HISTOIRE DE LOUVOIS

TOME PREMIER

 

CHAPITRE CINQUIÈME.

 

 

Administration et institutions militaires depuis la paix de Nimègue. — Réponse de Louvois aux critiques soulevées par ses réformes. — Le luxe et l'économie. — Les prodigues et les parcimonieux. — Les recrues. — Les retenues sur la solde. — Reproches de Louvois à Dufay. — Négligence dans le service. — Mauvaise éducation des officiers. — Institution des compagnies de cadets. — La noblesse n'est pas obligatoire. — Première organisation. — État des cadets en 1684. — Discipline et instruction. — Les cadets au siège de Luxembourg. — Révolte de la compagnie de Charlemont. — Désordre à Besançon. — Décadence de l'institution des cadets. — Efforts pour régler la vénalité des charges, et pour donner aux régiments des noms invariables. — Récompenses pour les bons officiers. — Institution des régiments de milices. — Leur organisation et leur service. — Décadence des milices. — Création du Dépôt de la Guerre. — Réforme dans l'équipement et l'armement, en France et à l'étranger. — Le mousquet-fusil. — La baïonnette à douille. — Résistance du mousquet et de la pique. — L'épée remplacée par le sabre. — Création des carabiniers. — Camps d'instruction. — Artillerie. — Compagnies de canonniers. — Régiment de bombardiers. — Compagnies de mineurs. — Vauban, commissaire général, et Louvois, directeur général des fortifications. — Construction d'un grand nombre de places fortes. — La guerre de 1688 les surprend inachevées.

 

Pour être un grand réformateur, il ne suffit pas de ruiner des abus, ni même de mettre, pour un jour, de bonnes choses à la place ; il faut lutter et persévérer ; il faut prévoir et vouloir toutes les conséquences de ses actes, oser faire et oser dire ce que l'on a fait et pour quel motif on l'a fait ; en un mot, il faut savoir être responsable. Louvois a eu la passion de la responsabilité. Ses réformes dans l'armée lui avaient attiré beaucoup d'ennemis ; pendant la guerre, le bruit du canon avait couvert leurs clameurs ; elles éclatèrent après la paix de Nimègue, étonnant la cour, la ville, les provinces, réjouissant les étrangers, et renvoyées par eux d'échos en échos dans de nombreux libelles. Décidé à soutenir et à poursuivre ses réformes, Louvois ne feignit pas de ne rien entendre ; il entendit et répondit.

La réponse qu'il inspira de son souffle puissant n'est pas un plaidoyer, une défense ; elle est au contraire une attaque, une charge à fond contre les mauvais officiers, un appel aux bons, pour tous un manifeste, une provocation au devoir. La voici : On rapporte de nos officiers de guerre qu'ils sont continuellement menacés de la prison, contraints de manger leur bien, et enfin d'aller à l'hôpital, sans aucun espoir de récompense. Il n'est pas difficile de faire voir que ce langage est une suite d'impostures et de faux raisonnements. Quoique je ne veuille pas désavouer que tout cela n'arrive à quelques-uns, il faut néanmoins faire cette différence que cela n'arrive qu'aux méchants officiers, et non pas à ceux qui font leur devoir. En effet, on ne voit point que l'on mette en prison ceux qui s'attachent à leurs compagnies, qui les rendent bonnes après avoir pris le quartier d'hiver, qui se trouvent à la garnison le jour qu'expire leur congé, et qui fout enfin tout ce que l'honneur et la discipline veulent qu'ils fassent. Ne voudroit-on point qu'il leur fût permis, comme il se pratique dans quelques endroits, de ne voir leurs compagnies que quand ils vont monter la garde, de dépenser leur argent au jeu ou aux femmes, de s'en absenter tout autant de temps qu'ils veulent, et de faire enfin, du métier qui demande le plus d'assiduité et d'occupation, un métier de libertinage et de fainéantise ? On veut bien en France qu'un capitaine fasse sa métairie, si j'ose parler de la sorte, de sa compagnie ; mais on veut aussi qu'il la cultive en même temps, en sorte qu'il ne jouisse que du fruit de son travail.

Au reste, il n'est pas vrai qu'il n'y ait qu'à se ruiner dans le service de France. S'il s'y en trouve à qui cela arrive, c'est qu'on peut dire qu'ils ne sont pas sages, dépensant à de folles dépenses ce qui n'est destiné que pour le service du roi. En effet, y va-t-il du service qu'un capitaine de chevau-légers ait trente chevaux, comme il y en a mille dans nos armées, qu'il ait vingt ou vingt-cinq valets, qu'il porte des justaucorps de quatre ou cinq cents écus, qu'il joue cent pistoles en un quart d'heure, et qu'il fasse enfin mille autres folies comme celles-là, qui seroient trop longues à rapporter ? C'est à cela qu'ils se ruinent, et non pas à servir le roi, qui, bien loin de demander toutes ces profusions, seroit lien aise que chacun se gouvernât selon ses moyens. Car c'est une erreur de dire que l'on ne fait rien en France, si l'on ne commence à donner bonne opinion de soi par une grande dépense ; nous n'avons qu'à jeter les yeux sur la plupart de ceux qui ont aujourd'hui des gouvernements, et nous trouverons que, pour un qui avoit du bien quand il s'est mis dans le service, il y en avoit dix qui n'en avoient point. Ils en sont donc venus là par leur mérite, ce qui est plus que suffisant pouf faire voir combien on se trompe, quand on dit qu'il n'y a point de récompense à espérer parmi nous.

Ajoutons à cela qu'il n'y a point même d'endroit où l'on puisse espérer sitôt de faire fortune. Car où y a-t-il dans l'Europe un roi qui puisse faire plus de grâces et plus de gratifications que le mare ? La fortune d'un officier de mérite n'est jamais bornée parmi nous : Il devient d'enseigne, lieutenant ; de lieutenant, capitaine ; de capitaine, lieutenant-colonel ou major[1] ; de lieutenant-colonel ou major, colonel ; de colonel, brigadier ; de brigadier, maréchal de camp ; de maréchal de camp, lieutenant général, et de lieutenant général, maréchal de France, c'est-à-dire au comble des plus hantes dignités où un gentilhomme puisse atteindre. On ne voit point parmi nous qu'un homme demeure des dix années entières dans un même poste, à moins que ce ne soit un homme de qui l'on ne fasse point de cas, et de qui naturellement l'on n'en doive pas faire. Un honnête homme a le plaisir de voir croître de jour en jour sa fortune, et, à moins qu'une mort imprévue rie vienne faucher ses espérances, il peut prétendre aux plus grandes charges et aux plus grands emplois.

Combien en avons-nous vu, je ne dis pas des siècles passés, mais de celui-ci et même d'aujourd'hui, qui, de rien ou de bien peu de chose, se sont élevés à des fortunes surprenantes ! M. Le Bret, qui étoit d'une naissance obscure, sans bien, sans appui, sans connoissances, n'a pas laissé de mourir, il n'y a que trois ou quatre ans, lieutenant général des armées du roi, gouverneur de Douai, et enfin avec plus de vingt-cinq mille écus de rente des bienfaits de la cour. M. de Montal n'est pas né avec plus de bien, quoiqu'il soit d'une autre naissance ; chacun sait qu'il n'avoit pas cinquante écus de rente quand il commença à porter les armes, et que les parents de sa femme eurent beaucoup de peine à la lui laisser épouser, quoiqu'elle n'eût pas vaillant mille écus. Cependant où en est-il aujourd'hui, et n'est-il pas à la veille d'être maréchal de France[2] ? Nos armées ne sont remplies que de fortunes semblables ou qui en approchent de beaucoup,  si bien que je n'aurois jamais fait, si je prétendois les rapporter toutes, les unes après les autres.

Ce que je dirai cependant là-dessus, c'est que si l'on en voit plusieurs qui échouent, au lieu qu'il n'y en a que fort peu qui réussissent, c'est que le nombre de ceux qui ont de la conduite est bien plus petit que de ceux qui n'en ont point. Chacun ne se sait point mesurer, et la plupart étant infatués que ce n'est pas assez d'avoir du courage, si l'on ne fait beaucoup de dépenses, se mettent en état, au bout de trois ou quatre campagnes, de ne savoir plus où donner de la tête, tellement qu'ils sont obligés de se retirer. Or je demanderais volontiers si c'est le roi qui est cause de la ruine de ces gens-là, et s'ils ne seroient pas devenus ce que deviennent les autres, si, ayant du cœur comme ils en ont, ils avoient su se mieux ménager.

Ce n'est pas un auteur de libelle tout seul qui tient ces sortes de discours-là ; j'en cannois plus d'une douzaine qui me les ont faits au sujet de plusieurs officiers, dont les uns ont mangé cinquante mille livres de rente, comme le marquis du Garot, qui commandoit les gendarmes de la Reine[3], et les autres à proportion de ce qu'ils avoient. Cependant, quand il était question de se mettre en campagne, une maitresse arrêtait ces sortes de gens-là à Paris, ou ils y étoient arrêtés par la nécessité où ils s'étaient mis pour faire dépense auprès d'elle. Tellement que les uns étoient cassés faute de servir, les autres faute d'être en état de rendre service. Qu'on leur demande cependant à quoi ils ont mangé leur bien, ils vous diront effrontément que c'est au service du roi, quoiqu'il soit de notoriété publique que ce n'a jamais été qu'au service des dames[4].

Louvois avait l'horreur des prodigues ; le luxe, appliqué aux choses de la guerre, lui était odieux. Il ne souffrait qu'avec peine, sur les habits des officiers, les galons d'or et d'argent ; il les proscrivait absolument pour les bas-officiers et les soldats[5]. C'est une chose ridicule, disait-il[6], de songer à donner des parements de velours à des sergents, aussi bien que des gants et des cravates à dentelle ; il ne faut pas souffrir non plus que l'on achète des rubans pour mettre au chapeau, sur les épaules, ni aux écharpes des sergents et des soldats, ni des gants pour les piquiez s, non plus qu'obliger les officiers d'infanterie d'avoir des haut-de-chausses de velours, comme on le projette. Il trouvait que dépenser cinquante livres pour l'habit d'un sergent était une folie, et que douze écus y suffisaient bien, d'autant plus que c'était le sergent qui payait, en fin de compte, la vanité de son capitaine, lequel se récupérait de ses avances sur la solde de son subordonné[7].

Partout et toujours Louvois prêchait l'économie[8]. Mais s'il détestait les prodigues, il faisait aussi la guerre aux parcimonieux ; d'un côté comme de l'autre, il redoutait l'excès. Quelquefois il fallait qu'il écrivit aux inspecteurs des lettres comme celle-ci : Le roi a été informé que les capitaines de la garnison de Casal ôtent à leurs soldats les souliers qu'ils leur donnent le jour de la revue, et les laissent aller nu-pieds[9] ; ou bien encore : Le roi a été informé que la plupart des officiers d'infanterie retirent dans leurs chambres les habits avec lesquels leurs soldats paroissent en revue, et les laissent aller dans la ville et monter la garde avec des habits fort dépenaillés ; sur quoi il a plu à Sa Majesté de me commander de vous faire savoir qu'elle ne désapprouve point l'économie de conserver les habits neufs, et de faire durer les vieux autant que faire se pourra, mais que c'est à condition seulement que les habits que les soldats porteront ordinairement les mettent à couvert de l'injure du temps, et particulièrement du froid, et que ni leurs vêtements ni leurs chapeaux ne soient point assez mauvais pour scandaliser les étrangers qui peuvent passer dans les villes, et c'est à quoi Sa Majesté désire que vous teniez la main avec sévérité[10].

Il fallait porter dans les moindres détails une surveillance minutieuse et incessante. La première et la principale affaire, c'étaient les levées et les recrues. Louvois ne voulait en principe ni des gueux, ni des enfants, ni des contrefaits, et le capitaine qui se permettait d'en introduire quelqu'un dans sa compagnie devait être puni, chaque fois qu'il était pris eu faute, d'une amende de vingt livres[11]. Mais, dans la pratique, les inspecteurs et les commissaires étaient fort embarrassés ; il n'y avait aucune limite d'âge ni de taille ; s'ils prenaient sur eux d'en fixer une, ils couraient le risque de rebuter des sujets qui leur paraissaient trop petits ou trop jeunes, mais que le ministre réintégrait le plus souvent, les uns, parce qu'il les trouvait bien sur leurs jambes, et les autres, parce qu'ils lui semblaient de belle espérance[12].

Il est à noter que les passe-volants avaient presque absolument disparu ; mais si les officiers ne se prêtaient plus réciproquement leurs soldats, il arrivait encore que les habits et les armes voyageaient quelquefois d'une compagnie à une autre, pour la revue du commissaire ; l'ordonnance avait prévu les emprunts d'hommes, mais non les emprunts d'équipement. Il n'est pas besoin d'ajouter que ceux-ci furent interdits comme ceux-là.

Les retenues illégales sur la solde étaient toujours le grand mal, toujours attaqué, renaissant toujours, mal terrible qui causait la désertion, l'indiscipline, la révolte, avec leurs déplorables suites. En voici un cruel exemple. Le 9 novembre 1685, Louvois écrivait au glorieux défenseur de Philisbourg, à Dufay, qui était alors gouverneur de Fribourg : Le roi a appris avec la dernière surprise ce qui s'est passé à Fribourg, au sujet du soldat qui a été passé par les armes ; et il a été nécessaire que Sa Majesté se soit souvenue de vos anciens services et de ce que vous avez fait à Philisbourg, pour ne pas vous priver de votre emploi et vous faire mettre en prison. Les exemplaires qui vous ont été envoyés des ordonnances du roi ne vous peuvent laisser ignorer que Sa Majesté désire que les capitaines donnent quatre sols par jour à leurs soldats, hors pour les jours qu'ils travaillent actuellement ; ainsi vous n'avez pas pu souffrir, sans contrevenir à ses ordonnances, que les capitaines de la garnison de Fribourg se soient mis sur le pied de retenir un sol généralement à tous les soldats, soit qu'ils travaillassent ou non, et même pour les jours qu'il n'y avoit aucun travail. Les soldats ont pu et dû s'adresser à vous, pour vous demander l'exécution des ordonnances du roi, et on n'a pu, sans une injustice manifeste, leur imputer à crime de l'avoir fait. Quand il y auroit eu quelque chose à dire sur ce qu'ils se sont assemblés en trop grand nombre, la prison de celui qui vous a présenté la requête suffisoit, et il n'étoit arrivé rien d'assez pressant pour ne pas attendre les ordres de Sa Majesté sur ce que vous aviez à faire ; et ç'a été sans aucune nécessité qu'un jour comme le premier de ce mois (fête de la Toussaint), vous avez fait assembler les troupes pour mettre à la discrétion des officiers qui, en ces occasions, sont les parties, le jugement de trois soldats qui n'avoient aucunement failli.

Sa Majesté a regardé comme un assassinat ce qui a été fait à l'égard du soldat qui a été passé par les armes sans avoir été entendu. Elle sait bien qu'il ne faut pas souffrir que les soldats se mutinent, et qu'il est des occasions où il en faut tuer ou faire exécuter sur-le-champ pour les contenir ; mais en ce qui s'est passé, le premier de ce mois, il n'y avait rien qui méritât de pareilles démonstrations, et votre devoir vous obligeait à punir les officiers, lesquels, contre l'intention et la volonté de Sa Majesté, retenaient à leurs soldats une partie de leur solde. J'adresse à M. de La Chétardie les ordres du roi nécessaires pour interdire les officiers qui ont assisté au conseil de guerre, et pour faire mettre en prison les commandants des corps qui ont souffert que l'on retint aux soldats l'argent qui devait leur être délivré, suivant les ordres du roi. Sa Majesté ordonne à M. de La Grange de se rendre à Fribourg et de faire faire, en sa présence, raison aux soldats de tout ce que l'on leur a retenu depuis le 1er juillet dernier ; et pour apprendre au commissaire Saint--Germain de souffrir de pareils désordres, le roi ordonne qu'il soit envoyé prisonnier au château de Lanscroon, et m'a défendu de le jamais employer. C'est avec regret que je suis obligé, en satisfaisant à l'exprès commandement de Sa Majesté, de vous écrire en des termes si durs[13]. Voilà une belle et noble lettre, qui fait grand honneur à Louis XIV et à Louvois ; là sont les vrais principes de l'ordre et de la discipline. Il est consolant de voir que les pauvres soldats étaient assurés de trouver justice, toutes les fois que la vérité de leurs misères arrivait jusqu'au ministre, et par le ministre, jusqu'au roi ; c'est l'honneur particulier de Louvois d'avoir cherché toujours, et souvent, par bonheur, atteint la vérité[14].

Par bonheur aussi, les révélations qu'il provoquait étaient rarement d'un caractère aussi grave. En temps de paix surtout, les officiers étaient accusés de négliger le service ou d'aimer trop leurs aises ; par exemple, quand les troupes marchaient, ils allaient devant ou suivaient dans des chaises roulantes[15] ; ceux qui se trouvaient en garnison dans les places n'y faisaient pas bonne garde ; et c'était une chose que Louvois ne pouvait pas souffrir. Le roi, mandait-il aux inspecteurs, a été averti que l'on se relâche, dans plusieurs places, de l'exactitude avec laquelle le service se doit faire ; que les officiers qui sont de garde s'absentent fréquemment de leurs postes ; qu'il y en a même qui, étant de garde, vont jouer chez les officiers-majors ; que pendant la nuit, ils se mettent entre deux draps ; que quand ils montent la garde, ils font porter leur pique et leur hausse-col par un valet ; que les rondes ne se font plus par les officiers, conformément à l'ordonnance du roi, et qu'ils ne visitent point leurs soldats dans les casernes[16].

Quelquefois, Louvois avait à tancer les inspecteurs eux-mêmes. Il sera bon à l'avenir, écrivait-il à l'un d'eux, lorsque vous voudrez remener des femmes chez elles, que vous preniez un autre chemin que par le rempart. Et je suis obligé de vous dire que vous avez grand intérêt de vous appliquer davantage aux fonctions de votre emploi d'inspecteur, parce que, si vous continuez à les négliger, comme j'apprends que vous faites, le roi prendra assurément le parti d'en envoyer un autre en votre place. Et l'inspecteur qui recevait cette rude semonce, classait la lettre ministérielle dans ses archives, avec cette note de sa propre main : Lettre de M. de Louvois, du 23 août 1682, sur mon peu d'application[17]. N'est-ce pas le triomphe de l'esprit de subordination et de discipline ?

Les erreurs de conduite, les fautes morales dont les officiers se rendaient trop souvent coupables, Louvois les attribuait volontiers à leur début dans le service, à leur noviciat militaire, aux mauvaises habitudes qu'ils y avaient prises. Tous, ou presque tous, ils avaient commencé par porter le mousquet, pendant leur adolescence ou leur première jeunesse. Sans doute il était bon qu'ils eussent appris à obéir avant de commander, mais il était mauvais qu'ils eussent fait leur apprentissage pêle-mêle avec des soldats peu délicats d'esprit, de langage et de mœurs, peu scrupuleux aussi sur le bien d'autrui, parce qu'ils étaient trop souvent forcés de vivre d'expédients et de maraude. Louvois se proposa de supprimer le mal et d'augmenter la somme du bien, de faire vivre les cadets en simples soldats, mais entre eux, et de relever, par une instruction spéciale, leurs sentiments et leurs idées. En un mot, il voulut assurer aux jeunes gens de la petite noblesse et de la bourgeoisie ce que les héritiers des grands noms trouvaient déjà dans les deux compagnies des mousquetaires du roi, le bienfait d'une bonne éducation militaire.

Le 12 juin 1682, les intendants eurent ordre de publier, par tout le royaume, que le roi venait d'instituer, à Metz et à Tournai, deux compagnies destinées à former au service tous les jeunes gentilshommes de quatorze à vingt-cinq ans qui voudraient y acquérir les connaissances et les qualités nécessaires pour devenir un jour de bons officiers. Il en vint une telle foule que, moins de trois mois après, le nombre des postulants dépassait quatre mille, et qu'il fallut, pour les recevoir, créer, non plus deux seulement, mais bien neuf de ces écoles militaires.

Une ordonnance du 1er septembre défendit aux régiments d'entretenir des cadets, comme par le passé, si ce n'est que les compagnies colonelles en purent conserver trois jusqu'à nouvel ordre, et ce nouvel ordre, à la date du 25 juillet 1683, acheva d'effacer les derniers vestiges de l'ancien usage.

Les neuf compagnies, dites de gentilshommes, furent toutes établies dans des places frontières, à  Tournai, Cambrai, Valenciennes, Charlemont, Longwy, Metz, Strasbourg, Brisach et Besançon[18]. Elles eurent pour capitaines les commandants mêmes de ces places. Les commencements furent naturellement un peu confus. Comme il n'y avait ni concours, ni examen d'aucune sorte, les intendants sollicités, assiégés de toute part, acceptèrent de droite et de gauche tous les candidats qui leur étaient recommandés. Les connaissances acquises se réduisaient en général à bien peu de chose ; il se trouva qu'on avait reçu des cadets qui ne savaient ni lire ni écrire[19]. Même la limite d'âge, la seule condition qui eût été réglée, fut quelquefois outrepassée jusqu'au ridicule ; il était difficile assurément de voir, sans se moquer, des cadets dé trente-quatre ans, et même de quarante-cinq, au milieu d'adolescents qui en avaient quatorze à peine[20]. Plusieurs avaient déjà servi ; l'un d'eux, âgé de vingt-huit ans[21], était noté comme ayant fait toute la guerre de Hollande, de 1672 à 1679, en qualité de sous-lieutenant et de lieutenant.

Pour ce qui est des conditions sociales, elles étaient, comme les âges de la vie et les aptitudes intellectuelles, très-diversement représentées. Il ne faudrait pas s'arrêter à ce titre fastueux de compagnies de gentilshommes. Cette étiquette aristocratique couvrait un pêle-mêle dont pourrait s'accommoder la démocratie la plus hostile aux distinctions de classes. On ne sait pas assez peut-être tout ce qu'il y avait en France, au dix-septième siècle, de bourgeois aisés, possesseurs de biens nobles, et vivant noblement, selon le terme consacré, c'est-à-dire vivant de leurs revenus et sans exercer de métier. Même les gens d'industrie et de commerce ne trouvaient pas beaucoup de difficultés à faire entrer leurs fils dans ces compagnies de gentilshommes, libéralement ouvertes à presque tous, si ce n'est à ceux dont la condition était tout à fait misérable. Les intendants, mandait Louvois aux capitaines, ont reçu, dans la levée qu'ils ont faite pour les compagnies de cadets, toute sorte de gens, en sorte qu'il y en a d'une naissance très-basse ; sur quoi Sa Majesté m'a commandé de vous faire savoir que, sans témoigner que ce soit par son ordre, et comme si c'étoit pour satisfaire à votre propre curiosité, vous fassiez un état des cadets dont votre compagnie est composée, séparé par provinces, où vous mettrez ce que vous pourrez apprendre par leurs camarades de la naissance de chacun. Le roi ne voudra pas qu'on ôte ceux qui ne seront pas d'une naissance fort basse ; mais s'il y en avoit dont l'origine fût fort obscure, il est sans doute que Sa Majesté les feroit licencier[22].

Dans tous les temps, il y a eu la classe des déclassés, toujours dangereuse, mais plus ou moins nombreuse et dangereuse, suivant l'état politique et moral de la société. Fallait-il laisser s'engager dans le service de pauvres garçons, dénués de toute ressource et condamnés d'avance à mourir de faim sous l'uniforme ? Fallait-il souffrir, au milieu de tant de jeunes gens dont l'éducation était à faire, ceux dont les mauvaises mœurs, l'inapplication ou l'incapacité notoire étaient pour les autres un scandale, un méchant exemple, ou un sujet de raillerie ? Fallait-il enfin tolérer dans les compagnies ces hommes faits qui n'y étaient plus à leur place, et dont le nom seul était un sarcasme, les vieux cadets ? C'était aux capitaines à éliminer les incapables de toute sorte, mais discrètement et non pas tous à la fois[23]. Si les familles réclamaient leurs enfants, sous quelque prétexte que ce fût, on s'empressait de les leur rendre[24]. La désertion qui, dans l'armée, entraînait les châtiments les plus graves, était à peine atteinte, pour les cadets, d'une punition toute anodine. Le nom du déserteur était publié au prône par le curé de sa paroisse, et affiché à la porte de l'église[25].

Cependant plus on travaillait à mettre de l'ordre dans ces écoles et à y ménager la place, plus la foule grossissait aux alentours ; pour un qui sortait, il y en avait dix qui s'efforçaient d'entrer. Les intendants y perdant la tête, Louvois prit sur lui d'examiner et de décider sur toutes les demandes d'admission. En 1684, l'effectif de chacune des neuf compagnies s'élevait au chiffre de 475 cadets, c'est-à-dire au total énorme de 4.275 jeunes gens, tous habillés, entretenus et soldés aux frais du roi ; c'était, par mois, une dépense de 80.000 livres, près d'un million pour l'année entière[26].

Toutes les compagnies étaient organisées sur le même modèle : à la tête, un capitaine, gouverneur de place ou commandant de citadelle, exerçant la haute direction et l'autorité morale ; sous ses ordres, un lieutenant, chargé de la discipline et du détail quotidien ; deux sous-lieutenants, commandant chacun la moitié de la compagnie divisée en deux brigades ; chaque brigade composée de quatre escouades commandées par des sergents qui avaient été choisis, dans l'origine, moitié parmi les sergents de l'armée, moitié parmi les anciens cadets des régiments ; enfin, un nombre de caporaux et d'anspessades proportionné à l'effectif de la compagnie[27]. La première affaire du capitaine était de veiller, comme un père de famille, à la santé morale et physique des jeunes gens confiés à ses soins[28] ; il devait prendre garde qu'ils n'abusassent pas de la liberté qui leur était laissée, en dehors des leçons et du service. Louvois regardait volontiers la comédie comme un mauvais lieu[29] ; pour éloigner les cadets de ce lieu-là et des autres, il avait imaginé de faire établir des billards dans leurs casernes[30]. Tous les jours de la semaine, ils devaient suivre deux leçons de mathématiques, de deux heures et demie chacune[31] ; prescription excellente, mais qui ne fut jamais rigoureusement observée. Aux leçons de mathématiques, les cadets préféraient le maniement des armes, et leurs officiers les laissaient beaucoup trop facilement suivre leur goût[32]. Assimilés d'ailleurs aux troupes de garnison, les cadets partageaient avec elles le service des postes et des gardes ; aucun d'eux, sous quelque prétexte que ce fût, n'était dispensé de ce service, pour lequel un quart de la compagnie était commandé chaque jour[33].

Louvois s'était réservé l'inspection générale des compagnies de cadets ; il les visitait souvent à l'improviste ; il engagea plusieurs fois Louis XIV à les visiter lui-même. Le 17 juin 1683, il écrivait de Besançon au chancelier Le Tellier[34] : Le roi monta hier à cheval, en intention de voir la citadelle ; il trouva, sur l'esplanade, la compagnie de cadets à laquelle il vit faire l'exercice, et y prit tant de plaisir qu'il y demeura jusqu'à la nuit. Sa Majesté avoua qu'elle n'avoit vu aucune troupe, pas même ses compagnies de mousquetaires, faire l'exercice aussi juste que cette compagnie qui est composée de trois cent soixante et tant de cadets, parmi lesquels il y en a plus de quarante qui n'ont pas plus de quatorze ans et qui cependant commandent l'exercice comme pourroient faire les officiers. Les cadets étaient tous également formés au service de l'infanterie ; cependant les capitaines devaient tenir note de ceux qui, ayant quelque bien, pouvaient être en état de se mettre en équipage et de se monter, s'ils étaient appelés à servir dans la cavalerie ou dans les dragons[35].

En 1683, lorsque la guerre éclata entre la France et l'Espagne, ces pépinières d'officiers fournirent à l'armée une foule d'excellents sujets ; plus de deux mille cadets reçurent alors des brevets temporaires de sous-lieutenant et de cornette, et les vides qu'ils laissaient dans leurs compagnies furent presque aussitôt comblés. Au mois d'avril 1684, la compagnie de Cambrai, d'où étaient sortis, depuis trois mois, plus de trois cents officiers, comptait encore quatre cents élèves sous les armes[36]. A la même date, un détachement de trois cents cadets, tirés par moitié des compagnies de Longwy et de Metz, avait l'honneur d'être désigné pour marcher au siège de Luxembourg. Louvois recommandait tout spécialement cette jeunesse au maréchal de Créqui : Le roi juge à propos, lui mandait-il[37], que vous fassiez venir au camp, devant Luxembourg, cent cinquante cadets commandés de chacune des compagnies de Metz et de Longwy, pour vous en servir à quelque action de vigueur, si vous en avez besoin, et cependant, en visitant les travaux qui se feront pour la réduction de la place, leur donner le moyen de s'instruire. Sa Majesté vous recommande de ne les faire exposer que dans une nécessité et de même que vous feriez les mousquetaires du roi, si vous les aviez dans l'armée. Fiers de cette assimilation, les cadets en réclamèrent le bénéfice ; quand vint la grande action du siège, l'attaque de l'ouvrage à corne, ils revendiquèrent la première place en tête des colonnes d'assaut ; mais les grenadiers de l'armée protestèrent qu'ils ne reconnaissaient qu'aux seuls mousquetaires le droit de passer devant eux, et, dans ce débat de gloire, le maréchal décida pour les grenadiers. Ce fut ainsi que les cadets manquèrent l'occasion de regagner peut-être, devant Luxembourg, l'avance que les mousquetaires avaient prise sur toute l'armée, au grand jour de Valenciennes[38]. Ils en furent au désespoir, et Louvois lui-même regretta ce malentendu[39].

S'il y eut, ce jour-là, pour la généreuse impatience des cadets une grande douleur, la paix fut une épreuve bien autrement douloureuse pour la fierté des jeunes officiers qui étaient sortis des cadets naguère et qui se voyaient contraints d'y rentrer. Le roi n'entretenant, en temps ordinaire, ni sous-lieutenants ni cornettes dans toutes les compagnies ; les commissions qui conféraient ces grades n'avaient d'effet que pendant la guerre. Il fallut donc, pour ceux de ces officiers qui ne voulurent pas quitter le service, redevenir cadets comme devant[40], dure nécessité qui froissa beaucoup de ces jeunes âmes et qui produisit des ressentiments mal contenus. L'année suivante, on vit, dans quelques compagnies, éclater des désordres graves et qui furent suivis de graves représailles.

Au mois de mai 1685[41], un cadet de Charlemont ayant été tué par un autre en duel, le meurtrier fut condamné à mort ; il allait être exécuté, lorsque dix-sept de ses camarades le firent évader et l'escortèrent hors du territoire français jusqu'à Namur. A leur retour, le reste de la compagnie, encouragé par l'hésitation des officiers, se mit en pleine révolte. Trompé d'abord par des rapports adoucis, Louvois éclata quand il connut toute la vérité. L'indiscipline des cadets était pour l'armée d'un funeste exemple ; elle fut sévèrement châtiée. Deux des plus coupables, condamnés par un conseil de guerre, furent passés par les armes ; toute la compagnie, désarmée d'abord, fut bientôt après licenciée, les mauvais sujets étant renvoyés du service, et le surplus dispersé dans les huit autres compagnies, qui fournirent chacune un nombre égal de cadets, afin de reconstituer, sous un nouveau capitaine et de nouveaux officiers, la compagnie de Charlemont[42]. Deux mois après cependant, la ville de Besançon fut troublée par un désordre pareil, la cause était la même, un duel ; le coupable également s'était soustrait par la fuite à la justice rigoureuse qui punissait les duellistes ; l'exécution s'était faite en effigie, et c'était pour abattre la potence et détruire le tableau d'infamie qui portait le nom du condamné, qu'un certain nombre de ses camarades avaient envahi la grande place de Besançon ; le chef de l'émeute, un sergent, paya de sa vie cet outrage à la loi[43]. Ces deux révoltes, énergiquement réprimées par Louvois, furent les seules qui éclatèrent ; mais elles laissèrent dans l'esprit de Louis XIV une impression mauvaise.

L'institution des cadets, que Louvois ne cessa pas d'améliorer et qui n'avait besoin que d'être soutenue, survécut à peine à son auteur. Louvois mort, on ne s'occupa pas de chercher une main à la fois souple et vigoureuse pour manier et contenir cette ardente jeunesse ; on réveilla seulement le souvenir des anciens désordres ; on fit valoir aussi la dépense qu'on n'osa pas dire inutile, mais qu'on montra grande, et Louis XIV se laissa persuader. En 1692, on cessa d'admettre de nouveaux cadets ; en 1694, ceux des anciens qui n'étaient pas devenus officiers, furent répartis, comme au temps jadis, dans les compagnies des régiments ; on revenait au passé ; quel triomphe pour les ennemis de Louvois ! Et tandis qu'une institution française disparaissait en France, délaissée par Louis XIV, on la retrouvait florissante sur la terre étrangère, en Hollande, transplantée par le prince d'Orange, et en Allemagne, par l'Electeur de Brandebourg.

En créant les compagnies de cadets, Louvois avait voulu satisfaire deux intérêts qu'il ne séparait jamais dans sa pensée, le bien de l'armée, le bien du roi. A l'armée, il donnait de meilleurs officiers subalternes ; au roi, il donnait une plus grande autorité sur l'armée, en diminuant, non pas l'action légitime et nécessaire, mais l'influence excessive et abusive des grades supérieurs, entachés de vénalité, sur les bas grades qui ne se vendaient pas. Cette préoccupation de l'unité dans l'armée lui avait inspiré d'autres réformes que les intérêts particuliers, ennemis de l'intérêt général, battirent en- brèche, après la mort du grand ministre, et ruinèrent, avec l'assentiment et au grand dommage de Louis XIV.

Louvois, entre autres choses, s'inquiétait avec raison des prix exagérés où était poussé, par le fol emportement des compétiteurs, le trafic des régiments et des compagnies. Dans ces combats d'argent, le vainqueur épuisé, obligé de s'endetter pour payer sa victoire, demeurait hors d'état de satisfaire aux dépenses quotidiennes et nécessaires pour le bien du service. Quelque difficulté qu'il y eût à intervenir dans un commerce qui, tant qu'il était dans les lois et dans les mœurs, devait rester libre, Louvois y intervint, et, s'il ne lui fut pas permis de limiter les folies des grands seigneurs, il sauva du moins les fortunes moyennes, en taxant, dans la cavalerie par exemple, les régiments de gentilshommes au taux uniforme de 22.500 livres, et à 12.000 les compagnies de ces régiments[44] ; mais il ne put pas faire que les compagnies aux gardes n'atteignissent le prix incroyable de 80.000 livres, et il ne put pas empêcher à la fin que Louis XIV, cédant aux sollicitations des acquéreurs qui voulaient relever l'importance d'un grade si chèrement acquis, n'accordât à tous les capitaines aux gardes le rang de colonel[45]. C'était là une concession funeste à la bonne organisation de l'armée et tout à fait contraire aux idées de Louvois.

Tout ce qu'il avait pu essayer d'ailleurs pour décourager, non pas le zèle, mais la vanité des officiers, il l'avait fait. Toutes les fois qu'il s'était agi d'augmenter l'effectif de l'armée par des levées nouvelles, il avait conseillé au roi d'augmenter le nombre des bataillons dans les anciens régiments, plutôt que de créer des régiments nouveaux, et de faire la dépense inutile de nouveaux états-Majors. Bien souvent il réussit à retenir la complaisance du roi pour des seigneurs qui, sans souci de l'armée ni des finances, ne songeaient qu'à devenir colonels ; mais il y avait des temps, surtout vers la fin, où le roi lui échappait.

Vauban se rencontrait naturellement avec lui pour blâmer la création de ces nouveaux corps, de ces petits régiments, comme on les appelait, et à la tète desquels le roi mettait trop souvent de petits colonels. Sollicité un jour d'appuyer un de ces jouvenceaux auquel il reconnaissait du mérite, du feu et de la valeur, il s'y refusait cependant : Je vois si peu de raison, écrivait-il à Louvois, de donner la conduite des corps, qui doivent être considérés comme les bras et l'épée de l'État, à de jeunes gens qui auroient encore besoin d'être conduits eux-mêmes, dix ans durant, que je ne puis me résoudre à faire une demande de cette nature[46].

L'un des abus qui nuisaient le plus au bon ordre comme à l'unité de l'armée, c'était la nomenclature perpétuellement variable des régiments qui changeaient de nom en même temps que de propriétaire ; cet abus était d'autant plus redoutable qu'il semblait digne de respect, parce qU'il était un vieil usage, et qu'à le défendre, les intéressés paraissaient mettre moins de vanité que de légitime orgueil. Cependant, à force de persévérance et de bonnes raisons, Louvois en vint à bout. Il parvint à substituer, pour le plus grand nombre, aux noms des colonels des noms permanents, des noms de province en général. A la date du 5 janvier 1691, on peut lire dans le Journal de Dangeau cette remarque : Il n'y a quasi plus de régiment d'infanterie qui porte le nom des colonels. Dans  un contrôle de cette année 1691, sur quatre-vingt-huit régiments d'infanterie française, soixante-douze, en effet, ont des noms permanents, et seulement seize des noms variables. Mais Louvois meurt cette année même ; vingt-trois ans après, dans un contrôle de 1714, le nombre des régiments d'infanterie française s'est élevé au chiffre énorme de deux cent trente-huit ; quatre-vingt-quatorze ont des noms permanents ; cent quarante-quatre portent les noms de leurs colonels. Entre ces deux contrôles, il y a la distance d'un bon système à un mauvais, de l'ordre à l'anarchie, de Louvois à Chamillard et à Voysin.

Sévère pour les vaniteux, impitoyable pour les négligents[47], dédaigneux des flatteurs, Louvois n'a jamais cessé d'encourager le mérite modeste et le dévouement sincère. Aux bons officiers, les gouvernements, les commandements, les lieutenances, les majorités et les autres fonctions à la suite dans les places et citadelles, les inspections générales et particulières, les gratifications, les prieurés et commanderies de Saint-Lazare, et enfin des pensions fondées sur les revenus disponibles de l'Hôtel des Invalides[48].

Pressé par les nécessités de la guerre, Louvois avait trouvé, dans ces nécessités mêmes, l'occasion de rappeler au service et de rattacher à l'armée des officiers qui, pour un motif ou pour un autre, mais pour des motifs toujours honorables, s'en étaient prématurément séparés. Lorsque, à la fin de l'année 1688, la France, menacée sur toutes ses frontières, eut à faire tête à toutes les forces d'une coalition européenne, il se trouva que le recrutement de l'armée, abandonné, suivant l'usage, à l'industrie particulière, mais décrié par les fraudes et les violences des recruteurs, ne suffisait plus. Il fallut que le roi s'adressa, directement. à ses peuples, et de ce rapprochement naquit l'institution des régiments de milices[49].

Si, par beaucoup d'endroits, Louvois doit être grandement compté parmi les créateurs de nos armées modernes, c'est par l'institution des milices enrégimentées qu'il. a le plus peut-être mérité cet honneur. Il y avait là, en principe, toute une révolution dans l'organisation militaire de la France, la destruction de la vénalité des charges et des compagnies à l'entreprise ; il y avait, dans ce germe déposé par Louvois au fond de notre sol, une telle puissance de vie, qu'après plus d'un siècle de négligence et de mauvaise culture, il a poussé tout d'un coup hors de terre et produit. pour notre gloire, notre excellente armée. Au mois de décembre 1688[50], une ordonnance royale prescrivit aux intendants des anciennes provinces de faire procéder dans toutes les paroisses de leurs généralités, suivant l'importance de la contribution foncière acquittée par chacune d'elles, au choix d'un ou de plusieurs miliciens[51], à prendre parmi les gens non mariés de vingt ans à quarante. Tout milicien devait être habillé et armé, mais sans aucune obligation d'uniformité[52], aux frais de la paroisse, et recevoir d'elle une Solde de deux sous par jour ; moyennant quoi, il devait se tenir aux ordres des officiers nommés par le roi, et s'exercer, en attendant, les dimanches et fêtes, au maniement des armes. Cinquante miliciens des paroisses les plus voisines formaient une compagnie, et quinze, dix-huit ou vingt compagnies formaient un régiment. Il y eut ainsi trente régiments donnant un effectif général de 25.000 hommes environ. Tous les officiers, depuis le colonel jusqu'au lieutenant, étaient choisis parmi les gentilshommes de la province, et autant que possible, parmi les gentilshommes ayant servi dans l'armée. Ils touchaient, sur les fonds des généralités, en temps ordinaire, des appointements peu considérables, puisqu'ils ne montaient pas à plus de six cents livres pour le colonel. Mais, si le régiment était convoqué pour marcher hors de la province, alors les généralités et les paroisses étaient déchargées de tous frais d'entretien ; le roi se mettait à leur place ; les officiers étaient traités comme ceux des troupes régulières[53], et les miliciens comme les soldats[54]. Il n'y avait plus de différence entre eux[55].

Le milicien, d'après l'ordonnance, n'était engagé que pour deux ans. S'il se mariait à son retour dans le village, il devait être, pendant les deux années suivantes, exempt de la taille ; mais il faut bien dire que les promesses de l'ordonnance, sur la durée du service au moins, ne furent pas scrupuleusement tenues. Il arriva que ces régiments de milices, institués d'abord à titre de réserve, se trouvèrent, pour la plupart, formés d'anciens soldats, et dès lors, tout de suite propres à servir en garnison et même en campagne[56]. On s'efforça donc de les retenir ; au lieu de renvoyer, le 1er décembre 1690, fous les miliciens levés à la fin de l'année 1688, on les fit tirer au sort pour n'en laisser aller que le tiers ; l'année suivante, on fit de même, si bien que le dernier tiers ne fut libéré qu'à la fin de l'année 1692, après quatre ans de service.

L'épreuve avait si bien réussi d'abord qu'on ne tarda pas à lever de nouveaux régiments, particulièrement en Gascogne et en Guyenne. L'institution, toutefois, avait déjà subi une modification profonde ; les miliciens étaient non plus choisis, mais tirés au sort dans les paroisses, et ce n'étaient plus les garçons seulement qui se trouvaient soumis à l'obligation du tirage, c'étaient aussi les jeunes hommes mariés[57].

L'institution des milices survécut à Louvois jusqu'à la paix de Ryswick, un peu plus longtemps que l'institution des cadets ; mais, dans la guerre pour la succession d'Espagne, les administrateurs médiocres qui tenaient alors la place de ce grand ministre, ne surent pas comprendre la portée d'une création si féconde ; il n'y eut plus de milices enrégimentées, et les miliciens ne furent plus que des victimes désignées d'avance à la rapacité des recruteurs. Voilà comment, sous le règne de Louis XIV, une institution qui pouvait faire une armée nationale et toute au roi, tourna au bénéfice des marchands d'hommes qui partageaient avec le roi la propriété de l'armée française.

Les compagnies de cadets, les régiments de milices, et la fondation du Dépôt de la Guerre en 1688[58], telles sont, depuis la paix de Nimègue, les grandes inventions de Louvois, générales et de principe ; il y en a quelques autres, particulières et de détail, dont il convient aussi de parler.

En tout ce qui touchait à l'instruction, à l'équipement et à l'armement du soldat, Louvois avait sans cesse dans l'esprit la préoccupation du mieux[59]. Il savait, par l'expérience des dernières guerres, que le feu de l'infanterie allemande était plus nourri et plus sûr que le feu de l'infanterie française[60]. Le ministre s'en prenait aux officiers qui, négligeant de s'instruire et de s'exercer eux-mêmes, ou n'exerçaient pas les soldats, ou ne s'inquiétaient guère si leur tir était défectueux[61]. Les officiers de leur côté se rejetaient sur l'équipement qui ne permettait, pas au soldat de charger rapidement ni régulièrement son arme[62], et sur les règlements qui s'obstinaient à proclamer, contre toute évidence, la supériorité du mousquet sur le fusil.

Le roi et la plupart des généraux, en effet, tenaient toujours pour les anciennes armes, pour le mousquet et pour la pique. Louvois n'avait pas le même entêtement ; il savait que ces questions-là commençaient à être discutées et résolues autrement dans les armées étrangères ; il savait qu'en faisant la guerre contre les Turcs, les Allemands avaient introduit des modifications notables dans leur armement, et par suite, dans leur tactique. Il s'informait avec soin de ces modifications ; il interrogeait tous les officiers qui revenaient d'Allemagne, et sur ce qu'il apprenait d'eux, il consultait Vauban. J'ai vu, lui écrivait-il le 12 décembre 1687, des officiers qui ont fait la campagne de Hongrie, cette année[63], qui m'ont assuré que dans l'infanterie de l'Empereur, il n'y a aucune pique ; que chaque bataillon y est de quatre ou cinq cents hommes, et que les soldats portent des chevaux de frise avec eux, lesquels ils joignent les uns aux autres et mettent devant le front du bataillon, lorsqu'ils sont en présence de l'ennemi ; que cette infanterie de l'Empereur, dans les occasions qui se sont présentées cette campagne, et particulièrement dans l'affaire d'Essek, a fait l'arrière-garde de toute l'armée, sans appréhender la cavalerie turque, laquelle venant trois et quatre mille ensemble sur les derniers bataillons, lesdits bataillons n'ont fait que poser leurs chevaux de frise à terre et faire demi-tour à droite, avec quoi la cavalerie turque a toujours été obligée de se retirer de dessous leur feu, et dès qu'elle s'étoit un peu retirée, cette infanterie a continué de marcher et s'est retirée sans recevoir aucun échec. Je vous prie de me mander ce que vous pensez sur cet usage, et de faire gâter quelques pièces de bois à faire faire quelqu'un de ces chevaux de frise qui soit le plus léger et le plus aisé que faire se pourra. L'on assure qu'un corps d'infanterie, qui en a, peut marcher aisément dans des plaines sans craindre de la cavalerie ; que, dans une bataille, un bataillon qui en est pourvu se garantit beaucoup mieux de la cavalerie qu'il ne feroit avec des piques ; que tous les soldats qui composent un bataillon ayant des armes à feu, le feu d'un bataillon est augmenté de plus d'un quart et aussi beaucoup plus dangereux. En un mot, cette invention paroît beaucoup meilleure que des piques, hors en un seul cas, qui est que quand, dans une bataille, un corps d'infanterie voudra marcher en avant et se servir de l'épée, après avoir fait soit feu, ces chevaux de frise l'en empêcheroient. Mandez-moi ce que vous pensez sur cela, de manière que je puisse lire votre lettre à Sa Majesté.

Vauban n'avait pas besoin d'y penser longtemps ; il venait d'imaginer une invention meilleure, et il en avait déjà même exécuté le modèle. Treize jours après lui avoir écrit ce qu'on vient de lire, Louvois reprenait[64] : Le roi a entendu avec beaucoup d'attention la lecture de la lettre que vous m'avez écrite, le 21 de ce mois. Sa Majesté approuvera que lorsque vous viendrez, vous fassiez apporter l'équipage de soldat dont elle fait mention. Cependant je vous prie de m'expliquer comment vous imaginez une baïonnette au bout d'un mousquet, qui n'empêche point que l'on ne le tire et que l'on ne le charge, et quelle dimension Nous voudriez donner à ladite baïonnette. Vauban venait d'inventer la baïonnette à douille. Il avait encore inventé autre chose, un mousquet-fusil, qu'il ne faudrait pas confondre avec l'arme à platine de rechange qui avait été proposée en 1671[65]. Le modèle produit par Vauban n'avait qu'une platine, et l'invention consistait en ce que le serpentin du mousquet et le chien du fusil ne faisaient qu'une seule et même pièce, de sorte que la mèche et la pierre agissaient tout ensemble, et que l'une des deux venant par accident à manquer son effet, la pierre suppléait toujours à la mèche, ou la mèche à la pierre[66]. C'était, comme on voit, une arme de transaction ; à ce litre, elle fut acceptée, non saris peine toutefois, ni pour bien longtemps.

Les partisans de l'ancienne mode, tout en paraissant sacrifier le mousquet, ne voulurent jamais renoncer à la pique[67] ; et, moins de deux mois après son introduction dans Farinée, le mousquet-fusil en fut retiré tout à coup. Ce fut l'approche rhème de la guerre, en 1688, qui empêcha que la nouvelle arme ne subit l'épreuve décisive de la guerre[68]. On ne sait donc pas quelle était exactement la valeur pratique d'une invention recommandée par le grand nom de son auteur ; mais la baïonnette à douille, la baïonnette de Vauban, resta dès lors et à tout jamais entre les mains de nos soldats, l'arme la mieux appropriée à la furie française[69]. La pique cependant ne céda pas encore. Le 8 septembre 1689, Louvois écrivait à Chamlay : Je vous prie de vous bien informer s'il est bien véritable que les troupes ennemies n'aient point de piques ; car il est important, en ce cas-là, que Sa Majesté prenne un parti sur les piques qui lui occupent les meilleurs soldats[70].

Il ne fut pas donné à Louvois d'accomplir la réforme qu'il avait préparée ; il mourut ; la pique et le mousquet lui survécurent. En 1692, après la bataille de Steenkerke, le maréchal de Luxembourg avait chargé son propre fils, le comte de Luxe, de porter à Louis XIV le détail de l'affaire, et Louis XIV écrivait au maréchal : Le comte de Luxe m'a parlé longtemps sur les mousquets et sur les fusils de mes troupes, et m'a assuré que le feu ne s'est soutenu que par les fusiliers, et que les nouveaux soldats ne pouvaient quasi se servir de leurs mousquets. Le gros feu des ennemis pourroit bien venir de ce qu'ils ont beaucoup plus de fusils que de mousquets. Examinez ce que vous croyez qui serait le plus utile pour le bien de mon service, ou de faire que mon infanterie soit toute armée de fusils, ou de la laisser comme elle est. Parlez-en aux vieux officiers, et me dites ce qu'ils croiront qui seroit le plus utile. Le comte de Luxe m'a dit aussi que la plupart des piquiers ont jeté leurs piques et pris des fusils des ennemis. Si vous croyez qu'il soit bon d'en redonner à mon infanterie (des piques !), mandez-le-moi, et j'ordonnerai aussitôt qu'on en distribue la quantité que vous en demanderez[71].

Quelle éloquence dans ces faits-là ! Et cependant, ce fut seulement huit ou dix ans plus tard, entre 1700 et 1703, que l'infanterie française vit disparaître avec joie le dernier mousquet et la dernière pique.

Il y avait eu moins à faire pour la cavalerie. En 1679, elle avait remplacé l'épée par le sabre[72]. L'année suivante, eut lieu la première institution des carabiniers, qui étaient, dans la cavalerie, ce que les grenadiers étaient dans l'infanterie[73]. Les commencements de ces deux troupes d'élite furent à peu près les mêmes ; il y eut d'abord, dans chaque compagnie de cavalerie, deux carabiniers choisis parmi les meilleurs sujets et les plus adroits ; ils avaient pour arme une carabine rayée[74]. Ce fut Chamlay qui proposa, en 1689, de faire pour les carabiniers ce qu'on avait fait pour les grenadiers, c'est-à-dire de créer une compagnie de carabiniers dans chaque régiment de cavalerie[75]. Après mûr examen, cette proposition fut accueillie, et cent sept compagnies de carabiniers, chacune de trente maîtres, furent mises sur pied, au mois d'octobre 1690[76]. En campagne, tous les carabiniers d'une armée étaient réunis et formaient une brigade à part.

La cavalerie, pour s'instruire, a besoin de temps et d'espace ; tous les ans, pendant plusieurs mois, de nombreux escadrons, rassemblés sur quatre ou cinq points du royaume, dans de larges plaines, aux abords des rivières, s'y habituaient à la vie des camps et s'y exerçaient aux grandes manœuvres.

Il y a de même pour l'artillerie, pour ses établissements, pour ses travaux, pour ses épreuves, des conditions locales qui l'attirent vers de certains endroits déterminés et appropriés à son usage. Douai, Metz, et Strasbourg, un peu plus tard, étaient, dans les années qui suivirent la paix de Nimègue, les principaux centres d'artillerie. Louvois les visitait souvent. Les liens de jour en jour plus nombreux et plus étroits qui rattachaient l'artillerie au reste de l'armée, c'était lui qui les avait noués le premier ; l'alliance de cette grande arme avec les autres était son œuvre personnelle ; il s'en faisait justement gloire. Ni le duc du Lude, ni le maréchal d'Humières, qui durent successivement à Louvois la charge si enviée de Grand-Maître[77], ne songèrent pas à lui contester la jouissance d'un domaine dont il leur abandonnait le magnifique revenu, mais qu'il entendait bien cultiver et travailler à sa guise.

Le régiment des fusiliers avait été le premier produit de ce travail ; affecté à la garde et au service de l'artillerie, mais appelé aussi quelquefois à faire le service d'infanterie, il était le trait d'union entre les deux armes[78]. Les troupes spéciales ne tardèrent pas à suivre : en 1676, deux compagnies de bombardiers ; en 1679, six compagnies de canonniers. Louvois était ravi. Je ne puis bien expliquer à Votre Majesté, écrivait-il au roi, l'année suivante, l'état des six compagnies de canonniers, n'ayant de ma vie vu des troupes faites comme celles-là. Ce sont les plus beaux hommes du monde, dont le plus vieux n'a que trente ans, et je ne crois pas que le plus jeune en ait moins de vingt-cinq[79]. A ces six premières compagnies, six autres furent ajoutées en 1689. Lorsque Louvois institua, sous le nom de compagnies de gentilshommes, de véritables écoles militaires, il eut soin d'annexer à celle de Douai une escouade exclusivement composée de cadets d'artillerie. En 1684, les deux compagnies de bombardiers, créées huit ans auparavant, devinrent un régiment spécial de douze compagnies, qui eut, comme le régiment des fusiliers, le Grand-Maître de l'artillerie pour colonel[80]. Enfin, deux compagnies de mineurs créées, l'une, dès l'année 1675, l'autre en 1679, servirent de transition entre l'artillerie et les ingénieurs, comme les fusiliers entre l'infanterie et l'artillerie, comme les carabiniers et les dragons entre la cavalerie et l'infanterie.

Vauban approuvait en général toutes ces inventions de Louvois ; il louait particulièrement les cadets, les canonniers, et les mineurs surtout ; mais il ne pouvait s'empêcher de remarquer que, de l'artillerie aux ingénieurs, les mineurs entre-deux, la transition, si habilement ménagée qu'elle pût être, n'aboutissait pas à grand'chose, puisque, moins heureux que les officiers d'artillerie, les ingénieurs restaient, comme devant, des officiers sans troupes. Il ne cessait donc pas de réclamer et de proposer, sinon un régiment, tout au moins une compagnie de sapeurs[81] ; mais, quoi qu'il pût faire et dire, sa proposition, toujours accueillie et toujours éludée, ne cessa jamais d'être à l'étude.

Vauban avait d'ailleurs un grand motif de se consoler ; l'unité se faisait dans la fortification. Malgré son titre de commissaire général, le chevalier de Clerville n'en avait jamais exercé, les fonctions que dans le département de Colbert ; Vauban régnait dans celui de Louvois ; mais lorsqu'après la mort du chevalier, Vauban recueillit son héritage, il fut un commissaire général des fortifications effectif et efficace. Dès lors, tous les travaux de défense, sur toutes les frontières, furent conçus et exécutés d'après un plan d'ensemble où l'opinion-de Louvois influa toujours plus que celle de Colbert et de Seignelay ; et lorsqu'enfin, après la mort de Seignelay, Louvois eut pris la direction de toutes les fortifications du royaume, Vauban, dans cette partie importante du génie militaire, n'eut plus rien à souhaiter[82].

Entre Louvois et Vauban, les rapports ne cessèrent pas d'être excellents, parfaitement naturels et sans contrainte. On peut bien dire que Vauban avait dompté Louvois, et qu'en fait de rudesse, le redouté ministre ne faisait que rendre à autrui les leçons un peu vives que lui infligeait quelquefois son ami l'ingénieur. En 1678, Vauban travaillait à parfaire son chef-d'œuvre, la place et le port de Dunkerque. Sur quelques points de détail, sur le rehaussement d'une digue, ou sur le mérite comparé d'une redoute et d'un ouvrage à corne, Louvois n'était pas d'accord avec lui ; mais les objections du ministre, dans le fond ni dans la forme, n'avaient rien de péremptoire, et de blessant encore moins[83]. Vauban cependant s'irritait et lui répondait : Quand je serois un innocent qui n'auroit jamais vu de fortifications ni d'attaque de places, vous ne me traiteriez pas plus mal ni avec plus de méfiance que vous faites, sur les digues à refaire le long du canal de Bergues. Tout ce que je puis vous dire, c'est que je n'y toucherai assurément pas, si vous ne parlez autrement. Sur cela, prenez telle mesure qu'il vous plaira. Souvenez-vous, disait-il encore, que voilà un an que vous objectez contre l'établissement de cet ouvrage à corne, à même temps que vous insistez pour une redoute, en faveur de laquelle il n'y a pas un mot de bon sens à dire, et cela contre qui ? Contre moi qui suis sur les lieux, avec mes yeux et toutes les lumières qu'il a plu à Dieu de me départir, qui fais métier de bâtir des fortifications et d'en faire prendre, et homme, en un mot, à qui, je crois, vous ne prétendez rien disputer sur cela. Décidez donc tout ce qu'il vous plaira d'autorité sur cet article, et ne prétendez plus me convaincre par raison, puisque je l'ai tout entière de mon côté ; et, au nom de Dieu, finissons la chicane, puisque ni plus ni moins, après celle-ci, je ne réponds plus sur la redoute ni sur la corne, attendu que cela n'est bon qu'à m'avoir fait demeurer trois jours inutilement à Dunkerque plus que je n'aurois fait, et à causer des absences et des retards très-fâcheux à nos ouvrages, qui ne les accommodent nullement[84].

De tout autre, Louvois n'eût pas souffert assurément une pareille sortie ; mais de Vauban, dont il connaissait le cœur sincère et la rude franchise, il acceptait tout sans trop d'humeur. C'est assez, lui écrivait-il par exemple, que je remarque les défauts, et que je vous fasse part de mes scrupules ; vous me les leverez, s'il vous plaît, par un discours assez clair pour que je le puisse comprendre ; car je ne m'accommode en façon du monde des décisions qui ne sont pas accompagnées de raisonnements qui éclairent mon ignorance[85]. Quelquefois d'ailleurs, lorsque Vauban lui adressait des mémoires politiques, le ministre prenait sa revanche. Quant au mémoire que je vous renvoie, afin que vous puissiez le supprimer, aussi bien que la minute que vous en avez- faite, lui écrivait-il un jour, je vous dirai que si vous n'étiez pas plus habile en fortification que le contenu en votre mémoire donne lieu de croire que vous l'êtes sur les matières dont il traite, vous ne seriez pas digne de servir le roi de Narsingue qui, de son vivant, eut un ingénieur qui ne savait lire, ni écrire, ni dessiner. S'il m'était permis d'écrire sur une pareille matière, je vous ferais honte d'avoir pensé ce que vous avez mis par écrit ; et comme je ne vous ai jamais vu vous tromper aussi lourdement qu'il paroît que vous l'avez fait par ce mémoire, j'ai jugé que l'air de Basoche[86] vous avoit bouché l'esprit, et qu'il était fort à propos de ne vous y guère laisser demeurer[87]. Ces exemples, après tout, ne font pas règle : Louvois ne dédaignait pas toujours l'opinion de Vauban, même en politique, ni Vauban l'opinion de Louvois, même en fortification. Le ministre et l'ingénieur s'estimaient fort l'un l'autre.

Dans la vie si active de Vauban, la période qui a suivi la paix de Nimègue est certainement la plus active. Colbert et Seignelay l'appelaient d'un côté, Louvois le rappelait d'un autre ; chaque année, pour ainsi dire, il faisait son tour de France. Si l'on reste dans les limites du département de Louvois, que de travaux sur les frontières du Nord et de l'Est ! Que de places neuves, et que de places réparées ou agrandies[88] ! Vous savez ou vous ne savez pas que le roi a résolu de faire bâtir une place à Longwy, écrit Louvois en 1678[89] ; et Vauban fait un plan pour Longwy. L'année suivante, il fait des plans pour Maubeuge, pour Charlemont, pour Bitche, pour Hambourg, pour Sarrelouis, pour Phalsbourg. Louvois lui-même en est presque à s'effrayer de la dépense ; il modère le roi : Je ne prends point la liberté, lui écrit-il, de parler à Votre Majesté sur les grosses dépenses dans lesquelles la construction de tant de nouvelles places l'engage. Elle y fera d'elle-même la réflexion qu'elle estimera convenable à son service. Je lui dirai seulement que voilà sept places commencées de cette année, sans compter Schlestadt, Perpignan et Bellegarde, lesquelles on fait aussi presque tout à neuf. J'espère que les fonds que Votre Majesté a réglés pour l'année qui vient, suffiront à la dépense qui y est à faire ; mais elle doit s'attendre à une grosse dépense en l'année 1681, qu'il les faudra toutes achever, et que les fonds que l'on a tirés cette année des pays étrangers[90] seront achevés de consommer[91].

En 1680, Louvois, envoyé par les médecins à Barèges, appelle à lui Vauban pour visiter les places du Roussillon[92], et il y ajoute, à l'entrée de la Cerdagne, la citadelle de Mont-Louis[93]. En1681, ce sont les grands et magnifiques travaux de Strasbourg et de Kehl[94] ; en 1682, les travaux de Casal. Les deux années suivantes sont des années de guerre ; Luxembourg est pris, et Vauban travaille aussitôt à le rendre plus formidable encore. Cependant Louvois lui écrit[95] : La prise de Luxembourg mettant la frontière du roi en tel état que les Allemands, qui dorénavant doivent être considérés comme nos véritables ennemis et les seuls dont nous pourrions recevoir du préjudice, s'ils avoient à leur tête un Empereur qui voulût monter à cheval, ne pouvant point attaquer le royaume par ce côté-là, seront obligés de venir par la basse Alsace ou par la haute, Sa Majesté sera bien aise d'avoir votre avis sur ce que vous croyez qu'il y auroit à faire pour mettre la basse Alsace en sûreté et pourvoir à celle de la haute, ce que l'on ne peut faire, ce me semble, qu'en accommodant Huningue mieux qu'il n'est, et c'est sur ce mieux que Sa Majesté désire que vous lui mandiez diligemment ce que vous croyez qu'il y a à faire.

Outre Huningue, Vauban propose de fortifier Béfort ; Louvois est d'accord avec lui, sauf sur un point de détail : Comme vous n'avez pas coutume de vous rendre aux raisons d'autrui, lui écrit-il en riant, je m'attends que nous disputerons sur ce sujet à la première entrevue, et qu'après avoir vu quelques représentations d'opéra à Paris, vous voudrez bien prendre le chemin de Béfort, pour aller chez vous faire le projet de la fermeture que vous trouverez à propos pour ladite place[96]. Béfort, Huningue, Brisach et Fribourg protégeront assez la haute Alsace ; mais, au-dessous de Strasbourg et de Kehl, la basse reste à découvert. N'y aurait-il pas, à six ou sept lieues au nord de Strasbourg, quelqu'une des nombreuses îles du Rhin que Vauban pourrait entourer de travaux, comme un camp retranché[97] ? Le 7 janvier 1687, Vauban annonce à Louvois qu'il a posé la première pierre du Fort Louis du Rhin.

Mais déjà l'attention du ministre s'est portée bien au delà, sur la Moselle, plus loin que Trèves, entre Trèves et Coblentz ; il visite avec Vauban la presqu'île de Traben, auprès de Traerbach ; et l'Allemagne frémissante voit s'élever sur le rocher de Traben, que la Moselle entoure comme d'un fossé naturel, l'inaccessible forteresse de Mont-Royal[98]. Rien n'est plus beau, s'écrie Louvois, que le poste que j'ai été visiter sur la Moselle, qui mettra les frontières du roi en telle sûreté, et les Électeurs de Cologne, Trèves, Mayence et le Palatin en telle dépendance que cette frontière-ci sera meilleure et plus aisée à défendre que n'est celle de Flandre[99]. Sur Strasbourg, il écrit au roi[100] : Je suis assuré que nul prince n'a jamais fait faire en tous ses États ce que Votre Majesté a fait faire en ce lieu-là qui sera un monument perpétuel de sa grandeur et du soin qu'elle a pris de mettre son royaume à couvert des entreprises de ses ennemis. Louis XIV vint lui-même visiter Luxembourg, et Louvois écrivait au contrôleur général Le Peletier, son ami[101] : Sa Majesté a paru satisfaite de tout ce qu'elle a vu ici, et les courtisans, contre leur ordinaire, n'y ont rien trouvé à redire. Des courtisans réduits au silence, quel triomphe !

Tout n'était pas fini cependant ; tout ne faisait que commencer, au contraire ; la frontière d'Allemagne n'était pas tellement en sûreté qu'il n'y eût plus qu'à laisser venir les armées impériales, tout à l'heure victorieuses des Turcs, Le 25 août 1687, Louvois écrivait à Vauban une lettre qui était un cri d'alarme. La nouvelle que le roi vient d'avoir de la défaite de l'armée turque lui faisant juger à propos de pourvoir à donner la dernière perfection à sa frontière du côté d'Allemagne, Sa Majesté aura bien agréable que, sans attendre que le congé qu'elle vous a accordé soit entièrement consommé, vous partiez de chez vous en poste pour VOLIS en aller en Alsace. Les ouvrages que le roi a fait faire à Huningue et la construction de Béfort paroissent à Sa Majesté suffisants pour mettre la haute Alsace en sûreté de ce que les villes Forestières pourvoient donner le moyen aux impériaux d'entreprendre. Brisach, Fribourg et Strasbourg, et la construction de Phalsbourg, mettent la haute Alsace en toute sûreté. La construction du Fort du Rhin, qui ne peut manquer d'être en une entière défense dans la fin du mois de mai prochain, pourvoit à la sûreté de Strasbourg, et ôtera apparemment à l'ennemi la pensée de passer la forêt de Haguenau pour s'approcher de Strasbourg. Mais la basse Alsace leur demeure en proie, et ils pourront toujours, au moyen de Philisbourg, lorsqu'ils seront les plus forts, manger entièrement ce pays-là, que Sa Majesté voit avec peine demeurer à leur discrétion, si par le sort d'une bataille on ne l'en délivre pas au commencement d'une campagne ; et comme une bataille perdue peut être d'un préjudice infini, au delà de l'avantage que Sa Majesté recevroit de la défaite d'une armée allemande, elle voudroit mettre sa frontière en état que les Allemands ne pussent passer en deçà du Rhin, sans y trouver une place qui les empêchât de marcher, en remontant le Rhin, dans la basse Alsace. Il paroit pour cela qu'il n'y a que trois partis à prendre : le premier, de fortifier une île qui est à trois lieues au-dessus de Philisbourg ; l'autre, de fortifier Germersheim, et le dernier de fortifier Landau. Le roi désire que vous examiniez la situation de cette île, l'élévation de son sol, et que vous lui donniez votre avis sur la fortification que l'on y pourroit faire. Vous devez examiner la même chose à Germersheim et à Landau. Toutes les raisons sembleroient porter à conclure pour Landau, qui étant dans les terres de la domination du roi, desquelles Sa Majesté est depuis longtemps en paisible possession, ne donneroit aucun sujet de plainte aux Allemands, qui ne manqueroient pas de dire que, le Rhin devant être commun entre la France et l'Allemagne, l'on ne peut prendre aucun établissement dans l'île dont je vous viens de parler, sans contrevenir au traité de trêve. L'on assure que de Landau l'on maitrisera entièrement tout le Palatinat, et qu'une grosse garnison dans cette place ôteroit entièrement, à une armée allemande qui se seroit avancée en Alsace, le moyen de communiquer avec Philisbourg. Il est vrai que la fortification de cette ville ne donneroit aucune entrée au roi en Allemagne ; mais, outre que l'on prétend que l'île d'au-dessus de Philisbourg en fourniroit une fort méchante, il semble que les quatre ponts que le roi a entre Bâle et le Fort-Louis sont plus que suffisants pour toutes les entreprises que Sa Majesté voudra faire en Allemagne. Sa Majesté aura bien agréable que vous vous appliquiez sur les lieux à connoître le fort et le foible de toutes les raisons ci-dessus. Vous examinerez, en même temps, s'il vaudroit mieux s'en tenir aux places que le roi a présentement, et faire entièrement raser les murailles de Germersheim et de Landau. Sa Majesté épargneroit, en suivant ce parti, une somme considérable que lui coûtera la construction de cette place-là ; l'entretien de la garnison ne lui seroit point à charge, et il n'y auroit point à appréhender que les Allemands, ayant pris cette place, ne s'en servissent pour incommoder les sujets du roi, et qu'elle ne leur servît d'entrepôt pour leur faciliter l'attaque de quelque autre place[102].

Vauban décida pour Landau. Aussitôt les plans tracés et adoptés, les travaux furent entrepris et poussés avec le dernier zèle. Le 27 avril 1688, au milieu des travailleurs surexcités par sa présence, Louvois promettait à Louis XIV Landau fortifié, armé, tout en défense, pour le prochain mois de mars[103]. Il croyait avoir dix mois devant lui ; il n'en eut pas seulement cinq ; la guerre le surprit dans le désarroi des constructions à moitié faites. Souvenez-vous, s'il vous plaît, lui écrivait Vauban, le 28 septembre 1688[104], que voilà cinq places, dont une, qui est Huningue, n'est pas encore achevée, et que Béfort, le Fort-Louis, Landau et Mont-Royal ne sont point du tout en état de défense ; que si vous ne soutenez pas cela par y employer encore beaucoup de troupes, ces ouvrages traîneront et vous donneront de l'inquiétude tant que la guerre durera ici. Et, pour se mettre en défense, il fallut que la France se donnât l'odieux d'une agression sauvage ; pour écarter l'ennemi de ces places ouvertes, il fallut faire bien loin autour d'elles un vaste désert ; il fallut ruiner par le fer et par le feu le Palatinat et l'Électorat de Trèves. On ne verra que trop tôt le récit de ces fatales horreurs.

Quelle que fût l'activité de Louvois, il avait trop présumé du temps et de ses propres forces. Depuis l'année 1683, il avait doublé son labeur ; Colbert à peine mort, il avait pris de son héritage la surintendance des bâtiments, et dès lors mené de front les œuvres de la paix et les œuvres de la guerre[105]. En même temps que des places fortes, il avait construit des palais, et détourné des eaux pour l'agrément de Versailles, de la même main qui disciplinait le Rhin au pied des bastions de Brisach et du Fort-Louis. Et, pour ces travaux de genres si différents, travaux utiles et travaux de plaisance, il avait également employé le génie de Vauban et les bras de l'armée. Mais il se trouva que le surintendant des bâtiments fit tort au ministre de la guerre, que les palais nuisirent aux places fortes, et que l'armée s'épuisa surtout dans des efforts perdus pour la sécurité du pays. Il n'y a pas de paradoxe à dire que c'est pour avoir inutilement tenté d'amener la rivière d'Eure à Versailles, que Louvois s'est cru forcé de brûler le Palatinat.

 

 

 



[1] En 1685, date de cet écrit, les régiments de cavalerie n'avaient des majors que par commission, et point de lieutenants-colonels ; les majors en titre furent institués seulement le 1er novembre 1685, et les  lieutenants-colonels le 1er mars 1686. Voir la circulaire de Louvois aux officiers généraux, du 7 juillet 1685. D. G. 747, et Journal de Dangeau, 1er mars 1686. — Nous devons répéter ici ce que nous avons dit ailleurs : les gradés de major et de lieutenant-colonel étaient plutôt à côté de la hiérarchie que dans la hiérarchie même ; en d'autres termes, ils étaient plutôt faits pour les officiers de mérite, mais de petite fortune, que pour ceux qui leur aisance permettait de passer tout d'un coup d'une compagnie à un régiment ; pour ces derniers, ils n'étaient pas obligatoires. Le 30 août, le 4 et le 5 septembre 1684, Louis XIV créa vingt-sept nouveaux régiments d'infanterie ; des vingt-sept colonels nommés par lui, pas un seul n'avait été lieutenant-colonel ou major ; quinze étaient capitaines dans le régiment du Roi ; cinq dans le régiment Dauphin ; ceux dans le régiment de Picardie ; les autres n'avaient même point auparavant de charges de guerre ; ils avaient servi comme volontaires seulement. Il faut ajouter, par contre, qu'il y a beaucoup d'exemples de lieutenants-colonels nommés brigadiers, sans avoir passé par le grade de colonel.

[2] Le comte de Montal ne fut jamais maréchal de France. Louis XIV l'oublia dans la promotion du 27 mars 1693 ; malheureusement Louvois n'était plus là pour rappeler au roi les titres de son vieux serviteur ; le ministre était mort, le 16 juillet 1691.

[3] On lit dans le Journal de Dangeau, appendice à l'année 1684, que Du Gareau, capitaine-lieutenant des gendarmes de la Reine, fut cassé pour ne s'être pas trouvé à la bataille de Cassel. L'enseigne de la même compagnie eut le même sort et pour la même raison.

[4] Réponse au livre intitulé : La conduite de la France, pages 69-78, 1683.

[5] Louvois à d'Alauzier, 11 mai 1682 : Le roi veut que vous avertissiez tous les officiers, dont plusieurs croient plaire à Sa Majesté en faisant mettre sur les habits de leurs sergents et soldats du galon d'or et d'argent fin ou faux, que l'intention de Sa Majesté est. qu'ils cessent cette dépense pour toujours, et qu'en même temps vous leur fassiez entendre de n'en porter dorénavant sur leurs habits que moins qu'il se pourra, Sa Majesté désirant seulement que tous les officiers d'un même régiment soient vêtus d'une même couleur.

[6] Louvois à d'Alauzier, 25 novembre 1682.

[7] Louvois aux inspecteurs, 15 mars 1685. D. G. 743.

[8] Louvois à Montbron, 17 juin 1683 : L'intention du roi est que vous avertissiez la cavalerie qui est à vos ordres que Sa Majesté désire qu'entre ci et le printemps prochain, les officiers de chaque régiment soient habillés uniformément, et que leur habillement soit réglé de manière qu'il leur cause le moins de dépenses que faire se pourra. D. G. 694. Louvois aux inspecteurs de cavalerie, 22 février 1684. Même sujet : Le moins que les officiers en feront sera le mieux. D. G. 710. — Louvois aux inspecteurs d'infanterie, 10 décembre 1683 : Vous observerez qu'il faudra mettre une pièce de cuir sur l'épaule gauche de chaque soldat, pour faire qu'il porte plus facilement son mousquet, et qu'il n'use point son justaucorps. D. G. 699.

[9] Louvois à d'Alauzier, 19 mai 1682. — Ces officiers ménageaient trop la chaussure de leurs hommes ; il y en avait d'autres qui allaient encore plus loin. Le 25 août 1690, Louvois écrit à Saint-Pouenges : Prenez garde que les souliers que vous ferez donner à l'infanterie soient manuellement distribués, car il est souvent arrivé que les officiers, qui font profit de tout, en ont vendu. D. G. 965.

[10] Louvois à d'Alauzier, 12 septembre 1680.

[11] Ordonnance du 23 décembre 1680.

[12] Louvois à Huxelles, 27 janvier 1683 : J'ai vu ici deux soldats que m'ont dit avoir été licenciés à Ypres, et qui m'ont montré des congés qui portent qu'ils ont été chassés parce qu'ils étoient trop petits. Ces deux soldats n'étaient pas de taille avantageuse, mais ils étoient bien sur leurs jambes, l'un âgé de trente ans et l'autre de trente et un ; et ils m'ont dit qu'ils servaient depuis l'année 1675. Ils m'ont en même temps assuré qu'il en avait été réformé quatre-vingts en un même jour, et qu'il y en avoit deux cents de marqués pour l'être au mois de mars, qui sont encore plus grands qu'eux ; sur quoi je suis obligé de vous dire que vous contrevenez aux intentions du roi en faisant de pareilles réformes, et qu'au lieu d'accommoder les troupes de Sa Majesté, vous les ruinez, puisqu'un soldat qui sert depuis huit ou neuf ans vaut mieux qu'un grand paysan de recrue ; et je me souviens fort bien que je vous ai expliqué que le roi seroit bien aise que vous ne souffrissiez pas que l'on amenât de mauvais hommes de recrues, mais qu'en même temps l'intention du roi étoit que l'on conservât les vieux soldats qui seroient de petite taille et en état de bien servir. C'est ce que je suis obligé : de vous répéter encore, et de vous dire que Sa Majesté entretenant un grand nombre d'infanterie française sur pied, il ne faut pas, peur vouloir mesurer les hommes au pouce et au pied, comme l'on a fait dans le régiment des gardes depuis quelque temps, ce que l'on m'a mandé avoir été aussi pratiqué par quelque inspecteur général qui néanmoins ne m'en a rien mandé, priver le roi du service de soldats qui sont d'âge, de force et de taille à bien servir, et qui n'ont d'autre défaut que d'avoir quelques pouces de hauteur moins que les autres. Je vous répète donc ce que je vous viens d'expliquer, qui est que, pour quelque raison que ce suit, il ne faut point licencier un vieux soldat parce qu'il n'est pas si grand qu'un autre, et que, dans les recrues qui vous seront présentées, il ne faut pas rebuter les soldats qui sont larges et bien faits, parce qu'ils ont quelques pouces de hauteur moins que les soldats des têtes des compagnies, et se contenter d'ôter ceux qui, par leur foiblesse ou autre défaut, seront incapables de bien servir. D. G. 689. — Louvois aux inspecteurs, 23 février 1685 : Sa Majesté ne veut point que l'on mesure les soldats, et il ne fut point chasser un vieux soldat parce qu'il est trop petit, ni un jeune homme de belle espérance. D. G. 742.

[13] D. G. 700.

[14] Une fois, c'est un soldat qui se plaint que son pain lui est pris pour nourrir les chiens de son capitaine. Le capitaine est mis en prison, et ses appointements d'un mois sont donnés au soldat, avec son congé. L'ordre de Louvois est du 15 septembre 1684. D. G. 747.

[15] Louvois aux officiers généraux, 10 juin 1686. D. G. 765.

[16] 13 janvier 1681.

[17] Cet inspecteur, qui était alors à Casal, s'appelait d'Alauzier. L'auteur de ce livre possède un recueil qui contient ses papiers, et dans le nombre, environ cent quatre-vingts lettres originales à lui adressées par Louvois.

[18] Quelques années après, la compagnie de Metz fut transférée à Sarrelouis, et celle de Valenciennes à Béfort.

[19] Louvois à Dufresne, 13 décembre 1682. D. G. 683.

[20] Louvois à La Chétardie, 18 novembre 1682 ; à Moncaut, 26 février 1685. D. G. 682 et 742.

[21] Chabot, fils d'un bourgeois de Gap. Mémoire du 16 juin 1683. D. G. 694.

[22] 5 octobre et 27 décembre 1682. D. G. 681-683.

[23] Louvois aux capitaines, 3 mai 1685, 15 juin 1686. D. G. 745-765.

[24] Louvois aux intendants, 27 octobre 1682. D. G. 681.

[25] Louvois à Jonville, 1er décembre 1682. D. G. 685. A l'occasion de la désertion du sieur Pierre Guy, natif de Nantes.

[26] Solde mensuelle : au capitaine, 150 livres ; 90 au lieutenant, 45 à chacun des deux sous-lieutenants, 30 à chacun des huit sergents, 21 à chacun des huit caporaux, 18 à chacun des huit auspessades, 15 à chacun des cadets, 15 à chacun des trois tambours. Total par compagnie, 7.677 livres, et pour les neuf compagnies, 69.095. Plus, pour habillement et dépenses extraordinaires des cadets, 11.015 livres. État de dépenses pour 1684, n° 60. D. G. 792.

[27] Louvois à Morton et à Mesgrigny, 12 et 29 août 1682. D. G. 680.

[28] Louvois à Montefranc, 18 août 1682 : Sa Majesté approuve que vous fassiez marché avec quelque chirurgien de la ville de Valenciennes de bonne volonté, pour peigner, faire les cheveux et prendre soin de cette jeunesse. D. G. 689. — Il faut noter que, pour favoriser les rapports des cadets avec leurs familles, Louvois, surintendant des postes, avait décidé que les lettres qui leur seraient adressées ne subiraient que la moitié de la taxe habituelle. Louvois aux capitaines, 27 septembre 1682. D. G. 681.

[29] Louvois à Morton, 23 décembre 4642 : Il seroit à craindre, si l'on permettoit aux cadets d'aller à la comédie, que, sous ce prétexte, ils ne se débauchassent, d'autant plus que comme elle ne commence que sur les trois ou quatre heures après-midi, ils ne pourvoient pas être de retour dans la citadelle avant la fermeture des portes. D. G. 683. — Le 12 juin. 1684, Louvois écrivait au maréchal de Schönberg : Le roi a été informé du refus que vous avez fait à une troupe de comédiens de leur permettre de suivre l'armée. Sa Majesté m'a commandé de vous faire savoir qu'elle approuvait fort ce que vous avez fait, et elle vous recommande de ne pas souffrir qu'il s'y en établisse aucune. D. G. 723.

[30] Louvois à Huxelles, 26 décembre 1682. D. G. 683.

[31] Louvois à Dufresne, 3 janvier 1683. D. G. 689.

[32] Louvois à Dufresne, 13 décembre 1682 : Je suis surpris de ce que vous me mandez qu'il n'y a que soixante trois cadets aux mathématiques, puisque vous ne pouvez pas douter que l'intention du roi ne soit qu'ils les apprennent tous. Louvois à de Refuge, 23 juillet 1685 : Le roi a été informé que parmi l'escouade de la compagnie de gentilshommes de Charlemont qui a été envoyée à Longwy, il ne s'en trouve que quatre qui aient appris les mathématiques. et pas un qui sache une règle d'arithmétique ; que, pour s'en excuser, ils disent qu'on leur laissait la liberté d'étudier ou non. Sa Majesté, qui ne veut pas souffrir la continuation d'un pareil désordre, m'a commandé de vous Faire savoir que son intention est que vous obligiez les cadets de la compagnie que vous coin-mandez d'assister à toutes les leçons qui se font, sans en dispenser aucun,- sous quelque prétexte que ce soit. D. G. 685-747.

[33] Pour la mauvaise saison, Louvois avait prescrit que l'on donnât des capotes aux cadets qui étaient placés en sentinelle, et que, pendant la nuit, on les relevât toutes les heures, et même toutes les demi-heures, si le froid était rigoureux. 8 octobre et 7 décembre 1682. D. G. 681-685.

[34] D. G. 694.

[35] Circulaire du 27 août 1682. D. G. 680.

[36] Louvois au chancelier, 28 avril 1684. D. G. 712.

[37] 28 avril 1681. D. G. 722.

[38] En 1677. Voir Histoire de Louvois, Ire partie, t. II, chap. X.

[39] Louvois à Laubanie, 31 mai 1684. D. G. 713.

[40] Louvois aux capitaines, 1er novembre 1684. D. G. 719.

[41] Voir Dangeau, 15 juin 1683. — Voici quelques documents importants sur cette affaire. Louvois à Réveillon, 4 juin 1685 : Le roi a appris avec indignation la sédition de la compagnie que vous commandez et le peu de diligence qu'ont fait les officiers de cette compagnie pour charger ceux qui se sont soulevés. Sa Majesté n'a pas vu avec moins de chagrin que vous ayez manqué à faire arrêter les coupables aussitôt après qu'ils sont rentrés dans la place, et qu'après deux séditions arrivées en un même Jour, vous ayez fait garder avec assez peu de précaution celui qui y avait donné lieu pour qu'il se pût sauver. Sa Majesté a été encore très-mal satisfaite de voir le peu de soin que vous avez pris pour remettre ce cadet au prévôt, qui ne pouvoit point être conduit sûrement avec trois archers, et elle m'a commandé de vous n'arquer que si vous aviez pris les mesures convenables en pareille rencontre, qui eussent pu être de demander de la cavalerie au commandant de Philippeville, de faire prendre les armes A la garnison, auparavant que de parler de faire sortir ce cadet de prison, pareille chose ne serait point arrivée. Sa Majesté ordonne à M. Fautrier de se transporter sur les lieux pour informer de ce qui s'est passé, afin que, sur les procédures qu'il enverra, elle puisse prendre les résolutions qu'elle estimera à propos contre ceux qui n'ont pas fait ce qu'ils devaient dans cette occasion. Cependant Sa Majesté veut que vous fassiez monter à Charlemont le bataillon de Guyenne, que vous l'y fassiez loger tout entier, que vous fassiez désarmer entièrement votre compagnie, tant de mousquets, fusils, piques, que d'épées, fassiez remettre le tout dans le magasin jusqu'à nouvel ordre,. et fassiez arrêter les principaux auteurs de cette sédition pour faire instruire le procès aux dix plus coupables, les jugiez avec M. de Crenan, les officiers du régiment de Guyenne et ceux de la compagnie, et fassiez exécuter sur-le-champ le jugement qui sera rendu contre deux des dix. qui pourront être condamnés, que sous ferez tirer au billet pour cet effet.

Louvois à l'intendant Fautrier, 4 juin : L'intention du roi est que les dix auxquels on fera le procès et qui apparemment seront tous condamnés à mort, soient menés sur le champ de bataille comme s'ils y devoient être tous exécutés, et qu'ils ne tirent au billet que dans le moment de l'exécution, que les huit autres soient reconduits en prison, où, ils demeureront jusqu'à nouvel ordre du roi, et que jusqu'à ce que Sa Majesté permette qu'on rende les armes à la compagnie, aucun ne sorte du château-loti de Charlemont. — Au même, 7 juin : J'ai reçu des lettres de Charlemont qui me donnent lieu de connoître que le procès-verbal que. M. de Réveillon m'a envoyé n'est point véritable, et qu'après que la dernière sédition a été passée, on a laissé aux cadets la liberté de sortir de la place comme s'il ne s'étoit rien passé. Le roi veut savoir jusqu'à la moindre circonstance du bien et du mal que chacun a fait. On ajoute que les cadets ont fait un feu de joie le soir.

Louvois à Fautrier, 12 juin : Il résulte des papiers que vous m'avez envoyés et de ce qui m'a été écrit ci-devant, que le prisonnier avoit les fers aux pieds, qu'il s'est sauvé par un trou qui avait été fait par des déserteurs et qui avoit été remaçonné, que ce trou ne peut avoir été fait par ce cadet en moins de deux ou trois jours ; que lorsqu'il fut reconduit dans la prison pour la dernière fois, un cadet fut chargé de lui aller remettre les fers aux pieds, et que l'on lui porta des limes dans la brasserie, ce qui ne peut avoir été fait que le brasseur n'en ait eu cannois-sauce, et vous devriez l'avoir entendu aussi bien que ses garçons, s'il en a, même le sergent de la compagnie qui fut chargé de lui aller faire remettre les fers aux pieds ; car s'il était entré dans la prison, il serait impossible qu'il n'eût vu le travail que le cadet avoit fait pour rompre la voûte de son cachot. J'ai lu avec surprise les réflexions que j'ai trouvées à la suite de l'abrégé des informations ; car je n'ai point ouï dire que quand on a pris plusieurs voleurs, contre partie desquels on trouve des preuves que l'on ne trouve point contre les autres, les juges puissent être embarrassés à prononcer contre ceux qui sont convaincus de vol, parce qu'ils n'en trouvent point contre tes autres qu'ils ont ouï dire être aussi coupables que ceux-là. L'intention de Sa Majesté est donc que le conseil de guerre soit assemblé sans plus de retard, puisque l'instruction est faite, et que ceux qu'elle a nominés pour le composer rendent un bon jugement contre ceux qu'ils trouveront coupables, la complicité de plusieurs autres, non nominés dans les informations, ne devant point servir à excuser ceux qui y sont désignés ; et la faute de ceux qui se trouvent convaincus ne devant point être excusée, parce que beaucoup d'autres Foui commise avec eux ; elle doit être au contraire punie d'autant plus sévèrement que la multiplicité des coupables a eu de plus dangereuses conséquences. Je vous répète donc que le conseil de guerre doit s'assembler pour juger tous ceux auxquels vous avez instruit le procès par récolement et confrontation, que Sa Majesté ne trouvera point mauvais que le conseil de guerre absolve ceux de ce nombre que, ou par leur trop bas âge ou par la qualité des dépositions, il ne jugera pas devoir être punis, et qu'à l'égard des autres qui se trouveront coupables, soit que leur nombre soit plus ou moins grand que celui de dix porté par ma lettre du 4 de ce mois, ils doivent être jugés par le conseil de guerre et condamnés à la peine que le conseil croira que leur faute mérite, qu'elle ne devra être exécutée que contre deux sur lesquels le mauvais sort tombera. Je n'estime pas que le conseil de guerre doive prononcer aucune peine contre les cadets qui n'auront. pas eu les deux mauvais billets ; il est sans difficulté qu'ils doivent être ramenés en prison pour y attendre les ordres de Sa Majesté. Il ne doit point non plus rien prononcer contre les autres cadets de la compagnie, et il faut laisser à Sa Majesté le soin d'ordonner ce qu'elle jugera à propos pour séparer des gens qui ont commis une pareille faute. Au même, 21 juin : Je prends beaucoup de part à l'affliction de M. de Réveillon ; mais après ce qui s'étoit passé, il n'étoit guère possible que lui, ni ceux qui peuvent prendre part à ce qui le touche, pussent attendre une punition moins sévère que celle qu'il a reçue. Le roi a donné son gouvernement et le commandement de la compagnie de cadets à M. de Refuge, qui s'y rendra incessamment. Il ne convient point que le jugement du conseil de guerre, par lequel les deux cadets de la compagnie de Charlemont ont été condamnés, soit rendu public dans la forme qu'il est, et vous devez en retrancher tout ce qui fait mention de l'intention que vous eue de faire le procès à la compagnie entière, ce qui ne vous a jamais été commandé par Sa Majesté, ni assurément n'a jamais été pensé par personne qui ait instruit un jugement contre une compagnie de gens de guerre. D. G. 740.

[42] Louvois aux capitaines, 26 juin 1685. D. G. 746.

[43] Louvois à Montauban, 9 et 14 août 1685. D. G. 748.

[44] Dangeau, 10 mars et 16 octobre 1689. On peut suivre, dans le Journal de Dangeau, qui tient exactement note des ventes et des prix de vente, les cours très-variables de la propriété militaire.

[45] La date est importante à noter ; c'est le 23 mars 1691, pendant le siège de Mons, qui fut le dernier grand service rendu par Louvois à Louis XIV, et reproché par Louis XIV à Louvois.

[46] 14 novembre 1688. D. G. 827. — Au mois de novembre 1689, le marquis de Grignan, petit-fils de madame de Sévigné, obtient, par la protection du Dauphin, le régiment du chevalier de Grignan, son oncle, devenu maréchal de camp. Le nouveau colonel, capitaine de cavalerie depuis quelques mois, n'a pas tout à fait dix-huit ans Le 22 janvier 1690, madame de Sévigné écrit à sa fille : Mon fils est en peine de voir un jeune enfant de dix-sept à dix-huit ans à la tête d'une si grosse troupe ; il se souvient assez du temps passé pour savoir que c'est une affaire à cet âge que de commander d'anciens officiers. Le marquis de Sévigné prend la plume et s'adresse lui-même à sa sœur : Votre enfant nie parois bien jeune, bien neuf, bien peu fait, pour soutenir un aussi grand fardeau que celui dont il est chargé, un régiment de douze compagnies à dix-huit ans. Sera-t-il doux, on lui passera la plume par le bec ; sera-t-il rigoureux et hautain. mais qu'il prenne garde d'avoir raison invinciblement, car d'user d'autorité et. d'avoir tort fait retomber dans de grandes humiliations. S'il est obligé de faire quelque action de rigueur, c'est une grande extrémité ; s'il évite cette extrémité, les conséquences en sont dangereuses, surtout avec des moustaches et des chamois (c'est-à-dire avec les vieux officiers). Enfin je le plains ; il est avancé de trop bonne heure, et cet avancement fait son malheur.

[47] Qui est-ce qui n'a pas lu la lettre de madame de Sévigné à sa fille, du 4 février 1689 ? M. de Louvois dit l'autre jour tout haut à M. de Nogaret : Monsieur, votre compagnie est en fort mauvais état. — Monsieur, dit-il, je ne le savais pas. — Il faut le savoir, dit. M. de, Louvois ; l'avez-vous vue ? — Non, monsieur, dit Nogaret. — Il faudrait l'avoir vue, monsieur. — Monsieur, j'y donnerai, ordre. — Il faudrait l'avoir donné. Il faut prendre un parti, monsieur, ou se déclarer courtisan, ou s'acquitter de son devoir, quand on est officier. Voilà du Louvois, du plus pur et du meilleur.

[48] Louvois aux inspecteurs, 29 octobre 1680 : Le roi ayant résolu de disposer, entre ci et un mois, des biens qui ont été réunis à l'ordre de Saint-Lazare, dont les revenus montent à près de 300.000 livres par an, Sa Majesté les a fait partager en cent quarante-cinq commanderies, dont quatre-vingt-dix vaudront depuis 900 livres de rente jusqu'à 2.000 livres, cinquante depuis 2.000 livres de rente jusqu'à 1.000 écus, et cinq grands prieurés qui vaudront 2.000 écus chacun. Elle a résolu en même- temps-de rie les donner qu'à des gens qui auront été estropiés à son service, soit sur terre, soit sur mer, ou à d'anciens officiers qui sont actuellement dans ses troupes, lesquels seront- capables de recevoir ce bienfait du roi, pourvu qu'étant catholiques, ils soient chevaliers de Saint-Lazare ; de quoi vous avertirez, s'il vous plaît, les officiers de votre département, afin que-ceux qui croiront être par leurs services en état d'obtenir de pareilles grâces de Sa Majesté, puissent faire les diligences nécessaires auprès d'elle pour la faire ressouvenir de leurs services. Cependant Sa Majesté désire que vous m'envoyiez, entre ci et quinze jours ou trois semaines au plus tard, un état de tous les officiers de votre département que vous croirez pouvoir mériter de semblables grâces, soit par la longueur de leurs services, soit par la distinction avec laquelle ils les auront rendus, ou par les grandes blessures qu'ils auront reçues. Vous observerez, s'il vous plaît, qu'il ne faut point parler, dans cet état, de ceux qui font profession de la religion prétendue réformée, parce que ces sortes de biens ne peuvent être possédés par eux. Vous nie marquerez aussi, s'il vous plaît, les provinces d'où seront les officiers, afin que Sa Majesté puisse, autant que faire se pourra, leur donner du bien dans leurs pays.

Dangeau, 1er février 1691 : M. de Louvois a trouvé qu'il y avoit un assez grand fonds de reste de l'argent des Invalides pour en faire un revenu considérable, et a proposé au roi de prendre cet argent et de constituer sur la maison de ville de Paris des rentes qui seront employées en pensions pour des officiers blessés. — Projet d'arrêt : Sa Majesté ayant été informée qu'il reste entre les mains du receveur général des Invalides une somme de 900.000 livres, et Sa Majesté voulant pourvoir à ce qu'elle soit employée utilement, a ordonné que cette somme sera portée au Trésor royal pour être employée en acquisition de rentes au denier dix-huit sur l'hôtel de ville de Paris, au profit de ladite maison ; et Sa Majesté ayant fait réflexion que, par l'édit de fondation de ladite maison, il lui est défendu de faire aucune acquisition, Sa Majesté veut que les 50.000 livres de rente par an, qui seront payées au receveur général des Invalides, soient par lui payées aux officiers estropiés ou anciens dans le service qui auront pour cela des brevets de Sa Majesté, Sa Majesté ayant résolu de faire distribuer lesdites 50.000 livres en vingt pensions de 1.000 livres chacune, vingt de 600 livres, vingt de 500, et vingt de 400, lesquelles seront payées de six mois en six mois, et lesquelles lesdits officiers toucheront pendant leur vie, et ne pourront être saisies par aucuns de leurs créanciers. Janvier 1691, n° 169. D. G. 1020.

[49] Il y avait depuis longtemps des milices locales, mais sans organisation ni service régulier. L'idée neuve était de faire des régiments de milices, appelés à servir comme les régiments de l'armée, une vraie force militaire. On peut rappeler, à ce sujet, le premier essai d'une infanterie française sous le règne de Charles VII, l'institution des francs-archers. Il y aurait un rapprochement à faire, pour les grands services rendus à la France, entre le connétable de Richemont et Louvois ; ce sont deux caractères de même métal et, de même trempe.

[50] L'ordonnance est datée du 29 novembre, dans le t. 817 du Dépôt de la Guerre ; mais il y a apparence qu'elle n'a été publiée que quelques jours après ; le Journal de Dangeau la rapporte au 9 décembre.

[51] Un milicien par 2.000 livres de taille.

[52] Un bon chapeau, un justaucorps, des culottes et des bas de gros drap, ou de treillis doublé de toile.

[53] Deux colonels de milices, anciens capitaines dans l'armée, furent faits brigadiers en 1691.

[54] Trois sous par jour, et le pain.

[55] Louvois aux commandants, 1er septembre 1689 : Le roi a été averti que les cavaliers et soldats insultent les soldats de milices en les appelant paysans, et proférant contre eux d'autres injures de cette nature. Il faut que cela cesse. D. G. 845.

[56] Le régiment levé en Bourgogne comptait 800 anciens soldats sur 1.000 hommes ; il fut envoyé tout de suite en Dauphiné, et deux ans après, en Piémont.

[57] Ordonnance du 23 décembre 1691.

[58] Sur la fondation du Dépôt de la Guerre, nous avons trouvé la note suivante, t. 1181, n° 55 : Lorsque M. de Bellou fut chargé par M. de Louvois du dépôt des papiers du ministère de la guerre, pour les faire arranger et faire faire des registres des plus importantes dépêches concernant la guerre des limites (en 1653-1634) et autres matières, il se mit en possession de tous ceux du bureau de la secrétairerie, dont partie étoit à Versailles, et l'autre à l'hôtel de Louvois à Paris. Il fit rassembler tout audit hôtel. Ces papiers étoient depuis la paix des Pyrénées en 1659, jusqu'à la trêve en 1684. Il fit en même temps joindre à ces papiers ceux du bureau de M. Bourdon. Ces papiers consistaient en informations, procédures et lettres cl. accompagnement sur les différends des officiers et des :troupes. En 1689, un M. de Prétantaine, parent de Leroy qui avoit été premier commis de M. Le Tellier, donna avis à M. de Louvois qu'il avoit dix-huit grands sacs remplis de minutes de dépêches, lettres-patentes, instructions, pouvoirs, règlements, arrêts, ordonnances, lettres reçues, et de beaucoup d'autres expéditions de toute nature émanées de différents bureaux, et ce depuis 1620 jusqu'en 1.659 inclusivement. Sur quoi, M. de Louvois chargea M. de Bellou de les faire retirer et porter à son hôtel à Paris, où on les débrouilla.

On trouve encore dans le même tome, n° 52, la note suivante sur l'organisation du ministère de la guerre en 1680 : Lorsque je suis entré dans le bureau de M. de Bellou en 1680, l'on ne connoissoit de chefs de bureau que : 1° M. de Saint-Pouenges (et sous lui, M. Alexandre), chargé des commissions des officiers des troupes, des extraits de revue, des hôpitaux, tentes, sacs à terre, etc. ; 2° M. de Bellou (il avoit succédé à M. Carpatry), ayant le bureau de la secrétairerie, chargé de faire les lettres et instructions les plus secrètes touchant les armées, les fortifications, les cadets, et le rôle des mois ; 3° M. Dufresnoy, le plus ancien de tous les chefs de bureau ; les expéditions des patentes, pouvoirs, règlements, ordonnances, commissions, etc. ; 4° M. Charpentier, fort ancien aussi, chargé des routes, ordonnances et règlements sur la marche des troupes, etc. ; 5° M. de Tourmont (il succéda en 1679 ou 1680 à M. Le Boislel), chargé des états des fonds, des vivres et des pensions, etc. ; 6° M. Bourdon, chargé du rôle des placets, des informations sur les différends des troupes, c'est-à-dire d'en faire les extraits, ainsi que des lettres en conséquence. Les papiers de ce bureau ont toujours été rapportés dans celui de la secrétairerie jusqu'à la mort du roi Louis XIV ; 7° M. de La Renaudière, chargé du rôle des bénéfices, des mois de monseigneur le secrétaire d'État de la guerre. M. de La Renaudière fut chargé en 1679 de ce bureau, qui fut tiré de celui de M. de Bellou.

[59] Nous ne parlerons pas de l'uniforme, qui était chose faite. Le bleu fut réservé pour les gardes françaises et pour tous les régiments royaux, en général ; le rouge pour les gardes suisses. Les autres troupes d'infanterie française avaient adopté le gris. Louvois à Montclar, 3 juillet 1685. D. G. 747. Voir aussi Journal de Dangeau, 1er octobre 1684 et 24 mars 1685.

[60] Chamlay à Louvois, 2 juin 1690 : Vous me permettrez de vous représenter qu'y ayant beaucoup de nouveaux soldats dans l'infanterie, il seroit bon dé les exercer à tirer souvent ; cela feroit en même temps du bien aux vieux soldats qui, par la durée de la paix, ont perdu l'usage de tirer. On consommera un peu de poudre à cet exercice ; mais on ne saurait l'employer plus utilement, pour pouvoir faire un aussi grand feu que les ennemis, qui nous passent dans cet exercice dans lequel ils sont instruits tous les jours. Certainement je crois qu'il peut arriver de grands inconvénients de ne le. pas faire. Pendant l'autre guerre, l'infanterie ennemie ne tenait pas ordinairement contre la vigueur de la nôtre ; ruais elle tirait mieux et affoiblissoit par conséquent beaucoup nos bataillons. Dans des postes sûrs où l'infanterie ennemie ne pourra point être emportée à la main par la nôtre, elle aura toujours de l'avantage sur elle par le feu supérieur qu'elle fera. D. G. 974.

[61] Louvois aux inspecteurs, 15 juillet 1688 : Le roi ayant été informé que la plupart des officiers d'infanterie ne savent pas tirer du fusil, qu'il y en a même beaucoup qui n'en ont point, Sa Majesté désire que vous expliquiez aux colonels et commandants des bataillons qui sont dans votre inspection, que son intention est que tous les officiers aient des fusils avec lesquels ils puissent s'exercer, et Sa Majesté aura bien agréable que, lorsque vous ferez vos revues, vous les excitiez à tirer au blanc, de terri ps en temps, des prix auxquels ils contribueront, et que vous leur en donniez même quelques-uns, comme si c'était de vous. D. G. 806. — Louvois aux inspecteurs, 5 janvier 1688 : Ayant été représenté au roi que dans l'exercice que l'on apprend aux soldats, lorsque l'on les fait mettre en joue, on leur fait appuyer la crosse du mousquet tellement contre le milieu de l'estomac qu'il ne peut manquer de les blesser lorsqu'il repousse, et qu'il est d'ailleurs impossible qu'ils puissent voir où ils tirent, l'intention de. Sa Majesté est que vous fassiez apprendre aux soldats à mettre en joue de manière qu'ils en puissent voir le bout, et qu'il soit. Tacite ceux qui savent bien tirer d'envoyer la balle à l'endroit où ils voudront qu'elle donne. D. G. 800.

[62] Les cartouches, d'un usage si simple, avaient été essayées en 1677, et n'avaient pas réussi. On était revenu aux bandoulières avec leur garniture de charges toutes préparées ; puis, en 1682, on avait employé des poires à poudre, sans plus de succès. Enfin, le 3 décembre 1089, Louvois écrivait aux inspecteurs : Le roi ayant été informé que l'usage des poires à poudre n'est pas bon, en ce que, les ressorts étant une fois forcés, la poudre se perd, et le soldat ne sauroit charger juste son mousquet, Sa Majesté a trouvé bon d'ordonner que les officiers se pourvoient de poires pareilles à celle que je vous adresse, et que dans les gibecières il y aura des charges de fer-blanc, moyennant quoi, les poires ne serviront qu'à tenir la poudre sèchement ; et dans une occasion, le soldat, après avoir consommé les sept on huit charges de poudre qu'il aura dans sa gibecière, renversera la poudre dans sa poche droite où il la prendra avec lesdites charges ou avec la main pour charger, selon qu'ils seront pressés. D. G. 866.

[63] Villars était un de ces officiers. Voir les questions à lui adressées par Louvois, le 9 décembre 1687 et le 4 janvier 1688. D. G. 789 et 800.

[64] 25 décembre 1687. D. G. 789.

[65] Voir Histoire de Louvois, Ire partie, t. Ier, chap. III.

[66] Il est juste de dire que le marquis, depuis maréchal d'Huxelles, paraît avoir eu quelque part à ces inventions. Louvois lui écrivait, le 31 mai 1688 : Je vous supplie de m'envoyer au plus tôt la platine à laquelle vous avez ajouté quelque chose de nouveau, avec la baïonnette dont la douille est différente de celle que j'ai vue, afin qu'après l'avoir examinée, l'on puisse régler incessamment la manière dont les troupes devront être armées. D. G. 804.

[67] Louvois aux inspecteurs, 28 juin 1688 : J'ai chargé le sieur Petit de vous adresser une caisse dans laquelle vous trouverez deux mousquets-fusils avec une baïonnette pour mettre au bout, de la manière dont le roi a réglé que son infanterie serait armée à l'avenir. Vous observerez que ces armes doivent être données seulement aux soldats qui ont présentement des fusils et des mousquets, l'intention de Sa Majesté étant de maintenir les piques dans son infanterie, sur le pied qu'elles ont été jusqu'à présent. Les officiers doivent observer que les fûts de leurs mousquets et fusils et les canons y doivent servir, sans que l'on y fasse aucun changement, et qu'il est aisé de mettre sur la même platine de mousquet, en se servant du même serpentin qui y est déjà, le fusil et le dessus du bassinet, moyennant, quoi, ce changement sera beaucoup moins coûteux que si, suivant que les ouvriers ne manqueront pas de le leur proposer, il falloit tout changer. D. G. 805.

[68] Louvois aux inspecteurs, 23 août 1688 : Depuis ce que je vous ai mandé sur la manière dont le roi désirait que son infanterie fût armée à l'avenir, Sa Majesté ayant estimé à propos, dans la conjoncture présente, d'en faire surseoir l'exécution, vous aurez soin d'avertir les commandants des troupes que son intention est qu'elles demeurent armées comme elles ont été jusqu'à présent, ne voulant pas que l'on y fasse aucun changement jusqu'à nouvel ordre ; que si quelque régiment, avoit besoin d'un armement nouveau et avoit commencé à y faire travailler, suivant le nouveau projet, le roi trouveroit bon qu'il le fasse achever ; mais il ne faut pas que vous souffriez que ceux dont les armes sont en bon état., songent présentement à les changer, pour en avoir de la nouvelle manière. D. G. 807.

[69] Louvois aux inspecteurs, 29 novembre 1689 : Le roi juge à propos que toute l'infanterie qui marche en campagne ait des baïonnettes propres à mettre au bout du mousquet ou du fusil, qui soient accommodées de manière qu'elles n'empêchent point de tirer et de recharger, s'il étoit nécessaire. D. G. 861.

[70] D. G. 873.

[71] 12 août 1692. Œuvres de Louis XIV, t. IV, p. 396.

[72] Louvois à Saint-Rhue, 22 février 1679 : Le roi voulant que toute sa cavalerie soit dorénavant armée de sabres, au lieu des épées que les cavaliers ont eues jusqu'à présent, Sa Majesté m'a commandé de vous en donner avis, afin que vous en informiez les colonels. Ils en trouveront au magasin royal de Paris qui ne leur coûteront pas plus de cent sols. D. G. 618.

[73] L'ordonnance est du 26 décembre 1679.

[74] Il y a longtemps qu'on a inventé les carabines rayées ; elles sont de trois pieds de long ; plusieurs sont rayées, depuis le fond du canon jusqu'à l'autre bout, d'une manière circulaire, en sorte que quand la balle qu'on y pousse à force avec une baguette de fer, sort par l'impétuosité du feu, elle s'allonge d'un travers de doigt empreinte des raies du canon. Cette arme porte très-loin. Histoire de la milice françoise, t. I, p. 357. — La carabine rayée rut aussi donnée aux gardes du corps. Louvois à Titan, 14 octobre 1689. D. G. 858.

[75] Chamlay à Louvois, 22 juillet 1680. D. G. 877.

[76] Louvois à Chamlay, 10 octobre 1690. D. G. 965. On voit, par cette lettre, que le maréchal de Lorge et Villars avaient fait à cette création des objections auxquelles le roi ne s'arrêta pas. — Voir Dangeau, 16 octobre 1690. — L'ordonnance de création est du 25 octobre.

[77] Le maréchal d'Humières succéda au duc du Lude en 1685.

[78] Le régiment des fusiliers devint, en 1693, un corps tout à fait spécial, sous le nom de Royal-Artillerie.

[79] J'ai vu (à Metz) tirer du canon et des bombes par la compagnie du sieur de Vigny, par les six nouvelles compagnies de canonniers et par les officiers de l'école d'artillerie. Le sieur de Vigny et ses bombardiers jetèrent des bombes à plus de 700 toises loin de la batterie, et des balles à feu à près de 600 toises. Je le fis ensuite jeter des bombes à un but que je le fis marquer sur-le-champ d'un autre côté que celui où ils avoient coutume de tirer. lis jetèrent cinq bombes, dont la plus éloignée ne tomba qu'à 15 toises du but. Le sieur de Vigny est chargé de l'instruction des six compagnies de canonniers. Je fis marcher tous les soldats du quatrième rang du bataillon qu'ils formoient, pour venir servir six pièces qui étoient en batterie. Ils firent trois décharges, et plus de trois quarts des boulets donna depuis un pied jusqu'à trois pieds d'une planche blanche qui étoit contre la butte, et tous les autres donnèrent dans la butte qui n'a que 3 toises de base sur neuf pieds de haut, et ce, sans que le sieur de Vigny ni aucun de ses officiers ni bombardiers s'approchassent de leurs pièces ni leur dissent quoi que ce soit. L'école d'artillerie est commandée par un fort joli officier qui tira des bombes à très-peu de chose près aussi juste que le sieur de Vigny ; mais à l'égard du reste des officiers, ils tirèrent quasi tous fort mal ; et si cette école n'est mieux composée à l'avenir, je ne crois pas que Votre Majesté en ait satisfaction. Louvois au roi, 27 août et 1er septembre 1680. D. G. 643-644.

[80] Dangeau, 31 août 1684.

[81] Vauban à Louvain, 12 octobre 1686 : Le jour même que je partis de Douai, je m'arrêtai bien deux heures à la batterie, où j'ai vu tirer les cadets de l'artillerie et les canonniers des fusiliers à des blancs de treize pouces de diamètre et à 140 toises de distance. Les premiers emportèrent le blanc cinq ou six fois en dix décharges, et les derniers quatre ou cinq en mutant d'autres. Je n'ai jamais vu si bien tirer. Il leur faudroit changer souvent de but ; je l'ai dit à MM. Gamelin et du Raulet. Il seroit bien à souhaiter que l'on mit trois ou quatre de ces écoliers dans chaque place ; on ne seroit pas dans la peine où l'on est quand il faut tirer ou remuer du canon. Je dois vous dire que j'ai vu jouer quatre mines à Valenciennes, de différentes charges et profondeurs, dont les trois premières dans du sable, et la dernière sous les restes de la tour de Beurre. Les trois premières firent leur effet dans l'espace que Lamotte m'avoit marqué, qui était un diamètre double de la profondeur, et cela juste, sans y manquer de la valeur d'un pied. La quatrième, composée de quatre chambres inégalement chargées, fit son effet en même temps et sans qu'on y pût rien distinguer, abattit tout le reste de ladite tour et fit un puits où il y avoit auparavant une montagne, et cela si sagement qu'il ne s'écarta pas une pierre à quarante pas de là. J'en vis, ces jours passés, jouer trois autres dans du tuf qui fit admirablement bien. La dernière qui avoit 41 pieds de terre sur les poudres, était chargée de 6.500 livres de poudre, qui fit un trou de 20 pieds de profondeur sur 14 toises de diamètre ; l'écart fut de 9 toises de chaque côté, ce qui fait 32 toises de diamètre où tout ce qui se seroit trouvé surgit été infailliblement perdu. Ce petit l'alunie ne perd rien de ses expériences dont il ne manque pas de faire ses mémoires secrets bien raisonnés. Je volts assure que je suis fort content des mines et des mineurs, et que cette école me plairoit infiniment, si l'on étoit moins près des gens qui la peuvent observer et en profiter. Cette compagnie, monseigneur, mériteroit bien d'être à 100 ou 420 hommes, avec deux lieutenants et deux sous-lieutenants ; car s'il y avoit guerre, comme il y auroit plusieurs armées, et par conséquent plusieurs équipages d'artillerie, on auroit aussi besoin de plusieurs brigades de mineurs. Souvenez-vous sur cela de l'usage qu'en ont fait les Turcs au siège de Vienne et de Bude. Deux compagnies de cent bombardiers chacune, sans être enrégimentées, une compagnie de mineurs de 'cent hommes, et une de sapeurs de deux cents, avec un régiment d'artillerie, mais dont tous les officiers fussent en même temps commissaires, afin d'éviter les mailles à partir et toutes les petites séditions qui arrivent à tous les sièges, parce que les officiers du régiment des fusiliers ne sont pas commissaires, serait justement ce qu'il nous faudroit pour le site et pour la défense des places. Pour faciliter cela, on pourvoit réformer partie des compagnies de bateliers qui ne servent de rien, et qui n'en sauront jamais tant que les matelots et bateliers ordinaires, tant que vous n'aurez pas de lieu à les pouvoir exercer. Il y avait en effet trois compagnies de bateliers qui avalent été formées en Flandre, et qui y étaient si peu utiles qu'en 1685 on les avait fait venir de Condé à Versailles, pour promener sur le grand canal le roi et les gens de cour. — Voir Dangeau, 26 avril 1685.

[82] Après la mort de Louvois, la direction générale des fortifications fut séparée du ministère de la guerre, et forma une administration distincte dort le chef travaillait directement avec le roi.

[83] Louvois à Vauban, 29 juin 1678 : Je ne désire pas que l'on travaille à rehausser la digue du canal de Bergues, vis-à-vis du fort, que je n'y aie été, à moins que ce ne soit une chose essentielle pour le port, auquel cas vous ne donnerez à ces rehaussements que l'épaisseur absolument nécessaire pour leur sûreté. Et après la semonce reçue, le 12 juillet : Il faut que je nie sois mal expliqué sur cc qui regarde le rehaussement des digues du canal de Bergues, vous ayant mandé positivement que vous y pouviez faire travailler, pourvu que vous ne fissiez ce rehaussement que sur la largeur absolument nécessaire.

[84] 4 juillet et 5 septembre 1678. D. G. 616.

[85] 31 octobre 1679, D. G. 625. — Vauban, d'ailleurs, tout de suite après avoir tancé le tout-puissant ministre, n'hésitait pas à lui adresser quelque requête, sans embarras comme sans bassesse. Je prends la liberté, monseigneur, lui écrivait-il le 11 septembre 1678, de joindre ici une lettre de M. Bailly de Marcilly, qui voudroit bien être capitaine aux gardes. Comme la prière qu'il m'a faite en ce rencontre porte promesse de me payer la plus grande partie de ce qu'il nie doit, je vous prie d'agréer que je joigne ma prière à la sienne, et que je vous supplie de lui faire en cela tout le plaisir que vous pourrez, pourvu qu'il me paye. D. G. 616.

[86] Terre dans le Morvan où Vauban allait, bien rarement, prendre un peu de repos.

[87] Cette lettre, datée du 13 octobre 1687, débute ainsi : La multitude de papiers dont j'ai trouvé ma table chargée, lorsque j'ai pu recommencer à travailler, m'a empêché de lire plus tôt votre lettre du 28e du mois d'août, avec le mémoire qui l'accompagnoit. D. G. 787. — Quel était ce mémoire si maltraité par Louvois ? Quoique nous soyons ennemi des conjectures, nous nous hasarderons à proposer une solution de ce problème. Le 25 août, Louvois avait adressé à Vauban une grande lettre qui est citée plus loin, au sujet des mesures de défense qu'il était urgent de prendre contre les mauvaises dispositions de l'Allemagne. Louvois ne parlait à Vauban que des fortifications faites et à faire ; mais il est probable que Vauban, lui répondant trois jours après, s'était mis à traiter, à propos des rapports tendus de la France et de l'Allemagne, des questions de politique générale et de diplomatie. Il est bien regrettable, dans tous les cas-, que ce mémoire de Vauban ne nous soit point connu.

[88] Louvois à Vauban, 28 novembre 1678. J'ai lu au roi votre mémoire concernant le règlement des places de la frontière. Sa Majesté seroit bien aise que vous lui envoyiez un pareil mémoire de ce que vous pensez sur le pays qui est depuis la Meuse jusqu'au Rhin, comme vous avez lait depuis la mer jusqu'à la Meuse.

[89] Le 28 octobre.

[90] Par la contribution.

[91] 1er septembre 1679. D. G. 624.

[92] Louvois s'était cassé une jambe l'année précédente ; on l'envoyait à Barèges pour achever sa guérison. Le 8 avril 1680, il écrit à Vauban : M. de Seignelay craint si fort de marcher dans la semaine sainte qu'il veut à toute force ne partir que le lendemain de Pâques, et se sert de ce que vous lui avez mandé que vous aviez besoin de dix jours pour faire le projet de Bayonne, et que vous n'y arriverez que le 24. Je vous prie de lui écrire d'Orléans que vous y arriverez au plus tard le 22, afin que cela m'aide à le disposer à perdre quelques jours de ténèbres pour se rendre à Bayonne, le 21 ou le 27 au plus tard. Je fais état, à quoique se détermine M. de Seignelay, de partir le 9 du mois de mai prochain pour Perpignan où j'espère arriver le 18, ou au moins le 19 de bonne heure.

[93] Cette place, écrit-il au roi le 25 mai 1680, est située merveilleusement pour ôter aux Espagnols le moyen d'entrer en France, assurer à Votre Majesté la domination de la Cerdagne entière, donner à une armée qui ne sera pas assez forte pour entrer eu Lampourdan, une commode subsistance sans ruiner le Roussillon, et faciliter à Votre Majesté la conservation du Roussillon, en lui donnant moyen de le soutenir et d'y faire entrer des troupes aussi commodément par le haut Languedoc que par le bas. Trois jours auparavant, le 22 mai, il avait écrit au chancelier Le Tellier, son père : Ce pays dont les places ne valoient quoi que ce soit, en aura, à la fin de l'année prochaine, de très-lionnes et en état de conserver à Sa Majesté cette frontière, quand même les Espagnols reviendraient comme ils étoient il y a environ quarante ans. D. G. 642.

[94] Vauban à Louvois, 8 novembre 1681 : A l'égard des ouvrages de la citadelle (de Strasbourg), les deux premiers jours qu'ils furent commencés, ils allèrent fort bien ; le jour que le roi partit, mal ; le lendemain et les deux jours suivants, de même, jusque là qu'il y a manqué des trois à quatre cents hommes par jour ; ce qui m'ayant ennuyé, je m'en plaignis à M. de Chamilly, auquel je dis, aussi bien qu'aux commandants des corps, que vous aviez donné ordre exprès de vous envoyer tous les jours les extraits des travailleurs, bataillon par bataillon, et compagnie par compagnie, et que je n'étois pas près de manquer à le faire ; ce qui apparemment leur aura fait peur ; car depuis ce temps-là, non-seulement ii n'en a point manqué, mais le nombre des ouvriers a toujours été plus que complet, et même l'entrepreneur m'a assuré qu'il y en avait aujourd'hui 2.500 de compte fait. D. G. 670. — Le 20 novembre, Louvois mande à Vauban que le roi a fait un fonds de 700.000 livres pour les travaux de Strasbourg.

[95] 28 juin. 1684. D. G. 714. — Il avait déjà été parlé de Huningue dans une lettre de Louvois à Vauban, du 10 mai 1679.

[96] 3 novembre 1684. Il était question de la profondeur à donner aux fossés du château.

[97] Louvois à Vauban, 17 octobre, 16 novembre et 14 décembre 1686. D. G. 769-770-775. — Dans la dernière lettre, Louvois ajoute : Je conviens avec vous qu'il seroit à désirer que tous les commandants que le roi met dans ses places fussent plus éclairés dans l'art de les bien défendre ; mais s'ils n'y sont pas si savants qu'il seroit à souhaiter, vous conviendrez, je m'assure, que ce sont des aigles auprès des ingénieurs allemands ; et cela me suffit, puisqu'il n'y a qu'eux qui puissent jamais penser à attaquer un pareil poste.

[98] Louvois à Vauban, 24 mars 1687. D. G. 781.

[99] Louvois au contrôleur général, 18 mai 1687. D. G. 783. — Voici l'itinéraire de Louvois, fait par lui-même à la date du 28 avril précédent : Le dernier avril, à Fontainebleau, je puis. Le 1er mai à Auxerre ; le 2, à Ancy-le-Franc ; le 5, à Auxonne ; le 4, à Besançon ; le 5, à Belfort ; 6, séjour ; 7, Huningue ; 8, en partir tard pour aller coucher à Brisaeh ; 9, aller voir Fribourg et revenir à Brisach ; 10, à Strasbourg ; 11, séjour ; 12, au Fort du Rhin ; 13, à Bitche ; 14, à Hombourg ; 15, à Kirn ; 16, à Traerbach ; 17, séjour ; 18, à Sarrelouis ; 19, à quatre lieues de Sarrelouis, sur le chemin de Metz ; 20, à Thionville ; 21, à Luxembourg. D. G. 782.

[100] 6 mai 1687. D. G. 783.

[101] 25 mai 1687. D. G. 783.

[102] D. G. 785.

[103] D. G. 803.

[104] D. G. 830.

[105] Voici un couplet de chanson fait en 1681, après le siège de Luxembourg, alors qu'on doutait si la guerre n'allait pas continuer. C'est Louvois qui parle :

Dieu Mars, que veux-tu de moi ?

Mon cœur n'est pas fait pour toi.

Non, je n'espère point une gloire immortelle ;

Je n'eus jamais pour toi de véritable zèle.

Je haïssois Colbert, je voulois son emploi.

Dieu Mars, que veux-tu de moi ?

Mon cœur n'est pas fait pour toi.

J'entends Mansard qui m'appelle,

Il faut ramener le roi ;

C'est mon fait que la truelle.