LES DERNIERS JOURS DE JÉRUSALEM

 

PREMIÈRE PARTIE (suite).

 

 

Revenons maintenant au récit des événements.

Vespasien et son fils Titus une fois réunis à Ptolémaïs s'occupèrent, le plus activement possible, de l'organisation de l'armée. Pendant ce temps-là, Placidus, à la tête de ses colonnes mobiles, dévastait la Galilée et mettait impitoyablement à mort tous les hommes valides qui tombaient entre ses mains. Voyant que les plus redoutables de ses adversaires réussissaient presque toujours à trouver un refuge dans les places que Josèphe avait fortifiées. il résolut de marcher sur la plus importante de toutes, Iotapata ; il espérait l'enlever par un coup de main, et se faire ainsi un grand mérite aux yeux des cieux généraux, en leur rendant facile la campagne qu'ils allaient entreprendre. Il était assez naturel de croire, en effet, que la place la plus forte une fois enlevée, les autres ne tarderaient pas à capituler. Mais il s'était grandement trompé ; car les Iotapatènes, avertis de sa venue, marchèrent à sa rencontre, l'assaillirent inopinément et le forcèrent à battre en retraite. Les Romains eurent un grand nombre de blessés, et sept morts seulement, parce qu'ils rentrèrent en bon ordre et à rangs serrés, ce qui les couvrait convenablement contre les coups des Juifs, qui n'osaient se hasarder à engager le combat corps à corps, se contentant d'envoyer leurs traits de loin, grâce à la supériorité de l'armement de leurs adversaires. Les Juifs, de leur côté, n'eurent que trois tués et un assez petit nombre de blessés. Il semble, d'après ces chiffres, qu'il n'y ait eu, en cette occasion, qu'une sorte d'escarmouche qui suffit néanmoins pour faire comprendre à Placidus qu'il n'était pas de force à attaquer la place. Il se retira donc.

Vespasien alors, impatient d'entrer lui-même en pays ennemi, partit de Ptolémaïs à la tête de son armée, disposée en colonne de marche, suivant la mode romaine. Nous verrons plus loin quel était cet ordre en colonne.

Une fois les frontières de la Galilée franchies ; Vespasien s'arrêta et campa, se contentant de montrer au‘ ennemis les forces dont il disposait. afin de les effrayer et de leur laisser le temps de venir à résipiscence, avant que les hostilités ne fussent ouvertes. Pendant ce temps d'arrêt il prépara tout pour le siée des places fortes qu'il devait attaquer.

La venue du général en chef en personne et de son armée imposante, ne tarda pas à faire naitre dans les esprits de tous le repentir de leur défection, et bientôt aussi une véritable consternation. Josèphe, en effet, avait établi toutes ses troupes non loin de Sepphoris, et auprès d'un bourg appelé Garis[1]. Dès que la présence de l'armée romaine fut signalée, et qu'une bataille parut imminente, tous prirent la fuite, non-seulement avant le combat, mais avant même qu'ils eussent aperçu l'ennemi. Qu'étaient donc devenus les cent mille soldats que Josèphe se vantait d'avoir formés à la romaine ? Ils avaient apparemment fondu comme la neige au soleil. N'ayant plus que bien peu de inonde autour de lui. Josèphe comprit qu'il n'était pas de force à recevoir dignement l'ennemi ; voyant d'ailleurs que l'ardeur belliqueuse des Juifs s'était évanouie, et que presque tous ses soldats parlaient hautement de capituler. il commença à perdre tout espoir dans les résultats de la guerre, et prit le parti de s'éloigner le plus possible du danger : il courut donc avec ce qu'il avait de troupes se réfugier à Tibérias.

Vespasien alors marcha en avant et se porta sur Gabara (aujourd'hui Kabara). Cette ville ne fit, pour ainsi dire, aucune résistance ; presque tous les hommes en état de porter les armes avaient pris la fuite d'avance. Une fois maître de la place, Vespasien donna l'ordre de passer au fil de l'épée les hommes arrivés à l'âge de puberté ; les soldats romains s'acquittèrent de cette affreuse mission sans miséricorde, enflammés qu'ils étaient par leur haine des Juifs et par le souvenir si récent de tout le mal qu'ils avaient fait à Cestius. Gabara fut brûlée avec les villages et les petites forteresses des environs, qui, le plus souvent, furent trouvées abandonnées. Tous les habitants qui n'avaient pas fui furent réduits en esclavage.

L'arrivée inopinée de Josèphe répandit la terreur dans Tibérias. parce que les habitants étaient convaincus que jamais il ne reculerait tant conserverait la moindre espérance dans le succès des armes juives. Ils ne se trompaient pas, hélas ! Car, dès ce moment, Josèphe avait compris que tout était perdu, et qu'il ne leur restait qu'il se soumettre. Bien qu'il eût quelque sujet de croire que les Romains lui feraient grâce, il aimait mieux mourir que de trahir son pays, et de passer tranquillement sa vie au milieu de ceux qu'il avait été chargé de combattre, et cela après s'être déshonoré en désertant le poste périlleux qui lui avait été confié. Il se décida alors à adresser aux magistrats de Jérusalem un rapport détaillé sur la situation, et conçu de telle façon, qu'en n'exagérant pas les forces de l'ennemi, on ne pût par la suite l'accuser de timidité, et qu'en les rabaissant au-dessous de la réalité, il n'exaltât pas l'audace de ceux qui se repentaient déjà de s'être jetés dans cette folle rébellion. Il les priait donc de lui répondre immédiatement, s'il leur convenait de traiter avec les Romains ; au cas contraire, il leur demandait l'envoi de troupes qu'il pin opposer efficacement à l'ennemi. Cette dépêche aussitôt écrite fut expédiée à Jérusalem.

Vespasien, qui savait que Iotapata était devenue le refuge de la plus grande partie de l'armée ennemie, et que c'était d'ailleurs leur place de guerre la plus importante, se décida à en finir avec elle. Un corps de cavalerie et d'infanterie fut envoyé en avant pour en aplanir la route qui était montueuse et rocailleuse, difficile pour l'infanterie, et absolument impraticable pour la cavalerie. En quatre jours, le chemin fut ouvert et rendu commode pour l'armée entière. Dès le lendemain, qui était le vingt et un du mois d'Artemisius (14 avril), Josèphe, qui avait quitté Tibérias, se jetait dans Iotapata et relevait pain sa présence le courage des Juifs.

Un déserteur vint informer Vespasien de l'entrée de Josèphe à Iotapata, et le presser de marcher sur cette place, lui donnant l'assurance qu'elle prise, il serait bientôt maître de la Judée entière, pourvu toutefois qu'il s'emparât de la personne de Josèphe. Vespasien fut ravi de cette nouvelle ; il regardait comme. providentiel que le plus prudent et le plus habile des chefs ennemis se fera ainsi bénévolement jeté dans une impasse. Immédiatement Placidus et le décurion Ebutius furent envoyés en avant, avec ordre d'entourer la place et d'empêcher Josèphe d'en sortir.

Toute l'armée se mit en mouvement dès le lendemain, ayant Vespasien à sa tête, et elle arriva devant Iotapata à une heure avancée de la soirée. Une colline placée au nord de la place, et à sept stades seulement de distance, servit d'assiette au camp. Ce point bien apparent avait été choisi exprès pour que la garnison pût réfléchir sur sa propre situation. Les Juifs furent pris de peur, et personne n'osa sortir des murailles. Les Romains, fatigués par une longue journée de marche, ne songèrent pas à attaquer immédiatement, mais ils entourèrent la ville d'un double cordon de troupes d'infanterie et d'un troisième de cavalerie, afin de barrer le passage aux Juifs qui seraient tentés d'évacuer la place. Ceux-ci se voyant enlever tout espoir de salut par la fuite, n'en devinrent Glue plus déterminés à se bien défendre. A la guerre il n'y a rien, en effet, qui donne plus de cœur aux gens que la nécessité.

Il n'entre pas dans mon plan de raconter ici toutes les péripéties du siège de Iotapata, si complaisamment racontées par Josèphe, lequel d'ailleurs y joua un rôle fort honorable. Ceux qui voudront en lire le récit[2] le trouveront au livre III de la guerre judaïque (cap. VII, usque ad cap. VIII). La ville ne fut prise qu'après quarante-sept jours de siège, dans la nuit du 30 de Dæsius au 1er de Panemus (24 au 25 mai)[3].

S'il faut en croire Josèphe, les Romains firent douze cents prisonniers à Iotapata, et pendant toute la durée du siège, quarante mille Juifs périrent. Ces chiffres,- le second à tout le moins, paraissent singulièrement exagérés. L'emplacement de Iotapata a été retrouvé par feu mon savant ami le Dr Schulz consul de Prusse il Jérusalem. Depuis lors, il a été visité par le révérend Robinson, qui en donne une description détaillée, et l'an dernier par mon ami M. Auguste Parent. Devant la description que Josèphe donne du site de Iotapata. il n'y a pas d'hésitation possible. et cette place illustre a existé au point qui se nomme aujourd'hui Tell-Djefat ou Djiftah (dans le voisinage du gros village de Kaoukab, et de Cana-el-Djelil. à la naissance de la vallée d'Abillin). Or, il parait plus que difficile, vu le peu de surface des ruines, que quarante mille hommes aient pu y tenir. Concluons-en que Josèphe cette fois encore s'est livré à l'exagération qui lui est habituelle, lorsqu'il veut mettre en relief la valeur des Romains, tout en exaltant celle de ses compatriotes.

Maintenant, il nous faut revenir quelque peu en arrière.

Pendant que le siège de Iotapata traînait en longueur. Vespasien détacha Trajan, préfet de la dixième légion, avec deux mille hommes d'infanterie et mille hommes de cavalerie, pour aller mettre à la raison une ville voisine, nommée Iapha, que la résistance inattendue des Iotapatènes avait surexcitée. Trajan trouva la ville, déjà forte par sa situation naturelle, entourée d'une double muraille. Les habitants marchèrent au-devant de lui, engagèrent le combat et furent promptement mis en déroute. Les Romains les poursuivirent l'épée dans les reins, et entrèrent en même temps qu'eux dans la première enceinte. Comme ils se précipitaient vers la seconde, la population, craignant de voir entrer avec eux les Romains, leur ferma la porte. Il semblait que la Providence se chargeait de jeter ainsi au-devant des épées romaines les victimes qu'elle leur avait dévouées. Les malheureux eurent- beau se ruer sur les portes. et implorer la pitié de ceux qui étaient préposés a leur garde, et qu'ils appelaient par leur nom : on resta sourd aux prières désespérées qu'ils proféraient en mourant. Les Romains avaient eu soin de clore derrière eux les portes de la première enceinte, si bien que les Juifs, enfermés ainsi entre deux murailles, périrent jusqu'au dernier, les uns par le fer de leurs compagnons, les autres de leur propre main, et le plus grand nombre sous les coups des Romains contre lesquels ils n'essayaient même plus de se défendre. Ils étaient comme anéantis par la terreur et par la trahison des leurs. Aussi mouraient-ils en maudissant leurs compatriotes et non les Romains. Il en fut tué douze mille. Trajan alors, pensant que Iapha ne contenait plus d'hommes de guerre, et que si d'ailleurs il s'y en trouvait encore, ils n'oseraient plus rien tenter, crut devoir réserver au général en chef l'honneur de prendre la ville. Il demanda donc par dépêche à Vespasien d'envoyer son fils Titus pour achever la victoire. A la réception de cette dépêche, Vespasien, craignant qu'il ne restât encore quelque difficulté à vaincre, détacha Titus avec cinq cents cavaliers et mille hommes d'infanterie.

Titus, arrivé devant la place, l'aborda sur deux points. L'attaque de gauche fut confiée à Trajan, et il se chargea lui-même de celle de droite ; des échelles furent appliquées aux murailles, que les défenseurs abandonnèrent après une courte résistance. Ce fut à l'intérieur seulement que la lutte fut sérieuse : les hommes combattaient dans les ruelles, et les femmes du haut des terrasses lançaient aux ennemis tout ce qui leur tombait sous la main. Le combat dura six heures. Quand les plus braves eurent été tués, le massacre commença partout, en plein air et dans les maisons. Jeunes et vieux périrent ; les enfants seuls et les femmes furent épargnés pour être réduits en esclavage. Dans toute cette sanglante affaire. y compris le premier combat, quinze mille Juifs moururent, et le nombre des captifs fut de deux mille cent trente. C'est le vingt-cinq du mois de Dæsius (19 mai) que cette affreuse catastrophe eut lieu.

Les Samaritains, à leur tour, reçurent un échec terrible qu'ils eurent la maladresse d'attirer sur eux. Ils s'étaient rassemblés sur le mont Garizim, qui passe parmi eux, pour un sanctuaire, et ils s'y maintenaient en armes. Il était évident que cette réunion inaccoutumée cachait des projets de guerre. Les malheurs de leurs voisins semblaient ne pas les refroidir, et comptant sur leur propre faiblesse, ils se rendaient par petites bandes au lieu de rassemblement. Vespasien pensa qu'il était prudent de couper court à ces velléités belliqueuses. Il chargea donc Cerealis, légat de la cinquième légion, d'enlever le Garizim avec six cents cavaliers et trois mille hommes d'infanterie. Cerealis, de son côté, jugea qu'il n'était pas prudent de gravir la montagne et d'engager la bataille, parce pie l'ennemi occupait en nombre des positions dominantes et fort difficiles à aborder. Il se contenta donc de cerner le pied de la montagne et de rester là en observation pendant une journée entière. L'eau manquait en haut du Garizim, et le hasard voulut que la chaleur devint intolérable. (On était alors en été, et les Samaritains avaient eu l'imprudence de ne pas faire de provisions.) Il en résulta que plusieurs d'entre eux moururent de soif dans cette journée, mais que beaucoup d'autres, préférant l'esclavage à une mort pareille, désertèrent et passèrent aux Romains. Dès que Cerealis fut assuré par leurs rapports que ceux qui occupaient encore le plateau étaient abattus par la souffrance, il se mit à gravir la montagne, et cerna les Samaritains. Il leur offrit alors de les prendre à merci, les suppliant de songer à leur salut, qu'il leur promit solennellement. à la seule condition qu'ils mettraient, bas les armes. Ils n'y voulurent pas consentir, et les Romains les tuèrent, jusqu'au dernier, au nombre de dix mille six cents. Ce nouveau massacre eut lieu le vingt-sept du mois de Dæsius (21 mai).

Maintenant revenons à Iotapata.

Après le sac de la ville, les Romains cherchèrent activement Josèphe, poussés autant par leur fureur contre lui, que par les ordres exprès de Vespasien, qui pensait que Josèphe une fois pris, la guerre serait bien avancée. Tous les cadavres furent examinés ; tous les recoins les plus secrets furent fouillés avec soin, mais vainement. Josèphe, au moment où la place venait d'être forcée, avait réussi à se glisser à travers les ennemis, avec la protection évidente de la Providence, et s'était jeté dans un puits profond, dans la paroi duquel était percée une grotte spacieuse, impossible à apercevoir d'en haut[4]. D'autres l'avaient précédé dans cette retraite, et il y trouva une quarantaine d'hommes munis des provisions nécessaires pour y vivre un certain temps. Il resta là caché pendant le jour, parce que les Romains étaient répandus partout ; mais la nuit, il sortit de sa retraite, cherchant le moyen de fuir en évitant les sentinelles. Malheureusement tout était si bien gardé, précisément à cause de lui, qu'il dut se décider à redescendre dans le caveau. Il s'y tint enfermé deux jours ; mais le troisième, une femme qui était avec eux fut arrêtée, et elle trahit le secret de cette cachette. Aussitôt Vespasien y envoya deux tribuns, Paulinus et Gallicanus, avec ordre d'offrir la vie à Josèphe et de l'engager à se rendre.

Ces deux officiers vinrent donc exhorter Josèphe à renoncer à la résistance, lui promettant la vie sauve ; mais ils ne réussirent pas à le persuader. Car il lui paraissait vraisemblable que, pour le punir de sa conduite passée, les Romains le condamneraient au supplice. Vespasien alors envoya un troisième tribun, nommé Nicanor, pour parlementer avec Josèphe, qui le connaissait personnellement, ayant eu autrefois des relations d'amitié avec lui. Celui-ci lui vanta la magnanimité des Romains à l'égard de ceux qu'ils avaient combattus ; il ajouta que sa bravoure personnelle était un sujet d'admiration pour les généraux romains, bien loin d'être une cause de haine, et que si Vespasien le faisait prier de se rendre, c'était bien plutôt, pour sauver un brave, que pour l'envoyer au supplice qu'il ne serait en droit de lui infliger que s'il refusait de se lier à sa parole. Il termina en lui disant que Vespasien n'était pas homme à se servir d'un ami pour lui tendre un piégée, et que lui-même n'aurait pas accepté la mission infatue de le perdre en abusant de son amitié.

Josèphe hésitait encore, et les soldats furieux s'apprêtèrent à l'étouffer par le feu dans sa retraite ; leur chef heureusement les empêcha de le faire, tant il avait à cœur de prendre Josèphe vivant. Pendant que Nicanor recommençait ses instances et que les soldats vociféraient des cris de mort, Josèphe se rappela les songes qu'il avait faits et dans lesquels Dieu lui avait dévoilé les malheurs futurs des Juifs, et la destinée des empereurs romains. L'interprétation de ces songes lui faisait conjecturer tout ce que Dieu lui avait révélé d'une manière ambiguë ; il connaissait d'ailleurs les prophéties des livres sacrés, lui prêtre, issu d'une lignée de prêtres. En ce moment, comme inspiré, il adressa à Dieu la prière suivante : Lorsque tu as décrété la ruine de la nation juive que tu as créée. la fortune est passée du côté des Romains, et tu m'as choisi pour prédire l'avenir. C'est donc sans regret que je tends la main aux Romains, et, que j'accepte la vie. Je te prends à témoin que ce n'est pas comme un traître, mais bien comme le ministre de ta volonté, que je passe de leur côté.

Cela dit, il avertit Nicanor qu'il était prêt à faire ce qu'il lui demandait. Mais les Juifs qui étaient enfermés avec lui dans le caveau, voyant Josèphe céder aux instances des Romains, l'entourèrent avec des cris de fureur : Les lois de nos pères, disaient-ils, doivent gémir et Dieu doit s'indigner, lui qui a donné aux Juifs des âmes qui savent mépriser la mort. Josèphe, aimes-tu donc assez la vie pour consentir à jouir en esclave de la lumière du jour ? Que tu oublies vite ce que tu as été ! Combien de malheureux tu as décidés à mourir pour la liberté ! Non, tu n'avais pas de cœur ; non, tu n'avais pas une vraie prudence, toi qui attends le salut de ceux que tu as bravement combattus, toi qui désirerais être sauvé par eux, si vraiment tu pouvais l'être ! Mais  si la fortune des Romains t'a fait perdre le souvenir de toi-même, c'est à nous de songer ii la gloire de la patrie. Tu vas sentir nos mains et nos glaives. Quant à toi, si tu meurs de bon cœur, tu mourras comme un chef des Juifs ! Sinon, lu mourras comme un traître ! A ces mots, ils tournèrent contre lui leurs épées, le menaçant de l'égorger, s'il songeait à se rendre aux Romains.

Josèphe alors craignant l'exécution de leurs menaces, et convaincu d'ailleurs qu'il trahirait les ordres de Dieu s'il acceptait la mort avant de leur avoir prédit tout ce qui devait arriver, se mit à philosopher avec eux sur la fatalité. Je me garderai bien de reproduire ici le discours passablement ridicule que notre historien prétend avoir prononcé en cette circonstance. Il était certes dans une conjoncture où les belles et longues phrases ne sont pas de mise. Je n'en veux relever qu'une seule qui me parait assez extraordinaire, la voici : Ignorez-vous donc que ceux qui meurent suivant la loi naturelle, et qui rendent à Dieu, lorsqu'il l'exige, la vie qu'il leur a donnée, jouissent d'une gloire éternelle, et que leur race se perpétue ? que les âmes de ceux-là restent pures et obéissantes, et qu'elles vont habiter le lieu le plus saint du ciel, d'où elles sont envoyées, dans la suite des siècles, pour animer des corps purs ? Voilà certes une étrange idée de métempsycose que l'on ne se serait pas attendu à trouver dans la bouche et sous la plume d'un prêtre de Jéhovah !

Quoi qu'il en soit, Josèphe parla tant qu'il put pour détourner ses compagnons de l'égorger. Mais ceux-ci, auxquels le désespoir fermait les oreilles, et qui d'ailleurs s'étaient depuis longtemps dévoués à la mort, ne voulaient rien entendre. Les uns, courant sur lui en brandissant leur épée, le traitaient de loche, et voulaient le mettre en pièces à l'instant. Josèphe, pour échapper à ce péril terrible, interpellait celui-ci par son nom, fixait celui-là de son regard de chef, saisissait la main d'un autre, ou lui adressait des supplications, jouant à peu près le rôle d'une bête féroce acculée qui se voit cernée d'ennemis et se tourne incessamment vers celui qui la menace de plus près. Ceux qui respectaient encore le chef dans cette cruelle extrémité, sentaient leurs mains faiblir et abandonner le fer. et la plupart de ceux qui voulaient le frapper, voyaient, sans pouvoir s'en rendre compte, leur épée s'abaisser. Josèphe cependant ne perdit pas la tête, et se confiant à Dieu, il saisit ce moyen d'échapper : Eh bien ! leur dit-il, puisque vous êtes décidés à mourir, allons, laissons au sort le soin de choisir nos meurtriers, et que celui que le sort aura désigné tombe de la main de son voisin ; nous périrons tous ainsi, et du moins aucun de nous ne se sera souillé du suicide, n'est pas juste, en effet, que lorsque tous les autres ont péri, celui-là seul survive qui se sera repenti ! Cette ouverture fut accueillie, et aussitôt ils tirèrent au sort. Le premier désigné tendit la gorge à son voisin, joyeux de mourir avec son général ; car mourir en même temps que Josèphe leur paraissait préférable à la vie. Soit hasard, soit effet de la Providence divine. Josèphe resta le dernier avec un seul homme, et faisant tout ce qui était possible pour ne pas être condamné par le hasard, ou s'il restait le dernier, pour ne pas souiller sa main du sang d'un compatriote, il réussit à persuader à son compagnon de vivre comme lui.

Pour parler vrai, je crains bien que Josèphe, qui ne l'avoue pas ouvertement, n'ait triché de toutes ses forces, dans cette horrible partie qu'il réussit à gagner. C'est un secret entre Dieu et lui !

C'est ainsi que Josèphe, après avoir échappé aux Romains et aux Juifs, fut amené par Nicanor devant Vespasien. La foule des soldats se précipita pour voir le prisonnier, et entoura tumultueusement le général. Les uns se réjouissaient hautement de ce qu'il était pris ; les autres l'accablaient de menaces ; tous se poussaient pour le regarder de plus près. Les plus éloignés vociféraient qu'il fallait le conduire au supplice. Les plus rapprochés au contraire se rappelaient ses actes, hésitaient, étonnés, en le voyant tel qu'il était ; et parmi les chefs, il n'y en avait pas un qui, à son aspect, ne sentit tomber la colère dont il était animé contre lui. Titus, plus que tous les autres, était touché du caractère et de la résignation du prisonnier, et se laissait aller à la pitié naturelle à son âge. Beaucoup d'autres ressentirent la même impression, et furent émus de compassion envers Josèphe. Titus fit plus que tous les autres pour obtenir de la clémence de son père la grâce du prisonnier. Vespasien se contenta d'ordonner qu'on le plaçât sous bonne garde, parce qu'il voulait l'envoyer immédiatement à Néron.

Lorsque Josèphe entendit cet ordre, il demanda à Vespasien la faveur de causer quelques instants seul à seul avec lui. Tout le inonde fut aussitôt écarté, à l'exception de Titus et de deux amis, et Josèphe prit la parole : Tu penses, Vespasien, n'avoir pris avec Josèphe qu'un prisonnier ordinaire ; tu te trompes : je suis un messager chargé de t'annoncer de grandes choses. Si Dieu ne m'avait pas envoyé vers toi, j'aurais su montrer commuent les chefs des Juifs doivent mourir. Tu veux me livrer à Néron ; pourquoi ? Ceux qui doivent succéder à Néron, jusqu'à toi, resteront-ils debout ? Vespasien, tu seras césar et empereur, toi et ton fils que voilà. Couvre-moi de chaines autant que tu le voudras, et garde-moi pour toi-même. Car ce n'est pas de moi seulement que tu seras le maître. César, mais de la terre, de la mer et de tout le genre humain. Quant à moi, je suis cligne du supplice, si je t'ai menti à la face de Dieu.

A ces étranges paroles, Vespasien se montra d'abord incrédule, et soupçonna Josèphe d'employer un grossier artifice pour sauver sa vie. Peu à peu cependant la confiance se fit jour dans son esprit, Dieu le poussant à songer à l'empire, et lui montrant par divers pronostics que la couronne lui serait dévolue.

Une circonstance imprévue vint prouver la véracité de Josèphe. L'un des deux amis de Vespasien et de Titus, présents à cet entretien secret, lui dit qu'il était fort étonné qu'il n'eût pas prédit leur perte aux Iotapatènes et sa propre captivité à lui-même, si tout ce qu'il disait aujourd'hui était autre chose que de vains mensonges qu'il inventait pour se tirer d'affaire. Josèphe lui répondit qu'il avait annoncé aux Iotapatènes que leur ville tomberait au pouvoir des Romains : le quarante-septième jour, et que lui-même serait fait prisonnier. Vespasien fit aussitôt interroger séparément les captifs, et s'assura que Josèphe disait vrai. De ce moment il commença à avoir foi dans ses paroles. Cependant il ne changea rien à ses ordres touchant les précautions à prendre pour le surveiller, mais il lui fit donner des vêtements et lui offrit de riches cadeaux. La bienveillance de Vespasien était désormais acquise à Josèphe, que Titus continua de traiter avec une bonté toute particulière.

Josèphe s'attribue formellement, ainsi qu'on vient de le voir, la prédiction faite par un Juif à Vespasien sur sa future élévation à l'empire. Il est assez curieux de constater que dans le Talmud c'est un autre personnage à qui le fait est attribué. Nous lisons eu effet dans le Talmud de Babylone (traité Ghittin, f° 57, Aboth de Rabbi-Nathan, ch. IV, fin) : Rabbi-Jochanan-ben-Zaccaï (après qu'on l'eût fait passer pour mort et transporté hors de Jérusalem) prédit à Vespasien qu'il serait roi.

L'excellent dictionnaire hébreu-français de MM. Sander et Trenel est suivi d'un supplément contenant les noms propres mentionnés dans le traité d'Aboth, et rédigé par S.  Ulmann, grand rabbin du Consistoire central. Je lui emprunte la notice biographique de Rabbi Jochanan-ben-Zaccaï, dont il vient d'être question.

Né, suivant plusieurs chroniqueurs, en 117 avant l'ère vulgaire, de la race pontificale, il fut un des plus illustres disciples de Hillel. Partisan de la paix, il se rendit, pendant le siège de Jérusalem, auprès de Vespasien, et obtint auprès de lui la permission d'établir une école à Iamnia, qui devint le siège du synhédrin. En fondant cette institution, le célèbre docteur assura l'avenir du judaïsme, et sauva du milieu des ruines fumantes de Jérusalem et du temple, le trésor le plus précieux de la nation juive, sa doctrine et sa législation, dont l'étude est devenue si florissante à l'école de Iamnia et sous les maîtres illustres qui en sont sortis. R. Jochanan lui-même a eu, pendant un certain temps, son école à Beror-Haïl, non loin de Jérusalem. Versé dans toutes les connaissances cultivées à son époque, pieux, tolérant, prévenant envers tout le monde, en un mot marchant dans les traces de son maître Hillel, R. Jochanan-ben-Zaccaï acquit une grande autorité et fit plusieurs règlements concernant le culte. Ami de Vespasien, qui le recommanda à Titus, il put, grâce à cette protection, sauver de la mort R. Gamaliel II, dont le père R. Siméon II périt martyr, et transmettre à ce descendant de Hillel la dignité de Naci, après avoir exercé lui-même pendant quelque temps cette haute fonction. Il soutenait souvent des controverses contre les Saducéens. Il mourut peu d'années après la prise de Jérusalem, à l'âge de cent vingt, ans et en 73 de l'ère vulgaire, suivant les chroniqueurs déjà cités. Depuis sa mort, dit la Mischna, la sagesse a perdu sa splendeur.

Je dois me contenter de rapporter le renseignement talmudique que j’ai cité plus haut, sans me permettre de trancher la question qu'il soulève. Est-ce Josèphe, est-ce Jochanan-ben-Zaccaï qui a prédit à Vespasien son avènement l'empire ? Peu importe au fond. Toutefois il n'y aurait rien de bien étonnant à ce que ces deux hommes, évidemment doués d'une intelligence peu commune, eussent, chacun de son côté, prévu qu'au moment où l'empire romain devait évidemment devenir la proie d'un général habile et aimé de ses soldats, Vespasien, adoré des légions qu'il commandait depuis plusieurs années serait adopté par elles et proclamé César. Au demeurant, peu importe, je le répète, et je me borne à constater que le récit de Josèphe, en ce qui le regarde, est empreint d’une très-grande apparence de vérité.

Revenons au récit des événements.

Le 4 du mois de Panemus (28 mai), Vespasien rentrait à Ptolémaïs, et gagnait de là Césarée, l'une des plus grandes villes de la Judée, mais dont presque tous les habitants étaient Grecs. Le général et l'armée y furent accueillis avec les témoignages de la plus vive allégresse, tant à cause du dévouement de la population romaine, que de sa haine invétérée contre la nation qui venait d'are frappée. Là même, on vociféra beaucoup contre Josèphe, dont la foule demandait la mort. Vespasien se débarrassa de cette demande de la multitude, en n'y faisant aucune réponse.

Deux des légions furent établies à Césarée même, pour y prendre leurs quartiers d'hiver. La quinzième fut envoyée à Scythopolis (Beïsan) pour y attendre la campagne prochaine. C'est donc vers le 1er Juin que les opérations de la guerre furent suspendues, et, avec le climat du pays qui en était le théâtre, c'était une précaution indispensable.

Vers cette époque s'était formée à Joppé une bande considérable de Juifs qui avaient déserté les rangs des insurgés, ou qui avaient échappé aux sacs des villes détruites par les Romains. Leur dessein était de relever la ville que Cestius avait dévastée et de s'y établir solidement. Mais la désolation du pays d'alentour ne leur permit pas de mettre ce projet à exécution. Ils changèrent alors d'avis, et se firent écumeurs de mer. Ils équipèrent donc un grand nombre d'embarcations de pirates et se mirent à exercer leurs brigandages sur les côtes de la Syrie. de la Phénicie et de l'Égypte. Vespasien informé de ce nouveau méfait, résolut d'y mettre fin. Un détachement d'infanterie et de cavalerie fut envoyé sur les lieux, et comme la ville n'était pas gardée les Romains s'en emparèrent de nuit, sans aucune difficulté. Les Juifs de Joppé avaient bien eu vent de l'attaque des Romains, mais ils ne se sentirent pas de force à résister ; ils se réfugièrent en toute hale sur leurs navires et poussèrent au large, où ils passèrent la nuit hors de portée du trait.

Joppé n'a pas de port, car la ville vient finir sur un rivage escarpé et d'accès difficile, qui se creuse légèrement entre deux espèces de cornes, que constituent deux grands rochers s'élevant au-dessus de l'eau et des roches sous-marines formant de très-dangereux écueils. On y voit encore, dit Josèphe, les vestiges des chaînes d'Andromède, preuves de l'antiquité du récit fabuleux qui la concerne. Le vent du nord frappant presque perpendiculairement cette côte, et y poussant des vagues énormes contre la barrière qui leur est opposée, rend celte station maritime des plus dangereuses.

Telle est la description que Josèphe fait de la détestable rade foraine de Jaffa. Aux chaînes près d'Andromède, que l'on ne voit plus depuis longtemps sur les roches de ce que l'on appelle le port (si jamais on les y a pu voir), cette description est toujours d'une exactitude absolue. Il faut avoir débarqué une Ibis dans sa vie à Jaffa, pour savoir ce qu'est un péril de mer par le plus beau temps du monde. Là règne en tout temps une houle énorme, qui soulève comme des coquilles de noix les n'abonnes qui vont chercher passagers et bagages bord des paquebots, quand ceux-ci admettent qu'il y a possibilité d'approcher de terre, sans courir un trop grand danger. En hiver, il est rare qu'un navire quelconque se hasarde ii mouiller devant Jaffa. Les voyageurs et les dépêches à destination de cette place sont, le plus souvent, transportés sans hésitation à Beyrouth, ou tout au moins à Kheïfa, où le danger est beaucoup moindre. Quant à trouver un port sur la côte entière de la Syrie, il n'y faut pas penser, et il est bien à craindre qu'il n'en soit ainsi longtemps encore. Les sinistres maritimes ont beau se multiplier sur cette côte inhospitalière, c'est un fort léger souci pour le gouvernement turc, qui se gardera bien d'e-pêcher les gens de se noyer, s'il doit lui en coûter quelques millions qu'il est bien plus raisonnable de laisser gaspiller par des administrateurs beaucoup trop intelligents. Ce ne sont certes pas les impôts qui manquent eu Syrie ; ils en ont mis sur tout et ils en inventent tous les jours de nouveaux. Mais il y a tant de parties prenantes (qu'on l'entende comme on voudra, on sera toujours en deçà de la vérité), que les caisses de l'État n'en profitent guère. Pauvre pays, qui pourrait si facilement devenir un des plus beaux pays de la terre !

Les pirates joppéniens, ainsi que nous l'avons dit, avaient passé la nuit au large. à bord de leurs barques. Au point du jour s'éleva un vent violent, que les navigateurs appellent Mélamborion (le Borée noir ; c'est le vent du nord qui, dans ces parages, se nomme toujours la Bora). En un clin d'œil quelques-uns des navires se défoncèrent en s'abordant, et d'autres allèrent se briser sur les récifs : la plupart firent des efforts inouïs pour s'élever contre le vent, et gagner la haute nier, seul moyen d'éviter les périls de la côte, garnie d'ailleurs d'ennemis ; mais le vent rendit la mer si grosse, qu'ils sombrèrent. La plupart de ces malheureux périrent ou à la mer ou sur les brisants de la côte. Quelques-uns d'entre eux se tuèrent de leur propre main, pour prévenir l'agonie du naufrage, et tous ceux qui purent aborder furent égorgés par les Romains, si bien que toute la côte était jonchée de cadavres. Quatre mille deux cents corps furent rejetés par les flots en cette circonstance. C'est ainsi que les Romains prirent et détruisirent Joppé, sans avoir éprouvé la moindre perte en cette occasion.

C'était la seconde Ibis en bien peu de temps que cette ville était dévastée par les Romains. Vespasien, pour éviter qu'elle ne devînt de nouveau un repaire de pirates, fit établir un camp sur l'Acropole, et établit une garnison mixte d'infanterie et de cavalerie. Les premiers devaient rester à la garde du camp, tandis que les seconds saccageraient le pays, les bourgades et les petites forteresses des environs.

Lorsque le bruit de la chute de Iotapata parvint à Jérusalem, beaucoup de gens refusèrent d'y croire, parce qu'il n'y avait aucun témoin oculaire survivant, pour donner les détails de cette catastrophe. Peu à peu cependant la vérité fut connue par les rapports des populations voisines, et il n'y eut plus moyen de douter. Quant aux détails répandus, ils étaient presque tous imaginaires. Ainsi on disait hautement que Josèphe avait péri dans le sac de la place, et ce fut un sujet de deuil général. Chacun des morts laissait parmi les siens et parmi ses amis des regrets cruels ; mais la mort du chef causait une douleur publique : le deuil de la nation devait durer trente jours. Aussitôt que les faits réels furent connus, aussitôt que l'on eut la certitude que Josèphe était vivant, qu'il était auprès des Romains et beaucoup mieux traité par eux qu'un captif ordinaire, la colère contre le vivant égala l'affection qu'on avait donnée au mort imaginaire. Pour les uns, Josèphe n'était plus qu'un lâche ; pour les autres, c'était un traître sans honneur. La haine contre les Romains s'accrut d'autant, comme si les Juifs voulaient se venger sur eux des méfaits de Josèphe.

Vers cette époque, Vespasien, désireux d'ailleurs de visiter les États d'Agrippa, accepta l'invitation que ce monarque lui adressait, autant pour lui faire honneur, que pour éteindre, par sa présence, la discorde qui divisait ses sujets ; il quitta donc avec ses troupes Césarée la maritime et se rendit à la Césarée dite de Philippe (aujourd'hui Banias). Il y resta vingt jours en fêtes continuelles tant pour lui que pour l'armée, rendant grâces à Dieu des succès qu'il avait obtenus en si peu de temps. Il apprit là que Tibérias et Tarichées s'agitaient et menaçaient de faire défection ; et comme ces deux villes appartenaient au royaume d'Agrippa, il résolut, en vertu de la décision qu'il avait prise au fond du cœur, de renverser partout les espérances des Juifs, de marcher avec sou armée contre ces deux places, et de payer l'hospitalité somptueuse d'Agrippa en châtiant ces deux villes rebelles. Il fit donc partir Titus pour Césarée, avec ordre d'y prendre le commandement des troupes qu'il amènerait immédiatement à Scythopolis, très-grande ville de la Décapole, et voisine de Tibérias[5]. C'est là que Vespasien et Titus firent leur jonction.

De Scythopolis Vespasien marcha sur Tibérias, et vint camper avec ses trois légions à la localité nommée Sennabris, et qui n'est distante de Tibérias que de trente stades (5.550 m.). Il envoya de là le décurion Valérianus à la tinte de cinquante cavaliers, pour parlementer avec la. ville et l'engager à se rendre. Il savait de source certaine, en effet, que la population désirait fit paix, et que les pensées séditieuses n'étaient semées parmi elle que par quelques agitateurs.

Valérianus fit diligence, et lorsqu'il fut arrivé en vue des murailles de la ville, il mit pied à terre et en fit faire autant à sa troupe, pour ne pas se donner l'apparence d'être venu avec des intentions Hostiles. Mais on ne lui laissa pas le temps de parler, et les séditieux, conduits par un chef de bandits nominé Jésus, fils de Saphat, l'attaquèrent immédiatement. Valérianus, ne voulant pas engager de combat sans les ordres du général, bien qu'il Mt certain d'avoir le dessus, jugeant d'ailleurs qu'il était chanceux d'affronter la multitude qu'il avait devant lui avec si peu de monde, et, s'il faut le dire, plus effrayé que de raison de cette attaque audacieuse et inopinée, chercha à fuir à pied, avec cinq de ses hommes. Jésus et les siens s'emparèrent d'eux facilement, et les ramenèrent triomphalement dans Tibérias, comme des vaincus et non comme des victimes d'un guet-apens.

Les hommes expérimentés et raisonnables, et les notables de Tibérias, inquiets des suites de cette agression insensée, s'enfuirent au camp des Romains, et, le roi à leur tête, allèrent se jeter aux genoux de Vespasien, le suppliant de ne pas mépriser leurs prières, et de ne pas mettre sur le compte de tous la folie de quelques-uns. Ils le conjurèrent d'épargner une population qui avait toujours été pleine de bienveillance pour les Romains, mais de tirer vengeance des auteurs de la rébellion, qui les avaient tenus eux-mêmes sous bonne garde, lorsqu'ils avaient manifesté le désir d'aller au-devant des Romains, pour traiter de la paix.

Vespasien tout irrité qu'il était contre la ville entière, à cause du vol de ses chevaux, accueillit favorablement leur prière, et d'autant plus volontiers qu'il voyait Agrippa inquiet du sort de Tibérias. Le peuple ayant approuvé ce que ses représentants avaient fait et dit. Jésus et ses adhérents jugèrent qu'il n'était pas prudent de rester Tibérias, et s'enfuirent à Tarichées[6].

Le lendemain, Vespasien envoya Trajan à la tête d'un corps de cavalerie, sur la hauteur qui domine la ville, afin de sonder les intentions de la population et de s'assurer qu'en effet elle désirait la paix. Il acquit ainsi la certitude que tout le monde à Tibérias était d'accord avec ceux dont il avait reçu les supplications, et il se décida à y entrer avec son armée. Les portes lui furent ouvertes, et le peuple alla au-devant de lui poussant de joyeuses acclamations, et lui donnant le nom de leur sauveur et de leur bienfaiteur. Mais comme l'entrée de la ville était fort étroite et aurait gêné la marche des soldats, Vespasien ordonna d'abattre au midi un pan de mur de l'enceinte et de préparer ainsi une entrée plus commode. C'était tout simplement démanteler une place importante. Agrippa intervint, démontra que c'était exposer Tibérias aux insultes et au pillage ; il se porta d'ailleurs garant de sa fidélité future à la foi jurée, et Vespasien, par égard pour le roi, décréta la conservation des remparts.

De là il alla camper entre Tarichées et Tibérias, et fortifia son camp avec soin, dans la persuasion que cette fois il s'agissait d'une guerre véritable à entreprendre[7] ; en effet, tous les révolutionnaires affluaient à Tarichées, pleins de confiance dans les murailles de la place et dans le voisinage du lac auquel les gens du pays donnent le nom de Gennesar. La ville, en effet placée comme Tibérias au pied de la montagne, avait été entourée, par l'ordre de Josèphe, de tous les côtés où elle n'était pas couverte par les eaux du lac, d'une  muraille solide, mais avec moins de soin cependant que Tibérias. Les Tarichéates avaient sur le lac un très-grand nombre de barques toutes équipées et préparées, soit pour leur servir de refuge en cas d'insuccès dans un combat sur terre, soit pour livrer au besoin à l'ennemi un véritable combat naval. Pendant que les Romains étaient occupés à construire les retranchements de leur camp, Jésus et ses compagnons tentèrent une sortie qui réussit d'abord. Les travailleurs furent mis en déroute, et une partie de l'ouvrage déjà fait fut détruite. Comme l'armée se préparait à marcher contre eux en bon ordre, ils battirent en retraite avant d'avoir subi aucun échec. Les Romains les poursuivirent et les forcèrent à se réfugier sur leurs barques. Ils ne s'éloignèrent pas assez de la plage pour ne pouvoir plus faire usage de leurs armes de jet contre les Roumains, et une fois à cette distance ils se rassemblèrent coutume une véritable phalange et jetèrent l'ancre, engageant de la sorte un véritable combat naval avec un ennemi formé en bataille sur la terre ferme. A ce moment, Vespasien apprit qu'un énorme rassemblement de Juifs s'était formé dans la plaine voisine de la ville, et il y dépêcha immédiatement son fils à la tête de six cents cavaliers délite.

Titus, trouvant devant lui des forces beaucoup plus considérables qu'il ne l'avait supposé, envoya sur-le-champ demander du renfort à son père. Voyant cependant que la plupart de ses hommes étaient disposés à bien faire sans attendre l'arrivée des renforts réclamés, mais que d'autres, devant une pareille multitude de Juifs, éprouvaient une certaine hésitation, il s'arrêta en un point où il pouvait haranguer sa troupe, et il le fit un peu plus brièvement, j'imagine, que ne le dit Josèphe. Au moment de l'action, les longs discours ne sont pas de saison. Quelques courtes phrases et le bon exemple suffisent. Il en fut ainsi, je n'en doute pas.

Les paroles de Titus eurent tout le succès qu'il désirait, et ses cavaliers se disposèrent à charger vigoureusement l'ennemi. En ce moment. Trajan accourait en hâte à la tête de quatre cents cavaliers, et Josèphe assure que leur arrivée ne fut pas agréable aux premiers venus, parce qu'elle leur enlevait une partie de la gloire qu'ils se promettaient. C’est un fort beau sentiment, mais je n'y crois guère. La preuve, c'est qu'une fois en face des Juifs. Titus demanda des renforts, et que ceux-ci eurent le temps de venir avant que l'action ne s’engageât. Titus et son monde ont donc pris tout le temps de la réflexion, et sans entendre faire le moindre tort à la valeur romaine, je crois assez volontiers que. Titus était un véritable homme de guerre et qu'il ne se serait pas exposé, par suite d'une forfanterie ridicule. à s'enlever la chance de frapper un coup décisif.

En même temps que Vespasien envoyait Trajan et ses quatre cents cavaliers renforcer la troupe de Titus. Antonius Silo, à la tête de deux mille archers, était chargé d'aller occuper la hauteur qui dominait la ville, et ils devaient, ii coups de flèches, écarter les défenseurs des murailles. Ils s’acquittèrent parfaitement de leur mission, et rendirent ainsi presque nul l'appui que les Juifs  espéraient donner du haut des murs à ceux qui auraient pris part à la sortie.

Lorsque le moment de charger fut venu. Titus lança le premier son cheval sur l'ennemi. et ses cavaliers l'imitèrent en jetant un grand cri. Leur front n'occupait que l'espace suivant lequel se développait la ligne ennemie, de sorte que leur nombre paraissait plus considérable. Les Juifs, quoique épouvantés par la régularité de cette charge, soutinrent passablement le premier choc ; mais, frappés par les piques des cavaliers et renversés par l'allure des chevaux, ils furent bientôt foulés aux pieds. Lorsqu'un grand nombre d'entre eux eut été tué de la sorte, le reste se débanda et chacun s'enfuit vers la ville pour son compte. Titus frappait les fuyards par derrière, rompait les groupes qui cherchaient à se former pour mieux résister, tournait les uns pour les frapper en plein visage, et écrasait par les bonds de son cheval ceux qu'il avait culbutés. Il s'efforçait ainsi de couper la retraite aux Juifs et de les rejeter dans la plaine ; mais ils étaient tellement nombreux, qu'ils réussirent à rentrer dans la ville.

A peine y étaient-ils enfermés, qu'une violente altercation surgit parmi eux. Les habitants, qui tenaient à leurs biens et à leur ville, avaient toujours montré peu de goût pour hi guerre ; en ce moment où les Juifs venaient d'être mis en déroute, ce sentiment éclata de la manière la plus vive. Mais les étrangers qui s'étaient impatronisés à Tarichées étaient en majorité, et comme ils s'excitaient mutuellement, des clameurs se firent entendre comme si on allait en venir aux mains. Titus, qui était près des murailles, entendit le tumulte et s'écria aussitôt : Voilà le moment, compagnons ! n'hésitez pas, car Dieu vous livre les Juifs. Prenez donc la victoire qui s'offre à vous. N'entendez-vous pas ces cris ? Ceux qui nous ont échappé s'entretuent. La ville est à nous si nous profitons de cet instant. Mais il ne suffit pas de se presser, il faut du cœur et de la peine ; car à la guerre on ne fait rien de grand sans danger. Prévenons à la fois et la concorde qui doit forcément renaître parmi nos ennemis, et l'arrivée des secours qui vont nous venir. À nous déjà une première victoire ! prenons maintenant la ville tout seuls.

À ces mots, il sauta en selle et poussa son cheval dans le lac, par lequel il entra le premier dans Tarichées, bientôt suivi de tout son monde. Ce trait d'audace consterna les défenseurs des murailles. Personne n'osa plus combattre, ni mène résister. Jésus avec les siens abandonna la partie et s'enfuit il travers champs. Les autres courant au lac, tombèrent entre les mains des Romains ; ceux qui essayaient de s'embarquer étaient passés au fil de l'épée, aussi bien que ceux qui s'efforçaient de regagner à la nage les barques déjà parties. Ceux qui restaient dans la ville n'étaient pas mieux, traités ; les étrangers, qui n'avaient pas réussi à fuir et qui tentaient de combattre encore, étaient promptement abattus ; les habitants, qui ne voulaient pas faire de résistance, parce que leur conscience leur disait qu'ils étaient dignes du pardon, la bataille ayant eu lieu malgré eux, étaient également frappés, jusqu'à ce que Titus, par pitié pour eux, ordonna de cesser le carnage, lorsque tous les coupables eurent péri. Quant à ceux qui s'étaient réfugiés sur le lac, dès qu'ils virent la ville prise, ils gagnèrent le large et s'éloignèrent le plus qu'ils purent des Romains.

Titus se hâta d'envoyer à son père un de ses cavaliers lui portant l'heureuse nouvelle de la prise de Tarichées. Vespasien, d'autant plus ravi du fait d'armes de son fils, qu'il présageait la fin de la guerre, accourut sur l'heure, entoura la ville de troupes, avec ordre de tuer quiconque essaierait d'en sortir. Le lendemain il commanda de construira en toute bâte des radeaux pour poursuivre ceux qui s'étaient réfugiés sur le lac. Les matériaux étaient en abondance, les ouvriers habiles fourmillaient dans l'armée ; une véritable flotte fut bientôt prèle.

Les radeaux furent chargés d'autant de soldats qu'il en fallait pour combattre les fuyards. Ceux-ci, ayant partout des ennemis devant eux, ne pouvaient prendre terre nulle part ; et d'un autre côté ils n'étaient guère en mesure de soutenir un combat naval, car leurs embarcations étaient trop petites pour résister à des radeaux chargés de monde. Ils se contentèrent donc de faire le plus de mal possible aux Romains, en voltigeant autour d'eux, en leur lançant des pierres de loin et parfois de près. Mais ces pierres ne faisaient guère que du bruit, car elles tombaient sur des hommes bien couverts de leurs armures, tandis que les traits des Romains arrivaient jusqu'à ceux auxquels ils étaient destinés ; ceux qui s'approchaient de trop près étaient frappés avant de pouvoir rien faire ; leurs barques étaient chavirées et ils étaient eux-mêmes jetés à l'eau. Beaucoup qui tentaient d'aborder les radeaux étaient transpercés à coups de pique. Parfois les soldats romains, sautant dans une embarcation juive, l'épée à la main, s'en emparaient incontinent. D'autres fois encore, deux radeaux serraient entre eux une embarcation ennemie et. la faisaient prisonnière. Si parmi ceux qui étaient tombés à l'eau, quelqu'un laissait voir sa tête, une flèche lui était immédiatement envoyée, ou un radeau s'en saisissait. Si enfin, poussé par le désespoir, l'un d'eux tentait de nager vers les Romains, et de se cramponner aux radeaux, on lui coupait les mains ou la tête. Enfin les malheureux, cernés et poussés vers la terre, y trouvèrent la mort qui les attendait. Pas un seul n'échappa. Le lac était rouge de sang et couvert de cadavres.

Dans les journées qui suivirent, une épouvantable puanteur se répandit dans tout le pays ; toute la côte était jonchée de corps en putréfaction et tuméfiés. Il fallut les brûler et cette opération fut loin de diminuer l'odeur affreuse qui désolait autant les vainqueurs que les vaincus. Le nombre des morts, y compris ceux qui avaient péri dans la ville, fut de six mille cinq cents.

Après le combat, Vespasien tint à Tarichées un conseil de guerre avec les chefs de l'armée romaine, pour décider du sort des prisonniers étrangers à la ville, et auxquels seuls les hostilités étaient imputables. Tous furent d'avis qu'il était prudent de s'en débarrasser ; car si on les mettait en liberté, ces hommes, désormais sans patrie, ne se tiendraient certainement pas tranquilles. et forceraient à prendre les armes les populations au sein desquelles ils se réfugieraient. Vespasien, qui partageait cette opinion, réfléchit au genre de mort qu'il fallait leur infliger. Les tuer à Tarichées, c'était soulever les habitants, qui verraient certainement avec horreur massacrer tant de suppliants au milieu d'eux ; il répugnait d'ailleurs au général d'employer la force contre une population qu'il avait prise à merci. Il finit cependant par exécuter le conseil de ses amis, qui lui représentaient qu'envers les Juifs tout était permis, et qu'il était sage de faire passer l'utile avant l'honorable, lorsqu'on ne pouvait obtenir les deux ensemble.

Que dirons-nous de cette morale à l'usage des Romains ? Rien ; nous laisserons au lecteur le soin d'en faire justice.

Vespasien, donnant à ses prisonniers une liberté illusoire, ne leur laissa ouverte que la route de Tibérias. On droit facilement ce qu'on désire. Les malheureux, ne redoutant aucun piège, partirent donc joyeusement et avec une entière confiance. Mais ils trouvèrent la route qu'ils avaient a suivre garnie de troupes, qui ne permirent pas à un seul d'entre eux de s'en écarter, et qui, en fin de compte. les enfermèrent dans la ville. Vespasien les suivit de près et les fit, rassembler dans le stade. Là, il fit, égorger, au nombre de douze cents, les vieillards et les enfants. Parmi les plus valides, il choisit six mille jeunes hommes qu'il envoya à Néron, à l'isthme de Corinthe ; tout le reste, au nombre de trente mille quatre cents, fut vendu, à l'exception de ceux dont il fit présent à Agrippa. Il laissait en effet à ce monarque le droit d'en user à sa volonté contre tous ceux qui étaient sortis de ses Etats. Agrippa n'hésita pas et les vendit de son côté, sans scrupule. Toute cette foule, ainsi traitée, était composée de Trachonites, de Gaulanites, d'Hippéniens et de Gadarites, pour la plupart rebelles et fugitifs, espèces de bandits pour lesquels la guerre était préférable à la paix. Cela arriva le 8 du mois de Gorpiæus (1er août).

Tous ceux qui en Galilée s'étaient soulevés contre les Romains après la ruine de Iotapata, se halèrent de faire leur soumission, lorsque Tarichées eut été forcée. Les Romains occupèrent aussitôt toutes les villes et toutes les forteresses, à l'exception de Giscala et du mont Itabyrius (mont Thabor, Djebel-Tour). Gamala, ville située au-dessus du lac de Tibériade et en face de Tarichées, persistait aussi à tenir contre les Romains. Cette ville était du domaine d'Agrippa, ainsi que Sogané et Séleucie. Sogané faisait partie de la haute Gaulanite (Djaoulan), et Gamala de la basse. Quant à Séleucie, elle était située devant le lac Semechonite (El-Houleh). La largeur de ce lac est de trente stades. sa longueur de soixante, et ses marécages s'étendent jusqu'à Dan[8], lieu délicieux et pourvu de sources formant (τρέφουσαι, nourrissant) ce que l'on appelle le petit Jourdain, qui se jette dans le grand, au-dessous du temple de la Vache-d'Or (Tell-el-Qadhi).

Au commencement de la rébellion, Agrippa avait traité avec Sogané et Séleucie ; mais Gamala avait refusé de se rendre à lui, à cause de sa position naturelle, bien plus respectable encore que celle de Iotapata. Josèphe avait développé de son mieux les ouvrages de défense de Gamala ; aussi les Juifs qui l'occupaient, bien qu'inférieurs en nombre aux défenseurs de Iotapata, avaient-ils plus de confiance et d'audace que ceux-ci. La ville était remplie d'hommes de guerre qui s'y étaient réfugiés, comme dans un asile imprenable, et lorsque Agrippa avait voulu les mettre à la raison, ils avaient résisté pendant sept mois entiers. Vespasien se chargea de venir à bout de cette entreprise difficile.

Quittant son camp d'Emmaüs (El-Hammam) près de Tibérias, il se rendit à Gamala. Bloquer la ville entière était impossible, à cause de son assiette ; il dut donc se contenter de placer des postes partout où la chose pouvait se faire, et il occupa la montagne qui la dominait. Les travaux de siège commencèrent aussitôt et furent poussés activement par les légions romaines.

Comme pour Iotapata, je me dispenserai de suivre Josèphe dans tous les détails qu'il donne à ce sujet, et je me contenterai de rappeler que le roi Agrippa, s'étant approché des murailles de la ville, pour offrir aux habitants une capitulation honorable, reçut au coude droit une pierre lancée par une fronde. Cet incident excita au dernier point la colère des Romains.

Le siège fut long et des plus pénibles, car il fut marqué par un violent échec que les Romains essuyèrent, la première fois qu'ils donnèrent l'assaut à la place. Ils n'y purent entrer définitivement que le 23 du mois d'Hyperbérétæus (16 septembre). Titus, qui n'avait pas assisté au commencement des opérations, parce que son père l'avait envoyé en Syrie, chargé d'une mission auprès de Mucianus, pénétra le premier dans Gamala. La population entière, à l'exception de deux femmes, périt dans cette journée. Quatre mille personnes furent passées au fil de l'épée, et plus de cinq mille autres se donnèrent volontairement la mort, en se précipitant du haut de la montagne escarpée qui avait été leur dernier refuge.

Le siège avait commencé le 24 de Gorpiæus, il dura donc en tout trente et un jours.

Pendant le siège de Gamala, Vespasien fit attaquer le mont Itabyrius, qui est placé entre la grande plaine et Scythopolis. Sa pente a trente stades (5.550 mètres) de longueur[9]. Du côté du nord il est inaccessible, et au sommet se trouve un plateau de vingt-six stades de tour, entièrement clos par une muraille que Josèphe avait fait construire en quarante jours seulement. Cette forteresse tirait d'en bas toutes ses ressources en eau et en vivres, car les habitants n'avaient d'autre eau à leur portée que celle des pluies.

Placidus, à la tête de six cents cavaliers, fut chargé d'enlever cette position que défendait une foule de réfugiés. Il ne pouvait gravir la montagne avec sa cavalerie ; il fit donc proposer aux défenseurs le pardon de leurs fautes, en leur offrant la paix. Ceux-ci descendirent avec l'intention de tendre un piège à Placidus. Ils ne se doutaient pas clac le Romain jouait le même jeu, et qu'il était plus adroit qu'eux. Les Juifs en effet ayant engagé le combat, les Romains firent semblant de fuir, et aussitôt qu'ils les eurent attirés suffisamment loin en plaine, ils firent volte-face, les chargèrent avec furie et leur coupèrent la retraite vers la montagne. Renonçant aussitôt à regagner le Thabor, ils prirent le parti de fuir vers Jérusalem. Quant aux habitants du Thabor, qui manquaient d'eau, ils jugèrent prudent de se rendre et de livrer leur montagne à Placidus, après avoir reçu sa parole qu'il ne leur serait fait aucun mal.

Il ne restait plus à réduire dans toute la Galilée que la seule Giscala. La population réelle, composée d'agriculteurs toujours préoccupés de leurs récoltes, désirait la paix. Mais là encore un ramassis de gens sans aveu. à la tête desquels s'était mis Jean, fils de Lévi, dont nous avons parlé déjà plusieurs fois, faisait la loi et forçait les habitants paisibles de se tenir prêts à soutenir la guerre. Vespasien y envoya son fils Titus avec un corps de mille hommes de cavalerie ; en même temps la dixième légion retournait dans son cantonnement de Scythopolis, et les deux autres rentraient à Césarée avec Vespasien. Il semblait opportun au général de donner à ses troupes le temps de se refaire, après la campagne qui venait de finir, à la vue surtout des fatigues que leur causerait infailliblement le siège de Jérusalem, ville puissante, où ils retrouveraient sans aucun doute tous ceux qui leur avaient échappé jusqu'alors.

Titus arriva devant Giscala (El-Djich), et reconnut qu'il lui serait facile de l'enlever immédiatement de vive force. Mais il savait qu'en pareille occurrence les bons payaient pour les méchants, et d'ailleurs il était fatigué de carnage. Il préféra donc obtenir la reddition de la place, en lui offrant une capitulation convenable. Si les habitants ne l'acceptaient pas et s'ils le forçaient à agir, il les avertit qu'il ne serait point fait de quartier, et que la destruction des murailles dans lesquelles ils avaient tant de confiance, ne serait qu'un jeu pour lui, avec les moyens dont il disposait. Jean employa la violence pour empêcher la population de faire la moindre démonstration en faveur de la paix ; puis il fit répondre à Titus qu'il acceptait ses conditions, et qu'il était prêt à imposer la capitulation à ses soldats ; mais que ce jour-là étant le sabbat, il lui était absolument interdit de s'occuper de rien ; qu'une nuit était vite passée, et que par conséquent le retard demandé par lui ne pouvait causer aucun préjudice aux Romains. Titus consentit, et la Providence, qui réservait Jean au désastre de Jérusalem, inspira aux Romains la pensée d'aller camper à Cydissa, bourgade tyrienne située au milieu des terres[10], très-populeuse, très-ardente ennemie des Galiléens, et, pour cette raison munie de fortifications capables de la défendre contre ces ennemis détestés.

Pendant la nuit qui suivit, Jean, voyant les abords de la place dégarnis de postes de surveillance, l'évacua sans bruit avec tous les siens et s'enfuit vers Jérusalem. Jusqu'au vingtième stade cet homme, qui ne songeait qu'à sa propre sécurité, permit à la multitude des femmes de le suivre ; mais, arrivé là, il se débarrassa de cette entrave qui retardait sa fuite, et abandonna sans pitié femmes et enfants, malgré leurs lamentations et leurs supplications. Une fois séparés des leurs, les fuyards furent pris d'une panique, et crurent qu'ils avaient les Romains sur les talons. Le bruit de leur propre marche les épouvantait, et leur fuite devint bientôt un sauve qui peut général, où les uns périssaient en se lançant à travers des routes impossibles, tandis que les autres se foulaient aux pieds, en voulant se dépasser. Le sort des femmes et des enfants était affreux, et beaucoup d'entre elles osèrent jeter des cris de détresse vers leurs maris et leurs proches, les adjurant de ne pas les abandonner et de leur donner la protection qu'ils leur devaient. Mais Jean força ses adhérents de rester sourds à ces supplications désespérées, et les pressa de songer à leur propre salut, en gagnant le seul point où il leur serait donné de se venger sur les Romains de la perte des êtres les plus chers. Bientôt la masse des Juifs disparut au loin, chacun courant de toutes ses forces où la terreur l'emportait.

Au point du jour, Titus parut devant les murailles de Giscala. Selon les termes de la capitulation, le peuple lui ouvrit les portes, en l'acclamant comme son libérateur. La fuite de Jean lui fut aussitôt dénoncée, et, en lui demandant grâce pour eux-mêmes, les habitants le supplièrent de châtier tous les rebelles qui restaient, encore parmi eux. Titus, sans s'arrêter aux prières de la population, détacha immédiatement une cohorte de cavalerie à la poursuite de Jean. Celui-ci lui échappa et réussit à gagner Jérusalem ; mais six mille de ses compagnons furent mis à mort sur le chemin, et un peu moins de trois mille femmes et enfants furent ramassés par les Romains.

Titus, irrité de n'avoir pu tirer une vengeance immédiate de la déloyauté de Jean, pensa cependant qu'il y avait pour lui une compensation suffisante dans le nombre de ceux qui avaient péri et dans celui des captifs ; il fit donc son entrée dans Giscala, au milieu des bénédictions du peuple. Il ordonna d'abattre immédiatement une partie des murailles de la ville, mais il se contenta de menaces pour réprimer la rébellion, parce qu'il craignait que les haines particulières ne devinssent bientôt des motifs de dénonciation, ce qui l'aurait exposé à châtier des innocents. Il entoura la ville de postes suffisants pour réprimer toute nouvelle tentative de soulèvement et pour rassurer pleinement ceux qui étaient partisans de la paix. La Galilée se trouva ainsi pacifiée après la prise de Giscala.

A son arrivée à Jérusalem, Jean se vit accueilli par la ville entière. La foule entourait tous ceux qui avaient réussi à se sauver avec lui, leur demandant des détails sur ce qui leur était arrivé. Leur respiration essoufflée prouvait assez qu'ils avaient longuement couru, sans se donner le temps de reprendre haleine. Le croirait-on ? ces hommes pleins d'arrogance affirmèrent qu'ils n'avaient pas fui devant les Romains. et qu'ils ne venaient à Jérusalem que pour mieux combattre l'ennemi ; que c'était le fait d'hommes insensés et inutiles de s'exposer à la mort pour défendre une Giscala ou d'autres misérables bicoques, tandis qu'il importait de réserver tous les courages et toutes les armes pour la défense de la métropole.

Ils ne racontèrent que plus tard la perte de Giscala, et alors le plus grand nombre comprit que leur prétendue évacuation honorable n'était en réalité qu'une fuite honteuse. Puis, lorsqu'on apprit le sort des captifs, la population de Jérusalem se sentit grandement troublée, et elle prévit immédiatement l'avenir qui la menaçait elle-même. Mais Jean n'était pas homme à rougir de ce qu'il avait fait, et, s'adressant à ses auditeurs, il les excitait à la guerre, en s'efforçant de leur rendre l'espérance. A l'entendre, les Romains étaient sans ressources, tandis qu'eux-mêmes disposaient d'immenses moyens de résistance. Puis, se moquant de l'ignorance de ceux qui n'étaient pas des hommes de guerre, il affirmait que jamais les Romains, quand bien même il leur pousserait des ailes, ne franchiraient les remparts de Jérusalem, eux qui avaient tant souffert devant les villages de la Galilée, et qui avaient usé leurs machines de siège contre leurs méprisables murailles.

La plupart des jeunes gens s'enflammaient à ces paroles audacieuses et appelaient la guerre de tous leurs vœux, tandis que, parmi les hommes d'âge et d'expérience, il n'y en avait pas un qui ne gémit en prévoyant l'avenir, comme si la ville était déjà sur le point de périr.

De Giscala, Titus revint directement à Césarée, que Vespasien quitta bientôt pour aller s'emparer d’Iamnia et d'Azot (Esdod), où il installa des garnisons. Puis il rentra à Césarée, emmenant avec lui un grand nombre d'habitants de ces deux places qui s'étaient rendues à lui.

Cependant toutes les villes de la Judée étaient remuées par des dissensions intestines, et tous ceux que la puissance romaine laissait respirer s'entre-déchiraient. Deux grands partis en effet étaient en présence, les partisans de la guerre et ceux de la paix. Il, n'y avait plus de lien de famille ni d'amitié ; la communauté seule des opinions politiques rapprochait les gens des classes les plus opposées. En un mot, la discorde se glissait partout. Les révolutionnaires et les batailleurs l'emportaient naturellement en audace sur les hommes Agés et prudents. Le brigandage ne pouvait manquer de naître d'un pareil état des esprits. D'abord les vols individuels eurent lieu ; puis bientôt des bandes se formèrent et tout le pays fut mis au pillage. Il n'y eut véritablement plus de différence entre les procédés des Romains et ceux des Juifs eux-mêmes, si bien que ceux qui étaient les victimes de ces bandits, eussent préféré devoir leur malheur aux Romains.

Les garnisons établies dans les villes, autant par insouciance que par haine des Juifs, laissaient faire et ne portaient secours à personne. Puis, un beau jour, les chefs de toutes les bandes, rassasiés de pillage, se réunirent, formèrent une véritable armée de brigands, et s'introduisirent furtivement dans Jérusalem, qui n'était alors gouvernée par personne, et qui, suivant l'antique coutume, accueillait tous les Juifs. sans se préoccuper de ce qu'ils étaient. Les habitants d'ailleurs eurent la simplicité de croire que tous ces hommes armés venaient par pure bonté à leur secours. Ils ne tardèrent pas à reconnaitre leur erreur, car la ville fut bientôt en proie aux plus dures calamités. En effet, les bouches inutiles de la foule inoffensive consommaient les vivres nécessaires à l'entretien des soldats, et de là résulta que Jérusalem eut bientôt affaire à la fois à la guerre extérieure, à la sédition et à la disette.

L'exemple des premiers venus était bon à suivre : aussi vit-on bientôt affluer les brigands de tout le pays ; ils se réunirent à leurs devanciers, et la situation de Jérusalem empira d'autant. Ces maudits, en effet, ne se contentaient plus de rapines et de spoliations, et ils en vinrent à l'assassinat, commis, non pas à la faveur de la nuit, en cachette et sur des victimes prises au hasard, mais au grand jour et sur les personnes les plus illustres de la cité. Le premier frappé fut Antipas, homme au service du gendre du roi et citoyen des plus puissants, qui était préposé à l'administration des trésors publies. Il fut arrêté tout à coup, sans raison, et jeté en prison. Après lui, Levias, issu d'une des Plus nobles familles, et Sophas, fils de Ragnel, tous deux de race royale, eurent le même sort, ainsi que beaucoup d'autres du rang le plus élevé. La population était en proie à la terreur, mais comme si la ville eût été déjà aux mains de l'ennemi, chacun se contentait de penser à sa propre sécurité.

Les brigands ne devaient pas se contenter de la détention pure et simple pour ces infortunés. Ils étaient trop puissants, trop bien apparentés, pour qu'il fût prudent de les garder longtemps en prison ; le peuple d'ailleurs pouvait finir par se révolter contre une semblable tyrannie. Leur mort fut donc résolue, et un certain Jean, surnommé le fils du Daim, assassin émérite, fut chargé de les égorger. Dix scélérats comme lui l'accompagnèrent à la prison, tous armés d'épées, et les détenus furent massacrés. Il fallait colorer ce meurtre odieux d'un prétexte, et le prétexte fut bientôt trouvé. Les victimes avaient comploté de livrer Jérusalem aux Romains, et les assassins se vantèrent d'avoir fait justice de traîtres à la liberté commune, et se glorifièrent de leurs crimes, comme s'ils fussent devenus en réalité les bienfaiteurs et les sauveurs de la patrie.

Ce fait ne rappelle-t-il pas d'une manière frappante les fatales journées de septembre ? J'en fais juge le lecteur.

Ce n'est pas tout encore. La population de Jérusalem tomba à un tel degré d'avilissement et de lâcheté, les autres en vinrent à un tel point d'insolence, qu'ils prétendirent qu'ils avaient le droit de désigner les souverains pontifes. Abrogeant les droits antiques des lignées pontificales, ils installèrent des grands prêtres inconnus et de bas étage, dans le seul but de se créer des complices de leurs sacrilèges. En effet, les hommes qui, sans aucun titre, auraient été élevés par eux aux honneurs suprêmes, seraient bien obligés d'être toujours de leur avis.

Les chefs de cette tourbe criminelle, lorsqu'ils furent rassasiés d'injures faites aux hommes, s'en prirent à Dieu lui-même, et osèrent poser leurs pieds pollués dans le sanctuaire. Le peuple avait fini par se soulever contre eux, excité par les paroles indignées d'Ananus, le plus âgé des pontifes, homme de la plus grande sagesse. et qui peut-être eût sauvé Jérusalem, si elle eût pu échapper aux griffes des bandits ; ceux-ci, pour se mettre à l'abri de la colère populaire. se firent une citadelle du temple de Dieu ; et le Saint devint leur refuge et le siège de leur tyrannie.

A tous les maux infligés au peuple, ils ajoutèrent bientôt une moquerie qui fut le plus cruel de leurs méfaits. Voulant en effet voir jusqu'où irait la couardise de la population, et jusqu'à quel point ils étaient maîtres de tout faire suivant leur bon plaisir, ils imaginèrent de choisir les souverains pontifes par la voie du sort, tandis que cette dignité était, ainsi que nous l'avons déjà dit, héréditaire dans certaines familles. Pour justifier cette infamie, ils invoquèrent l'existence d'une coutume antique, et affirmèrent que dans les temps anciens le pontificat était donné par le sort[11] ; en réalité ils violaient la loi la plus respectable et mentaient impudemment pour sanctionner leur usurpation.

Convoquant donc une tribu de race pontificale, qui portait le nom des Eniachim, ils prirent dans son sein un grand prêtre par la voie du sort. Le hasard désigna un homme du village d'Aphtha, nommé Phannias, fils de Samuel, qui non-seulement n'était pas de lignée pontificale, mais qui était d'une telle ignorance qu'il ne savait pas du tout ce qu'était le souverain pontificat. On alla l'enlever malgré lui à ses champs ; on le déguisa, comme cela se fait dans une mascarade ; on lui fit revêtir la robe sainte, et on lui souffla ce qu'il avait à faire. Pour ces misérables, ce crime affreux n'était qu'un jeu, qu'une plaisanterie ; mais tous les prêtres qui assistaient de loin à cette profanation indigne, versèrent des larmes amères, et gémirent en pensant que l'honneur de la religion était perdu.

Le peuple, cette fois, ne souffrit pas sans mot dire cet excès d'audace ; il se souleva en masse pour écraser ses tyrans. A sa tête s'étaient mis bravement Gorion, fils de Joseph, et Siméon, fils de Gamaliel[12], qui suppliaient leurs compatriotes de se venger enfin des traîtres qui compromettaient leur liberté, et de purger le sanctuaire de la présence des scélérats qui le souillaient. D'accord avec eux, les plus illustres des pontifes, Jésus, fils de Gamalas, et Ananus, fils d'Ananus, se multipliaient dans les rassemblements pour reprocher au peuple sa lâcheté et pour l'exciter contre les Zélotes. C'était en effet sous ce nom de Zélotes que les brigands se désignaient eux-mêmes, comme s'ils étaient pleins d'ardeur pour le bien, eux qui n'avaient d'autre émulation que celle du mal et du crime.

Ananus convoqua le peuple, qui, tout indigné qu'il était de voir les lieux saints occupés militairement et profanés par la rapine et par le meurtre, ne se pressait guère de venger ses injures, parce qu'il supposait avec raison que les Zélotes ne seraient pas faciles à déloger de là. Le grand prêtre s'avança an milieu de l'assemblée, et après avoir à plusieurs reprises jeté les yeux du côté du temple en versant des larmes, il prit la parole.

Je ne sais s'il est permis de croire que Josèphe, avec sa manie de mettre de grands discours dans la bouche de ses héros, nous a conservé la harangue du grand prêtre Ananus. J'en doute fort, et j'aime mieux me dispenser de reproduire les périodes que Josèphe lui prête, et dont l'analyse allongerait le récit des événements. Ce que nous pouvons admettre avec toute confiance, c'est que les paroles d'Ananus, qui savait pertinemment que c'était œuvre périlleuse que d'attaquer les Zélotes dans leur repaire, réussirent à faire passer dans le cœur de ses auditeurs une partie de l'indignation qui enflammait le sien. Le peuple demanda unanimement à grands cris qu'on le conduisît contre les Zélotes, en se déclarant prêt à s'exposer aux plus grands dangers.

Cette ardeur guerrière n'eut pas les honneurs de l'initiative ; car tandis qu'Ananus, après avoir harangué le peuple, choisissait les hommes propres au combat et les y préparait, les Zélotes, informés de ce qui se passait par des espions à eux qui se trouvaient toujours présents aux délibérations populaires, entrèrent en fureur, s'élancèrent en masse hors du temple et égorgèrent tous ceux qui se présentèrent sur leur chemin. Ananus courut au-devant du danger avec ses soldats improvisés, chez lesquels la fureur suppléait à l'expérience des armes. On en vint aux mains dans la ville et en avant du hiéron, à coups de pierres et de javelots. Ceux qui lâchaient pied étaient poursuivis par leurs vainqueurs l'épée dans les reins. De part et d'autre les pertes furent considérables. Les maisons de la ville servirent d'asile aux blessés du peuple. Ceux des Zélotes remontèrent dans le héron, inondant de sang le parvis sacré.

Chaque fois que les bandits chargeaient, ils avaient d'abord le dessus. Mais la foule furieuse du peuple allait toujours croissant ; on accablait d'injures ceux qui reculaient ; on les polissait en avant par les épaules, et, ne laissant aucun passage ouvert aux fuyards, on rejetait à un moment donné la masse entière des combattants sur les Zélotes. Ceux-ci ne furent bientôt plus en état de résister à la pression des assaillants. Ils se retiraient lentement vers le hiéron, lorsqu'Ananus et les siens intervinrent au combat. Aussitôt le premier péribole fut envahi ; ceux qui l'avaient perdu se jetèrent épouvantés dans le péribole intérieur, et en fermèrent incontinent les portes. Ananus craignait d'attaquer ces portes du haut desquelles l'ennemi aurait accablé ses soldats ; d'ailleurs il ne se croyait pas permis, quand bien même il eût été sûr de la victoire, de laisser entrer dans l'enceinte sacrée le peuple non purifié. Il se contenta donc de choisir au sort six mille hommes armés qu'il établit dans les portiques pour les garder. Tous les autres combattants furent répartis en postes d'observation, placés dans tous les environs du hiéron. On vit alors beaucoup des principaux personnages de la cité, congédiés par ceux à qui le commandement militaire était dévolu, envoyer des pauvres qu'ils engageaient à prix d'argent, pour aller monter la garde à leur place.

Jean de Giscala causa la perte de tout ce monde. Feignant de partager l'indignation du peuple, il ne quittait pas Ananus, le suivant dans tous les conciliabules des grands de la ville, dans les visites des postes qu'il inspectait pendant la nuit. Par lui les Zélotes savaient tous les secrets de leurs adversaires et étaient mis au courant de toutes les délibérations du peuple, avant même que celles-ci fussent closes. Pour éloigner tout soupçon, il ne cessait d'accabler Ananus et les grands de tous les témoignages du dévouement le plus obséquieux. Mais cette précaution produisit précisément l'effet contraire. Ses absurdes adulations le rendaient suspect ; d'un autre côté, il était présent partout, bien qu'on ne l'eût pas appelé, et l'on commença à craindre qu'il ne fût un traître.

Tous les projets secrètement élaborés étaient à point nommé devinés par les Zélotes, et Jean seul pouvait être soupçonné de perfidie. Il était pourtant difficile de s'en débarrasser, car il était rusé, de noble extraction et bien protégé. On prit donc le parti, assez ridicule, il faut en convenir, d'exiger de lui un serinent de fidélité. Jean n'hésita pas une seconde, et jura tout ce que l'on voulut. A partir de ce moment, Ananus et ceux qui étaient d'accord avec lui, furent pleinement rassurés et laissèrent Jean assister à leurs conciliabules. Ils firent mieux encore, et l'envoyèrent en parlementaire aux Zélotes, afin de traiter d'un accommodement ; car ils avaient pour premier désir d'empêcher la profanation qu'eût subie le hiéron, si un Juif y eût péri les armes à la main.

Jean, une fois admis en présence des Zélotes, leur rappela les dangers auxquels il s'était exposé pour servir leur cause, en leur révélant tous les secrets d'Ananus et de ses partisans, et il ajouta que ces dangers n'étaient rien auprès de celui qui les menaçait en ce moment. Ananus n'hésitait plus, et, après avoir obtenu l'assentiment du peuple, il avait envoyé des émissaires à Vespasien, pour le presser de venir se saisir de Jérusalem. Il avait de plus ordonné à ses soldats de se purifier pour le lendemain, afin qu'une fois entrés dans le temple, sous prétexte de religion, ou par force, ils pussent engager le combat avec eux. Il ajoutait ne pas savoir comment ils pourraient soutenir un plus long siège ou se défendre contre de si nombreux adversaires. C'était la Providence qui l'avait fait choisir comme parlementaire, car le projet d'Ananus était de les attaquer lorsqu'ils seraient désarmés ; il fallait donc se décider, s'ils tenaient à la vie, et demander grâce aux assiégeants, ou chercher quelque secours à l'extérieur.

Il les engageait d'ailleurs à ne pas oublier que l'on déteste toujours les auteurs des méfaits dont on a souffert, lors même qu'ils ont l'air de s'en repentir, et que ceux qui ont été blessés, lorsqu'ils deviennent les plus forts, cèdent toujours à la colère. Que, quant à eux, ils seraient toujours en butte à la haine des parents et des amis de leurs victimes, et à celle de la population, qu'ils avaient irritée en violant toutes ses lois. Il était possible qu'il s'en trouvât quelques-uns dans la multitude qui sentissent quelque compassion pour eux ; mais, à coup sûr, ils se tairaient devant la majorité. — Tous ces propos jetèrent la terreur dans les rangs des Zélotes.

Mais quel était le secours extérieur que Jean n'osait nommer ? C'étaient les Iduméens. Pour décider les chefs des Zélotes à les appeler, il leur peignit Ananus sous les couleurs les plus terribles, le disant plein de cruauté, et affirmant qu'il ne cessait de répandre des menaces contre chacun d'eux. Éléazar, fils de Simon, et Zacharie, fils de Phalek, tous cieux de race sacerdotale, passaient parmi les Zélotes pour les hommes les plus habiles et les plus déterminés du parti. Ceux-ci eurent la plus grosse part dans les menaces fictives d'Ananus, et se laissèrent persuader que le grand prêtre voulait attirer les Romains à Jérusalem, afin de s'assurer la possession de l'autorité souveraine. Ils hésitaient pourtant et ne savaient que résoudre. Ils étaient convaincus que le peuple ne tarderait pas à les attaquer, et que bientôt la ressource de recourir aux Iduméens leur serait enlevée ; d'un autre côté comment espérer que ces auxiliaires pussent être arrivés avant la catastrophe ? Toutefois ils furent d'avis qu'il valait mieux essayer de recourir aux Iduméens. Ils leur écrivirent donc une courte dépêche, leur annonçant qu'Ananus, abusant le peuple, voulait livrer la capitale aux Romains ; qu'eux-mêmes, par amour pour la liberté, s'étaient séparés du traître et étaient assiégés dans le temple, où ils ne pourraient plus tenir que bien peu de temps ; que s'ils ne venaient promptement à leur secours, ils seraient bientôt réduits eux-mêmes en servitude par Ananus, et verraient Jérusalem aux Romains.

Deux des Zélotes les plus intelligents, et marcheurs des plus remarquables, furent chargés de porter la dépêche aux chefs des Iduméens, et de leur donner de vive voix toutes les explications convenables. On pouvait compter sur la venue des Iduméens, race turbulente, ennemie de l'ordre et essentiellement : batailleuse. Ce qu'il fallait, c'était qu'ils fussent rapidement prévenus. Les deux messagers, nommés tous les deux Ananias, se mirent en route et firent telle diligence qu'ils furent bientôt auprès des Iduméens.

A la lecture de la lettre qui leur était adressée, ils furent d'abord étonnés, mais de l'étonnement ils passèrent immédiatement à la fureur, et la nation fut appelée aux armes. En très-peu de temps, une troupe de cieux mille combattants fut réunie et partit pour Jérusalem, avec l'ardeur qu'auraient eue des sauveurs de la capitale. Ils étaient sous les ordres de quatre chefs, Jean et Jacob fils de Sosas, Simon fils de Cathlas, et Phinéas fils de Clousoth[13].

Si le départ des messagers des Zélotes passa inaperçu pour Ananus et les siens, il n'en fut pas de même de l'arrivée des Iduméens. Ananus se hâta de faire fermer les portes de la ville et de garnir les murailles de défenseurs. Il ne voulait pourtant pas en venir aux mains avec eux, et son intention était d'essayer la persuasion. Ce fut Jésus, le plus âgé des pontifes après Ananus, qui fut chargé de haranguer les survenants. Il s'établit donc dans une tour située devant eux, et, de là, leur dit sans réticence ce qu'étaient les hommes au secours desquels ils accouraient. Il s'efforça de les détourner de prêter main-forte à des brigands souillés de tous les crimes, à des profanateurs qui osaient s'enivrer dans le temple.

Comme quelques-uns des Iduméens se récriaient sur la trahison qui devait livrer Jérusalem aux Romains, et signifiaient leur volonté d'empêcher que cette trahison ne s'accomplit, Jésus reprit, en jurant que tout cela était un mensonge horrible ; qu'il n'était question ni de Romains ni de trahison, et que ces accusations étaient la plus abominable des calomnies inventées par les Zélotes. Pourquoi donc nous livrerions-nous maintenant aux Romains, lorsqu'il nous était loisible, au commencement de la guerre, de ne pas nous révolter contre eux, ou du moins facile, après notre défection, de rentrer en grâce, avant que tout le pays qui nous entoure ne fin dévasté par eux ? Et croyez-vous que, quand bien même nous le voudrions, nous pourrions aujourd'hui les apaiser, après que la ruine de la Galilée a exalté leur orgueil, les toucher par de la servilité, alors qu'ils sont à nos portes ? Quant à moi, je l'avoue hautement, je préférerais la paix à la mort ; mais, une fois la guerre engagée, j'aime mille fois mieux une mort glorieuse que l'esclavage. Est-ce nous, chefs du peuple, que l'on accuse d'avoir traité en secret avec les Romains, ou bien est-ce le peuple entier ? S'il ne s'agit que de nous seuls, que les dénonciateurs révèlent les noms des amis que nous avons envoyés comme instruments de notre trahison. Qui donc a été arrêté en chemin, soit au départ, soit au retour ? Où sont les lettres interceptées ? Comment ce peuple tout entier, au milieu duquel notre vie se passe, qui nous voit à toute heure, n'a-t-il rien su de ce que nous machinions ? Comment cette poignée de bandits, qui n'ose franchir les limites du hiéron, pour entrer en ville, a-t-il pu découvrir ce qui se tramait en secret au dehors ? Maintenant que le supplice mérité par eux les menace, ils ont découvert une trahison dont aucun de nous n'était soupçonné, tant qu'ils n'ont rien eu à craindre ! Si c'est au contraire le peuple entier qu'ils accusent, il faut qu'ils disent que la délibération a été prise au grand jour, car personne ne manquait au conseil, et, en ce cas, comment n'en avez-vous rien su ? Ne fallait-il pas désigner les envoyés chargés de traiter ? Que les calomniateurs disent donc leurs noms ! Vous voyez bien que ce ne sont là que des inventions des malfaiteurs qui cherchent à éviter le châtiment qu'ils ont mérité ! Si la ville devait être trahie. ce ne serait que par ceux qui osent nous accuser, car aux crimes qu'ils ont déjà commis il en manque un encore, la trahison !

L'orateur retraça alors le tableau des méfaits imputables aux Zélotes, et s'efforça de gagner les Iduméens à son parti, en leur disant qu'il était de leur devoir d'aider la population à anéantir des brigands souillés de tous les crimes envers les hommes et envers Dieu lui-même. Au cas où ils persisteraient à tenir compte de leur appel, ils étaient libres de le faire, mais à la condition d'entrer dans la ville sans armes et en amis, et de consentir à prendre un rôle qui tint le milieu entre ceux d'ennemis et d'auxiliaires, c'est-à-dire de se poser en arbitres et en juges ; que s'ils ne voulaient pas s'associer à l'indignation du peuple, ni accepter le rôle de juges, il leur restait un troisième parti à prendre, celui de respecter la neutralité, c'est-à-dire de ne pas insulter aux malheurs du peuple et de ne pas faire cause commune avec les bourreaux de la métropole. Jésus termina enfin en leur disant qu'ils n'avaient pas le droit de s'étonner, s'ils voyaient les portes de la ville fermées devant eux, tant qu'ils resteraient en armes.

Le commencement du discours du pontife avait été habile et logique ; la fin lut tellement maladroite qu'elle exaspéra les Iduméens. Ceux-ci, en effet, étaient furieux de trouver les portes closes, et leurs chefs s'indignaient de la proposition qui leur était faite de mettre bas les armes. L'un d'eux, Simon, fils de Cathlas, après avoir calmé l'irritation des siens, répondit aux pontifes qu'il ne s'étonnait plus de voir les défenseurs de la liberté assiégés dans le temple, puisque quelques hommes se permettaient de fermer une ville qui appartenait à la nation entière, et s'apprêtaient à recevoir les Romains, peut-être en ornant de couronnes les portes de la cité, tandis qu'ils parlementaient du haut des tours avec les Iduméens, et leur enjoignaient de jeter les armes qu'ils avaient saisies pour défendre la liberté. L'orateur, plus habile que le pontife Jésus, rétorqua tous ses arguments, et lui reprocha d'insulter la nation, en refusant à des compatriotes l'entrée d'une ville toujours ouverte pour cause de religion, même aux Gentils. En nous signifiant vos ordres insultants, ajouta-t-il, vous osez vous plaindre d'être soumis à une odieuse tyrannie. Mais c'est vous qui êtes les tyrans ! Qui donc vous croira, quand les faits sont en si complet désaccord avec vos paroles ? Vous serez chassés de la ville par ces mêmes Iduméens que vous chassez des autels. Il n'y a qu'un reproche à adresser à ceux qui sont assiégés dans le temple, c'est que, lorsqu'ils ont osé punir des traîtres vos complices, que vous travestissez en hommes illustres assassinés sans jugement, ils n'aient pas commencé par vous. S'ils se sont montrés indulgents, nous, Iduméens, nous protégerons la maison de Dieu, nous combattrons pour la patrie et nous châtierons les ennemis du dehors et du dedans. Nous resterons donc ici sous les armes, devant les murailles, jusqu'à ce que les Romains soient fatigués de vous attendre, ou que vous changiez d'avis et que vous sentiez enfin ce que c'est que l'amour de la liberté.

Ces paroles furent accueillies par les acclamations unanimes des Iduméens, et le pontife Jésus s'éloigna inquiet et désolé, parce qu'il voyait que les Iduméens n'avaient aucune modération, et que la ville allait avoir affaire à deux ennemis à la fois.

De leur côté, les Iduméens se préoccupaient de leur situation. S'ils se sentaient violemment outragés par le refus qu'on leur avait fait de les admettre dans la ville, ils ne tardèrent pas à comprendre que les Zélotes, qui ne faisaient rien pour leur venir en aide, étaient moins puissants qu'ils ne l'avaient cru ; dès lors l'anxiété s'empara de leurs esprits, et beaucoup d'entre eux commencèrent à regretter d'être venus. Mais comme ils auraient été honteux de rentrer dans leurs foyers sans avoir rien fait, ils décidèrent qu'ils resteraient, quelque mal qu'ils dussent être, dans le camp qu'ils établirent devant les murailles.

La nuit suivante, un orage effroyable éclata : éclairs, foudre, pluie torrentielle, ouragan, tremblement de terre, rien n'y manqua, et la consternation fut grande chez les malheureux exposés à toutes ces misères. Chez les Iduméens comme dans la ville, on interpréta de la même manière la venue de cette tempête. Les premiers furent persuadés que Dieu était irrité de leur expédition, et qu'ils ne pouvaient échapper au châtiment qu'ils avaient mérité en prenant les armes contre la métropole sainte. Pour Ananus et ses amis, ils avaient remporté la victoire sans bataille, et il était manifeste que Dieu combattait pour eux. Mais ils prévoyaient mal l'avenir, et les calamités qui devaient les atteindre, eux et les leurs, ils les croyaient réservées à leurs ennemis.

Les Iduméens, se serrant les uns contre les autres, cherchaient à réchauffer leurs membres engourdis par le froid, et s'abritaient contre la pluie sous leurs boucliers juxtaposés au-dessus de leurs têtes. Quant aux Zélotes, ils étaient plus inquiets du sort de leurs alliés que du leur ; réunis en conseil, ils cherchaient quelque moyen de leur venir en aide. Les plus ardents proposèrent de courir aux armes et d'attaquer les postes qui les entouraient, pour se ruer ensuite sur la ville et ouvrir les portes à leurs auxiliaires. Le moment était favorable, car la violence de l'orage retiendrait les habitants dans leurs demeures, et, quant aux portes à enlever, elles ne résisteraient que faiblement, grâce à l'impéritie de leurs défenseurs. Qu'en fin de compte, s'il y avait danger dans l'entreprise. il valait bien mieux s'y exposer que de laisser périr misérablement tant d'hommes accourus par pure bienveillance pour eux. Les plus prudents furent d'avis de ne pas tenter l'aventure, parce que non-seulement ils se voyaient entourés d'une garde plus forte que d'ordinaire, mais parce qu'ils savaient que les remparts de la ville étaient activement surveillés, à cause du voisinage des Iduméens. Ananus, d'ailleurs, était partout à la fois, et, à chaque heure de la nuit, il inspectait toutes les portes.

Cela avait effectivement lieu toutes les nuits, mais ne fut pas exécuté cette fois, non par négligence d'Ananus, mais bien pour que, suivant les décrets de la Providence, il pérît lui-même avec ses soldats, à l'heure fatalement fixée.

Lorsque la nuit était très-avancée et que la tempête redoublait de fureur, les sentinelles des portiques furent renvoyées pour prendre du repos. Les Zélotes eurent alors l'idée de se servir des scies consacrées pour couper les barres des portes. Les mugissements du vent et les roulements du tonnerre les favorisèrent si bien, que le bruit qu'ils faisaient ne fut entendu de personne.

Une fois sortis du hiéron, ils coururent aux murailles, et, à l'aide des mêmes scies, ils ouvrirent la porte devant laquelle étaient les Iduméens. Ceux-ci s'effrayèrent d'abord, 'pensant que c'étaient Ananus et les siens qui arrivaient, et chacun mit l'épée à la main pour défendre chèrement sa vie. Mais on se fut bientôt reconnu, et tous ensemble rentrèrent dans Jérusalem. Si en ce moment ils se fussent rués sur la ville, c'en était fait du peuple entier, tant était grande leur colère. Mais ils résolurent d'abord de délivrer les Zélotes du cordon de gardes qui les enveloppait, et cela sur les instances de ceux qui les avaient introduits dans la place. Ces gardes une fois chassés, en effet, ils pourraient, quand bon leur semblerait, faire irruption dans la ville ; tandis qu'au cas contraire, jamais le peuple ne serait vaincu ; car, dès qu'il en aurait. envie, il leur fermerait tous les passages.

Les Iduméens acceptèrent ce plan, et traversèrent la ville pour se rendre au hiéron, où les Zélotes attendaient leur arrivée avec la plus vive anxiété. Dès qu'ils furent entrés dans l'enceinte sacrée, les Zélotes, renfermés dans le second péribole, sortirent avec toute confiance, et, se mêlant aux Iduméens, attaquèrent les gardes des portiques ; quelques-uns des factionnaires, que le sommeil avait gagnés, furent égorgés ; mais les clameurs de ceux qui étaient éveillés firent prendre les armes à tout le monde, et l'on se mit, non sans stupeur, sur la défensive. Tant qu'ils crurent avoir affaire aux Zélotes seuls, ils tinrent bravement, parce qu'ils étaient assurés de l'emporter par le nombre, mais dès qu'ils se virent attaqués par l'extérieur, ils comprirent que les Iduméens avaient pénétré dans la ville. La plupart d'entre eux mirent bas les armes, et se contentèrent de gémir, tandis qu'une poignée de jeunes gens reçurent vigoureusement le choc des Iduméens et défendirent longtemps la multitude sans courage.

Les cris poussés dans le hiéron n'apprenaient que trop clairement aux gens placés dans la ville le malheur qui venait d'arriver. Personne cependant n'osa venir à leur aide, dès que l'on sut que les Iduméens étaient là. Des cris et des lamentations de femmes, voilà toute l'assistance que reçut la garnison du hiéron, qui courait le plus grand danger. Les Zélotes et les Iduméens y répondaient par des cris de fureur, que le fracas de l'orage rendait plus horribles encore. Les Iduméens ne faisaient pas de quartier ; et frappaient avec rage ceux qui les avaient exclus de la ville, exaspérés qu'ils étaient par tout ce qu'ils avaient souffert pendant la tempête. Suppliants ou combattants, peu leur importait ; tous étaient mis à mort. Il n'y avait aucun moyen de fuir ; par conséquent, aucun espoir de salut. Tous se précipitaient vers le même point, c'est-à-dire du côté de la ville, et là, entassés les uns sur les autres, ils étaient massacrés. Tout le hiéron extérieur était inondé de sang, et lorsque le jour vint éclairer cette scène de carnage, on compta huit mille cinq cents cadavres.

Mais cela ne suffisait pas pour assouvir la fureur des Iduméens, et, se jetant sur la ville, ils commencèrent à piller, tuant sans pitié tout ce qui se présentait. C'était aux pontifes surtout qu'ils en voulaient, et ils les cherchèrent partout. Ils finirent par les trouver, les massacrèrent incontinent, et foulant aux pieds leurs cadavres, ils reprochèrent à Ananus la bienveillance du peuple, et à Jésus les paroles qu'il leur avait adressées du haut des murailles. Ils poussèrent l'impiété au point de laisser leurs corps sans sépulture, malgré le respect des Juifs pour les morts, respect qui est si grand chez eux, que les suppliciés eux-mêmes sont inhumés avant le coucher du soleil.

On peut dire que la ruine de Jérusalem commença le jour même du meurtre d'Ananus. C'était un homme vénérable et souverainement juste, n'affectant jamais aucune hauteur avec les petits, lui qui était de l'origine la plus illustre et revêtu de la dignité la plus élevée. Épris par-dessus tout de la liberté de son pays et de son autonomie, il faisait passer le bien public avant tout ce qui l'intéressait personnellement ; et s'il désirait vivement la paix, c'est qu'il savait à merveille que les Romains ne pouvaient être vaincus par les Juifs, et, que si l'on ne traitait avec eux, on était condamné sans rémission. En un mot, si Ananus eût vécu, sans aucun doute les choses se fussent arrangées ; car il était éloquent et savait par ses paroles trouver le chemin des cœurs. Du reste, s'il eût réussi à se débarrasser de ses ennemis intérieurs, nul doute que les Romains n'eussent eu beaucoup à compter avec un pareil chef de guerre.

En même temps que lui mourut Jésus, qui certainement ne le valait pas, mais qui valait mieux que tous les autres. Dieu, sans doute, lorsqu'il eut décrété la destruction de la ville criminelle, et la purification par l'incendie de ses sanctuaires profanés, Dieu voulut retrancher du nombre des vivants les seuls hommes qui vénéraient et étaient capables de défendre ces sanctuaires. On vit ces hommes qui, bien peu de. temps avant, revêtus de la robe sacrée, présidaient aux solennités du culte, ces hommes, objets du respect de tous ceux qui venaient à Jérusalem des extrémités de l'univers, tués et jetés hors des murailles, en pâture aux chiens et aux bêtes fauves.

Après l'assassinat des pontifes, les Zélotes et les Iduméens traitèrent le peuple comme un vil troupeau, dans lequel ils choisissaient à l'envi leurs victimes. Les gens du bas peuple, partout où ils se montraient, étaient égorgés. Les nobles et les jeunes hommes étaient jetés en prison, dans l'espérance que la crainte de la mort les forcerait à prendre le parti de leurs bourreaux. Ce calcul fut complètement déçu, et tous préférèrent le supplice à la honte d'entrer dans les rangs de ceux qui conspiraient contre la patrie ; au reste, leur captivité n'était pas longue ; car ceux qui étaient arrêtés pendant la journée recevaient la mort le nuit suivante ; on se contentait d'aller jeter leurs cadavres hors des murailles, et l'on se procurait ainsi de la place pour de nouvelles victimes.

La terreur était si grande dans la population, que pas un n'eût osé pleurer ouvertement, ni ensevelir ses parents mis à mort de cette façon expéditive. Les larmes que l'on versait. on les versait en secret. On gémissait, mais en se cachant, de peur d'être entendu ; car on savait que l'on s'attirerait immédiatement le sort de ceux que l'on aurait pleurés. Pendant la nuit seulement on se hasardait à aller jeter un peu de terre sur les corps abandonnés ; quelques rares hommes de cœur osèrent cependant le faire au grand jour. Josèphe affirme que douze mille jeunes gens sortis des rangs de la noblesse périrent de cette façon. Mais il ne paraît pas possible que ce chiffre ne soit pas démesurément exagéré.

Les brigands osèrent par dérision constituer une sorte de tribunal et des semblants de jugements. Ainsi, voulant se débarrasser d'un certain Zacharie fils de Baruch, qu'ils exécraient parce qu'il aimait autant la liberté qu'il détestait la perversité, parce qu'il était riche et qu'ils voulaient s'emparer de ses biens, parce qu'enfin ils savaient qu'il était homme à se dévouer à leur perte, ils convoquèrent soixante-dix individus, pris parmi le bas peuple, auxquels ils conférèrent le vain titre de juges, et ils accusèrent devant eux Zacharie de vouloir les livrer aux Romains et d'avoir à ce sujet entretenu une correspondance avec Vespasien. Ils ne pouvaient produire ni preuves ni indice du crime imputé à l'accusé ; mais ils affirmaient qu'ils étaient convaincus de la réalité du fait, et ils prétendaient que cela valait toutes les preuves matérielles. Zacharie, comprenant qu'il était condamné à l'avance et perdu sans rémission, parla en toute liberté, fit ressortir, en se moquant, l'absurdité de l'accusation portée contre lui et en démontra l'inanité. Puis, se faisant à son tour l'accusateur de ceux qui le faisaient juger, il énuméra tous leurs méfaits et déplora les tristes effets de la révolution. Les Zélotes frémissaient de rage et avaient grande peine à ne pas écharper celui qui osait leur dire leurs vérités en face. Mais ils voulaient pousser jusqu'au bout leur comédie de jugement et expérimenter la fermeté des juges institués par eux ; ils voulaient enfin savoir si ces hommes, en face du péril, conserveraient le sentiment de la justice.

Or, il arriva que les soixante-dix juges acquittèrent Zacharie, aimant mieux partager son sort que mériter le reproche d'un assassinat judiciaire. Lorsque la sentence d'absolution fut prononcée, les Zélotes se récrièrent et s'emportèrent contre les juges qui n'avaient pas compris la vanité du pouvoir fictif qu'ils leur avaient conféré. Alors deux des plus audacieux se jetèrent sur Zacharie, qu'ils égorgèrent au milieu du hiéron, et, insultant à son cadavre, ils s'écrièrent : Voilà notre jugement à nous, et un acquittement qui vaut mieux que l'autre ! Puis ils traînèrent le corps hors du hiéron et le lancèrent dans la vallée qui courait au-dessous. Quant aux juges, ils les chassèrent de l'enceinte sacrée à coups de plat d'épée dans le dos, par dérision ; et ils ne leur laissèrent la vie que pour qu'ils fussent, parmi le peuple, la preuve vivante de sa servitude.

Tous ces faits monstrueux étaient peu du goût des Iduméens, qui commençaient, ainsi que nous l'avons dit, à regretter d'être venus à Jérusalem. Rassemblés en secret par un des Zélotes que le repentir avait touché, cet homme leur rappela hardiment toutes les horreurs qu'ils avaient commises, d'accord avec ceux qui les avaient appelés, tout le mal qu'ils avaient fait à la métropole. Vous avez pris les armes, leur dit-il, pour sauver Jérusalem de la trahison des pontifes, et vous n'avez pas pu trouver le plus léger indice de cette trahison. Maintenant vous êtes les soutiens des infâmes qui ont imaginé l'existence de cette trahison et qui n'ont d'autre pensée que celle de devenir les tyrans de la nation.

Dès le principe votre devoir eût été de les réprimer ; mais puisque la fatalité a voulu que vous devinssiez leurs complices, il est temps que vous vous arrêtiez, et que vous retiriez votre puissant appui à ceux qui perdront infailliblement la patrie. Si vous avez vivement ressenti l'injure qui vous a été faite quand on vous a refusé l'entrée de la ville, vous vous êtes vengés de cette injure, que vous avez lavée dans le sang d'Ananus et de la multitude égorgée dans une seule nuit. Vous voyez bien qu'il en est beaucoup parmi vous qui ont horreur de tous ces crimes, qui jugent sévèrement la cruauté de ceux qui les ont appelés ici, de ceux qui ne respectent pas même en vous leurs sauveurs. Hésitent-ils à commettre devant vous les actes les plus abominables ? Non ! Eh bien, alors les Iduméens passeront pour leurs complices, tant qu'ils ne s'opposeront pas à leurs méfaits, tant qu'ils ne se sépareront pas d'eux ! Il nous est démontré que tout ce qu'on nous a dit de trahison est faux ; il est faux que l'on attende l'arrivée des Romains, et d'ailleurs la ville n'est pas facile à prendre ! Vous devez donc retourner chez vous, et, en désertant au plus vite cette criminelle association, irons faire pardonner la part que vous avez prise dans les actions abominables accomplies par ceux qui vous ont abusés.

Ce discours produisit un effet immédiat. Les Iduméens se levèrent à l'instant comme un seul homme, coururent aux prisons, qu'ils ouvrirent à environ deux mille détenus qui, abandonnant sur-le-champ la ville, allèrent se réfugier auprès de Simon, dont nous parlerons un peu plus tard. Cela dit, les Iduméens se mirent en route pour regagner leur pays.

Ce départ imprévu surprit d'abord tout le monde. Le peuple, ignorant le repentir des Iduméens, reprit un peu de courage, comme si le nombre de ses ennemis avait diminué d'autant. Quant aux Zélotes, ils n'en devinrent que plus audacieux, car ils ne pensaient pas avoir perdu des auxiliaires, mais ils se sentaient débarrassés des seuls hommes qui pussent entraver ou réprimer leurs violences. Ils ne perdirent pas de temps à délibérer sur ce qu'ils avaient à faire ; ils ne le savaient que trop. Anéantir les gens de cœur et la noblesse, voilà ce qu'ils voulaient : la noblesse parce qu'ils lui portaient envie, les gens de cœur parce qu'ils en avaient peur. Il ne pouvait y avoir de sécurité absolue pour eux que lorsqu'il ne resterait plus un seul survivant des hautes classes de la nation.

Ce fut alors que fut mis à mort, avec beaucoup d'autres, Corion, homme d'illustre naissance, le fauteur du régime populaire et le plus ardent des défenseurs de la liberté. Ce qui le perdit, ce fut l'énergie avec laquelle il disait hautement ce qu'il pensait. Niger le Péraïte, qui avait montré tant de bravoure en combattant les Romains, ne fut pas plus épargné. Il eut beau se récrier et montrer ses glorieuses blessures, pendant qu'on le traînait à travers la ville ; quand il vit qu'on le conduisait en dehors des portes, et qu'il n'y avait plus d'espoir de salut, il ne demanda plus qu'une chose, c'est que la sépulture lui fût accordée. Ses bourreaux lui répondirent qu'ils ne souffriraient pas qu'un si grand honneur lui fût donné, et ils apprêtèrent son supplice. Au moment de mourir, Niger invoqua la vengeance des Romains, et, dans ses imprécations, il appela sur ses assassins la guerre, la famine, la peste, et, pour combler la mesure, il les condamna à s'entre-tuer. Dieu ratifia ce terrible jugement.

Niger mort, les Zélotes se croyaient bien maitres du pouvoir absolu. Il n'y eut plus alors de ménagements pour une classe plutôt que pour une autre. Les uns étaient tués pour avoir autrefois osé résister à quelqu'un des Zélotes ; les autres qui, pendant la paix, n'avaient rien fait qui pût leur être reproché, étaient poursuivis sous le premier prétexte venu. Celui qui ne fréquentait pas les Zélotes, était coupable d'orgueil ; celui qui les traitait avec un peu de familiarité, les méprisait ; celui enfin qui s'efforçait de se concilier leurs bonnes grâces, était un traître. Il n'y avait jamais qu'une peine appliquée : la mort, toujours la mort, pour les crimes les plus graves, comme pour les fautes les plus légères. Il n'y échappa, en définitive, que les hommes les plus obscurs et les plus pauvres.

Les Romains n'ignoraient pas ce qui se passait à Jérusalem, et les chefs de l'armée, regardant comme un immense avantage les dissensions qui désolaient la nation juive, avaient hâte de commencer le siège de la ville. Ils suppliaient Vespasien, leur général, d'agir sans délai, et de profiter de la protection de la Providence, qui armait leurs ennemis les uns contre les autres. Ils disaient que cet état de choses ne pouvait durer et que les Juifs, ou repentants, ou fatigués de la guerre civile, ne tarderaient pas à voir la concorde renaître parmi eux, au grand détriment des Romains.

Vespasien leur répondit qu'ils étaient dans une grave erreur, et qu'ils se laissaient aller, comme dans un théâtre, au désir de montrer ce dont ils étaient capables, même au péril de leur vie ; qu'en revanche ils ne réfléchissaient ni aux avantages qu'ils devaient poursuivre, ni aux moyens de les atteindre avec sécurité. Si nous attaquions immédiatement la ville, leur disait-il, c'est par nous que la concorde serait ramenée au sein de la nation, et les Juifs tourneraient contre nous-mêmes toutes leurs forces, qui sont encore imposantes. Laissons-les faire et chaque jour d'attente sera marqué par la mort de bon nombre de ceux que nous aurions à combattre. La sédition se chargera de réduire l'armée de nos ennemis. Dieu est un plus habile général que moi : c'est lui qui nous livrera les Juifs sans combat, et qui donnera la victoire à l'armée, sans l'exposer à aucun péril. Quand nos ennemis s'entre-tuent, nous devons rester paisibles spectateurs des événements, bien loin de nous compromettre avec des hommes qui ont soif de la mort et qui se déchirent entre eux. S'il en est parmi vous qui dédaignent la victoire obtenue sans combat, qu'ils sachent bien qu'il est plus sage d'accomplir son œuvre tranquillement que de tenter la fortune des armes, et, croyez-le bien, ceux qui obtiennent, à l'aide de la prudence et de la patience, les mêmes avantages que d'autres obtiendraient à la suite de belles batailles, ceux-là, dis-je, sont tout aussi dignes d'éloges. A mesure que les forces de l'ennemi décroissent, nos soldats, qui se refont des fatigues d'une pénible campagne, deviennent de plus en plus vaillants. En fin de compte ceux qui se promettent de la gloire par de beaux exploits, se trompent fort. Les Juifs s'occupent-ils de fabriquer des armes, de renforcer leurs murailles, de rassembler des auxiliaires ? Nullement. Le retard profitera donc à celui qui saura le créer. La guerre civile et les haines intestines leur font souffrir des maux mille fois plus atroces que ceux que leur infligerait la captivité. En résumé, l’homme prudent doit laisser faire ceux qui sont les artisans de leur propre ruine, et il faut se garder de toucher à ceux qui meurent d'une maladie interne, dans le seul but d'acquérir un peu de gloire. Croyez-moi, la sédition nous donnera la victoire, sans que nous ayons la peine de l'acheter chèrement.

Heureusement les généraux romains se laissèrent convaincre par les paroles de Vespasien, et ils ne tardèrent pas à reconnaître la justesse de ses vues. Chaque jour il arrivait des masses de transfuges, échappés à la surveillance des Zélotes. Il n'était pourtant pas facile de fuir, car toutes les issues étaient gardées, et quiconque se laissait prendre, était immédiatement mis à mort, comme coupable de vouloir passer aux Romains. Il est vrai que ceux qui pouvaient se racheter à prix d'argent, étaient mis en liberté, tandis que celui-là seul était un traître. qui n'avait rien à donner. Il en résultait que les riches échappaient et que les pauvres seuls étaient égorgés.

Dans toutes les rues, les cadavres étaient amoncelés ; il arrivait souvent que ceux qui avaient réussi à franchir cette enceinte fatale, changeaient d'avis et revenaient pour mourir dans la ville. L'espoir de la sépulture leur faisait trouver douce la mort sur le sol de la patrie. Au reste, ni ceux qui étaient tués dans la ville, ni ceux qui périssaient par les chemins, ne recevaient plus le suprême honneur de l'inhumation. Les lois divines et humaines étaient également méprisées, et on laissait pourrir les corps morts à la face du ciel.

Quiconque était surpris ensevelissant un de ses proches recevait le même châtiment que les transfuges, c'est-à-dire la mort ; et celui-là restait privé de sépulture qui était coupable de l'avoir voulu donner à son prochain. En somme, tout bon sentiment n'était pas éteint dans le peuple, mais dans le peuple seulement. ; car ce qui aurait dû émouvoir la commisération, n'excitait que de l'irritation parmi les Zélotes, dont la rage passait tour à tour des vivants sur les morts, et des morts sur les vivants. Telle était la crainte qui tourmentait tous les esprits, que les survivants estimaient heureux ceux qui les avaient précédés dans le trépas, au moins parce qu'ils étaient en repos. Ceux qui subissaient encore les tortures de la prison enviaient, en le comparant au leur, le sort de ceux mêmes qui étaient restés sans sépulture.

Les droits de l'humanité étaient foulés aux pieds, ceux de Dieu étaient tournés en dérision, et ses prophéties étaient ridiculisées comme de vains mensonges. Une de ces prophéties, inspirée par l'Esprit divin aux hommes de l'ancien temps, annonçait que la ville serait prise et le temple brûlé, lorsque la sédition l'envahirait, et que la main des Juifs souillerait les lieux saints. Tout en y croyant, les Zélotes se firent les ministres de ce terrible jugement.

Jean de Giscala, qui aspirait à la tyrannie, supportait difficilement que les honneurs qu'on lui rendait fussent partagés avec d'autres. Peu à peu il se fit un parti des hommes les plus pervers, et il s'affranchit ainsi d'une égalité qu'il ne voulait pas souffrir, refusant toujours d'obéir aux autres. et exigeant impérieusement que l'on obéit à ses ordres. Il devint clair pour tous qu'il voulait usurper le pouvoir absolu ! Beaucoup se soumirent à lui par crainte, beaucoup aussi par affection ; car il possédait admirablement le secret de se faire aimer, à force de ruse et de fraudes ; mais le plus grand nombre, par précaution pour eux-mêmes, et pour que les crimes dont ils se rendaient coupables retombassent sur une seule tête.

Homme de conseil et d'action, Jean ne manquait pas de satellites. Dans le parti qui lui était opposé on trouvait, ceux qui lui portaient envie et. qui se révoltaient contre l'idée de se voir soumis à un homme qui naguère n'était que leur égal, et tous ceux, bien plus nombreux, qui se garaient contre le pouvoir d'un seul. Il était clair, en effet, que, s'il réussissait s'emparer de ce pouvoir, il serait peu aisé de le renverser, et qu'il ne manquerait pas de leur garder rancune de leur opposition première. Chacun donc préférait tous les maux de la guerre à l'esclavage volontaire. La faction des opposants ne réussit même pas à rester unie, et Jean, parmi ses partisans, se mit à affecter des airs de roi. Entre eux, les deux partis se surveillaient militairement, mais ils ne se faisaient pas grand mal. si par hasard ils en venaient aux mains. Lorsqu'au contraire il s'agissait du peuple, tous combattaient comme des forcenés, et c'était à qui enlèverait le plus gros butin. Jérusalem, en proie à la guerre, à la tyrannie et à la sédition, de ces trois maux préférait encore la guerre. Aussi la désertion allait-elle croissant, et l'on courait chercher auprès des Romains le salut dont on désespérait dans ses foyers.

Une quatrième calamité vint s'ajouter aux autres causes de ruine de la nation : non loin de Jérusalem existait une forteresse, nommée Massada (Sebbeh), que les anciens rois avaient édifiée pour y déposer leurs trésors en temps de guerre et pour y trouver un refuge assuré en cas de revers. Le parti que l'on nommait les sicaires s'en était emparé, et de là ils faisaient des incursions dans la région voisine, pour se procurer les vivres qui leur étaient nécessaires, la crainte les détournant, de se livrer à des rapines plus relevées.

Lorsqu'ils surent que l'armée romaine ne songeait pas à bouger, et que les Juifs de Jérusalem étaient divisés par la sédition et la domination la plus exorbitante, l'idée leur vint naturellement de tenter de plus grands coups.

Le jour de la fête des Azymes, ils partirent dès que la nuit fut venue, se cachant de ceux qui pouvaient les arrêter. et vinrent fondre sur la petite bourgade d'Engaddi (Ayndjedi). Les hommes qui auraient pu la défendre n'eurent pas le temps de prendre les armes et de se réunir ; dispersés en un instant, ils furent rejetés hors de leur ville. Tous ceux qui ne purent fuir furent massacrés avec les femmes et les enfants, au nombre de plus de sept cents, puis les bandits pillèrent les maisons, s'emparèrent des moissons déjà rentrées et regagnèrent Massada. Bientôt après vint le tour de tous les villages situés à portée de leur repaire.

La bande des sicaires se recrutait chaque jour d'une foule de gens sans aveu qui affluaient de partout ; les voleurs de profession qui s'étaient tenus tranquilles jusque-là, suivirent ce bel exemple, et, bientôt tous les coins de la Judée furent infestés de troupes de malfaiteurs qui ne respectaient pas même les lieux sacrés. Il leur arrivait bien parfois de recevoir de sévères leçons de ceux qu'ils attaquaient, mais c'était l'exception, et d'ailleurs, comme de vrais voleurs qu'ils étaient, une fois le butin fait, ils fuyaient en toute hâte. On le voit, il n'y avait aucune partie de la Judée qui ne fût en train de périr, avec et comme la capitale.

Vespasien savait tout cela par les transfuges, dont il arrivait chaque jour un certain nombre, malgré les périls de l'évasion. Tous suppliaient le général romain de marcher au secours de Jérusalem et de sauver les débris de la nation ; car, presque tous ceux qui étaient bienveillants pour les Romains avaient déjà péri, et le peu qui vivait encore, était en danger de mort. Vespasien, ému au récit de toutes ces misères, partit enfin pour aller faire le siège de Jérusalem, mais bien plutôt en réalité pour la débarrasser le ceux qui la désolaient. Avant d'agir sur ce point, il était indispensable d'abattre tout ce qui restait encore debout de l’insurrection, et de ne laisser derrière lui personne qui pût entraver les opérations du siège.

Il se rendit donc d'abord à Crachin, métropole de la Pérée, et y entra le quatre du mois de Dystrus (26 janvier). La population, qui était riche, avait envoyé au-devant des Romains ses principaux notables, séditieux au fond du cœur, pour demander à se rendre, un peu par désir de la paix, beaucoup par crainte de perdre ses biens. Les rebelles de la ville avaient ignoré l'envoi de ces parlementaires. et ce ne l'ut qu'à l'approche de Vespasien qu'ils en eurent vent. Défendre la ville leur était impossible, car les adversaires qu'ils y comptaient étaient plus nombreux et plus forts qu’eux, et les Romains arrivaient, ils se décidèrent donc à fuir, mais non sans avoir répandu du sang et sans s’être vengés. Ils se saisirent de Dolésus, qui était le principal personnage de la ville, par la naissance et par la dignité dont il était revêtu, et qu'ils croyaient l'instigateur de la démarche faite auprès de Vespasien ; ils le massacrèrent, et, après avoir odieusement insulté à son cadavre, ils prirent la fuite. L'armée romaine arrivait au mène moment, et Vespasien accueilli avec des cris d'allégresse, accorda la paix aux Gadarènes et plaça parmi eux une garnison d’infanterie et de cavalerie. pour les protéger contre les tentatives des fugitifs, car ils démolissaient. spontanément leurs murailles, afin de donner la preuve rie leur haine de la guerre.

Vespasien envoya aussitôt à la poursuite des fuyards. Placidus avec cinq cents cavaliers et trois mille hommes d'infanterie, puis il retourna avec le reste de l'armée à Césarée. Les Juifs, voyant tout à coup sur leurs épaules les cavaliers romains lancés à leur poursuite, n'eurent que le temps de se réfugier dans un village nommé Bethennabrin.

Là, ils trouvèrent un certain nombre de jeunes hommes qui, de gré ou de force, furent obligés de prendre les armes avec eux et de courir au-devant de Placidus. Celui-ci n'avait pas oublié le stratagème qui lui avait si bien réussi au mont Thabor. Il fit donc mine au premier choc de reculer peu à peu, afin de les attirer loin de leurs murailles. Une fois qu'il les eut amenés en un lieu favorable, sa cavalerie les entoura et les tua à coups de javelots. Ceux qui essayèrent de fuir trouvèrent le passage barré et furent rejetés sur l'infanterie, qui en fit une véritable boucherie. Cette fois les Juifs périrent sans autre but que celui de montrer leur bravoure ; car ils se ruaient comme des bêtes féroces aux abois sur la ligne romaine, qu'ils étaient incapables de rompre, et qui était inébranlable comme une muraille hérissée de fer.

Placidus ne s'occupait que de leur couper la retraite ; il y réussit à merveille, et une poignée des plus vaillants parvint seule à se rapprocher des murailles. Les gardes ne savaient quel parti prendre ; d'un côté, il leur répugnait de repousser les fugitifs de Gadara ; de l'autre, ils devaient s'attendre à périr avec eux, s'ils les laissaient entrer dans la place. Voici ce qui arriva. Les fuyards furent rejetés dans l'enceinte, et peu s'en fallut que les cavaliers romains n'y pénétrassent en même temps qu'eux. Les portes furent aussitôt fermées ; mais Placidus, après un combat terrible, réussit à enlever Bethennabrin. La plèbe inoffensive fut, comme toujours, passée au fil de l'épée. Les grands personnages s'enfuirent, et les soldats romains, après avoir pillé le village, y mirent le feu.

Ceux qui avaient échappé au désastre décidèrent les habitants des campagnes à prendre la fuite avec eux, en exagérant le malheur qui les avait frappés ; en affirmant que l'armée romaine entière arrivait, ils jetèrent partout la terreur. Recrutant ainsi tout le monde sur leur passage, ils se dirigèrent du côté de Jéricho.

Gagner cette ville populeuse et bien fortifiée, c'était la seule ressource qui leur restât. Mais Placidus, qui disposait d'un corps de cavalerie déjà exalté par son premier succès. se lança à leur poursuite et tua tout devant lui jusqu'au Jourdain. Lorsqu'il eut acculé toute cette multitude à la rivière qui, gonflée par les pluies, n'était pas guéable en ce moment, il forma sa ligne de bataille et se prépara au combat que les Gadarènes ne pouvaient plus éviter, puisque désormais la fuite leur était coupée. Répandus sur une longue étendue de la rive, ils étaient accablés de traits et incessamment chargés par les cavaliers, qui les culbutaient dans le Jourdain. Quinze mille d'entre eux furent tués, et le nombre de ceux qui, de gré ou de force, durent se jeter dans la rivière est infini. Deux mille deux cents furent faits prisonniers, et les Roumains enlevèrent une grande quantité d'armes, de brebis, de chameaux et de bœufs. Ce désastre parut un des plus grands qu'essuyèrent les Juifs, parce que tout le pays qu'ils traversèrent dans leur fuite fut rempli de carnage, et parce que le Jourdain, gonflé par les cadavres, devint infranchissable, tandis que le lac Asphaltite était couvert des corps entraînés par le fleuve.

Placidus, profitant de sa victoire, marcha sur les forteresses et les bourgades voisines, prit Abila, Julias et Besimoth (ces trois localités sont très-probablement Tell-el-edjlah, Er-rameh et Souaïmeh), ainsi que tous les autres lieux habités jusqu'au lac Asphaltite, et il v établit partout des transfuges. Puis il se servit de bateaux pour atteindre et châtier ceux qui s'étaient réfugiés sur le lac. Ainsi toute la Pérée, jusqu'à Macherous, se rendit aux Romains, ou fut prise par eux.

Ce fut à cette époque que l'on apprit les événements arrivés dans la Gaule et la révolte de Vindex contre Néron. Ces nouvelles décidèrent Vespasien à presser la guerre ; la guerre civile et les dangers qui lui semblaient menacer l'empire, lui faisaient un devoir de pacifier l'Orient, et de délivrer au moins l'Italie de toute inquiétude de ce côté. Bien que la saison d'hiver ne fût pas passée, il s'occupa activement de garnir de troupes les villages et les forteresses qu'il avait soumis. Dans chaque village il installa un décurion, dans chaque ville un centurion, et il releva de leurs ruines la plupart des localités qui avaient été dévastées.

Au commencement du printemps, il quitta Césarée avec le gros de l'armée, et se porta sur Antipatris, où il passa deux journées à mettre ordre aux affaires de la ville. Le troisième jour il en partit et alla brûler toutes les bourgades voisines. Après avoir soumis tout ce qui dépendait de la toparchie thamnitique (de Tibneh), il marcha sur Lydda et Iamnia, qu'il eut bientôt, mises à la raison, et où il établit un nombre suffisant d'habitants pris parmi les transfuges. Il se rendit ensuite à Emmaüs (Amoas). Il occulta militairement tous les passages qui de là conduisaient à Jérusalem, établit un camp entouré de murailles dans lequel il laissa la cinquième légion, et se porta aussitôt sur la toparchie de Bethleptephôn. — Qu'était-ce que cette toparchie dont il n'est pas fait mention dans le passage où Josèphe énumère toutes les divisions du territoire de la Judée [liv. III, ch. III] ? Je l'ignore —. Là encore, tout fut réduit en cendres. Après avoir établi des postes fortifiés sur les points favorables de la frontière iduméenne, il envahit l'Idumée et enleva deux bourgs de ce pays, Betaris et Caphartoba (Koutour-Tab, à l'est de Ramleh), dans lesquels plus de dix mille hommes furent tués et plus de mille autres faits prisonniers. Après en avoir chassé le reste de la population, il y installa un détachement de troupes romaines qui, par ses continuelles incursions, ravagea tout le pays montueux du voisinage.

Vespasien revint ensuite à Emmaüs, d'où il se rendit, en traversant la Samarie, à Neapolis (Naplouse), que les indigènes appellent Mabortha. Il descendit camper tout près de cette ville, au lieu nommé Korea, le 2 du mois de Dæsius (26 avril). Le lendemain il arrivait à Jéricho, où Trajan opéra sa jonction avec lui ; celui-ci ramenait de la Pérée les troupes qui venaient de soumettre les populations établies au delà du Jourdain.

Avant l'arrivée des Romains, une grande partie de la population de Jéricho s'était réfugiée dans le plié de montagnes qui sépare cette ville de Jérusalem. Ceux qui étaient restés, et ils étaient en assez grand nombre, furent passés au fit de l'épée. La ville devint donc déserte.

C'est ainsi que Vespasien serrait. Jérusalem de tous les côtés. Des forts furent construits à Jéricho et à Adida[14], et ils reçurent une garnison mixte de Roumains et d'auxiliaires. Lucius Annius fut envoyé de fit contre Gerasa (Djerach) avec, une partie de la cavalerie et un gros détachement d'infanterie. La ville fut prise du premier coup. et un millier de jeunes hommes qui n'avaient pas cru devoir fuir, y furent passés au fil de l'épée. Les familles des habitants furent emmenés en captivité, et la ville, d'abord livrée au pillage, fut brûlée ensuite. Puis les villages voisins furent traités de même. Une fois tout le pays de montagnes et toute la plaine ravagés, les habitants de Jérusalem n'eurent plus de refuge possible ; car les Zélotes surveillaient toujours avec rage ceux qui essayaient de passer aux Romains. Quant à ceux qui continuaient d'en vouloir aux Romains, ils étaient bloqués par l'armée maîtresse de tout le pays qui entourait la ville.

Vespasien, de retour à Césarée, se disposait à marcher aussi contre Jérusalem, lorsqu'il apprit la mort de Néron, dont le règne avait duré treize ans et huit jours. Chacun sait que Galba, proclamé empereur en Espagne. rentra à Rome et y fut assassiné au milieu du Forum ; que son successeur Othon périt à son tour dans l'expédition qu'il dirigeait contre son compétiteur Vitellius ; que bientôt Rome se souleva contre Vitellius lui-même ; qu'Antonius Primus et Mucianus, après avoir mis à mort cet empereur éphémère et avoir entraîné les légions de Germanie, réussirent enfin à comprimer la guerre civile. Inutile d'entrer dans plus de détails sur ces événements qui s'accomplirent dans l'intervalle de quelques mois.

Vespasien, à la nouvelle de la mort de Néron, suspendit son départ pour Jérusalem et attendit que le nom du nouvel empereur lui fût connu. Lorsqu'il sut que c'était Galba qui avait reçu la couronne, il s'abstint de toutes mesures contre les Juifs, et attendit des ordres. Il envoya aussitôt son fils Titus vers Galba, pour le féliciter et lui demander ce qu'il fallait faire en Judée. Le roi Agrippa accompagnait Titus. Pendant que les galères qui portaient ces deux personnages gagnaient péniblement l'Achaïe (on était alors en hiver). Galba fut mis à mort après sept mois et sept jours de règne, et Othon prit sa place. Agrippa, sans tenir compte de cette nouvelle révolution, résolut de continuer son voyage et de se rendre à Rome ; mais Titus rebroussa chemin sur-le-champ et, retournant en Syrie, courut rejoindre son père à Césarée. Tous les deux inquiets de l'avenir et voyant l'empire romain ébranlé sur sa base, n'avaient garde de penser à guerroyer contre les Juifs ; cc n'était pas au moment où ils avaient tant à craindre pour leur propre patrie, qu'il était sage de s'occuper d'une guerre étrangère.

Que devenait Jérusalem pendant ce temps-là ? Un fléau de plus venait accabler cette malheureuse ville.

Simon, fils de Gioras, était originaire de Gerasa. Jeune et rusé, mais moins que Jean de Giscala qui était maître de la ville. Simon était plus vigoureux et plus audacieux de sa personne ; c'était précisément à cause de son audace qu'A-nantis l'avait dépouillé de la toparchie de l'Acrabatène, à la tête de laquelle il avait été placé. Une fois destitué, il se retira auprès des bandits établis à Massada. Il leur fut d'abord suspect, si bien qu'ils ne lui permirent d'habiter que le fort inférieur, tandis qu'ils occupaient eux-mêmes toute la ville haute[15]. Simon s'y établit avec les femmes qui l'avaient suivi. Il finit cependant, en prenant part à tous leurs brigandages, par gagner leur confiance, mais non pas assez pourtant pour qu'ils se laissassent entraîner, par les conseils qu'il ne cessait.de leur donner, à des expéditions plus importantes. Habitués, en effet, au refuge qu'ils s'étaient choisi, et dans lequel ils vivaient avec toute la sécurité désirable, ils appréhendaient de s'en éloigner trop. Mais Simon, qui était d'une ambition effrénée, n'eut pas plutôt appris le meurtre d'Ananus qu'il gagna les montagnes, fit appel à tous les esclaves en leur assurant la liberté, à tous les hommes libres en leur promettant des récompenses dignes d'eux ; il réussit bientôt ainsi à se créer une armée de malfaiteurs.

Dès qu'il se vit à la tête de forces suffisantes, il se mit à ravager les villages de la montagne, et comme chaque jour le nombre de ses adhérents augmentait, il finit par oser descendre dans la plaine. Bientôt il devint la terreur des villes elles-mêmes, et beaucoup d'hommes d'excellente famille alléchés par sa puissance et par sa fortune. se décidèrent, pour leur malheur, à se joindre à lui. Si bien que son année cessa bientôt d'être une bande d'esclaves et de voleurs, et devint en réalité une année nationale qui lui obéissait comme à un roi. Il entreprit alors des expéditions dans la toparchie de l'Acrabatène et dans la grande Idumée. Il choisit un village nominé Vain, qu'il entoura de murailles, pour hase de ses opérations. Il agrandit ensuite beaucoup de cavernes, situées dans la vallée de Pharan, où il s'en trouvait un grand nombre d'autres toutes prêtes, et il y déposa ses trésors et son butin. Ces grottes lui servaient aussi de magasins pour les denrées qu'il se procurait par le pillage, et beaucoup de ses satellites y restaient à poste fixe. Personne ne pouvait douter qu'il n'exerçât ses forces, et ne fit tous les préparatifs nécessaires pour s'attaquer enfin à Jérusalem elle-même.

Les menées de Simon ne pouvaient échapper aux Zélotes qui se sentaient menacés ; ils résolurent donc d'aller au-devant du danger, de frapper au plus vite celui dont les forces crissaient chaque jour, et qui devait infailliblement en faire usage contre eux. Ils sortirent en armes de Jérusalem, dans le dessein d'aller chercher leur ennemi. Simon, loin de les éviter, accourut au-devant d'eux, et les battit à plate couture. Beaucoup des Zélotes périrent dans le combat, et les autres furent rejetés dans la ville. Mais le vainqueur ne se croyait pas encore assez fort pour entamer un siège, et d'ailleurs son projet était de s'emparer de l'Idumée avant d'attaquer Jérusalem. Il marcha donc sur ce pays à la tête d'une année de vingt mille hommes. Les Iduméens, de leur cité, rassemblèrent en toute hâte un corps de vingt-cinq mille combattants expérimentés. et, ne laissant dans leurs foyers que les hommes dont la présence était nécessaire pour contenir les sicaires de Massada, ils coururent à la frontière au-devant de Simon. La bataille dura une journée entière et la victoire resta incertaine. Chacun se retira de son côté. Simon, à Naïn, et les Iduméens dans leurs villages.

Peu de temps après. Simon envahissait de nouveau l'Idumée, à la tête de forces plus considérables. Il vint camper auprès du village de Thecoë, et de là envoya- l'un de ses compagnons, nominé Éléazar, pour tâcher de persuader à hi garnison d'Herodium, forteresse voisine, de la lui livrer. Les troupes de cette garnison, ignorant le motif de la venue d'Éléazar, le laissèrent entrer immédiatement dans la place, mais dès qu'il parla de trahison, toutes les épées furent tirées et on le pourchassa. Le malheureux, ne trouvant aucun refuge où il pût se cacher, sauta du haut des murailles dans la vallée placée au-dessous et il se tua du coup.

Herodium, c'est le Djebel-Fouralis que j'ai eu le plaisir d'explorer à fond. Il n'est que trop évident, à la première inspection des lieux, que celui qui a été forcé de sauter pardessus les murailles de la forteresse qui couronnait le sommet de la montagne, a dû se tuer en roulant dans l'immense précipice qui était ouvert devant lui. Il n'y avait en effet aucun moyen de s'arrêter dans une chute de près de 80 mètres et le long d'un plan incliné où l'on a toutes les peines du monde à tenir pied, lorsqu'on est libre de ses mouvements.

Les Iduméens commençaient à s'effrayer de la force militaire de Simon. Avant donc de risquer une nouvelle bataille, ils résolurent de se faire renseigner exactement sur l'état des forces ennemies. Un certain Jacob, qui était un des chefs de la nation, et qui roulait dans sa tête des projets de trahison, s'offrit avec empressement pour aller chercher les renseignements désirés. Il partit donc d'Alouron, où s'était rassemblée l'armée iduméenne, et se rendit auprès de Simon, auquel il n'hésita pas à offrir de lui livrer son pays. s'il lui jurait de le traiter toujours avec grande distinction ; cette parole une fois obtenue, Jacob s'engageait à livrer l'Idumée entière à Simon. De pareilles ouvertures devaient être bien reçues ; le traître fut festoyé, comblé de promesses, et retourna vers les siens, devant lesquels il commença par exagérer autant qu'il le put la puissance de l'armée de Simon. Puis il s'aboucha avec les chefs d'abord et avec les soldats ensuite, et, prenant chacun à part, il s'efforça de lui persuader par de belles paroles qu'il fallait accueillir Simon avec joie et remettre le pays entre ses mains, sans s'exposer à la chance des combats. Pendant qu'il procédait de la sorte parmi ses compatriotes, il envoyait à Simon des émissaires secrets, pour le presser d'accourir, promettant de faire s'évanouir devant lui l'armée des Iduméens. Et de fait il tint parole. car au moment où l'armée juive approchait. Jacob sauta à cheval et s'enfuit, entraînant après lui tous ceux qu'il avait gagnés à ses projets. Il en résulta immédiatement un sauve qui peut général, et, sans en venir aux mains, chacun courut à. toutes jambes se réfugier dans son village. Ce fut ainsi que Simon entra en Idumée sans coup férir. Il ne donna pas à l'ennemi le temps de se reconnaître, et courut à Hébron, dont il s'empara et où il fit un immense butin en argent et en vivres.

Une fois maître de cette ville illustre, Simon parcourut l'Idumée entière, ne se contentant pas de ravager les villes et les villages, mais ravageant aussi les campagnes. Outre ses soldats, il traînait à sa suite quarante mille personnes, si bien qu'il lui était fort difficile de nourrir une semblable multitude. Ajoutez à cette détresse constante la cruauté naturelle du chef. et sa fureur contre la nation envahie, et vous vous rendrez compte de l'état auquel la malheureuse Idumée fut réduite. De même qu'après le passage des sauterelles les forets restent sans feuilles, de même partout où Simon avait passé on ne trouvait plus que le désert et la désolation. Ce fléau dévastateur brûlait, renversait tout. Les biens de la terre étaient dévorés ou écrasés par les pieds de la foule. En un mot, partout où Simon s'abattait, il ne restait plus trace de culture antérieure.

Il n'en fallait pas tant pour exciter la colère des Zélotes. Mais ils n'osaient plus risquer une bataille ; ils eurent donc recours aux embuscades dont ils garnissaient les défilés. Dans l'une d'elles ils se saisirent de la femme de Simon et de sa suite, et ils s'empressèrent d'emmener leur capture à Jérusalem, aussi joyeux que s'ils se fussent emparés de Simon lui-même. lis espéraient en effet que celui-ci, pour qu'on lui rendit sa femme, déposerait les armes et se mettrait à leur merci. Ils s'étaient grandement trompés. Le seul sentiment qu'éprouva Simon, à cette nouvelle, fut la rage ; il courut devant les murailles de Jérusalem, et, comme la bête féroce qui ne peut se venger de ceux qui l'ont blessée, parce qu'ils ont réussi à se mettre à l'abri de ses griffes et de ses dents, il fit retomber sa fureur sur quiconque fut rencontré par lui. Tous les malheureux qui avaient franchi les portes de la ville pour aller chercher des légumes ou du bois (c'étaient des vieillards inoffensifs) furent mis à la torture, et finalement tués. Puis il se contenta de couper les mains à d'autres et il les renvoya dans la ville, dans le double but d'inspirer la terreur à ses ennemis et de forcer le peuple à se soulever contre ceux qui l'avaient offensé. Il avait enjoint à ces infortunés de dire hautement que Simon avait juré par Dieu, le maître de toutes choses, que, si on ne lui rendait immédiatement sa femme, il renverserait les murailles de la ville, et ferait ensuite subir le même châtiment à tous ceux qu'elle renfermerait, sans distinction d'âge, et sans s'occuper de séparer les innocents des coupables. Cette menace émut non-seulement le peuple, mais encore les Zélotes, qui, pleins d'épouvante, s'empressèrent de rendre la liberté à la femme de Simon. Celui-ci s'adoucit un peu dès qu'il eut obtenu ce qu'il voulait, et le massacre cessa.

Ce n'était pas la Judée seule qui était en proie à la sédition et à la guerre civile : ces mêmes fléaux sévissaient alors en Italie. Galba ayant été assassiné au milieu du Forum, Othon, le nouvel empereur, défendait sa couronne contre Vitellius que les légions de Germanie avaient proclamé. Valens et, Cœcinna, tous deux généraux de Vitellius, battus le premier jour par les partisans d'Othon, furent vainqueurs le lendemain, et Othon se donna la mort après un règne de trois mois et deux jours[16]. Les troupes d'Othon se rendirent alors à Vitellius, qui se mit à leur tête pour entrer à Rome.

Vers cette même époque, Vespasien sortit de Césarée le 5 du mois de Dæsius (29 avril) pour aller achever la répression de la Judée. Il gagna la région montueuse et s'empara d'abord des deux toparchies Gophnitique (Djifnah) et Acrabatène, puis des cieux forteresses de Bethela (Beïtin) et d'Éphraïm. Des garnisons romaines furent établies dans le pays nouvellement soumis, et Vespasien marcha sur Jérusalem, traînant à sa suite une foule de captifs, après avoir passé au fil de l'épée la plus grande partie des populations. Au même moment, Cerealis. l'un des généraux romains, à la tête d'un fort détachement d'infanterie et de cavalerie, dévastait l'Idumée supérieure. La petite ville de Kaphethra était prise par lui du premier coup et réduite en cendres ; puis il assiégeait Kapharabis, qui était entourée de murailles respectables. Il s'attendait à dépenser beaucoup de temps devant cette place, lorsqu'au moment où il y comptait le moins, elle se rendit, ouvrit ses portes aux Romains, et implora leur clémence. De là Cerealis se rendit devant Hébron, qu'il dut enlever de vive force. Toute la population arrivée à l'âge de puberté fut mise à mort, et la ville fut incendiée.

C'en était fait de la Judée, car à l'exception de ces trois points, Herodium, Massada et Macherous que des bandes d'insurgés occupaient encore, tout était soumis, sauf Jérusalem. la capitale, que les Romains s'apprêtaient à attaquer enfin.

Simon, lorsque sa femme lui eut été rendue par les Zélotes, se reprit à dévaster l'Idumée, comme pour l'achever ; ses malheureux habitants, expulsés de leur pays, coururent presque tous se réfugier à Jérusalem, fuyant devant leur bourreau qui les poursuivait jusque sous les murs de la ville. Arrivé là, il s'établit dans un camp retranché, attendant comme l'araignée sa proie, saisissant au passage tous les travailleurs qui revenaient des champs, et les mettant à mort. On voit que la métropole de la Judée était dans une bien cruelle position, avec Simon qui, à l'extérieur, était pire que les Romains, et avec les Zélotes qui, à l'intérieur, étaient pires que les Romains et que Simon.

Pour comble de malheurs, la troupe des Galiléens elle-même commença à se souiller de tous les méfaits avec une audace sans égale. C'étaient eux qui favorisaient les ambitieux projets de Jean de Giscala, et celui-ci, en récompense des services qu'ils lui rendaient, leur passait tout. Ils avaient une soif insatiable de rapines, et pour eux le pillage des maisons riches, le meurtre des hommes et les attentats à l'honneur des femmes, n'étaient que de simples passe-temps ; je n'oserais traduire ici l'énumération des monstruosités que Josèphe leur impute. Force m'est donc de reproduire la traduction latine qui en a été donnée dans l'édition de Dindorf : Et impunè muliebria patiebantur ad satietatem, compositos gerentes capillos, et amictum femineum induti, unguentis etiam delibuti, quoque magis placerent oculos fuco et cerussa illinentes. Non solum autem ornatum vel etiam que mulieribus accidunt imitabantur, nimiaque lascivia voluptates illicitas excogitabant. In urbe auteur tanguant in lupanari volutabantur, totamque facinoribus impuris polluebant. Sed feminarum ad instar vultus componentes, dextris cædem patrabant fractoque gressu incedentes subita incursione bellatores cedebant gladiisque e conchyliatis chlamydibus eductis, obvimn quemque transfigebant.

Ceux qui réussissaient à échapper à Jean tombaient entre les mains plus cruelles encore de Simon ; ils ne faisaient que changer de bourreau. Tout moyen de passer aux Romains était donc enlevé.

L'armée finit par être révoltée des infamies de Jean, et tout ce qu'elle comptait d'Iduméens se mit. à conspirer sa ruine, soit par envie, soit par indignation. Un combat s'en suivit, dans lequel un grand nombre de Zélotes furent tués. Les autres furent contraints de chercher un asile dans le palais bâti par Grapte qui était cousine d'Izates, roi d'Adiabène ; mais les Iduméens, y pénétrant avec eux, les en chassèrent et les rejetèrent dans le hiéron ; ils revinrent alors sur leurs pas, et se mirent à piller les trésors de Jean. C'était en effet dans le palais que nous venons de désigner que cet homme s'était établi et avait entassé les richesses qu'il avait amassées. Les Zélotes répandus par la ville profitèrent de ce moment pour rejoindre au plus vite ceux qui s'étaient enfermés dans le hiéron. Une fois tout son monde réuni, Jean se prépara à reprendre l'offensive contre le peuple et les Iduméens. Ceux-ci, tout en se sentant les plus forts, craignaient que leurs adversaires ne profitassent de la nuit pour fondre sur la ville et l'incendier, après les avoir massacrés. Ils jugèrent donc à propos de s'entendre avec les pontifes et de les consulter sur les moyens de se mettre à l'abri de cette éventualité. Mais Dieu avait décidé dans sa justice que tout ce qu'ils feraient tournerait contre eux, et que le remède choisi par eux deviendrait immédiatement pire que le mal.

Pour faire échec à Jean, ils imaginèrent d'accueillir Simon dans la ville, et ils l'y appelèrent avec instances. On pense bien que Simon ne se fit pas répéter l'invitation que lui apportait le pontife Matthias. Les supplications d'ailleurs étaient appuyées par tous ceux qui avaient fui les exactions des Zélotes, et qui désiraient ardemment are remis en possession de leurs biens. Simon leur déclara avec arrogance qu'il entendait être le maître à Jérusalem, et il y entra en libérateur, aux acclamations du peuple qui ne voyait plus en lui qu'un bienfaiteur. L'illusion fut de courte durée. car à peine fut-il introduit dans la place, qu'il ne pensa plus qu'aux moyens d'assurer son autorité, traitant en ennemis ceux qui l'avaient appelé, tout comme ceux contre lesquels on avait imploré son secours.

Ce fut ainsi que Simon devint le maître de Jérusalem au, mois de Xanthicus de la troisième année de la guerre (du 22 février au 24 mars).

Jean et les Zélotes, bloqués dans le hiéron dont ils n'osaient plus franchir l'enceinte, dépouillés de tout ce qu'ils possédaient en ville (car Simon s'en était emparé sur-le-champ), commencèrent à se croire perdus. Simon, en effet, avec l'aide du peuple, marcha contre le hiéron. Les Zélotes, solidement établis sur les portiques et sur tous les points de défense, repoussèrent l'attaque ; beaucoup des soldats de Simon furent tués et beaucoup de blessés furent emportés. Leur position dominante donnait un grand avantage aux Zélotes, dont tous les coups étaient assurés ; ils crurent cependant plus prudent de construire quatre grandes tours qui leur permissent de frapper de plus haut : la première à l'angle nord-est de l'enceinte sacrée, la seconde au-dessus du Xystus, la troisième à l'angle situé en face de la ville basse (angle nord-ouest), la quatrième enfin sur le sommet du Pastophories. On appelait ainsi les chambres des gardiens du temple, du haut desquelles un prêtre, suivant la coutume, annonçait, au coucher du soleil et à son de trompe, le commencement du septième jour, ou jour du sabbat, et vingt-quatre heures après, la lin de ce jour consacré, indiquant aussi le moment où tout travail devait cesser et celui où il était permis de le reprendre. Sur ces tours étaient établis des scorpions et des balistes, des archers et des frondeurs. Jean atteignit ainsi son but et refroidit un peu l'ardeur de Simon et des siens, qui, tout en persistant dans leurs attaques, les dirigèrent désormais avec moins d'entrain, grâce aux pertes sensibles que leur faisaient subir les projectiles ainsi lancés de très-haut et de très-loin.

Vespasien, après avoir terminé son expédition contre les villes et les villages des environs de Jérusalem, était revenu à Césarée où il apprit la dernière révolution qui avait éclaté à Rome et qui avait fait passer la couronne impériale sur la tête de Vitellius. Ces nouvelles indignèrent Vespasien ; il connaissait et méprisait l'homme qu'un acte de fureur populaire avait mis à la tête de l'empire, et il ne se sentait plus le courage de poursuivre la guerre étrangère, en présence des maux qui accablaient la patrie. Malheureusement, quelque violent désir qu'il eût de tirer vengeance des actes qui excitaient sa colère, il se sentait immédiatement arrêté dans son élan par la distance énorme à laquelle il se trouvait du théâtre des événements. On était arrivé à la saison d'hiver ; et avant qu'il eût atteint les côtes d'Italie, la fortune amènerait peut-être de nouvelles révolutions. Il était donc prudent d'attendre.

Dans l'armée, au contraire, chefs et soldats se réunissaient pour commenter les nouvelles d'Italie, et tous disaient hautement que les troupes établies à Rome, jouissant de toutes les douceurs de la vie, et incapables de supporter même les probabilités d'une guerre. se permettaient de faire et de défaire les empereurs à leur guise, pour donner la couronne impériale au plus offrant ; tandis qu'eux-mêmes, qui laissaient timidement passer le pouvoir entre des mains étrangères, avaient au milieu d'eux des hommes bien plus dignes de le recevoir. Comment leur témoigneraient-ils jamais leur reconnaissance, s'ils négligeaient l'occasion qui s'offrait à eux ? Ils se disaient que les droits de Vespasien à l'empire dépassaient ceux de tout, le monde : que les guerres qu'ils avaient menées à bonne fin valaient bien les guerres de Germanie, et que les hommes qui. du fond de ce pays, avaient amené un tyran à Rome, ne valaient pas plus qu'eux-mêmes : qu'il n'y aurait pas, d'ailleurs, de lutte à soutenir pour faire triompher le bon droit, car le Sénat et le peuple romain ne pouvaient préférer les honteux penchants de Vitellius à la modestie de Vespasien et ils ne tarderaient pas à comprendre qu'il ne leur était pas possible de se donner pour maure un tyran cruel et sans héritiers, en désertant les droits de celui qui serait un excellent, empereur. et qui avait des fils dignes de lui : qu'enfin le mérite personnel des souverains était la plus sûre sauvegarde de la paix : qu'en un mot, si l'empire était dû à l'expérience que l'âge seul donne à l'homme, ils avaient Vespasien ; s'il était l'apanage de la vaillante jeunesse, ils avaient Titus. L'âge de l'un et de l'autre leur assurait les avantages que chacun comportait. — Proclamons-les empereurs, ajoutaient-ils, et non-seulement nous leur donnerons l'appui de nos trois légions et des rois nos auxiliaires, mais tout l'Orient, mais toutes les parties de l'Europe qui peuvent s'affranchir de Vitellius, se réuniront immédiatement à nous ; en Italie même, nous sommes sûrs de la coopération du frère de Vespasien, qui est gouverneur de Rome, et de son second fils, qui ne peut manquer d'attirer à nous toute la plus illustre jeunesse. Si nous hésitons, peut-être le Sénat nous préviendra-t-il, en conférant l'empire à celui que les soldats gardiens de cet empire ont insulté.

Les conciliabules où se tenaient ces propos ne tardèrent pas à enfanter un soulèvement général, et l'armée entière acclama Vespasien, en le suppliant de saliver l'empire en péril. Ce général, qui depuis longtemps s'était donné tout entier aux soins du gouvernement, n'avait jamais songé que la couronne pût un jour lui être offerte ; sans cloute il sentait qu'il en était cligne, mais il préférait la tranquillité de la vie privée aux périls d'une fortune plus illustre ; il essaya donc de refuser. Mais les tribuns insistèrent, et les soldats, avec l'énergie brutale qui les caractérise, mirent l'épée à la main et le menacèrent de le tuer, s'il s'obstinait à rejeter leurs vœux. Force lui fit de céder et d'accepter le titre d'empereur.

Mucianus et les tribuns le supplièrent alors d'agir immédiatement en empereur, et les soldats lui demandèrent à grands cris de les conduire contre tous ceux qui se déclareraient ses ennemis. L'Égypte fut la première province dont il s'occupa. C'était le grenier de l'empire, et deux légions qu'il désirait attirer à lui occupaient Alexandrie ; en cas de revers enfin, c'était un refuge assuré. Vespasien s'empressa donc d'expédier des dépêches à Tiberius Alexander, qui était alors préfet d'Égypte et d'Alexandrie. Il lui annonçait la détermination que son armée venait de prendre, et la nécessité où il s'était trouvé d'accepter le titre d'empereur ; enfin, il lui disait qu'il réclamait ses services, comme ministre et comme ami. Alexander ne perdit pas un instant ; les dépêches de Vespasien furent lues aux légions et au peuple, auxquels il fit immédiatement prêter serment de fidélité au nouvel empereur. Celui-ci était trop connu par ses actes, pour qu'il y eût l'ombre d'hésitation d'aucun côté. Alexander alors fit tout préparer pour l'arrivée de l'empereur.

En un clin d'œil le bruit de la proclamation de Vespasien se répandit partout en Orient, et toutes les villes célébrèrent cette heureuse nouvelle par des fêtes et par des sacrifices solennels pour le salut du nouvel Auguste.

Les légions de Mœsie et de Pannonie prirent immédiatement parti pour Vespasien. Celui-ci se rendit. de Césarée à Béryte, où il reçut des députations de toutes les villes de la Syrie, et de beaucoup d'autres provinces, qui lui envoyaient des félicitations et des couronnes.

Vespasien voyait en ce moment la fortune sourire à tous ses vœux ; il était difficile qu'il ne sentît pas naître dans son esprit la conviction que tout ce qui lui arrivait était providentiel. Il se rappela une foule de faits qu'il avait jadis mal compris et qui lui parurent alors n'avoir été que des pronostics, lui annonçant sa future élévation au rang suprême. L'un d'eux surtout ne pouvait manquer de lui revenir en mémoire ; c'était la prédiction de Josèphe, qui avait osé le saluer empereur, lorsque Néron vivait encore. Il se souvint en même temps que Josèphe était encore chargé de fers. Il convoqua donc Mucianus, les tribuns et ses amis, et leur rappela la valeur personnelle du prisonnier, le rôle qu'il avait joué lors du siège si difficile et si pénible de Iotapata, et enfin les paroles  prophétiques qu'il lui avait adressées paroles que lui, Vespasien., avait crues inspirées alors par la crainte et par la ruse, tandis que les événements démontraient qu'elles émanaient d'une divination évidente. Il ajouta qu'il ne lui semblait ni bon ni juste que l'homme qui lui avait promis l'empire du monde, et qui avait été en quelque sorte le messager de Dieu, restât plus longtemps dans les fers. Il fit alors amener Josèphe et donna l'ordre de le débarrasser de ses chaînes. A cette vue, chacun des tribuns se réjouit et pensa que si le nouvel empereur traitait ainsi un étranger, ils pouvaient espérer pour eux-mêmes des faveurs bien plus grandes.

Titus, qui était présent à cette scène, prit la parole : Il est juste, mon père, que Josèphe soit délivré à la fois de ses fers et de la honte que la captivité a fait peser sur lui. Il ne pourra jamais plus penser et on ne pourra plus dire qu'il a été enchaîné comme un criminel, si nous ne nous contentons pas de délier, mais si nous brisons ses chaînes. C'était effectivement la satisfaction que la coutume romaine accordait à ceux dont on reconnaissait la captivité injuste. Vespasien accueillit avec empressement la prière de son fils. et la chaîne de Josèphe fut aussitôt coupée d'un coup de hache. Ce fut ainsi que Josèphe se vit réhabiliter, en souvenir de sa prédiction. et passa depuis cette époque pour un véritable prophète.

Lorsque Vespasien eut reçu et congédié toutes les députations qui lui avaient été envoyées, lorsqu'il eut distribué parmi ses amis, suivant leur mérite, les préfectures des provinces, il se rendit à Antioche. Il réfléchit alors sur le parti qu'il devait prendre de sa personne. et il jugea qu'il était plus sage de s'occuper de Rome que d'Alexandrie, dont il était sûr, tandis que la capitale était encore aux mains de Vitellius. Il fit donc immédiatement marcher sur Rome Mucianus à la tête d'une force considérable de cavalerie et d'infanterie. Comme on était en ce moment en plein hiver, Mucianus préféra prendre la voie de terre, et il conduisit son corps d'armée par la Cappadoce et par la Phrygie.

Ce fut alors qu'Antonius Primus porta la troisième légion (une des légions de Mœsie) contre les partisans de Vitellius, que commandait Cœcinna Alienus. Leur rencontre eut lieu près de Crémone, et le général de Vitellius persuada à ses troupes de passer à Antonius. Pendant la nuit qui suivit, les soldats se repentirent de leur désertion et se soulevèrent contre Cœcinna, qu'ils voulaient d'abord mettre à mort ; à la prière des tribuns ils épargnèrent sa vie, et se décidèrent à l'envoyer chargé de chaînes à Vitellius. Antonius Primus, à la nouvelle de ce qui se passait. fit prendre les armes à ses troupes et fondit sur les vitelliens. Ceux-ci, après une faible résistance, s'enfuirent vers Crémone. Mais Primus, à l'aide de sa cavalerie, leur coupa la retraite, réussit à envelopper le plus grand nombre et les fit tailler en pièces. Ceux qui avaient réussi à gagner Crémone y furent attaqués, et la ville, Une fois enlevée de vive force, fut livrée au pillage. L'armée de Vitellius, forte de trente mille deux cents hommes, fut anéantie dans cette occasion, tandis qu'Antonius no perdit que quatre mille cinq cents des siens. Cœcinna fut délivré, et ce fut lui qu'Antonius dépêcha vers Vespasien, pour lui annoncer cet heureux événement.

Lorsque l'armée victorieuse approchait de Rouie, Sabinus, frère de Vespasien, se mettant à la tête des troupes chargées de garder la capitale pendant la nuit, s'empara du Capitole. où Domitien et une foule de patriciens vinrent le rejoindre au petit jour. Vitellius, s'inquiétant beaucoup plus de Sabinus que d'Antonius Primus fit marcher sur la capitale les troupes dont il disposait encore. Il trouvait une occasion de verser le sang des patriciens qu'il avait en horreur, et il n'avait garde de la laisser échapper. Le combat fut terrible ; mais les Germains à la solde de Vitellius réussirent, grâce à la supériorité du nombre, à s'emparer de la colline. Domitien et beaucoup des patriciens échappèrent à la mort, mais Sabinus fut pris, conduit devant Vitellius et massacré par l'ordre de celui-ci. Les soldats profitèrent de leur victoire en pillant les trésors du temple de Jupiter, et en incendiant le temple lui-même. Le lendemain, Antonius pénétrait dans Rome avec toute son armée, et une bataille sanglante s'engageait sur trois points différents dans l'intérieur de la ville. Partout les partisans de Vitellius furent écrasés. On vit alors ce misérable empereur sortir ivre du palais ; le peuple se saisit de lui, le traîna ignominieusement au Forum, et après lui avoir fait souffrir toutes les injures les plus grossières, le mit en pièces. Il avait régné huit mois et cinq jours. Le nombre des morts, dans cette terrible journée, fut de plus de cinquante mille. C'était le 3 du mois d'Appellæus (27 octobre).

Le jour suivant, Mucianus entrait à Rome à son tour, faisait cesser le massacre qui continuait encore, et présentait au peuple Domitien, à qui les rênes du gouvernement furent confiées jusqu'à l'arrivée de son père.

Le peuple romain, délivré enfin de la terreur qui pesait depuis trop longtemps sur lui, acclama Vespasien avec allégresse, et célébra par des fêtes solennelles son 'élévation à l'empire et la mort de Vitellius.

Pendant la durée des événements qui avaient placé Vespasien sur le trône, Jérusalem, malgré ses dissensions intestines, avait repris son orgueil. Là nation juive ne s'était pas laissé abattre encore sous le joug romain qui depuis si longtemps pesait sur elle. Encouragée par la révolution qui s'accomplissait sous ses yeux, elle se reprenait à espérer qu'elle allait recouvrer sa liberté et secouer dans un jour prochain ce joug qu'elle détestait. Vain espoir ! Elle était condamnée, condamnée sans rémission.

Ouvrons les Évangiles, et lisons :

SAINT LUC, XIX, 41. Étant ensuite arrivé proche de Jérusalem. et regardant la ville, Jésus pleura sur elle en disant :

42. Ah ! si tu reconnaissais au moins, en ce jour qui t'est donné, ce.qui peut te procurer la paix ! mais maintenant, cela est caché à tes yeux.

43. Aussi viendra-t-il un temps pour toi, où tes ennemis t'environneront de tranchées, où ils t'enfermeront et te serreront de toutes parts.

44. Ils te renverseront par terre, toi et tes enfants qui sont au milieu de toi, et ils ne te laisseront pas pierre sur pierre, parce que tu n'as pas connu le temps où tu as été visitée.

SAINT MATTHIEU, XXIII, 36. En vérité, je vous le dis, tout cela arrivera sur cette race.

37. Jérusalem ! Jérusalem ! toi qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui t'ont été envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme l'oiseau rassemble ses petits sous ses ailes, et vous n'avez pas voulu !

38. Voilà que votre maison deviendra un désert[17].

XXIV, 1. Et Jésus étant sorti s'éloignait du hiéron, et ses disciples s'approchèrent, pour lui faire remarquer les constructions du hiéron.

2. Et lui, répondant, leur dit : Ne voyez-vous pas toutes ces choses ? En vérité, je vous le dis : Il ne restera pas là pierre sur pierre qui ne soit renversée.

SAINT LUC, XXI, 5. Quelques-uns lui disant que le hiéron était bâti de belles pierres et orné d'offrandes, il dit :

6. Toutes ces choses que vous voyez des jours viendront dans lesquels il n'en restera pas pierre sur pierre qui ne soit renversée.

7. Mais ils l'interrogèrent, disant : Maître, quand donc cela arrivera-t-il ? et quel sera le signe lorsque ces choses seront sur le point d'arriver ?

8. Il leur dit : Veillez à n'être pas trompés ! Car plusieurs viendront en prenant mon nom disant que c'est moi et que le temps est proche. Ne les suivez pas.

9. Lorsque vous entendrez parler de guerres et de séditions. ne vous étonnez pas ; car il faut que cela arrive d'abord ; mais la fin ne sera pas si tôt.

10. Alors il leur dit : On verra se soulever peuplé contre peuple. royauté contre royauté.

11. Il y aura de grands tremblements de terre. et en certains lieux des pestes et des famines, et des choses effrayantes et des signes extraordinaires paraissant dans le ciel.

Ce même passage se retrouve à peu près identique dans l'Évangile de saint Marc (XIII), le voici :

1. Lorsqu'il sortait du hiéron, un de ses disciples lui dit : Maître, voyez quelles pierres et quelles constructions !

2. Jésus lui dit : Vois-tu ces grandes constructions ? Il n'en restera pas pierre sur pierre qui ne soit renversée.

3. Et lorsqu'il était assis sur le mont des Oliviers, en face du hiéron, Pierre, Jacques, Jean et André l'interrogèrent en particulier :

4. Dites-nous quand cela arrivera ; et quel sera le signe qui annoncera que toutes ces choses vont s'accomplir ?

5. Sur quoi Jésus commença à leur dire : Prenez garde que personne ne vous séduise.

6. Car plusieurs viendront sous mon nom et diront que c'est moi, et ils en séduiront beaucoup.

7. Lorsque vous entendrez des guerres et des bruits de guerre, ne craignez point, parce qu'il faut que cela arrive ; mais ce ne sera pas encore la fin.

8. Car on verra se soulever peuple contre peuple et royaume contre royaume ; et il y aura des tremblements de terre en divers lieux et des famines ; et ce sera là le commencement des douleurs.

Vient enfin l'annonce directe du siège de Jérusalem.

SAINT LUC, XXI, 20. Lorsque vous verrez une armée entourer Jérusalem, sachez que sa désolation est proche.

21. Alors, que ceux qui seront dans la Judée s'enfuient dans les montagnes ; que ceux qui seront au milieu d'elle se retirent, et que ceux qui seront dans les pays d'alentour n'y entrent pas.

22. Car ce seront alors les jours de la vengeance, afin que tout ce qui est dans l'Écriture soit accompli.

23. Malheur à celles qui seront grosses ou nourrices en ces jours-là ! Car ce pays sera accablé de maux et la colère sera sur ce peuple.

24. Ils passeront par le fil de l'épée ; ils seront emmenés captifs chez tous les Gentils, et Jérusalem sera foulée aux pieds par les Gentils, jusqu'à ce que le temps des Gentils soit accompli.

Nous trouvons la contrepartie de cette prédiction :

1° Dans saint Marc.

XIII, 14. Or, quand vous verrez l'abomination de la désolation établie où elle ne doit pas être, que celui qui fit entende ! alors, que ceux qui sont dans la Judée s'enfuient sur les montagnes.

15. Que celui qui sera sur le toit ne descende pas dans sa maison et n'y entre pas pour en emporter quelque chose.

16. Et que celui qui sera dans les champs ne retourne point sur ses pas pour reprendre son vêtement.

17. Mais malheur aux femmes qui seront gosses ou nourrices en ces jours-là !

18. Priez polir que ces choses n'arrivent pas durant l'hiver.

19. Car l'affliction de ce temps-là sera si grande, que depuis le premier moment où Dieu créa toutes choses jusqu'à présent il n'y en a point eu de pareille, et il n'y en aura jamais.

20. Et si le Seigneur n'avait abrégé ces jours, nul homme n'aurait été sauvé ; mais il les a abrégés à cause des élus qu'il a choisis.

2° Dans saint Matthieu.

XXIV, 15. Lors donc que vous verrez l'abomination de la désolation annoncée par le prophète Daniel établie dans le lieu saint, que celui qui fit comprenne !

16. Alors que ceux qui seront dans la Judée se réfugient dans les montagnes.

17. Que celui qui sera sur le toit ne descende pas pour emporter ce qu'il y a dans sa maison.

18. Et que celui qui sera dans la campagne ne retourne pas en arrière pour chercher ses vêtements.

19. Malheur aux femmes qui seront grosses ou nourrices en ces jours-là !

20. Mais priez afin que votre fuite n'ait pas lieu en hiver, ni le jour du sabbat[18].

21. Car alors il y aura une grande affliction, telle qu'il n'y en a pas eu depuis le commencement du monde jusqu'à présent, et telle qu'il n'y en aura jamais.

22. Et si ces jours-là n'étaient pas abrégés, aucune chair ne serait sauvée ; ces jours-là seront abrégés à cause des élis.

Enfin Jésus termine ses prophéties sur Jérusalem par le verset suivant qui en est le complément nécessaire.

SAINT LUC, XXI, 32. Je vous dis en vérité que cette génération ne passera point. que toutes ces choses ne soient accomplies.

Nous le retrouvons identique dans saint Marc, XIII, 30, et dans saint Matthieu, XXIV, 34.

Nous venons de rapporter toutes les menaces prononcées par le Christ contre la ville de Jérusalem et contre la nation juive ; il s'agit maintenant de vérifier si ces terribles prédictions ne se sont pas réalisées de point en point.

Je ne crains pas de le dire, jamais prophéties n'ont été formulées et ne se sont accomplies avec une précision pareille. C'est ce qui va ressortir pleinement du simple exposé des faits.

 

 

 



[1] Peut-être Garin (Γαρίν).

[2] Le siège de Iotapata vient d'être raconté et commenté avec un talent remarquable par M. Auguste Parent, l'heureux explorateur du pourtour de la mer Morte.

[3] Il est clair que pour trouver les quarante-sept jours de siée indiqués par Josèphe, il faut compter les quatre jours pendant lesquels la route fut mise en état, celui où Josèphe s'introduisit dans Iotapata, et enfin celui pendant lequel Vespasien se porta en personne devant la place.

[4] Cette description s'accorde à merveille avec la disposition de certains sépulcres que l'on rencontre fréquemment dans cette partie de la Syrie, et dont j'ai pu constater la présence près de Naplouse, et à Yaroun.

[5] Beïsan est effectivement à une très-petite journée de marche de Tabarieh.

[6] La position de Tarichées étant très-connue à Kbarbet-Kedès et à El-Karak, entre Beïsin et Tabarieh, il devient clair que le camp de Vespasien devait être de l'autre côté, c'est-à-dire vers le nord de Tibérias. Sennabris était donc de ce coté.

[7] Ce camp a ses traces parfaitement visibles, et je les ai reconnues à mon premier voyage, entre l'emplacement de Tarichées et les sources sulfureuses d'El-hammam.

[8] Μέχρι Δάφνης χωρίου. (Bell. Jud., IV, I, 1.) Je n'hésite pas à corriger ici Δάφνης en Δάννης. Si nous comparons en effet ce passage à ceux dans lesquels Josèphe parle de Dan (Ant. Jud., V, III, 1 ; et VIII, VIII, 4, XII, 4), nous ne pouvons conserver aucun doute à cet égard.

[9] Évidemment il faut entendre ici la longueur de la pente par laquelle on accède au plateau du Thabor.

[10] S'agit-il de Kedech, qui n'est qu'à une faible distance d'El-Djich.

[11] Nul doute que ce passage n'ait trait au tirage au sort exécuté, lors de la constitution du souverain pontificat, entre toutes les branches de la famille d'Aaron, pour fixer leur ordre d'accession à cette haute dignité, par suite d'extinction d'une lignée directe de grands prêtres.

[12] Celui-ci était alors naci ou président du synhédrin.

[13] Encore une analogie étrange. Que l'on se rappelle la venue des Marseillais à Paris, pendant la Terreur.

[14] J'ignore absolument ce que peut être la localité désignée par les mots έν Άδίδοις.

[15] Cette forteresse inférieure que l'on voit parfaitement d'en haut, est aujourd'hui complètement inaccessible. Jamais Arabe n'y a mis le pied de mémoire d'homme, et cette impossibilité a fait le désespoir de tous les voyageurs qui ont eu, comme moi, le plaisir de visiter Massada.

[16] Josèphe place à Bedriac en Gaule, la double bataille dans laquelle Othon fut défait, et à Brexellum le lieu de sa mort.

[17] Ce même passage est répété identiquement dans saint Luc, XIII, 34 et 35.

[18] Voici comment saint Jérôme commente ce passage (In Matthæi caput XXIV, Ed. Martianay, IV, p. 116) :

Si de captivitate Jerusalem voluerimus accipere, quando a Tito et Vespasiano capta est, orare debent ne fusa eorum hyeme vel sabbato fiat : quia in altero duritia frigoris prohiba ad solitudines pergere, et in montibus desertisque latitare : in altero, aut transgressio legis est si fugere voluerint, aut mors imminens, si remanserint.