve signalée, comme un objet spécial d’enseignement, l’hoplomachie, c’est-à-dire le maniement des armes pesantes, plus perfectionné qu’on ne pouvait l’acquérir par les manœuvres habituelles[43]. Ceux qui se consacraient au métier de soldat étudiaient aussi la tactique et la stratégie[44]. L’art du dessin commença vers le même temps à être considéré en général comme un moyen de culture, propre à donner le sentiment de la forme et le discernement des œuvres d’art[45]. Au futur homme d’État s’adressaient les leçons des rhéteurs ; l’universalité des connaissances acquises était professée par les sophistes. Ils devaient, pour remplir leur programme, révéler à leurs auditeurs l’essence et les propriétés des choses, leur en donner une vue claire et les mettre à même d’en faire un usage approprié aux circonstances de la vie. Il y avait parmi les sophistes des hommes considérables. L’un d’eux, Prodicus de Céos, a mérité d’être signalé comme un précurseur de Socrate[46] ; mais il y avait aussi des charlatans qui trompaient le public par une fausse apparence de savoir. La tendance générale de la sophistique était de soumettre le ciel et la terre au contrôle de la raison, et de ne tenir compte que de ses jugement ; par là, elle dut nécessairement affaiblir le respect pour les traditions religieuses et les institutions civiles, dont un grand nombre ne pouvaient en effet résister à un examen sévère ; sans compter que les sophistes, mal fixés de leur côté sur les bornes imposées à la connaissance humaine, accordaient à la raison plus qu’il ne lui est dû. La sophistique marque une étape nécessaire dans la vie intellectuelle de la nation. Ses erreurs ne doivent pas fermer nos yeux à ses mérites ; mais il n’est pas moins vrai que l’affaiblissement du sentiment religieux et du sentiment moral, sans être exclusivement son œuvre, car elle était elle-même l’enfant de son siècle, fut au moins accéléré par elle. Les écoles des sophistes en renom recevaient une grande affluence de jeunes auditeurs, et les hommes plus avancés en âge, naturellement amis du passé, ne voyaient pas ces nouveautés de bon œil. Les leçons étaient généreusement payées[47]. Un grand nombre de sophistes amassèrent une fortune considérable ; plusieurs mêmes montrèrent une âpreté choquante, et parurent plus jaloux d’obtenir la rogue et la richesse que de chercher la vérité. L’éducation féminine était, bien plus encore que celle des garçons, affaire de tradition et d’habitude. Tout se passait dans l’intérieur de la maison sans aucune intervention de la loi. Il n’existait pas d’école où les pères de famille pussent envoyer leurs filles[48] ; elles apprenaient de leur mère ou de leur bonne tout ce qu’elles devaient savoir filer, tisser et coudre. D’autres connaissances cependant n’étaient pas exclues : les jeunes filles de bonne condition recevaient des leçons de lecture et d’écriture[49], et il va de soi qu’elles étaient initiées aux croyances populaires sur les dieux et les obligations religieuses, ainsi qu’aux règles générales de modestie et de moralité. Ces notions ne leur étaient pas inculquées à l’aide de catéchismes ou de livres composés pour l’enfance, non plus que dans des leçons spéciales, mais dans des entretiens sans suite, d’où devait résulter une instruction fort terre à terre, si on la compare à celle des garçons. La vie des jeunes filles s’écoulait dans la maison paternelle et dans les soins du ménage, au milieu de leurs parentes et de leurs amies. Le gynécée formait un appartement distinct, soit à l’étage supérieur, soit dans un corps de logis relégué derrière l’habitation principale[50], où les hommes, surtout les étrangers, avaient difficilement, accès. Les femmes marines elles-mêmes, à moins qu’elles n’appartinssent à la dernière classe, ne paraissaient guère dans la rue, ou dans les lieux publics, sans être accompagnées d’un serviteur ou d’une servante[51]. C’est seulement, aux fêtes religieuses que les deux sexes se trouvaient réunis ; là même cependant les barrières n’étaient pas complètement supprimées, mais elles pouvaient s’abaisser de manière à faciliter les rapprochements, et les auteurs comiques parlent de femmes mises à mal, dans la confusion des mystères nocturnes[52]. La présence des femmes dans les théâtres n’était interdite par aucune loi ; les maris en étaient seuls juges, mais il ne vint jamais à l’esprit d’un homme sensé de les conduire aux représentations comiques ; on peut L’affirmer plus sûrement encore que le contraire pour la tragédie[53]. Comme d’ordinaire les jeunes filles se mariaient de bonne heure, souvent à quinze ans, le soin de perfectionner leur instruction regardait celui qu’elles épousaient[54]. Le personnage d’Ischomachos dans Xénophon est un exemple des efforts tentés par un homme sage et dévoué pour faire de sa jeune femme une bonne ménagère. Il raconte à Socrate que la fille qu’il a prise avant sa quinzième année révolue ne savait autre chose que filer, tisser ou préparer des ajustements et ne soupçonnait guère le reste ; mais elle était naïve, modeste et de bonne volonté ; aussi avait-elle reçu avec empressement ses conseils et ses leçons. Il est intéressant de voir Ischomachos débuter par une initiation religieuse. II prie avec sa femme, offre avec elle des sacrifices aux dieux pour obtenir leur bénédiction, et lui apprend peu à peu, après avoir rassuré sa timidité virginale, les devoirs de son sexe et la manière de les accomplir. Il serait trop long de répéter tout ce que dit Ischomachos ; mais nous ne pouvons passer sous silence la place qu’il promet à sa femme dans la maison, si elle réalise ses espérances : elle y aura plus d’autorité que lui-même, il y sera quelque chose comme son serviteur, et elle n’a pas à craindre de rien perdre avec le temps de son mérite à ses yeux. Devenue vieille, elle sera d’autant plus honorée de toute la maison qu’elle aura été plus longtemps épouse fidèle et mère dévouée. Ischomachos, tel que Xénophon le met en scène, a le renom d’un honnête homme, et le portrait qu’il trace de sa femme peut être regardé comme le type de la bonne ménagère athénienne. Sans cloute, chez les Athéniens comme’ chez nous, la réalité restait souvent loin de l’idéal ; rien n’empêche de croire cependant que beaucoup de maisons aient été ordonnées nomme celle d’Ischomachos. On peut sans doute regretter encore des lacunes dans une semblable éducation : la femme d’Ischomachos ne s’orne pas l’esprit par des lectures instructives ; elle ne possède aucun art d’agrément ; il n’existe pas pour elle de cercles d’hommes ou de femmes ois la littérature, les arts et les événements du jour fournissent matière à des conversations spirituelles, toutes choses dont les maris de nos jours ne sauraient songer à priver leurs femmes, sans passer pour des tyrans. Il est certain que les femmes n’étaient pas honorées chez les Athéniens à la façon dont elles le sont chez nous. L’amant lui-même ne découvrait pas chez la femme aimée les perfections si fort prisées dans les romans ; le naturalisme prévalait. Les femmes étaient généralement considérées comme une espèce inférieure, à l’homme, non seulement au point de vue physique, mais sous le rapport des facultés intellectuelles et morales. Faibles, faciles à séduire, incapables de se conduire sans surveillance et sans direction, elles paraissent peu susceptibles de prendre à cœur les grands intérêts dans lesquels se meut la vie des hommes. Cette appréciation est peut-être sévère ; elle nous paraît telle au moins, à nous qui en jugeons par les femmes que nous connaissons ou croyons connaître ; mais il faut bien admettre que la nature humaine n’est pas partout ni toujours identique, et peut-être les Grecs étaient-ils aussi aptes que nous à juger de ce qu’étaient leurs femmes et de ce qu’ils pouvaient en attendre. Si l’on songe à la façon dont les deux sexes vivaient séparés et au peu de considération dont jouissaient les femmes, il paraîtra naturel que les mariages aient été décidés par d’autres considérations que celles qui prévalent aujourd’hui, à savoir l’inclination réciproque des fiancés trop souvent suivie de désenchantement. Les unions régulières ne pouvaient en général être contractées qu’entre personnes ayant droit de bourgeoisie. C’est par exception qu’un citoyen épousait une femme étrangère ou vice versa ; cela n’arrivait que dans les cas où avait été stipulé expressément le droit d’épigamie ; sans cela, on vivait en état de concubinage, et les enfants étaient réputés bâtards. Pour expliquer le mariage d’une fille appartenant à une famille en possession de ses droits civiques, avec un étranger résident, il fallait supposer que le fiancé avait usurpé le titre de citoyen, supercherie qui l’exposait à être vendu comme esclave. Il pouvait arriver plus souvent qu’une femme étrangère se fît passer pour athénienne ; elle encourait la même peine[55]. La retraite dans laquelle les jeunes filles d’Athènes vivaient au sein de leurs familles ne fournissait guère d’occasion aux intrigues amoureuses. Les parents choisissaient pour leurs enfants l’alliance qui leur paraissait le plus propre à fonder une bonne maison[56]. On dressait ensuite le contrat de mariage et l’on traitait la question de la dot. Une orpheline revenait de droit à son plus proche parent. S’il s’agissait d’une pauvre fille qu’il ne pouvait épouser, il était tenu de la doter dans une mesure fixée par la loi[57]. Une fois l’union arrêtée, le fiancé en informait officiellement les membres de sa phratrie, et offrait un sacrifice et un festin ; l’omission de ces formalités pouvait faire mettre en cloute la légitimité du mariage[58]. La célébration des nones n’allait pas non plus sans cérémonies religieuses[59]. Les Athéniens pensaient que la bénédiction divine était nécessaire à l’homme dans cette circonstance, comme dans tous les actes de la vie. La flot n’appartenait pas en propre au mari, il n’en avait que la jouissance, et devait fournir caution qu’elle serait restituée à la femme ou à ses ayant droit, lors de la dissolution du mariage[60]. Outre la dot, la femme apportait dans la maison un trousseau qui restait sa propriété personnelle, nais dont elle n’avait pas cependant la disposition, car la loi lui défendait de contracter pour une valeur supérieure à celle d’un médimne d’orge ; elle était sous ce rapport assimilée aux mineurs[61]. On peut juger du peu de confiance qu’inspiraient les femmes en général, d’après ce fait que les donations faites à un tiers par l’époux, donations testamentaires ou entre vifs, pouvaient être annulées s’il était prouvé qu’elles étaient dues aux suggestions de l’épouse[62]. Lorsque le mari venait à mourir sans laisser d’enfants, la femme était rendue avec sa dot à ses parents paternels ; si au contraire il y avait des enfants, elle pouvait rester avec eux dans la maison du défunt[63]. La fortune du père et de la mère était remise aux fils orphelins, dès qu’ils atteignaient leur majorité ; jusque-là, elle était administrée par des tuteurs. Si à la mort, du père, un des fils était majeur, il prônait vis-à-vis de ses frères et sœurs la place dé lent auteur commun, et exerçait la tutelle[64]. Les fils d’une femme qui, n’ayant pas de frères, avait recueilli l’héritage paternel (έπίκληρος), pouvaient réclamer le bien de leur mère, même de vivant de leur père. On trouve aussi des exemples de maris qui, laissant une femme et des enfants, avaient disposé de leur veuve par testament et lui avaient choisi de leur main un seconde époux[65]. Nous ne rechercherons pas jusqu’à quel point la femme était liée par une semblable disposition. Si la séparation des conjoints se faisait par consentement mutuel, ou par la volonté du mari, il n’était pas besoin qu’elle fût prononcée judiciairement ; il suffisait que la dot fût rendue[66] ; le mari pouvait même la garder, quand le divorce avait été provoqué par l’inconduite de la femme. La femme, au contraire, ne pouvait se séparer sans jugement. Elle devait, à cet effet, présenter à l’Archonte un mémoire relatant ses griefs, d’après lequel ce magistrat ou le tribunal tranchait la question. L’État croyait devoir aux orphelines une protection particulière, parce que, en vertu de la loi signalée plus haut, elles pouvaient être pour les parents qui les épousaient une charge, quelquefois acceptée de très mauvaise grâce. Ainsi chacun pouvait introduire contre le mari coupable de mauvais traitements l’accusation appelée γραφή κακώσεως, et réclamer une peine qui variait suivant les circonstances[67]. La loi étendait sa sollicitude jusqu’à l’accomplissement du devoir conjugal, auquel le mari était tenu de satisfaire au moins trois fois par mois, non pas seulement pour tenir compte des besoins naturels de la femme, mais parce que l’État était intéressé politiquement et religieusement à ce que les familles se perpétuassent et à ce que ne fût pas diminué le nombre des sacrifices que chacune d’elles devait aux dieux[68]. La législation athénienne n’allait pas toutefois jusqu’à rendre le mariage obligatoire, et à punir le célibat, comme à Sparte[69]. Par les mêmes considérations, à la fois politiques et religieuses, s’explique le droit pour la femme dont le mari était impropre aux fins du mariage, de lui donner un remplaçant sans encourir le reproche d’adultère, pourvu qu’elle choisît parmi les membres de la famille. Dans d’autres circonstances, l’adultère de la femme non seulement autorisait le mari à se séparer d’elle, mais lui en faisait un devoir. La femme coupable était en outre notée d’infamie ; elle ne pouvait plus fréquenter les temples ni se montrer en publie vêtue comme les femmes de sa classe, ou elle s’exposait à se voir arracher ses ajustements et à subir tous les affronts. Le déshonneur atteignait même le mari trompé qui gardait sa femme avec lui[70]. Le mari avait le droit de maltraiter l’amant pris sur le fait, de le charger de chaînes, de se faire payer une rançon, ou même de le tuer ; mais il pouvait aussi se contenter de le poursuivre judiciairement ; nous ne savons quelle peine était dans ce cas réservée au coupable. En supposant qu’elle fût laissée à l’appréciation du juge, et qu’une amende fût prononcée, la somme profitait à l’État, non au plaignant ; cela résulte de la nature des accusations publiques, parmi lesquelles était rangée la γραφή μοιχείας. La femme dont le mari s’était mis dans le même cas n’avait d’autre ressource qu’une demande en séparation ; encore ce moyen rie lui était-il accordé sans doute que si la présence dans le domicile conjugal d’une hétaïre ou d’une concubine était pour l’épouse une aggravation d’injure[71]. L’opinion brimait, il est vrai, les fautes accidentelles des maris, telles que les visites chez des courtisanes ou des filles de joie, mais la loi ne les punissait pas ; on était plus frappé du danger que de l’immoralité de ces désordres. On dit même que Solon avait décrété l’établissement de maisons publiques, de peur que des désirs non satisfaits portassent à des excès plus coupables[72]. L’industrie de ceux qui tenaient de semblables maisons n’en était pas moins réputée déshonorante. Parmi les filles qui les habitaient et qui toutes d’ailleurs étaient esclaves, on trouvait cependant moyen de distinguer celles qui ne méritaient que le mépris, celles qui étaient clignes de pitié, et même celles qui pouvaient inspirer l’amour. C’est ainsi que la Nouvelle Comédie a retracé souvent la passion d’un jeune homme pour une fille de cette condition, tombée aux mains d’un leno et demeurée pure par miracle, qu’il réussit à sauver. Parmi les femmes proprement nommées hétaïres, c’est-à-dire qui mettaient leurs faveurs à prix, sans aliéner leur indépendance, il y avait des personnes distinguées par leur esprit et leur éducation. Les meilleures d’entre elles avaient souvent un ami avec lequel elles contractaient une liaison plus étroite, qui durait aussi longtemps qu’il plaisait aux deux parties. Toutes ces femmes entretenues étaient des étrangères ou des affranchies, il n’y a pas d’exemple d’hétaïre sortie de la bourgeoisie athénienne ; mais il pouvait arriver, bien que la chose fût rare, qu’une bourgeoise vécut avec un homme en dehors du mariage. Cette sorte de ménage appelée concubinat était réglée par un contrat en bonne forme : L’homme assurait l’avenir de la femme[73], et les enfants qui naissaient de leurs rapports, Manque bâtards et ne pouvant prétendre à l’héritage paternel, jouissaient des droits civils. Un citoyen qui prostituait sa fille était puni de mort[74]. Lorsque la fille au contraire se livrait au désordre malgré son père, il pouvait la vendre comme esclave[75]. Le viol commis non seulement sur des citoyennes, mais sur des étrangères ou des esclaves, encourait tantôt la mort, tantôt une amende[76]. Celui qui se prêtait à la satisfaction de désirs contre nature perdait sa dignité de citoyen, et s’il usait des droits qu’il avait perdus, si par exemple, il acceptait des fonctions publiques, même les plus humbles, s’il prenait la parole dans l’Assemblée du peuple ou seulement s’il s’y présentait, il s’exposait à être poursuivi par le premier venu, en vertu de l’ένδειξις, et puni de peines très sévères[77]. Le droit que conférait la Constitution à toute personne honorablement courue de poursuivre devant les tribunaux quiconque s’était rendu coupable d’attentats à la morale publique était resté, depuis que l’Aréopage avait cessé de veiller sur la conduite des citoyens, le seul moyen légal de réprimer dans une certaine mesure les actes qui bravaient l’opinion ou échappaient à son contrôle. Il faut bien reconnaître toutefois que les dénonciations furent rarement dirigées contre les coupables, et que les sycophantes abusèrent de la loi pour effrayer les innocents par des attaques calomnieuses. Afin de bien marquer le point de vue moral auquel se plaçait le législateur, il est intéressant de signaler les coupables qu’il punissait de l’atimie étaient déclarés incapables d’exercer leurs droits civiques, les enfants qui manquaient à leurs devoirs envers leurs père et, mère en les maltraitant, en leur refusant l’assistance ou en négligeant de leur rendre les honneurs funèbres ; les débauchés qui dissipaient leur patrimoine ou ceux qui menaient une vie oisive sans moyens d’existence connus ; les voleurs, les dépositaires infidèles, ceux qui corrompaient oui tentaient de corrompre les fonctionnaires publics et les juges, les faux témoins, les soldats réfractaires, ceux qui désertaient leur poste ou jetaient leur bouclier, enfin ceux qui outrageaient les magistrats en exercice. Parmi ces actes, les uns entraînaient l’atimie dès la première fois, les autres seulement en cas de récidive[78]. On voit que les lois étaient sévères, et que si la morale publique fut souvent violée impunément, cela ne tint pas à l’absence de sanction pénale, mais à ce que cette sanction ne fut pas appliquée avec assez de suite et d’esprit de justice. La répression en effet était d’autant plus difficile que l’abus du droit d’accusation mettait L’opinion en défiance contre les accusateurs, que les tribunaux populaires étaient plus exposés à se tromper, qu’enfin la morale publique était moins exigeante dans un temps où l’on faisait volontiers consister la liberté à se rendre indépendant des lois. On ne pouvait guère refuser aux autres l’indépendance dont on était si jaloux pour soi-même. L’Ancienne Comédie a été considérée comme fuie sorte de police auxiliaire, et Horace, dans des vers bien connus, l’a présentée sous cet aspect. Il n’est pas moins vrai que le moraliste qui examine sans parti pris ce qui nous en reste ne saurait lui attribuer une grande influence, attendu qu’elle frappe au hasard l’innocent ou le coupable ; que, tenue de compter avec le public, elle accepte ses jugements aussi souvent qu’elle les rectifie, et que ses efforts pour flatter le goût de la multitude ne pouvaient lui valoir beaucoup de considération, si admirable qu’elle fût, comme œuvre d’art, et alors même qu’elle avait la raison de son côté. La loi qui aurait interdit aux membres de l’Aréopage de composer des comédies peut bien avoir été inventée à plaisir[79] ; il est certain du moins que la gravité de leurs fonctions leur commandait de ne pas le faire, et d’autre part on sait qu’une autre loi, qui essaya de bannir de la comédie la critique personnelle sans mesure et sans frein, n’eut qu’une très courte existence[80]. Mais ces mêmes Dionysiaques où les Athéniens se délectaient aux représentations comiques leur offraient dans la tragédie un spectacle bien différent, aussi propre que la comédie l’était peu, à élever l’intelligence et l’âme des assistants. La comédie montrait sous un aspect grotesque les accidents de la vie quotidienne, et ne peut servir, eu mettant les choses au mieux, qu’à rendre ridicules ou méprisables les extravagances et les vilenies. La tragédie, au contraire, offrait l’image idéale de l’humanité en lutte avec les obstacles extérieurs. Tantôt soutenue par la force morale et par l’assistance des dieux, l’âme humaine reste indomptée, alors même que la fatalité l’emporte ; tantôt, aveuglée par l’erreur et la passion, elle subit les conséquences de ses fautes, et atteste au moins l’existence d’une puissance supérieure qui se joue des desseins des mortels, et fait aboutir tous leurs efforts à un dénouement inévitable. Telle est au moins, si cela n’est pas vrai au même degré de toutes les œuvres tragiques, l’idée générale de la tragédie. Aussi les anciens la célébraient-ils comme une source d’exemples et de conseils, d’enseignement et de réconfort, de consolation et d’espérance. Tout ce qui nous reste de la muse tragique est très propre à justifier cet éloge. Il faut bien admettre, il est vrai, que les chefs-d’œuvre se sont seuls conservés, et que, parmi les pièces perdues, s’il s’en trouvait d’excellentes, il devait y en avoir aussi de médiocres, de celles que Platon[81] accuse de se borner à séduire’ les spectateurs, au lieu de les exalter et de les ennoblir. Un autre reproche que Platon et d’autres ont fait à la tragédie et que méritent également l’épopée et la plupart des œuvres lyriques, c’est de choisir leurs sujets dans la mythologie, d’être amenés à nous montrer souvent les Dieux sous des aspects qui s’accordent mal avec l’idée pure de la divinité. Ce grief n’est assurément pas sans fondement. Les représentations mythologiques étaient d’ordinaire peu propres à exercer sur les spectateurs une heureuse influence morale, et les poètes, tout en vantant la sagesse et la justice divines, et en recommandant le respect des dieux, donnaient souvent à tel ou tel habitant de l’Olympe un rôle fort peu digne de cet auguste séjour. Pour croire à une essence divine qui plane au-dessus des choses humaines sans se personnifier dans aucun dieu, et communique si peu d’elle-même aux dieux personnels, objets du culte public, il fallait un effort, dont étaient seuls capables les esprits éminents. Si prodigue que fût un poète de sentences religieuses et morales, quelque soin qu’il mît à rejeter les fables qui déshonorent les dieux, ainsi que le fait souvent Euripide, nul ne pouvait détruire le prestige de ces légendes et y substituer une conception plus pure. de la divinité. Ceux mêmes qui, très éloignés, comme Æschyle, de révoquer en doute les inventions mythologiques, s’efforçaient sincèrement de les concilier avec l’idée de la nature divine, échouaient devant cette tache. Sans appliquer aux croyances populaires une critique négative, et tout en leur donnant son entier assentiment, Æschyle s’élève au-dessus d’elles, il les ennoblit et les féconde par la façon dont il les conçoit et le sens qu’il leur prête. Mais comment eût-il exercé une influence générale et profonde, ce poète unique en son genre, et qui ne pouvait être compris que par des intelligences parentes de la sienne, lesquelles n’étaient guère plus communes parmi ses contemporains qu’elles ne le sont de nos jours chez ceux qui se mêlent de le commenter. Il ne faut donc pas nous exagérer l’effet de la tragédie sous le rapport moral et religieux, quelle qu’ait été sa puissance esthétique. Par l’art de la composition et la perfection du langage, par la force des passions mises enjeu, les œuvres tragiques éveillaient dans la foule le sentiment du beau, à l’égal des monuments clé l’architecture, de la statuaire et de la peinture, dont elle se voyait entourée surtout depuis Périclès, qui ravissaient les Athéniens par l’harmonie et la noblesse de la forme, dont les débris nous frappent encore d’admiration. Périclès, au début de son oraison funèbre, félicite les Athéniens de leur amour du beau, joint à la simplicité de leur vie, et beaucoup d’autres témoignages confirment cet éloge[82]. Aucun peuple n’était plus accessible aux jouissances de l’art et moins porté vers les plaisirs grossiers. même alors qu’ils encourent de graves reproches sous le rapport moral, ils restent la nation la plus délicate, la plus spirituelle, celle dont le goût est le plus pur, entre toutes les nations dont nous entretient l’histoire non seulement de l’antiquité, mais de tous les temps. Les avantages dont Périclès, dans le même discours, félicite les Athéniens, à savoir l’égalité de tous les citoyens devant la loi et le droit à l’estime publique, fondé sur la valeur personnelle, non sur la condition et la richesse, sont les vrais caractères d’une démocratie intelligente ou, suivant l’expression d’Isocrate, d’une démocratie aristocratique[83]. C’est aussi ce gouvernement mixte qu’Hérodote avait en vue, lorsqu’il cite l’exemple d’Athènes pour prouver l’excellence de la liberté, s’appuyant sur ce fait que les Athéniens avaient conquis le premier rang dans la Grèce aussitôt après avoir secoué le joug de la tyrannie[84]. Par malheur, ce tempérament ne fut pas de longue durée, pas plus chez les Athéniens qu’ailleurs. La grandeur et la puissance de l’État engendrèrent bientôt la corruption, en exaltant la confiance du peuple qui dès lors choisit .pour guides non les meilleurs citoyens, mais ceux qui s’entendaient le mieux à flatter les passions de la multitude. Le siècle de Périclès marque la limite entre l’Athènes glorieuse et couronnée de violettes, rempart de la Grèce, suivant les expressions de Pindare, et l’Athènes dans laquelle, d’après Isocrate[85], la démocratie dégénéra trop souvent en anarchie, la liberté en licence, l’égalité en une effronterie provocante. L’ancienne Athènes pouvait entretenir chez Périclès et chez les hommes politiques qui partageaient ses sentiments l’espoir qu’elle supporterait sans excès et sans dommages le régime de la démocratie pure, et en effet cette confiance ne fut pas trompée, tant que vécut Périclès. Le peuple, si libre qu’il fût, obéissait à sa voix. Comme dit Thucydide[86], on avait, sous le nom de, démocratie, le gouvernement d’un seul homme, niais cet homme était le premier citoyen du pays. Quand Périclès disparut, sans laisser de successeurs, la démocratie se révéla comme une institution funeste, qui finit par étouffer les vertus sans lesquelles elle ne peut être supportée. Nous avons assez fait ressortir les mauvais côtés de la démocratie, soit en général, soit en ce qui concerne spécialement Athènes, pour qu’il né soit pas nécessaire d’insister sur ce sujet. Même dans les temps qui ne sont pas les plus beaux de leur histoire, les Athéniens conservèrent toujours quelques traits de leur noblesse originaire. Nul autre peuple soumis à la même forme de gouvernement ne saurait offrir autant de grandes actions ni de caractères dignes de respect. Si l’on compare les actes du gouvernement populaire à la réaction passagère de l’oligarchie, nous faisons volontiers cause commune avec le dômes ; mais, nous ne pouvons disconvenir qu’une démocratie plus modérée eût été pour la nation un régime plus sain ; le mal est qu’elle n’était plus possible. Les remèdes imaginés par quelques hommes de bien, pour contenir la populace dans de justes limites, ou restèrent sans effet, comme la restitution à l’Aréopage du droit de surveillance générale, ou ne furent pas même mis à l’épreuve, comme la proposition de Phormisios, d’après laquelle la propriété foncière eût été la condition du droit de bourgeoisie. Denys d’Halicarnasse[87] calcule que ce projet n’eût guère atteint que le quart de la population, mais les radiations auraient porté sur les industriels, les artisans et les marins qui, à la ville et au Pirée, formaient la majorité des citoyens et neutralisaient dans les assemblées populaires les propriétaires fonciers que fournissaient les dêmes. Cette population à laquelle tenaient surtout la prospérité et la puissance maritime de l’État, et que l’on pouvait appeler l’armée de la démocratie, avait d’ailleurs une origine moins pure que la population rurale ; c’est à elle que pensait l’auteur du Traité sur le Gouvernement d’Athènes, en disant que cette ville offrait l’assemblage de toutes les langues et de toutes les mœurs[88] ; c’est elle encore qu’un autre écrivain[89] dépeint comme bavarde, rusée, médisante, prompte à copier les modes étrangères, tandis qu’il loue les habitants de la campagne d’avoir conservé la simplicité, le courage, la fidélité de leurs ancêtres. L’élément purement attique était rare en effet parmi les artisans et les marins ; la plupart descendaient d’affranchis et d’étrangers domiciliés qui tenaient entre leurs mains le commerce et l’industrie. Ces deus professions demandent à être examinées de plus près. L’Attique y était naturellement préparée, tant par sa situation que par la configuration du sol. Elle forme en effet une presqu’île, dont les côtes, richement découpées et pourvues d’un grand nombre de ports, donnent accès aux navires par tous les vents, et sont en communication facile avec l’intérieur du pays. Elle est voisine de contrées fécondes en produits divers et habitées par des populations civilisées, intéressées à faire des échanges, échanges d’autant plus nécessaires à l’Attique qu’elle ne pouvait se suffire chez elle. Parmi les objets qu’elle ne produisait pas en quantité suffisante, figurent les céréales. L’Attique ne pouvait subsister, s’il ne lui était venu du dehors à peu près le tiers de sa consommation. Les pays qui contribuaient surtout à son approvisionnement étaient les côtes de la mer Noire, particulièrement la Crimée, la Chersonèse de Thrace, l’Égypte, la Libye, la Syrie et la Sicile[90]. Pour s’assurer cet appoint on avait restreint par des lois prohibitives la liberté commerciale : ainsi pas un Athénien, citoyen ou étranger domicilié, n’avait le droit de transporter des grains ailleurs qu’en Attique. Aucun capitaliste ne pouvait prêter à la grosse aventure sur un navire ayant une autre destination ; enfin tout bâtiment qui entrait chargé de céréales dans l’άττικόν έμπόριον devait en laisser au moins les deux tiers sur le marché d’Athènes[91]. On prévenait l’accaparement en défendant aux particuliers d’en acheter à la fois plus de cinquante φορμοί ; les φορμοί étaient des paniers, équivalant environ à un médimne. Il n’était pas permis non plus de gagner sur chaque mesure plus d’une obole[92]. Il a été fait mention plus haut des Sitophylaques chargés de veiller sur le commerce des céréales. Les infractions à ces lois étaient punies de peines sévères, quelquefois même de la mort. Après les céréales, le bois, surtout le bois destiné à la construction des navires, tenait le premier rang parmi les articles d’importation ; on le tirait surtout de la Macédoine et de la Thrace, de même que la poix et les peaux[93]. Différentes îles de la mer Égée, particulièrement Chypre et l’Eubée, fournissaient le fer et le cuivre. On allait chercher les tapis et les laines artistement travaillées à Milet et en Phrygie. Les vins fins, car l’Attique n’en produisait que de médiocres[94], venaient surtout de Chios et de Lesbos, et subsidiairement des îles de Thasos, de Lemnos, de Chypre, de Rhodes, de Crète, de Cos et d’Icarie ; Mende et Scion, dans la presqu’île, de Pallène, pourvoyaient aussi à sa consommation[95]. Pour les poissons salés, qui formaient la principale nourriture du pauvre, les Athéniens étaient tributaires du Pont. Beaucoup d’autres objets, qu’il serait trop long d’énumérer, étaient importés des contrées les plus diverses, et le commerce auxquels ils donnaient lieu faisait d’Athènes, ainsi que Périclès l’en félicite[96], un entrepôt où affluait tout ce que les pays étrangers produisaient de choses nécessaires ou précieuses, de telle sorte qu’il n’était pas plus difficile de s’y procurer les substances exotiques que les produits nationaux. En échange de ces importations l’Attique avait peu de choses à offrir ; elle envoyait surtout à l’étranger de l’huile, et l’on raconte que Platon en fit commerce avec l’Égypte[97]. L’huile attique était en effet excellente. On a vu déjà que les oliviers de la Déesse étaient placés sous la protection spéciale de l’État. Nul n’avait le droit d’arracher des oliviers sur son propre fonds, si ce n’est pour des usages déterminés et jamais au delà d’un certain nombre. Il était permis de les couper de manière à ce que l’arbre pût repousser par le pied ; encore ne fallait-il pas le faire capricieusement ; il y avait des oliviers inviolables dont l’huile ne pouvait servir qu’aux sacrifices[98]. Un autre produit célèbre était les figues, que l’on servait jusque sur la table du grand Roi[99]. Puis venait le miel ; celui de l’Hymette en particulier était recherché, à cause du thym qui croissait sur cette colline. Le thym aussi était un objet de commerce, et aucun autre ne pouvait rivaliser avec celui de l’Attique. On assaisonnait même le sel avec du thym[100]. Le sel attique, à vrai dire, était plus réputé au sens figuré qu’au sens propre, mais celui-là ne se débitait pas au marché. Les Athéniens étaient fiers encore de la laine de leurs moutons[101], qui ne pouvait être travaillée qu’à l’intérieur du pays. La matière colorante des kermès figure également au nombre des productions de l’Attique[102]. Parmi les poissons, qui ne se prêtaient guère au transport, on recherchait les soles d’Eleusis, les sardines de Phaléron, les rougets d’Æxone[103]. Le Pentélique et l’Hymette livraient des marbres admirables aux architectes et aux sculpteurs ; il existait en outre dans le Laurion de riches mines d’argent dont il a déjà été question, et qui étaient pour l’État une source de revenus considérable, tout en laissant une part de bénéfice aux fermiers. Les détails manquent sur la manière dont étaient exploitées les carrières de marbre. Nous devons mentionner encore l’ocre dont se servaient les anciens peintres, et qui nulle part n’avait les mêmes qualités[104]. Mais les œuvres artistiques étaient par excellence les objets du commerce extérieur[105]. Les armes forgées et autres travaux de métallurgie, les ustensiles et les bijoux d’or et d’argent, les vases peints aux formes élégantes, les vêtements, les tissus, les objets mobiliers de toute espèce et, lorsque commença à se déployer l’activité littéraire, les livres, se répandaient dans toutes les parties du monde civilisé. Il y avait dans Athènes un marché aux livres où l’on trouvait à acheter non seulement des œuvres littéraires, mais des papiers d’État[106]. La supériorité des manufactures athéniennes s’explique par ce fait que la classe des artisans comprenait des hommes libres et même des citoyens. Le travail des esclaves est en général défectueux ; il ne faut leur demander ni habileté ni invention. Ce n’est que chez lès ouvriers libres que l’émulation peut trouver place ; quand du moins le maître met la main à l’œuvre avec ses esclaves, le travail s’en ressent. Aussi ne voit-on pas que le travail libre ait réclamé contre la concurrence du travail servile ; il était assez protégé par la supériorité de ses produits. Rien non plus ne prouve qu’aucune réglementation ait gêné la liberté des artisans[107]. L’activité industrielle était secondée par le mouvement de la navigation qui ne se bornait pas à transporter les marchandises indigènes, ou à rapporter les produits exotiques. La marine athénienne servait aussi d’intermédiaire au commerce international. Ce n’était pas seulement les étrangers domiciliés qui s’adonnaient à ce trafic ; les citoyens y prenaient part comme armateurs, et comme capitaines ou patrons : nous entendons par cette dernière qualité qu’ils commandaient un navire étranger moyennant salaire, ou un navire à eux appartenant, qu’ils louaient à d’autres ; dans ce cas l’équipage était surtout composé d’esclaves. Les propriétaires du navire étaient en même temps les commerçants. Le bâtiment pouvait appartenir à un seul ou être indivis entre plusieurs qui le frétaient en commun ; alors l’un d’eux faisait les traversées pour opérer les ventes et les achats, car il n’existait ni commissionnaires, ni consignataires, ni agio, et chacun était tenu d’acheter, de vendre et de régler ses comptes lui-même. Pour les armateurs, leur rôle consistait à prêter de l’argent au marchand qui leur abandonnait en garantie le navire ou le chargement, quelquefois l’un et l’autre[108]. En raison des risques que courait le prêteur, l’intérêt (τόκος νκυτικός) était fort élevé. Le taux de vingt et même de trente pour cent ne paraissait pas exagéré, surtout lorsque la somme était prêtée, non pas seulement pour le premier voyage (έτερόπλουν), mais pour l’aller et le retour (άμφοτερόπλουν). Afin d’éviter les contestations, on déterminait aussi exactement que possible, dans ces contrats à la grosse, les escales où devait toucher le navire, et lorsque les risques du retour entraient en ligne de compte, la nature et la valeur de la cargaison à rapporter. Dans le cas contraire, la dette devait être acquittée à l’arrivée du navire, et à moins que le prêteur n’eût sur les lieux quelqu’un qui pût le remplacer, il faisait lui-même le voyage, et tâchait d’utiliser la somme remboursée dans une nouvelle affaire. L’intérêt ne se mesurait pas seulement à l’importance des risques à courir ; il est aussi un indice des profits que dans des circonstances favorables le commerçant tirait de sa pacotille. Sans compter la sanction pénale stipulée généralement en prévision de la non-exécution du contrat, celui qui en aurait violé les clauses était sous le coup de lois commerciales très sévères. Le contractant, qui par des manœuvres déloyales enlevait au créancier son gage, pouvait être puni de mort ; pour un simple retard, il allait en prison, et le créancier était autorisé à se payer sur toute la fortune du débiteur, non pas seulement sur l’objet hypothéqué[109]. Les affaires commerciales devaient, par privilège, être jugées dans le délai d’un mois, mais elles ne suivaient leur cours que dans les mois d’hiver, où la navigation était interrompue, de peur que les opérations fussent entravées[110]. Pour les mêmes motifs, les citoyens adonnés au commerce maritime obtenaient facilement une dispense du service militaire, bien que cela n’allât pas de droit. On constatait ainsi l’utilité de cette profession, mais il ne faut pas croire pour cela qu’elle fût particulièrement en honneur. Les plaidoyers, qui sont en pareille matière la source la plus abondante, montrent que la loyauté ne réglait pas toujours les transactions. Il convient de mentionner aussi, eu égard au Concours important qu’ils prêtaient au commerce, les banquiers (τραπεζίται), qui étaient en même temps des changeurs et faisaient des affaires en grand, tant avec leurs propres capitaux qu’avec des fonds empruntés à un faible intérêt, qu’ils prêtaient à un taux beaucoup plus élevé[111]. Les capitalistes qui ne voulaient ou ne pouvaient faire valoir eux-mêmes leur argent le versaient entre les mains des banquiers qui leur inspiraient confiance, en se réservant la faculté de le retirer quand ils en auraient besoin. C’était aussi un moyen facile d’effectuer des payements. Il suffisait que celui qui avait à payer rayât la somme de son actif sur le livre du Trapézite, et la portât au crédit de celui qui devait la toucher. Comme la plupart des affaires d’argent se faisaient par l’intermédiaire des banquiers, et comme ils avaient la réputation d’être ponctuels, on leur remettait aussi en garde soit des espèces, soit des documents, et il arriva que des procès furent terminés en leur présence, et d’après leur témoignage. Ce n’est pas que l’on n’entendit parfois des plaintes sur les infidélités et sur les profits usuraires des banquiers ; en somme cependant ils satisfaisaient aux exigences de leur profession, fort utile ou plutôt absolument nécessaire à la circulation de l’argent[112]. Autant qu’on peut le constater, les τραπεζίται se recrutaient non parmi les citoyens, mais parmi les étrangers domiciliés, dont plusieurs, grâce à la notoriété et à la faveur qu’ils s’étaient acquise, obtinrent le droit de cité. C’étaient aussi des étrangers domiciliés qui en général pratiquaient le petit commerce sur le marché ou dans les boutiques. Ils payaient pour cela une patente, dont étaient exempts les citoyens qui se livraient à la même industrie. On sait que ce menu trafic était considéré comme un état infime, et ce discrédit était justifié. On ne saurait donc reprocher aux Athéniens leur dédain ; mieux vaut nous féliciter de ce qu’il n’en est plus ainsi de nos jours. Les Athéniens savaient comme nous que cette profession est nécessaire et peut être exercée honorablement ; sans cela, ils n’eussent pas manqué de l’interdire d’une manière formelle aux citoyens, et au contraire la loi accordait l’action d’injures (γρ. κακηγορίας) contre ceux qui avaient reproché à un citoyen ou à une citoyenne l’argent gagné sur le marché[113]. Les citoyennes de la classe pauvre pouvaient donc s’adonner à ce négoce et, à la condition de l’exercer loyalement, leur considération n’en souffrait pas[114]. Il paraît y avoir eu sur le marché une place spéciale (γυναικεία άγορά) où les marchandes se tenaient avec leur étalage[115]. Si le petit commerce n’était une ressource que pour quelques citoyens, le nombre des artisans était d’autant plus considérable. Xénophon nous montre Socrate conversant avec un jeune homme qui n’osait aborder la tribune, et lui rappelant pour l’encourager que la majeure partie de l’Assemblée était composée d’hommes illettrés, dont le jugement n’était pas bien redoutable[116]. Auriez-vous peur, dit-il, de foulons, de cordonniers, de maçons, de forgerons, de petits marchands ou de brocanteurs qui ne songent qu’à revendre cher ce qu’ils ont acheté bon marché, car voilà la population dont se compose l’assemblée du peuple. Solon rendit justice aux artisans en les dotant des droits civiques essentiels[117], contrairement à ce qui se passait dans les oligarchies. Il voulait attirer les pauvres à l’industrie, et avait donné commission à l’Aréopage de rechercher de quoi vivait chaque citoyen. Des peines étaient établies contre ceux qui, sans moyen d’existence, demeuraient oisifs. Thucydide fait dire dans le même sens à Périclès que ce qui est déshonorant à Athènes, c’est l’oisiveté, non la pauvreté[118]. Mais l’estime due aux travailleurs n’allait pas au delà, dans l’esprit des politiques les plus intelligents. Tous étaient frappés de ce fait que les professions manuelles faisaient tort au développement physique, aussi, bien qu’à la culture intellectuelle et morale, et que le souci quotidien du salaire s’accordait mal avec les devoirs de citoyen, la préoccupation des intérêts généraux et l’exercice désintéressé des magistratures. On peut adhérer à ce jugement, sans faire tort à une classe que ses services rendent digne de tous les respects. Depuis l’introduction du salaire, l’Assemblée souveraine, était régulièrement livrée aux artisans qui peuplaient la ville et le Pirée ; au contraire, les propriétaires fonciers, répandus dans la campagne et dans les dêmes, s’y rendaient rarement. Il ne faut donc pas s’étonner si les résolutions n’étaient pas toujours dictées par un patriotisme éclairé, et révélaient trop souvent l’indifférence pour le bien général et l’absence de vues politiques. Il suffit de suivre la carrière politique de Démosthène pour juger de quelle manière l’Assemblée souveraine usait de son autorité. Le plus souvent il parlait à des sourds, ou, si on lui faisait la grâce de l’écouter, on rendait ses conseils inutiles par des demi-mesures. Ce fut seulement quand le péril devint trop redoutable et trop présent pour ne pas frapper tous les esprits, que Démosthène put arracher au peuple une détermination vigoureuse, et l’amener à défendre dans une lutte décisive son honneur et sa liberté. |
[1] Plutarque, Agésilas, c. 15. Je donne à Démostrate la qualité d’orateur, parce que je le tiens pour le même que celui dont Plutarque, qui vivait à la même époque, parle dans deux autres passages (Alcibiade, c. 18, et Nicias, c. 12).
[2] Platon, les Lois, I, p. 642 C.
[3] Dans l’oraison funèbre que Thucydide lui fait prononcer à la fin de la première année de la guerre (II, c. 37).
[4] On peut conclure cependant d’un passage de Térence (Heautontim, IV, 1, 22) que ces actes de barbarie n’étaient pas absolument sans exemple.
[5] Comme dans la pièce de Térence citée ci-dessus.
[6] Voy. dans les Fragm. Comic. Gr., de Meinecke (t. IV, p. 516), un fragment de Posidippos, cité par Stobée (Florileg., tit. 77, 7), les objections que m’ont adressées à ce sujet quelques critiques paraissent dictées par des sentiments d’humanité plus que par des considérations critiques.
[7] Γνωρίσματα, voy. Becker, Chariklès, 2e édit., I, p. 342.
[8] Antiq. Jur. publ. Gr., p. 331, n. 2.
[9] Plutarque, Solon, c. 31 et 32.
[10] Άποκήρυξις ; voy. Att. Process, p. 432, et Philippi, dans les gelehrt. Anzeig. de Gœttingue, 1867, p. 781.
[11] Platon, Criton, p. 50 D.
[12] Dans l’Aréopagitique, c. 17 S 43 et suiv.
[13] Voy. le texte de loi cité par Démosthène dans le Disc. c. Macartatos, p. 1076.
[14] Plutarque, Solon, c. 22.
[15] Æschine, c. Timarque, p. 40 ; voy. aussi Att. Process, p. 334.
[16] Voy. Becker, Chariklès, 2e édit., II, p. 31.
[17] Platon, les Lois, VII, c. 15 p. 273 ; Galien, de Hippocr. et Platonis dogmat., VI, c. 4 (t. V. p. 315, éd. Kuhn) ; Jamblique, Vita Pythag., p. 111 et 164 ; voy. aussi Antiq. Jur. publ. Græc., p. 332, n. 13, et Opusc. acad., t. IV, p. 27.
[18] Dans le Protugoras, p. 326 B.
[19] Voy. les notes d’Hermann, sur le Chariklès de Becker, t. II, p. 38.
[20] Plutarque, Alcibiade, c. 2 ; Aulu-Gelle, 1. XV, c. 17 ; cf. Aristote, Polit., VIII, c. 6, §15.
[21] Dans la Politique, VIII, c. 7, § 1.
[22] Plutarque, de Musica, c. 30 ; cf. Platon, les Lois, p. 669 et 670.
[23] Voy. le de Republ. Athen., attribué à Xénophon, c. 2, § 10.
[24] Néméenne, V, v. 119 (89). L’invention de la Palestrique était attribuée à Thésée ou à son maître Phorbas : voy. Pausanias, I, c. 39, § 3 et le Schol. de Pindare sur le passage cité plus haut. Il parait cependant qu’il y avait aussi à Athènes des παιδοτρίβαι étrangers, car Diogène Laërte mentionne (III, c. 4.) un Ariston d’Argos, dont Platon avait visité la palestre.
[25] Voy. Becker, Chariklès, 2e édit., t. II, p. 163.
[26] Voy. Haase, dans l’Allgem. Encyclop., p. 191. Isocrate, de Mutat., § 181, considère la gymnastique comme une partie de la Pœdotribique, mais Hermann a expliqué (Gotting. Anzeig., 1844, p. 71) dans quel sens doit être pris ce passage.
[27] Voy. Leake, Topogr. d’Athènes, p. 214, et suiv. de la trad. franç. de Phocion Roque, 1869.
[28] Voy. Gœttling (Gesamm. Abhandl., t. II, p. 166) explique ce nom différemment.
[29] Plutarque, Thémistocle, c. 1.
[30] Voy. Leake, Topogr. d’Athènes, p. 149.
[31] Voy. Curtius, dans les Nachrichten ueber die G. A. Univers., 1860, n. 28, p. 337, et Stark, Heidelb. Iahrb., 1870, p. 644.
[32] Pausanias, I, c. 2, § 4, et c. 18, § 9.
[33] Voy. Bœckh, de Ephebia, progr. de l’année 1819, réimprimé dans les Arch. für Philol. de Seebode, 1828, 3e part., p. 78 et suiv.
[34] Platon, Alcib., I, p, 122 B, et les Lois, III, p. 700 ; Stobée, Floril., tit. 43, c. 95, et Excerpt. Flor., éd. Gaisford, t. IV, p. 49.
[35] Elles sont tirées des textes de lois insérés dans le discours d’Æschine, c. Timarque, et dont l’authenticité est contestée.
[36] Voy. par ex. Platon, Lysis, p. 206, et Charmidès, init. ; Théophraste, Caractères, c. 7 ; Xénophon, Sympos., c. 24, § 27.
[37] Voy. Corpus inscr. gr., n° 214 ; mais les Sophronistes mentionnés dans cette inscription n’étaient pas évidemment chargés de surveiller la jeunesse. Ils étaient désignés pour maintenir le bon ordre dans les assemblées que formaient les habitants de chaque dème aux jours de fêtes. Dans le discours de Démosthène, de falsa Legat., p. 433, il n’est pas question d’un fonctionnaire, et l’Axiochos attribué à Æschine le socratique ne prouve rien pour les temps antérieurs.
[38] Dinarque, c. Philoclès, § 15.
[39] Hypéride, fragm. du discours c. Démosthène, § 20 ; Corpus Inscr. gr., n° 466 ; Hesychius, s. v. άρχέλας.
[40] Voy. Meier, dans l’Allgem. Encyclop., t. III, 9,167. La pédérastie est traitée dans cet article d’une manière approfondie et complète ; je ne puis mieux faire que d’y renvoyer pour tout ce qui suit.
[41] Athénée, XIII, c. 12, p. 561 ; Cicéron, cité par Lactance, Instit. div., I, c. 20, § 11.
[42] De là le proverbe μήτε νεΐν μήτε γράμματα, έπί τών άμαθών ; voy. Diogenianus, cent. VI, 56, t. I, p. 278, éd. Leutsch.
[43] Platon, Lachès, p. 182 ; voy. aussi les notes de Haase sur Xénophon, de Republ. Lacædem., p. 219 ; Cron, Introd. au Lachès, p. 10 ; A. G. Winckelmann, Proleg. ad Euthydemum, p. XVIII et suiv.
[44] Platon, Euthyd., p. 273 ; Xénophon, Memor., III, c. 1.
[45] Aristote, Polit., VIII, c. 2, 53.
[46] Voy. Weclker, dans le Rhein. Museum., 1833, et Kleine Schriften, III, p. 393 ; mais voy. aussi Schanz, Beitr. zur vorsokr. Philos., t. I, p. 43.
[47] Voy. sur les honoraires, qui pouvaient s’élever jusqu’à 100 mines pour un cours complet d’éducation, Bœckh, Staatshaush., t. I, p. 171.
[48] Voy. Becher, Chariklès, t. II, p. 41.
[49] Voy. par ex. Démosthène, c. Spudias, p. 1030 et 1034.
[50] Voy. Becker, Chariklès, t. II, p. 84.
[51] Théophraste, Caractères, c. 22, avec les remarques de Casaubon, reproduites dans l’édit. de Ast, p. 197.
[52] Plaute, Aulularia, IV, 10, v. 64 ; voy. aussi les Adelphes et l’Hécyre de Térence ; cf. Cicéron, de Legibus, II, c. 14, § 36.
[53] Voy. Antiq. Jur. publ. Gr., p. 341, n. 9 ; Becker, Chariklès, t. III, p. 128 et suiv. ; Stallbaum, notes sur les Lois de Platon, II, p. 638 D.
[54] Xénophon, Econom., c. 7.
[55] Disc. c. Neæra, p. 1350. § 16.
[56] Voy. Becker, Chariklès, t. III, p. 284 et suiv.
[57] Harpocration, s. v. θήτες ; Photius, s. v. θήσσαι ; voy. aussi la loi citée dans le dise. de Démosthène c. Macartatos (p. 1067), qui à la vérité est suspecte. Ces mots de Térence (Phormion, II, 2, v. 681 : ut ne quid turpe civis in se admitteret propter egestatem, semblent indiquer le vrai sens de la loi.
[58] Voy. les remarques de Schœmann sur Isée, p. 263.
[59] Voy. Becker, Chariklès, t. III, p. 298 et suiv.
[60] Voy. Att. Process, p. 417 et suiv.
[61] Isée, Or. X ; voy. aussi les remarques de Schœmann, p. 339.
[62] Plutarque, Solon, c. 21 ; Démosthène, c. Stéphanos, II, p. 1133, et c. Olympiodore, p. 1183.
[63] Voy. der Att. Process, p. 420.
[64] Lysias, c. Théomneste, p. 3116, § 4 et 5.
[65] Démosthène, c. Aphobos, I, p. 814 ; c. Stéphanos, I, p. 1110, § 28 ; p. Phormion, p. 945, § 8. La négation non seulement de ce droit, mais aussi de celui de tester, contenue dans le second discours contre Stéphanos, n’est absolument pas admissible, et l’on doit se ranger à l’opinion de Meier, à savoir que le citoyen qui prononça ce discours intervertit les rôles, et attribua aux δημοποίητοι, qui souvent en effet sont appelés simplement ποιητοί, ce qui s’appliquait aux enfants adoptés, nommés proprement ποιητοί.
[66] Voy. der Att. Process, p. 413 et suiv.
[67] Voy. der Att. Process., p. 289 ; cf. Plutarque, Solon, c. 20.
[68] Voy. Platon, de Legibus, VI, p. 773 E.
[69] Il est certain qu’on ne connut pas à Athènes l’action appelée δίκη άγαμίου ; Voy. der Att. Process, p. 287, et Becker, Chariklès, t. III, p. 282.
[70] Voy. der Att. Process, p. 329 ; Lelyveld, de Infamia, p. 171.
[71] Andocide, c. Alcibiade, § 14. Voy. aussi les notes d’Hermann sur le Chariklès de Becker, t. III, p. 279.
[72] Athénée, I. VIII, p. 569 D ; Harpocration, s. v. πάνδημος Άφροδίτη ; cf. Hermann, ibid., t. II, p. 56. On lit dans saint Augustin (de Ordine, II, c.5) : aufer meretrices de rebus humanis ; turbaveris omnia libidinibus.
[73] Isée, Or. III, § 39.
[74] Voy. der Att. Process, p. 333.
[75] Plutarque, Solon, c. 23.
[76] Voy. der Att. Process, p. 322.
[77] D’après le texte de loi inséré dans le disc. de Démosthène contre Timarque, la peine prononcée aurait même été la mort ; mais voy. le même discours, p. 181.
[78] Voy. Antiq. jur. publ., p. 345. — Il y a lieu de rappeler ici la loi déjà mentionnée plus haut, d’après laquelle étaient frappés d’atimie les citoyens qui ne prenaient pas parti dans les luttes civiles, bien qu’elle n`ait guère pu être appliquée à la rigueur. Cette loi ne fut certainement pas rétablie, lorsque la démocratie reprit le dessus, après le renversement des trente ; c’est ce qui résulte du disc. de Lysias c. Philon, où l’inertie de ce personnage dans la dernière guerre civile lui est sévèrement reprochée, mais sans qu’il soit le moins du monde question d’atimie. Il y aurait eu intérêt cependant, bien que la loi fût tombée en désuétude, à ce que l’accusateur la rappelât et y cherchât un moyen de plus pour décrier Philon, surtout au chap. 27, où il eut été si naturel de la mentionner. Halbertsma, qui, dans sa dissertation de Magistr. probat. ap. Athen., Daventr., 1811, § 7, p. 41, conteste à Lysias ce discours, eut pu se faire un argument de cette omission.
[79] Voy. Meier, dans l’allgem. litter. Zeitung de Halle, 1827, n. 122, p. 135.
[80] Voy. ibid. p. 136 ; Bergk, dans la Zeitsch. f. geschicht. Wissensch. de Schmidt, t. II, p. 193 ; Hertzberg, Alcibiade, p. 171 et 214 ; Grote, Hist. de la Grèce, t. XII, p. 148, de la trad. franç.
[81] Platon, Gorgias, p. 502, B. C.
[82] Thucydide, II, c. 40 ; Athénée, IV, c. 14, p. 132, et X, c. 11, p. 417 ; Lucien, Nigrinus, c. 11 et suiv. Voy. aussi Bœckh, Staatshaush., t. I, p. 142. Eustathe, dans son Comment. sur l’Iliade (p. 1279, 40), mentionne l’autel de l’Άφέλεις et celui de l’Αιδώς, placés près du temple de la Déesse, en se référant à Pausanias, qui toutefois ne parle que du dernier (I, c. 17, §1).
[83] Thucydide, II, c. 37 ; Isocrate, Panathen., § 131 et 153.
[84] Hérodote, V, c. 78.
[85] Pindare, Fragm. 46 ; Isocrate, Aréopag., 20.
[86] Thucydide, II, c. 65.
[87] Denys d’Halicarnasse, Lysias, c. 32.
[88] De Republ. Athen., c. 2, § 8 ; Cicéron, Brutus, c. 74.
[89] Dicéarque, Descript. Græciæ, § 4, dans les Geogr. Gr., éd. Didot, t. I, p. 99.
[90] Voy. Bœckh, Staatshaush., t. I, p. 110 et suiv. ; Hüllmann, Handelsgesch. des Griechenl., p. 146.
[91] Vov. Bœckh, Staatshaush., t. I, p, 120, 79 et 116.
[92] Ibid., t. I, p, 116 et suiv.
[93] Ibid., t. I, p. 141 et 67.
[94] Un passage d’Aristophane (la Paix, v. 1162) nous apprend que l’on avait planté dans l’Attique des ceps de vigne tirés de l’étranger, en particulier de Lesbos.
[95] Voy Hüllmann, Handelsgesch., p. 18 et 153.
[96] Thucydide, II, c. 38 ; voy. aussi le traité de Republ. Athen., c. 2, § 7, et Isocrate, Panegyr., § 42.
[97] Plutarque, Solon, c. 2.
[98] Voy. la loi insérée dans le disc. de Démosthène c. Marcartatos, p. 1054.
[99] Athénée, XIV, c. 18, p. 652.
[100] Voy. Hüllmann, Hanelsgesch., p. 25 ; Becker, Chariklès, t. II, p, 265.
[101] Athénée, V, c. 60, p. 219, et XII, c. 57, p. 540.
[102] Pline, Hist. Natur., XXIV, c. 13
[103] Aristophane, Aves, v. 76 ; Pollux, VI, c. 63 ; Athénée, VII, p. 285.
[104] Pline, Hist. nat., XXXIV, c. 56.
[105] Voy. Wolf, dans son édit. du Disc. contre Leptine, p. 252.
[106] Aristophane, Aves v. 1289 ; voy. aussi Becker, Chariklès, t. II p. 113 et suiv. ; Bendixen, de primis qui Athenis extit. Bibliopolis, Husum, 1845 ; Sengebusch, Disert. Homer., p. 191 ; Polle, dans le Iharb. für Philol., 1868, p. 772, et Buchsensebütz, p. 572.
[107] Vov. Frohberger, de Opific. ap. Græc. condit., Grimma, 1866, p. 26.
[108] Voy. Hüllmann, Handelsgesch., p, 165 et suiv.
[109] Voy. Bœckh, Staatshaush., t. I, p. 184-189.
[110] Démosthène, c. Apaturios, p. 900.
[111] Ceux qui faisaient en petit le change des monnaies s’appelaient άργυραμοιβοί ou κολλυβισταί ; voy. Pollux, VII, c. 170. Au sujet des τραπεζίται, voy. Hüllmann, Handelsgesch., p. 185 et suiv. ; Bœckh, Staatshaush., t. I, p. 177, et Buchsenschütz, p. 590 et suiv.
[112] Un document épigraphique, qui ne paraît pas remonter au delà de la 152e Olymp., mentionne une δημοσία τράπεζα, sans laisser voir clairement si c’était une banque publique, ou un comptoir d’échange avec lequel l’État entretenait un compte courant, soit qu’il fait administré par des fonctionnaires, soit en vertu de contrats. La dernière opinion a été soutenue par Hermann, dans le Chariklès de Becker, t. II, p. 157 ; voy. aussi Buchsenschütz, p. 506. Le texte du document en question a été publié par Bœckh, dans le Corpus Inscr. Gr., n° 123, et dans Staatshaush., t. II, p. 356.
[113] Démosthène, c. Eubulide, p. 1308.
[114] On sait que la mère d’Euripide était marchande de légumes.
[115] Voy. Becker, Chariklès, t. II, p. 151.
[116] Xénophon, Memorab., III, c. 6.
[117] Plutarque, Solon, c. 22.
[118] Thucydide, II, c. 40.