LA GUERRE DE TROIE

PREMIÈRE PARTIE. — LA VILLE DE TROIE.

CHAPITRE PREMIER. — LES FOUILLES DE TROIE.

 

 

Des Dardanelles à Troie.

On pénètre de la mer Égée dans les Dardanelles entre le cap Hellé (Hellespont, la mer d'Hellé dans l'antiquité), en turc Siddil-Bahr, la clé de la mer, et le misérable village de Koum-Kaleh, la forteresse du sable, bâti sur les alluvions marécageuses du Scamandre, devant le cap Sigée, cap Sigeion de l'antiquité ; la largeur est ici de quatre kilomètres. Au delà, des golfes creusés sur la côte asiatique élargissent le détroit, qui atteint au maximum huit kilomètres. A gauche se dressent les falaises de la Chersonèse de Thrace, jusqu'à la pointe de Kilid-Bahr, le verrou de la mer ; en face de cette pointe s'avance le promontoire où se trouve la ville de Dardanelles ; la distance des deux rives n'est plus que de dix-huit cents mètres. Dardanelles[1], en turc Kaleh-Sultanieh, la forteresse du Sultan, ou Tchanak-Kalessi, la ville de la vaisselle ou de la poterie, est une petite ville animée, aux toits colorés, aux maisons peintes, escale de tous les navires qui vont de Smyrne, du Pirée et de Salonique à Constantinople. C'est actuellement la ville la plus importante de toute la région. Douze mille habitants s'y entassent, de races très diverses : turcs, grecs, juifs, européens, arméniens, tcherkesses, tziganes. Des marchands se précipitent à bord et vous offrent des broderies, de petits tapis, des faïences aux teintes vives, rouges, vertes, bleues et dorées, des poissons salés et des têtes de moutons frites. Le fort, qui a donné son nom à la ville, a été construit en 1472 par Mahomet II et remanié depuis ; c'est un grand quadrilatère, formé de casemates et de murs crénelés, interrompus par des tours rondes ; à l'intérieur se dresse une forteresse de même forme. En face, le fort de Kilid-Bahr, sur la côte d'Europe, a des dispositions analogues.

C'est des Dardanelles qu'on se rend à Troie. Il faut cinq à six heures à cheval ou en charrette lorsque les sentiers ne sont pas trop détrempés. La route traverse d'abord une petite plaine basse en bordure de la mer, puis monte en pente douce le long de la côte, jusqu'au joli village blanc de Ren-Kieuï, en face duquel le Bouvet a été coulé. C'est un village grec, accroché au flanc et au sommet d'une bande de petites collines, au-dessus de la mer bleue. De là s'ouvre un large horizon. Auprès du village, ce sont les pentes douces des coteaux, où s'arrondissent les chênes, les oliviers et les noyers et où pointent de tendres peupliers aux troncs blancs. A l'Est, s'étendent les ondulations de la terre grasse, couverte de vallonées[2], riche appât pour les colons achéens. A l'Ouest, comme un large fleuve immobile, l'Hellespont, dominé par les falaises de la presqu'île de Thrace et, au loin, par la masse dentelée d'Imbros et les hauts sommets de Samothrace, reflète l'azur du ciel. Au Sud, la grande plaine de Troie, plate et nue, roussie par le soleil, couverte au lever du jour par des traînées de vapeur rose, s'étale jusqu'à un bourrelet de collines, qui la sépare de la mer Égée, et où tournoient les ailes blanches des moulins. Au delà de ces crêtes basses, les collines de Ténédos dressent leur sommet conique au-dessus de la ligne de la mer. Le paysage est vaste, divers et caractéristique ; champs, vues marines, canal bleu, îles et côtes découpées aux lointains ineffables forment un cadre harmonieux, inondé de clarté, à la plaine silencieuse et désolée, où, sous le soleil brûlant de midi et dans l'embrasement du couchant, ne vivent plus que des souvenirs. On évoque la campagne romaine, morne dans l'éclat du jour, tragique dans l'ombre du soir, plus ample et aux contours moins précis que la plaine de Troie, mais dont la grandeur naît aussi du rapprochement de ce que l'on voit avec ce qu'elle vous suggère... J'étais à Ren-Kieuï un dimanche et, sur la colline, sous les grands chênes sombres où se pressaient les moutons, entre les bœufs, les chameaux et les oiseaux de basse-cour, s'ébattaient des enfants. Une jolie fille est passée, tandis que je contemplais l'horizon, la tête couverte d'un voile bleu, toute vêtue de rouge, la courbe des bras nus s'arrondissant au-dessus des épaules pour soutenir une grande jarre. Dans la lumière pourpre du soir, la démarche souple et fière d'Hélène m'a paru revivre en cette paysanne.

De Ren-Kieuï, on descend dans la vallée du Simoïs ; à gauche, une très longue ligne de collines d'environ 50 mètres de haut, forme comme un bandeau que surmonte un petit plateau inculte et inhabité. A l'extrémité Ouest de cette ligne s'avance dans la plaine, en forme d'éperon, un tertre brun, tout bosselé par des entailles profondes. C'est le site de la Troie de Priam et d'Hector, aujourd'hui Hissarlik, la petite forteresse[3]. On dirait, de l'extérieur, une sorte de fort à éclipses, ou un énorme monceau de terre labouré par des obus. Il est formé par les décombres des villes qui s'y sont succédé et par les déblais des fouilles. A l'intérieur se dressent quelques pics de terre, laissés comme témoins et sur les flancs desquels on discerne les vestiges des villes successives.

 

Schliemann et les fouilles de Troie.

Les fouilles présentent, au premier abord, l'aspect de la plus grande confusion. Elles ont été poursuivies par Schliemann, à partir de 1870, sans méthode et d'une façon désordonnée, dans l'intention de retrouver les trésors de Priam et d'illustrer les récits d'Homère, plutôt que de faire œuvre vraiment scientifique. Ce sont des fouilles romantiques, comme la vie de leur auteur, singulier personnage, grand promoteur de l'archéologie mycénienne, qui a commencé, comme garçon épicier, par vendre des harengs, du beurre et de l'huile dans une petite ville du Mecklembourg-Schwerin, et dont le goût et l'entente des affaires firent bientôt un des plus importants négociants en gros de Petrograd, maniant les caisses d'indigo et brassant les affaires avec la même ardeur mystique et la même passion qu'il mit à emmagasiner hâtivement la connaissance du latin, du grec, de l'arabe, des langues et des littératures européennes, à parcourir l'Amérique, l'Égypte, la Syrie, les Indes, la Chine et le Japon et à défricher les champs vierges encore de l'archéologie préhellénique à Mycènes, à Tyrinthe et à Troie. Afin que nul n'en ignore, il a publié lui-même, de son vivant, une longue autobiographie de quatre-vingt-quatorze pages sur ses entreprises commerciales, ses serments d'amour que les événements démentirent, ses voyages, sa carrière archéologique. C'est un curieux document, qui vaut la peine d'être lu, comme témoignage de la fougue, de l'énergie et de la puissance, en même temps que du manque de réserve, de goût et de tenue de la mentalité germanique ; mélange singulier d'infatuation et de confiance en soi très naïve, de sentimentalité romanesque, d'amour des affaires et de religiosité. La divine Providence est sans cesse occupée à protéger merveilleusement sa vie, à bénir d'une façon miraculeuse ses opérations, à prendre soin de sa gloire et à récompenser ses efforts aussi hardis que désintéressés[4]. Elle ne réussit pas toutefois à le garder d'une grave erreur : il mourut sans avoir découvert la ville qu'il avait tant cherchée et qu'il croyait avoir trouvée ; ses fouilles n'ont pas mis à jour la ville de Priam et d'Hector ; limitées à la partie centrale de la butte, elles n'ont pas dégagé les murailles de la citadelle homérique, qui enveloppaient des établissements plus anciens ; dans la hâte et le désordre avec lesquels elles ont été conduites, elles en ont fait même disparaître, d'une façon irréparable, les vestiges les plus intéressants, superposés à ceux des villes antérieures ; la pioche de Schliemann a donné le dernier coup à la fameuse cité, que tant de malheurs avaient déjà illustrée !

En 1882, il confia à un architecte archéologue très distingué, W. Dörpfeld, le soin de dresser le plan de ses premières découvertes. C'est alors que se produisit la fameuse controverse sur la nécropole à incinération. Un ancien officier d'artillerie, E. Bötticher, qui avait étudié les livres où Schliemann avait exposé ses travaux, prétendit que la citadelle d'Hissarlik n'était en aucune façon la Pergame[5] de Troie, mais que la butte avait été créée par l'entassement de sépultures accumulées et des matériaux, qui avaient servi à ces opérations funéraires ; les bâtiments mis à jour auraient été ceux où les cadavres avaient été brûlés. Il mena contre Schliemann une campagne très violente, favorisée dans le monde savant par le manque de modestie et la vanité du fougueux archéologue, par son inexpérience, par la confusion et l'imprécision de ses relations. Schliemann, après maint échange d'injures, provoqua finalement un grand débat contradictoire, où il conviait, sur les lieux mêmes, les archéologues de profession, offrant de payer tous les frais du voyage à ceux qui prendraient part à cette conférence. Elle se réunit en 1889 et en 1890 dans des maisonnettes en bois, qu'il avait fait construire dans ce but au pied de la citadelle, véritable petit village, que Perrot a plaisamment dénommé Schliemannopolis. Le triomphe de Schliemann fut complet, il eut la joie de réduire au silence son contradicteur et de lui faire confesser sa défaite ; mais cette joie fut de courte durée : il mourut l'année même, après une dernière campagne pleine d'espérances.

Dörpfeld reprit les travaux, avec plusieurs savants collaborateurs, aux frais de Mme Schliemann, en deux courtes campagnes de 1893 et 1894, qui révélèrent enfin ce qui reste de la cité homérique[6]. Ces travaux furent conduits cette fois avec compétence et méthode par un homme modeste, savant et expérimenté, mais qui vient de flétrir son honneur et son esprit scientifique, en inscrivant son nom sur ce honteux monument de basse complaisance politique, dressé par la science allemande : le manifeste des quatre-vingt-treize.

 

Les neuf villes. Indications historiques.

Un caractère remarquable des ruines de Troie, c'est la superposition des couches qu'elles présentent. Schliemann en a trouvé sept, Dörpfeld neuf ; ce n'est pas tout : on a pu distinguer dans la deuxième couche trois états successifs et deux dans la septième, ce qui porte à douze le nombre des époques dont il reste des traces stratifiées plus ou moins importantes. On n'a jamais trouvé nulle part d'exemple aussi complet de couches superposées.

Les matériaux dont il reste des vestiges plus ou moins considérables sont : 1° deux sortes de pierre calcaire, l'une dure, l'autre friable, qu'on trouve l'une et l'autre dans les environs ; 2° le bois, chêne et pin, qui n'est pas rare sur les collines voisines et dont il existait autrefois de grandes forêts sur les pentes de l'Ida ; 3° enfin, l'argile, qui abonde dans la plaine. Cet argile a été employé en très grande quantité sous forme de briques séchées au soleil, qui se conservent bien, tant qu'elles restent à l'abri d'une trop grande humidité. On conçoit que, par la disposition de la ville sur un coteau, les décombres, qui n'ont pas été évacués, se soient accumulés ainsi sur place, et qu'en quelques siècles, sur un espace aussi restreint, le sol se soit exhaussé sensiblement. La hauteur totale de toutes les couches s'élève, en effet, en moyenne à 10 mètres et atteint même 15 mètres en certains endroits.

La première couche est au niveau du roc, à 26 mètres au-dessus du niveau de la mer. Elle a été mise à jour, sur une bande assez étroite, par une grande tranchée, que Schliemann a creusée en 1872 du Nord au Sud. Elle s'étend sous la couche n° II, qu'il faudrait détruire pour dégager la première ; mais des sondages méthodiques seraient intéressants. C'est un établissement très primitif, peu important, à ce qu'il semble, qui appartient suivant les uns à la fin de l'époque néolithique, suivant d'autres au début de l'âge de bronze[7]. Dussaud et Déchelette le placent à l'époque intermédiaire, à l'âge du cuivre ; on peut le dater approximativement entre l'an 3000 et l'an 2500.

La couche II est très importante et constitue avec la couche VI le grand intérêt des fouilles de Troie ; elle est à environ 30 mètres au-dessus du niveau de la mer, soit à 4 mètres au-dessus de la précédente. Nous sommes ici en présence d'une population riche et prospère, qui appartient à l'âge du bronze, dont il reste en abondance des objets en bronze, en argent, en or, des bijoux, une grande quantité de poteries, et qui a construit un système important et résistant de fortifications, à l'abri desquelles elle s'est installée. Elle a dû habiter le site fort longtemps, car on distingue nettement trois étapes successives dans son installation : à deux reprises les fortifications ont été, en effet, remaniées et agrandies. La ville a été détruite par une violente conflagration, comme en témoignent une grande quantité de bois calciné, qu'on a retrouvé à ce niveau, ainsi que des pierres noircies et des briques d'argile, qui ont été durcies par le feu ; l'incendie a même été si violent, que certaines de ces briques ont été vitrifiées. C'est ce deuxième établissement que Schliemann a pris à tort pour la Troie d'Homère. Il se place approximativement entre l'an 2500 et l'an 2000.

Les débris de la deuxième couche ont formé un amas d'environ 2 mètres de haut, au-dessus des parties conservées, sur lequel se sont élevées successivement les trois installations suivantes, dont il reste peu de chose. Les populations qui les ont édifiées ont dû être des populations de pasteurs et de fermiers ; elles les occupèrent entre l'an 2000 et l'an 1500. La dernière de ces installations, la couche V, manifeste des signes assez nets d'une renaissance ; on peut la considérer comme le premier stade de la couche VI.

Cette assise est celle de la ville de Priam et d'Hector. On a pu la dater au moyen des poteries qui y ont été trouvées, qui sont de la fin de l'époque mycénienne. Elle a été détruite violemment par le feu et par le fer, d'une façon systématique et nettement délibérée. Les restes de cette ville se composent d'un ensemble de murs concentriques à ceux de la ville II. Au-dessus s'élevaient deux terrasses, peut-être une troisième, l'une à 32 mètres au-dessus du niveau de la mer, l'autre à 35 mètres environ ; ces terrasses étaient occupées par des maisons. Une dernière terrasse s'élevait probablement au sommet, où devaient se trouver les temples et les palais du roi et des seigneurs ; mais on n'en a trouvé aucune trace, car elle a été détruite à diverses reprises. La première destruction est celle que j'ai mentionnée plus haut ; elle a laissé intacte la partie inférieure des remparts trop solide pour pouvoir être ruinée ; les conquérants se sont contentés d'en démolir la partie supérieure et les habitations, dont les matériaux ont été réutilisés ultérieurement. Plus tard, au VIIe siècle, lorsque les colons grecs ont construit sur la côte les villes de Sigeion et d'Achilleion, ils ont employé pour cette construction des pierres prises à la sixième ville et dont un certain nombre ont été retrouvées sur l'emplacement de ces cités. A l'époque romaine, lorsque la colline a été aplanie pour y établir un sanctuaire, ce qui pouvait subsister de la dernière terrasse a complètement disparu. Enfin, j'ai indiqué que la pioche de Schliemann a bouleversé presque tout ce qui restait de cette malheureuse ville à l'intérieur de ses murailles.

La septième couche pose un problème insoluble dans l'état actuel de notre connaissance de la Troade, celui des populations qui se sont installées sur le site de Troie après la destruction de la ville homérique et avant la colonisation proprement dite par des émigrés venus de la Grèce au vue siècle. Cette couche est unique, car elle est disposée sur le même niveau ; mais, tant par les procédés de construction et par le plan des édifices, que par les poteries qu'on y a retrouvées, elle se distingue nettement en deux périodes. Pendant la première, les habitants ont utilisé exclusivement les matériaux de destruction de la sixième ville. Leur industrie présente un double caractère : d'une part, les maisons sont d'un type différent des précédentes : ce sont des petites maisons à une ou deux pièces au plus, ouvertes sur le devant, adossées contre ce qui restait des remparts, qui n'ont pas été réédifiés ; d'autre part, la poterie de cette époque est du même type que celle de la sixième ville. C'était certainement une population assez pauvre, qui n'a pas cherché à rétablir l'ancienne puissance de la forteresse. Mais d'où venait-elle ? Deux explications sont possibles : quelques-uns des Grecs vainqueurs ou des colons venus de Grèce à leur suite ont pu apporter avec eux des méthodes nouvelles de construction et conserver la poterie en usage ; ou d'anciens habitants, très diminués en nombre et en puissance, sont venus se réinstaller sur la ville détruite, selon une tradition persistante, qu'on trouve déjà dans Homère et d'après laquelle Anchise, Énée et leurs descendants ont continué à habiter la ville après sa démolition[8]. C'est un fait qui s'est produit souvent dans l'histoire ; nous en voyons aujourd'hui même de lamentables exemples.

La deuxième période de la septième couche se distingue de la première par le système de construction des murs des maisons, qui, au lieu d'être édifiés avec de gros blocs réguliers, comme ceux de la première période, sont formés de dalles relativement minces et irrégulières posées de champ ; ces maisons comprennent plusieurs chambres, qui communiquent entre elles par des portes latérales et dont quelques-unes sont groupées autour d'une cour centrale. La poterie appartient à deux types nouveaux : le type géométrique primitif, qui a succédé au type mycénien dans la Grèce continentale, et, en même temps, un type très grossier, fait à la main, avec des protubérances caractéristiques, qui a des analogies assez étroites avec la poterie fabriquée vers cette époque dans la basse et moyenne vallée du Danube. Plusieurs hypothèses peuvent rendre compte de ces faits : la population locale a pu subir de nouvelles influences, un ban de colons grecs a pu venir les remplacer. Ce qui est certain, c'est qu'à cette population s'en est superposée une autre, beaucoup plus primitive, amenée sans doute par le grand mouvement qui s'est produit vers le vin siècle : l'invasion des Trères et des Cimmériens, peuplades indo-européennes, descendues de Thrace en Asie Mineure, et dont l'histoire a conservé des témoignages précis[9].

Avec la huitième couche nous entrons dans la période historique, celle de la colonisation proprement dite de la Troade par des Grecs de Ténédos et de Lesbos, qui étaient peut-être originaires de la Locride. C'était encore une ville assez pauvre, de très peu d'importance. Elle n'a jamais figuré sur les listes des cités de la région qui payaient un tribut à Athènes. A cette époque, les villes de l'intérieur ont en effet perdu toute valeur, les colons grecs s'étant surtout installés sur les côtes : les Mytiléniens et les Athéniens à Sigeion, les Corinthiens et les Mytiléniens à Achilleion, les Athéniens ou les Rhodiens à Aianteion, les Milésiens à Lampsaque et à Abydos, d'autres à Rhoiteion et à Ophrynion. La seule richesse de Troie était dans ses souvenirs et dans son temple. De nombreux pèlerinages, des jeux et des fêtes, les Ilieia et les Panathenaia[10], y avaient lieu périodiquement.

Les données archéologiques manquent sur le temple. De l'édifice grec, pas une pierre n'est restée ; mais Dörpfeld a pu établir, par une déduction ingénieuse, que le temple romain, dont seul il subsiste des vestiges, a été construit sur les fondations d'un temple antérieur. C'est par la tradition littéraire, qui en fait remonter l'existence jusqu'à l'époque troyenne, que nous sommes renseignés. L'enlèvement du Palladium d'Athéna par Ulysse et Diomède et surtout l'histoire et le rite des jeunes filles, envoyées chaque année de Locride, en Grèce, pour servir la déesse — coutume qui, d'après une inscription importante du début du IIIe siècle avant notre ère, est un fait historique incontestable — tendent à faire rechercher très haut son origine, au moins jusqu'au VIIIe et au IXe siècle[11]. Dans ce cas, l'occupation de Troie par une colonie grecque remonterait jusqu'à la deuxième période de l'établissement VII et peut-être à la première.

Quand Xerxès partit pour la Grèce, il monta sur l'acropole de Priam et sacrifia mille bœufs à Athéna Ilias[12]. Deux siècles plus tard, Alexandre la visita et les Iliens lui montrèrent, accrochées dans le temple, les armes qui avaient servi à la guerre de Troie, y compris le bouclier d'Achille. Après sa victoire du Granique, il décida de l'agrandir et de lui rendre la prospérité qu'elle avait perdue. Mais ce serait Lysimaque, au dire de Strabon, qui aurait exécuté ce projet, au lendemain de la victoire d'Ipsos (301), et fait construire, ou reconstruire sur un plan plus vaste, aux pieds de l'acropole, la ville basse, dont on ne sait à quelle époque elle remonte ; cette ville basse est devenue la ville hellénistique d'Ilion[13] et semble avoir joui un moment de quelque fortune : on la trouve, en effet, au IIIe siècle, à la tête d'une ligue de villes grecques de la Troade groupées autour d'elle, depuis Lampsaque sur l'Hellespont jusqu'à Gargara sur la côte méridionale. Mais cette fortune fut de courte durée. Les Gaulois l'envahirent à deux reprises, en 278 et en 218. Au IIe siècle, elle décline de nouveau ; un savant compilateur æ cette époque, originaire de la petite ville de Scepsis, sur le cours supérieur du Scamandre, Démétrius de Scepsis — auteur d'un grand ouvrage perdu, en 32 livres, sur le catalogue des Troyens et à qui Strabon a emprunté la plupart de ses renseignements sur la Troade —, nous dit que les maisons d'Ilion, qu'il avait visitées, n'étaient plus couvertes que de chaume[14]. Le temple restait célèbre ; Antiochus le Grand s'y rendit en 192.

Les Romains arrivèrent en Troade en 190. Lucius Scipion offrit des sacrifices à Athéna Ilias ; en 189, après la paix avec Antiochus, plusieurs villes furent annexées à Ilion non pas tant pour récompenser ses services, qu'en mémoire de la source dont la nation est issue. Mais la ville subit de nouveaux malheurs : Fimbria la ravagea en 85. Sylla et Auguste la rebâtirent. En souvenir d'Anchise et d'Énée, à qui Rome faisait remonter son origine[15], ils reconstruisirent complètement le temple, nivelant la terrasse supérieure de la ville et y établissant un grand sanctuaire avec toute une série d'édifices annexes : autel, propylées, bouleutérion, maison des prêtres, dont il reste des vestiges importants. L'acropole de Troie n'est plus qu'une enceinte sacrée. L'Ilion de Lysimaque, Novum Ilium des Romains, reçut de nouveaux privilèges sous Néron, sous Hadrien, sous Antonin le Pieux et sous Marc Aurèle. Caracalla la visita en 214 et, à l'instar d'Alexandre, rendit des honneurs à la tombe d'Achille, à qui il éleva une grande statue en bronze. Constantin le Grand y commença la construction de Constantinople, mais décida finalement de la transférer à son emplacement actuel.

La dernière mention qui ait été faite de Troie, dans l'antiquité, est celle de la visite de Julien l'Apostat, en 355 ap. J.-C. Un évêque chrétien, Pégasos, lui servit de cicérone. Le feu sacré brûlait encore sur les autels. Julien demanda à son guide pourquoi les Troyens sacrifiaient encore à Hector ; l'évêque, très libéral, qu'on pourrait se représenter comme le premier des modernistes, lui répondit : Pourquoi les Iliens ne vénéreraient-ils pas les grands hommes de leur pays, comme nous vénérons nos martyrs ?[16]

Pendant tout le moyen âge et dans les temps modernes, le site est resté complètement inhabité et désert, jusqu'aux premiers coups de pioche de Schliemann, en 1870.

Il résulte déjà de cette analyse que, si Troie a perdu toute valeur, en tant que ville, dès le Xe siècle et aux temps historiques, elle a eu une très grande importance pendant toute la période qui s'étend entre l'an 2500 et l'an i000. C'était alors une forteresse, petite par ses dimensions[17], mais importante par sa disposition en terrasses et d'une puissance défensive considérable pour l'époque. Elle a été détruite au moins deux fois à la suite des luttes violentes, dont la dernière coïncide précisément avec la date que la tradition a assignée à la guerre de Troie.

 

Les ruines de Troie.

J'ai dit que la première vue des fouilles était un peu décevante et donnait une impression de confusion. Mais les grandes lignes en apparaissent assez vite et le plan de Dörpfeld — reproduit en le simplifiant sur la carte I[18] placée à la fin de ce volume — met beaucoup d'ordre et de clarté dans cette confusion. Si la distinction des couches III-IV-V et celle des couches VII-VIII exige un examen un peu minutieux, les restes de la couche I et surtout les grandes murailles des villes II et VI se voient très nettement ; elles sont disposées en deux cercles concentriques, un cercle intérieur (ville II) teinté en jaune, un cercle extérieur teinté en vert (ville VI) sur la carte I. A l'intérieur du premier cercle sont tous les vestiges des assises I à V : les lignes parallèles, hachurées en noir, de la couche I et les restes considérables de la ville II ; les traces peu importantes des couches III, IV et V n'ont pas été figurées. Entre le cercle de la ville II et le cercle de la ville VI se trouve tout ce qui subsiste des villes VI, VII et VIII ; les soubassements des édifices romains, en rouge, viennent couper à l'Est la muraille de la ville VI et se mélanger au Sud, au Nord et à l'Ouest, aux traits qui figurent les vestiges des autres assises.

La photographie 5 (Planche III) montre ce qui reste de l'établissement I. Son intérêt est dans son ancienneté. Il consiste en plusieurs lignes parallèles de petits murs disposés en travers de la grande tranchée Nord-Sud de Schliemann. L'un deux est formé par un arrangement assez curieux de pierres, disposées en arêtes de poissons (appareil en épis) ; les autres sont des amas de petits blocs bas de pierre non taillés et reliés par du mortier de terre. Leur épaisseur varie de deux à trois mètres.

On a mis à jour dans cette couche une accumulation de coquillages et d'os ou de fragments d'os brisés de bœuf, de mouton, de chèvre et de porc ; des outils en pierre — haches polies, quelques-unes perforées, couteaux et racloirs en obsidienne et en silex —, des fragments de jade, de diorite et de serpentine.

La poterie est grossière, faite à la main, d'une terre mêlée de gravier et polie avec un instrument de pierre, sans usage du four ; on y trouve des écuelles, des cruches, des gobelets, des vases à anses en mamelons, simples protubérances perforées, où l'on devait faire passer une cordelette pour les suspendre ; le décor se limite à des traits incisés, parfois incrustés de matière blanche, parallèles, en zigzags, de forme ondulée ou oculée (œil schématisé)[19].

La deuxième installation témoigne, ainsi que je l'ai dit, d'une civilisation beaucoup plus avancée.

C'était une forteresse très solide mais de petites dimensions : 100 mètres de diamètre, de 300 à 400 mètres environ de circonférence, soit l'équivalent d'un rectangle de 100 mètres sur 80 mètres de côté. Les murs qui l'entouraient, qui subsistent à l'Est, au Sud et à l'Ouest seulement, étaient percés de deux portes principales ; à l'intérieur sont des restes de maisons.

C'est l'étude attentive de ces deux portes qui a permis de diviser l'histoire de cet établissement en trois périodes, auxquelles correspondent des modifications dans le type des maisons et dans l'industrie. Les transformations de ces deux portes sont en tous points identiques. Pendant la première période, elles consistent en un long passage de 2 m. 50 de large, qui monte en pente douce et devait être utilisé par les chars. Ce passage était tracé à l'intérieur d'une tour, qui s'avançait d'une quinzaine de mètres en avant du mur d'enceinte. Une série de piliers en bois étaient adossés de chaque côté contre les parois de ce passage, pour les soutenir et porter une voûte. A la deuxième période, la disposition est restée la même, mais le mur de l'enceinte a été repoussé de 7 à 8 mètres en avant, pour donner plus de place. Dans la troisième période, la disposition a été complètement changée. Le chemin couvert a été bouché et la surface en a été nivelée, l'ouverture a été murée et il en est résulté un gain important pour l'espace disponible à l'intérieur. Deux nouvelles portes ont été construites sur des types identiques, à quelque distance à l'Est de chacune des portes précédentes ainsi supprimées. La disposition est toute différente. Au lieu d'un long couloir, nous avons une salle centrale flanquée de deux vestibules, l'un à l'intérieur, l'autre à l'extérieur de la citadelle[20].

A l'une de ces portes conduisait une rampe d'accès, qui est très bien conservée ; elle est pavée au moyen de dalles en calcaire soigneusement disposées, qui n'ont pas bougé depuis 3000 ans. On n'y voit aucune trace de roues ; l'inclinaison est en effet trop forte pour que cette rampe ait pu servir à la circulation des chars.

Le mode de construction du mur apparaît nettement de chaque côté de la porte sur la photographie 6. Il est formé de petites pierres à peine taillées, qui n'étaient reliées entre elles que par un mortier de terre. Son inclinaison est assez faible, formant avec l'horizontale un angle qui varie de 45 à 60 degrés. On pouvait ainsi y grimper sans échelle. La hauteur conservée du mur va jusqu'à 10 mètres en certains points, son épaisseur varie entre 4 et 5 mètres. Mais nous ne voyons là que l'infrastructure. Sur cette base s'élevait un mur vertical fait en briques de terre durcies au soleil. On n'en connaît pas la hauteur, mais elle dépassait 3 mètres, car on a retrouvé des parties qui ont cette dimension ; l'épaisseur de ce mur vertical était de 3 à 4 mètres. Il devait être recouvert d'une galerie voûtée, car il faut un toit pour protéger les murs de terre contre la pluie.

On aperçoit de l'autre côté de la porte des murs de maisons. On a retrouvé une dizaine de ces maisons ; les principales sont marquées II A, II B, II H, II K et II R sur la carte I. La photographie 7, planche IV, en donne une vue d'ensemble, dans l'intérieur de la forteresse. Ce sont des rectangles allongés, formant une ou deux pièces, avec un portique sur le devant ; les soubassements étaient en pierre et les murs en briques séchées. Un caractère tout spécial et intéressant de ces murs est que les longs côtés s'avançaient à l'avant et à l'arrière en formant des espèces d'antes, qui étaient revêtues de bois sur un soubassement en pierre ; ce revêtement avait pour objet d'aider à supporter les charpentes du toit et à protéger les murs contre la pluie[21].

La plus importante est celle qui est marquée II A ; deux de ses murs ont malheureusement été démolis par Schliemann. On peut néanmoins en reconstituer assez facilement le plan : il consiste en une grande pièce rectangulaire de 20 mètres sur 10 mètres, ouvrant sur un vestibule carré de 10 mètres de côté ; au centre de cette pièce se trouvait un foyer circulaire, dont il reste des vestiges ; devant le vestibule s'étendait une grande cour entourée de murs, qui, du côté opposé à l'entrée de la maison, étaient percés par une sorte de propylée, qui y donnait accès. C'était sans doute le palais du roi[22].

Toutes les maisons étaient isolées les unes des autres et séparées par de petites ruelles.

Les restes architecturaux de murailles et de maisons ne sont pas les seuls témoignages que nous ayons de cette époque reculée ; c'est à cette époque qu'appartiennent les fameux trésors — on n'en a pas trouvé moins de dix-sept dépôts — que Schliemann a appelés à tort le Trésor de Priam ; ils sont beaucoup plus anciens qu'il ne le croyait. Ce sont des vases d'argent et d'or sans décor, des lingots d'argent, des plats en cuivre, une sorte de saucière en or à deux grandes anses, des armes en bronze, des broches, des anneaux, des spirales, des boucles et des torques en or, des pendants d'oreilles et deux diadèmes en or constitués par un grand nombre de petites chaînettes à mailles, terminées par de petits pendentifs en forme d'idoles primitives ; deux bracelets en or, une épingle en or surmontée d'une petite cruche, une autre surmontée par un petit plateau portant six petites cruches en or, des parures en os à saillies globuleuses et hachures incisées, des figurines de taureaux et de petites idoles en forme de violon d'un type répandu en Orient et dans toute l'Europe préhistorique[23].

L'outillage comprend des instruments en pierre et en bronze[24]. Les seconds consistent en des haches plates, des haches à douille médiane et à deux taillants transversaux, des couteaux à languette et à soie, des lances plates à languette, des poignards allongés munis d'une soie mince recourbée du type chypriote. Parmi les premiers on a trouvé des haches en pierre (dont une en lapis-lazuli) imitant des haches en bronze, des têtes de sceptre en cristal de roche et les fameuses fusaïoles.

Ces fusaïoles sont de petits objets en terre cuite ou en pierre, de forme ronde ou tronconique, percés d'un trou au milieu et souvent ornés de dessins ou d'incisions sur leur partie la plus large[25]. On a pensé qu'elles servaient le plus souvent de pesons pour les fuseaux, d'où leur nom ; elles ont pu être utilisées aussi pour tendre les fils des métiers à tisser, ou, lorsqu'elles sont suffisamment lourdes, les mailles des filets à pêcher ; elles ont pu encore, dans certains cas, n'avoir été que des ornements : de grosses perles qu'on enfilait en colliers. Elles sont très abondantes à Troie, dans toutes les couches préhelléniques ; un nombre considérable en a été trouvé dans la plupart des fouilles de la Méditerranée. Celle qui est représentée sur la couverture de ce volume est ornée de svastikas, signes en forme de croix dont les branches ont la forme coudée d'un gamma ; ce signe, très répandu dans toute l'Europe préhistorique, a été interprété par Déchelette comme un emblème du soleil en mouvement[26].

Dans la céramique on voit apparaître deux grands progrès : l'usage de la roue de potier et l'emploi du four. Mais la peinture est encore inconnue. On a trouvé dans cette couche les fameux vases à forme humaine féminine, corps nu où sont marqués le nombril, les seins, la vulve, les yeux, le nez, d'abord avec un réel souci d'exactitude, puis simplement stylisés ; ce sont les vases qu'on a quelquefois appelés vases à tête de chouette ; les autres types les plus caractéristiques sont les vases à anses percées, les coupes et bols, les vases à boire avec ou sans anse, les vases montés sur un cylindre ou anneau en terre cuite, les gobelets à deux grandes anses verticales — le δέπας άμφικύλλον d'Homère[27] —, les cruches à bec très allongé, les vases en forme d'animaux. Le décor consiste en points, cercles, traits divers incisés, parfois remplis de matière blanche, et en protubérances[28].

Si ces découvertes nous ont renseignés assez abondamment sur la vie des Troyens de cette époque, il n'en est pas de même de leurs morts. Le mobilier funéraire est presque inexistant. En fait d'ossements, on a trouvé, comme appartenant à cette couche et peut-être aux deux suivantes, jusqu'à quatre squelettes de fœtus non brûlés, dont l'un d'environ six mois, dans des trépieds et des vases très grossiers faits à la main. Il n'est pas certain que l'incinération ait été en usage, les fouilles ont été trop mal conduites pour qu'on puisse en décider. On a retrouvé en outre deux squelettes entiers de guerriers, dont les crânes sont dolichocéphales, l'un nettement orthognate, l'autre à tendance prognathique ; deux crânes et des fragments de squelettes de femmes, dont l'un brachycéphale à tendance prognathique très accentuée et l'autre dolichocéphale[29]. Il est probable, d'après les conditions des trouvailles, qu'il s'agit de guerriers et de civils, qui ont été tués lors de la destruction de la ville et qui sont restés sans sépulture.

Je passe rapidement sur les établissements III à V, dont il reste peu de chose, Schliemann en ayant bouleversé les vestiges pour arriver plus vite à la ville II. Quelques murs de maisons de l'installation III subsistent dans l'angle Ouest, parfois jusqu'à une hauteur d'environ deux mètres ; dans l'une, quatre grandes jarres ont été retrouvées, qui servaient à conserver des provisions. On distingue aussi quelques traces de petites huttes appartenant à l'installation IV, sur les pylônes de terre qui n'ont pas été déblayés. L'assise V paraît se confondre avec la toute première période de la ville VI ; Dörpfeld en a mis à jour quelques vestiges contre l'enceinte de cette ville VI.

La poterie de cette période est, pour les installations III et IV, la même poterie locale que celle de la ville II, mais un progrès se manifeste avec l'installation V, où l'ornementation témoigne des débuts d'une influence étrangère : la peinture apparait sous une forme primitive, les spirales commencent à se substituer aux traits rectilignes et aux cercles des périodes précédentes.

Il y a donc eu, dans la cinquième période, un agrandissement important des villages III et IV et une intervention d'éléments nouveaux. Il se pourrait que l'établissement V correspondit à la ville dont l'Iliade et la légende attribuent la construction à Laomédon et la prise à Héraclès[30], avant l'édification de la grande forteresse de Priam.

Ce qui reste de cette forteresse est distribué en cercle autour de la deuxième ville. Le diamètre est de 200 mètres environ, soit le double du précédent ; la surface en est donc quatre fois plus grande. La circonférence est de 600 mètres, la superficie d'environ 30.000 mètres carrés en plan ; mais la disposition en pente la rendait sensiblement plus importante.

Les restes dégagés jusqu'ici se composent d'une muraille conservée, comme celle de la seconde ville, à l'Ouest, au Sud et à l'Est, percée de trois grandes portes et flanquée de trois tours. A l'intérieur se trouvent des vestiges de maisons, qui ne subsistent qu'à la périphérie et sont étagées sur deux terrasses.

La structure du mur d'enceinte est toute différente de celle de la muraille de la seconde ville et très remarquable. Elle est formée de gros blocs de pierre soigneusement équarris et disposés sans mortier, en appareil régulier. Aucune ruine de l'époque ne présente cet appareil et une semblable perfection. Sa hauteur atteint de six à dix mètres et son épaisseur est de cinq mètres environ ; son inclinaison est sensiblement moins forte que celle des murs de la seconde ville. A la partie supérieure s'élevait, comme sur ceux-ci, un rempart vertical de même épaisseur que le mur et construit d'abord en briques séchées ; il a été remplacé ensuite par de petites pierres bien taillées de même forme et de mêmes dimensions que ces briques ; la nature des matériaux a alors permis de réduire son épaisseur, qui a dû varier entre 2 mètres et 2 m. 50 ; on en a retrouvé des traces ayant une hauteur de 2 à 3 mètres. La réduction de l'épaisseur a permis de ménager à l'intérieur, sur l'infrastructure, un chemin de ronde de 3 mètres de large.

Cette longue muraille d'enceinte de 600 mètres est formée d'éléments polygonaux, ayant chacun i o mètres de long et formant les uns avec les autres des angles très obtus ; à chaque angle se trouvent des contreforts très peu saillants, dont l'épaisseur ne dépasse pas 3o centimètres ; ils ne pouvaient donc pas servir à consolider le mur, mais avaient seulement pour objet de rompre la monotonie de la longue ligne de pierres et devaient jouer ainsi un rôle esthétique.

Un fait curieux, sur lequel j'aurai à revenir, est que la construction de ce mur a été exécutée beaucoup moins soigneusement dans la partie conservée au Sud-ouest : son épaisseur n'est plus que de 3 mètres au lieu de 5, son inclinaison est plus forte et les pierres dont il est formé sont moins bien taillées et disposées[31].

La porte située à l'Ouest conduisait à la première terrasse, mais n'était plus en usage à l'époque où la ville a été prise. Celle du Sud, large de 3 mètres à 4 m. 50, était flanquée à l'Ouest par une grosse tour contenant une chambre intérieure ; elle était à peu près dans l'axe de la porte centrale de la ville II et devait constituer l'entrée principale. J'aurai à reparler de cette porte, mais les vestiges en sont trop peu importants et trop entremêlés de restes appartenant à d'autres époques pour que j'entre dans le détail.

La troisième porte, qui est située à l'Est, est formée par une disjonction du mur, dont une partie avance et vient envelopper et couvrir l'autre ; la porte est percée entre deux. Cette disposition, qui se retrouve à la porte de l'Ouest, a pour effet que l'assaillant, voulant forcer l'entrée, se présente d'abord nécessairement de flanc et expose son aile droite aux coups des défenseurs, puis doit pénétrer entre les deux murs. Il en est autrement dans la ville II : les portes y sont ouvertes directement dans un pan de mur ; l'assaillant, pour y pénétrer, se présente de face.

Le mur est flanqué de tours, dont il subsiste des parties très importantes : l'une au Sud, la seconde à l'Est et la troisième au Nord-est. La photographie 8 (planche V) montre la tour de l'Est. Elle a environ 10 mètres de large et fait une saillie de 8 mètres en avant du mur. Le procédé de construction est semblable à celui des murs. D'après certains vestiges, un plancher, qui a dû être recouvert de terre sur une assez grande épaisseur, était disposé à plus de 3 mètres au-dessus du niveau inférieur du sol ; la chambre ainsi formée devait servir de cave. On y accédait probablement du plancher, qui se trouvait à peu près au niveau du chemin de ronde intérieur, par une trappe et une échelle, car il n'y a pas de trace d'escalier. Il est impossible de dire s'il existait encore un étage au-dessus, mais cette disposition est probable.

La tour du Nord est la plus importante ; c'est la partie la plus imposante des ruines. Elle subsiste sur une très grande hauteur, jusqu'à 10 mètres, et sa largeur n'a pas moins de 20 mètres. On aperçoit encore du côté Nord quelques-unes des briques de terre, qui formaient parapet et qui n'avaient pas été remplacées par des blocs de pierre. A l'intérieur de cette tour se trouvait un grand puits, marqué B a sur le plan, qui a été remanié ultérieurement ; il descendait jusqu'à 10 mètres au-dessous du sol et devait constituer le principal approvisionnement en eau ; d'autres puits alimentaient aussi la forteresse.

Les édifices retrouvés sont de simples maisons d'habitation ; elles sont constituées, pour la plupart, par une ou deux grandes chambres d'environ 8 mètres sur 10 mètres, précédées d'un portique sans colonnes, que forme l'avancée des murs latéraux. La pièce principale ou unique est parfois divisée en deux nefs par une colonnade médiane. Le plan correspond à la division homérique en porche (αΐθουσα, πρόδόμος, πρόθυρον), en mégaron, chambre principale ou chambre de réception, et thalamos, chambre à coucher ou peut-être gynécée. L'élévation des maisons est inconnue ; l'existence de toits à double pente semble probable, mais a pu se combiner avec le système du toit horizontal en terrasse.

La maison que montre la photographie 11, planche VI, est la plus importante qui ait été dégagée ; elle comprend trois ou peut-être quatre pièces contiguës, formant un ensemble assez complexe. Dans la chambre située à l'Est, on a retrouvé un grand nombre de jarres enfoncées dans le sol ; c'était sans doute une chambre de provisions ou une cuisine. Le mur extérieur est remarquablement conservé et, chose curieuse, construit d'une façon identique à celle de la muraille d'enceinte, avec de gros blocs bien taillés, bien disposés et de petits contreforts très peu saillants qui viennent rompre l'uniformité de la surface.

Ainsi que je l'ai dit, il existait plusieurs terrasses, sur lesquelles ces maisons étaient disposées en cercles. Une série de ruelles droites étaient disposées en rayons et convergeaient vers le centre de la citadelle, où devaient se trouver les maisons les plus importantes, les palais et les temples, il n'en reste plus aucune trace. Un grand chemin large de 8 à 10 mètres, très visible sur la photographie 11, entre la maison VI M et la muraille du Sud, circulait autour de la première terrasse, entre le mur d'enceinte et le premier cercle des maisons.

La forteresse a été complètement détruite par un ennemi. Les traces de feu sont moins importantes que dans la seconde ville, parce que la plus grande partie était construite en pierre. Mais l'action de l'ennemi est mise en évidence par la destruction systématique des remparts et des maisons, qui ont été presque complètement rasés jusqu'à leurs fondations.

Les restes d'outillage, d'objets et de poterie de cette période sont beaucoup moins nombreux que ceux de la seconde ville et d'une valeur très médiocre. Le fait est extrêmement frappant.

Quelques couteaux, quelques pointes de flèches, quelques aiguilles, perles et petits bracelets unis, sans décor, en bronze et en cuivre, épuisent la liste des trouvailles en outils et en objets domestiques et de parure. Aucune trace de l'usage du fer n'a encore été retrouvée[32]. Aucun ustensile de grande dimension, ni de valeur, n'a été découvert.

Les seules tombes mises à jour jusqu'ici et appartenant avec certitude à cette époque, sont au nombre de deux, trouvées en dehors des murs, en 1893 ; elles consistent en deux urnes, dont l'une contenait les restes d'un cadavre incinéré, avec des fragments d'anneaux en bronze et un peson de fuseau, l'autre les ossements de deux fœtus d'enfants[33].

La poterie est un peu plus abondante. Elle est caractérisée par deux faits : le développement de la peinture et celui du style mycénien, qui s'ébauchaient dans la période précédente (V). Les formes et le décor se rattachent à deux groupes. L'un comprend la poterie mycénienne (troisième style de la peinture lustrée), dont la décoration consiste en poulpes, coraux, algues, coquillages à pourpre et dessins géométriques, surtout la spirale avec toutes ses variétés. Mais il n'en reste guère que des tessons ; aucun beau vase, comparable à ceux de Mycènes ou de la Crète, n'a été trouvé. Le second groupe, plus important, est de fabrication locale ; il se divise lui-même en deux catégories : les imitations de vases mycéniens, dont le nombre et l'intérêt ne dépassent pas ceux du groupe précédent, et les types locaux antérieurs développés, dont le nombre est sensiblement plus élevé. Dans cette dernière catégorie, les vases à figure humaine, les vases à anses pleines perforées ont disparu, l'ancien depas amphikypellon n'est presque plus employé ; mais les cruches à bec, les coupes basses à deux anses, les pots en forme de marmites sont nombreux. Leur décor consiste surtout en lignes ondulées et en stries horizontales, obtenues au moyen d'un instrument nouveau : un petit outil métallique à dents très fines. Les exemplaires intacts sont très rares, ils sont assez communs et sans beauté.

On est très surpris de la pauvreté de ces trouvailles, qui ne sont pas en rapport avec la grandeur et la perfection du travail architectural des fortifications. II est vrai que les fouilles proprement mycéniennes n'ont pas été poussées très loin, elles n'ont été poursuivies que pendant les deux courtes campagnes de 1893 et de 1894 ; mais toute l'acropole a été fouillée antérieurement, d'une façon très complète quoique désordonnée, par Schliemann, et, parmi les objets innombrables qu'il a trouvés, un très petit nombre seulement ont pu être attribués à la sixième ville. Si elle a joui de la grande prospérité que vante si fort la tradition littéraire, que sont devenues ses richesses ? Je ne vois qu'une explication. Cette tradition nous dit que la ville a été pillée de fond en comble par les conquérants ; Homère nous apprend dans l'Iliade que, pendant la longue durée du siège, toutes les richesses de la cité ont dû être vendues[34]. D'autre part les fouilles ont montré qu'elle a été systématiquement démolie. Ces renseignements homériques doivent répondre à la réalité : nous verrons plus loin combien l'Iliade abonde en données exactes de cette sorte ; je crois qu'on a beaucoup exagéré son caractère légendaire. Le petit nombre des trouvailles de la sixième ville pourrait être invoqué comme un témoignage de plus de l'historicité du poème.

Les fouilles des villes I à VI me semblent mettre en évidence d'autres faits, qui n'ont pas été suffisamment remarqués.

Le premier est l'influence très faible exercée sur Troie par la civilisation égéenne et minœnne, qui florissait dans la Méditerranée bien avant la sixième ville.

Les villes II à V n'ont révélé à peu près aucune trace de cette civilisation, qui a été si considérable et dont l'attrait s'est exercé si loin ; la ville VI n'a emprunté elle-même qu'un très petit nombre d'éléments à la toute dernière période de cette civilisation, puisque, si les découvertes de la sixième couche ont été peu nombreuses, la proportion des objets mycéniens est très faible dans l'ensemble.

Le second est l'absence presque complète de beauté et de développement artistique de cette culture troyenne. Les bijoux de la ville II, les trésors de Schliemann qu'on voit aujourd'hui au musée de Berlin, paraissent en réalité assez primitifs et barbares ; ils ne peuvent entrer en comparaison avec les poignards richement ciselés, les belles coupes, les élégantes peintures trouvées à Mycènes, à Tyrinthe, à Vaphio, à Phylacopi et qui n'appartiennent eux-mêmes qu'à un art en décadence, lorsqu'on le rapproche de celui de Cnossos et de Phaistos en Crète, de celui de Babylone et de l'Égypte[35]. Les Troyens n'appartenaient ni à la civilisation égéenne ni aux brillantes civilisations orientales ; ils n'étaient, d'après ce qu'ils ont laissé, ni de grands techniciens, ni de grands artistes, mais essentiellement, il me semble, de grands constructeurs, des guerriers et des commerçants. J'aurai à revenir sur ces deux points.

J'ai indiqué plus haut les caractères généraux des constructions et de la poterie dans les deux périodes de l'installation VII. Le fer n'apparait pas encore ; mais un moule en pierre, spécial pour la coulée du fer, montre qu'il était connu à cette époque[36]. Les restes architecturaux consistent presque exclusivement en murs de maisons, groupés entre les enceintes des villes II et VI, dans l'angle Ouest et à l'Est entre la tour VI à et la tour VI g. Un grand nombre de grosses jarres ont été retrouvées dans le sol de ces maisons, au-dessus de la muraille mycénienne.

Les ruines de l'assise VIII, qui s'étendent de la fin du VIIIe siècle jusqu'à l'époque romaine, sont situées dans les deux mêmes régions, où elles sont entremêlées à celles de l'assise VII. Leur début est nettement caractérisé par l'introduction du fer et de la poterie peinte à décor géométrique. Ce sont quelques pauvres murs de maisons dans le groupe Ouest et quelques restes d'une muraille extérieure adossée, à l'Est, contre l'enceinte mycénienne.

Le monument le plus intéressant de cette époque est un grand escalier en pierre, bien conservé, de 40 marches, très raide et très étroit (1 m. 25), qui s'élevait sur une hauteur de 30 mètres. Il est situé à droite de la grande tour VI g sur la photographie 9, planche V, où l'angle de la tour en cache la vue. Sa raison d'être s'explique facilement. Les puits Bb et Bc, dont il a été question plus haut, avaient été recouverts par les débris des murs qui les entouraient, le puits Ba, qui alimentait le temple, était réservé à un usage sacré dont je parlerai plus bas. Les Grecs utilisèrent en conséquence un quatrième puits, marqué Ba sur le plan et qui se trouve au pied de la tour VI g, à l'extérieur. L'escalier reliait ce puits à la citadelle ; afin d'en assurer l'accès en cas de siège, les Grecs avaient construit, à l'extérieur du vieux mur, un bastion, qui, entourait à la fois le puits et l'escalier.

A cet escalier, au puits Ba et au temple, dont il ne reste plus une pierre, mais dont l'emplacement est assuré, se rattache une histoire singulière, qui doit être relatée, parce qu'elle a trait à la destruction de la Troie homérique et fournit des éléments à la discussion de la réoccupation de la ville, après sa destruction à l'époque VI. C'est l'histoire du tribut annuel de deux jeunes filles offert, pendant toute la période grecque historique, par les Locriens à la déesse Athéna[37].

Pendant le sac de Troie par les Grecs, Cassandre, l'une des filles de Priam, se réfugia dans le temple, embrassant la statue de la déesse. Le locrien Ajax courut à elle, l'arracha de la statue, qui fut renversée, et l'outragea. Ce sacrilège attira sur lui et sur son pays la vengeance d'Athéna, qui, pendant qu'Ajax périssait misérablement dans son voyage de retour, répandit une peste effroyable en Locride. L'oracle d'Apollon, consulté, fit connaître que, pour satisfaire la déesse, deux jeunes filles locriennes devaient être tirées au sort et envoyées chaque année à Troie, pendant mille ans suivant les uns, jusqu'à ce que la déesse fût apaisée suivant d'autres, pour y remplir le rôle de servantes dans le temple. Débarquées près d'Aianteion, sur la côte de l'Hellespont, elles devaient gagner le sanctuaire, de nuit, par des voies souterraines et en se cachant ; si quelqu'un les rencontrait, il pouvait les prendre et les tuer, et, dans ce cas, devait brûler leurs cadavres sur un bûcher d'arbres sauvages et jeter leurs cendres du haut de la colline dans la mer. Une fois dans le sanctuaire, elles étaient condamnées à y rester, à le balayer et à l'arroser ; elles avaient les cheveux coupés, étaient vêtues d'une simple tunique et marchaient nu-pieds. Elles ne pouvaient en sortir qu'en se cachant et passer devant l'image de la déesse que de nuit.

Le fait de l'envoi annuel des jeunes filles est historique ; rapporté par plusieurs auteurs, il a été confirmé récemment par une longue inscription, relatant une convention passée vers 230 av. J.-C., pour régler les conditions dans lesquelles la tribu locrienne d'Ajax devait continuer à fournir cet envoi. A. Loisy[38] a rapproché le mystère dont ces jeunes filles étaient entourées et la survivance qu'on trouve dans le récit d'un ancien meurtre rituel, des cérémonies pratiquées à Athènes par les jeunes filles, qui habitaient le temple d'Athéna Polias sur l'Acropole et que les Athéniens appelaient les Arréphores. Ce rapprochement me parait très justifié pour le service des jeunes filles ; mais le meurtre (que certains textes désignent comme une lapidation), les cendres jetées à la mer et l'histoire du viol de Cassandre et de la souillure du temple d'Athéna, me semblent plutôt se rapporter à un vieux rite de purification, comme celui des boucs émissaires, des pharmakoi d'Athènes, par exemple, qui aurait été associé à un ancien rite agraire[39]. Quoi qu'il en soit, ces pratiques n'ont rien d'invraisemblable. Les seuls points douteux sont : la durée du service, qui n'était pas à vie, l'époque de son origine, qui se place entre le VIIe et le XIe ou le Xe siècle, et celle où il prit fin. Plutarque nous dit que ce fut peu avant le temps où il écrivait (Ier siècle de notre ère), d'autres textes indiquent pour sa durée mille ans après la guerre de Troie.

Le témoignage du passage souterrain existe en tout cas dans les ruines. On ne pouvait pas accéder au puits Ba au niveau du sol, une dalle de pierre en bouchait l'ouverture ; mais l'entrée en a été retrouvée à un mètre au-dessous de ce niveau : le passage qui y aboutit a deux mètres de large et 3 m. 25 de haut[40], il vient de la direction du Nord ; son origine était quelque part près de l'escalier et il devait sans doute communiquer avec le temple, auquel le puits fournissait l'eau sacrée nécessaire pour les cérémonies et les lustrations. C'est un exemple bien curieux d'un rite, qu'on serait tenté de traiter à première vue de légendaire, qui se trouve confirmé à la fois par une inscription et par des fouilles. Il se pourrait aussi que ce passage secret fût celui par où Ulysse et Diomède pénétrèrent dans le temple pour s'emparer du Palladium[41], le passage étanche étroit et souterrain dont il est question dans un fragment de Sophocle[42], ou tout au moins celui que les cicérones devaient montrer comme tel aux visiteurs de Troie.

Je ne dirai que quelques mots du sanctuaire romain, qui ne se rattache que très indirectement à notre sujet. Ainsi que je l'ai indiqué, les travaux édilitaires des Romains ont consisté à aplanir la partie supérieure de l'acropole et à substituer un large plateau, soutenu par de gros murs, à la ville en terrasses. Ces murs de soutènement sont très visibles à l'Est, où ils viennent couper ceux de l'enceinte de la ville VI. On distingue aussi un propylée au Sud et deux édifices de destination inconnue, l'un au Sud, l'autre à l'Ouest. Du temple et de l'autel, il ne reste que des vestiges ; le théâtre n'a pas été complètement déblayé. Les monuments les plus intéressants sont quelques restes du puits Ba sur lequel une élégante lanterne circulaire, en marbre et à colonnes, avait été construite et dont tous les éléments ont été retrouvés à terre, et surtout le joli petit édifice en forme de théâtre, bouleutérion, salle de réunion des magistrats ou des principaux personnages de l'administration du sanctuaire, dont la photographie 12, planche VII, montre les ruines et qui rappelle les constructions analogues trouvées à Priène et à Milet en Ionie[43].

 

 

 



[1] Le nom d'Hellespont pour le détroit est le seul que l'on trouve chez les auteurs byzantins ; celui de Dardanelles apparaît pour la première fois sur une carte italienne du moyen âge, où il désigne les châteaux de Kilid-Bahr et de Kaleh-Sultanieh. Voir art. Hellespontos dans Pauly-Wissowa, Real-Encycl., 1912.

[2] De βάλανος, gland, espèce de chêne (quercus ægilops) abondante en Troade, dont le gland donne du tanin très utilisé en teinture et tannerie.

[3] Hissar, en turc : forteresse ; le suffixe lik est un diminutif.

[4] Ilios, ville et pays des Troyens, traduct. française, Paris, 1885, p. 1-94. Voir S. Reinach, H. Schliemann, Revue archéologique, 1890, II, p. 416-419, réimprimé dans Chroniques d'Orient, I, 1891, p. 733-736 ; Ch. Diehl, Excursions archéologiques en Grèce, Paris, 1903, Les fouilles de Mycènes, p. 14-19.

[5] Pergamos, dans l'Iliade, synonyme de citadelle.

[6] Les fouilles n'ont pas été reprises depuis, il serait fort à souhaiter qu'elles le fussent. L'acropole n'est pas complètement dégagée, il reste à étudier l'établissement I, l'enceinte de l'Ouest et les tombes des anciens rois ; la ville basse n'a pas été touchée.

[7] Le doute provient de l'incertitude où l'on est sur les objets trouvés, appartenant réellement à cette couche.

[8] Homère, Hymne à Aphrodite, 196 ; Iliade, XX, 178-181, 300-308 ; Démétrius de Scepsis, ap. Strabon, XIII, p. 608 ; mais la tradition contraire a été admise par Hellanicus de Lesbos, ap. Strabon, XIII, 602.

[9] Voir discussion très approfondie, mais un peu obscure, de A. Bruckner, dans Troja und Ilion, II, p. 554 à 572.

[10] M. P. Nilsson, Griechische Feste von religiöser Bedeulung, Leipzig, 1906, p. 92 et sq.

[11] Sur le rite des jeunes filles locriennes : Brückner, loc. cit. ; A. Loisy, Les Arréphores d'Athéna, dans Revue d'histoire et de littérature religieuses, 1911, p. 387-888 ; W. Leaf, Troy, p. 126-144 et textes, p. 391-396 ; Ad. Reinach, L'origine de deux légendes homériques, le viol de Cassandre, le rapt d'Hélène, dans Revue de l'histoire des religions, 1914, I, p. 12-53 et II, p. 21-42.

[12] Hérodote, VII, 43.

[13] Strabon, XIII, p. 593-594. Grote, History of Greece, part. I, ch. XV, a soutenu cependant, et Dörpfeld semble le suivre sur ce point, que le texte s'appliquerait non pas à Ilion, mais à Antigonia, plus tard Alexandria Troas, sur la côte Ouest de la Troade. La question de l'époque à laquelle remonte cette ville basse de Troie est très incertaine ; des fouilles seules trancheront la question. Voir Dörpfeld, Troja und Ilion, p. 604 et sq.

[14] Strabon, XIII, p. 593-594.

[15] Sur la légende d'Énée et les origines troyennes des Romains, voir G. Boissier, Nouvelles Promenades archéologiques, Horace et Virgile, Paris, 1904, p. 127 et sq.

[16] Lettre de l'empereur Julien, texte et traduction dans Schliemann, Ilios, trad. franç., p. 224 et sq.

[17] Sur les dimensions comparées des villes mycéniennes, voir : Belger, Philologische Wochenschrift, 1891, p. 1154 ; Déchelette, L'âge de bronze, p. 127.

[18] [Les cartes, photographies et planches ne sont malheureusement pas disponibles - FDF. Je livre un plan moderne de la ville de Troie sur la page d'accueil de ce livre.]

[19] Schliemann, Ilios, p. 263 et sq. ; J. Déchelette, Archéologie préhistorique, p. 362, p. 518, p. 562, p. 600 et sq.

[20] Voir dessin dans Dussaud, Les civilisations préhelléniques, p. 124, fig. 92.

[21] Voir sur ce point Dussaud, Les civilisations préhelléniques, p. 127-128 et fig. 94.

[22] Voir dessin dans Dussaud, Les civilisations préhelléniques, p. 125, fig. 93.

[23] Sur les trésors de Troie : Schliemann, Ilios, p. 570 et sq. ; Perrot et Chipiez, Histoire de l'art dans l'antiquité, VI, p. 955 et sq ; A. Götze, dans Troja und Ilion, p. 337 et sq. ; Dussaud, Les civilisations préhelléniques, p. 140 et sq.

[24] Le cuivre pur est rare, l'étain est toujours amalgamé au bronze.

[25] Déchelette, L'âge du bronze, p. 463 et sq. ; Dussaud, loc. cit., p. 135 et sq. ; p. 270 et sq.

[26] L'âge du bronze, p. 453 et sq. ; où l'on trouvera toute la bibliographie du svastika.

[27] Iliade, XV, 86 ; XXIV, 101-102 ; Odyssée, III, 35-63.

[28] Pour les détails complets, voir : Schliemann, Ilios, p. 373 et sq. ; articles de H. Schmidt et de A. Götze, dans la grande publication dirigée par Dörpfeld et publiée en 1002 sous le titre Troja und Ilion. Résumés dans : Perrot et Chipiez, Histoire de l'art dans l'antiquité, VI, p. 807 et sq., p. 817 et sq., p. 895 et sq. ; J. Déchelette, Manuel d'archéologie préhistorique, L'âge du bronze, p. 32. ; R. Dussaud, Les civilisations préhelléniques, 2e édit., p. 132 et sq. ; E. Pottier, Catalogue des vases de terre cuite, musée du Louvre, 1, p. 74 et sq. ; Vases antiques du Louvre, I, p. 4 et pl. 5.

[29] Voir Schliemann, Ilios, p. 645 et sq. ; R. Virchow, Altrojanische Gräber und Schäder, Abh. der Kön. Pr. Ak. der Wissensch. zu Berlin, Berlin, 1882 et H. Winnefeld dans l'ouvrage publié par Dörpfeld, I, p. 535 et sq.

[30] Iliade, V, 638 et sq. ; XIV, 250-251 ; XV, 25 et sq.

[31] Voir Dörpfeld, Troja und Ilion, I, p. 113 ; II, p. 608.

[32] Götze, Troja und Ilion, I, p. 396.

[33] Troja und Ilion, p. 536. La plupart des tombes trouvées en dehors des murs sont d'époque romaine ; mais l'exploration est loin d'avoir été faite complètement.

[34] Iliade, XVIII, 287-292.

[35] Voir Perrot et Chipiez, Histoire de l'art dans l'antiquité, I, II, IV ; pour la Crète : Dussaud, loc. citat., où l'on trouvera la bibliographie.

[36] Götze, Troja und Ilion, I, p. 408.

[37] Les textes sont les suivants : Lycophron, 1141-1173 ; scholie de Tzetzès à ce texte, 1141-1168 ; Polybe, XII, 5 ; Plutarque, De sera numinis vindicta, XII ; Strabon, XIII, 1, 40 ; Ælien, Hist. var., frag., 47 ; Æneas Tacticus, 31, 24 ; reproduits dans W. Leaf, op. cit., p. 392-396, et la fameuse inscription découverte en 1897, dont on trouvera le texte, la traduction et la discussion avec toutes les références dans Ad. Reinach, Revue d'histoire des religions, 1914, I, p. 14 et sq.

[38] Revue d'histoire et de littérature religieuses, Paris, 1911, p. 387.

[39] Ces associations de rites sont très fréquentes. L'hypothèse d'Ad. Reinach, loc. cit., d'après laquelle il s'agirait d'un très ancien rite d'hiérogamie, me parait bien subtile.

[40] Dörpfeld, Troja und Ilion, I, p. 177 et fig. 67, 68, 69.

[41] Odyssée, IV, 244-264.

[42] Lacænæ, 337 (Nauck). Cité par Leaf, loc. citat., p. 144.

[43] Voir F. Sartiaux, Villes mortes d'Asie Mineure, Paris, 1911, photographie 21, p. 120, et photographie 31, p. 176.