Assassinat des ambassadeurs de France, César Frégose et Antoine Rincon. — Diète de Worms. — Dispositions de la reine Marguerite pour le duc de Clèves. —Impatience du duc de recevoir la princesse de Navarre. — Mauvaise santé de Jeanne d'Albret. — Diète de Spire. — Nouvelles négociation. du roi de Navarre avec Charles-Quint. — Reprise de la guerre ; siège de Perpignan. — Campagne du duc de Clèves dans les Pays-Bas ; Martin Van Rossen. — Victoires de l'armée clévoise. — Campagne de Charles-Quint dans le duché de Clèves ; prise de Dueren ; traité de Venloo. — François Ier et Charles-Quint ; ravitaillement de Landrecies ; le duc d' Orléans ; Antoine de Bourbon ; François de Lorraine. — Traité de Crespy. — Dissolution du mariage de Jeanne d'Albret et du duc de Clèves.François Ier quitta Châtellerault quelques jours après le duc de Clèves. Peu confiant dans le roi de Navarre, dont il avait pénétré les intentions, il voulait emmener Jeanne d'Albret. Il s'ouvrit de ses soupçons au vicomte de Lavedan, chevalier d'honneur de la princesse, et à la dame de Lafayette, sa gouvernante, et les menaça de tout son courroux s'ils favorisaient l'enlèvement de sa nièce ; la gouvernante et le chevalier, terrifiés, jurèrent de leur dévouement. Sur cette promesse le roi permit à Jeanne d'Albret de retourner au château de Plessis-lès-Tours[1]. François Olivier, chancelier d'Alençon, devint le chef de sa maison. L'empereur allait quitter l'Allemagne et descendre en Italie ; François Ier prit la route de Lyon afin de se rapprocher des événements et de veiller, de ce poste avancé, à la défense de ses places de Piémont et de Provence. Le prince d'Albret et la reine de Navarre l'accompagnaient. Le 26 juin, à Chauvigny, en Poitou, Marguerite reçoit de Plessis-Lès-Tours la nouvelle que sa fille est dangereusement malade. La reine de Navarre était malade elle-même et ne pouvait revenir en arrière ; elle passa quelques jours dans une anxiété inexprimable, telle peut être que l'anxiété qu'elle avait éprouvée quatre ans auparavant et que Sainte-Marthe nous a dépeinte en termes émus. Comme à Bourg-la-Royne elle se réfugia dans la prière ; elle écrivit aux couvents de Tours, et leur envoya des aumônes. Son mal, aggravé par les mauvaises nouvelles venues de Plessis-Lès-Tours, s'accrut au point de donner de l'inquiétude. Elle éprouvait tant de difficulté à suivre la cour, même en litière, que le roi interrompit son voyage et s'arrêta quelques jours à Lussac, du 3 au 7 juillet. On fit courir le bruit de sa mort. Presque en même temps le bruit de la mort de Jeanne se répandit jusqu'en Lorraine. Cette double nouvelle arriva au duc, de Clèves pendant sa marche à longues journées ; aussitôt il demanda la vérité à son ambassadeur. La reine et la princesse de Navarre, chacune de leur côté, se rétablirent heureusement. Frotté, le 8 juillet, annonce leur guérison ; le 11, le sire de Lavedan envoie de Plessis-lès-Tours au duc des nouvelles plus explicites ; il parle du retour de la bonne santé de sa maîtresse ; il insiste sur sa croissance et sa beauté[2]. La cour se sépara à Montmorillon vers le 8 juillet. François Ier se rendit à Moulins, le roi de Navarre à Pau sous prétexte de lever les sommes destinées à payer la dot de sa fille ; la reine Marguerite ne le suivit pas ; elle resta en Poitou jusqu'à son retour[3]. Sa convalescence lui permit probablement d'aller voir sa fille, car nous avons une lettre d'elle datée de La Chasserre, en Touraine, de la fin de juillet[4]. La guerre avait déjà recommencé entre le roi de France et l'empereur ; Charles-Quint avait ouvert les hostilités par un crime qui ternirait à jamais sa mémoire s'il pouvait lui être imputé plutôt qu'à son lieutenant en Lombardie. Il savait, depuis le commencement de l'hiver, que le roi de France négociait une double alliance avec le Grand-Turc et la république de Venise. Un agent délié, Antoine Rincon, ambassadeur du roi auprès de Soliman, allait et venait de Turin à Venise. Il sollicite, écrit Charles-Quint, pour ébranler les Vénitiens, afin de soy déclairer en alliance avec le roy de France et le Turcq, ou du moins se tenir neutraux quant à Milan, et publie que le Turcq faict de grands apprets par mer et par terre[5]. Le Piémont était gouverné an nom du roi de France par Martin du Bellay, seigneur de Langey, frère du cardinal du Bellay, et le Milanais, au nom de l'empereur, par le marquis du Guast. Les deux gouverneurs vivaient en méfiance l'un de l'autre. S'attendant tous les jours à la guerre, ils y préludaient par des rapports de mauvais voisinage. Leur correspondance pendant les six premiers mois de 1541 est pleine d'aigreur ; le moindre incident, la moindre course de soldats indisciplinés est débattue de part et d'autre avec acrimonie[6]. De nombreux espions allaient d'un camp à l'autre et tenaient chaque gouverneur au courant des armements du voisin. La négociation de Rincon touchait à sa fin au moment du mariage du duc de Clèves. Après de longs retards, Soliman était entré de sa personne en campagne ; le 20 juin, il avait quitté Constantinople et rejoint son armée en Hongrie[7]. Rincon, accompagné d'un capitaine génois, rompu à toutes les intrigues italiennes, nommé César Frégose, que la haine des Doria avait poussé dans le parti du roi de France, se mit en route pour Venise. De là, il devait passer à Constantinople. Les deux négociateurs se retardèrent, le premier à Lyon, pour ses affaires personnelles, le second à Suze, pour prendre le commandement d'une compagnie d'hommes d'armes. Ces circonstances mirent en éveil le lieutenant de l'empereur ; le bruit s'accrédita que les deux ambassadeurs étaient dépositaires de tous les secrets de la politique française. La chaleur était tee forte, et Rincon, obstant la gresse dont il était chargé, voulait faire le voyage en descendant le Pô en bateau. Le vendredi, 1er juillet, ils couchèrent à Rivoli ; à minuit, Langey y arriva de son côté. Ses éclaireurs étaient unanimes à signaler des embuscades sur les routes, mais principalement sur les rives du Pô. Il essaya de détourner les deux ambassadeurs de la voie commode, mais dangereuse, qu'ils avaient choisie. Un capitaine milanais, Hercule Visconti, se faisait fort de les conduire secrètement, en trois nuits, de château en château, par des chemins peu fréquentés, jusqu'à Venise. Langey offrait au gros Rincon un cheval d'Espagne fort aisé et allant l'ambles. Frégose était le plus capable de faire une aussi grande traite ; cependant il se montra le plus attaché aux aises du voyage, et il décida son compagnon. Le samedi, 2 juillet, les deux ambassadeurs s'embarquèrent, accompagnés d'une suite peu nombreuse ; Rincon et Frégose, le comte Camille de Sesse, lieutenant de la compagnie de Frégose, un soldat et quatre rameurs, sur le premier bateau ; leurs serviteurs sur un autre. Ils arrivèrent sans accidents à la tour de Simene, près de Verolino. Là, ils furent rejointe par un courrier à cheval ; de nouveaux rapports d'espions assuraient à Langey que les bords du Pô cachaient un guet-apens ; il suppliait les deux négociateurs de renoncer à cette voie, ou au moins de lui laisser leurs dépêches et les lettres du roi ; il se chargeait de les envoyer à Venise par une route plus sûre. Frégose et Rincon ne tinrent aucun compte pour eux-mêmes de ces nouveaux avertissements ; mais ils se déchargèrent de leurs papiers et les renvoyèrent à Langey par le comte Pedro Gentile, neveu du lieutenant Camille de Sesse. Ils se remirent en route le soir même. Le lendemain, vers midi, près de la plage de Cantalu, à trois milles au-dessus du Tessin, deux barques, recouvertes de feuillage et montées par des hommes armés, leur barrent le passage. Dans mi instant, le premier bateau est pris à l'abordage, et, après un engagement inégal, les deux ambassadeurs sont égorgés. Le second bateau, où étaient leurs serviteurs, n'ayant pas eu le temps de venir à leur secours, vira de bord et prit terre. Ceux qui le montaient demeurèrent dans un bois jusqu'à la nuit. Le soir, ils s'enfuirent par des chemins détournés, jusqu'à Rivoli, ne marchant que la nuit, se cachant le jour[8]. Langey était à Turin, et fut informé du crime le 5 juillet. Cependant il restait quelques incertitudes sur les détails de l'événement. Parmi les fugitifs, les uns assuraient que les ambassadeurs avaient été mis à mort, d'autres qu'ils étaient seulement prisonniers ; on racontait que le comte Camille de Sesse, qui avait échappé à l'assassinat, avait été conduit à Pavie, puis à Milan. Un seigneur vénitien, habitant les rives du Pô, informa l'ambassadeur de France que les auteurs de l'embuscade avaient été reconnus par ses gens, qu'ils étaient au nombre de vingt-trois, tous soldats espagnols, vingt de la garnison de Milan, et trois de celle de Pavie ; que les ambassadeurs n'étaient pas morts, que les assassins, après la prime, les pourmenèrent toute la reste du jour sur le Pau en attendant la nuit, et puis les menèrent au chasteau de Pavie, faisant aller devant cinq hommes à cheval pour faire faire place sur les chemins, et ung chascun qu'ils rencontroient, le faisoient tirer à l'escart pour n'estre descouverts. D'autres disaient que Rincon avait été conduit à Milan, puis à Crémone, que Frégose avoit quelque liberté de salle et chambre et qu'il estoit sain, mais tant desplaisant qu'il ne vouloit rien prendre que deux Espagnols qui le gardoient n'en fissent la preuve et crédence ; mais quant au dit Rincon qu'il estoit destenu en grant destresse. Langey n'avait pas attendu des informations complètes pour demander la punition du crime. Le guet-apens était certain, quelles qu'eussent été ses suites. Le 5 juillet, il envoie le sire de Thermes au marquis du Guast. Mais déjà, avant même d'être accusé, le gouverneur du Milanais, par une tendance commune à tous les coupables, cherchait à se disculper. La lettre de Langey se croisa avec un message, porté par le comte de Landriano, où le lieutenant impérial repoussait toute idée de complicité. Il disait que la nouvelle de l'arrestation des ambassadeurs venait de lui être apportée de Castiglione, par un envoyé de la dame Constance, femme de Frégose. Il affirmait son bon vouloir, parlait beaucoup de son honneur, et montrait autant de zèle que Langey lui-même[9]. Le 6, le marquis du Guast répond à la lettre remise par de Thermes, qu'il a fait crier à son de trompe dans toutes les villes l'ordre de découvrir les auteurs de l'assassinat, qu'il a promis des récompenses aux révélateurs, mais qu'il a appris que Frégose était en querelle personnelle avec le prince Doria et le duc d'Urbin. Il espérait ainsi dérouter les recherches. Le 7, Langey, qui n'a plus aucun doute, feint de prendre l'enquête au sérieux. Il écrit ironiquement au marquis : Seroit chose trop estrange que le prince Doria et le duc d'Urbin, pour exécuter telles entreprinses, feissent voler gens en l'air invisibles, ne que la nouvelle en feust venue à Castillon, et de Castillon à vous, plustost que de trois petits milles de Pavye. Le 8, le marquis du Guast s'excuse de n'avoir rien appris avant le 5 juillet. Depuis, il n'a rien épargné, dit-il, pour découvrir la vérité ; et, dans un post-scriptum, écrit à la hâte, il ajoute qu'un officier de justice, dépêché sur les lieux, vient de lui apprendre que les coupables étaient au nombre de huit, dont sept espagnols et un piémontais, et qu'il espère les arrêter bientôt. Le même jour, le marquis écrit au roi ; il lui raconte l'affaire, en parait plus surpris qu'aucun autre, et tâche de se disculper des soupçons que Langey fait peser sur lui[10]. Langey fit dresser une enquête à Plaisance, et la vérité se fit jour. II apprit que les rameurs du bateau des ambassadeurs étaient retenus dans les cachots de Pavie ; que, pendant trois jours et trois nuits, les égorgeurs avaient stationné en embuscade près de la plage de Cantalu, qu'un hôtelier du voisinage leur apportait des vivres ; et, qu'en cas d'insuccès, des chevaux sellés les attendaient sur la rive, au port de l'Etoile. Ses agents favorisèrent l'évasion des bateliers, et les amenèrent à Turin. Ils furent interrogés un à un, et leur témoignage fournit les éléments d'une instruction complète. La culpabilité des officiers impériaux fut reconnue avec non moins d'évidence à Venise. Le bruit avait été répandu d'avance que Frégose et Rincon tomberaient aux mains du marquis du Guast ; on racontait que le marquis de Marignan avait annoncé leur passage à travers la Lombardie, et que du Guast avait répliqué vivement : No è passato ancora, no, avec un geste significatif. L'ambassadeur impérial prétendait que l'assassinat était l'œuvre de quelques ungs particuliers pour gaigner la taille que l'on faisoit bruit que le s. Rincon avoit à doz et le proffict qu'ils pensoient faire du s. César Frégose. Mais un homme d'armes italien, parti de Castiglione, raconta le crime au Conseil des Dix dans les mêmes termes que Langey ; mieux informé que Langey sur le sort de Camille de Sesse, il rapporta que le comte, blessé à la tête, s'était noyé dans le Pb en essayant de fuir. Le comte Rangon fit sonder la rivière, et ses gens trouvèrent la tête de ce malheureux capitaine. Le secrétaire et le valet de chambre de Rincon, échappés au massacre, arrivèrent le 9 juillet à Venise. Un batelier, évadé des prisons de Pavie, témoin oculaire, leva tous les doutes par son récit ; après l'assassinat des ambassadeurs, leurs corps avaient été apportés dans une petite ile et dépouillés, puis enterrés secrètement : le corps de Frégose, à Castel-Groffredo, celui de Rincon à Plaisance. Le marquis du Guast écrivait toujours qu'il ne savait rien, qu'il n'avait pu surprendre les auteurs du guet-apens, qu'il n'avait même pas la preuve de la mort des ambassadeurs. Aux lettres qui accusaient ses gens, parce que les assassins parlaient espagnol, il répondait que ceulx qui font telles entreprinses s'essayent se desguiser tant en accoutrement que dissimuler leur languaige. Langey lui écrivit que son enquête luy feroit apparoir du nombre et des noms de ceux qui avoient exécuté le délit, de quelles nations ils estoient, et où feurent menez les prisonniers, par qui, à quelle heure, par quel chemin, avecques quel ordre, par quelle porte et à quelle heure ils feurent mis dedans leur première prison[11]. Quelle fut la conduite de l'empereur à la nouvelle de ce crime ? Elle fut pleine d'embarras. Il feint de croire avec bonhomie aux justifications du marquis du Guast ; le 16 juillet, il s'étonne, dans une lettre à Marie de Hongrie, de la vivacité de Langey. Le 26, sommé par Charles Dodieu de Vely, ambassadeur de François Ier, de tirer vengeance de cet assassinat, il envoie de Ratisbonne un de ses conseillers intimes, Charles Boisot, pour dresser une information sérieuse[12]. Voici la lettre que cet agent écrivit le 12 août, à la fin de sa mission, à la reine de Hongrie : Madame, aiant l'Empereur esté adverty de l'outraige faict ès personnes de César Frégose et de Rincon et estant requiz par le Roy de France de pourveoir à leur délivrance, Sa Majesté m'a envoie en ce lieu pour m'informer de ce qu'en estoit. Et ay trouvé que, avant ma venue, le marquiz del Guasto avoit jà faict debvoir d'en sçavoir la vérité, et m'a l'information, sur ce faicte par le capitaine de justice, esté communiquée, par laquelle, Madame, se trouve que, le vendredy, premier jour de juillet, trois ou quattre Espaignolz ont loué une barquette sur la rive du Tesin, devant Pavie, avec laquelle ilz sont venuz près d'ung lieu, nommé Sancta Crus, distant dudit Pavie environ deux milles ; et passant devant ledit lieu sont esté escriés par quelcunq estant sur la rive, auquel Jung de ladite barque a contre escrié et dict qu'il alast à l'hostelerie de l'Estoille, où lesdits de barque sont aussi aléa et y ont trouvé quelques aultres de leur bande, aussy Espaignolz. Et tous ensemble, jusques au nombre de sept ou huit, se sont mis en ladite barque et en une nacelle de percheur. Et dès là, le lendemain, avant le jour, sont entrés en la rivière du Pot, où lesdits Espaignolz ont laissé le marinier prins audit Pavie, pour ce qui se plaignoist qu'il estoit loué pour aler à Placence, et toutesfois qu'on le faisoit aler ung aultre chemin. Et loueront ung aultre nacelle et demourarent sur ledit Pot tout le samedy, excepté qu'ilz disnarent et emparent en terre en lieux cogneuz. Et le dimanche ilz assaillirent lesdits Rincon et Frégose, estans en une barquette et leurs gens en une aultre, lesquelz, voians leurs maistres ainsi assaillir, gaignarent la terre ; et se saulvarent en ung bois prochain de la rive dudit Pot. Et ne se trouve point ce que lesdits Espaignolz ont raid depuis, ne où ilz sont alez et ne sont jamais depuis retournez les basteliers et percheurs qui les menoient. Les hostes où, lesdits vendredi et samedy, ilz ont beu e mangé, sont esté examinés, mais ne les cognoissent aultrement sinon qu'ilz parloient espaignol, et n'a-on jusques à présent peu sçavoir si lesdits Frégose et Rincon sont vifz ou mors. Ung serviteur dudit Frégose, qui veit ladite aggression, dict que l'ung des ceulx qui estoit audit basteaut de Frégose et Rincon, tomba en l'eau, et il lui semble que c'estoit le conte Camile de Sexo. Et pour ce que lesdits Espaignolz s'embarcarent à Pavie sur la nuyct, l'on a interrogé le capitaine et aultres officiers et sauldoiers du chasteaul dudit Pavie, mais on ne trouve point que lesdits Espaignolz soient esté de la garde dudit chasteaul. Le premier advertissement qu'en eust ledit sieur Marquiz fut de la femme dudit César Frégose, qui lui envola ung gentilhomme, Paulo Baptiste Frégose, pour sçavoir ce qu'estoit de son mary, lequel Paulo Baptiste a esté présent à l'examen de tous les tesmoings qui, sur ce, sont esté interroguez. Et aient lesdites nouvelles, ledit V Marquis escripvist incontinent au sieur de Langey, lieutenant général de Piedmont pour le Roy de France, que il luy feroit plaisir d'envoler quelcung de la part dudit seigneur Roy pour assister à ladite information ; car ledit e Marquis se vouloit justifier que ledit oultrage n'estoit fait de son accu ne de son consentement : en quoy me semble que ledit seigneur Roy se debvroit tenyr pour grandement satisfait en tant qui touche la descharge dudit s. Marquiz. Au demeurant, icelui Marquiz a offert que tous Genil qui se treuveroient oonlpables dudit oultrage fussent chutiez exemplairement, comme l'atrocité du cas le mérite. Et a ladite information aussi esté montrée au sieur de Perssieu, cousin du sieur de Vely, qui a iey esté envoié par ledit seigneur Roy. Et depuis, à sa poursuite et en sa présence, a par moy esté examiné Jehan Paule, marinier Placentin, qui fut celui qui chargea les Espaignolz à Pavie. Mais, comme dessus est dict, ledit Jehan Paule habandonna iceulx Espaignolz dez le samedy matin, et, le dimanche suivant, tut commis le cas. Et combien que ledit de Pressieu eust dict vouloir emporter avec lui le double, de ladite information pour la montrer audit seigneur Roy, son maistre, toutesfois, incontinent l'examen dudit Jehan Paulo achevé, a dict se vouloir partir sans faire mention dudit double ; et de fait s'en est ale, nonobstant que luy priay de demourer jusques eussions prins plus ample information et esclarcy aulcunes difficultez, que je disoie trouver en l'information jà faiete. Ne sçay quel entendement il a, ne pourquoy il est party si soubit. Le capitaine de justice s'est trouvé audit Pavie et ès aultres lieux voisins, où, par présumption, ledit cas debvroit avoir esté commis, mais il n'a peu atteindre la vérité dudit oultrage plus avant que dessus, sinon que, sur la rive dudit Pot, il a trouvé ung petit basteaul enfondu et découpé en plusieurs lieux, et au mesme lieu, à l'entrée d'ung bois, une place assez large où l'on avoit fait du feu et bruslé quelques meubles ; et y avoit des piécettes de velours non achevées de brusler, une paire de gens, estriers, des esperons et une ceynture de velours. Et estoit ladite place de feu, de sept ou huit pieds de tour. On ne sçait qu'on en doibt présumer. Et est, Madame, tout ce que j'ay peu entendre de l'advenue dudit cas[13]. L'empereur était à Trente le 11 août ; il arriva peu de jours après à Milan. Il est probable qu'il recueillit des renseignements plus complets sur le crime de ses agents en Piémont, mais il n'en montra rien. Il jugea sans doute dangereux de mettre en pleine lumière, aux yeux du monde civilisé, la perfidie de son lieutenant ; il aima mieux laisser cet acte infâme dans l'ombre. Sur la plainte d'un gentilhomme de la chambre du dauphin, le sire de Molines, envoyé par le roi au-devant de l'empereur en Toscane, le pape, comme promoteur de la trêve de Nice, évoqua l'affaire. Charles-Quint comparut à Lucques devant le Saint-Père, presque en accusé. Son unique réponse était de dire et d'écrire qu'il n'avait point ordonné ce crime, et que le marquis du Guast jurait qu'il l'avait ignoré. Ses lieutenants avaient imaginé un autre moyen de défense, celui de nier l'assassinat dont on n'avait pas la preuve matérielle, puisque les cadavres avaient été enterrés secrètement, que la plupart des témoins étaient sous les verrous, entre les mains des impériaux, et les accusés en fuite. D'autres soucis absorbaient l'empereur ; il préparait une grande expédition contre les corsaires d'Alger. En vain, l'enquête dirigée par Langey faisait connaître les principaux coupables. Deux d'entre eux se nommaient Saint-Pol et Rosset. Charles-Quint promit toute justice, mais ne fit faire aucune instruction[14]. Douze ans après, Saint-Pol fut fait prisonnier et mis à mort par le capitaine Paulin, baron de La Garde, celui même qui avait été chargé de porter à Venise les lettres du roi, primitivement confiées à Frégose et à Rincon[15]. L'embarquement de Charles-Quint pour les côtes d'Afrique mettait les possessions de la France à l'abri de toute agression en Italie, au moins jusqu'à l'hiver. Le roi quitta Lyon au commencement d'octobre, s'arrêta à Dijon, où il reçut la visite du duc de Lorraine, et prit ses quartiers d'hiver à Fontainebleau avec le roi et la reine de Navarre. La diète de Ratisbonne était close, et toutes les disputes théologiques n'avaient abouti qu'à des vœux en faveur d'un concile général. Le 28 juillet, l'empereur avait retiré la citation remise au duc de Clèves et ajourné la solution de l'affaire de la Gueldre. Une nouvelle diète était convoquée à Worms pour le mois d'octobre. Le roi ne voulut pas y rester étranger. Mécontent des ambassadeurs français, dont le caractère impatient ne savait pas se plier aux arguties nuageuses des docteurs d'outre-Rhin, il donna ses pouvoirs à Herman Cruser, l'envoyé de Clèves, bien digne de ce choix par son expérience des tendances allemandes. Cette mission n'était du goût ni de Cruser, ni de son maitre, en ce qu'elle affichait trop la solidarité qui existait entre le duc Guillaume et le roi de France. Cruser en déclina l'honneur, mais le roi y mit tant d'insistance que l'ambassadeur clévois fut obligé de l'accepter, sans même prendre le temps d'en référer à Dusseldorf. Deux agents, Charles du Bois et le sire de Jametz le remplacèrent à la cour de France. Le roi lui donna une série d'instructions, qui toutes tendaient aux mêmes fins, nouer des alliances avec les princes protestants, combiner la tenue du prochain concile avec le plus grand dommage de la maison d'Autriche. Les triomphes de Soliman en Hongrie ouvraient une ère nouvelle ; Cruser était chargé d'exposer à la diète les efforts, vrais ou supposés, que le roi avait faits par l'entremise du malheureux Rincon pour détourner cet orage ; la faiblesse et la lâcheté de l'empereur devant l'invasion, et enfin son impuissance, qui mettait l'Allemagne entière en danger si elle ne se hâtait de chercher d'autres défenseurs[16]. Les princes protestants montraient des dispositions favorables. L'électeur de Saxe s'était fait l'intermédiaire du roide France. Cruser trouva à Dusseldorf le marquis de Wallenrod, son représentant, et put rendre témoignage de la bonne volonté des alliés du roi et de leurs démarches auprès des rois de Suède et de Danemark, du comte Palatin, des électeurs de liesse, de Trèves, de Cologne, de la ville de Mets, des ducs de Lorraine et des Deux-Ponts, des évêques de Munster et de Liège. Ces négociations avaient duré tout l'été, mais l'indécision naturelle aux chancelleries allemandes les empêchait de passer de la parole à l'action. De son côté, l'empereur ne restait pas inactif ; privilèges, concessions, il n'épargnait rien pour retenir ses partisans. Entre les deux grands rivaux qui se disputaient l'appui des princes, c'était une émulation et presque une enchère de faveurs et de pensions[17]. Avec Cruser, le roi envoya à Dusseldorf un agent, le sire de L'Estranges, chargé de tirer le meilleur parti possible de l'alliance de la Gueldre, soit en engageant des capitaines, soit en levant des lansquenets, soit en poussant les mécontents à la guerre. Il prit à son service, aux gages de 2.000 thalers, un aventurier flamand, Martin Van Rossen, capitaine hardi et habile, connu sous le nom de maréchal de la Gueldre, qui autrefois avait servi en France ; il enrôla vingt capitaines de compagnies et leurs lieutenants aux gages de 400 et 200 thalers. Un mois après, au commencement de novembre, le roi envoya une seconde fois le sire de L'Estranges auprès du duc, puis La Planche et le Bossut de Longueval. Dans les instructions confiées à ces agents, il n'est question que de levées de troupes et de préparatifs de guerre contre l'empereur[18]. Le duc de Clèves, menacé par l'empereur qui se flattait de le rendre le plus pauvre de la Chrestienté, disant haut et clair qu'il quitteroit plutôt sa couronne que de luy laisser un poulce de terre[19], ne pouvait avoir d'espérance que dans l'appui de François Ier. Mais il se souvenait que, dans les pourparlers qui avaient précédé le mariage de Châtellerault, Remi d'Albret lui avait dit qu'il était contraire à leur intérêt commun de s'unir définitivement au roi ; que, pour obtenir le Milanais ou pour marier le duc d'Orléans, le roi ne craindrait pas de sacrifier ses alliés. Aussi, parmi les documents que nous avons cités, perce à chaque lettre la crainte du duc d'être abandonné. Cruser reçut des instructions capables de dissiper les soupçons de son maitre. Le roi usait de tous les moyens pour entretenir sa confiance ; il avait juré de ne jamais traiter sans sauvegarder les droits du duc Guillaume sur la Gueldre ; la compagnie du duc fut augmentée, et ses gens d'armes reçurent une solde plus élevée ; sa pension était payée par le trésor royal avec une régularité inconnue en France à tous les services publics[20]. Mais ces garanties étaient passagères ; heureusement, le prince allemand avait auprès du roi un défenseur habile et dévoué, la reine de Navarre. L'opposition de Marguerite au mariage de sa fille avec le duc de Clèves avait cessé, soit qu'elle eût cédé à son frère, soit qu'elle se résignât de bon cœur à un acte qui semblait irrévocable. Le 25 juillet 1541, elle écrit à Calvin : Vous avez maintenant entendu la consommation du mariage qui a esté faict de M. le duc de Clèves et de ma fille. Le roy de Navarre et moy nous tenons tant heureux de ce mariage, que nous pensons que Dieu nous a donné un fils selon nostre cœur et esprit, par lequel nous esperons que nous ferons chose à son honneur et gloire[21].... Une circonstance particulière, encore inconnue à la cour à la fin de 1511, confirmait ces dispositions nouvelles ; Marguerite se croyait grosse. Rentrée en Béarn à la fin de novembre, elle en fait l'aveu en des termes pleins de grâce et d'une confusion touchante[22]. La survenance d'un frère enlevait à Jeanne d'Albret la couronne de Navarre ; cette fille bien-aimée, princesse sans royaume, se trouvait donc réduite à n'être qu'un parti fort ordinaire, même pour un petit prince allemand. Marguerite devait donc prendre vivement à cœur, en attendant l'avenir, les intérêts de son gendre. Nous avons parlé de la mission de La Planche à Dusseldorf ; il arriva avec une lettre de créance ostensible de la reine, mais, en même temps, Marguerite demandait secrètement au duc l'envoi de quelque bon personnaige en quy vous ayés fience et quy ne connoisse que vous, lequel, après avoirveu votre fame et tous vos amys, vous fera tel raport que vous serés contant de son voyaige ; car vous savés que lettres nont point de repliques et sont en dangier d'estre veues, mès ung bon servitteur dira tousjours la verité. Peu de jours après, pressée par l'urgence, elle fait venir Charles du Bois, représentant du duc de Clèves ; et, après lui avoir fait jurer qu'il ne révélera le secret qu'à son maitre, elle lui confie que La Planche a pour mission de tirer du duc des sommes d'argent, sous raison de hâter l'arrivée de la princesse Jeanne, que le prince doit se garder de souscrire à de nouveaux engagements, que La Planche est un artisan d'intrigues, dont il faut se méfier[23]. L'arrivée de la princesse était devenue le rêve du duc de Clèves. Quel que fût le crédit qu'il s'arrogeât auprès du roi, les princes allemands remarquaient malicieusement que le roi ne lui avait pas livré sa femme ; on savait que le mariage de Châtellerault n'avait été qu'une cérémonie d'apparat ; les impériaux en faisaient un sujet de raillerie. Pour faire croire à son alliance avec le roi, Guillaume était obligé de faire venir la future duchesse de Clèves. Le conseiller et protecteur du duc, l'électeur de Saxe, la demanda au roi dès le mois d'août, et le roi laissa croire que le voyage serait prochain. Sur cette espérance, le duc et la duchesse de Saxe promirent d'aller recevoir eux-mêmes à Dusseldorf la princesse de Navarre ; l'heureux époux prépara des fêtes et monta sa maison. Ses conseillers indiquèrent la route à suivre, les dépenses à payer, le nombre de l'escorte. L'étiquette exigeait que Jeanne d'Albret fût servie par des demoiselles de compagnie choisies dans les plus nobles familles de la Gueldre ; on en fit partir deux avec un page vers le 22 octobre ; elles arrivèrent à Paris au commencement de novembre, et, sur l'ordre de la reine de Navarre, elles y attendirent le roi avant d'être introduites à la cour[24]. Malheureusement la santé de Jeanne d'Albret présentait les mêmes empêchements. Au mois de septembre, elle écrit tas duc qu'elle est malade depuis deux mois ; le 11 octobre, Cruser affirme qu'elle est rétablie et qu'elle grandit tous les jours ; mais le roi fait connaître à l'électeur de Saxe que le voyage de sa nièce doit être retardé au moins jusqu'au printemps prochain ; les dépêches échangées pendant l'automne Font allusion à une indisposition persistante, et donnent des renseignements souvent contradictoires Enfin, diverses lettres de la reine de Navarre et de Jeanne elle-même révèlent toute la vérité : la jeune princesse était très-malade. Pendant deux mois, elle s'estoit trouvée ung peu mal d'une jaunisse, que l'on avait soigneusement cachée à sa mère. Les chaleurs de l'été avaient été nuisibles à sa santé, mais on espérait que l'hiver la rétablirait. L'infortunée jeune fille était livrée aux médecines bizarres de son temps, notamment à la poudre de corne de licorne ; cependant aucun document ne prouve qu'elle ait été mal traitée ; ses lettres font allusion aux distractions qu'on lui donnait souvent en place de médicaments ; l'une d'elles parle des belles fêtes qu'elle a vues et d'une moralité, qui représentait la Passion, jouée sous ses yeux. A peine guérie de sa jaunisse, la princesse fut atteinte de vomissements de sang et de pertes François Ier voulait la faire venir à Fontainebleau ; mais la saison était avancée ; le château et le parc passaient pour humides ; deux fois Jeanne y était tombée malade ; Marguerite exigea qu'elle restât à Plessis-Lès-Tours. Le roi de Navarre vit sa fille à Tours, et fut frappé de sa maigreur. Marguerite, informée du triste état de sa fille ; ne put obtenir de son mari l'autorisation d'aller la visiter, sous prétexte que le service du Roy.... devoit faire oublier enfans et plesir. En ce moment, la guerre paraissait imminente, et le Béarnais sacrifiait les sentiments maternels de sa femme aux services qu'elle pouvait lui rendre au conseil du roi ; Marguerite n'éprouvait pas autant de zèle pour l'agrandissement de la Navarre[25]. Le duc de Clèves restait incrédule à ces mauvaises
nouvelles ; il soupçonnait la bonne volonté du roi. En vain, Marguerite
promet à du Bois et à Ghogreff que Jeanne ira rejoindre son mari aussitôt que
possible, que tous les prétendants à sa main seront évincés ; elle prie
Ghogreff d'envoyer à Plessis-Lès-Tours un serviteur fidèle ou même un
conseiller ducal qui sache être agréable à sa fille et
quy soit si seur, dit-elle, que je puisse parler
à luy comme je pourrois faire à Monsieur mon fils. Elle parle de
l'affection naissante de Jeanne pour son époux, laquelle,
je vous asseure, est en grant poyne dont elle na nouvelles bien certayne de
sa santé, et a heu plus d'ennuy que je n'eusse pencé que son eage l'eust peu
porter, quant elle a entendu qu'on luy avoit voulu faire quelque traïson en
aulcunes de ses villes, craignant aussi que l'on en peust faire à sa personne.
Elle commande à Paris une armure magnifique dont elle veut lui faire don.
Dans ses lettres au duc, Marguerite multiplie les protestations d'amitié ;
après lui avoir reproché ses injustes soupçons vis-à-vis de la politique du
roi de France, elle s'en remet à Dieu et au Roy,
estant genre que ilz garderont ce qu'ilz ont fait ; et quant ilz verront le
temps propre, ilz vous balleront ce quy est votre ; je dis si bien votre que
il nest point en la puisance des hommes d'y donner empechement, et que les
chouses par vous demandées et accordées par le Roy ne soyent accomplies. Et
voudroys de bon cœur avoir abreigé ma vie de deux ans, et votre fame les eust
daventaige, pour la vous mener, car elle est votre et je n'y ay plus rien.
Jeanne elle-même adressait au duc Guillaume des lettres affectueuses, et lui
envoyait de petits présents : Et pour ce que,
dit-elle, celluy qui nous garde c'est Dieu, je vous
envoye une enseigne de l'image de celluy ou est notre esperance, vous suppliant
l'avoir pour agréable ; ausy j'anvoye deux livres d'heures à ma sœur,
madamoyselle de Cleves, que je vous prye luy bailler, atandant que moy-mesmes
luy en porte. Enfin, ce qui ne touchait pas moins le prince allemand, les conseillers du roi l'informaient que la dot était prête, et qu'elle serait payée intégralement le jour où la princesse prendrait possession de sa couronne ducale[26]. Ainsi se passa l'hiver. Les deux maisons de France et de Clèves entretenaient ensemble une correspondance amicale, à laquelle prenait part la duchesse Maria de Juliers, mère du duc Guillaume. Le duc envoya un représentant au château de Plessis-lès-Tours, le seigneur de Buren. Les conseillers des deux princes reçurent des faveurs, chacun suivant ses préférences ; les Allemands obtinrent des pensions dont ils étaient fort avides ; les princes français des chevaux ; la dame d'Estampes des bijoux ; Longueval quelques tonneaux de vin du Rhin[27]. L'année 15451 s'ouvrit au milieu des armements militaires. Depuis l'assassinat des ambassadeurs Frégose et Rinoon, le mi se préparait activement à la guerre ; il n'avait retardé son entrée en campagne que pour fortifier ses alliances en Allemagne. La diète se réunit à Spire le 9 février ; le roi s'y fit représenter par François Olivier, chancelier d'Alençon, et par le sire de Lacroix[28]. Il souscrivit de nouveaux engagements avec le comte de Redburg et d'autres capitaines allemands. Regrettant d'avoir repoussé les propositions des Pays-Bas en 1539, il envoya à Gand, avec des lettres pleines de promesses, un agent secret, nommé Oliverus[29], chargé de raviver l'esprit d'indiscipline des Flamands. Le duc de Clèves était le meilleur auxiliaire de sa politique ; Guillaume avait de la répugnance pour la guerre, il craignait d'entrer en campagne et de briser les derniers liens qui le rattachaient à la grande famille allemande, mais il prenait part à toutes les négociations dont il espérait profiter, surtout quand elles étaient secrètes. En retour de son dévouement, il ne cessait de réclamer la princesse de Navarre ; ce fut l'article principal des instructions recommandées à l'ambassadeur Cruser, à son retour de Worms, au mois de décembre 1541, et plus tard au docteur Adolphe Olisleger, que la reine Marguerite avait mandé auprès d'elle. Cruser, éconduit à chaque réclamation par le cardinal de Tournon, conseilla à son maitre de faire lui-même appel à la loyauté du roi et à ses promesses. Malheureusement la santé de Jeanne d'Albret justifiait les retards du voyage. Du Bois écrit le 25 avril que la princesse est pâle et maigre, qu'elle a des accès de fièvre, qu'elle est atteinte d'une faiblesse générale. Cruser confirme les mauvaises nouvelles. D'autres lettres contredisent les premières et signalent une guérison complète ; tantôt Jeanne est malade et tantôt rétablie ; tantôt son départ parait prochain et tantôt ajourné. Le seul point sur lequel les dépêches allemandes ne varient pas, est la nécessité de son arrivée à Dusseldorf. Marguerite continuait à conseiller utilement le duc de Clèves et à l'informer des projets de François Ier. Au mois de décembre, elle avait rejoint le roi de Navarre en Béarn, mais le puissant crédit qu'elle gardait à la cour lui permettait de servir presque aussi efficacement son gendre que si elle eût été présente au conseil du roi[30]. Henri d'Albret était moins résigné. Au mois de novembre, il était venu à la cour sur le bruit que le roi allait déclarer la guerre à l'Espagne. Voyant que les velléités belliqueuses du roi s'écoulaient en intrigues, il était reparti pour le Béarn[31]. A la même époque, l'empereur débarquait en Espagne (fin nov. 1544). Son arrivée fut le signal de la reprise des négociations mystérieuses de Descurra. L'espion partit pour Madrid ; il apportait, comme de lui-même, un plan habilement concerté pour l'envahissement de la Guyenne. A Bayonne, le lieutenant du gouverneur, le sire de Vers, était un Béarnais, marié à une Béarnaise, tous deux dévoués à la maison d'Albret ; il avait même été attaché à la personne du prince. Vers habitait le vieux château, accolé à la muraille, du côté de la route de Fontarabie ; c'est lui qui fermait chaque soir les portes de la ville. Descurra promettait qu'il les ouvrirait sur un ordre du roi de Navarre. A Dax, un coup de main paraissait aussi facile ; la province appartenait à Henri d'Albret ; il pouvait donc faire pénétrer dans la ville, sans éveiller de soupçons, une troupe de ses gens et même des soldats déguisés. A Bordeaux, le gouverneur du château Trompette, le baron de Lavedan, était un parent et ancien serviteur de la maison d'Albret ; il pouvait répondre du fort. Le seigneur de Caudale, qui commandait un corps d'armée de six ou sept mille hommes en amont de la Garonne, n'était pas moins dévoué au prince. Enfui les bourgeois de la ville, habitués à lui obéir, le regardaient depuis longtemps comme leur maître. L'évêque de Lescar était un des agents les plus actifs de l'intrigue. Descurra lui avait promis, en cas de succès, une rente de dix mille écus et quelques bénéfices. Tous deux faisaient valoir les forces de leur maître. Le succès d'un coup de main sur les villes, disaient-ils, était assuré ; les deux alliés pouvaient conquérir la Guyenne avant l'arrivée de tout secours, surtout si le roi d'Angleterre ou l'empereur tentaient, une diversion en Picardie. En retour de ses services, Henri d'Albret demandait la restitution de la Navarre ou un équivalent ; il pressait l'empereur de se décider, car le roi de France avait déjà des soupçons. La négociation s'engagea sur ces bases ; un secrétaire de l'empereur, Idiaquez, vint en Navarre, et eut des entrevues avec Descurra à Navarreins. Tout à coup, la nouvelle arriva à Pau que le secret était découvert ; Charles de Coucy, seigneur de Burie, avait appris la présence d'Idiaquez, et le bruit s'était répandu que les Espagnols allaient tenter une attaque sur Bayonne. François Ier, aussitôt informé, renvoya la dénonciation à sa sœur. Henri d'Albret repoussa vivement l'accusation ; il fit dresser une enquête, dont les conclusions prouvèrent que Idiaquez, malade de la fièvre, n'était venu dans le nord de l'Espagne que pour soigner sa santé, et n'avait point dépassé Saint-Sébastien. Il rejeta sur Descurra l'invention de ces machinations ténébreuses. Burie et la reine Marguerite signalèrent à tous les officiers du roi le malheureux agent comme un traître ; sa tête fut mise à prix ; on offrait mille ducats pour le prendre vivant, cinq cents pour le tuer[32]. Descurra, bien averti, se tenait caché. En tant que aymez vostre vie, lui écrivait sa sœur, vous gardez d'entrer en France, car, à ce que j'ay peu entendre, on vous a tendu les filets en plusieurs lieux[33]. Les protestations du roi de Navarre ne dissipèrent pas complètement les soupçons de François Ier. Inquiet sur le sort qui lui était réservé, le prince se cantonnait tons les jours de plus en plus dans ses états héréditaires ; il fortifiait Navarreins, armait ses places et amassait de l'argent pour être prêt au jour du danger. Il laissa échapper devant ses gentilshommes que, sous aucun prétexte, il ne quitterait la Navarre, parce qu'il prévoyait bien que le roi de France ne l'y laisserait pas rentrer[34]. Mais la réconciliation des deux rois allait se faire avec éclat. La disgrâce du connétable avait porté au pouvoir le cardinal de Tournon et l'amiral Annebaut. Les nouveaux ministres inaugurèrent leur avènement par un changement de conduite dans la direction des affaires militaires. Au lieu de porter la guerre en Piémont, ils attaquèrent l'empereur au nord et au midi, en Espagne et dans les Pays-Bas. Le roi mit deux années sur pied : la première, commandée par le dauphin, était destinée à une invasion en Roussillon ou en Navarre ; la seconde, conduite par le duc d'Orléans, devait secourir le duc de Clèves. Le roi avait multiplié ses forces par d'habiles négociations. Le 20 novembre de l'année précédente, il avait passé un traité avec le roi de Danemark ; le 10 juillet, avec le roi de Suède. Le 12, il signa sa déclaration de guerre, et la publia le 20. L'occasion paraissait favorable ; l'empereur était affaibli et découragé par les désastres de son expédition d'Alger[35] ; il était malade ; les Maures de Grenade s'étaient soulevés ; on croyait à la cour qu'ils étaient prêts à reconquérir l'Espagne. Le roi de Navarre entretenait des intelligences à Pampelune, en Biscaye, et dans les principales villes de son ancien royaume[36]. Il désirait les utiliser pour entrer en campagne ; le roi, suivant un ancien plan de guerre du connétable de Montmorency, voulut commencer par le Roussillon. Le 15 août, le dauphin et l'amiral Annebaut mirent le siège devant Perpignan. Ils espéraient surprendre la ville, mais le duc d'Albe, à la fin de l'hiver, avait visité les places du Nord et les avait mises en défense[37]. Au bruit que Charles-Quint s'avançait lui-même, à la tête d'une armée, François Ier quitta Lyon, attiré, disent quelques historiens, par l'espoir d'un combat corps à corps avec son rival. Le roi de Navarre touchait au comble de ses vœux. Il venait d'être confirmé dans ses pouvoirs de lieutenant du roi en Guyenne[38]. L'armée du dauphin, après avoir conquis Perpignan et la Cerdagne, devait entrer en Navarre ; le roi de France s'était engagé à ne déposer les armes qu'après avoir fait rentrer cette province entre les mains de son souverain légitime. Henri d'Albret rompit soudainement toutes négociations avec l'Espagne ; il félicita le roi de ce que les Castillanyses ne l'amuseroient plus. Un agent du cardinal Granvelle était encore à Pau ; en le renvoyant à son maitre, le prince d'Albret le chargea de la déclaration suivante : Si le feu roy, mon pere, et moy, nous sommes estimez bien heureux de perdre ung royaulme pour servir ung tel prince, je ne vouldroys que moy ne tous ceulx qui viendront jamais de moy eussions aultre volonté, et qu'il (Granvelle) ne pence poinct que l'anvye de recouvrer mon bien me fasse oublier mon honneur[39]. Malheureusement, l'année du dauphin s'arrêta à la première étape. La ville de Perpignan résista à ses efforts ; le dauphin fut obligé de lever le siège dans les premiers jours d'octobre ; l'hiver s'approchait ; il fallut renoncer à la conquête de la Navarre et licencier l'armée[40]. François Ier traversa le Languedoc ; il passa à Toulouse, à Nérac, où Remi et Marguerite lui offrirent des fêtes qui pouvaient lui faire oublier le séjour de.ses châteaux de Touraine. L'alliance entre les deux rois de France et de Navarre était redevenue ce qu'elle était au temps de la bataille de Pavie. Cependant un reste d'aigreur se mêlait parfois à leurs effusions réciproques. François e se montrait toujours prêt à s'accommoder avec Charles-Quint au prix du Milanais ; Henri d'Albret lui reprocha un jour d'oublier la Navarre ; le roi répondit sèchement : Mon frère, si ce n'étoit que je m'occupe de vos affaires, déjà toutes les miennes seroient faites[41]. Au nord, le roi avait mieux employé ses forces. Le duc de Clèves était enfin sorti de ses hésitations malgré les conseils de l'archevêque de Mayence et de l'électeur Palatin, ses protecteurs à la diète de Ratisbonne. Le Bossut de Longueval fut envoyé, au commencement de mai, à Dusseldorf avec des pouvoirs illimités ; il négociait un mariage entre le duc de Wurtemberg et la sœur de Guillaume de Clèves, mais il était surtout chargé de faire fructifier les intrigues secrètes nouées dans les Pays-Bas. Il remit au duc une lettre d'encouragement de la reine Marguerite : Monseigneur mon fils, vous estes tant en la bonne grace du Roy, que vous ny tous vos amys ne le sauroient plus desirer. Et quant je y connoistrois aultre chouse, vous savés que je ne suis icy que pour vous, tant à vous en advertir que à y donner le numide necesaire, ce de quoy n'ay veu ocasion, vous pryant de continuer au bon vouloir que jusques icy avés monstré au service dudit seigneur, et en ce faisant croyés que vous le trouverés vray pere et afectionné à votre bien et grandeur. En outre de ces encouragements, bien faits pour lui donner des espérances, Longueval apportait au duc de Clèves l'annonce de l'arrivée prochaine d'une armée française. Le roi le pourvoyait d'argent et d'armes, surtout d'artillerie. Un seul trésorier, La Planche, lui avait remis 15.000 thalers. Les princes allemands alliés avaient touché leur pension, ce qui n'empêcha pas l'un d'eux, Wolfgang de Bavière, d'embrasser le parti de l'empereur[42]. Le 10 juin, le duc d'Orléans prit le commandement de l'armée du Nord ; le duc de Guise était son lieutenant. Suivant les rapports d'espions adressés à Marie de Hongrie, il avait 2.000 hommes d'armes, 3.000 chevau-légers, la plupart italiens, 43 enseignes de mercenaires allemands, 32 mille piétons légionnaires, 80 pièces d'artillerie et 10 mille chevaux de transport. Le roi devait se mettre à la tête de ces troupes et se faire accompagner de sa maison, composée de 800 hommes d'armes. L'armée attendait en outre 42 mille Suisses, quelques compagnies italiennes et 40 mille hommes pris dans le ban et l'arrière-ban, desquels, si une bataille se donne, le roi mettra 12 mille en première ligne, tant il y a confiance[43]. L'armée de Clèves, aguerrie sous le commandement de Martin Van Rossen, comptait 30 ou 32 enseignes ; le roi de Danemark avait envoyé 12 enseignes. Ces troupes firent montre le 28 juin. Les espions de la reine de Hongrie signalaient au camp du duc ung personnage brun, ayant une barbe brune, et portant deux chaînes d'or. C'était Longueval, l'âme de l'entreprise. Le bruit courait qu'il avait acheté du duc de Clèves le château de Ravenstein[44], au nom du roi de France, et qu'il allait en prendre possession. Le duc, enorgueilli de sa puissance, disait qu'il feroit ung trou ès pays de l'empereur dont on
parleroit pendant cent ans. Il espérait recevoir bientôt la princesse
d'Albret ; il répondit à un de ses capitaines qui lui demandait un congé : Je me sauroys aussy mal passer de toy présentement que
jamais je feis, car par cette amasse lon me livrera ma femme. Les capitaines
français montraient si grande confidence qu'ilz
disoient que leurs goujars estoient suffisans à conquerre les Bourguignons.
Ils fortifiaient Landrecies et y faisaient travailler 6.000 pionniers. Le roi
fit crier un défi à l'empereur, portant qu'il l'attendrait pendant soixante
jours. Malheureusement le désordre régnait dans cette immense armée ; les
Français étaient en mauvaise intelligence avec les Clévois ; ceux-ci,
cantonnés entre Mézières et Reims, pillaient le pays sans miséricorde ; les
Allemands montraient peu d'empressement à marcher contre l'empereur ; les
officiers du duc avaient été obligés de leur persuader qu'ils allaient les
conduire contre les Turcs. Une pluie continuelle gênait les déplacements de
l'artillerie et des campements[45]. Le maréchal de Gueldre, Martin Van Rossen, entra en campagne au commencement de juin ; le prince d'Orange et le comte de Buren, que la gouvernante des Pays-Bas lui avait opposés avec des troupes incomplètement armées, furent mis en déroute ; Anvers, Tournay, Malines étaient déjà serrées de près. En même temps la première armée française, commandée par Antoine de Bourbon, duc de Vendôme, gouverneur de Picardie, franchit la frontière de Flandre ; les principales places ne purent résister. La seconde armée, conduite par le duc d'Orléans, envahit le Luxembourg et s'empara de la province presque sans coup férir. Les places de Damvilliers, Ivoy, Arlon, Montmédy, Luxembourg ouvrirent leurs portes ou furent prises d'assaut. Thionville seule résista. Charles-Quint, informé de ces désastres, demanda en toute hâte à la diète de Spire de protéger l'intégrité de l'empire[46] ; mais le Luxembourg, le Brabant, le Hainault, la Flandre étaient perdus ; il ne restait aux Français qu'à consolider leur conquête. En ce moment arriva au camp la fausse nouvelle de la marche de Charles-Quint contre l'armée assiégeante de Perpignan et celle de la descente de François e en Languedoc. Le duc d'Orléans crut à une grande bataille prochaine. N'écoutant que le désir de combattre à côté de son père, il licencia précipitamment une partie de l'armée, malgré les conseils de ses capitaines, mit une garnison de mercenaires à Luxembourg et partit en poste pour le Roussillon avec quelques jeunes seigneurs étourdis comme lui. Son départ désorganisa ce qui restait de l'armée. Réduit à la défensive, le duc de Guise se renferma dans Ivoy. Les impériaux reprirent Luxembourg et Montmédy, mais d'heureux coups de main rendirent à l'armée une partie de son prestige. Elle réoccupa Montmédy et prit ses quartiers d'hiver dans les principales villes. Le roi envoya au duc des instructions minutieuses, mais point d'argent, pour la préparation de la campagne prochaine, notamment l'ordre de retenir les mercenaires qui avaient servi dans l'armée de Clèves et de les employer à la fortification des places. Ces troupes ne voulaient marcher que contre argent comptant. Le duc de Guise en cite un exemple : leur engagement expirait le jour de la reprise d'une petite place forte, appelée Virton[47] ; elles mirent le feu à la ville selon les ordres du duc, mais elles refusèrent d'entretenir l'incendie le lendemain, parce que la nouvelle solde n'était pas arrivée. Les lansquenets clévois voulaient hiverner au dedans du royaume afin que ce leur fust moyen de mieulx se faire payer. Guise les envoya sur la frontière, mais en attendant le paiement ils refusèrent de dépasser la Meuse. Enfin le roi se débarrassa de ces importuns en envoyant par le sire de Mandosse, son écuyer tranchant, des fonds pris sur l'ordinaire de son épargne. Guise fit une montre au mois de décembre et les mercenaires sortirent de France[48]. La campagne avait été si mal conduite qu'elle s'était terminée sans avantage décisif. Malgré la guerre à laquelle il prenait part, le duc de Clèves espérait échapper au danger d'une condamnation par la diète. Tandis que ses troupes ravageaient les possessions héréditaires de l'empereur, il adressa sa justification aux États d'Allemagne[49]. Charles-Quint usait encore envers lui de ménagements extraordinaires dont voici l'explication : Henri VIII avait épousé, puis répudié sa sœur, Amie de Clèves, et l'avait remplacée par Catherine Howard. Après le supplice de cette infortunée reine (12 février 1542), le bruit se répandit que Henri VIII allait reprendre la princesse Anne ; le roi de France le lui conseillait avec insistance ; l'ambassadeur Marillac avait reçu l'ordre d'y travailler ouvertement et en faisait la condition du mariage du duc d'Orléans avec une fille de Henri VIII. C'en était fait pour l'empereur de l'appui de l'Angleterre si le prince anglais cédait à ces suggestions. Charles-Quint s'imposait donc le devoir de ménager le duc Guillaume, qui pouvait redevenir, par sa sœur, l'arbitre de la politique de son beau-frère[50]. Mais le duc de Clèves était inféodé à la politique du roi de France. Marguerite d'Angoulême le traitait comme son fils[51]. L'agent du roi, le Bossut de Longueval, entretenait ses espérances. Ses soldats avaient été mieux traités au camp du duc de Guise que les autres mercenaires allemands. A la fin de la campagne, François Ier lui abandonna en pur don une somme d'argent sans emploi, la solde de 4.000 hommes de pied et de 700 chevaux, qui n'avaient jamais figuré dans les rangs. En novembre, il lui fit proposer par Mandasse un secours de gens d'armes et une subvention de 30 mille écus, payables immédiatement, et même davantage, s'il était nécessaire ; il lui promit d'exposer les forces de son royaulme pour le secourir comme pour son propre affaire. Restait la négociation principale qui n'avait pas fait un pas depuis le commencement de l'année, celle de l'envoi à Dusseldorf de la princesse de Navarre. Mandosse était chargé d'assurer au duc de Clèves, au bora du roi, comme ledict seigneur, au premier bon temps, luy envoyeroit sa femme, Madame de Clèves, honorablement accompagnée[52]. L'année 1543 s'ouvrit mal pour le duc de Clèves. Le roi d'Angleterre, sortant de ses hésitations, signa avec les ambassadeurs de Charles-Quint, le 11 février, un traité d'alliance offensive et défensive, par lequel les deux souverains se partageaient le royaume de France comme s'ils l'eussent déjà conquis. La cause de la princesse Amie de Clèves était perdue ; Henri VIII épousa, cinq mois après, Catherine Parr, veuve de lord Latimer. Outre l'échec moral que lui faisaient éprouver les fantaisies amoureuses du roi d'Angleterre, le duc de Clèves perdait un réel appui. L'empereur, au contraire, y gagnait de n'être plus obligé de ménager son vassal. Mais cet échec, prévu depuis longtemps, ne pouvait le décourager.. La diète venait de se réunir à Nuremberg sous la présidence de Granvelle, afin de discuter les moyens de défense de l'Allemagne contre les Turcs. Dès les premières délibérations, Granvelle annonça à l'assemblée que l'empereur était décidé à mettre toutes ses forces au service de la chrétienté, et qu'il combattrait lui-même à la tête de l'armée. Avant de commencer cette guerre sainte, il demandait quelques semaines pour avoir raison de la rébellion du duc de Clèves. Le duc comptait de nombreux amis parmi les princes allemands ; ils agirent en sa faveur ; les autres virent un piège tendu à l'indépendance de tous dans la demande de Granvelle, et la majorité refusa d'y adhérer. L'habile chancelier proposa alors une combinaison nouvelle ; Guillaume affectait de soumettre sa cause au jugement de la diète, coram paribus ; Granvelle lui offrit une trêve de deux mois, renouvelable sur les bases du statu quo, mais à la condition qu'il livrerait la ville de Zittard en garantie de sa soumission. Le duc n'était pas présent, mais ses ambassadeurs acceptèrent le marché[53]. Aucun des deux partis n'obéit aux conditions prescrites ; le duc ne livra pas la ville de Zittard, et la gouvernante des Pays-Bas ne discontinua pas ses armements. Depuis le commencement de l'hiver elle se préparait à la guerre ; elle avait levé une armée de dix mille hommes de pied et de 2.400 chevaux commandée par le duc d'Arschott ; elle attendait un renfort de mercenaires allemands. Ces troupes étaient en garnison dans les villes de frontière ; mal payées et naturellement indisciplinées, elles firent quelques courses dans les duchés et pillèrent plusieurs villes. Le duc de Clèves, prêt à la guerre depuis l'année précédente, saisit avec empressement ce prétexte pour rompre la trêve sans s'arrêter aux protestations de Granvelle[54]. A la fin de l'hiver, il mit le siège devant Heinsberg. La ville, dépourvue d'artillerie, fut promptement investie. Le duc d'Arschott attendait avec impatience les lansquenets allemands que la reine de Hongrie avait engagés, mais les lansquenets ne vinrent pas, faute de solde. Cependant l'obligation de courir à la défense de Heinsberg le pressait de se mettre en campagne. Le 28 mars, il passa la frontière. Le temps était très-froid, les étangs couverts de glace. Le duc d'Arschott, au prix d'une marche forcée de nuit qui coûta la vie à quelques-uns de ses soldats, tomba à l'improviste sur les assiégeants, ravitailla la ville et y fit entrer quatre pièces de canon. Poursuivi vigoureusement dans sa retraite, il essuya quelques escarmouches. Le 24 avril, l'armée clévoise, forte de 4.000 chevaux, de 18 à 20 enseignes de gens de pied et de 4 ou 5 pièces d'artillerie, prit position devant lui auprès de la ville de Zittard. La lutte commença par un combat d'artillerie. Les Clévois, commandés par Dietrich Hœn, sire de Harsen, débusqués d'une hauteur par le feu de l'ennemi, descendirent dans la plaine et se mirent en bataille devant les impériaux, gens d'armes contre gens d'armes, gens de pied contre gens de pied. Le choc fut terrible et pendant un moment la victoire demeura indécise ; mais les impériaux étaient les plus nombreux ; plusieurs capitaines allemands du parti de Clèves furent blessés ou tués ; trois enseignes sur six tombèrent entre les mains du duc d'Arschott. La gendarmerie faiblit et battit en retraite, dans le plus grand désordre, vers Ruremunde et vers Zittard, laissant l'artillerie sans défense. Pendant ce temps-là les gens de pied des deux Armées s'attaquaient à coups d'arquebuse ; après quelques décharges, le duc d'Arschott ordonna la charge. Déjà les soldats baissaient les piques ; tout à coup les Allemands du parti impérial, pris d'une panique soudaine, se débandent ; ils se précipitent sur l'artillerie dévoile qui vient d'être emportée par la cavalerie, détèlent les chevaux, et s'enfuient au galop. La déroute fut si rapide que les capitaines ne purent retenir une seule enseigne ; le supplice de quelques fuyards.sur le champ de bataille n'arrêta pas leurs compagnons d'armes ; les bas Allemands surtout se distinguèrent par leur lâcheté ; plusieurs coururent jusqu'à Maëstricht. Les Clévois prirent alors l'offensive ; ils reconquirent l'artillerie qu'ils avaient perdue au commencement de la journée et s'emparèrent de celle des impériaux ; la gendarmerie se reforma et rétablit son ordre d'attaque. La nuit tombait ; le duc d'Arschott, abandonné de ses gens de pied, se retira en bon ordre du côté de Maëstricht. La bataille avait à peine voûté 300 hommes aux vaincus ; encore, suivant les agents impériaux, la plupart des morts étaient-ils des goujats qui s'étaient attardés au pillage des gens d'armes. Le comte de Hoechstraeten fut fait prisonnier et Miché peu après. Les vainqueurs firent de plus grosses pertes. Un capitaine écrit à la reine de Hongrie qu'il a vu 70 chariots couverts de corps morts de soldats clévois et 12 de personnages de marque, que les Clévois ont perdu quasi toute leur noblesse et 1.500 chevaux, que Dietrich Hœn, sire de Harsen, capitaine général, les sires de Palant, de Drimborn et Jean de Buren, gentilshommes de Gueldre, ont été tués. Martin van Rossen était absent. Le duc de Clèves, qui estoit à moins de deux lieues de la bataille, ny estoit, mais est demeuré en ung cloitre, à ce que disent les prisonniers, se trouvant conceillé de non s'y trouver en froid terne, mais en esté il s'y trouvera. S'il y eut esté, le froid ne l'eut empesché ; car il y avoit matière assez pour se bien réchauffer[55]. Cette victoire fut fêtée à la cour de France avec autant d'éclat que si l'armée du roi eût gagné une seconde bataille de Marignan. François e l'annonça solennellement au parlement et ordonna au cardinal du Bellay de faire une procession en action de grâces et de chanter un Te Deum. Le morceau de la vraie croix, conservé dans le trésor de la Sainte-Chapelle, fut porté à la procession des reliques par les conseillers. Le duc de Clèves avait écrit au roi, à la suite de sa victoire. Sa lettre fut enregistrée au parlement. Sire, je me recommande très humblement à vostre bonne grace. Je ne vous puis celer que le duc d'Arschott et autres grands seigneuri de Borguignons, vos ennemis et les miens, sont derechef entrés en ma duché de uliers avec grand nombre de gens à pied et à cheval, artillerie, munitions et autres choses du fait de la guerre, cuidant tout prendre et me ruiner ; mais mes gens les ont, le jour de la veille de Pâques, à 3 heures de l'après midi, en leur fort assailli, et, par la grave de Dieu, desconfit et desthit une partie, tuez et beaucoup pris, et gainé 4 3 enseignes de lansquenets et le guidon des gens de clivai, avec l'artillerie qui estoit de 20 grosses pieces, comme on m'a mandé, 48 canons, 3 serpentines, et, le reste, demi serpentines et, couleuvrines[56]. Le duc d'Arschott, par ordre de la reine de Hongrie, se retira vers le Hainaut pour refaire ses troupes. Le duc de Nassau, à la tête d'une seconde armée, fut chargé de tenir tête aux Clévois victorieux. Il essuya une éclatante défaite. Le roi ordonna encore des actions de grâces ; l'évêque de Paris chanta un Te Deum à Notre-Dame ; un conseiller du roi, Martin Fumée, fut chargé de communiquer cette grande nouvelle au parlement. Du 7 avril 4543, écrit par les amis du roy en Allemagne, sont venues nouvelles certaines d'une seconde grande victoire obtenue par nostre nepveu, lé dud de Claves, contre une grosse armée de nos ennemis, de laquelle estoit chef le comte de Nassau, laquelle victoire a esté telle que, prenant les choses en general et remettant les particularités à ce qui en est recité au parlement, est advis donné de ladicte victoire. II n'est rechappé de lad. armée un de tous ceux qui ont Sait résistance, qu'ils ne soient demeurés morts ou faicta prisonniers, grand nombre de noblesse desfaite, rompue et mise en fuite, l'artillerie, munitions et bagages, demeurés et Baignés par le duc de Cleves ; de ce qui s'est sauvé de lad. armée ne leur a esté possible en remettre aucune ensemble, de manière qu'il ne s'est veu de longtemps desconkture dont la fuyte ayt esté telle ne si grand étonnement. Le s. de Nassau s'est sauvé seul, sans page ni valet[57]. Piqué d'honneur par ces deux victoires, qui ouvraient un vaste champ à ses espérances, François e entra en Hainaut à la fin de mai avec une armée de plus de 35 mille hommes, et s'empara de Landrecies, place forte, la clef des plaines arrosées par la Sambre. La cour l'avait accompagné jusqu'en Champagne et s'était arrêtée à Reims. Marguerite d'Angoulême, Jeanne d'Albret, le cardinal de Tournon, Annebaut, les ambassadeurs du duc de Clèves, les principaux personnages que nous avons vus figurer dans les négociations de ce mariage, suivaient le roi. François Ier annonçait l'intention de conduire la princesse de Navarre jusqu'aux frontières de ses états. Les victoires de l'armée clévoise, l'alliance du Danemark et des princes allemands, les succès du duc de Vendôme en Flandre, la marche conquérante de l'armée en Hainaut, la posses8ion de Landrecies, que le duc de Guise travaillait à rendre imprenable, mettaient toutes les chances de la guerre de son côté. Cie fut en ce moment que l'empereur arriva en Allemagne ; il s'était embarqué le 1er mai à Barcelone, était descendu à Gênes, avait traversé rapidement l'Italie et était arrivé à Spire. Il s'arrêta quelques jours dans cette ville, puis à Mayence, distribuant des ordres, expédiant des courriers ; il réunit et arma les troupes que le roi des Romains avait levées et celles qu'il avait amenées d'Italie, les donna à commander à Fernand de Gonzague, ancien gouverneur du Milanais, et les dirigea sur Bonn pour se rendre maître du passage du Rhin[58]. Il avait avec lui 40 mille hommes dont 10 mille Espagnols ou Italiens. On s'étonnait en Allemagne de le voir user d'aussi grandes forces contre un aussi petit adversaire, pendant que Soliman, conquérant de la Hongrie, s'avançait le long du Danube et menaçait Vienne. Un rapport adressé au roi de France représente Charles-Quint comme convoiteux de gloire... et simulant cest grant colere contre le duc de Clèves pour couvrir sa peur dudict grand seigneur[59]. Le 20 août, Charles-Quint entra en campagne. Le 21, il fit sa jonction avec l'armée levée par la reine de Hongrie et commandée par le prince d'Orange ; elle comptait, d'après Vandenesse, 13 mille hommes de pied et 51,500 cavaliers, bien disciplinés et qui avaient fait leurs preuves quelques jours auparavant à la prise de Montfort. Le 22, il parut devant Dueren, la plus forte place du duché de Juliers ; le 23, il fit sommer la ville par un héraut d'armes, porteur de paroles de clémence si les assiégés ouvraient leurs portes, et de menace s'ils persistaient dans leur résistance. Le héraut n'obtint aucune réponse et ne put même entrer dans la ville. Gonzague mit son artillerie en ligne pendant la nuit ; le feu commença à la pointe du jour et se continua jusqu'à deux heures de l'après-midi. En ce moment les compagnies italiennes et espagnoles, rassemblées dans les tranchées, sans attendre le signal de l'attaque, qui devait être donné à 5 heures, s'élancèrent à l'assaut. La ville était protégée par deux fossés profonds, pleins d'eau, et par un mur élevé, couronné d'artillerie ; cinq enseignes d'infanterie comptant 4.000 hommes, choisis parmi les meilleures troupes de Clèves, armés d'arquebuses, défendaient les portes. Les impériaux attaquèrent d'abord un des bastions sans succès ; pendant deux heures l'intrépidité des Espagnols s'épuisa en vain contre la fermeté des compagnies hollandaises. Enfin une troupe espagnole réussit à traverser sous un feu ardent les fossés de la ville et à monter sur les murs par la brèche. Les défenseurs de la porte, pris à revers, furent bientôt culbutés. 600 ou 700 hommes furent tués les armes à la main ; les autres s'enfuirent à travers la ville, ou se précipitèrent du haut des remparts. L'empereur était résolu à faire un exemple. Il fit juger les prisonniers et passer par les armes ceux qui étaient originaires de la Hollande et des terres basses de l'Allemagne, en très-grand nombre dans l'armée du duc de Clèves. La ville fut livrée au pillage ; mais Sa Majesté commanda sous peine de mort que l'on ne touchait aux ésglises ni que l'on tuast ni femme ni enfans et que les femmes feussent toutes retirées aux esglises pour conserver leur honneur. Le lendemain, je ne sais pourquoi ni comment, dit Charles-Quint dans sa lettre, le feu prit aux maisons et fit de tels progrès que, malgré les efforts des vainqueurs, la plus grande partie de la ville et l'église furent en flammes. L'archevêque de Saint-Jacques porta le saint sacrement et les vases sacrés au logis de l'empereur. Les femmes, les religieuses et les enfants furent conduits dans une tente sous ses yeux. L'année victorieuse combattit l'incendie avec autant de courage qu'elle avait combattu l'ennemi ; 40 ou 50 soldats furent ensevelis sous les décombres et plus de 10 furent blessés en essayant d'éteindre le feu. Malgré leurs efforts la ville presque entière, plus de 600 maisons, fut réduite en cendres[60]. Le 27, Charles-Quint, laissant à Dueren une garnison suffisante, alla camper à moitié chemin de Juliers, capitale du duché. La ville était aussi bien armée que Dueren ; cependant elle se rendit à la première sommation. Les gens de guerre sortirent et la place ouvrit ses portes. L'empereur y entra avec une garde de 500 arquebusiers espagnols et de quelques cavaliers ; il reçut le serment de fidélité des bourgeois et jura de conserver leurs privilèges. Le lendemain il se remit en campagne. A mesure qu'il avançait, les villes et les communes, frappées de terreur par l'exécution de Dueren, se hâtaient de déposer les armes. La ville de Zittard et tout le duché de Juliers firent leur soumission. Charles-Quint détacha le sire de Hoechstraeten, un de ses capitaines, avec dix enseignes d'infanterie et 500 cavaliers, pour prendre possession des places qui n'étaient pas sur sa route. Le maréchal de la Gueldre, Martin Van Rossen, manœuvrait à distance de l'armée impériale, tantôt avec 1.500, tantôt avec 2.000 cavaliers, sans pouvoir l'entamer ; enfin il se retira. Le 30 août, l'empereur arriva sous les murs de Ruremonde, sur la Meuse, la ville la plus commerçante du duché. Elle ne fit aucune résistance. Le lendemain il eut une entrevue avec sa sœur, la reine de Hongrie, sur l'extrême frontière du Hainaut. Il était victorieux du duc de Clèves, mais son rival, le roi de France, s'avançait aussi en vainqueur à l'autre extrémité des Flandres ; le duo d'Orléans avait conquis une partie du Luxembourg ; une grande bataille était probable ; l'empereur arrêta avec Marie de Hongrie les mesures à prendre contre son ennemi. Le 3 septembre, après avoir reçu les soumissions de la plupart des villes de Gueldre et de Clèves, l'empereur se dirigea vers Venloo, la place la plus forte des états du duc Guillaume et la mieux armée ; elle renfermait 3.000 hommes de pied et une nombreuse artillerie. Aux premières sommations, la division se mit dans la place ; les habitants voulaient ouvrir leurs portes et les gens de guerre se défendre. Ce dernier parti l'emporta. Fernand de Gonzague jeta un pont de bateaux sur la Meuse et mit ses pièces en batterie. Le feu allait commencer quand le sire de Brunswick, le coadjuteur de l'archevêque de Cologne et d'autres ambassadeurs de ce prélat arrivèrent au camp impérial. Ils se portaient médiateurs entre le duc de Clèves et son suzerain, et suppliaient l'empereur d'user de clémence. Charles -Quint consentit à recevoir le prince. Brunswick et le coadjuteur l'amenèrent au camp de Venloo le 6 septembre. Il passa la nuit dans la tente du cardinal Granvelle. Le lendemain il comparut en accusé devant son juge ; Charles-Quint était assis sur un trône ; le duc se mit à genoux avec ses deux protecteurs et resta longtemps dans cette position humiliante[61]. Le sire de Brunswick excusa le coupable, rejeta sa faute sur les mauvais conseils qu'il avait reçus, allusion blessante à l'influence de la duchesse Maria de Juliers, mère du duc Guillaume, l'âme de l'alliance française, qui venait de mourir à Buderich, le 29 août, du chagrin qu'elle éprouvait des désastres de son fils[62]. Ce dit, luy estant toujours à genoux, fut respondu par le conseiller Neves visohancelier de l'empire, que Sa Majesté avoit esté grandement offensée et qu'elle pouvoit par raison et justice envers ledict duc user de toute rigueur, veu l'offense par luy commise. Neanmoins, voyant que ledit duc se reconnaissoit, ne useroit envers luy de cruaulté, aine de toute douceur, et qu'il se trouvast au logis dudict seigneur de Grantvelle, ou ceux de son conseil par ensemble pourroient traicter les articles touchant cest effect. Puis Sa Majesté le fit lever en luy donnant la main et parla à luy à part. Après ledit duc s prit congié et s'en retourna diner avec le s. Grantvelle[63]. Le lendemain, 7 septembre, le duc de Clèves signa le traité connu sous le nom de traité de Venloo. Il abandonnait l'alliance française, danoise et suédoise, et remettait ses états à l'empereur qui les lui rendait en partie comme fiefs du Saint-Empire. En garantie de sa fidélité future l'empereur se contenta de deux places, Heinaberg et Zittard, qu'il lui restitua plus tard ; il lui donna même une pension viagère de 10 mille livres[64]. Le duc réunit ses troupes à l'année impériale et donna à Charles-Quint le célèbre Martin Van Rouen, dont l'habileté avait fait tant de mal aux villes des Pays-Bas. Les soldats dévoie et allemands, engagés par le roi de France, furent rappelés[65]. Enfin, dans un accord séparé, le duc promit de revenir à la religion catholique, qu'il avait momentanément abandonnée pour plaire à son beau-frère, Jean-Frédéric de Saxe, et aux autres princes protestants. La soumission des duchés de Clèves, de Gueldre et du comté de Zutphen était consommée. Le 12 septembre, les états réunis à Nimègue reconnurent par une déclaration solennelle Charles-Quint comme leur légitime suzerain et signèrent un traité de paix avec lui[66]. Le 13, Van Rossen vint au quartier de l'empereur ; il s'agenouilla, s'excusa d'avoir accepté une pension du roi de France et jura fidélité à son nouveau maitre. Les députés des états prêtèrent les mêmes serments. Le 14, l'empereur, après avoir délégué le prince d'Orange comme gouverneur des duchés, partit pour Diest ; il y arriva en trois jours. Son activité et la rapidité de sa marche avaient épuisé ses forces ; la goutte l'avait repris ; il tomba malade ; il ne put assister à la réunion des états à Bruxelles et fut obligé de les convoquer à Diest[67]. Le roi de France, après avoir perdu une partie des mois de juillet et d'août à Reims, en chasses et en fêtes de cour, rejoignit l'armée à la nouvelle que Charles-Quint était arrivé à Spire, pendant que ses lieutenants, La Lande et d'Essé, complétaient laborieusement les fortifications de Landrecies. L'armée comptait 8 ou 40 mille hommes de cavalerie, 6.000 Allemands des provinces intérieures de l'empire et 1.000 des provinces rhénanes, 1.000 Italiens et bon nombre de légionnaires gascons ; il attendait le mille Suisses, auxquels il avait promis le double de la solde ordinaire, mais qu'il n'avait pu engager à le servir qu'en France et non à passer la frontière[68]. Il espérait, à la faveur de ce déploiement de forces, détourner l'orage qui allait fondre sur les terres du duc de Clèves, opérer la jonction des deux armées et remettre lui-même la princesse de Navarre au duc Guillaume comme le prix de ses victoires. Pendant sa route, en passant à Sainte-Menehould, le roi fut informé de la capitulation de Dueren ; il écrivit immédiatement au landgrave de Hesse pour réchauffer le courage des princes protestants et leur promettre de délivrer l'Allemagne de la tyrannie impériale, et, ce qui les touchait davantage, pour leur offrir de l'argent[69]. Il se préparait à envoyer en avant, au secours des duchés, l'amiral Annebaut, à la tête de 10 mille hommes d'infanterie, quand il apprit, aux frontières du Luxembourg, le traité de Venloo. La cour, qui le suivait à petites journées, reçut la nouvelle à Soissons ; elle interrompit immédiatement sa marche en attendant les événements[70]. Bientôt arriva un messager du duc de Clèves, Alexandre de Drimborn, porteur de propositions nouvelles. Le duc exposait au roi comme il avait été obligé de traiter avec l'empereur et de le reconnaître pour son suzerain légitime. Désirant rester fidèle au traité de Venloo, il renonçait à l'alliance française, mais non à la princesse d'Albret, qu'il avait solennellement épousée ; il offrait donc d'envoyer chercher jusqu'au camp la future duchesse par une ambassade conforme à son rang[71]. Cette demande irrita le roi. Les courtisans, feignant d'oublier que le duc avait obéi à une contrainte irrésistible, l'accusèrent de trahison. L'antipathie de Marguerite d'Angoulême pour ce mariage se réveilla tout entière. Elle fit valoir le défaut de consentement de Jeanne et la non-consommation du mariage : .... Nous ne craindrons plus, écrivit-elle au roi, de dire la vérité pour rompre le lien qui aussy peu la tient liée que je suis à l'empereur[72]. Et le vous puis jurer devant Dieu.... Je vous supplie très-humblement nous ayder à la mettre en liberté devants l'Église et les hommes, comme je sçay qu'elle l'est devant Dieu[73]. La reine de Navarre eut plusieurs entrevues avec l'ambassadeur de Clèves et repoussa son insistance. Drimborn, au moment de quitter la cour, demanda une réponse à l'objet de sa mission et Jeanne d'Albret lui écrivit la lettre suivante : Je ne puys nyer les ceremonyes qui furent thites et l'honneur que le Roy feit audit sieur de Cleves à Chastellerault ; et puis encore moins non confesser que la volonté dudit seigneur Roy et des roy et royne de Navarre, mes pere et mare, ne fussent que les choses eussent à sortir leur effeet ; mais voyant que le seigneur Roy s'estait résolu de me bailler à luy sans me vouloir ouyr ny escouter, et que, quant j'en voulois parler ans-dits seigneurs roy et royne de Navarre, ils me vouloient encores moins ouyr, usons envers moy de plus estranges rigeurs du monde pour mon opinion qu'ils voioient contraire à leur volenté ; et me sentant abandonné de mon Roy et de pere et de mere, je me deliberay prendre mon seul recours à Dieu, lequel m'a fait ceste grace, que ledit seigneur de Cleves a fait contre luy-mesme chose qui tient le Roy et mon pers et mere quittes et deschargés de la volenté et de la promesse qu'ils luy pouvoient sur ce avoir faicte. Ne reste plus que à vous respondre de ma-dicte volonté, de laquelle, je crois, que qui en demanderoit à Monseigneur de Cleves, il saurait bien que en dire[74]. Après s'être reposé quelques jours à Diest, Charles-Quint rejoignit le camp le long de la Senne et de la Sambre. Son armée n'était pas moins puissante que celle de son rival ; il avait 16.000 Allemands, 1.000 Espagnols, 4.000 Italiens, 800 chevau-légers, 4.800 chevau-légers allemands ; il devait être rejoint par 8.000 Allemande du centre, 8.000 des provinces rhénanes, 3.000 gens de pied et 3.000 cavaliers espagnols, 5.000 piétons anglais et 600 chevaux envoyés par Henri VIII[75]. Charles-Quint s'approcha de Landrecies et' l'investit ; mais la ville, héroïquement défendue par La Lande et d'Este, ne faiblit pas devant l'ennemi, L'approche de l'armée royale, qui accourait à marches forcées, maintenait le courage des assiégés. Pendant quelques jours l'empereur et le roi demeurèrent en face l'un de l'autre, prêts à s'attaquer. La cour attendait à Reims le résultat de cette campagne aventureuse ; chacun espérait et redoutait à la fois une grande bataille ; les sinistres souvenirs de Pavie étaient présents à l'esprit de tous. Marguerite a dépeint en vers émus l'anxiété générale : Sachant le lieu où il vous pleut mescrire Que vous alliez ; mais je ne puis vous dire Que je devins depuis ceste nouvelle, Qui par dix jours nous continua telle, Car un chacun nous escripvoit : sans faille Demain le roy donnera la bataille. Le roi fut plus avisé qu'on ne pouvait l'espérer de son esprit chevaleresque et audacieux. Il feignit de passer la Sambre et réussit à ravitailler Landrecies d'hommes, de vivres et d'artillerie ; la place devenait dès lors imprenable. Puis il leva le camp à l'improviste, pendant la nuit, et battit en retraite sans laisser à l'armée impériale le temps de prendre de nouvelles dispositions d'attaque (nov. 1543). Cette habile manœuvre équivalait à une victoire sans combat. La reine de Navarre et la cour accueillirent la bonne nouvelle avec transports. L'empereur fut obligé de lever le siège ; en se retirant il surprit Cambray, mais ce hardi coup de main ne modifiait pas le résultat de la campagne : Je craignois qu'à l'envitaillement De Landrecies se feist soudainement Telle escarmouche et sy grande meslée Quelle peult estre à bataille égalée. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Sy le second Symeon Galiot Ne disoit pas à l'heure ce bon mot : Je ne crains plus la mort puisque je voy Que Dieu nous a sain redonné le roy. Sy saint André a dit, loué soit Dieu, Qui a donné au roy lhonneur du jeu, Sy nos dames avecques noz prelatz A louer Dieu n'ont eu leur esprit las[76].... Les trois princes français qui pouvaient aspirer à la main de Jeanne d'Albret, le duc d'Orléans, le duc de Vendôme et le comte d'Aumale, plus tard duc de Guise, avaient combattu sous ses yeux avec une bravoure égale et de brillants succès. Le premier par son rang, le duc d'Orléans, avait conquis l'année précédente la province presque entière du Luxembourg, mais il ne restait de ces conquêtes que les piges de Montmédy et d'Yvoi. Quelques semaines auparavant, pendant que l'empereur complétait ses opérations militaires dans le duché de Clèves, le duc d'Orléans avait reçu le commandement de l'armée royale[77]. Les débuts de la guerre furent favorables aux armées françaises ; le prince prit Arlon et Luxembourg et chercha à s'y rendre souverain. Il se mit en négociation avec les princes protestants d'Allemagne, surtout avec l'électeur de Saxe et le landgrave de liesse. Le 8 septembre, il leur envoya de Reims son secrétaire, Antoine Maillet, avec la plus étrange instruction qu'un prince français ait jamais signée : il protestait de son grant désir de voir le saint Evangile presché par tout le royaulme de France et s'excusait de l'interdire dans son duché d'Orléans, par crainte du roi ; mais il promettait de le favoriser dans le duché de Luxembourg ; il demandait donc aux princes allemands de lui permettre d'entrer dans leur confédération et de l'aider de tous leurs moyens[78]. La marche victorieuse de l'empereur dans les duchés de Clèves et de Juliers mit fin à ces essais de souveraineté. Le roi d'ailleurs prit pos- -session des conquêtes de son fils au mois de septembre ; il s'attribua le titre de duc de Luxembourg, et célébra dans la capitale du duché les cérémonies annuelles de l'ordre de Saint-Michel (29 sept. 1543). Antoine de Bourbon, duc de Vendôme, était gouverneur de la province de Picardie depuis la mort de son père. Pendant la campagne de 1543, il ravitailla Thérouanne, prit Liners et plusieurs villes entre Saint-Orner, Aire et Béthune, avant que le roi n'arrivât au camp. Dans l'armée royale il commandait l'aile gauche. Après le ravitaillement de Landrecies, il s'empara de la ville basse de Bapaume ; il assiégeait la ville haute ; déjà les approches du siège étaient terminées ; la garnison était en proie à la famine quand le roi lui ordonna de se rendre en toute hâte à Cateau-Cambrésis, où Charles-Quint venait d'entrer par surprise[79]. François de Lorraine, comte d'Aumale, plus tard duc de
Guise, était lieutenant du duc de Vendôme, et son cousin germain. D se
signalait chaque jour par des actes d'intrépidité et d'audace qui l'avaient
rendu le héros de l'armée. Pendant le siège de Thérouanne, il s'avançait
chaque jour presque seul, ou à la tête d'une troupe de jeunes seigneurs,
téméraires comme lui, jusque sous les murs de Saint-Omer et d'Aire, devant le
front de l'armée impériale. Aussitôt que la garnison tentait une sortie, le
duc s'élançait sur les ennemis sans calculer leur nombre. Cet hardis coups de
main étaient presque toujours victorieux. Au siège de Luxembourg, en
septembre, le comte d'Aumale dressa dans une seule nuit une batterie entière
; il circulait dans les tranchées vêtu de blanc pour être reconnu des
soldats. Au lever du jour, par mépris du danger, il se montrait hors des
palissades dans le même costume ; un jour une arquebusade l'atteignit
au-dessus de la cheville du pied droit. Transporté loin du camp, à Longwy, il
subit un long et douloureux pansement ; la souffrance lui arracha quelques
cris de douleur ; son père les lui reprocha en lui disant que les personnes de son rang ne devaient pas ressentir
les blessures, mais au contraire prendre plaisir à bastir leur réputation sur
les ruines de leur corps[80]. La campagne de 1544 s'ouvrit avec éclat pour les armes françaises par la victoire de Gerisoles, mais la fin fut moins heureuse ; Charles-Quint envahit la Champagne au mois de juillet, prit, pilla Saint-Dizier et Mons et menaça Paris. Le roi, malade et de plus en plus affaibli, retrouva l'énergie, du vainqueur de Marignan. II rentra de Fontainebleau dans sa capitale, parcourut les rues à cheval, arma les bourgeois et les étudiants, les fit manœuvrer sous ses yeux et ranima le cœur des habitants par son attitude intrépide, Une armée anglaise prit Boulogne, mais ne put avancer. L'empereur lui-même, trop éloigné de sa base d'opérations pour ravitailler facilement ses troupes victorieuses, recula jusqu'à Crespy-en-Laonnois. Il y reçut l'amiral Annebaut, qui venait lui demander la paix. Le traité fut, signé le 18 septembre sur les bases de la trêve de Nice ; en outre, il fut stipulé que le duc d'Orléans épouserait, au choix de l'empereur, ou l'infante Maria de Castille ou la princesse Anne, fille du roi des Romains. Par une convention secrète, ajoutée à l'acte officiel, le roi s'engageait à protéger le catholicisme, même par les armes, à accepter un concile œcuménique à Trente, à Cambray ou à Metz, suivant la volonté de Charles-Quint, à aider de son influence la pacification de l'Allemagne et à prendre les armes contre le Grand-Turc[81]. Le duc de Clèves ne s'était pas laissé oublier par
l'empereur pendant la durée de la guerre. Désireux de cimenter le traité de
Venloo et son alliance de fraiche date, il demanda la main ou de l'infante
Maria, ou de la princesse Anne, fille de Ferdinand, roi des Romains, et nièce
de l'empereur. L'ambassadeur de Clèves en Angleterre, Karl Harst, fut envoyé
à Bruxelles et chargé de poursuivre les nouvelles négociations matrimoniales
du duc Guillaume[82].
Tous les ambassadeurs, tous les témoins pouvaient attester que son mariage
avec la princesse de Navarre n'avait pas été consommé et se réduisait à une
cérémonie solennisée par des fêtes de cour. La lettre de Jeanne d'Albret à
Drimborn, congé donné en bonne et due forme, arrivait à propos pour libérer
le duc de tout engagement. Elle fut soumise à l'empereur à l'appui des
démarches de Karl Harst. L'empereur ne la trouva pas assez explicite. Dans
une consultation raisonnée et probablement délibérée avec les membres de son
conseil, il recommandait au duc de Clèves de se méfier des embûches qui lui
seraient tendues. Quant à la réponse de Jeanne d'Albret, il observait que combien elle soit esté faite par ladite fille et signée
d'elle, si demontre clerement l'artifice d'icelle, qu'il ne luy a défailli
conseil, mesmes des principaux serviteurs et conseillers dudit roy de France,
presens à ladite response. Voici, dans la pensée de Charles-Quint, où
se trouvait le piège : la princesse de Navarre déclare expressément et clerement par ledit escript que tout ce
qu'elle a fait et promis a esté par force et craincte et par les plus
estranges rigeurs du monde...., que lesdits
oncle, pere et mere sont deschargés etacquittés de leur promesse quant à
faire ledit mariage...., aussi ladite fille....
Et pour conclusion se voit clerement que, ores
ladite fille se tienne pour libre, néantmoins prétend-elle tenir ledit duc
suspens et incertain[83].
Nous verrons plus loin que la perspicacité des docteurs impériaux ne
s'égarait pas dans cette circonstance. Le roi de France, obligé de renoncer à
l'appui du duché de Clèves, prétendait à la fois et n'être point lié
vis-à-vis du duc au sujet de Jeanne d'Albret et maintenir le duc dans ses
engagements, afin de l'empêcher de contracter de nouvelles alliances. L'affaire resta en suspens jusqu'au traité de Crespy (17 et 18 septembre 1544). Une des clauses de cet acte portait : Attendu que le duc de Clèves a déjà demandé sa femme comme l'ayant épousée légitimement, mais que ladite fille et ses parents protestent contre ce mariage comme ayant été fait contre leur gré, attendu les protestations qu'elle a déjà faites, le roi fera délivrer audit empereur dans les six semaines ladite protestation en forme authentique, comme elle a été passée, avec expresse déclaration de la volonté de ladite fille, pour en bailler raison au duc de Clèves[84]..... Antoine Perrenot, évêque d'Arras, connu plus tard sous le nom de cardinal Granvelle, était venu en France pour assurer l'exécution du traité de Crespy. Le secrétaire d'État, Guillaume Bochetel, lui remit, le 17 septembre, une expédition authentique des deux protestations de Jeanne, datées l'une de la veille, l'autre du jour de la cérémonie. Mais ces deux actes ne parurent pas suffisants à Granvelle. Dans une conférence avec Olivier, chancelier d'Alençon, il demanda que la princesse signât une déclaration notariée et par-devant témoins. Le chancelier se porta garant de l'empressement de Jeanne d'Albret[85]. Le 11 octobre, l'acte fut dressé à Alençon par-devant les notaires Landier et Mabou. Voici un extrait de cette pièce : N'ay voulu ny entendu prendre pour mary ledit duc de Clesves, comme aussi je ne le veulx ni entends prendre pour mary ; et ce que j'en ay dict de bouche a esté par force et contrainte, tout ainsi qu'il est contenu ausdites protestations, et encores je y parsiste[86]. Un secrétaire du roi, Guillaume Le Coustelier, fut chargé d'apporter à l'évêque d'Arras une expédition authentique de la protestation nouvelle[87]. Les trois protestations furent transmises à l'empereur et au duc de Clèves. Guillaume consulta le docteur Jean Gropper (Gropperus), Jean de Weeze, évêque de Constance, et surtout. l'électeur de Saxe. Tous trois conseillèrent au duc, avec force récriminations contre le roi de France, de s'adresser au pape, qui seul avait le droit d'annuler le lien religieux. Le bruit s'était répandu qu'à la suite des stipulations de Crespy, François Ier allait marier sa nièce avec Philibert de Savoie suivant les uns, avec Maximilien d'Autriche suivant les autres. Cette circonstance, jointe au crédit de l'empereur, assurait le duc de Clèves de la décision du pape[88]. Mais pour se présenter devant la chancellerie romaine, de nouvelles formalités étaient nécessaires ; l'autorité civile seule, par la présence des notaires et des témoins, avait présidé aux protestations de la princesse ; il fallait que Jeanne renouvelât ses déclarations devant les pouvoirs ecclésiastiques. Le duc de Clèves montrait autant d'ardeur à défaire son mariage que précédemment à le parfaire. Il espérait épouser une des filles de Ferdinand et craignait de laisser échapper cette grande alliance. Charles-Quint prêta avec joie le ministère de son ambassadeur en France, Jehan de Saint-Mauris, à cette négociation. Il lui écrit le 7 janvier 1544 (1545) : Notre cousin le duc de Clèves nous a fait savoir par son ambassadeur, cy-résident, comme il ne trouve les protestations et renonciations faites par la princesse d'Albret suffisantes ; :tins désireroit, pour sa plus grande sheurté et satisfaction, qu'elles se fissent en présence de quelque cardinal et autres évêques de qualité[89]. Quelques jours après, le 27 janvier, l'empereur écrivait encore de Bruxelles à son ambassadeur : Touchant l'affaire du duc de Clèves il sera bien que continuiez la poursuite, et, si l'on ne peut avoir un cardinal, qu'il se face devant un évesque[90]. Ces dispositions convenaient trop bien aux deux parties pour ne pas être exécutées à la lettre. Le 5 avril 1545, le jour de Pâques, à l'issue de la grand'messe, en présence du cardinal de Tournon, de Pierre Palmier, archevêque de Vienne, de Philippe de Cossé, évêque de Coutances, de Philibert Babou, évêque d'Angoulême, de Pierre du Châtel, évêque de Mâcon, de Jehan de Saint-Mauris, ambassadeur de l'empereur, de Pierre Ménard, chanoine de l'église du Plessis, de Jehan Deschore, conseiller du roi, de Jacques Aulbery, avocat au parlement de Paris, de Jehan Rousbert, bourgeois de Tours, et de quatre notaires, Jeanne d'Albret renouvela, au cœur de la chapelle, ses protestations contre son mariage. Après avoir reçu la communion, elle donna lecture de ses déclarations antérieures, et, la main sur l'évangile, elle jura que le contenu audit escript et ès déclarations et protestacions par elle précédemment faictes sont véritables, et qu'elle y parsiste, veult et entend perséverer[91]. L'ambassadeur Saint-Mauris envoya les pièces à l'empereur le 9 avril. Le duc de Clèves entama immédiatement les démarches auprès de la cour de Rome. La négociation offrait certaines difficultés. Plusieurs docteurs trouvaient les protestations insuffisantes ; d'autres redoutaient d'avance les arguties et les subtilités insondables du droit canonique[92] ; Saint-Mauris prévoyait d'interminables lenteurs, sans compter les obstacles que pourraient faire naître le mauvais vouloir du roi pour le duc de Clèves et la condescendance du pape pour le roi[93]. Le 10 juin ; le duc et ses ministres tinrent un conseil, à la suite duquel le docteur Gropper fut chargé de poursuivre, auprès de l'évêque de Constance et de la daterie romaine, la solution tant désirée. Le conseil dressa une instruction détaillée, datée du 17 juin, dont la clause principale était de laisser entrevoir au pape qu'il était prudent de ménager le duc Guillaume, qu'un refus pourrait exaspérer ce prince et l'induire à se séparer de la religion catholique ; que d'ailleurs, s'il ne se mariait pas ou s'il n'avait pas d'enfants, ses états reviendraient de droit à l'électeur de Saxe, le plus acharné des princes luthériens. En même temps, le duc envoya en France un gentilhomme, le seigneur de Syberg, pour rendre au roi et à la reine de Navarre les présents qu'il avait reçus d'eux, et pour demander les mêmes restitutions à la princesse Jeanne. La mission réussit ; la plus grande partie des présents des noces était déposée chez Jovien Urseler, à Anvers ; la reine Marguerite donna les décharges nécessaires, et le docteur Olisleger les reprit, au nom du duc, pour une autre occasion[94]. Le départ de Gropper fut retardé par la pauvreté du trésor
de Clèves. Il passa le mois de juillet à Worms dans l'attente des 200
couronnes d'or qui lui étaient nécessaires. Il les reçut enfin le 27 juillet.
A Constance, l'évêque, supérieur diocésain du duché de Clèves, souleva une
première difficulté ; suivant lui, la dissolution ne pouvait être prononcée
qu'après une enquête. Le duc, sans repousser absolument cet arrêt, le
combattit vivement à cause de ses impossibilités d'exécution. Il espérait que
le pape serait moins rigoureux. Gropper arriva à Rome le 8 septembre, mais il
ne put obtenir une audience du pape avant le 2 octobre, malgré toutes les
recommandations des cardinaux impériaux. L'ambassadeur de France, le cardinal
d'Armagnac, s'efforçait d'entraver la négociation ; il avait circonvenu le
cardinal Farnèse, chargé de conférer avec Gropper[95].
Enfin, le 12 octobre, Paul III signa le bref demandé ; dans cet acte, il
rappelle que Jeanne n'a consenti à épouser le duc de Clèves que par violence,
per vim et metum, qu'elle n'a cessé de
protester contre son consentement ; que le duc n'a pu obtenir la consommation
du mariage ; enfin, dit-il, dissolvimus et
separamus teque ac Joannam, a mutuo vinculo matrimonii hujusmodi absolvimus
et liberamus, necnon tibi cum alia muliere ac eidem Joannte cum alio viro
matrimonium alias legitime contrahendi licentiam et facultatem concedimus[96].... En apprenant cette nouvelle, le duc montra une joie très-vive ; quelques jours après, il écrivit à l'évêque de Constance une lettre de remerciements où l'on remarque ces mots : Que le tout puissant soit loué et béni et nous accorde ce qui peut nous rendre heureux[97]. Les ambassadeurs clévois à Bruxelles, Adolphe Olisleger et Karl Harst, reçurent l'ordre de, demander officiellement à l'empereur la main d'une de ses nièces. Ferdinand avait deux filles, Anne et Marie ; le duc, averti par ses précédentes mésaventures du danger d'épouser des filles trop jeunes, préférait l'aillée qui était majeure[98] ; il n'obtint que la seconde. Le contrat est daté du 17 juillet 1546. En faveur de cette union, Charles-Quint concéda aux futurs époux, s'ils n'avaient que des filles, le droit de les laisser héritières de tous fiefs, principautés, comtés et pays, fiefs du saint Empire[99]. |
[1] Relation de Descurra de 1542 (Arch. nat., K. 4485, n° 46).
[2] Lettres du duc de Clèves, du roi, de la reine de Navarre, de Frotté, de Lavedan, écrites dans les premiers jours de juillet (Arch. de Dusseldorf, Julich-Berg, n° 17, f. 449, 446, 252, 253, 254, 255, 256).
[3] Lettre adressée à Ghogreff du 8 juillet 1541 (Arch. de Dusseldorf, Julich-Berg, n° 17, f. 167).
[4] Bulletin de l'Histoire du Protestantisme français, 1868, p. 374. Cette lettre est tirée de la collection Dupuy.
[5] Lettres de Charles-Quint à Marie de Hongrie du 19 février 1541 (Arch. de Bruxelles, Corresp. de Charles V avec Marie de Hongrie, t. II, p. 3, copie).
[6] La correspondance entre le marquis du Guast et Langey pendant les années 1540, 1541 et 1542 est conservée à la Bibliothèque nationale dans les volumes 5152, 5153, 5154 et 5165 du fonds français.
[7] Lettre de Guillaume Pelicier, évêque de Montpellier, ambassadeur à Venise, au roi, datée du 12 juillet 1541 (Négociations du Levant, t. I, p. 503, dans la Coll. du Doc. inéd.).
[8] Tout ce récit est pris des Mémoires de Martin du Bellay, s. de Langey, livre IX, et de diverses lettres publiées dans les Négociations du Levant, t. I, p. 501 à 518 (Coll. des doc. inéd.).
[9] Les deux lettres sont datées du 5 juillet 1541. Malheureusement elles contiennent tant de lacunes, par suite de leur état de dégradation, qu'à peine on peut en comprendre le sens (Arch. de Bruxelles, Corresp. de Charles V avec Marie de Hongrie, p. 58 et 59, copies).
[10] Archives de Bruxelles, ibid., f. 60, 61, 62 et 68.
[11] Mémoires de Martin du Bellay, liv. IX, et Négociations du Levant, t. I, p. 501 et suiv. (Coll. des doc. inéd.).
[12] Lettres de Charles-Quint des 16 et 26 juillet et lettre de Bonvalot du 3 août (Lanz, Correspondons des Kaisers Karl V, t. II, p. 315 et 324).
[13] Archives de Bruxelles, Coll. de doc. hist., t. VII, p. 24. Copie authentiquée ; l'original est à Vienne.
[14] Lettre de Charles-Quint du 26 septembre (Correspondens des Kaisers Karl V, t. II, p. 326).
[15] Lettre du sire de La Garde à Henri II du 18 avril 1553 (Bibl. nat., f. fr., vol. 20642, f. 60, copie). La Garde était arrivé le 28 juillet à Venise (Négoc. du Levant, t. I, p. 507).
[16] Lettres du roi, du cardinal de Tournon, de Cruser, de Jametz et surtout instructions du roi à Cruser, datées du 8 oct. 1541 (Arch. de Dusseldorf, Julich-Berg, n° 17, f. 278, 279, 287, 289, 291, 298 et 301).
[17] Lettres des conseillers du duc, de Cruser, de Charles du Bois écrites pendant le mois d'octobre (Arch. de Dusseldorf, Julich-Berg, n° 17, f. 283, 298, 311 et 315).
[18] Lettres du s. de L'Estranges, des conseillers du duc, du roi, du cardinal de Tournon et autres pièces écrites pendant octobre et novembre 1541 (Arch. de Dusseldorf, Julich-Berg, n° 17, f. 272, 275, 306, 320, 321, 334, 327 et 358). — Lettres de Marguerite au duc de Clèves (Ibid., f. 424 et 460). Les deux lettres de la reine de Navarre sont imprimées aux Pièces Justificatives.
[19] Mémoires de du Bellay, cités par M. Genin, t. II, p. 190, note, et le Cte de Laferrière, p. 48.
[20] Lettres de du Bois, du trésorier Le Grand ; quittances datées d'août, septembre, octobre et novembre (Arch. de Dusseldorf, Julich-Berg, n° 17, f. 315, 319, 325, 348, 349 et 358).
[21] Bulletin de l'Hist. du Prot. franç., 1868, p. 374.
[22] Lettres de Marguerite d'Angoulême, t. I, p. 373, 377, et t. p. 193.
[23] Lettres de du Bois et de la reine de Navarre (Arch. de Dusseldorf, Julich-Berg, n° 17, f. 324, 335 et 466). — La lettre de la reine Marguerite est imprimée aux Pièces Justificatives.
[24] Lettres des conseillers du duc, de Cruser, de du Bois, du duc, datées du mois d'octobre et de novembre (Arch. de Dusseldorf, Julich-Berg, n° 17, f. 310, 311, 283, 344, 298, 461, 462, 500, 504).
[25] Lettres de Jeanne d'Albret et de Marguerite de Navarre au duc de Clèves (Arch. de Dusseldorf, Julich-Berg, n° 17, f. 417, 466, 449, 463, 465). Ces lettres sont imprimées aux Pièces justificatives.
[26] Lettres du roi, de Marguerite, de Jeanne d'Albret, du duc de Clèves et de quelques-uns de leurs conseillers écrites pendant l'automne de 1541 (Arch. de Dusseldorf, Julich-Berg, n° 17, f. 293, 298, 315, 330, 465, 296, 427, 330, 425, 465, 466). Les lettres de Marguerite et celles de Jeanne sont imprimées aux Pièces justificatives.
[27] Lettres de Cruser et autres (Arch. de Düsseldorf, Julich-Berg, n° 17, f. 293, 33, 392 et passim).
[28] Olivier y prononça le 14 février un discours qui est imprimé dans Recueil de divers Mémoires, in-4°, 1622, p. 67.
[29] Tel est le nom que lui donnent les documents allemands ; peut-être est-ce François Olivier.
[30] Lettres de du Bois, du s. de Bernin, agent de François Ier à Düsseldorf, du roi, de Cruser, de Frotté, écrites pendant les premiers mois de 4541 (Arch. de Dusseldorf, Julich-Berg, n° 17, f. 347 à 499).
[31] Lettres de Marguerite au duc de Clèves (Arch. de Dusseldorf, Julich-Berg, n° 17, f. 423 et 427). Ces deux lettres sont imprimées aux Pièces Justificatives.
[32] Relation de Descurra, orig. (Arch. nat., K. 1485, n° 46).
[33] Lettre de la dame de Sainctye à Descurra, son frère, du 10 mai (Arch. nat., K. 1487, n° 65).
[34] Mémoire de Descurra (Arch. nat., K. 1485, n° 46).
[35] Voyez sur cette expédition les documents contenus dans les Négociations du Levant, t. I, p. 522 et suiv., dans les Papiers d'État de Granvelle, t. II, p. 612 et suiv. (Coll. des doc. inéd.). — On conserve dais les Archives de Dusseldorf un assez grand nombre de documents inédits sur cette expédition. Ce sont en général des rapports adressés au roi de France et transmis par lui au duc de Clèves.
[36] Lettres de Cruser du 1er et du 3 mai 1542 (Arch. de Dusseldorf, Julich-Berg, n° 17, f. 382 et 390).
[37] Journal de Vandenesse (Coll. Dupuy, vol. 560). — Le siège de Perpignan est raconté dans le livre I des Commentaires de Blaise de Monluc.
[38] Lettres patentes du 23 mai 1542, copie (F. fr., vol. 3005, f. 199).
[39] Lettres de Henri d'Albret au roi, f. fr., vol. 3005, f. 19.
[40] Cette campagne est racontée avec détails dans l'Hist. du Languedoc, t. V, p. 151, et note III, p. 629. — Voyez aussi dans le t. 43 de la Colleccion de los documentos ineditos un gros recueil de pièces sur le siège de Perpignan.
[41] Nouvelles de France transmises par un espion (Arch. nat., K. 1484, n° 145).
[42] Lettres de Cruser, du roi, de Serain, écrites en mai 1542 (Arch. de Dusseldorf, Julich-Berg, n° 17, f. 382, 484, 485, 486). — Lettres de Marguerite au duc de Clèves (ibid., f. 388). Cette lettre est imprimée aux Pièces justificatives.
[43] Rapport du héraut Arschott, prisonnier des Français du 25 juin au 9 juillet (Arch. de Bruxelles, Lettres des Seigneurs, t. I).
[44] Le comté de Ravenstein, dans le Brabant Hollandais, dans la vallée de la Mense.
[45] Plusieurs rapports d'espion, datés de juin et juillet 1542, adressés à la reine de Hongrie (Arch. de Bruxelles, Lettres des Seigneurs, t. I, p. 110, 418, 167, 173, 177, 380).
[46] Lanz, Correspondens des Kaisers Karl V, t. II, p. 350 et 364.
[47] Virton ou Verton, dans le duché de Luxembourg, entre Luxembourg, Arlon et Montmédy.
[48] Instructions du roi à Mandosse et réponses du duc de Guise des 15 et 29 octobre et 30 décembre 1542, copies (Bibl. nat., Coll. Clairambault, vol. 50, f. 7377, 7379, 7389, 7397).
[49] Lanz, Correspondens des Kaisers Karl V, t. II, p. 357 et 358.
[50] Correspondance de Charles-Quint avec son ambassadeur à Londres (Bull. de l'Acad. roy. de Belgique, 2e série, t. VII, p. 142 et suiv.). — Le rôle diplomatique de Marillac est plusieurs fois indiqué dans les documents conservés aux Archives de Dusseldorf, Julich-Berg, n° 17, passim.
[51] Lettres de Marguerite d'Angoulême, t. I, p. 197 et 202.
[52] Instruction à endosse du 11 nov. 1542, copie (Bibl. nat., Coll. Clairambault, vol. 50, f. 7889).
[53] Urkutsdenbuch für die Geschichte des Niederrheins, publié par le docteur Lacomblet, t. IV, 2e partie, p. 890.
[54] Papiers d'État de Granvelle, t. II, p. 664.
[55] Lanz, Correspondenz des Kaisers Karl V, t. II, p. 382. Lettre de la reine de Hongrie à Charles-Quint du 4 avril 1543. — Le rapport officiel d'après lequel cette lettre est écrite est conservé aux Archives de Bruxelles (Coll. de doc. hist., t. VII, p. 133).
[56] Extrait des reg. du Parlement (Coll. Clairambault, vol. 51, f. 7413).
[57] Extrait des registres du Parlement (Coll. Clairambault, vol. 54, f. 7421).
[58] Cette campagne est racontée dans le plus grand détail par Charles-Quint dans une lettre adressée à son fils (Bull. de la comm. roy. d'Hist. de Belgique, 2e série, t. VII, p. 154). Vandenesse raconte les mémos faits de la même façon ; les deux récits diffèrent un peu par les dates (Coll. Dupuy, vol. 560).
[59] Rapport venu d'Allemagne, sans date ni signature (Bibl. nat., F. fr., vol. 2965, f. 65).
[60] Lettre de Charles-Quint, déjà citée. — Journal de Vandenesse, id. — Tous les historiens, depuis Robertson, ont écrit que l'empereur avait fait massacrer tous les habitants.
[61] .....Y se hincaron de rodillas del ante de nos todos tres (Lettre de Charles-Quint déjà citée).
[62] Arch. de Dusseldorf ; Mémoire du docteur Harless dans Zeitschrift des bergischen Geschiehtsvereins, t. I.
[63] Journal de Vandenesse (Coll. Dupuy, vol. 560).
[64] Acte du 1er avril 1543 (4844) (Lacomblet, Urkundssibuch für die Geschichte des Niederrheins, t. IV, 2e partie, p, 687).
[65] Vidimus d'un sauf-conduit octroyé par l'empereur aux sujets de Clèves pour rentrer de France (Bibl. nat., f. fr., vol. 2757, f. 7).
[66] Dumont, Corps diplomatique, t. VIII, p. 264 et 266. Ces deux actes sont datés de Venloo, du 12 septembre 1543.
[67] Lettre de Charles-Quint à son fils, déjà citée.
[68] Ce dénombrement est contenu dans la lettre de Charles-Quint déjà citée.
[69] Lettre de François Ier du 15 sept. 1543. Copie et traduction en espagnol (Arch. nat., K. 1485, n° 62). Cette lettre avait été communiquée à l'empereur.
[70] Pontanus, Historiæ Gelricæ, 1639, p. 832.
[71] Lettres du duc de Clèves au roi, au dauphin, au duc d'Orléans, au roi de Navarre, à la reine Marguerite, à la princesse de Navarre, au cardinal de Tournon, à l'amiral Annebaut et au chancelier d'Alençon, datées du 30 septembre 1543 ; instruction du duc à Alexandre de Drimborn datée du 10 octobre (Arch. de Dusseldorf, Julich-Berg, n° 17, f. 504, 507 et suivants).
[72] Marguerite d'Angoulême, avant d'épouser le roi de Navarre, avait été promise à Charles-Quint. Voyez la Captivité de François Ier par M. Champollion, dans les Doc. inédits.
[73] Lettres de Marguerite d'Angoulême, édit. de la Soc. de l'Hist. de France, t. II, p. 235.
[74] Archives de Dusseldorf (Julich-Berg, n° 17, f. 513). Cette lettre est imprimée en entier aux Pièces Justificatives. — Le duc de Clèves en envoya une copie à la reine de Hongrie ou à Charles-Quint ; on la trouve aux Archives de Bruxelles (Coll. de doc. histor., t. VIII, p. 121).
[75] Lettre de Charles-Quint déjà citée. — Un rapport adressé au roi diminue ces chiffres à 40 mille (F. fr., vol. 2985, f. 65).
[76] Marguerites de la Marguerite, 1549, p. 58. — Blaise de Monluc loue le roi de sa retraite de nuit (Commentaires, t. I, p. 457, édit. de la Soc. de l'Hist. de France).
[77] Lettres de François Ier du 13 sept. 1543, copie (Arch. nat., K. 1485, n° 62).
[78] Lettre du duc d'Orléans au landgrave de Hesse et instruction à Antoine Maillet, 8 septembre 1543 (Arch. nat., K. 1485, n° 60).
[79] Mémoires de du Bellay, liv. VIII et IX.
[80] Bouillé, Hist. des Guises, t. I, p. 441 et suiv.
[81] Sommaire de chancellerie en espagnol (Arch. nat., K. 1462, n°68).
[82] Lettres de Karl Harst du 2 décembre 1544 (Arch. de Dusseldorf, Julich-Berg, n° 17, f. 533).
[83] Archives de Bruxelles, Coll. de Doc. hist., t. VII, p. 123, copie. — Cette pièce est imprimée aux Pièces Justificatives.
[84] Léonard, Recueil des traités de paix, t. II, p. 447.
[85] Protestations de la princesse ; lettres de Granvelle du 2 octobre 1544 (Arch. de Dusseldorf, Julich-Berg, n° 17, f. 571, 572 et 588).
[86] Lettres de Marguerite d'Angoulême, édit. de la Soc. de l'Hist. de France, t. II, p. 289.
[87] Lettre de Guill. le Coustelier du 11 octobre 1544 (Arch. de Dusseldorf, Julich-Berg, f. 654).
[88] Lettres du duc à l'électeur de Saxe, à Gropper, à l'évêque de Constance, datées du 17 octobre ; réponses des mêmes au duc ; lettre de Jovius du 18 octobre, et de l'électeur de Saxe (Arch. de Dusseldorf, Julich-Berg, n° 17, f. 527, 529, 531, 542, 546, 549, 541 et 550)..
[89] Papiers d'État de Granvelle, t. III, p. 37.
[90] Papiers d'État de Granvelle, t III, p. 52.
[91] Lettres de Marguerite d'Angoulême, t. II, p. 289. — Papiers d'État de Granvelle, t. III, p. 112.
[92] Lettres de Saint-Mauris du 9 avril, du 18 juin et autres pièces (Arch. de Dusseldorf, Julich-Berg, n° 17, f. 655, 656, 561, 578 et 597).
[93] Lettres de Saint-Mauris au grand commandeur de Léon (Arch. nat., K. 1486, n° 20).
[94] Délibération des conseillers de Clèves du 10 juin ; lettre de Ghogreff du 22 juin ; instruction à Gropper du 17 juin ; lettre du duc au pape du 30 juin ; instruction à Byberg du 1er juillet ; lettre d'Olisleger du 4 octobre ; lettre du duc du 24 août (Arch. de Dusseldorf, Julich-Berg, n° 17, f. 564, 583, 584, 589 ; — n° 16, pièces 4 et 6 ; — Ibid., n° 16 1/2, pièce 5).
[95] Correspondances entre Gropper, le duc et ses conseillers, de juillet à novembre 1545 (Arch. de Dusseldorf, Julich-Berg, n° 17, f. 591 à la fin du recueil).
[96] Ce bref est imprimé dans l'ouvrage de M. le docteur Lacomblet, Urkundenbuch für die Geschichte des Niederrheins, 1858, t. IV, 2e partie, p. 690.
[97] Lettre du duc à l'évêque de Constance ; réponse de l'évêque (Arch. de Dusseldorf, Julich-Berg, n° 17, f. 612, 582).
[98] Lettres de Ghogreff et du duc (Arch. de Dusseldorf, Julich-Berg, n° 16 et 16 1/2).
[99] Ordonnance de Charles-Quint, sans date (Bibl. nat., f. fr., vol. 3175, f. 145, copie). Ce recueil est consacré tout entier aux difficultés que suscita la succession de Guillaume de Clèves. — Le contrat de mariage est imprimé dans Urkundenbuch für die Geschichte des Niederrheins, t. IV, 2e partie, p. 692.
L'hypothèse prévue par l'ordonnance de Charles-Quint se réalisa ; les filles héritèrent du duché de Clèves. Le duc Guillaume eut deux fils ; l'aîné, Charles-Frédéric, mourut avant son père, à Rome, le 9 février 1575, à lège de vingt ans ; le second, Jean Guillaume, qui lui succéda, d'abord évêque de Munster, était attaqué de maladies nerveuses ; il mourut le 25 mars 1609 sans laisser d'enfants, bien qu'il eût été marié deux fois. Le duc Guillaume eut aussi plusieurs filles. L'ainée, Marie-Éléonor, avait épousé Albert-Frédéric de Brandebourg, duc de Prusse, et était morte en 1608. Elle avait laissé quatre filles, mariées aux marquis de Brandebourg, duc de Neubourg, duc des Deux-Ponts et marquis de Burgaw. Ces quatre gendres, en vertu des droits qu'ils prétendaient tenir de leur belle-mère, d'après la constitution de Charles-Quint, se disputèrent la succession de Jean-Guillaume de Clèves. Jean-Georges de Saxe, Charles de Gonzague de Clèves, duc de Nevers, seigneur français, et Robert de la Marck, tous héritiers de Jean Guillaume, plus ou moins directs par les femmes, y prétendirent aussi Henri IV se mettait en campagne pour se rendre l'arbitre de cette querelle lorsqu'il fut assassiné en 1610. Depuis, le marquis de Brandebourg, soutenu par la France, et le duc de Neubourg, soutenu par l'Espagne, se disputèrent cette succession les armes à la main. Le duché de Clèves, les comtés de Ravenstein et de la Marck restèrent enfin au premier ; les duchés de Juliers et de Berg au second. La paix des Pyrénées, en 1659, consacra cette division.