§ 13. — Politique de Sparte. Bien que les Spartiates puissent être appelés à bon droit une nation militaire, il serait injuste de croire qu’ils fissent la guerre pour la guerre elle-même. Leur attitude, dans leur meilleur temps, était au contraire résolument pacifique. Partisans de l’aristocratie, ils suivaient une politique conservatrice, ne demandant qu’à garder le territoire qu’ils avaient conquis, et la place qu’ils s’étaient faite. Ils n’avaient nul goût pour les entreprises hasardeuses, et ne se souciaient pas de lâcher le certain pour l’incertain. Ils acceptaient même plus volontiers le reproche d’agir avec trop de circonspection que celui de prendre des résolutions précipitées[1]. Une nation qui ne s’attaquait pas à Sparte et ne lui portait pas ombrage, n’avais, rien à en craindre. Aussi tous les peuples qui étaient, animés en Grèce des mêmes sentiments aristocratiques et conservateurs faisaient-ils cause commune avec elle. La lutta qu’elle entreprit contre la Messénie, après avoir réduit la Laconie en sa puissance, à l’exception de la côte orientale, et qui se termina par l’écrasement de ses adversaires, n’avait pour principal motif ni le ressentiment d’une offense ni l’esprit de conquête[2]. C’était une guerre de principes, imposée surtout par la nécessité de détourner le danger qui de ce côté pouvait menacer la nation. L’existence de Sparte reposait en effet sur la soumission de la majorité conquise à la minorité conquérante. L’assujettissement des Hilotes et des Périèques aux Spartiates, conséquence de la défaite des Achéens et de la conquête dorienne, n’avait pas son pendant en Messénie. D’après les renseignements que nous possédons sur l’antique histoire de cette contrée, renseignements à la vérité fort rares, et enveloppés sous une forme mythique qui ne laisse place qu’à des conjectures incertaines[3], il paraît que les Doriens s’étaient proposé d’abord pour but d’exercer sur la population antérieure une domination analogue à celle qui s’établit en Laconie, mais que les Achéens, soutenus par leurs voisins et amis les Arcadiens ; en particulier pas ceux de Trapézonte, opposèrent aux prétentions doriennes une résistance plus sérieuse, Il en résulta une suite de combats, dans lesquels sans doute les Doriens ne purent s’entendre entre eux sur la part qu’il convenait de laisser aux Achéens, les uns acceptant, l’égalité, les autres voulant réduire leurs adversaires à la dépendance des Périèques. Les Spartiates étaient naturellement intéressés à l’issue de ces luttes, et l’on peut tenir pour assuré que la faction dorienne la plus hostile aux Achéens dut les appeler à son secours. Il est probable aussi que le nombre croissant de ; familles et des lots de terre qui de quatre mille cinq cents ou six mille, furent portés à neuf mille, sous le roi Polydoros, ne s’explique pas seulement par l’augmentation de la population dorienne en Laconie, mais aussi par l’accession des Doriens de Messénie qui vinrent grossir les rangs de la bourgeoisie spartiate. Les guerres de Sparte contre Tégée et d’autres villes voisines n’eurent pas non plus pour caisse unique l’ambition de s’agrandir ; elles furent surtout motivées par le désir de décourager les peuples limitrophes qui auraient pu être tentés d’appuyer sur les frontières les révoltes des Périèques. Les Spartiates furent moins encore guidés par la passion des conquêtes, lorsqu’ils repoussèrent les Argiens de l’île de Cythère et du littoral qui, d’après la configuration de la contrée, se rattachait naturellement à la Laconie. Dans les combats sanglants que se livrèrent par suite les deux nations jusque vers la guerre du Péloponnèse, les Spartiates n’apparaissent pas comme provocateurs. Après qu’ils furent parvenus à rendre leur puissance inattaquable, au dedans par la complète soumission des Périèques et des Hilotes, au dehors en faisant reconnaître par tous leurs voisins leur supériorité militaire, ils gagnèrent la confiance de tous les Grecs par la modération intelligente qui fut la règle de leur conduite el, par leurs sacrifices constants à l’intérêt général. C’était en effet un moyen facile de se distinguer des nations rivales, toujours livrées aux fluctuations des partis. Tous les hommes dévoués au principe aristocratique et conservateur devaient se faire les alliés de Sparte, qui les aidait de son côté soit a renverser les tyrans, soit à contenir la démocratie. Ainsi naquit d’elle-même entre les nations du Péloponnèse une fédération dont Sparte fut, de l’aveu général, la tète dirigeante. Cette union, sur laquelle nous aurons à revenir, et la place que Sparte y occupait, firent que dans la guerre Médique, lorsque la plus grande partie des Grecs s’associa pour conjurer le danger, Sparte fut sans conteste acceptée comme chef de la ligue, et par là même reconnue pour le premier des États grecs. |
[1] Voy. dans Thucydide (I, 68, 70 et 84) le tableau que les députés corinthiens tracent de la politique spartiate, et le langage que, longtemps après. Tite-Live met dans la bouche des Rhodiens (XLV, 33) ; cf. Isocrate, de Pace, 32, § 97.
[2] Éphore, cité par Strabon (VI, p. 279 c) ; Justin, III, 4 ; Pausanias, V, 4. § 2, et 5, § 1.
[3] On ne peut lire trop attentivement les indications empruntées à Éphore par Nicolas Damascène. Voy. les Fragm. histor. de Muller, t. III, p. 377.