LE MARIAGE DE JEANNE D'ALBRET

 

CHAPITRE PREMIER.

 

 

Naissance de Jeanne d'Albret. — Son enfance et son éducation. — La reine Marguerite d'Angoulême. — Nicolas Bourbon. — Importance politique du mariage de Jeanne d'Albret. — Conquête de la Navarre espagnole par Ferdinand le Catholique. — Le roi de Navarre à Pavie. — Négociations de Henri d'Albret et de l'empereur Charles-Quint. — Don Juan Martinez Descurra. — Entrevue et trêve de Nice. — Jeanne d'Albret à Plessis-lès-Tours. — Charles-Quint traverse la France. — Il promet à François Ier la restitution du Milanais. — Il demande la main de Jeanne d'Albret pour son fils don Philippe.

 

Jeanne d'Albret naquit, le 7 janvier 1528, au château de Pau. Elle était fille de Henri d'Albret, roi de Navarre, et de Marguerite d'Angoulême, sœur de François Ier. Elle passa ses premières années au château de Longray, à Blois et à Alençon, ville principale du duché patrimonial de sa mère. Fille de roi, destinée à régner elle-même, Jeanne fut élevée comme une princesse de la maison de France. Elle eut pour gouvernante la dame Aymée de La Fayette, baillive de Caen, veuve de François de Silly, tué à la bataille de Pavie. En 1525, la baillive avait, accompagné Marguerite en Espagne et elle avait toujours gardé sa confiance[1]. Des dames et des demoiselles, un aumônier, Pierre Menard, un écuyer, René Perault, seigneur de Vaubravant, complétaient la petite cour de Jeanne d'Albret ; elle avait, en outre, une folle, destinée à la divertir, et un compagnon d'étude, maitre Jehan Morin, que Frotté appelle l'escolier de la princesse[2].

Nous avons peu de détails sur son enfance. Sa santé était mauvaise. En septembre 1537, la reine de Navarre écrit au grand maistre de Montmorency[3] que sa fille commence fort à s'amender. Mais deux mois après, à Blois, Jeanne fut prise d'accès de fièvre compliqués d'un flux, quy estoit, avecques sang et raclures, tant fort et furieux, que, sy Dieu au bout des vingt et quatre heures n'eust diminué la fièvre, son petit corps en avoit plus que sa portée[4]. Marguerite était à la cour, à Paris. Informée de la maladie de sa fille, elle voulut partir en toute hâte. Voici le touchant récit de Charles de Sainte-Marthe, panégyriste de la reine de Navarre[5] :

Le bruist fust à la cour, estant lors à Paris, que ceste bonne princesse tendoit à la mort. La vertueuse mere Marguerite, sur les quatre heures du soir, commanda leur admener sa lictiere, disant qu'elle vouloit aller vers sa fille et que chacun des siens déliberast de partir. Il n'y avoit rien de prest, les officiers et serviteurs estoient absents et équartés, tant par la ville de Paris que par les villages ; il estoit desjà basse heure (car ce fust aux plus courts jours), le temps estoit aussi contraire pour la pluye ; et ni sa lectiere, ni ses mulets de coffres n'estoient là auprès. Cela veoiant, la courageuse royne emprunta la lectiere de madame Marguerite[6], sa niepce, se met dedans, et contente de petite compaignie, deloge de Paris et s'en va jusques au Bourg la Royne. Quand ils feurent là venus, ne s'en alla descendre à son logis, ains alla tout droit à l'église, où, ainsi qu'elle vouloit entrer, digit aux assistans que le cœur lui signifloit je ne scay quoy de la mort de sa fille. Et les pries tous affectueusement se retirer et pour une petite heure au temple. Tous luy obéissent et en grand ennuy attendent leur maistresse à la porte de l'esglise. La sénéchale de Poitou[7], très fidele dame et très soigneuse de Marguerite, entra seule avec elle.

..... Marguerite, après sa priere faite, se leve, sort de l'esglise et trouve à la porte plusieurs grands personnages qui commencerent de luy donner courage par maintes bonnes consolations.

Après qu'elle eut souppé, de rechef commanda un chascun sortir de sa chambre ; et, quand elle eut quelque espace de temps vaqué à oraison, se feist apporter la Bible ; l'ayant ouverte, s'agenouille, et s'appuie sur un petit banc. Et comme elle vint (le Saint Esprit ainsi l'ordonnant) à s'arrester sur le passage où nous est récitée l'oraison que feist à Dieu Ézechie, roi de Juda, quand il demanda prolongation de la vie, après que le prophete lui eust annoncé la mort, sans que personne y pensast, de Loing M entendu venir un poste qui, au son de son cor, monstroit assez qu'il alloit en diligence. Adonc vous les eussiés tous veux chez la royne fort estonnés (ainsi que dit le proverbe), tenants le loup aux oreilles, car ils n'estoient encore bien asseurés quelles nouvelles le courrier apportoit.

Au signe de la poste, Marguerite se lave, court à la fenestre, l'ouvre, demande où va le courrier et quelles nouvelles il porte. Personne ne luy respond, car qu'eussent-ils peu respondre ? Si pour la consoler luy eussent dit qu'il apportoit bonnes nouvelles, et il eust esté aultrement, la vaine espérance de si courte joye eut possible renouvelé et de plus fort augmenté sa douleur et tristesse. Et si ainsi eust esté que sa fille Mt décédée, où est celuy qui eust voulu si souklainement luy dire et se faire messager de si triste fortune.

Veoyant Marguerite que personne ne luy respondoit, retourne à son oraison ; mais, ô Seigneur Dieu, de quelle affection d'esprit et de quelle ardente foy elle parloit à toy ! Et comme elle estoit ainsi demourée, entre crainte et espérance, Nicolas d'Anguye, lors de Séez, maintenant de Mende[8], au logis duquel le courier estoit descendu, s'en vint à la maison de la royne, frappe à la porte de sa chambre ; on luy ouvre, il entre et trouve ceste bonne princesse estant à genoils, la face inclinée contre terre et intentive à oraison. Un peu après, elle se lave et détournée vers le vénérable évêque : Monsieur de Séez, luy dist-elle, venez vous ici pour adnoncer à une dolente mère la mort de sa fille unique ? J'entens bien qu'elle est maintenant avec Dieu. Le très prudent homme, auquel une singulière piété de mœurs est conjointe avec une même érudition et exacte jugement, ne voulut émouvoir les esprits de la royne par une trop soubdaine joye ; aine très modestement luy respondit que véritablement sa fille vivoit avec Dieu, ains qu'avec luy vivent tous ceulx, l'esprit desquels vit par foy (car il est mort où il n'y a point dé foy), mais qu'elle estoit encore en ce monde, que son flux de sang estoit arresté et que les médecins envoyoient toute bonne et joyeuse nouvelle, ce qu'il avoit entendu par les lettres que le courrier avoit apportées. Quand Marguerite entendit ce propos, elle ne commença (comme plusieurs eussent fait) de monstrer une insolente et effrénée joye pour si bonne nouvelle ; mais, les mains levées au ciel, après qu'elle eust haultement loué la bonté de Dieu, très humblement le remercia.

Il était deux heures du matin quand cette heureuse nouvelle arriva à la reine Marguerite. Elle écrivit aussitôt à Montmorency une lettre qui nous laisse entrevoir dans quelle émotion avait vécu cette malheureuse mère depuis son départ de Paris : Il fault que je vous confesse que j'ay mené une vie depuis que je partis, qui me contraindra garder pour aujourd'hui la chambre, car la douleur que j'ai eue m'a gardé de sentir mon mal et ma lasseté ; ce que je sens maintenant à bon escient. Après un court repos, la reine de Navarre continua sa route. Elle trouva sa fille en voie de guérison ; la jeune princesse prenait de la rhubarbe et s'en trouvait bien ; le mal avait duré cinq jours. Marguerite la ramena de Blois à Tours et passa quelques jours auprès d'elle[9].

Marguerite voulut donner à sa fille une instruction élevée[10], à l'image de celle que recevait à la cour cette autre Marguerite qui protégea Ronsard et que le poète a rendue célèbre. La reine de Navarre, elle aussi, avait étudié presque toutes les sciences ; elle avait reçu de Robert Hurault et de Paul Paradis, sous la direction de Louise de Savoie, des leçons de littérature, de philosophie et même de latin et d'hébreu. Dans le choix du précepteur de sa fille, elle se laissa heureusement guider par sa sagesse plutôt que par ses préférences littéraires ; elle prit Nicolas Bourbon, poète latin, grammairien pesant et obscur, mais écrivain honnête. Bourbon, ainsi que la plupart des lettrés de son temps, avait eu des démêlés avec la Sorbonne. Il avait même été emprisonné avant 1534 comme suspect d'hérésie[11]. Devenu l'un des favoris de la reine Marguerite et le pédagogue de la princesse Jeanne, il composa plusieurs ouvrages pour son élève, une grammaire latine et une grammaire grecque, un abrégé d'histoire sainte en vers, des maximes et des préceptes en latin[12]. Ses œuvres, au milieu de beaucoup de subtilités et d'allusions dont le sens nous échappe, contiennent des détails familiers et curieux sur l'enseignement royal dont il était chargé. Il cherchait à instruire la princesse en l'amusant. La prise d'un oiseau, une fleur, une promenade, les jeux de la jeune fille avec un page, le moindre incident servait de prétexte à des rimes nouvelles. Quelquefois il l'accable de déclarations empreintes du mauvais goût du temps ; de nombreuses épîtres Ad Rubellam, ad puellam rubellam vantent sa beauté et nous apprennent qu'elle joignait aux grâces de son sexe les vives couleurs de la jeunesse ; tantôt il loue, tantôt il raille la fraîcheur de son teint. Dans le grand nombre de pièces légères qui remplissent le recueil des Nugæ, il s'en trouve peut-être qui ne sont que des exercices d'école et où l'élève a mis la main[13].

La jeune princesse se livrait aux jeux de son âge ; elle avait un perroquet, un écureuil, un maitre de danse, une jeune compagne, la petite Françoise ; mais, si nous en croyons les 'douces railleries de sa mère, Jeanne donnait déjà des preuves de son caractère impérieux, et la petite Françoise était souvent battue. Le château d'Alençon, dont les vieilles tours subsistent encore, attenait à un parc étendu. La princesse y entretenait six poules d'Inde et six coqs, les premiers de cette espèce que l'on ait vus en France. Elle était fort attachée à ces oiseaux, et, lorsqu'elle dut quitter Alençon, elle fit assigner à Pierre Beauchesne, parquier du chasteau, une rente annuelle de 34 livres 8 sols et 6 deniers pour leur entretien. Une partie des produits devaient être remis aux sœurs du couvent de l'Ave-Maria, fondé par la reine Marguerite[14].

Clément Marot a tracé de cette éducation royale un tableau charmant qu'il faut citer en entier. Jeanne était venue à Blois ; le poète lui prête cette épître à sa mère :

Voyant que la reine, ma mers

Trouve à présent la rime amere,

Madame, m'est gins fantaisie

De vous montrer qu'en poésie

Sa fille suis. Arriere prose

Puisque rimer maintenant j'ose.

Pour commencer donc à rimer

Vous pouvez, Madame, estimer

Quell' joye à la fille advenoit

Sachant que la mers venoit,

Et quelle joye est advenus

A toutes deux à sa venuë.

Si vous n'en scavez rien, j'espere

Qu'au retour du roy, vostre pers[15],

Semblable joye sentirez,

Puis des nouvelles m'en direz.

Or, selon que j'avois envie,

Par eau jusqu'icy l'ay suivie

Avenues mon bon perroquet,

Vestu de vert, comme un bouquet

De marjolaine. Et au dit lieu

M'ha suivie mon escurieu,

Lequel tout le long de l'année

Ne porte que robe tannée.

J'ay aussi, pour faire le tiers,

Amené Bure[16] en ces quartiers,

Qui monstre bien à son visage

Qui des trois n'est pas le plus sage.

Ce sont là des nouvelles nostres :

Mandez-nous, s'il vous plaist, des vostres,

Et d'autres nouvelles aussi,

Car nous en avons faute

Si de la court aucun revient,

Mandez-nous, s'il vous en souvient,

En quel estat il la laissa.

Des nouvelles de par deçà :

Loire est belle et bonne riviere,

Qui de nous revoir est si flore

Quelle en est enflée et grossie

Et en bruyant nous remercie.

Si vous l'eussiez donc abordée

Je croy quelle fast desbordée :

Car plus flore seroit de vous

Quelle n'a pas esté de nous :

Mais Dieu ce bien ne m'ha donné

Que votre chemin adonné,

Ce soit icy : et fault que sente

Parmy ceste joye présente

La tristesse de ne vous voir.

Joye entiere on ne peut avoir,

Tandis que lon est en ce monde :

Mais afin que je ne me fonde

Trop en raison, icy je mande,

A vous et à toute la bande,

Qu'Estienne, ce plaisant mignon,

De la danse du compaignon,

Que pour vous il ha compassée,

M'ha jà falot maistresse passée,

De fine force, par mon ame,

De me dire : Tournez Madame.

Si tort qu'ensemble nous serons,

Si Dieu plaist, nous jà danserons.

Ce temps pendant, soit loing, soit près,

Croyez que je suis faite exprès

Pour vous porter obéissance,

Qui prendra tousjours accroissance

A mesure que je croistray :

Et sur cela fin je mettray

A l'escrit de peu de veld

Par qui humblement vous salué

Celle qui est vostre sans cesse,

Jane de Navarre princesse[17].

Marguerite allait voir sa fille quand elle pouvait s'échapper de la cour. Ces entrevues étaient fort tendres et les séparations douloureuses. Il reste de l'une des visites de la reine de Navarre un monument admirable, une pièce de vers où elle laisse aller tout son cœur. Elle avait passé quelques jours auprès de sa fille ; au moment du départ, elle vient, avec ses dames, prendre congé d'elle. D'abord la dame de Gramont, dame d'honneur, exprime ses regrets ; puis, la sénéchale du Poitou, mesdemoiselles de Gramont, d'Artigueloube, de la Benestaye, de Clermont, de Brueil, de Saint-Pather disent chacune leur couplet. La petite Françoise elle-même ; forcée de quitter sa royale compagne, prononce ces vers charmants :

Plus j'ay de toy souvent esté battue

Plus mon amour s'efforce et s'esvertue

De regreter ceste main qui me bat :

Car ce mal là m'estoit plaisant esbat.

Or, adieu donc, la main dont la rigueur

Je préférois à tout bien et honneur.

La reine Marguerite, la dernière, fait ses adieux :

Si ces adieux font pleurer qui les oyt

Ou qui les list, ou sur papier les voit,

Que feroit si j'y mettois les miens ?

Par quoy vaut mieux que je n'y mette riens.

Mais à celuy, auquel sommes unis,

Sans estre plus séparez ny bannis,

Vois supplier que tant de biens nous face

Qu'icy et là demourions en sa grace[18].

Deux ans après la naissance de Jeanne d'Albret, Marguerite avait eu un fils, Jean d'Albret, qu'elle perdit, le R5 décembre 1530. La mort de cet enfant faisait tomber en quenouille le petit royaume de Béarn. Les regrets du roi et de la reine de Navarre sont attestés par ces vers de Marot, adressés en forme d'étrenne à leur unique héritière :

La mignonne de deux rois,

Je voudrais

Qu'eussiez un beau petit frere

Et deux ans de votre mare,

Voire trois[19].

L'héritage de la Navarre donnait au mariage de Jeanne d'Albret un grand intérêt politique. La Navarre n'était qu'un petit royaume sans richesses, sans places fortes, mais sa position lui donnait une grande importance ; entre les mains du roi d'Espagne, elle ouvrait les voies à l'invasion de la Guyenne ; entre les mains du roi de France, elle formait un poste avancé qui dominait la Castille. Elle comprenait, au commencement du XVIe siècle, le Béarn, la Biscaye et une partie de la province de Guipuscoa. La partie méridionale avait toujours excité la convoitise des rois d'Espagne. En 1512, pendant la querelle de Louis XII et du pape Jules II[20], Ferdinand le Catholique déclara la guerre à la France et demanda à Jean d'Albret, roi de Navarre, l'autorisation de traverser ses États avec son armée. Jean d'Albret était un allié fidèle de la France ; il refusa. Le duc d'Albe mit alors le siège devant Pampelune et prit la ville après trois jours d'attaque. Jean se retira au delà des Pyrénées. Sa fuite livrait le pays à l'ennemi. Le duc d'Albe n'eut aucune peine à faire reconnaître la domination de Ferdinand le Catholique. Le 30 juillet 1512, l'Espagnol victorieux déclare solennellement qu'il prend la Navarre pour la faire servir à l'usage de la sainte ligue dirigée contre le roi de France et qu'il la gardera, dit-il, tout le temps que nous le jugerons convenable au succès de nostre sainte entreprise, nous réservant exclusivement de décider à quelle époque et de quelle manière nous devrons plus tard faire la restitution dudit royaume à ses premiers maîtres[21].

Charles-Quint hérita de la Navarre comme des autres provinces d'Espagne, mais il n'en jouit pas sans remords. C'était un bien mal acquis, et tous les sophismes de la politique n'étouffaient pas ce souvenir dans la conscience du grand empereur. Pour pallier l'injustice de cette conquête vis-à-vis de peuples que la maison de Castille élevait dans le respect du droit divin, ses agents invoquaient une prétendue bulle du pape Jules II ; mais cette bulle est apocryphe[22] : Charles-Quint le savait mieux que personne. D'ailleurs, quelles que fussent les idées du temps sur l'infaillibilité du pape, un bref pontifical qui aurait dépossédé le roi de Navarre n'aurait pu créer un droit en faveur du roi d'Espagne. Pour concilier ses devoirs et ses intérêts, Charles-Quint s'était résolu à l'un de ces deux partis : ou obtenir, moyennant une compensation, le désistement de Henri d'Albret, fils et successeur du roi Jean, ou restituer la Navarre.

Quant à ce qui concerne le royaume de Navarre, bien que le roi catholique, don Ferdinand, mon ayeul, l'ait gagné et conquis, bien qu'il soit très-probable, comme nous le croyons nous-même, que ce tilt pour de justes motifs, la droiture de ce prince, la délicatesse de sa conscience et l'habitude qu'il a eue constamment de justifier toutes ses démarches, ne permettant guères d'en douter ; bien que, après avoir conquis ledit royaume, M'ait conservé et possédé plusieurs années, le laissant après sa mort à la reine, ma dame (ma mère) et à moi, comme souverains de Castille ; bien que nous l'ayons dès lors jusqu'à ce moment considéré nous-même nôtre et possédé de bonne foi ; néanmoins, pour plus grande sécurité de notre conscience, nous recommandons et ordonnons au S. prince don Philippe, notre fils et successeur dans tous nos royaumes et domaines, de sire examiner et vérifier le plus tôt possible, avec droiture et sincérité, si, en raison et justice, il est obligé de restituer ledit royaume, ou pour tout autre manière fournir dédommagement et compensation à qui que ce puisse être[23].

Les circonstances lui offraient un troisième moyen d'éteindre cette injustice. Henri d'Albret n'avait qu'une fille et Charles-Quint qu'unifia ; l'infant d'Espagne, plus tard Philippe II, né le 21 mai 1527, pouvait épouser la princesse Jeanne, née le 7 janvier 1528. Par cette alliance l'empereur réunissait sur la tète de son fils les deux couronnes d'Espagne et de Béarn et confondait dans une seule main leurs droits sur la Navarre. Ces desseins se trouvent consignés dans une note du 5 novembre 1539 ; après avoir examiné divers projets de mariage pour son fils, le grand empereur ajoute :

..... Aussy nous a semblé, comme encoires fait, que l'alliance avec la fille unique d'Allebrecht seroit plus à son propoz (du prince Philippe) quant audit eaige, et pour pacisfier et extaindre la querelle de Navarre, pour assheurance de nœdits royaulmes de pardeçà et leur oster l'occasion de guerre et des-pence grande et continuelle, et avec ce mestre en repoz de conscience nous et nostre dit flh et successeur de ladite querelle. Et soit que ledit mariaige se traite ou non, est nostre intencion et désir d'esclaircir et vuyder ladite querelle de Navarre comme nous treuverons estre de équité et hison ; et si Dieu nous appeloit premier, recommandons à notre dit fllz de s'en mettre en debvoir, soit par ledit mariaige ou aultrement[24].

Depuis le commencement de la guerre entre Charles-Quint et François Ier, le roi de Navarre avait toujours été l'allié du roi de France, mais la maison de Valois n'avait reconnu que par des actes d'ingratitude le dévouement des princes béarnais. En 1512, l'alliance de la France avait coûté la province de Pampelune à Jean d'Albret ; Louis XII n'avait fait que des efforts dérisoires pour la reconquérir. En 1524, Henri d'Albret avait suivi François Ier en Italie. Les aventures extraordinaires qu'il trouva dans cette terre classique des romans demandent à être racontées. Fait prisonnier à la bataille de Pavie, il avait été enfermé dans une tour, au château de la ville, et d'autant plus étroite. ment surveillé qu'il importait davantage à l'empereur de le retenir loin de ses sujets[25] ; il savait qu'il n'obtiendrait sa liberté qu'au prix d'une renonciation formelle à ses droits sur la Navarre.

Heureusement une dame qu'il aimait se dévoua pour favoriser sa fuite. Elle avait obtenu la liberté de pénétrer dans sa prison. Aidée par le baron François d'Arros, gentilhomme béarnais, elles pratiquas les deux capitaines chargés de sa garde, l'un espagnol, nommé Coimbres, l'autre italien, originaire du duché de Mantoue, celui même auquel le roi de Navarre avait rendu son épée à la fia de la bataille de Pavie. Un soir elle apporta, cachée sous ses vêtements, une échelle de corde. Pendant la nuit de Noël[26] les amis du prince attachèrent solidement l'échelle à la fenêtre de sa chambre. Coimbres descendit le premier ; le mi le suivit ; à la vue de l'abîme, il hésita, mais son valet de chambre, Francisco, lui représenta tous les engagements que la chancellerie espagnole exigerait de lui, outre sa rançon ; Henri se mit à descendre. Malheureusement la corde était trop courte. Le roi, arrivé au dernier échelon, mesura du regard la distance qui le séparait encore du fossé et se laissa tomber dans la vase. Il s'enfonça si profondément que le baron d'Arros et le capitaine mantouan, qui l'attendaient sur la berge, eurent de la peine à le dégager. Des chevaux, des guides sûrs avaient été préparés par la généreuse amie du prince. Henri d'Albret prit la fuite à toute bride et arriva sain et sauf à la frontière de France et quelques jours après à Lyon[27].

Un page, à peu près de son âge et de sa taille, François de Rochefort, seigneur de Viviers, du comté de Foix, avait pris place dans son lit. Lorsque le capitaine du château, responsable de la garde du prince, se présenta le matin pour s'assurer de sa présence, un valet de chambre l'avertit tout bas qu'il était un peu indisposé et qu'il venait de s'endormir. En même temps il souleva les rideaux et montra le lit occupé. Le gardien se retira discrètement. Ainsi à il l'entretint jusques après midi[28]. On ne s'aperçut de l'évasion du prisonnier qu'au bout de plusieurs heures ; on lança alors quelques cavaliers à sa poursuite, mais il avait trop d'avance pour être atteint. Par la fuite de Remi d'Albret Charles-Quint perdait le gage bien asseuré du royaume de Navarre. Au grand honneur des Espagnols le page ni le valet de chambre ne receurent autre dommage qu'une grande louange d'avoir constamment bazardé leur vie pour le service de leur maistre[29].

Malgré ces dangers courus, ces preuves de dévouement, la cause du roi de Navarre avait été abandonnée dans le traité de Madrid. François Ier s'était même engagé à lui demander le désistement de ses droits, et, en cas de refus, à ne luy bailler, directement ou indirectement, aide, faveur ou assistance contre ledit seigneur empereur[30].

Le mariage de Henri d'Albret et de Marguerite (24 janvier 1527) ne changea rien aux rapports des deux rois. François Ier se montrait de jour en jour plus désireux de l'alliance de son compagnon d'armes de Pavie et moins disposé à lui venir en aide. Des déplacements de troupes, des réclamations diplomatiques sans suite et beaucoup de promesses constituaient tout l'appui qu'il lui prêtait. Vers 4530 il chargea un agent, le sire d'Esparros, de préparer un coup de main en Biscaye. D'Esparros devait acheter le puissant Louis de Beaumont, comte de Lérins, connétable de Navarre, ancien serviteur de la maison d'Albret, rattaché depuis la conquête au parti espagnol. Le roi promu tait de fournir l'argent. Il fit même avancer quelques compagnies, mais avec l'ordre secret de ne pas dépasser la frontière. De Bayonne, le cardinal de Tournon[31] conduisait ces mouvements qui n'eurent aucun résultat. Seul, le roi de Navarre avait fait des armements sérieux. François e n'avait envoyé que des négociateurs ou des artisans d'intrigues[32].

Marguerite ne cessait de rappeler à son frère ses promesses. Par une délicatesse toute féminine, elle ne s'en ouvrait en propres termes qu'avec Montmorency[33]. Vis-à-vis du roi de France son insistance prenait les formes d'un dévouement absolu, d'une amitié fraternelle, qui sollicitait indirectement un peu de retour. Dans sa haine contre Charles-Quint, François n'avait des yeux que pour l'Italie et faisait converger toutes ses forces vers la conquête du royaume de Naples ou du Milanais. La présence de ses fils en Espagne, otages de l'exécution du traité de Madrid, et le paiement de sa rançon lui fournissaient un prétexte pour ne rien tenter en Navarre. Les enfants de France revinrent pendant l'été de 1530. Mais, ce prétexte enlevé, le rival de Charles-Quint ne se montra pas un allié plus actif. Les années se passaient et le prince béarnais voyait de l'autre côté de la frontière l'usurpateur de son royaume s'installer chaque jour plus solidement dans sa conquête.

L'intime amitié des deux rois, nouée par leurs malheurs communs à Pavie, s'affaiblit par degrés. Une certaine aigreur pénétra dans cette alliance que le mariage de Marguerite avait rendue indissoluble. Les lettres de la reine, celles de son époux paraissent inspirées du même dévouement, mais le prince se présente moins souvent à la cour ; excepté dans les circonstances où le roi semble enfin venir à son aide, son attitude n'est plus aussi franche. Ces dispositions devaient s'accuser de plus en plus.

L'empereur, négociateur pénétrant et habile, sachant attendre et choisir l'occasion, devina facile-. ment le secret de la mauvaise humeur du roi de Navarre. Elle servait merveilleusement ses desseins. François Sforza, duc de Milan, mourut le Ut octobre 1535 ; le roi de, France, comme l'héritier des Visconti par sa première femme, Claude, petite-fille de Valentine de Milan, réclama l'investiture du duché. Il leva une armée et se rendit à Lyon avec le roi et la reine de Navarre. L'hiver de 1535 à 1536 se passa tout entier en négociations. Au milieu de la préoccupation générale qu'excitait à la cour l'affaire du Milanais, un agent impérial, Jean de Hannart, vicomte de Lombeck, eut des entrevues secrètes avec la reine Marguerite[34] (février 1536). Henri d'Albret, sur l'ordre du roi, était reparti pour organiser les légionnaires de Guyenne[35]. Il avait avec lui un agent basque, don Juan Martinez Descurra, à demi espion, qui servait tour à tour et peut-être à la fois les deux gouvernements de Béarn et d'Espagne. Nous le verrons passer et repasser la frontière, chargé des propositions des uns et des réponses des autres, et, par une singularité rare en intrigues, investi d'une sorte de confiance des deux partis. Il était destiné à remplir les mêmes fonctions pendant longtemps ; on le retrouve encore, sous le règne de Charles IX, en Guyenne et à la cour de Pau, jouant le même rôle ambigu. A la fin de 1536, Henri d'Albret envoya Descurra à Valladolid ; Henri et Marguerite se présentaient comme médiateurs entre les deux grands rivaux. Une pièce en minute, émanée du Conseil d'État d'Espagne, nous apprend que l'empereur acceptait leur entremise officieuse, mais demandait qu'ils fussent autorisés officiellement[36].

Le prince espérait que l'établissement d'une paix durable, qui serait son œuvre, serait récompensé par la restitution de la Navarre[37]. L'empereur ne le désabusait pas et montrait même le désir d'une entrevue avec lui. Au commencement de 1537, la Picardie était le théâtre de la guerre et la campagne avait débuté par quelques succès du roi de France. Vers le mois de mars le roi de Navarre, bien instruit par Descurra des intentions de Charles-Quint, se rendit à Paris. Il vit le roi et Montmorency à Chantilly. François Ier ne rêvait que la guerre et se croyait assuré d'abattre son rival. Soliman menaçait l'empire d'Allemagne ; et la république de Florence, de tout temps dévouée à la cause impériale, était agitée par les émissaires français. Le roi détourna son beau-frère de l'entrevue désirée par Charles-Quint et repoussa hautement les propositions de paix dont il était porteur ; le prince retourna à Paris, découragé dans sa médiation. Huit jours après, tout était changé. Henri d'Albret, rappelé à Chantilly par un avis du grand maitre, trouva le roi découragé à son tour ; Soliman ne s'avançait pas ; Florence s'était calmée ; Henri VIII se montrait hostile à la France. Cependant François Ier ne pouvait se résigner à la paix ; il renvoya le roi de Navarre au lendemain pour une réponse définitive. Il lui parla avec amitié de leur ancienne alliance et de son désir de la cimenter à nouveau par un mariage entre Jeanne d'Albret et un prince français. Le lendemain, de bonne heure, le roi partit subitement sous un prétexte, sans voir le prince, comme pour échapper à l'obligation de se prononcer. Le roi de Navarre reçut quelques jours après, à Paris, un messager chargé d'une simple mission verbale ; François Ier mettait à la paix des conditions qui la rendaient impossible. Dans son dépit, le prince écrivit directement à l'empereur. Après lui avoir exposé ses démarches à Chantilly et à Paris et la mauvaise foi du roi, il traite, comme d'une clause à discuter, du mariage de sa fille et de l'infant don Philippe. Si le projet était admis, disait-il, on pourrait le dissimuler en paraissant s'occuper pour la princesse d'une alliance avec Henri de Foix, comte de Comminges, fils du maréchal de Lautrec, descendant des anciens comtes de Foix et parent de la maison d'Albret, ce qui permettrait à son père de la conduire en Béarn. Cette précaution prouve qu'il n'était pas absolument libre de disposer de sa fille.

Ainsi le roi de Navarre venait de lui-même aux projets de l'empereur. Charles-Quint cependant dissimula son empressement. Après avoir discuté ces propositions en conseil, il arrêta les points suivants : ménager le prince et la princesse d'Albret et poursuivre les négociations avec eux, surtout celles du mariage proposé ; leur conseiller évasivement de retirer leur fille des mains du roi de France[38]. On s'étonne de ces hésitations ; mais François Ier était prêt à signer un traité d'alliance avec le sultan Soliman[39] et l'empereur voulait se réserver sa liberté d'action.

Le dépit de se voir éconduit avait jeté Henri d'Albret dans les lacets de la politique impériale. Le roi de France pressentit le danger de voir ses plus fidèles alliés passer à l'ennemi. Vers la fin de niai, Henri et Marguerite étaient en chemin pour rejoindre la cour à Hesdin ou à Amiens. De là ils devaient aller chercher Jeanne d'Albret à Alençon et la conduire en Gascogne. La jeune princesse venait d'être malade à propos d'un grand devoyement d'estomach[40] et le désir de rétablir sa santé pouvait servir de prétexte. En route, à Sully, ils reçurent un message de François Ier. Le roi leur proposait l'envoi sur la frontière d'Espagne d'un corps de 17.000 hommes, composé de mercenaires allemands et de levées gasconnes. Henri d'Albret accueillit froidement cette offre qu'il ne jugeait pas sérieuse. Cependant il revint à Paris. Il tomba malade et fut obligé de garder le lit pendant dix jours. On tint de nombreux conseils. au chevet du prince béarnais. Marguerite, suivant un rapport de Martinez Descurra, cherchait à faire prévaloir l'alliance de l'empereur ; suivant Jean de Hamme, elle tenait le parti de son frère ; cette appréciation est la plus vraisemblable ; les conseillers du prince inclinaient du côté du roi de France. Un seul, le seigneur de Barbezieux, était d'un avis différent ; il rappelait sans cesse à.son maitre la vanité des promesses du roi. Ces discussions fatiguaient le malade sans l'éclairer ; il ne prit aucun parti. Au bout de peu de jours arrive un nouveau messager du camp. Le roi voulait transporter la guerre en Navarre ou en Catalogne. Montmorency se faisait fort de prendre Perpignan en quinze jours[41]. Mais le roi exigeait 100 mille francs de subsides et ne s'engageait à payer l'armée expéditionnaire que pendant deux mois ; passé ce délai, la solde restait à la charge du trésor de Béarn. Cette dernière clause paraissait d'autant plus rigoureuse que François Ier allait recevoir de Soliman, son nouvel allié, un million en or. La proposition livrait le roi et la reine de Navarre à de nouvelles perplexités. Une campagne au-delà de la Bidassoa répondait à un vœu ardent, longtemps caressé sans espoir. Ils hésitaient, quand l'indiscrétion d'un capitaine (Descurra ne le nomme pas) leur apprit que les offres du roi étaient un leurre, qu'il ne voulait rien tenter en Navarre, mais seulement rompre les négociations de la maison d'Albret avec l'empereur. Le prince sut réprimer sa colère ; il répondit au message du roi que le Béarn repoussait la guerre et ne voulait s'agrandir que pacifiquement[42].

La maladie du roi de Navarre interrompit les négociations. Au mois de juin, il acheva sa convalescence au château de Saint-Cloud, qui appartenait alors à l'évêché de Paris. A la fin du mois, il alla à Vanves. Il s'y est assez bien trouvé, écrit la reine Marguerite, et commence à se pourmener par la chambre[43]. Aussitôt rétabli, il revint en Béarn avec la reine. La guerre était partout. L'armée espagnole menaçait les frontières du Sud ; Marguerite craignait ou feignait de craindre une irruption des Espagnols sur Dax et Bayonne[44]. De l'autre côté des Pyrénées, les agents impériaux éprouvaient des craintes analogues ; un rapport d'espion signale Henri d'Albret comme prêt à envahir la Castille, au mois de février, à la tête d'une armée de 6.000 hommes[45].

Au commencement de 1538, le pape Paul III se posa en arbitre ; il prit le rôle de médiateur où Henri d'Albret avait échoué l'année précédente ; il convoqua les deux rivaux à une entrevue décisive à Nice. Le roi consentait à rendre au duc de Savoie quelques-unes de ses villes, mais non les places fortifiées et l'artillerie ; il demandait en outre la restitution de la Navarre à la maison d'Albret[46]. Charles-Quint ne voulait rien promettre. Cependant, au mois de mars, il envoya à Pau, dans le plus grand secret, un agent, don Martin de Salinas, chargé d'inviter le roi et la reine de Navarre à se rendre à Nice, chargé surtout de tout voir, de tout entendre et de tout rapporter[47]. Charles-Quint et François Ier se réunirent à Nice au mois de juin ; ils ne se virent pas, mais ils signèrent une trêve de dix ans (18 juin 1538). L'entrevue eut lieu quelques jours après à Aigues-Mortes, du 14 au 17 juillet[48]. Henri d'Albret et Marguerite étaient au rendez-vous, mais il est douteux qu'ils aient pu conférer avec l'empereur en secret. Pendant les trois jours qu'il passa auprès du roi de France, les minutes étaient comptées et l'emploi du temps réglé par une étiquette minutieuse. Les conseillers des deux rois et même les agents secondaires se surveillaient trop bien mutuellement pour pouvoir mener des négociations à l'insu les uns des autres. Le mariage de l'héritière du Béarn, la restitution de la Navarre ou l'abandon d'un équivalent étaient des affaires trop graves pour être résolues précipitamment. La politique impériale n'avait pas l'habitude de s'engager en courant. Il n'y eut donc point d'accord entre les deux maisons d'Albret et d'Espagne ; du moins les documents sont4ls muets. La seule proposition relative à Jeanne qui fut agitée à Aigues-Mortes ou à la suite de l'entrevue émane de la reine de France, Léonor de Castille, sœur de Charles-Quint, princesse étrangère à toute menée politique. Elle mit en avant le mariage de la princesse et de Maximilien, fils de Ferdinand, roi des Romains et de Hongrie, propre neveu de Charles-Quint. Les âges des deux princes autorisaient cette alliance ; Maximilien, né le 1er août 1527, avait six mois de plus que Jeanne. Mais la convenance d'âge était la seule. L'union avec un prince allemand, dont rien alors ne faisait prévoir la haute fortune[49], ne pouvait plaire ni à la maison d'Albret, ni à la maison de France, et demeurait fort indifférente à l'empereur. L'ambassadeur espagnol, en communiquant cette proposition à son maître, souligne la préférence du roi de Navarre pour l'infant Philippe[50].

Arnould du Ferron raconte, mais comme un bruit absurde, délira fabula, que les négociations poursuivies depuis deux ans par Charles-Quint et Henri d'Albret furent découvertes par Charles de Gramont, archevêque de Bordeaux, lieutenant en Guyenne. Le Ferron était bien placé pour connaître la vérité ; cependant il n'accueille pas ces bruits populaires et les traite de calomnieux : Abhorret hoc a fide regis Navarræ in regem, pictate sororis in fratrems, benevolentia eorum in Grandimontanum[51]. Il était mieux informé qu'il ne le croyait.

François Ier avait prévu les difficultés que le mariage de sa nièce donnerait à sa politique. Les ambassadeurs impériaux insinuent souvent dans leurs lettres que le roi et la reine de Navarre n'étaient pas absolument libres de disposer de leur fille. Le meilleur moyen de mettre cette héritière à l'abri de toute compétition était de la marier, mais à l'époque de la trêve de Nice aucun fils de France n'était disponible. Le dauphin, objet secret de l'ambition de Marguerite pour sa fille, était mort à Tournon le 12 août 1536[52]. Le second fils du roi, plus tard Henri II, avait épousé à Marseille, le 4 octobre 1533, la nièce du pape, Catherine de Médicis. Le troisième, qui prit le nom de duc d'Orléans après la mort de son frère aîné, était encore libre. Marino Giustiniano, ambassadeur de la République de Venise, rapporte qu'on parlait à la cour, dès 1535, de son mariage avec Jeanne d'Albret[53] ; mais François Ier visait à de plus grandes alliances ; il demandait ou une fille du roi d'Angleterre ou une fille de l'empereur avec le duché de Milan en dot. Il proposait au roi de Navarre Antoine de Vendôme, fils aîné du duc de Bourbon, et le plus proche héritier du trône après les Valois. Ce prince appartenait à une branche de la maison royale disgraciée depuis la défection du connétable de Bourbon ; il était pauvre et sans avenir. Sa disposition à la prodigalité, sa légèreté, son caractère futile ne convenaient pas à la rigide cour de Marguerite. Ces projets matrimoniaux se tramaient sans conclusion quand le roi fut informé des pourparlers de Charles-Quint et de Henri d'Albret. Dès ce jour il n'épargna rien pour empêcher Jeanne de passer à l'ennemi.

Sa première mesure fut de retirer sa nièce du château d'Alençon. Il résolut de l'envoyer dans une province commandée parties officiers dépendant de lui seul et dans un château facile à garder, à l'abri d'un coup de main. Il y avait en Touraine un vieux manoir féodal, rempli encore, après un siècle, des sombres souvenirs de Louis XI, le Plessis-lès-Tourte. Il était entouré d'une première enceinte, armée de grosses tours, et d'une seconde enceinte doublement fortifiée. La maison était garnie, dit Comines, de gros barreaulx de fer, en forme de grosses grilles ; et aux quatre coings, quatre moyneaulx de fer, bons, grana et espès. Lesdites grilles estoient contre le mur, du costé de la place ; de l'aultre part du fossé plusieurs broches de fer massonnées dedans le mur, qui avoient chascune trois ou quatre pointes fort près l'une de l'aultre[54]. Dans le parc, François de Paule avait élevé un couvent de Minimes dont la façade sévère bornait la vue du château. C'est là que François I' voulut que sa nièce fût élevée. La demeure favorite de Louis XI était un triste séjour pour une princesse de la Renaissance habituée à toutes les recherches de la cour ; mais ni le roi et la reine de Navarre, ni la jeune fille elle-même ne furent consultés. On l'y conduisit avec son cortège d'officiers et de serviteurs[55]. En changeant de résidence elle perdait les divertissements qui avaient fait le bonheur de son enfance. Les cours étroites, garnies de moyneaulx de fer bons, grana et espès remplaçaient le vaste parc d'Alençon. Cependant on peut croire que Pierre Olhagaray exagère en dépeignant sa douleur : Elle remplissait sa chambre de plaintes, l'air de soupirs, lâchant la bonde aux larmes. L'ébeine de sa face, comme une des plus belles princesses de l'Europe, se desteint par l'abondance de ses pleurs[56].

L'établissement et l'entretien de la maison de Jeanne épuisaient le trésor du roi de Navarre. Le prince n'était pas riche. Son domaine patrimonial, comprenant les terres situées en Gascogne, en Bigorre, dans les comtés de Foix et d'Astarac, ne rapportait annuellement que 30.000 livres[57]. Il n'était pas encore lieutenant du roi en Guyenne ; il ne le devint qu'en 1542 aux gages de 10.000 livres[58]. Comme prince souverain du Béarn, il ne recevait que les subsides nécessaires à son administration royale, et, depuis plusieurs années, toutes ses économies servaient aux fortifications de la ville de Navarrains. De temps en temps, il est vrai, les États votaient des subventions extraordinaires à leur prince. C'est ainsi qu'en 1539 ils accordèrent 10.000 écus au roi et 1.000 à Jeanne d'Albret[59], peut-être à l'occasion du déplacement d'Alençon. Marguerite, comme princesse du sang de France, touchait une pension de 25.000 livres. Telles étaient, avec son douaire de 40.000 livres et ses biens personnels[60], ses uniques ressources pour faire face aux frais de sa vie à la cour, du train de sa fille et de ses aumônes. Françoise, qui avait exigé la formation de l'établissement de Plessis-lès-Tours, avait promis de prendre sa part des dépenses ; mais, appauvri par ses prodigalités et les guerres d'Italie, il ne paya jamais que de promesses la maison de sa nièce.

Au moment où François Ier prenait ces précautions contre le mariage de Jeanne, il était l'allié, presque l'ami de Charles-Quint. Les deux grands rivaux observaient la trêve de dix ans signée à Nice, et l'empereur, plein d'une confiance imprévue, se disposait à traverser la France. La ville de Gand avait chassé les officiers impériaux et s'était offerte au roi. Les comtés de Flandre et d'Artois étaient d'une beaucoup plus grande valeur que le Milanais, pour lequel François Ier avait dépensé tant d'efforts et d'argent ; cependant le roi refusa l'offre des Gantois. Bien plus, par excès de loyauté, il en informa Charles-Quint, alors en Espagne. Tant de générosité tirait l'empereur d'un pas difficile. Il était obligé d'atteindre rapidement les révoltés gantois pour empêcher le soulèvement de se propager dans un pays fier, mécontent, et pourvu de richesses inépuisables ; des deux routes qui pouvaient le conduire en Flandre, la première, celle d'Italie et d'Allemagne, exigeait près d'une année à cause du cortège de troupes que la sûreté de sa personne l'obligeait à conduire avec lui ; la seconde, celle de la mer, était dangereuse à cause de l'hostilité du roi d'Angleterre[61] et de la mauvaise saison. Charles-Quint se décida à demander au roi, par le capitaine Le Peloux[62], l'autorisation de traverser la France. Le roi répondit de sa propre main le 7 octobre 1539 ; il accordait le passage avec la courtoisie d'un chevalier français et promettait à l'illustre voyageur tout honneur, recueil et bon traitement que faire se pourra. Il ajoutait : Et yray, s'il vous plaist me le faire scavoir, au-devant de vous jusques au milieu de vos pays pour vous quérir et accompaigner, et y meneray mes enffans que trouverez prets à vous obéyr et pareillement tout ce que sera en ma puissance et dedans ce dit royaulme duquel vous disposerez entièrement comme du vostre. Le dauphin, le roi et la reine de Navarre, le connétable, le cardinal de Lorraine adressèrent en même temps à l'empereur des instances pressantes[63].

Charles-Quint prépara son voyage. Avant son départ il fit un testament et laissa des instructions détaillées à son fils[64]. Ces deux pièces sont datées du 5 novembre. Sept jours après, le 12[65], il quitte Madrid avec toute sa maison ; le 13, il arrive à Ségovie, le 20 à Valladolid. Là il prend la poste et part à franc étrier, accompagné du duc d'Albe, du sire de Boussu, de don Pedro de la Cueva, maitre d'hôtel, de Rye, sommelier, du comte d'Egmont, de don Henri de Tolède, des seigneurs de La Chaux, de Flaigy et d'Arbays, gentilshommes de sa chambre, de Bave et d'Idiaquez, secrétaires, et de quelques serviteurs. Son chancelier, Nicolas Perrenot de Granvelle[66], était parti le 1er novembre et le précédait à petites journées, sur sa mule. Le 23, l'empereur arrive à Burgos, le 24 à Vittoria, le 26 à Saint-Sébastien, où l'attendait son ambassadeur en France, François de Bonvalot, abbé de Saint-Vincent[67].

Le roi de France se préparait à étonner son rival par sa magnificence. Les splendeurs du camp du drap d'or devaient être renouvelées. Il avait envoyé son fils à la frontière d'Espagne. Le 26 novembre, avant d'arriver à Fontarabie, les courriers de l'empereur signalèrent une troupe de cavaliers qui marchaient vers eux ; c'était le cortège du duc d'Orléans. Charles-Quint et le prince mirent pied à terre, se découvrirent et s'embrassèrent ; puis, remontant à cheval, ils cheminèrent côte à côte. Le lendemain, à une lieue de Bayonne, ils rencontrèrent le dauphin, accompagné de Montmorency, connétable depuis le 10 février 1538, et du cardinal de Chastillon. Le soir un grand souper réunit le monarque, les princes et leurs ministres. Il y avait tant de cordialité dans la réception des princes que l'empereur s'applaudissait de son voyage. Il écrivit de Bayonne, le 28 novembre, à don Francisco de Los Covos, commandeur de Léon, que tout allait bien et que le temps était meilleur qu'au départ[68]. Le lendemain, le temps avait changé ; il neigeait. Les gens de l'empereur avaient laissé leurs capes d'hiver à Fontarabie pour paraître avec plus d'éclat ; ils manquaient de vêtements chauds ; Idiaquez constate avec tristesse que les Français s'occupaient peu de leurs compagnons de voyage[69].

Le 1er décembre, Charles-Quint arriva à Bordeaux et fut reçu à la porte du Chapeau-Rouge par le Parlement ; le maire lui offrit les clefs de la ville en argent. La pluie tombait ; on décida le premier président à suspendre sa harangue jusqu'à ce que l'empereur fût à l'abri[70]. L'auguste voyageur souffrait de la poitrine. Quelques jours de repos le rétablirent[71]. Jusqu'à ce moment sa marche avait été très-rapide, mais, à partir de Bordeaux, il se résigna à de moins longues étapes[72]. Le 5, il est à Châteauneuf, le 8 à Lusignan ; le 9, il entre à Poitiers par un beau jour d'hiver, clair et serein. Le gouverneur, François de la Trémoille, le conduisit à l'évêché, orné en l'honneur de ses hôtes des tapisseries de la maison de la Trémoille. Le lendemain matin, au lever de Charles-Quint, le maire lui présenta un groupe d'argent doré, ciselé, représentant un aigle sur un rocher près d'un lys avec cet exergue : Ex omnibus floribus mundi elegi lilium unum. Après la messe, l'empereur monta à cheval et alla dîner au château du Fou chez le sire de Montpezat[73].

François Ier s'avançait au-devant de son hôte ; le 5 décembre, il couche à Orléans, le 6 à Amboise. Le 10, l'empereur arrive à Loches. Le roi l'attendait à l'entrée du château, accompagné du roi de Navarre, du duc de Somme et d'une foule de seigneurs. Les deux monarques s'avancèrent de front jusqu'au pied de l'escalier où se tenait la reine Léonor, sœur de Charles-Quint, la reine de Navarre, la dauphine, Catherine de Médicis, Marguerite, fille de François Ier, Jeanne d'Albret et la duchesse d'Estampes[74], à qui l'étiquette de la cour permettait de jouer un rôle, même dans les solennités d'apparat[75].

Le 1 3 décembre, les deux rois arrivèrent à Chenonceaux et le 11 à Amboise. On montait à la cour d'honneur du château d'Amboise par une poterne circulaire, en degrés, bâtie dans un immense donjon, assez large pour un nombreux cortège. Le roi voulut y faire une entrée de nuit ; la tour était aornée de tous les aornemens dont on se pouvoit adviser et tant garnie de flambeaux et autres luminaires qu'on y voyoit aussi clair qu'en une campagne en plein midy. Les deux rois étaient à mi-chemin quand un page, portant une torche, mit le feu aux tapisseries. En un instant la tour fut toute enflambée, rendant si grant chaleur et lumiere pour non avoir yssue par dehors que Sa Majesté et tous les présens pensarent estouffer, et, pour la grant multitude qui suivoit, ne fut possible reculer. Le feu s'éteignit bientôt, mais le roi irrité voulait faire pendre le page malavisé ; à quoy Sa Majesté l'empereur obvia, voyant que la chose estoit advenue par inconvénient et succédée à bien[76].

Le 16, la cour est à Blois, le 18 à Chambord, le 19 à Notre-Dame de Cléry. Le 20 au matin les arquebusiers d'Orléans donnèrent le réveil-matin à l'empereur. La ville avait fait de grands préparatifs de fête ; elle avait emprunté de l'artillerie aux seigneurs voisins, dressé des arcs de triomphe, sablé toutes les rues, tapissé les maisons, illuminé les fenêtres, préparé de grands feux de joie sur les murs et dans les clochers, habillé tous les bourgeois capables de porter des armes de parade[77]. L'empereur entra à trois heures de l'après-midi ; il logea à l'hôtel de Saint-Aignan, dans l'appartement du roi. Fatigué et malade il ne put souper, mais il mangea des confitures et but du vin d'Orléans, alors fort renommé. Le lendemain matin, à son réveil, les échevins lui présentèrent une table d'argent doré estimée 2000 écus. Après la messe il partit pour Arthenay avec le roi[78]. A cette époque la route de Paris à Orléans était déjà pavée ; elle excita l'admiration de l'empereur.

Chaque étape était marquée par des fêtes. Le 24 décembre, Charles-Quint arriva près de Fontainebleau où le roi l'avait précédé. A son entrée dans la forêt, il fut reçu par une troupe de seigneurs et de dames, déguisés en dieux et déesses bocagers, qui exécutèrent une danse rustique au son du hautbois. Fontainebleau, la résidence de prédilection du roi, se prêtait à toutes les splendeurs ;' la grande allée était ornée de girandoles et d'arcs de triomphe. Un souper suivi d'un bal avait été préparé dans la galerie. Les jours suivants les fêtes, les chasses, les bals continuèrent sans relâche[79].

Le 31 décembre, l'empereur coucha au château de Vincennes[80]. Le lendemain matin, il déjeuna au couvent de Saint-Antoine-des-Champs, avec le Dauphin, le duc d'Orléans, le roi de Navarre, le duc de Lorraine et les principaux seigneurs de sa suite. Après le repas il reçut successivement l'Université et ses suppôts ; les moines et gens d'église ; le chancelier de France ; les échevins de la ville ; le Parlement, précédé de ses huissiers à verge, des quatre notaires, des greffiers, les présidents en robe d'écarlate fourrée avec chaperons de velours brodé d'or, les conseillers en robe rouge ; la cour des comptes ; le légat, accompagné des cardinaux ; les deux cents gentilshommes de la maison du roi et une foule de seigneurs. Le premier président[81] prononça un discours par harangues et parolles si haultes et magnanimes que la sacrée Magesté imperiale fast bien joyeulx de les ouyr. Malgré la présence de son chancelier, l'empereur daigna répondre de sa propre bouche qu'il desiroit que les vertus qu'on luy avoit attribuées feussent en luy et que le zele et conservation de la paix avec le roy ne luy defauldroit.

Le cortège s'ébranla après les réceptions. Marot nous apprend que la veille il avait plu, mais que le jour de l'entrée fut clair et serein :

Lorsque, César, Paris il te pleut voir

Et que pour toy la ville estoit ornée,

Un jour devant il ne feit que plouvoir

Et lendemain claire fut la journée[82].

Une foule immense emplissait les rues ; bourgeois et manants de Paris, avides alors comme aujourd'hui de spectacles et de fêtes, s'étaient 'portés vers les ruelles étroites du quartier Saint-Antoine. La maison du roi et le roi de Navarre ouvraient la marche. Ils étaient suivis des ducs, contes, princes et seigneurs de la maison impériale, accoustrez de robes de velours fourrées de martre, robes à passemens d'or, chaisnes d'or en écharpes, bonnetz triumphans de velours ferrez d'or, ymaiges et enseignes d'or, montez tous sur beaulx genetz d'Espaigne, bien en ordre, lesquelz il faisoit bon veoir. Le chancelier, Guillaume Poyet, vêtu de velours cramoisi et d'un manteau d'écarlate fourré d'hermine, monté sur sa mule, escortait les sceaux du roi renfermés dans un coffre recouvert de drap d'or et porté par une haquenée. Le grand écuyer du roi et celui de l'empereur, le duc de Guise, grand chambellan, les cardinaux, le connétable, habillé de drap d'or, portant l'épée impériale nue, suivaient le chancelier. L'empereur, en grand deuil de l'impératrice, Isabelle de Portugal, morte le 1er mai 1539, portant le collier de la Toison d'or, montait un cheval noir caparaçonné de drap noir ; il avait à ses côtés le dauphin et le duc d'Orléans, vêtus de robes de velours noir, garnies de passements d'or et d'argent. Six cardinaux et six évêques reçurent l'empereur à la porte Saint-Antoine, sous un arc de triomphe, et lui présentèrent les clefs de la ville. Les échevins lui offrirent ung ciel tout de fin drap d'or, tout semé des aigles noirs, lequel ciel luy fut mis dessus et porté par les mitres jurés de la ville. Pendant cette cérémonie, la Bastille faisait feu de son artillerie, bombardes, canons, couleuvrines, harquebutes à crochet, mortiers, serpentines et autres grosses pieces.

Le cortège entra par la rue Baudoyer, suivit la rue Saint-Antoine, passa devant l'hôtel de Montmorency[83], où la cour était aux fenêtres, et s'arrêta à Notre-Dame. Le roi attendait l'empereur au pied de l'escalier du palais de justice ; ils montèrent ensemble dans la grande salle et prirent place au banquet, l'empereur et le roi au haut bout ; le dauphin, le duc d'Orléans, le légat du pape, le roi de Navarre, les cardinaux de Bourbon et de Lorraine, les ducs de Vendôme et de Lorraine au-dessous d'eux. Debout à la table de marbre, le connétable faisait son office de grand-maistre ; le sire d'Enghien, d'écuyer tranchant ; le comte d'Aumale, de panetier ; le prince de la Roche-sur-Yon, d'échanson. Après le souper, la reine, les princesses et toutes les dames parurent et la fête commença : Vindrent momeries de diverse sorte tant pompeuses, braves et mignons que c'estoit chose merveilleuse à regarder.... Après icelles momeries y eut farces, tragédies et mots dorés triumphans. Le bal suivit le spectacle. Les jeunes seigneurs français rivalisèrent avec les Espagnols ; tous se parforcèrent de démontrer agilité de corps, faisant saulx, gambades, pas de mesures qui sembloient droictement que les muses les guidassent.

Vers minuit, les officiers du roi conduisirent l'empereur dans une salle tendue de drap d'or et de broderies. L'infortunée victime d'un si généreux accueil put enfin se reposer. Charles-Quint était dans lm état de santé qui donnait de l'inquiétude à ses serviteurs. Sujet aux maladies d'estomac, à la goutte, à l'asthme, il était parti malade de Madrid. Son médecin, Cavallos, n'avait pu le rejoindre qu'à Bordeaux. Pendant tout le voyage, il avait suivi son régime habituel, les boissons glacées, les huîtres, le poisson, autant que possible. La fatigue des réceptions, succédant à celle de la route, l'avait accablé. Il avait assisté au banquet du roi sans y prendre part, mais la salle était vaste et froide, et les douleurs de poitrine dont il n'avait cessé de souffrir depuis son départ s'étaient aggravées. La nuit fut mauvaise ; de deux à sept heures du matin le médecin lui appliqua des lotions constantes d'eau froide sur la poitrine. Le matin il prit un bain et se mit à la diète. Le roi de France lui envoya ses médecins ; ils se contentèrent d'approuver le régime prescrit par Cavallos[84]. Les nuits suivantes ne furent guère plus calmes ; cependant le repos et les soins apaisèrent un peu ses douleurs[85]. Outre les excès de boissons glacées qu'il commettait sans mesure, il se livrait à des pratiques de piété qui contribuaient à son affaiblissement autant que la fatigue du voyage. Depuis la mort de l'impératrice, sa santé déclinant, il était tombé dans une mélancolie profonde. Sa dévotion avait pris des proportions étranges, même pour un Espagnol du seizième siècle. Son historien Zenocarus (Snouckaert de Scanverburg) raconte que pendant le voyage de France il passait une partie de ses nuits en prière, à genoux, dans sa chambre tendue de noir, entre sept torches funéraires[86]. Le récit de sa maladie, grossi par le bruit populaire, vint jusqu'à Bruxelles et mit en émoi tous ses conseillers. La reine de Hongrie, gouvernante des Pays-Bas[87], ordonna au duc d'Arschott d'envoyer dans le plus grand secret un agent à Paris afin d'obtenir des informations certaines, à l'insu de l'empereur et surtout du chancelier Granvelle[88].

Le lendemain de son arrivée, après la messe, l'empereur rejoignit le roi au palais du Louvre, orné en son honneur des chefs-d'œuvre de la renaissance française. Les fêtes recommencèrent le 3 janvier et durèrent jusqu'au départ des deux rois, le 7 janvier. Chaque journée fut marquée par des joutes et des tournois, chaque soirée par des festins et des bals où s'étalait la magnificence de cette cour riche et brillante. Les deux souverains, Charles-Quint, malade, et François Ier, moins valide encore que son rival, tous deux passés maîtres dans les jeux de l'ancienne chevalerie, n'y prirent aucune part ; mais les princes et les seigneurs de leur suite se montrèrent si braves et triumphans qu'ilz demonstroient bien, à les voir en armes, que autrefois ils avoient esté en la compagnie du dieu Mars. Parmi les héros de ces jours de fête, la Chronique du roi Françoys Ier cite deux prétendants à la main de Jeanne d'Albret, Antoine de Vendôme, qui ouvrit le tournoi avec François de Lorraine. Le dimanche, janvier, la ville offrit à l'empereur une statue d'Hercule de sept pieds de haut, en argent, pesant 400 marcs ; la statue portait un candélabre avec cette devise en écharpe : Altera alterius robur, allusion à l'appui que les deux rois s'étaient promis. Ce don était estimé 2000 écus[89].

La brillante réception du roi de France ne faisait pas oublier à l'empereur ses intérêts politiques. En passant à Saint-Sébastien et Fontarabie, il avait inspecté les fortifications de ces deux villes[90]. En traversant le duché d'Albret et la Guyenne, il avait remarqué l'ordre de l'Administration du roi de Navarre et la richesse de son gouvernement. A Loches et pendant le reste du voyage, il vit Henri d'Albret et put d'autant plus facilement s'entretenir avec lui que le roi de France voyageait en litière[91]. Il fut frappé des qualités de ce prince. Suivant Palma Cayet, il répétait à ses familiers qu'il n'avoit veu qu'un homme en France, qui estoit le i roy de Navarre[92]. Suivant Pierre Mathieu, il comprenoit ce prince entre les trois remarques de ce qu'il avoit veù de singulier en ce voyage[93]. Parmi les différents accords matrimoniaux qui faisaient alors l'objet de la politique de François Ier et de Charles-Quint, celui de Jeanne d'Albret méritait de ne pas être oublié. Le roi, par condescendance ou par dissimulation, ne repoussait pas le prince d'Espagne. Le chancelier Poyet dit même au nonce Poggio que ce mariage aurait l'assentiment du roi si l'infant voulait faire hommage de la Navarre au roi de France[94].

A Paris, l'empereur eut plusieurs entrevues avec le cardinal Alexandre Farnèze, neveu du pape Paul III, l'un des négociateurs les plus habiles de ce siècle[95]. Les Farnèze avaient des prétentions au duché de Milan ; les entrevues du cardinal et de l'empereur furent le point de départ de l'alliance qui se noua entre les deux maisons. Mais c'était dans les négociations avec François e que résidait le plus grand embarras du voyage. Le roi prétendait au Milanais et l'empereur lui en avait promis l'investiture. Pressé d'exécuter ses promesses, il les renouvela, mais il demanda de n'estre importuné de les signer, à ce que par cy après on ne peust dire qu'il les eust faites par contraincte pour obtenir son passaige[96]. Le cardinal de Tournon voulait obtenir un engagement moins fugitif qu'une promesse verbale ; mais le connétable, en flattant le roi dans ses sentiments de loyauté, le décida à se confier à la parole de l'empereur, comme l'empereur se confiait à la parole du roi pour traverser la France. Cependant les contradictions ne manquèrent pas ; on dit que la dame d'Estampes et même que le fou de la cour conseillèrent au roi de retenir son hôte jusqu'à la livraison du Milanais, que Charles-Quint acheta la dame d'Estampes par un don, que le connétable et Marguerite d'Angoulême eux-mêmes se laissèrent séduire, qu'une étourderie du duc d'Orléans révéla les hésitations du roi, qu'une imprudence du chancelier Poyet faillit coûter la vie à l'empereur et fut transformée en tentative d'assassinat. Ces anecdotes, que tous les historiens reproduisent, ne sont justifiées par aucun document sérieux[97].

L'accueil de François Ier était si franc, si cordial, l'appui moral qu'il prêtait à son rival contre les révoltés gantois paraissait si bien exempt d'arrière-pensées ambitieuses, que l'empereur s'applaudissait de son voyage. De Bayonne, il écrit à Los Covos à propos de la réception des princes français : Tout jusqu'ici va tellement bien, que sans aucun doute cela ira mieux encore plus tard[98]. Huit jours après, son plus intime confident, le chancelier Granvelle, écrit à la reine de Hongrie que l'empereur n'en parle gueres sans pleurer de joye[99]. De Paris, le chancelier signale encore la courtoisie du roi et de ses enfants qui veulent reconduire son maitre jusqu'en Flandre[100].

Malgré ces apparences d'intime alliance, au fond les deux rois restaient rivaux et les deux peuples ennemis. L'amour-propre des courtisans impériaux avait été souvent blessé ; dans les tournois, la palme était restée aux Français ; les récits des témoins oculaires ne signalent aucune prouesse des chevaliers espagnols ou flamands. Depuis la rencontre de Fontarabie, les seigneurs français déployaient un luxe qui contrastait avec la simplicité de leurs compagnons de voyage. Leurs vêtements et leurs chevaux, ceux mêmes de leurs pages et de leurs serviteurs, défiaient toute comparaison. La fierté espagnole souffrait de cette infériorité[101]. Aussi Granvelle écrit-il que les gens de la suite désirent vivement la fin du voyage[102]. Henri de Tolède est plus explicite ; la vie qu'il est obligé de mener, lui et ses compagnons, n'est pas plus du goût des Flamands que de ses compatriotes ; elle est ruineuse et pénible ; il demande à ne pas être obligé de repasser par la France lorsqu'il rentrera en Espagne[103]. La morgue castillane se consolait de sa défaite en critiquant la licence de la cour de France et les désordres qui s'étalaient au grand jour[104]. Ce reproche était malheureusement trop mérité.

La magnificence et la générosité de François Ier obligeaient l'empereur à des dépenses qui épuisaient son trésor. C'est une remarque digne d'être consignée : malgré les bénéfices de sa dignité impériale, la possession des fertiles plaines de l'Italie et des Flandres, les pays les plus riches de l'Europe, malgré les mines des deux Indes alors en pleine exploitation, Charles-Quint était toujours arrêté par la pauvreté de ses finances. Pendant son séjour en France, sa pénurie devint embarrassante. Il envoya en poste son trésorier, Rombaut de Taxis, à Anvers, pour emprunter 20.000 ducats ; mais le trésorier revint peu de jours après ; il n'avait pas trouvé un écu[105]. Nous ne savons comment l'empereur se tira d'embarras ; mais, pour l'avenir, il accepta avec empressement une proposition du connétable, qui répondait à un de ses vœux secrets, que désormais le défrayement cessat entre l'empereur et le roy, quand ils auroient à s'entre visiter, estant telle demonstration superflue là où chacun entend assez le pouvoir qu'ils ont d'uzer de telles liberalitez quand il est expédient, mais plutot qu'ils s'entredonnassent toute liberté l'un chez l'autre pour y pouvoir aller et venir privément[106].

Après un séjour d'une semaine à Paris, Charles-Quint et François e se remirent en route. Le roi avait manifesté l'intention d'accompagner son hôte jusqu'en Flandre. La gouvernante des Pays-Bas avait déjà prescrit des préparatifs de réception, mais ce projet n'eut pas de suites[107]. Le 7 janvier, les deux rois couchèrent à Saint-Denis, le 8 au château de Chantilly, qui appartenait alors au connétable ; l'empereur y resta plusieurs jours et y fut traité presque aussi magnifiquement que chez le roi. Le 13, la cour arrive à Soissons, le 15 à La Fère, domaine du duc de Vendôme. Après un repos de trois jours, elle partit pour Saint-Quentin. Le 20, au matin, l'empereur prit congé du roi et de la reine. Le dauphin, le duc d'Orléans, le connétable, tous les seigneurs qui avaient été au-devant de lui à Bayonne l'accompagnèrent jusqu'à Valenciennes, première place de la Flandre. Bien que le cortège eût diminué depuis le départ du roi, il comprenait encore un millier de chevaux[108]. Avant de se séparer des ministres impériaux, le connétable renouvela la demande du roi relative au Milanais. Le bon prince, dit du Bellay, lequel n'avoit jamais eu envie de tenir sa promesse, les remit jusques à ce qu'il eust communiqué avecques son conseil des Pays-Bas, mais asseura qu'ayant chastié ses sujets rebelles il contenteroit le roy. de pense bien que si mal luy eust basté et qu'il eust trouvé son pays si eslevé contre luy qu'il n'y eust pu remédier, il eust peu tenir sa promesse, espérant se pouvoir ayder des forces du roy[109].

Aussitôt après son arrivée à Bruxelles, l'empereur tint un conseil composé de son frère Ferdinand, roi des Romains, et de sa sœur Marie d'Autriche, reine de Hongrie. Il niait avoir promis le Milanais au roi de France ; il se disait seulement engagé à donner sa fille dora Maria au duc d'Orléans, avec un apanage en dot, le Milanais ou tout autre[110] ; mais il prétendait ne s'en dessaisir qu'en retour de certains avantages, au nombre desquels il mettait le mariage de son fils avec l'héritière de la Navarre. Soit qu'il ne prévit aucune opposition du roi sur une convention ainsi entendue, soit qu'il se flattât de la vaincre, il donna l'ordre à son ambassadeur, François de Bonvalot, de demander au roi la main de Jeanne d'Albret.

Et quant au prince des Espaignes, avons advisé de mettre en avant son mariaige avec la fille unique des sieur et dame d'Allebrecht, pour considération de la proximité et consanguinité d'eux avec ledit sieur Roy très chrestien, et afin que ledit sieur et dame d'Allebrecht participent de ceste dicte amitié et se vuyde et pacifie la querelle qu'ils prétendent au royaume de Navarre, ce que désirons plus pour la satisfaction dudict sieur Roy très chrestien et effacer toutes occasions de querelles que pour penser d'y estre en rien tenu[111].

Habile à dissimuler l'importance de sa demande, il l'accompagnait de compensations séduisantes en apparence : l'offre de la main de sa fille pour le duc d'Orléans avec l'investiture des Pays-Bas, de la Gueldre et du comté de Zutphen ; la renonciation à tous droits sur les comtés de Bourgogne et de Charolais ; l'abandon au roi des terres limitrophes de la Franche-Comté, moyennant une compensation de deux millions ; le mariage de Marguerite de France avec le prince Maximilien, fils aîné de Ferdinand d'Autriche. Ces avantages n'avaient rien de réel. Des provinces que l'empereur offrait si libéralement, les unes, les Pays-Bas, repoussaient la domination d'un prince français, les autres, la Gueldre et le comté de Zutphen, ne lui appartenaient pas ; elles étaient entre les mains d'une maison allemande, hostile à la maison d'Autriche et dévouée à la France depuis le commencement du siècle ; les comtés de Bourgogne et de Charolais faisaient partie effective depuis longtemps du royaume de France, malgré les réclamations de la diète ; enfin les terres limitrophes de la Franche-Comté ne valaient pas la somme de deux millions.

L'ambassadeur Bonvalot exécuta sa mission. Le roi, préoccupé seulement du Milanais, répond, le 21 avril, par ses ambassadeurs, Georges de Selve, évêque de Lavaur, et Antoine Hellin, conseiller au Parlement de Paris, que ce sont choses ausquelles ne pourroit estre si promptement eurveu, et que le fait desdicts mariages ne despend aulcunement et n'a rien de com-mun à ce qu'il convient de présent traiter entre ces deux princes ; aussi que la résolution du fait desdicts mariages pouroit, pour la grandeur d'iceux, estre cause d'aucunement retarder ou dilayer la conclusion de ce présent traité, et que l'aage des personnes ne requiert que lesdicts mariages soient pressés ou accélérés[112]. Autant les ouvertures de Bonvalot déplaisaient au roi, autant elles furent accueillies avec empressement à la cour de Navarre. L'avenir réservé à leur fille, la certitude de la voir monter un jour sur le premier trône du XVIe siècle, remplissait d'orgueil Henri d'Albret et Marguerite. Des deux alliances qui s'offraient, l'une, celle de la France, avait amené la ruine de la Navarre sans compensations probables, l'autre, celle de l'Espagne, promettait à leurs petits-enfants l'empire des deux mondes.

 

 

 



[1] La baillive de Caen garda, après le mariage de Jeanne d'Albret, l'amitié de la reine Marguerite. Dans un état de la mai. son d'Albret pour l'année 1549, elle est inscrite comme première dame d'honneur, aux appointements de 500 livres tournois (Arch. de Pau, B. 5). — La baillive de Caen est l'héroïne d'une plaisanterie du seigneur d'Albani, un peu trop gauloise pour être rapportée ici. Voyez Brantôme, édit. du Panth. litt., t. II, p. 405.

[2] M. le comte de Laferrière a publié dans Marguerite d'Angoulême, p. 191, les noms d'une partie des serviteurs de Jeanne d'Albret avec le chiffre de leurs gages.

[3] Anne de Montmorency ne devint connétable que le 10 février 1538 (Art de vérifier les dates, t. I, p. 637).

[4] Lettres de Marguerite d'Angoulême, t. I, p. 531, et t. II, p. 474, édit. de la Soc. de l'Hist. de France.

[5] Charles de Sainte-Marthe, Oraison funèbre de la reine de Navarre, in-4°, 1550, en latin et en français. L'auteur, poète et savant, favori de Marguerite, était lieutenant criminel et procureur général du duché de Beaumont. Il mourut à Alençon en 1551.

[6] Marguerite de France, née le 5 juin 1523, fille de François Ier.

[7] Louise de Daillon, dame de la Chastaigneraye, grand'mère de Brantôme.

[8] Nicolas Dangu, évêque de Séez, puis de Mende, chef du conseil de la reine Marguerite, garda les mêmes fonctions auprès d'Antoine de Bourbon.

[9] Lettres de Marguerite d'Angoulême, t. I, p. 363, 366, et t. p. 171 et 173.

[10] Mademoiselle de Vauviliers a écrit que le reine Jeanne avait été élevée au château de Plessis-lès-Tours dans la religion luthérienne. Aucun document contemporain ne confirme cette assertion, et tous les faits, pendant la première partie de la vie de Jeanne d'Albret, la contredisent. M. Genin en a fait justice. (Lettres de Marguerite d'Angoulême, t. I, p. 54, note, édit. de la Soc. de l'Hist. de France.)

[11] Bibl. nat. f. fr., vol. 2831, f. 165, extrait des registres du Parlement, du 19 mai 1534.

[12] Tabellæ elementaria pueris ingenuis pernecessaria, Nicolao Borbonio Vandoperano Lingone, poeta, autore. Paris, 1589, petit in-8°.

[13] Nicolas Bourbon, né en 1503, mort en 1550. Dans un état de la maison de la reine Marguerite, pour l'année 1549, Nicolas Bourbon figure encore comme maistre d'escole de nostre très chère et très aimée fille, aux gages de 400 livres tournois. (Arch. de Pau, B. 5.)

[14] Odolant Desnos, Mémoires historiques sur la ville d'Alençon, 1787, t. II, p. 562 et 567. — L'auteur, en signalant l'existence des poules d'Inde en France dès 1538, observe que ce ne sont donc pas les Jésuites qui ont acclimaté ces oiseaux en France.

[15] Il faut lire vostre frere.

[16] Un sieur de Bures, gendre de Jean Ango, était un des serviteurs de la reine de Navarre. (Lettres de Marguerite d'Angoulême, t. I, p : 218.)

[17] Œuvres de Clément Marot, 1700, t. II, p. 162.

[18] Les Marguerites de la Marguerite des princesses, Lyon, Jean de Tournes, 1547. Cette pièce porte pour titre : Les adieux des dames de chez la royne de Navarre, allant en Gascogne, à Madame la princesse de Navarre.

[19] Œuvres de Marot, 1700, t. II, p. 92.

[20] En 1492, un concile schismatique, tenu à Pise, sous les auspices du roi de France et de l'empereur Maximilien, avait suspendu Jules II ; le pape avait riposté en excommuniant Louis XII et en mettant son royaume en interdit. Le roi d'Espagne, Ferdinand, celui-là même qui reçut le surnom de Catholique, était l'allié du pape.

[21] Papiers d'État de Granvelle, t. I, p. 80, dans la Collection des doc. inédits.

[22] Une copie de cette bulle apocryphe existe à la Bibliothèque nationale, dans la coll. Dupuy, vol. 526, et une autre dans la coll. Fontanieu, vol. 127. Plus tard, Charles-Quint invoqua de prétendus actes de donation du quinzième siècle. Ces questions féodales sont compendieusement exposées dans les Mémoires pour l'Hist. de Navarre, de Galand, in-fol.

[23] Papiers d'État de Granvelle, t. IV, p. 500. Codicille de Charles-Quint, sans date, ajouté à un testament du 13 juin 1550. L'original est en espagnol, la traduction est de l'éditeur, M. Weiss.

[24] Instruction de Charles-Quint à Philippe II, du 5 nov. 1539 (Papiers d'État de Granvelle, t. II, p. 556).

[25] Lettre de L. de Praet, ambassadeur en Angleterre, 14 nov. 1528 (Leglay, Négociations entre la France et l'Autriche, t. II, p. 631, dans la Coll. des doc. inédits).

[26] Le jour de la fuite du roi de Navarre est fixé par une lettre qu'il écrivit à un de ses serviteurs quelque temps après (Genin, Lettres de Marguerite d'Angoulême, t. I, p. 438). M. Genin a cru qu'il s'agissait du jour de Pâques. — Voyez l'édition des Commentaires de Monluc publiée pour la Société de l'Histoire de France, t. I, p. 72, note 3.

[27] Lettre au cardinal Wolsey, 3 janvier 1528, (Champollion-Figeac, Captivité de François Ier, p. 459). Brantôme raconte un peu autrement l'évasion de ce prince (t. I, p. 226, édit. de la Société de l'Hist. de France).

[28] Olhagaray, p. 488. — Favyn, p. 738.

[29] Bordenave, Histoire de Béarn et Navarre, p. 29 et suivantes, édit. de la Société de l'Histoire de France.

[30] Traité de Madrid, art 20 (Recueil des anc. loix franç. par Isambert, t. XII, p. 255).

[31] François de Tournon (1489-1562), archevêque de Bourges, d'Auch et de Lyon, l'un des négociateurs les plus employée par François Ier, et son ministre favori de 1540 à 1547.

[32] Les documents originaux sont obscurs, peu précis, pleins de sous-entendus. Lettre de François Ier à d'Esparros (Bibl. nat., f. fr., vol. 5761, f. 195). — Lettre du card. de Tournon au grand maistre de Montmorency (f. fr., vol. 3083, f. 58). — Lettres de Henri d'Albret (f. fr., vol 3019, f. 3 et 6).

[33] Lettres de Marguerite d'Angoulême, t. I, p. 227, 234, 258, 282, 322, 340, 343.

[34] Lettre de J Karman, vicomte de Lombeck, originale, en espagnol (Arch. nat., K. 1484, n° 45).

[35] Lettres de Marguerite d'Angoulême, t. I, p. 303.

[36] Arch. nat., K. 1484, n° 69.

[37] La politique du roi de Navarre est ainsi expliquée dans les instructions de Charles-Quint (Arch. nat., K.1484, n° 93).

[38] Résumé de chancellerie, daté de mars 1537, en espagnol (Arch. nat., K. 1484, n° 73). Cette importante pièce présente tout le récit de cette partie de la négociation.

[39] Avis du conseil d'État d'Espagne à l'empereur, daté du 13 juin 1537 (Arch. nat., K. 1484).

[40] Lettres de Marguerite d'Angoulême, t. I, p. 337.

[41] Lettre de Jean de Hannart à l'empereur (Arch. nat., K.1484, n° 70).

[42] Rapport de Descurra, daté du 15 juin 1537 (Arch. nat., K. 1484, Ir 78).

[43] Lettres de Marguerite d'Angoulême, t. I, p. 350.

[44] Lettres de Marguerite d'Angoulême, t. II, p. 152.

[45] Rapport d'espion daté de Pau, du 2 janvier 1538 (Arch. nat., K. 1484, n° 97).

[46] Sommaire d'une instruction reçue par l'ambassadeur de France, daté du 27 mars 1538 (Arch. nat., K. 1494, n° 94).

[47] Instruction de Charles-Quint à Martin de Salinas, datée de Barcelone, du 21 mars 1538 (Arch. nat., K. 1484, n° 93).

[48] Les détails circonstanciés de cette entrevue mémorable sont dans l'Histoire du Languedoc, t. V, p. 148 et 626. Les savants Bénédictins lui donnent la date du 14 au 17 juillet ; le journal de Vandenesse du 1er au 4 du même mois (Vandenesse cité dans les Papiers d'État de Granvelle, t. II, p. 551, note).

[49] Maximilien II, fils de Ferdinand, roi des Romains et plus tard empereur, monta lui-même sur le trône impérial, en 1564, après la mort de son père.

[50] Lettre de l'ambassadeur d'Espagne à l'empereur, du 31 août 1538 (Arch. nat., K. 1484, n' 97).

[51] Histoire générale des rois de France par du Hainan, continuation par du Ferron (cité d'après M. Genin, Lettres de Marguerite, p. 88, note).

[52] Le dauphin François, à la suite d'une partie de paume, avait bu un verre d'eau glacée. Il mourut presque subitement. Son chambellan, Montecuculli, fut accusé de l'avoir empoisonné, jugé et condamné à mort. On fit semblant de croire qu'il avait agi à l'instigation de Charles-Quint. Rien n'est moins prouvé que cette odieuse imputation, bien qu'elle soit adoptée, malgré son invraisemblance, par la plupart des contemporains.

[53] Relation des ambassadeurs Vénitiens, t. I, p. 104, dans la Coll. des doc. inédits.

[54] Mémoires de Commynes, édit. de la Soc. de l'Hist. de France, t. II, p. 267.

[55] Nous ne savons pas précisément à quelle époque Jeanne d'Albret fut internée au Plessis-lès-Tours. La correspondance de Marguerite est muette à cet égard ; il est vrai qu'elle manque pendant les six derniers mois de l'année 1539 et pendant 1540. Presque tous les historiens ont écrit que François Ier l'y avait fait conduire à l'âge de deux ans. Cette allégation est inexacte puisque nous trouvons la princesse, avant cette date, à Tours, à Blois et à Alençon. Voyez les lettres de Marguerite d'Angoulême, t. I, p. 239 et 361, t. H, p. 173 et 175. Descurra dit positivement, le 15 juin 1537, que la princesse habitait Alençon (Arch. nat., K. 1484, n° 78). Ce fut donc probablement après la découverte des pourparlers de Charles-Quint et dé Henri d'Albret que le roi de France l'envoya à Plessis-lès-Tours. C'est ici l'occasion de justifier François Ier d'un reproche qui ne lui a pas été épargné, celui d'avoir fait interner sa nièce sans motif plausible.

[56] Olhagaray. Histoire des comtes de Fois et Navarre, 1609, p. 503.

[57] Archives de Pau, B. 1498. État des revenus et dépenses du domaine d'Albret.

[58] Archives de Pau, E. 573, commission du roi. Henri II confirma le roi de Navarre dans cette charge (Ibid., E. 574). En 1555 il reçut en outre celle d'amiral de Guyenne (Ibid., E. 578).

[59] Archives de Pau, C. 681. Tome troisième des Establissements de Béarn, f. 180, v°.

[60] Voyez l'énumération de ces biens dans le contrat de mariage de la reine de Navarre (Lettres de Marguerite d'Angoulême, t. I, p. 439).

[61] Henri VIII, qui passait facilement d'un parti à l'autre, était alors l'ennemi de Charles-Quint. Il allait épouser Catherine de Clèves, sœur du duc de Clèves et de Juliers, l'adversaire le plus constant de l'empereur en Allemagne. Le jour de son départ de Madrid, Charles-Quint apprit que la princesse traversait les Pays-Bas pour se rendre en Angleterre (Journal de Vandenesse, Bibl. nat., coll. Dupuy, vol. 560). Le mariage se fit le 6 janvier 1540.

[62] Le capitaine Humbert Le Peloux, français d'origine, avait passé au service de l'empereur à la suite du connétable de Bourbon. Il avait un frère, resté fidèle au roi de France, qui fut le compagnon d'armes de Blaise de Monluc. Voyez les Commentaires, t. I, p. 137, édit. de la Soc. de l'Hist. de France.

[63] La lettre de François Ier est imprimée dans les Papiers d'État de Granvelle, t. II, p. 540, et dans Troubles de Gand, par M. Gachard, p. 258. L'original autographe est conservé au Musée des Archives à Paris ; il n'est point daté, mais une traduction en espagnol lui donne la date du 7 octobre (Arch. nat., K 1484). Toutes les autres lettres adressées à l'empereur au sujet de ce voyage sont imprimées dans Troubles de Gand, p. 259 et suivantes. L'original de la lettre de Marguerite et de Henri d'Albret est au Musée des Archives. Les autres sont conservées dans le carton K. 1484.

[64] Papiers d'État de Granvelle, t. II, p. 342 et 349.

[65] Journal de Vandenesse (Bibl. nat., coll. Dupuy, vol. 560). M. Gachard, dans Troubles de Gand, fixe le départ de l'empereur au 10 novembre.

[66] Nicolas Perrenot de Granvelle, né en Bourgogne en 1489, mort à Augsbourg le 28 août 1550. Il fut le père du cardinal de Granvelle, ministre de Philippe II, de Thomas de Chantonay, ambassadeur en France de 1559 à 1564, et de Frédéric de Champagney, célèbre par le rôle important qu'il joua dans les troubles des Pays-Bas.

[67] Gachard, Troubles de Gand, notes, passim.

[68] Arch. nat., K. 1484, n° 136.

[69] Lettre d'Idiaquez à Los Covos, de Tartes, du 29 novembre1589 (Arch. nat., K. 1484, n° 137).

[70] Devienne, Histoire de Bordeaux, p. 105.

[71] Lettre d'Idiaquez à Los Covos du 3 décembre (Arch. nat., K. 1484, n° 140).

[72] Lettre de Charles-Quint à Los Covos du 2 décembre 1539 (Arch. nat., K. 1484, n° 138).

[73] Chronique du roy Françoys premier, publiée par M. Guiffrey, in-8°, p. 277. L'éditeur indique les sources où son annaliste a puisé. Voyez aussi Le Cérémonial françois par Godefroy, t. II, p. 750.

[74] Anne de Pisseleu, née en 1508, fille d'honneur de Louise de Savoie, devint la maîtresse de François Ife après le retour de Madrid. Le roi lui fit épouser Jean des Brosses qu'il créa duc d'Estampes. La faveur de la duchesse dura jusqu'à la mort du roi.

[75] Journal de Vandenesse (Bibl. nat., coll. Dupuy, vol. 560) ; Godefroy, Le Cérémonial françois, t. II, p. 750. Cet écrivain dit positivement que Jeanne d'Albret, malgré son jeune âge, suivait la cour.

[76] Journal de Vandenesse (coll. Dupuy, vol. 560). Mémoires de du Bellay, liv. VIII, édit. du Panthéon littéraire, p. 893.

[77] Gachard, Troubles de Gand, p. 287 à 302. Pièces imprimées d'après des documente conservés dans la collection Dupuy, vol. 591. — Voyez aussi la Chronique du roi Françoys premier, publiée par M. Guiffrey, p. 278.

[78] Lettre de Henri de Tolède à Los Corvos, du 7 janvier 1540 (Arch. nat., K. 1485, n° 13). Voyez aussi Godefroy, Le Cérémonial françois, t. II, p. 750, et la Chronique du roi Françoys premier, p. 288. Ces deux ouvrages paraissent avoir eu recours aux mémos sources.

[79] Trésor des merveilles du château de Fontainebleau, 1642, in-fol., p. 215.

[80] Nous avons plusieurs récits de l'entrée de l'empereur à Paris. L'un porte pour titre : La magnifique et triomphante entrée de très-illustre et sacré empereur Charles César, toujours Auguste, faite en la excellente ville et cité de Paris le Jour de l'an en bonne estreine, Lyon, François Juste, petit in-8° de 54 pages, imprimé en caractères gothiques. Ce petit volume est fort rare. Il y en a un exemplaire dans la collection de pièces de Fontanieu, au département des imprimés de la Bibliothèque nationale, vol. 170.

Un autre récit est conservé au département des manuscrits, f. fr., vol. 3050, f. 31 et suiv.

Enfin un troisième, plus complet à certains égards que les deux autres, se trouve dans la Chronique du roi Francoys premier publiée par M. Guiffrey, p. 291 et suivantes.

[81] Pierre Lizet, né en Auvergne vers 1482, avocat, conseiller, avocat général et premier président du Parlement de Paris en 1529. Disgracié en 1550 pour avoir déplu au cardinal de Lorraine, il mourut pauvre en 1554. Voyez de Thou (1740, t. I, p. 524).

[82] Œuvres de Marot, 1700, t. II, p. 60.

[83] Sans doute l'hôtel de François de Montmorency, seigneur de la Rochepot, gouverneur de l'Île-de-France, situé rue Saint-Antoine, sur l'emplacement occupé actuellement par le passage Charlemagne, où paraissent encore quelques restes de cette résidence (Lettres d'Ant. de Bourbon et de J. d'Albret, publiées par M. le marquis de Rochambeau pour la Société de l'Hist. de France, p. 1, note). L'hôtel du connétable de Montmorency était situé dans la rue qui porte son nom, entre la rue Saint-Denis et la rue Saint-Martin.

[84] Lettre de Cavallos à Los Covos du 5 janvier 1540 (Arch. nat., K. 1486, n° 9).

[85] Lettre de Henri de Tolède à Los Covos du 7 janvier 1540 (Arch. nat., K. 1485, te 13).

[86] Zenocarus cité par M. Mignet dans Charles-Quint au monastère de Yuste, 3e édition, p. 11, note.

[87] Marie d'Autriche (1501-1558), sœur de Charles-Quint, reine de Hongrie, gouvernante des Pays-Bas depuis 1531.

[88] Lettre de la reine de Hongrie au duc d'Arschott du 6 janvier 1539 (1540) (Gachard, Troubles de Gand, p. 237).

[89] Lettre de Henri de Tolède à Los Covos du 7 janvier 1540 (Arch. nat., K. 1485, n° 13). — Chronique du roy Françoys premier, p. 305. — Chronique publiée par M. Gachard dans Troubles de Gand.

[90] Arch. nat., K. 1484, n° 138.

[91] Journal de Vandenesse (Bibl. nat., coll. Dupuy, vol. 560).

[92] Chronologie novonaire, liv. I, édit. du Panth. litt., p. 171.

[93] Pierre Mathieu, Histoire de France, t. I, p. 138.

[94] Lettre du nonce Poggio à Los Covos du 8 janvier 1540 (K. 1485, n° 11).

[95] Lettre de Granvelle à Los Covos du 6 janvier 1540 (Arch. nat., K. 1485, n° 12).

[96] Mémoires de du Bellay, livre VIII, édit. du Panth. litt., p. 692.

[97] Gaillard, Histoire de François Ier, t. III, p. 78 et suivantes, et presque tous les historiens modernes.

[98] Arch. nat., 1484, n° 136. Le post-scriptum, que nous traduisons, est autographe.

[99] Gachard, Troubles de Gand, p. 305.

[100] Lettre de Granvelle à Los Covos du 6 janvier 1540 (Arch. nat., K. 1485, n° 12).

[101] Lettre d'Idiaquez à Los Covos, du 28 nov. 1539 (Arch. nat., K. 1484, n° 135).

[102] Lettre de Granvelle à Los Covos du 8 janvier 1640 (Arch. nat., K. 1485, n° 12).

[103] Lettre de Henri de Tolède à Los Covos, du 7 janvier 1540 (Arch. nat., K. 1485, n° 13).

[104] Lettre d'Idiaquez à Los Covos du 21 décembre 1539 (Gachard, Troubles de Gand, p. 645).

[105] Gachard, Troubles de Gand, d'après le Journal de Vandenesse.

[106] Lettre de l'évêque de Lavaur au connétable, du 27 janvier 1540 (Mémoires de Ribier, t. I, p. 494).

[107] Lettres de Marguerite de Parme au duc d'Arachott, du 16 et du 24 décembre (Troubles de Gand, p. 310 et 314).

[108] Journal de Vandenesse (Bibl. nat., coll. Dupuy, vol. 560).

[109] Mémoires de du Bellay, liv. VIII, édit. du Panth. litt., p. 693.

[110] Dépêche de l'empereur du 18 avril 1540 (Arch. nat., K. 1485, n° 16).

[111] Papiers d'État de Granvelle, t. II, p. 569 et 562 ; instruction de Charles-Quint, datée de Gand, du 24 mars 1540. Voyer aussi, pour ce qui suit, la lettre de Charles-Quint du 16 avril 1540 (Arch. nat., K. 1485, n° 16).

[112] Mémoires de Ribier, t. I, p. 511 et 514.