Nous ne possédons aucune notion sur l’état social et les relations du peuple grec, avant le temps que les poésies homériques nous retracent, sinon avec l’exactitude de l’histoire, du moins avec le charme d’une vérité poétique et saisissante. Tout ce qui a précédé est caché sous un voile impénétrable, en l’état actuel de nos connaissances ; c’est à peine si quelques points particuliers peuvent fournir matière à des hypothèses plus ou moins vraisemblables. Les anciens, pour qui, en Grèce aussi bien qu’ailleurs, la race humaine était sortie du sein de la terre, fécondée par la force créatrice de la chaleur céleste, se représentaient naturellement les populations autochtones de cette contrée comme plongées à l’origine dans une complète barbarie, d’où elles avaient été tirées, soit par le concours de divinités favorables ou d’hommes privilégiés, soit par l’influencé d’autres peuples, parvenus à un plus haut degré de civilisation[1]. Niais la science moderne, qui ne saurait reconnaître de populations autochtones, dans le sens où l’entendaient les anciens, nous enseigne que la Grèce avait reçu ses habitants de l’Asie, patrie originaire, sinon du genre humain tout entier, du moins de la race qui a peuplé toute l’Europe, la race caucasique. Quand et par quel chemin eurent lieu les premières migrations d’Asie en Europe, c’est ce qu’il n’est pas prudent même de conjecturer[2]. Sans doute il semble qu’il dut être fort simple pour des peuplades asiatiques de tourner les côtes du Pont-Euxin et de gagner la Grèce par la Thrace et la Macédoine, ou d’y aborder à travers les îles qui forment comme une chaîne entre l’Asie et l’Europe ; malheureusement, il est hors de doute que la configuration actuelle de ces contrées diffère de leur forme primitive, que des cataclysmes ont déchiré d’anciens continents, et substitué à la terre ferme le Pont-Euxin, la mer Égée et les îles. Les anciens eux-mêmes ont mentionné ces révolutions, dont l’idée leur avait été suggérée par l’aspect des lieus, ou s’était fixée dans leur esprit comme un souvenir des temps antérieurs ; car rien n’autorise à croire que, à l’époque où se sont produits ces événements géologiques, les contrées qu’ils ont bouleversées fussent désertes. Il n’est pas non plus facile de décider si les premiers habitants de la Grèce appartenaient à la même branche de la race caucasique que ceux qui nous sont connus historiquement, ou si quelque rameau, peut-être de souche celtique ou illyrienne, n’a pas été étouffé par lés nouveaux arrivants. Celui auquel se rattache la nation grecque paraît avoir été très intimement uni, à l’ouest, avec les peuples de l’Italie qui parlaient les langues ombrienne, osque et latine ; à l’est, avec les habitants de l’Asie Mineure, les Cariens, les Lélèges, les Mæoniens et les Phrygiens, dont les idiomes, bien que très peu connus, le sont assez cependant pour nous révéler une parenté beaucoup plus étroite avec la langue grecque qu’avec les langues sémitiques[3]. Il n’y a nulle raison de se représenter les émigrants, au moment de leur arrivée en Grèce, comme plongés dans un état de sauvagerie dont ils se seraient affranchis par leurs propres efforts, ou à l’aide de secours étrangers. Il est très sûr, au contraire, qu’ils avaient apporté au moins les premiers éléments de la civilisation, que certaines notions ne leur faisaient pas défaut, non plus que la pratique des arts les plus nécessaires, qu’ils avaient quelque idée d’organisation sociale, et possédaient un fonds de croyances religieuses et de traditions légendaires. Dans leur nouveau séjour, cette somme de connaissances dut s’accroître et prendre un caractère national, sous l’influence des conditions dans lesquelles ils se trouvèrent placés, tout en laissant subsister les traits qui rappelaient leur patrie originaire. Un observateur attentif ne pouvait pas en effet n’être pas frappé des qualités communes aux Grecs et aux Asiatiques. Il est plus difficile de démêler les ressemblances qui doivent être attribuées à la parenté des races, et celles qui proviennent de communications postérieures. Pour les Grecs eux-mêmes, les premiers habitants de lotir pays étaient des Pélasges ; au moins cette dénomination est-elle de toutes la plus répandue. Il n’y a guère de localité sur le continent ni d’îles dans la mer Égée, où le nom de Pélasges ne serve à désigner des populations antérieures. Ces populations, nous les rencontrons également à l’ouest en Italie, à l’est sur les côtes de l’Asie Mineure. Appartiennent-elles toutes en réalité à une seule et même nation ? Il n’est pas aisé de le dire, et les renseignements que nous fournissent les anciens sont plus propres à nous induire en erreur qu’à nous éclairer. Les uns regardent les Pélasges comme des barbares, absolument étrangers aux Hellènes, ou n’ayant du moins avec eux que des rapports de parenté fort lointains ; pour d’autres, les Pélasges sont les ancêtres des Hellènes, et constituent même un peuple hellénique[4]. On ne peut guère admettre qu’une nation aussi répandue que devaient l’être les Pélasges, d’après le relevé de toutes les contrées qu’ils habitaient, se soit partout désignée elle-même sous un nom unique. L’histoire enseigne que les noms collectifs des peuples ne furent, au début, que les noms particuliers de quelques peuplades qui n’étaient pas en général les premières à se les appliquer, et les reçurent tout faits d’étrangers avec qui elles étaient en relations. A mesure que le temps s’écoula, ces noms se propagèrent. Où se produisit d’abord celui de Pélasges, à qui fut-il attribué dans le principe ? questions inutiles ; nous ne savons pas même sûrement à quelle langue il appartient. Les efforts tentés pour le faire venir du grec sont si peu décisifs que chacun peut se passer la fantaisie de chercher dans quelque autre idiome une étymologie, qui ne sera ni plus ni moins plausible[5]. Il va de soi que le sanscrit, la langue du Konx om pax védique, dut être la première à laquelle on s’adressa[6]. Quelques critiques assurent avec une confiance naïve que le mot est sémitique, qu’il signifie émigrants, et s’applique aux Philistins ou Phéniciens qui, chassés de l’Égypte, se dispersèrent dans les îles et sur les côtes de la mer Égée[7]. Il est loisible à chacun de prendre son plaisir où bon lui semble, mais tout critique sérieux et de bonne foi se reconnaîtra hors d’état d’expliquer d’une manière certaine le nom des Pélasges. Quand on établirait qu’il a la même racine que πέλοψ ou πελαγών, on aurait gagné peu de chose, puisqu’il resterait à éclaircir le sens de ces mots. Bornons-nous à dire ce qui nous parait hors de cloute : que le nom de Pélasges, appliqué d’abord à quelqu’une des populations répandues originairement en Grèce, devint plus tard, lorsque les Hellènes occupèrent tout le pays et lui donnèrent leur nom, la dénomination générale de toutes les populations qui les avaient précédés, abstraction faite des véritables rapports ethnographiques. Cette dénomination est si peu précise qu’elle peut comprendre à la rigueur les Philistins ou Phéniciens, et que des peuples portant des noms particuliers et considérés habituellement comme distincts des Pélasges, par exemple les Lélèges, les Caucones et les Thraces, ne doivent pas être réputés moins pélasgiques que des Pélasges spécialement désignés comme tels[8]. Les Hellènes, que l’on oppose à leurs devanciers, n’étaient sans doute eux-mêmes que l’un des anneaux dont se composait la chaîne des populations unies par une commune origine et le nom générique de Pélasges. Dans Homère, le nom d’Hellènes ne s’applique qu’au peuple ou à une partie du peuple qu’Achille a conduit à Troie. Celui d’Hellas désigne une ville ou une contrée située dans la partie méridionale de la Thessalie, et souvent nommée à côté de Phthia, d’où cette partie de la Thessalie s’est appelée plus tard Phthiotis[9]. L’ensemble de la Thessalie est pour Homère la plaine pélasgique, Άργος[10]. C’était en effet une opinion répandue chez les critiques de l’antiquité, que cette région était le berceau des Pélasges, tandis que certains d’entre eux considéraient les Hellènes comme des étrangers venus de l’ouest. Aristote, à qui il faut bien accorder que ses informations reposent sur des données sérieuses, a entendu parler d’une antique Hellas, située en Épire, aux environs de Dodone, près des bords de l’Achéloüs, dont le cours se serait déplacé depuis[11]. Ce fut dans ces lieux que se produisit, toujours d’après Aristote, le cataclysme désigné par le nom de Deucalion, et bien qu’il ne dise pas expressément que la migration des Hellènes en fût la conséquence, il n’est pas douteux que telle ait été sa pensée. Deucalion, en effet, était regardé, en tant que père d’Hellen, comme la souche du peuple hellénique. D’après quelques historiens[12], Deucalion aurait envahi la Thessalie, à la tête d’une horde composée de Curètes, de Lélèges et de populations groupées autour du mont Parnasse. Ce récit peut facilement se concilier avec celui d’Aristote ; il suffit d’admettre que les Hellènes, après s’être dirigés vers les pays situés au sud de l’Épire, vers l’Acarnanie et l’Étolie, où Aristote signale aussi la présence des Curètes et des Lélèges, auraient, grossis de ces peuplades, franchi le Parnasse, et repris de là leur course vers la Thessalie[13]. Il n’est pas douteux qu’avec le temps la race hellénique se soit répandue hors de la Thessalie ; mais comment et dans quelle proportion s’opérèrent ces progrès, c’est ce qu’il est impossible de déterminer. Sans doute, les bandes qui avaient pénétré en Thessalie s’y étaient trouvées à l’étroit, et n’avaient pu toutes s’y établir d’une manière durable. Les Hellènes, cités avec les Myrmidons et les Achéens comme habitants de la Phthiotide et sujets de Pélée[14], n’étaient évidemment qu’un faible reste de la multitude d’hommes que suppose la légende de Deucalion. D’autres avaient été forcés d’aller plus loin ; de ce nombre sont les hordes qui, conduites en Attique par un personnage connu dans la fable sous le nom de Xonthos, et accueillies comme des alliés par les anciens habitants de racé pélasgique ou ionienne, en guerre avec les Chalcodontides de l’Eubée, se fixèrent au nord, dans la région appelée Tétrapolis[15]. Doivent être considérés aussi comme de race hellénique les Doriens, qui d’après la narration d’Hérodote, errèrent longtemps dans les diverses parties de la Thessalie, puis réunis à une troupe d’Achéens chassés antérieurement du Péloponnèse, finirent par pénétrer dans cette péninsule, sous la conduite de chefs se prétendant tous issus du héros achéen Héraclès, et en soumirent une grande partie[16]. Cette invasion, qui paraît avoir été de quatre-vingts ans postérieure à la guerre de Troie, et dut par conséquent avoir lieu vers l’an 1104 avant notre ère, se rattache naturellement à une autre expédition accomplie peu de temps auparavant, celle des Thessaliens d’origine épirote, qui s’emparèrent du pays auquel ils ont donné leur nom, et en refoulèrent ou en domptèrent les habitants. Les Béotiens, de race éolienne, sont seuls cités nominativement parmi les populations qui furent forcées de céder la place. Ils se retirèrent dans la contrée qui s’appela depuis Béotie, parce que, sans en être les seuls habitants, ils étaient les plus forts. Il est au moins vraisemblable que la migration des Doriens dut être une des conséquences de l’invasion thessalienne. Les changements apportés par la migration des Doriens dans les relations du Péloponnèse, et les déplacements des peuples qui, à la suite de cet événement, se réfugièrent dans les îles et sur les côtes de l’Asie Mineure, sont des faits assez généralement connus pour que nous lés passions sous silence, sauf à y revenir dans la mesure où notre sujet le comportera. Il suffit actuellement de remarquer que, depuis cette époque les populations établies en Grèce y conservèrent leurs demeures sans changements notables, et qu’après ces grands mouvements et les révolutions qui partout durent en être la suite, il se produisit une période de repos durant lequel le nouvel état de choses put s’affermir et se développer. On ne risque guère en faisant dater de cette époque la prédominance de l’élément hellénique. Hérodote signale les Doriens comme des Hellènes, par opposition avec les Ioniens, qu’il range parmi les Pélasges[17]. Chez Homère, qui, on l’a vu plus haut, rie nous présente les Hellènes que comme occupant un coin de terre dans la Thessalie méridionale, c’est surtout le nom d’Achéens qui désigne l’ensemble de la nation[18]. Or, les Achéens sont, sans contredit, un peuple pélasgique, en tant que les Pélasges sont opposés aux Hellènes, car on sait que les Hellènes ne sont eux-mêmes en réalité qu’un rameau distinct de la race pélasgique. Si, après que le nom d’Hellènes eut acquis tant d’éclat, on fit honneur aux Achéens d’une descendance hellénique, il n’y a pas lieu d’attacher plus d’importance à cette fiction qu’à celle qui transforme aussi les Ioniens en descendants des Hellènes. A côté de ces généalogies mises surtout en vogué par les poèmes hésiodiques, assez de traces subsistent de vues tout à fait différentes, moins en désaccord avec la vérité. Il est très vraisemblable qu’avant l’avènement des Hellènes les Achéens avaient obtenu sur les autres populations pélasgiques une supériorité semblable à celle qui fut plus tard dévolue aux Hellènes ; mais il n’est pas possible de fournir des preuves à l’appui de cette conjecture. Pour les Hellènes, ils se présentent à nous comme une population vigoureuse et guerrière qui, après avoir fait irruption hors de l’âpre et montagneuse Épire, et s’être rapidement acquis la prépondérance sur les Pélasges moins aguerris, mit dans plusieurs contrées ses chefs en état de s’emparer de la domination et de forcer les anciens maîtres à la retraite. On comprend que des peuples, à la tête desquels s’étaient placés des souverains de race hellénique, se soient eux-mêmes appelés Hellènes et que, lorsqu’ils eurent acquis la supériorité sur leurs rivaux, ce nom ait paru le plus propre à désigner un ensemble de nations auquel manquait encore une appellation commune. C’est ainsi que le nom d’Achéens se trouve généralisé dans les poésies d’Homère. Des populations qui en réalité n’avaient rien d’hellénique, telles que les Arcadiens, les Épéens, les Ioniens et une foule d’autres, réunis sous la dénomination vague d’Éoliens, se sont volontiers laissé prendre pour des Hellènes ; mais à la différence du nom des Achéens qui, après avoir perdu son sens générique, demeura encore le nom particulier de deux peuplades établies au nord du Péloponnèse et au sud de la Thessalie, celui des Hellènes disparaît tout à fait comme désignation spéciale. Les Hellènes proprement dits prirent partout les noms des pays où ils étaient devenus les maîtres, et s’étaient fondus avec la population primitive, de sorte que ce qui était autrefois un signe distinct ne servit plus qu’à désigner collectivement toutes les tribus de la Grèce, confondues avec eut dans une grande association nationale. De l’époque antérieure aux Hellènes datent quelques monuments répandus sur divers points de la Grèce, qui témoignent d’un assez haut degré de civilisation, et dont une partie étonnent par leur caractère imposant. Tels sont les ouvrages attribués par la tradition aux héros des temps primitifs, en particulier à Héraclès, grâce auxquels furent assainis et défrichés des pays qui n’auraient eu sans cela ni laboureurs, ni habitants[19] ; des routes faisant communiquer des contrées séparées par des montagnes inaccessibles, routes que les héros achéens d’Homère suivaient sans encombre en chariots, et dont les parties détruites sont remplacées aujourd’hui par des sentiers à peu près impraticables[20] ; enfin des portes, des tombeaux et des lieux de dépôts pour les trésors des rois, constructions grandioses et quelquefois colossales, bâties en pierres polyédriques par les Cyclopes, pour complaire à quelque souverain des temps qui ont précédé l’histoire. Pausanias signale le Trésor de Minyas, à Orchomène, et les murs de Tirynthe comme des œuvres dignes de rivaliser avec celles des Égyptiens[21]. Si exagérés que soient ces éloges, les restes encore existants des constructions cyclopéennes, par exemple les murs de Mycènes et la Porte aux Lions, le Trésor d’Atrée et d’autres monuments épars çà et là, sans compter les murs de Tirynthe déjà cités, prouvent qu’à une époque dont il est impossible de percer l’obscurité, des rois puissants avaient à leur disposition les forces énergiques d’un peuple laborieux, et étaient en mesure d’exécuter des travaux qui, sans témoigner d’un art avancé, supposent la continuité d’efforts d’autant plus surprenants qu’il n’existait pas alors de machines propres à les alléger. La haute antiquité nous a transmis un autre legs, non moins énigmatique que ses monuments ; je veux dire le large courant de traditions fabuleuses qui, malgré les altérations qu’elles ont trop souvent subies, se sont transmises toujours vivantes de générations en générations. Des exploits par lesquels les hommes rivalisent avec les dieux, des races de Géants et de Cyclopes que l’on n’a pas revues, des héros aux prises avec les monstres, des expéditions lointaines entreprises à travers des mers inconnues, par convoitise ou par vengeance, des maisons royales souillées de crimes et vouées aux malédictions célestes jusque dans leurs derniers descendants, tels furent les sujets de ces légendes, matière inépuisable que la poésie des âges suivants ne s’est pas lassée de reproduire sous les formes les plus dramatiques, où les idées les plus diverses ont trouvé leur symbole. Quel fut à l’origine le fondement de ces fables, de quelles pensées ces imagés vivantes sont-elles l’enveloppe et l’expression, de quels souvenirs réels nous ont-elles conservé la trace ? C’est ce qu’on ne saurait déterminer avec certitude qu’en un petit nombre de cas. On peut être assuré du moins que les plus anciens poètes qui nous les aient conservés, Homère et ses successeurs, ont emprunté leurs sujets à un passé déjà loin d’eux. Si consommé qu’ait été Homère en l’art de donner à ses récits l’accent et la couleur de la réalité, il fait entendre clairement, dans un grand nombre de passages, que les événements dont il s’inspire se sont passés à des époques reculées, que les héros qu’il met en scène appartiennent à une race plus forte que ses contemporains. Plusieurs des fables qu’il a reproduites portent aussi des indices d’où il est permis de conclure qu’elles n’ont pas pris naissance sur le sol de la Grèce, que les Grecs les devaient à leurs communications avec l’Orient et n’avaient fait que se les approprier, ou qu’ils avaient du moins apporté (le l’Asie, leur premier berceau, le germe d’oie devait sortir le riche et brillant épanouissement de leurs traditions mythologiques. Cette dernière conjecture est celle qui s’applique au plus grand nombre de leurs fables ; les légendes, dont on peut affirmer qu’elles sont empruntées aux Orientaux, Phéniciens ou Égyptiens, sont, relativement rares. La majeure partie se révèle au critique impartial comme l’œuvre spontanée de la nation grecque, sans trace de provenance égyptienne ni phénicienne, alors même que les premiers germes de ces fables datent d’un temps où les Grecs vivaient encore sur le sol asiatique, parmi des peuples de même race, auxquels ils devinrent de plus en plus étrangers, si bien que plusieurs n’étaient plus pour eux que des barbares. Ce n’est pas à dire que les Grecs n’aient eu, avant la période hellénique, de grandes et nombreuses obligations aux Orientaux, en particulier aux Phéniciens, et ne leur aient emprunté beaucoup de notions relatives aux sciences et aux arts. Les Phéniciens, nous le savons par d’irrécusables témoignages, possédaient divers établissements dans les îles de la mer Égée et sur les côtes du continent grec. Dans l’île de Chypre, ils avaient fondé Cition et plusieurs autres villes ; en Crète s’étaient réfugiées des bandes de Philistins, une des divisions de la race phénicienne, qui, après avoir gouverné pendant quatre siècles et demi une partie de l’Égypte, sous le nom d’Hycsos, en avaient été chassés par les souverains nationaux. Des Phéniciens s’étaient établis en outre à Rhodes, à Théra, à Mélos, et plus au nord, à Lemnos, à Samothrace, à Thasos, où ils exploitèrent les premiers de riches mines d’or. Il est acquis historiquement qu’ils possédèrent Cythère, dans le golfe de Laconie, et s’y adonnèrent à la pêche des coquillages qui produisaient la pourpre, et à la teinturerie[22]. Les progrès que fit peu à peu sur toute l’étendue de la Grèce le culte de la déesse adorée dans cette île, d’Aphrodite-Ourania, sont la preuve manifeste que les Grecs reçurent des Phéniciens, en même temps que des marchandises, des idées et des pratiques religieuses. On peut donc admettre sans difficulté qu’ils leur empruntèrent le culte dont les Cabires étaient l’objet à Lemnos et à Samothrace. Le nom même de Cabires paraît s’expliquer plus aisément par les étymologies phéniciennes que par les étymologies grecques[23]. Il ne faut cependant pas méconnaître que pour les Cabires, comme pour Aphrodite, des éléments indigènes se mêlèrent aux cléments étrangers. De même que l’image sous laquelle était personnifiée là déesse de Cythère et les honneurs qu’on lui rendait s’étaient confondus avec la représentation et le culte d’une divinité grecque symbolisant les mêmes idées, des dieux dont l’origine grecque est incontestable furent associés aux Cabires phéniciens. C’est une erreur dont nous devons soigneusement nous garder, bien que les anciens y soient tombés eux-mêmes, de considérer tout ce qui a trait au culte des Cabires comme étranger à la Grèce et d’origine purement phénicienne. Il est impossible de déterminer le nombre des colons phéniciens établis dans les îles et sur les côtes de la Grèce. En plusieurs points, ils n’avaient sûrement installé que de simples comptoirs pour les besoins de leur commerce, sans chercher à étendre leurs possessions et à fonder de véritables colonies ; mais il est possible qu’ailleurs ils l’aient tenté avec succès. Quoi qu’il en soit, les Grecs estimaient que déjà la prédominance des Phéniciens avait reçu une atteinte avant l’avènement des Hellènes. Bien que Minos, le fabuleux roi de Crète, qui devança de trois âges d’homme la guerre de Troie et, d’après les Grecs, soumit et colonisa les îles de la mer Égée, alors au pouvoir des Cariens et des Phéniciens[24], puisse être considéré lui-même comme une personnification de la domination phénicienne, il n’est pas moins vrai que les poèmes homériques, le plus ancien document qui jette quelques lueurs sur les relations extérieures des Grecs, ne renferment aucune trace d’établissements phéniciens dans les îles ou sur les côtes de la Grèce. Il n’est question que des marchands phéniciens qui, en portant leurs marchandises dans ces pays, se livraient par occasion à la piraterie, et enlevaient des habitants[25]. Les écrivains postérieurs mentionnent, il est vrai, quelques colonies importantes qui, parties de la Phénicie ou de l’Égypte, se seraient établies en Béotie, en Argolide et en Attique. Mais ces témoignages, soumis à un examen sérieux, perdent tout caractère historique[26]. D’après Hérodote, Cadmos était le fils d’un roi tyrien, Agénor, envoyé par son père à la recherche de sa sœur Europa. Après avoir erré longtemps, ce prince aurait abordé en Béotie, et bâti une forteresse qui de son nom se serait appelée Cadmée. Il y a bien plutôt lieu de croire que, dans les légendes primitives des peuples pélasgiques, Cadmos était considéré comme un dieu législateur, qui s’appliquait à ordonner le monde naissant. Quand ces légendes s’altèrent ou s’obscurcissent, le dieu se transforme en héros ; mais, comme tel, il devient exclusivement grec. On né salue en lui un étranger venu de Phénicie qu’à l’époque où se manifeste chez tous les peuples grecs une disposition à faire remonter en Orient les obscurs débuts de leur histoire et de leur culture. Cette tendance avait une cause générale et des causes particulières. Les Grecs avaient été forcés de reconnaître que des deux civilisations, la civilisation orientale était la plus avancée en âge. De là il n’y avait pas loin à conclure que la plus jeune tirait son origine de la plus ancienne. En outre, certaines institutions religieuses, dont les Grecs eux-mêmes avaient perdu le véritable sens, offraient avec celles de l’Orient des ressemblances qui semblaient confirmer cette filiation. Lorsque, après l’établissement des colonies grecques, les relations avec l’Orient devinrent plus actives, et ne se bornèrent plus aux visites des marchands phéniciens, quand les Grecs de leur côté se rendirent fréquemment en Phénicie, attirés non seulement par des intérêts commerciaux, mais par le désir de s’instruire, on se laissa aller trop complaisamment à des conclusions erronées. Du mélange des légendes répandues en Phénicie, d’après lesquelles des habitants de cette contrée auraient jadis émigré vers l’ouest, se forma le réseau confus et bigarré des fables qui se rattachent au nom de Cadmos. Le nom même de ce personnage qui rappelait le mot sémitique Kedem, Orient, pouvait disposer à le prendre pour un Phénicien, d’autant que le mot grec avait disparu de l’usage journalier, et que sa signification d’ordonnateur, comme synonyme de κόσμος, était tombée en oubli. Le nom de Cadmos est aussi purement grec que celui de sa femme Harmonia. Il est vrai que quelques modernes ont eu l’idée singulière de considérer le nom même d’Harmonia comme un emprunt fait à l’étranger[27]. Tout aussi mal fondée est l’opinion d’après laquelle Danaos serait venu de l’Égypte. Son nom, dont l’étymologie grecque rend facilement compte[28], et la fable qui se rattache à ses filles sont une allusion au sol aride de l’Argolide. La légende qui faisait descendre Danaos d’Io, adorée chez les anciens Argiens comme divinité de la lune et de l’air, et que des Grecs voyageurs avaient cru retrouver dans l’Égyptienne Isis, avait conduit naturellement à faire de ce héros un Égyptien réfugié en Grèce[29] ; niais cette hypothèse ne fut mise en avant qu’à une époque où l’Égypte, devenue plus accessible, avait été souvent visitée par des Grecs[30]. Cécrops enfin n’est désigné comme Égyptien par aucun témoignage antique. Jusqu’à la période alexandrine, on ne voit en lui qu’un héros autochtone d’Attique ou de Béotie. Le poétique récit dans lequel Platon suppose une vieille parenté entre les Égyptiens et les Athéniens, et raconte la victoire des Athéniens sur les habitants de l’Atlantide, ainsi que la disparition de cette île engloutie par l’Océan, ne saurait être raisonnablement admis comme reposant sur d’antiques documents égyptiens. Une ressemblance éloignée dans les noms, démentie d’ailleurs par des significations différentes, n’autorise pas davantage à confondre la déesse de Saïs, Neith, avec l’Athéna des Grecs. Le rapprochement de Neith et d’Athéna et tout-le récit de Platon sont cependant le premier fil à l’aide duquel Théopompe, contemporain d’Alexandre et des deus premiers Ptolémées, a imaginé le conte d’une colonie égyptienne abordant en Attique, que l’on s’avisa plus tard de placer sous la conduite de Cécrops, présumé natif de Saïs. La créance que les historiens ont donnée depuis à ces chimères pouvait être excusable à une époque de foi robuste, où la critique historique était désarmée. Mais qu’aujourd’hui, après que l’on en a constaté l’inanité, un pareil système ait encore des champions, que l’on indique à l’appui de cette rêverie les ressemblances susceptibles d’être signalées entre les plus anciens monuments de l’art grec et l’art égyptien, que l’on prétende démontrer l’établissement de colonies égyptiennes par l’existence en Grèce de constructions pyramidales, d’aussi grossières méprises n’ont d’autre explication que le besoin maladif de retrouver partout la Grèce en Orient[31]. A cette idiosyncrasie doit être aussi attribué le parti pris de faire remonter aux Orientaux, non pas seulement des institutions, des connaissances, des inventions isolées, ce qui n’est contesté par personne, mais tout l’ensemble de la civilisation grecque. Les symboles religieux surtout auraient été sans exception empruntés à l’Orient, en particulier à l’Égypte. La mythologie grecque n’est plus, suivant cette coterie, que la caricature du système savamment combiné par la sagesse des prêtres égyptiens, lequel ne serait arrivé à la connaissance des Grecs qu’en lambeaux mal compris et détournés violemment de leur sens primitif. De là, cet écheveau embrouillé de fables insignifiantes et contradictoires, où l’on peut à peine démêler quelque chose du caractère conséquent et profond dont les avaient empreintes leurs auteurs. La doctrine égyptienne, dont on se flatte aujourd’hui d’avoir retrouvé le secret, serait seule apte à nous révéler le vrai sens des représentations mythologiques adoptées par les Grecs, et même des idées spéculatives émises plus tard par les penseurs de la Grèce sur les dieux et les choses divines. Ln un mot, l’Égypte serait l’unique source de la philosophie grecque et plus généralement de toute la philosophie occidentale[32]. Par malheur, de cette antique sagesse sacerdotale attribuée à l’Égypte, il ne reste, après un mûr examen, qu’un arrangement factice, produit moderne d’une fausse érudition mise au service d’une opinion préconçue, et qui de données inexactes bu inintelligibles déduit ce qu’il lui plaît et invente le reste, sans avoir égard à la différence des époques et des procédés intellectuels. Ce que l’on peut affirmer avec vérité se réduit à ceci : lorsque l’Égypte et l’Orient, devenus plus accessibles, furent mieux connus des Grecs, quelques-uns d’eux furent tellement frappés par divers côtés du culte et de la mythologie orientale qu’ils s’emparèrent de ces éléments étrangers, et tentèrent de les confondre avec les symboles, les cérémonies et les mythes de la Grèce. Ce fut la mission que se donnèrent en particulier les Orphiques, ainsi nommés parce que, dans le désir de placer les doctrines nouvelles sous la protection de l’antiquité, ils les présentèrent comme les révélations de mystères légués jadis par le chantre de la Thrace à un petit nombre d’adeptes[33]. Aristote était déjà d’avis qu’il n’y avait jamais eu de poète du nom d’Orphée[34], et des critiques compétents déclaraient que le plus important des poèmes répandus sous son nom sortait de la fabrique d’un pythagoricien nommé Cercops, qui n’est certainement pas antérieur à la seconde moitié du VIe siècle avant notre ère, et qu’un autre était l’œuvre d’Onomacrite, contemporain de Cercops. Orphée est évidemment un personnage mythique, aussi bien que tous les soi-disant prophètes des temps antéhistoriques, Musée, Eumolpe, Linos et Thamyris, créations imaginaires, auxquelles donna prétexte lé grand sens religieux des Thraces. Ces populations, qui avaient fondé des établissements sur plusieurs points de la Grèce, avant la domination des Hellènes, se faisaient honneur d’avoir consacré l’Hélicon aux Muses et d’avoir institué le culte de Dionysos. Elles n’avaient d’ailleurs aucun rapport avec les Thraces des temps historiques. Le nom seul est commun, et paraît avoir été transporté aux nouveaux venus, parce que ces barbares pénétrèrent dans les contrées situées au nord de la Grèce, où les anciens Thraces avaient eu, leur siège principal[35]. L’opinion qu’une part de la sagesse égyptienne se serait propagée jusque chez les Thraces antéhelléniques et se serait répandue de là dans la Grèce ne saurait être partagée que par ceux qui se flattent encore de découvrir en Thrace les vestiges des expéditions de Rhamsès ; rien n’eût empêché, en effet, ce conquérant d’apporter avec lui, par la même occasion, la religion et la sagesse de l’Égypte. Cet abus de la critique qui refuse à la culture grecque toute espèce d’originalité, et présente le peuple le plus ingénieux de la terre comme bornant modestement ses efforts à façonner et à dénaturer des éléments étrangers, dispose à excuser ceux qui, par esprit de représailles, nient d’une manière absolue les influences de l’Orient sur la Grèce. C’est un extrême opposé à l’autre, mais encore celui-ci est-il moins éloigné de la vérité. Tout ce qui, parmi ces influences et ces communications, est hors de doute se réduit à des faits particuliers et le plus souvent à des apparences extérieures, qui n’ont pour le fond même de la civilisation qu’une importance secondaire : On peut affirmer que les Grecs, dans tous les cas, seraient devenus ce qu’ils ont été. Ce qu’ils ont reçu des barbares, ils se le sont rendu propre, et l’ont développé librement, dans le sens de leur nationalité et de leur génie. Le bienfait le plus précieux que les Grecs doivent incontestablement à l’Orient, est la connaissance de l’écriture. Les noms et les formes des lettres ne permettent pas en effet de mettre en doute l’origine phénicienne de l’alphabet grec ; mais il saute aux yeux que les Grecs purent apprendre à lire, sans que Cadmos ou quelque autre ait conduit une colonie dans leur pays. On ne saurait déterminer-en quel temps l’écriture fut connue en Grèce[36] ; ce qui est de toute évidence, c’est qu’elle n’y devint pas un instrument effectif de civilisation avant le VIIe siècle. L’écriture put être appliquée plus tôt à des notations succinctes ; elle ne s’étendit pas à d’autres usages, et ne put devenir, antérieurement à cette époque, le point de départ d’une littérature. Suivant le témoignage des anciens, il n’y eut pas de lois écrites avant Zaleucus ; or, le recueil de lois qu’il donna, dit-on, aux Locriens Épizéphyriens remonte environ à l’an 664[37]. Nous pouvons nous dispenser de résoudre ici la question de savoir si les plus anciens monuments de la poésie grecque conservés jusqu’à nous, les poèmes homériques, ont été composés et répandus avec le secours de l’écriture, ou s’ils n’ont existé pendant plusieurs siècles que dans la mémoire des hommes, les partisans de la première opinion reconnaissant eux-mêmes due l’usage de l’écriture dut rare borné à un petit nombre de privilégiés. Quelques critiques même sont d’avis qu’elle ne fut appliquée qu’à des fragments détachés des poèmes homériques[38]. En admettant qu’il existât, dans le VIIIe ou le IXe siècle, des exemplaires écrits de quelques parties de l’Iliade ou de l’Odyssée et même de ces poèmes entiers, il y a loin de cet emploi restreint de l’écriture aux compositions écrites qui commencèrent de se répandre à partir de Phérécyde de Syros, vers l’an 600. On ne peut établir que l’écriture soit devenue d’un usage général, et ait pris place dans l’éducation de la jeunesse, avant le VIe siècle[39]. Dans l’État qui se montra toujours le plus rebelle aux nouveautés, à Sparte, le progrès fut plus lent encore. Tout le monde, au moins tous les hommes libres apprenaient depuis longtemps à lire et à écrire dans le reste de la Grèce, que la plus grande partie de la noblesse dorienne était encore, sous ce rapport, au même point que les héros de la guerre de Troie, tels que nous les représente Homère. Le système des poids et mesures, que nous trouvons établi en Grèce, dès le temps où commencent à se dégager des notions plus précises, était, aussi bien que l’écriture, d’origine orientale. Le nom même de l’unité de poids et de monnaies, μνά, n’est pas grec, mais sémitique. Ce fut seulement vers le milieu du vin, ou plus vraisemblablement du vue siècle que le roi argien Phidon introduisit ce système en Grèce[40]. Personne n’en conclura, j’espère, que les Grecs fussent restés jusque-là sans poids ni mesures d’aucune sorte. Une semblable conjecture, si elle tentait de se produire, serait facilement réfutée par Homère[41]. L’intérêt du commerce avec l’Orient fut sans nul doute le mobile qui détermina Phidon à répandre en Grèce le système perfectionné que déjà toutes les contrées orientales avaient emprunté aux Babyloniens. Si l’usage ne s’en était pas répandu plus tôt, c’est qu’apparemment on n’en avait pas senti le besoin, d’où il y a lieu de conclure, une fois de plus, que certains critiques se sont exagérés l’activité des relations commerciales qui ont pu régner de bonne heure entre la Grèce et l’Orient[42]. |
[1] Voy. Schœmann, Antiq. juris publici Græcorum, p. 53.
[2] Schœmann, Antiq. juris publici Græcorum, p. 54. Voy. aussi Pott, dans l’Allgem. Encyclop. der Wissensch. und Künse, t. II, 18, p. 22 et suiv.
[3] Plusieurs savants modernes admettent, mais sans raisons suffisantes, l’origine sémitique des Cariens. Cette opinion est en désaccord avec les témoignages des anciens qui les représentent comme unis de parenté aux Lélèges qu’ils avaient soumis. Voy. Hérodote, I, 971, et VII, 93. Voy. aussi Schœmann, Antiq. juris publ. Græcorum, p. 40. L’épithète de Βαρβαρόφωνοι, appliquée aux Cariens par Homère (Iliade, II, 867), ne suffit pas à prouver une différence d’origine entre ces peuples et les autres auxiliaires des Troyens, et l’on ne peut guère clouter que les Lélèges appartiennent aux populations pélasgiques. L’hypothèse la plus raisonnable est de considérer les Cariens comme les Lélèges mêlés, dans une forte proportion, de Phéniciens et de populations analogues, ce qui expliquerait comment leur langage était en partie grec ou voisin du grec, et en partie sémitique ; voy. Strabon, XIV, 2. Sur la langue des Cariens, on peut consulter Iablonsky, Opusc., t. III, p. 91, et Lassen, dans la Zeitsch. der Morgenlænd. Gesellschaft, t. X, p. 368.
[4] Schœmann, Antiq. juris publ. Græcorum, p. 36 et suiv.
[5] On a fait venir le mot πελασγοί : de πέλω et άργος, ce qui voudrait dire habitants de la plaine (O. Muller, Orchomenos, p. 125) ; du même mot άργος, et de έλος pour πέλος, marécage (Voeleker, Mythol. des Japet. Geschtechtes, p. 350 et suiv.) ; de πέλα, peut-être pour πέτρα, ou de πάλας, pour πάρος, ce qui donnerait πέτρα γεγαώτες, nés sur les rochers, ou πάρος γεγαώτες, ancêtres (Pott, Etymol. Forsclamgen, 1re édit., t. I, p. XL). Le passage suivant de Strabon (l. VII, fragm. 2, p. 274, édit. Didot) : πελιγόνας καλοΰσιν οί Μολλοττοί τούς έν τιμαΐς, ώσπερ έν Λακεδαίμονι τούς γέροντας, peut aussi fournir matière à quelque hypothèse ingénieuse. D’autres, non moins bizarres que les précédentes, ont été recueillies dans le même ouvrage de Pott, p. 132. Enfin, il s’est trouvé clos critiques qui, rattachant πελασγοί à πέλαγος, voient dans les Pélasges des hommes d’outre mer. Pour d’autres, ce sont des hommes îles bois. Citons encore la plus récente de ces fantaisies, qui consiste à tirer πελασγοί de πέος, et de λάς ! Voy. Bachofen, Græbersymb., p. 357.
[6] D’après Hitzig (Urgeschichte und Mythol. der Philister, p. 44), les Pélasges sont les hommes blancs, du mot sanscrit balaxa, par opposition aux Phéniciens ou hommes rouges, et aux Éthiopiens ou hommes noirs.
[7] Le mot Pélasges viendrait alors de Pelischti, originairement Pelaschi, étranger (Roth, Abendlænd. Philosophie, p. 71 et rem., p. 8, n° 25) ; voyez aussi Maurophrydès, dans le Philistor, I, p. 5, et en sens contraire, B. Stark, Gaza und die Philistæische Künste, p. 116 et suiv. Il y a longtemps, du reste, que Swinton avait cru reconnaître dans les Pélasges des Phéniciens chassés de l’Égypte. Le critique qui a rendu compte de son livre dans les Nova Acta erudit., Lips., 1774, p. 395, aime mieux y voir des Welches (Walisci-Welasci), c’est-à-dire des Celtes.
[8] Par exemple les Tyrrhéniens, dont le nom vient très vraisemblablement de τύρσις, lieu fortifié, en allemand Burg, et peut, par conséquent, être rapproché du nom des Burgondes germaniques, sur lesquels on fera bien de consulter Zeuss, die Deutschen und ihre Nachbarstæmme, p. 133.
[9] Iliade, II, 683 ; IX, 395 ; Odyssée, XI, 1196, et Thucydide, I, 3.
[10] Iliade, II, 631 ; Strabon, IX, 5, p. 430.
[11] Aristote, Meteorol., I, 14.
[12] Denys d’Halicarnasse, Antiq. rom., I, 17.
[13] Strabon, VII, 7, p. 321 (p. 267, éd. Didot).
[14] Iliade, II, 634.
[15] Schœmann, Antiq. juris publ. Græcorum, p. 163, et Opusc. academ., t. I, p. 159 et 163.
[16] Schœmann, Antiq. juris publ. Græcorum, p. 104.
[17] Hérodote, I, 56.
[18] Le nom d’Achéens signifie, d’après une conjecture assez vraisemblable nobles, excellents. Voy. O. Muller, die Dorier, t. II, p. 528, et Prolegom. zur Mythol., p. 291 ; Pott, Indogerm. Sprachstudien, dans l’Encyclopédie d’Ersch et Gruber, p. 65, et Gladstone, Studies on Homer, 1858, t. I.
[19] Pausanias, VIII, 14 ; Catulle, LXVIII, v. 109.
[20] Il est juste cependant de signaler les doutes émis par Hercher (Hermes, I, p. 265), sur le voyage que Télémaque aurait fait en chariot de Pylos à Lacédémone (Odyssée, III, 324, 326 et 431, et IV, 1).
[21] Pausanias, I, 25 ; II, 16 ; IX, 36 et 38.
[22] E. Curtius a démontré ingénieusement (Rhein. Museum, 1850, p. 455 et suiv.) l’existence d’établissements phéniciens sur les côtes de l’Argolide, à Nauplie. Voy. aussi son livre intitulé Peloponnesos (t. II, p. 10, 47, 170 et passim), où il a relevé d’autres traces laissées par le même peuple dans la péninsule argolique. A un point de vue général, on peut consulter sur la manière dont les Phéniciens se sont répandus en diverses contrées de la Grèce et dans les îles, outre le livre classique de Movers (die Phœnizier), Knobel, Vœlkertafel der Genesis, p. 96 et suiv., et sur les noms des lieux qui témoignent de leur présence, Olshausen, dans le Rhein. Museum, 1853, p. 34 et suiv. Curtius a reproduit en la développant l’opinion exprimée par Olshausen, que des peuples dont la langue n’appartenait pas à la même famille que celle des Phéniciens et, en particulier, les Lélèges et les Cariens, s’étaient associés à leurs expéditions, et s’étaient avancés vers l’ouest à leur suite. Curtius réclame pour ces auxiliaires la dénomination générale d’Ioniens ; rien de mieux, pourvu que l’on n’entende pas exclusivement par là la race ionienne proprement dite. Voy. Schœmann, Opusc. acad., I, p. 168, et Gutschmidt, Beitræge zur Geschichte des alten Orients, p. 124.
[23] De Kelar, c’est-à-dire grand. Les Cabires sont souvent aussi appelés chez les Grecs les Grands Dieux.
[24] Voy. Hœck, Creta, II, p. 205 et suiv., et au sujet de Minos considéré comme Phénicien, Thirlwall, History of Greece, p. 150, et Duncker, Alte Geschichte, t. I, p. 302. Curtius (Hist. de la Grèce, t. I, p. 82 de la trad. franç.) se prononce en sens contraire.
[25] Odyssée, XIV, 288 et suiv.
[26] Ces hypothèses ont été discutées d’une manière approfondie par Thirlwall (History of Greece, t. I, p. 71-89) et, avant lui, par O. Muller (Orchomenos, p. 99 et suiv., et Prolegom. zur Mythol., p. 175 et suiv.) ; déjà, dans l’antiquité, quelques historiens considéraient les colons venus d’13gvpte, non pas comme des Egyptiens, mais comme des étrangers chassés de l’Égypte, dont une partie s’était dirigée vers la Grèce. Voy. Diodore, XL, 3, et Muller, fragm. histor., t. II, p. 392.
[27] Puisque Niebuhr (Vorleszingen über alte Geschichte, t. I, p. 96) s’appuie aussi, pour prouver l’existence d’établissements phéniciens en Béotie, sur le mot βανά, dont les Béotiens se servaient pour γυνή, et qu’il tenait pour sémitique, on fera bien de consulter sur ce mot Ahrens, De Dialecto æolica, p. 172. Όγκα, surnom d’Athéna, a été considéré aussi par plusieurs critiques comme sémitique ; selon d’autres, il est simplement le féminin d’όγκος, et désigne La Déesse sur les hauteurs, appelée ailleurs άκραία. L’existence de colonies phéniciennes en Béotie peut et doit être admise, sans qu’il soit besoin de recourir à des arguments de cette nature.
[28] On peut le tirer de νάω, et de la particule inséparable δα, comme le propose G. Hermann (Opusc., I, VII, p. 280). Voy. aussi Pott, Jahrbuch für Philol., suppl. III, p. 336, et Kuhn, dans la Zeitschrift für vergleichende Sparchkunde, t. VII, 5, 109.
[29] Il suffira de consulter sur le sens de cette fable, Gottling, Gesammette Abhandlugen, p. 38, et Preller, Mythologie, t. II, p. 45.
[30] L’origine égyptienne de Danaos parait avoir été signalée pour la première fois dans le poème intitulé Danais, qui appartient vraisemblablement au siècle de Solon ; voy. Welcker, Epische Cyclus, p. 326.
[31] Comp. à ce sujet Meiners, Geschichte alter Religionen, t. I, p. 309 et II, 742, avec Vischer, Erinnerungen und Eindrucke aus Griechenland, p. 328. Diodore (XVI, 83) mentionne des pyramides funéraires, élevées en Sicile au temps de Hiéron II.
[32] C’est l’opinion que E. Roth a tenté de soutenir dans la première partie de l’ouvrage intitulé : Geschichte unserer abendlændischen Philosophie. Spiegel a donné dans les Gelehrte Anzeigen de Munich, 1860, n° 65, une critique à la fois juste et bienveillante de cet essai malencontreux. Nous nous bornerons à citer sur la sagesse tant vantée des prêtres égyptiens, Welcker, Gœtterlehre, t. I, p. 10, et Gerhard, Griech. Mythologie, t. I, p. 31.
[33] Il suffit de renvoyer, pour ce qui concerne les Orphiques, à l’Aglaophamus de Lobeck.
[34] Cette opinion d’Aristote, qui ne se retrouve pas dans ses écrits, est rapportée par Cicéron, De nature Deorum, I, 38 [G.]
[35] Voy. O. Abel, Makedonien, p. 38 et suiv. ; Deimling, Die Leleger, p. 44 et 66.
[36] Le livre de W. Mure, History of the language and literatur of acient Greece, est celui qui contient les renseignements les plus complets sur l’invention de l’écriture ; voy. t. III, p. 397 et suiv.
[37] Strabon, VI, 1 ; Servius, ad Æneid., I, 507, Parmi les critiques que cite Schœmann (Antiq. jur. publ. Græc., p. 89), quelques-uns atténuent ces témoignages par la façon dont ils les interprètent. C’est à quoi parait aussi disposé Nutzhorn. (Die Entstehung der Homer. Gedichte, p. 76.)
[38] C’est en particulier l’opinion de L. Hug. (Die Erfindung der Buchstabenschrift, p. 93.)
[39] Hérodote (VI, 7) fait mention d’une école établie à Chio, où l’on montrait à lire aux enfants, un peu avant l’an 500.
[40] Bœckh, Metrologische Untersuchungen, p. 42, et Weissenborn, Hellenica, p. 77 et suiv.
[41] Voy. surtout Iliade, II, 432 et 484.
[42] Voy. O. Muller, dans le recueil des Gœttinginsche Anzeigen, n° 94, p. 935.