ANTIQUITÉS GRECQUES

DEUXIÈME PARTIE. — LA GRÈCE HISTORIQUE — TROISIÈME SECTION. — CONSTITUTIONS DES PRINCIPAUX ÉTATS DE LA GRÈCE.

CHAPITRE PREMIER. — CONSTITUTION DE SPARTE.

 

 

Sparte se constitua en État dans les temps qui suivirent immédiatement la migration dorienne. D’après la légende, lorsque les Doriens eurent réussi à s’établir dans le Péloponnèse, leurs chefs, Téménos, Cresphonte et Aristodémos, tous trois frères et Héraclides, tirèrent au sort les pays dont se composait la presqu’île. A Téménos échut l’Argolide, Cresphonte eut la Messénie, Aristodémos la Laconie[1]. Il ne faudrait pas conclure de là que ces contrées avaient été, dès le début, conquises tout entières. Les progrès des vainqueurs durent s’accomplir peu à peu, et plus tard seulement les frontières furent tracées à la place où nous les trouvons dans les temps historiques. De la Laconie nous savons avec certitude que pendant longtemps toute la côte orientale, jusqu’au cap Maléa, n’en faisait pas partie, et appartenait aux Doriens de l’Argolide, sur qui les Spartiates la conquirent pièce par pièce. Ce peuple n’en devint définitivement le maître que vers le milieu du VIe siècle[2]. Il est probable qu’il n’y avait pas, à l’époque de l’invasion dorienne, de contrée désignée sous le nom de Messénie ; elle était du moins plus circonscrite qu’elle ne le fut depuis[3], car la côte occidentale appartenait, ainsi que l’extrémité sud de l’Élide ou Triphylie, au royaume de Pylos, gouverné par les Nélides, et la région plus vaste qui s’étend à l’est faisait partie de l’empire lacédémonien des Pélopides, auxquels l’enleva, précisément vers le temps de l’invasion dorienne, un prince descendant de Néleus, Mélanthos[4]. Cette circonstance sans doute ne fut pas inutile aux Doriens, et leur ménagea dans le pays des alliés dont l’appui servit à consolider la domination des Nélides. En même temps les Doriens d’Aristodémos, suivant le cours de l’Eurotas, pénétraient dans la partie du royaume des Pélopides qui se prolonge vers l’est, au delà du Taygète, et s’établissaient à Sparte. Sparte, à vrai dire, n’était pas la capitale de la contrée. Cet honneur appartenait bien plutôt à Amyclée[5], mais les deux villes n’étaient séparées que par une distance, de 20 stades, un peu moins d’une lieue. De là, favorisés par la situation politique du pays, les Doriens parvinrent à le soumettre tout entier. La Laconie, en effet, ne formait pas, sous les Pélopides, un tout homogène ; au-dessous de ces princes, il y en avait d’autres, qui étaient en quelque façon leurs vassaux, et exerçaient en diverses parties du pays une sorte de vice-royauté, comme cela se passait, avant Thésée, dans l’Attique. Lorsque les Doriens triomphèrent d’un chef suprême qui paraît avoir été alors Tisaménos, fils d’Oreste, les chefs subordonnés, au lieu d’engager une lutte sans espoir, préférèrent entrer en accommodement et conserver avec les descendants d’Hercule la position qu’ils occupaient vis-à-vis des Pélopides. Je ne vois aucune raison de déclarer purement imaginaire l’assertion d’Éphore, d’après laquelle le pays aurait été divisé en six districts, dont les chefs-lieux auraient été Sparte, Amyclée, Las, Ægys, Pharis, et un sixième dont le nom est perdu[6]. Ce qui me parait invraisemblable, c’est que cette division soit l’œuvre des conquérants doriens qui auraient pris soin eux-mêmes d’introniser les princes dans leurs domaines respectifs. La probabilité est qu ils les trouvèrent établis, et maintinrent leur autorité, en leur imposant la suprématie des Héraclides qui régnaient à Sparte. Le premier avec lequel ils conclurent cet accord dut être Philonomos, qui les avait aidés à soumettre ou à déposséder le Pélopide, souverain de la Laconie, et reçut Amyclée en récompense[7]. Le germe historique de cette légende est que, dans le territoire d’Amyclée, un parti nombreux se détacha des Pélopides, et se jeta entre les mains des Doriens. On peut entres autres citer les Minyens qui, d’après de sûrs témoignages[8], formaient un élément considérable de. la population, et auxquels appartenait sans doute Philonomos. Il y avait aussi en Laconie des Ægides, descendants de Cadmos, venus peut-être à la suite de la conquête qu’avaient faite de ce pays les Béotiens refoulés par les Thessaliens d’Arné[9]. Des mariages eurent lieu entre eux et les Héraclides. Argée, femme d’Aristodémos, était fille d’Autésion, qui se rattachait à la maison royale issue de Cadmos, lequel était aussi l’ancêtre des Ægides[10]. Ces données, dont nul assurément ne peut garantir la vérité littérale, valent au moins comme souvenirs d’un ancien rapprochement qui dut s’opérer entre les Héraclides et les 1%ides et fut con= sacré par l’épigamie. Mais, une fois qu’ils se furent solidement établis dans une portion de, la contrée, les Doriens confiants dans leur supériorité militaire, travaillèrent à transformer la prééminence que leurs rois s’étaient réservée sur les autres princes en une souveraineté oppressive, et exigèrent des actes de vasselages, auxquels les vaincus ne purent se prêter sans résistance. Il est probable que les Doriens n’élevèrent pas ces prétentions vis-à-vis de tous leurs subordonnés à la fois ; ils attendirent les occasions, et s’en prirent d’abord à ceux qui étaient les plus proches et les moins redoutables. Après une suite de combats, ils restèrent seuls maîtres, et assujettirent toute la population[11]. Ce fut à Hélos que les Achéens livrèrent leur dernier combat pour l’indépendance. Leur défaite les réduisit à une condition beaucoup plus dure que celle des premiers -peuples vaincus. Car tandis que ceux-ci n’avaient, sous le nom de Périèques, à regretter que leur liberté politique et en étaient quittes pour remplir auprès du vainqueur certains offices déterminés, les habitants d’Hélos perdirent du même coup la disposition de leur personne, et furent condamnés à labourer la terre comme esclaves, d’oit le nom d’Hilotes devint le nom commun de tous ceux qui successivement furent soumis à la même servitude, bien que, pour dire vrai, cette explication du mot Hilotes ne soit pas partout acceptée sans conteste[12]. La population de Sparte se décomposait donc en trois catégories Mes citoyens d’origine dorienne, la classe intermédiaire des Périèques, et les esclaves ou Hilotes. Avant de décrire la constitution de Sparte, nous examinerons les deux classes inférieures qui sont comme les assises de la bourgeoisie dorienne, en commençant par les Hilotes.

 

§ 1. — Les Hilotes.

L’opinion de quelques critiques modernes, que les Doriens avaient trouvé en Laconie une classe de paysans composés de Lélèges réduits en esclavage par les Achéens, ne doit pas être rejetée de parti pris[13] ; il faut reconnaître cependant qu’elle est en contradiction avec les témoignages exprès de l’antiquité. Les anciens en effet s’accordent à dire que l’esclavage imposé à tout un peuple ne remonte pas an delà des conquêtes thessalienne et dorienne[14]. On a vu plus haut qu’il n’y en a aucune trace dans la description de l’âge héroïque que nous a transmise Homère. Chez les Spartiates au contraire, du moment où fut achevée la soumission de la Laconie, ses esclaves ou Hilotes formèrent la majeure partie des habitants. Après la conquête de la Messénie, et l’asservissement, sauf de rares exceptions, de toute la population qui n’avait pas émigré, leur nombre est évalué à 175.000 pour le moins, et d’après un calcul plus probable, à 224.000[15], sur un ensemble de 380.000 à 400.000 âmes. Lorsque plus de la moitié de la Messénie échappa aux Spartiates, à la suite de la bataille de Leuctres, les Hilotes qui habitaient cette contrée redevinrent libres ; cela n’empêcha pas les Etoliens qui envahirent la Laconie, vers l’an 241, d’emmener 50.000 hommes[16] parmi lesquels les Hilotes devaient être en majorité, bien qu’un certain nombre de Périèques y pussent être compris. Ce fut moins, à vrai dire, un enlèvement qu’une désertion, les Hilotes ne demandant pas mieux d’échanger leur esclavage contre l’obligation du service militaire, qu’ils contractèrent vis-à-vis des Etoliens, ce qui fit dire à un Spartiate que les ennemis avaient rendu un office signalé à son pays, en le délivrant d’un aussi lourd fardeau. Cette masse d’opprimés qui n’était tenue dans l’obéissance que par la crainte et l’impossibilité de s’unir en vue d’efforts combinés, fut toujours pour les Spartiates l’objet d’une surveillance inquiète. On rapporte que chaque année, un certain nombre de jeunes Spartiates, dès leur entrée dans la vie publique, étaient envoyés de différents côtés, par les éphores, avec mission de se poster, sans attirer l’attention, dans des lieux favorables, et de rayonner de là aux alentours, afin de signaler tout ce qui leur semblerait suspect ou d’y mettre ordre eux-mêmes. Ces embuscades (κρυπτεία) étaient dirigées surtout contre les Hilotes, et plus d’une fois sans doute il arriva que l’on fît disparaître, sans forme de procès, ceux dont on redoutait les complots. Ces patrouilles donnèrent à des écrivains postérieurs occasion de dire que tous les ans on organisait une chasse aux Hilotes ou que l’on en faisait une boucherie, exagération trop absurbe pour mériter d’être contredite[17]. La κρυπτεία peut être considérée comme un service de maréchaussée ; les jeunes gens à qui en était confié le soin formaient en effet un corps dans l’armée. Il est avéré du moins que plus tard, sous le roi Cléomène III, un commandant de la κρυπτεία prenait part à la bataille de Sellasie (av. J.-C. 222)[18]. La crainte qu’inspiraient les Hilotes provoqua quelquefois des mesures plus condamnables que ces précautions de police. C’est ainsi que dans la guerre du Péloponnèse, il fut donné avis aux Hilotes, dont un grand nombre servait dans l’armée, que tous ceux qui croyaient s’être distingués pouvaient réclamer la liberté en récompense. 2.000 environ se présentèrent, ils furent conduits au temple couronnés de fleurs, et entendirent proclamer leur affranchissement, après quoi tous disparurent, sans que personne put savoir ce qu’ils étaient devenus[19]. Des faits analogues, quoique moins monstrueux, se produisirent à plusieurs reprises. Pour maintenir la domination d’un petit nombre sur une immense majorité, tout semblait permis. On n’ignorait pas ce que, dans l’occasion, on pouvait attendre des Hilotes. Ils étaient aux aguets, dit Aristote[20], épiant quelque désastre, et quiconque rêvait le renversement de la Constitution, comme Pausanias dans la guerre Médique, et un certain Cinadon, peu de temps après la guerre du Péloponnèse, pouvait compter sur leur concours[21].

Si l’esclavage n’était pas en lui-même un sort intolérable, la loi, quand elle n’était pas aggravée par des : cruautés de ceux qui l’appliquaient, ne faisait pas aux Hilotes une condition trop dure. Ils étaient chargés de labourer des terres qui lie leur appartenaient pas, mais ils ne devaient aux propriétaires qu’une part déterminée des produits, à savoir 82 médimnes d’orge (un peu plus de 40 hectolitres) et une quantité de vin et d’huile qu’on ne peut exactement préciser. On ne pouvait, sans s’exposer à la réprobation publique, en demander davantage ; le reste servait à leur entretien[22]. Nous ne savons ni l’étendue des terres sur lesquelles ces redevances devaient être prélevées, ni le nombre des Hilotes établis dans chaque domaine[23], mais l’intention du législateur était sans contredit qu’ils ne fussent pas foulés outre mesure, et qu’ils n’eussent pas à pâtir. On a vu plus haut que certains Pénestes thessaliens étaient devenus plus riches que leurs maîtres ; de même il n’était pas rare de voir des Hilotes posséder des biens en propre. Lorsque le roi Cléomène III promit la liberté à tous ceux qui pourraient verser 5 mines, soit environ 470 francs, il ne s’en trouva pas moins de 6.000 qui satisfirent à cette condition[24]. La loi qui interdisait au Spartiate d’exiger des Hilotes plus qu’il ne lui était dû ne lui permettait pas davantage d’en disposer comme on le faisait des esclaves. Il pouvait les appliquer à ses besoins personnels, il pouvait même, en cas de nécessité, réclamer les services de ceux qui n’habitaient pas sur son fonds[25], bien que cette règle comportât sans doute des restrictions, pour lesquelles les témoignages manquent ; mais personne n’avait le droit de tuer ni de vendre les Hilotes, pas plus que de les affranchir ou de les aliéner de quelque façon que ce fût. Ils étaient considérés comme une dépendance de la terre qu’ils cultivaient[26]. Seule, l’autorité publique avait le droit de les libérer ou de les détacher du sol, pour les employer à un autre usage. Aussi sont-ils désignés par d’anciens écrivains comme des esclaves publics, appartenant en propre à l’État[27]. Cette qualification, prise à la rigueur, ne peut s’appliquer cependant qu’aux Hilotes qui vivaient sur les propriétés de l’État, non à ceux qui habitaient des propriétés particulières ; car il n’est pas douteux, malgré l’absence de témoignages précis, que l’État entretenait aussi des Hilotes dans ses domaines. L’État utilisait les Hilotes à la guerre ; ils servaient d’écuyers aux hoplites, et devaient, pendant le combat, se tenir à proximité, prêts à enlever les morts et les blessés[28] ou à combler les vides[29]. Quelquefois ils combattaient armés à la légère de frondes et de javelots ; mais leurs fonctions n’étaient pas toujours aussi militaires : ils étaient chargés de pourvoir aux approvisionnements de l’armée ou d’exécuter des travaux de terrassements et autres semblables. Dans la guerre du Péloponnèse, lorsque les Spartiates se virent à la tête d’une flotte considérable, ils employèrent les Hilotes comme rameurs et comme soldats de marine (έπιδάται)[30]. Brasidas en conduisit 700 vers la presqu’île Chalcidique, et Agis en emmena 300 à Décélie. Plus tard, dans la guerre contre les Thébains, un appel fut fait aux Hilotes : tous ceux qui étaient prêts à servir comme hoplites n’avaient qu’à se présenter ; la liberté leur était promise en récompense[31]. C’était d’ailleurs une règle générale : quiconque avait servi comme hoplite était affranchi par là même.

De ces Hilotes affranchis pour prix de leurs services militaires, se forma la classe des Neodamodes, que l’on trouve mentionnés polir la première fois durant la guerre du Péloponnèse. Il ne parait pas qu’ils soient encore bien nombreux dans l’année 421, la 11e de la guerre, car ils sont tous envoyés, conjointement avec les Hilotes qui avaient combattu sous les ordres de Brasidas, pour défendre Lépréon contre les Éléens[32]. Quelques années plus tard (413), Eccritos conduit en Sicile une troupe de 600 hommes, formée avec l’élite des Hilotes et des Neodamodes. L’année suivante Gylippe n’emmena aussi à Syracuse que des Neodamodes et des Hilotes ; on ne dit pas quel en était le nombre. En 400, 1.000 Neodamodes environ suivent Thimbron en Asie, et Agésilas entreprend de porter la guerre en Perse avec 30 Spartiates, 2.000 Neodamodes et 6.000 auxiliaires[33]. On ne voit plus reparaître les Neodamodes après la période que comprend l’histoire de Xénophon. Sans doute les Spartiates ne jugèrent pas prudent de laisser se développer davantage une classe d’hommes qui ne devait son existence qu’aux nécessités présentes de la guerre. Tous les Hilotes affranchis pour services militaires prenaient-ils aussitôt rang parmi les Neodamodes, ou, comme quelques critiques l’ont prétendu, cette faveur n’était-elle accordée qu’à la seconde génération[34] ? Sans nous prononcer d’une manière formelle, nous croyons la dernière hypothèse peu fondée. Elle ne repose que sur deux passages de Thucydide[35], où les Neodamodes sont cités à côté des Brasidéens affranchis, mais cela ne prouve qu’une chose, c’est que l’affranchissement ne suffisait pas pour transformer les Hilotes en Neodamodes. Peut-être aussi le texte de Thucydide signifie-t-il simplement que les affranchis s’établissaient dans un lieu déterminé et formaient une communauté ou une corporation : il est dit que les Brasidéens pouvaient résider où ils voulaient. Il semble résulter de là que ce droit était refusé à d’autres et qu’ils devaient habiter sur les domaines publics, soit dans les villes des Périèques, soit dans les villages de l’État. On veillait, sans aucun doute, à ce qu’ils ne fussent pas réunis en trop grand nombre. Il est probable d’ailleurs qu’il leur était permis, de même qu’aux Périèques, d’exercer des industries ou de cultiver la terre, soit comme mercenaires soit comme fermiers. Peut-être même avaient-ils droit de posséder des biens fonds dans la zone occupée par les Périèques. Autrement, il fallait que l’État pourvût à leur subsistance. Sur toutes ces questions, nous ne pouvons nous prononcer, faute de documents. Ce qui est certain, c’est que les Neodamodes n’étaient pas admis dans la bourgeoisie spartiate, même à un rang inférieur[36]. Leur condition devait être très voisine de celle des Périèques, parmi lesquels vivaient probablement la plupart d’entre eux, sinon comme membres d’une même communauté, du moins comme subalternes.

Si des Hilotes reçurent la liberté par d’autres voies, ce fut sans contredit un fait rare, puisque, ainsi qu’on l’a vu plus haut, il ne dépendait pas des particuliers, mais de la puissance publique de les rendre libres. Très souvent, au contraire, on affranchissait les Mothaques. On appelait ainsi les enfants des Hilotes, que les Spartiates avaient fait élever avec les leurs. D’ordinaire, sinon toujours, ces enfants étaient nés du commerce des maîtres spartiates avec des femmes Hilotes, et nous voyons que plusieurs reçurent les droits civiques en même temps que la liberté[37]. C’était en particulier le cas de ceux que leur père légitimait en quelque sorte par l’adoption, et qui étaient gratifiés d’une part d’héritage suffisante pour soutenir leur rang de citoyen. Encore fallait-il évidemment pour cela 4a.dhésion des autorités compétentes. Nous savons d’ailleurs que généralement les adoptions étaient prononcées par les rois, par conséquent avec l’intervention de la puissance publique. Lysandre, fils de l’héraclide Aristocritos, et Gylippe, fils d’un Spartiate considérable, Cléandridas, étaient nés dans la classe des mothaques. Tous deux paraissent avoir joui pleinement du droit de Cité. Quant aux mothaques non légitimés, et laissés par conséquent en dehors de la bourgeoisie, on ne sait quelle place ils occupaient flans l’État.

Un cas très singulier d’affranchissement se présenta durant la première guerre de Messénie, entre 743 et 723, lorsque, à la suite de combats acharnés, un grand nombre de maisons menaçaient de s’éteindre. On accoupla, paraît-il, avec les filles ou les veuves des Hilotes qui de là furent appelés έπεύνακτοι, et considérés comme des hommes- libres, voire même comme des citoyens, bien que sans doute ils n’aient pas joui de tous les droits attachés à ce titre[38]. Quelques historiens présentent le fait un peu différemment[39], mais sans contredire la légende généralement admise d’un grand nombre d’enfants nés à cette époque d’unions illégitimes. Ces enfants furent appelés παρθενίαι. Ce furent eux qui, mécontents de ne pas marcher, en toutes choses, de pair avec les autres citoyens, prirent le parti d’aller fonder la colonie de Tarente.

Les affranchis qui n’appartenaient pas à la classe des Neodamodes sont désignés sous le nom de άφέται, libres, ou άδέσποτοι, sans maîtres[40]. Le plus grand nombre sortait non de la classe des Hilotes, mais ale celle des esclaves proprement dits, dont les Spartiates possédaient aussi un petit nombre, achetés à prix d’argent ou prisonniers de guerre.

 

 

 



[1] C’était une tradition nationale à Sparte qu’Aristodémos avait pris lui-même possession de la Laconie ; voy. Hérodote, VI, 52. Suivant d’autres témoignages, il serait mort avant d’arriver dans le Péloponnèse, et aurait laissé deux enfants, auxquels cette contrée serait échue lors du partage : voy. Apollodore, II, 8 ; Pausanias, III, 1, 55.

[2] Hérodote, I, 82 ; voy. aussi Schiller, Stæmme und Stædte Griech., II, p. 22 et III, p. 9. La possession de la Cynurie, qui formait l’extrémité septentrionale de cette côte, fut plus tard encore le sujet de querelles entre Argos et Sparte.

[3] La contrée appelée Messène, dans l’Odyssée (XXI, 15), est le pays qui entourait la ville de Phères ; voy. Ibid. III, 488, et Strabon, VIII, 5, p. 367.

[4] Strabon, VIII, p. 359.

[5] Voy. O. Muller, Dorier, I, 94.

[6] Strabon, VIII, p, 364. Curtius (Histoire grecque, t. I, p. 213 de la trad., franç.) propose, pour la sixième ville, le port de Bœæ ; d’autres préfèrent Geronthræ.

[7] Strabon, VIII, p. 365 ; Conon, Narrat., 36 ; Nicolas de Damas, dans les Fragm. hist. de Muller, III, p. 375.

[8] Voy. O. Muller, Orchomenos, p. 307 et 315.

[9] Voy. O. Muller, Orchomenos, p. 329.

[10] Hérodote, VI, 52 ; Pausanias, IV, 3, § 3.

[11] D’après Pausanias (III, 2, § 5 sq. ), les Spartiates soumirent d’abord Ægys sous le règne d’Archélaos et de Charilaos (887-827 av. J.-C), puis Pharis, Amyclée, Geronthræ, sous Téléclos (827-787) et enfin Hélos sous Alcamène, fils de Téléclos. Mais Pausanias parait croire que ces villes avaient déjà été soumises à Sparte, qu’elles s’étaient révoltées, et qu’à la suite de la seconde conquête, les habitants passèrent, en totalité ou en partie, de la condition de Périèques à celle d’esclaves ; c’est ce que semble indiquer l’expression ήνδραποδίσαντο.

[12] Voy. Schœmann, Antiq. Jur. publ. Græc., p. 108 sq. et Schiller, Stæmme und Stædte Griech., II, p. 19.

[13] Voy. par ex. O. Muller, Dorier, II, p. 34.

[14] Athénée, VI, p. 265 ; Pline, Hist. Nat., VII, 56.

[15] Voy. Clinton, Fasti Hellen., II, p. 413 (421 éd. Krüger), O. Müller, Dorier, II, p. 41 et Büchsenschutz, Besitz und Erverb. im Griech. Alterth., p. 139.

[16] Polybe dit à la vérité (IV, 34, § 3) : έξηνδρποδίσαντο τούς περιοίκους, sans indication numérique, mais Plutarque, qui avait les sources sous les yeux, est plus explicite : πέντε μυριάδας άνδραπόδων άπήγαγον (Cléomène, 18). Ce passage est de nature à lever les scrupules de Droysen (Hellenismus, t. II, p. 388). Sur la question de temps, voy. Schœmann, Proleg. ad Plutarchi Agida et Cleom., p. XXXI.

[17] Déjà Barthélemy, dans une note au XLVIIe chap. du Voyage d’Anacharsis, a combattu l’idée fausse que l’on se faisait de la κρυπτεία, et depuis, O. Muller en a fait si bonne justice (Dorier, II, p. 37 sq.) qu’il suffit de renvoyer à ce passage.

[18] Plutarque, Cléomène, 28. Nous aurons l’occasion de signaler plus loin un semblable service de gendarmerie fait par les jeunes Athéniens.

[19] Thucydide, IV, 80.

[20] Aristote, Polit., II, 6, § 2.

[21] Cornelius Nepos, Pausanias, 3 ; Xénophon, Hellén., III, 3, § 6.

[22] Plutarque, Instit. Lacon., 40.

[23] O. Muller (Dorier, II, p. 35) se livre à des calculs qui me paraissent reposer sur des bases trop peu sûres pour les reproduire ici.

[24] Plutarque, Cléomène, 23. Metropoulos (Untersuch. über das Lacedæm. Heerwesen, p. 34) combat sans raisons bien sérieuses le récit de Plutarque.

[25] Plutarque, Compar. Lycurgi cum Numa, 2, et Instit. Lacon., 10 ; Xénophon, de Republ. Lacedæm., 6 ; Aristote, Polit., II, 2, § 5.

[26] Éphore cité par Strabon, VIII, p. 365.

[27] Éphore, l. c. ; Pausanias, III, 20, § 6. Suivant d’autres, les Hilotes formaient une classe intermédiaire entre les hommes libres et les esclaves. Cf. Pollux, III, 83.

[28] De là les qualifications de άμπίτταρες pour άμφίσταντες, et de έρυκτήρες ; vov. Hesychius s. v. άμπιττ., et Athénée, VI, p. 271.

[29] Voy. Pausanias, dont le récit (IV, 16, § 3) est évidemment un souvenir de Tyrtée.

[30] Xénophon, Hellen., VII, I, § 12, d’après Myron, cité par Athénée (VI, p. 271) et Eustathe (ad II, XV, 431), ils étaient appelés δεσποσιοναΰται. C’est improprement que les Hilotes sont présentés dans cette occasion comme des affranchis ; mais régulièrement ils pouvaient recevoir la liberté, en récompense de leurs services.

[31] Thucydide, IV, 80 et VII, 19 ; Xénophon, Hellen., VI, 5, § 28.

[32] Thucydide, V, 34. Que tous ceux qui reçurent cette destination fussent des Neodamodes, c’est ce qui résulte de l’article joint à leur nom (μετά τών νεοδαμοών). Cet article en effet, ne peut s’expliquer autrement, les Neodamodes n’ayant pas encore été nommés.

[33] Thucydide, VII, 19 et 48 ; Xénophon, Hellen., III, 1, § 4, et 4, § 2, et Agésilas, I, § 7 ; Plutarque, Agésilas, 6.

[34] Voy. à ce sujet l’édition de Thucydide par Poppo, t. III, 3, p. 529.

[35] V. 34 et 67.

[36] Tous les passages anciens relatifs aux Neodamodes parlent simplement de liberté, non de droits civiques. Leur nom même, nouveaux Damodes, ne permet pas d’admettre qu’ils fussent citoyens au même titre que les Spartiates ; voy. Schœmann, de Spartanis Homocis, Gryphiæ, 1855 (Opusc. acad., I, p. 131.)

[37] Phylarque, cité par Athénée VI, p. 271 (cf. les Fragm. Hist. de Muller, I, p. 347). Il n’y a aucun compte à tenir du témoignage d’Elien (Var. Hist., XII, 43), d’après lequel tous les Mothaques auraient été citoyens. Des assertions telles que celles que Xénophon (Hellen., III, 5, § 12) prote aux ambassadeurs de Thèbes, à savoir que Lacédémoniens mettaient des Hilotes à la tête des villes, en qualité d`harmostes, étaient évidemment calomnieuses et ne doivent s’entendre que de gens pris dans la classe des Mothaques. Cf. Isocrate, Panégyr., § III.

[38] Théopompe cité par Athénée, VI, p. 271 C. (Muller, Fragm. histor., I, p. 310) ; Justin, III, 5, § 4.

[39] Antiochus cité par Strabon, VI, p. 278, et Éphore, Ibid., VI, p. 279. (Muller, Fragm. hist., I, p. 184 et 247.)

[40] Athénée, VI, p. 271.