ANTIQUITÉS GRECQUES

DEUXIÈME PARTIE. — LA GRÈCE HISTORIQUE — DEUXIÈME SECTION. — DOCUMENTS HISTORIQUES SUR LA CONSTITUTION DES ÉTATS PARTICULIERS.

CHAPITRE SEPTIÈME. — CHUTE DE L’OLIGARCHIE.

 

 

Les causes de cette révolution sont en général faciles à deviner : l’oligarchie est de sa nature sujette à la corruption. Une longue habitude du pouvoir enfante chez les membres de la classe privilégiée la sensualité et l’arrogance, Ils perdent par Leurs mauvaises mœurs la considération du peuple, et le blessent dans les sentiments que pas un homme de cœur ne laisse offenser, le respect des femmes et des enfants. Partout ils laissent voir qu’ils sont dirigés non par la pensée du bien public, mais par leur intérêt et leur passion. En un mot ils démentent de plus en plus cette supériorité morale qui est le caractère de la véritable aristocratie, et qui seule peut faire accepter à la multitude la domination du petit nombre. Telles sont les causes générales qu’un ancien historien assigne à la ruine de l’oligarchie[1]. Elle rend sa chute d’autant plus inévitable, lorsqu’elle se flatte d’avoir raison par la violence des populations irritées, comme on te raconte des Penthilides qui parcouraient les rues de Mytilène, en frappant à coups de massue tous les citoyens qui leur déplaisaient[2]. On devine bien que, dans tel ou tel pays, des motifs particuliers s’ajoutèrent aux causes générales. Par exemple les oligarques, qu’une même pensée eût dît animer, pouvaient ne pas s’entendre entre eux ; une partie des privilégiés pouvaient tenter de s’élever au-dessus de leurs égaux, et les pousser ainsi à se tourner du côté du peuple. Dans certains Mats la loi défendait que le fils et le père, ou les frères exerçassent simultanément les mêmes magistratures ou fissent partie d’un même collège dirigeant. Il en citait ainsi à Cnide, à Istros, à Héraclée[3]. De là, dans la classe élevée, un certain nombre de mécontents qui firent cause commune avec le peuple pour renverser la Constitution. Il faut tenir compte aussi des désastres qui affaiblirent le parti des oligarques, comme à Tarente, où beaucoup d’entre eux succombèrent dans la guerre contre les Japyges, et à Argos, où les chefs furent forcés, à la suite d’une bataille contre Cléomène, d’appeler au gouvernement, pour remplir les vides, des hommes pris en dehors de leur caste[4]. La nécessité de résister aux entreprises de l’ennemi peut contraindre aussi de donner des armes au peuple, et on sait que le peuple armé devient exigeant. Les événements se précipitent encore, lorsque les privilégiés sont en grand nombre atteints par des revers de fortune, car une noblesse ruinée ne se fait ni respecter ni craindre. Enfin, quand le peuple, par une augmentation de bien-être, s’est élevé à un plus haut degré de culture et de dignité morale, il ne veut plus supporter d’être exclu de toute participation aux affaires publiques. Dans les cités où les institutions ont une tendance timocratique, le progrès du bien-être peut à lui seul et sans secousses violentes opérer la conversion de l’oligarchie en démocratie. Il suffit que le cens qui représentait jadis la richesse, ait été mis avec le temps à la portée du grand nombre, et que les conditions donnant accès aux fonctions publiques n’aient pas été modifiées. Or, il est certain que le cens ne fut pas élevé proportionnellement dans tous les pays où cela eût été nécessaire pour maintenir le pouvoir entre les mains du petit nombre[5].

 

 

 



[1] Polybe, VI, 8, § 8 et 9.

[2] Aristote, Polit., V, 8, § 13.

[3] Aristote, Polit., V, 5, § 2. Comme plusieurs villes portaient le nom d’Istros et d’Héraclée, on ne peut savoir quelles sont celles qu’Aristote avait en vue.

[4] Aristote, Polit., V, 2, § 8.

[5] Aristote, Polit., V, 5, § 11, et 7, § 6.