I. Le général Valée
nommé maréchal et gouverneur de l'Algérie. - Distribution des commandements.
- Affaire Garavini. - Les coulouglis d'Oued-Zeïtoun. - Dispositions
d'Abdel-Kader. — II. Affaire du général de Brossard. — III. État de la
province de Constantine. - Le général de Négrier. - Controverse avec le
cabinet anglais. — IV. Occupation de Koléa et de Blida. - Convention du 4
juillet. - Le maréchal à Constantine. - Organisation de la province. -
Philippeville. - Expédition de Mila. - Défense de Djémila. - Le ministère de
la guerre offert au maréchal Valée. — V. Siège d'Aïn-Madhi. - Lettre d'Abdel-Kader
à Louis-Philippe. — VI. Affaires de Bougie. - Expédition de Djidjeli. -
Opérations autour de Sétif. — VII. Projets du maréchal Valée. - Ses
préventions contre les corps indigènes. - Multiplication des postes
retranchés. - Colonisation. - Culte catholique. — VIII. Abdel-Kader à Taza. -
Le duc d'Orléans en Algérie. - Expédition des Portes de fer. - Dévastation de
la Métidja.
I Le
boulet qui venait de tuer devant Constantine le général de Damrémont mit
d'abord à Paris le gouvernement en désarroi ; on n'y avait pas prévu ce coup
de canon. Que faire ? qui nommer à la place du glorieux mort ? Il y avait
bien le général Bugeaud ; il était encore en Afrique, à Oran, tout prêt à
s'embarquer pour Bone, au premier signe ; mais le général Bugeaud n'était pas
populaire, et le traité de la Tafna n'était pas fait pour lui concilier la
faveur publique. Afin de se donner le temps de réfléchir, le ministère fit
nommer, par ordonnance royale, le général Valée gouverneur par intérim. Quand
le général reçut à Bone cette commission provisoire, il commença par se
récuser. « Je suis heureux, écrivit-il au duc de Nemours, qui était de retour
à Paris, je suis heureux qu'à la fin de ma carrière la confiance du Roi m'ait
appelé à servir près de Votre Altesse Royale, et j'ai accepté cette mission
avec dévouement et reconnaissance ; mais aujourd'hui que la campagne est
terminée, que dans le pays une action lente et prolongée peut seule amener
quelques résultats, ce n'est ni à mon âge, — soixante-quatre ans, — ni dans
mon état de santé, que l'on peut entreprendre une aussi longue et aussi
pénible mission. » Tout considéré, tout pesé, c'était pourtant à lui que le
ministère avait résolu de confier les destinées de l'Algérie. Le 12
novembre, il fut élevé à la dignité de maréchal de France, et, devant
l'insistance du Roi, du comte Molé, président du conseil, et du général
Bernard, ministre de la guerre, il se rendit, Un maréchal de France ne
pouvait pas être un gouverneur intérimaire ; il fut nommé, le 1er décembre,
gouverneur général à pur et à plein. Avait-il joué le jeu que la légende
attribue à Sixte-Quint et fait montre de ses béquilles ? Non ; c'était un
caractère droit, un peu rude, mais loyal et sincère ; quand il parlait de se
dévouer, il disait vrai. « Intègre, tout entier à ses devoirs et à la France,
a dit de lui le général Changarnier, peu disposé à vanter ses propres
services, il était délesté des intrigants et des hâbleurs qu'il méprisait.
Doué d'un esprit très-fin, très-cultivé, il préférait les lettres à la
société des hommes. C'est un des caractères les plus purs que j'aie connus. »
Grand travailleur, il voulait tout faire lui-même, disposition fâcheuse,
parce qu'il donnait trop de temps au détail ; il avait l'esprit absolu ; les
généraux et les grands fonctionnaires civils qui, sous ses prédécesseurs,
avaient pris l'habitude de s'émanciper, trouvèrent en lui un maître qui les
ramena tout de suite à la subordination. Par malheur, il était trop enclin à
se croire infaillible. Alger
salua son arrivée le 20 novembre. Aussitôt il régla la distribution des
commandements, non pas selon les indications du ministre de la guerre, mais
selon son jugement personnel. Ainsi, quand le ministre lui proposait de
nommer au poste de chef d'état-major le général Trézel, promu lieutenant
général, et le colonel Duvivier au commandement de Constantine, le maréchal
objectait, tout en reconnaissant volontiers leurs mérites et leurs services,
qu'il avait remarqué, dans les opinions de ces deux hommes sur la direction
des affaires en Algérie, des façons de voir qui étaient en désaccord avec les
siennes. Le résultat de cette petite escarmouche fut que le ministre céda
devant le gouverneur. Le général Trézel rentra en France ; le colonel
Duvivier fut mis en disponibilité jusqu'au jour où il reçut le commandement
du 24e de ligne. Le général Auvray fut chef d'état-major général ; le colonel
Bernelle, nommé maréchal de camp et rappelé de Constantine, eut, sous les
ordres du général Rullière, une des deux brigades de la division d'Alger ; le
général Bro eut l'autre ; le général Rapatel fut envoyé à Oran et le général
de Négrier à Constantine. A cette nomenclature il faut ajouter, pour mémoire,
le nom du général de Castellane, qui ne fit que passer à Bone. Le
total des troupes réparties entre les trois provinces, qui était de
quarante-deux mille hommes, allait être porté à quarante-neuf mille par des
détachements envoyés de France : mais ce qui semblait être un renfort n'était
plutôt qu'un remplacement, une substitution d'hommes valides aux trop
nombreux malades dont les hôpitaux étaient combles. A Bone et dans les camps
de Dréan, de Nechmeïa et de Mjez-Ahmar, il en restait encore treize-cents le
20 novembre, alors qu'on en avait déjà évacué deux mille cinq cent cinquante.
L'état sanitaire de la division d'Alger n'avait pas été plus satisfaisant
pendant la saison chaude ; mais, aux approches de l'hiver, il était devenu un
peu meilleur. Un des
soins du maréchal Valée, en prenant possession du gouvernement, avait dû être
de se faire rendre compte des premières conséquences du traité de la Tafna
dans la province d'Alger. Les Hadjoutes se tenaient un peu plus tranquilles ;
mais les gens de Blida ne paraissaient pas disposés à passer paisiblement
sous la domination française ; enfin, dans la ville d'Alger même, il y avait
matière à conflit. Au mois d'octobre, Abdel-Kader y avait nommé, à titre d'oukil ou de consul, un Italien, du nom de Garavini, qui gérait déjà le
consulat d'Amérique. Ce personnage, vaniteux et indiscret, affectait de
dédaigner les fonctions d'agent commercial pour se hausser jusqu'à la
politique. Le gouvernement français lui refusa l'exequatur. Abdel-Kader s'en plaignit au maréchal Valée dans une lettre
insolente : « Lorsque notre consul Garavini a réclamé, tu ne l'as pas écouté
et tu n'as plus voulu de lui. Cette conduite dénote un caractère violent.
Elle prouve que tu veux faire naître la mésintelligence entre nous. Au reste,
je suis tout prêt à rompre, puisqu'on viole tous les usages, qu'on cherche à
me contraindre dans ce qui regarde le bien de mon service et qu'on veut me
rabaisser. Il faut écrire à ton ministre que j'entends conserver mon consul
et que je n'en veux point d'autre. J'attends une prompte réponse. Nous
espérions voir arriver de France un homme sage pour commander à Alger, un
homme qui nous laisserait le repos et qui ferait ce qu'il serait convenable
de faire ; nous avions pensé que ta manière d'agir ne serait pas celle des
brouillons qui t'ont précédé ; mais si tu marches sur les traces de ces
gens-là, Dieu nous rendra victorieux de nos ennemis, de ceux qui veulent nous
molester. Dieu a dit : « Que l'injustice retombe sur son « auteur ! » Au
reste, je ne m'écarterai pas du traité, si vous l'observez vous-mêmes. »
Non-seulement Garavini ne fut pas accepté comme oukil de l'émir, mais, quelque temps après, sa conduite étant de plus
en plus déplaisante, il cessa d'être reconnu consul des États-Unis et fut
invité à quitter le territoire algérien. Cette
petite affaire, qui n'aurait pas eu d'importance si elle n'avait pas décelé
les mauvaises dispositions d'Abdel-Kader, était le prélude d'une difficulté
bien autrement sérieuse. Quelles étaient, autour de la province d'Alger, les
vraies limites du territoire abandonné à l'émir ? Certains méchants esprits
prétendent que l'art des diplomates consiste à laisser, dans un coin des
actes rédigés avec la plus scrupuleuse exactitude, un mot qui puisse prêter
aux interprétations les plus divergentes, et qu'il n'y a pas de transaction
internationale qui ne soit, comme Achille, vulnérable en quelque endroit. Ils
ont tort sans doute ; mais si jamais texte diplomatique a pu donner une
apparence de justification à leur thèse, c'est assurément le traité de la
Tafna. Il y était dit, en ce qui concerne la province d'Alger : « La France
se réserve : Alger, le Sahel, la plaine de la Mélidja, bornée à l'est jusqu'à
l'Oued-Khadra et au-delà ; au sud, par la première crête de la première
chaîne du petit Atlas jusqu'à la Chiffa, en y comprenant Blida et son
territoire. » Alger et le Sahel à part, tout dans cette formule était
prétexte à contestation. Prenons d'abord la limite méridionale ; elle était
si heureusement choisie qu'elle coupait les outhanes de Khachna, de
Beni-Mouça et de BeniKhélil, de sorte que, dans chacun d'eux, la population
indigène, placée entre les injonctions du kaïd investi par l'autorité
française et les menaces du kaïd d'Abdel-Kader, ne savait plus auquel
entendre ; mais ce n'était pas sur ce point-là que l'orage amoncelait ses
nuées les plus chargées de foudre ; c'était sur les rives de l'Oued-Khadra.
Que voulaient dire ces trois mots : et au-delà, si vagues, si peu
intelligibles ? D'après l'interprétation d'Alger, ils signifiaient évidemment
que, de ce côté, la puissance française entendait réserver indéfiniment son
droit d'expansion ; mais alors, répliquait l'émir, pourquoi les Français
ont-ils accepté l'Oued-Khadra comme limite ? Qu'est-ce qu'une limite, sinon
une ligne de séparation entre deux héritages ? Au-delà de l'Oued-Khadra, ils
n'ont donc rien à prétendre. Et joignant l'argument de fait à l'argument de
droit, il était entré, aux derniers jours de l'année 1837, sur le territoire
contesté. Il y
avait, au bord de l'Oued-Zeïtoun, affluent du haut Isser, une population de
coulouglis qui, sans s'être expressément soumise à l'autorité française,
avait néanmoins reçu d'elle un kaïd. Ce fut contre ces représentants d'une
race détestée des Arabes que l'émir résolut de frapper son premier coup dans
ces parages. Il réunit tout ce qu'il avait alors de troupes régulières, trois
mille askers fantassins, quatre cents khiéfas cavaliers, soixante topjis artilleurs, avec six bouches à
feu ; il y joignit mille cavaliers du maghzen de l'ouest et dix mille
irréguliers des goums ; puis dans ce grand appareil, suivi des khalifas de
Médéa et de Miliana, du grand chef de la Medjana, Abdel-Salem, et du fameux
marabout Sidi-Saadi, il marcha contre ceux qu'il appelait les révoltés
d'Oued-Zeïtoun. Les askers formaient quatre bataillons,
qui portaient les noms de quatre grandes villes, Mascara, Médéa, Miliana,
Tlemcen : dans le dernier, l'émir avait incorporé de force trois cents des
anciens coulouglis du Méchouar, et, par un raffinement de vengeance, ce fut
eux qu'il désigna pour commencer l'attaque contre les hommes de leur race.
Ceux d'Oued-Zeïtoun s'étaient retirés dans la montagne ; ils se défendirent
vaillamment, un contre dix, tuèrent une centaine d'hommes aux assaillants et
succombèrent, l'honneur sauf. Le chef de la résistance, Birom, tout
ruisselant du sang de ses blessures, son brevet de kaïd attaché sur le dos,
fut promené au travers d'une foule insultante ; mais sa tête ne s'inclina pas
jusqu'au moment où le yatagan d'un chaouch la fit rouler aux pieds
d'Abdel-Kader. A la
nouvelle de cette agression sanglante contre des hommes que la France
couvrait de sa protection et sur un territoire qu'elle regardait comme sien,
le maréchal Valée écrivit à l'émir, le 7 janvier 1838, en ces termes : « Vous
aurez sans doute été trompé par des hommes qui vous ont appelé sur le
territoire qu'ils habitent, en disant qu'il vous appartenait, et dans le but
de faire recommencer la guerre, parce qu'ils savent que les Français veulent
exécuter tout ce qui a été écrit à la Tafna et ne souffriront pas que vous
vous empariez de provinces qui ne sont pas à vous. Éloignez de vous les
intrigants, lisez avec soin le traité ; son observation fidèle est le seul
moyen d'empêcher la guerre de recommencer avec nous. » Afin d'appuyer sa
protestation, le maréchal fit partir pour l'est de la Métidja le directeur
des affaires arabes avec les gendarmes maures, les spahis irréguliers et un
détachement d'infanterie. Il y avait sur le chemin d'Alger à Constantine, au
débouché de la gorge d'où le Hamise sort de la montagne, un fondouk, sorte de
caravansérail ouvert aux voyageurs ; ce fut là que le capitaine Pellissier
s'établit, à trois lieues du campement d'Abdel-Kader, dont les coureurs
avaient franchi l'Oued-Kadra et mis à contribution plusieurs douars de
Khachna. Deux jours après, la brigade du général Bernelle arriva au fondouk ;
enfin le général Rullière vint prendre le commandement des troupes réunies
sur ce point. Celte démonstration eut tout l'effet que voulait obtenir le
maréchal ; Abdel-Kader rappela ses coureurs et se mit en retraite sur Médéa,
surveillé par la colonne française qui marchait parallèlement à lui en
longeant le pied des montagnes ; mais il ne s'éloigna pas du théâtre de sa
victoire avant d'avoir fait acte d'autorité souveraine en imposant un kaïd à
la vallée du Sébaou. Ceux des coulouglis d'Oued-Zeïtoun qui avaient échappé à
ses coups trouvèrent un asile sur la terre française ; il en vint seize
cents, hommes, femmes et enfants. Ces réfugiés furent établis, les uns auprès
du fort de l'Eau, non loin d'Alger, les autres sur la rive gauche de
l'Oued-Hamise ; trois cents des plus vigoureux, organisés en compagnies
soldées, occupèrent la redoute du Boudouaou. De
retour à Médéa, l'émir témoigna le désir d'entrer en pourparlers sur cette
question si compliquée des limites ; le maréchal lui envoya le directeur des
affaires arabes, qui ne put ni lui faire accepter l'interprétation française
ni accepter davantage la sienne ; tout ce que l'émir accorda fut que, les
termes du traité prêtant à l'équivoque, l'une et l'autre opinion pouvaient
être soutenues de bonne foi. Pour donner suite à ces avances, il résolut
d'envoyer à Paris, sous le prétexte d'offrir des présents au Roi, le plus
habile de ses négociateurs, Miloud-ben-Arach. Ce personnage, escorté de
Ben-Durand et 'du Maure Bouderba, passa par Alger. Dans une lettre au comte
Molé, le maréchal esquissait ainsi le portrait de ces deux acolytes : «
Durand est un intrigant, avide d'argent, qui ne voit dans les négociations
avec les Arabes qu'un moyen d'augmenter sa fortune. Bouderba est un homme
astucieux, profondément ennemi des chrétiens, et qui a été accusé d'exciter
les Arabes à se soulever contre nous. Je crois qu'il faut le surveiller avec
soin. Pendant son séjour en France, il a contracté dés liaisons avec
plusieurs employés du ministère de la guerre ; depuis son retour en Afrique ;
il correspond avec eux et a été exactement informé de plusieurs faits
importants. Il n'a pas fait mystère de ses relations ; quelquefois j'apprends
par la voix publique que le gouvernement a arrêté des dispositions dont l'avis
officiel ne me parvient que longtemps après. Bouderba, d'après les rapports
que j'ai reçus, a engagé Abdel-Kader à donner à Ben-Arach la mission
d'obtenir que les affaires fussent traitées entre le Roi et l'émir, les
ministres servant d'intermédiaires. Cette concession, dont le moindre
inconvénient serait d'amoindrir et de déconsidérer le gouvernement général de
l'Afrique, placerait, si elle était admise, Abdel-Kader au rang des
souverains indépendants et assurerait l'établissement de la nationalité arabe
contre laquelle nous luttons. » Le comte Molé s'empressa de rassurer le
gouverneur et de lui promettre que si Ben-Arach voulait sortir à Paris de sa
mission de parade, il en serait pour ses frais d'intrigue et d'éloquence. Au
fond, de part et d'autre, on sentait bien que le traité de la Tafna n'avait
fait qu'embrouiller les choses et préparer la guerre. Le comte Molé ne se
faisait pas d'illusion à cet égard. « Quelque opinion qu'on conçoive des
avantages définitifs que la France recueillera de nos établissements en
Afrique, écrivait-il au maréchal Valée, le 31 janvier 1838, je crains que
nous ne soyons obligés d'assurer nos conquêtes par de nouvelles victoires, et
que la paix de la Tafna n'ait servi qu'à nous procurer dans l'Ouest une halte
indispensable et sans laquelle l'expédition de Constantine aurait dû encore
être ajournée. » De son côté, le gouverneur écrivait, le 5 février, au
général Bernard : « Je ne veux pas la guerre ; mes efforts, depuis trois
mois, ont eu pour but de conserver la paix. J'éviterai une rupture, tant que
l'honneur de la France le permettra ; le gouvernement du Roi peut seul fixer
la limite au-delà de laquelle la patience ne serait plus possible. Je
n'essayerai pas d'influencer ses décisions, encore moins de lui conseiller la
guerre ; mais j'ai cru de mon devoir de lui faire connaître l'état des
choses. » Vers le même temps, un jeune Français, M. Léon Roches, qui, la paix
conclue, avait cru pouvoir se rendre auprès de l'émir et lui servir de
secrétaire, recueillait de sa bouche même la déclaration suivante : « En
faisant la paix avec les chrétiens, je me suis inspiré de la parole de Dieu
qui dit dans le Coran : « La paix avec les infidèles doit être considérée «
par les musulmans comme une trêve pendant « laquelle ils doivent se préparer
à la guerre. » J'ai souscrit à des conditions que j'observerai tant que les
Français observeront celles que je leur ai imposées. La durée de la paix
dépendra de leur conduite à mon égard, et pour la rupture, ce n'est pas de
mon côté qu'elle viendra. Lorsque l'heure de Dieu aura sonné, ils me
fourniront eux-mêmes des causes plausibles de recommencer la guerre. » Des
deux côtés, on avait le sentiment qu'il faudrait un jour ou l'autre recourir
à la force ; mais c'était cette échéance qu'on s'efforçait de reculer le plus
possible. Chacun des deux adversaires était persuadé que le temps travaillait
pour lui : grande et funeste illusion du côté de la France, grande et
légitime conviction du côté d'Abdel-Kader. II Cette
fausse paix qui entretenait autour d'Alger le malaise indéfinissable, la
sourde agitation d'une fièvre lente, laissait au contraire Oran dans la
torpeur. Où étaient les vivifiantes émotions d'antan, les expéditions, les
surprises, les combats ? Il n'en restait plus qu'un lointain souvenir, et
cependant le général Bugeaud était demeuré là, depuis le traité de la Tafna,
pendant plus de cinq mois encore ; c'est que le vaincu de la Sikak avait dans
ces contrées plus d'autorité que son vainqueur, et qu'il suffisait
qu'Abdel-Kader eût tourné ailleurs son ambition et sa fortune pour qu'il eût
emporté avec lui en quelque sorte la vie de la province d'Oran. Aussi le
général Bugeaud aurait-il quitté plus tôt sans doute cette ville engourdie
s'il n'y avait pas été retenu par la découverte et les suites d'un scandale
étrange. C'était une vieille affaire, car elle remontait aux premiers mois de
1837, lorsque l'artificieuse habileté de Ben-Durand avait induit Abdel-Kader
à ravitailler lui-même la garnison française de Tlemcen. On a vu que le Juif
s'était fait payer fort cher par l'intendance le prix du ravitaillement, dont
l'émir n'avait pas touché un boudjou, quoique les frais de l'opération
n'eussent porté que sur lui, Ben-Durand ayant réussi à lui persuader que cette
grosse dépense était la rançon des prisonniers de la Sikak ; or, les
prisonniers lui étaient rendus, à titre gracieux, par la France ; de sorte
que l'émir d'une part et l'autorité française de l'autre étaient également
dupes du Juif madré. Mais comment celui-ci avait-il pu jouer aussi facilement
l'autorité française ? C'est qu'il avait un associé, un complice assez haut
placé pour avoir réussi à obtenir du gouvernement le renvoi des captifs
arabes. Cinq
mois s'étaient écoulés ; Ben-Durand et son complice pouvaient se croire
désormais à l'abri de toute recherche, lorsqu'un jour, à l'occasion de
quelques prisonniers faits par les Hadjoutes et que l'émir allait renvoyer
libres : « Eh quoi ! lui dit un de ses khalifas, lu rends aux Français leurs
prisonniers pour rien ! Ils t'ont bien fait payer les tiens naguère. » Ce
propos, venu à la connaissance du général Bugeaud, le mit en éveil. D'abord
il fit partir pour Mascara son aide de camp, M. de Rouvray, à qui Abdel-Kader
ne voulut rien dire ; une autre fois, le lieutenant de spahis Allegro eut
plus d'adresse ou plus de chance ; comme il parlait à l'émir du cadeau que la
France lui avait fait des prisonniers de la Sikak : « Un cadeau ! reprit
vivement. Abdel-Kader ; j'ai acheté mes prisonniers par le ravitaillement de
Tlemcen ! » Allegro n'avait pas besoin d'en savoir davantage. Le général
Bugeaud fit venir Ben-Durand, qui, avec l'effronterie d'un malhonnête homme,
lui répondit qu'il avait exécuté fidèlement les clauses de son marché, qu'il
s'était libéré vis-à-vis de l'intendance française, et que, partant, personne
n'avait le droit de lui demander compte de ses bénéfices ; cependant, pressé
de questions, il ne fit pas difficulté d'avouer qu'après l'affaire faite, il
en avait partagé le profit avec le commandant de la province d'Oran, le
général de Brossard. Une fois lancé, il ne s'arrêta plus ; il alla même si
loin que ses révélations devinrent fantastiques ; ainsi, par exemple, le
général de Brossard l'aurait chargé d'offrir à l'émir ses services, de telle
sorte que, moyennant 200.000 fr. comptant et 50.000 fr. de rente assurés à sa
famille, il aurait fait venir de France assez de carlistes et de mécontents
pour combattre en ligne, assiéger les places, expulser les Français et mettre
toute l'Algérie aux mains d'Abdel-Kader. « Cette offre, écrivait le 21
septembre, au lendemain de l'éclat, le lieutenant-colonel de Maussion, cette
offre a été, dit-on, renouvelée trois fois. Ne semble-t-il pas, ce général,
un seigneur de la Ligue ou de la Fronde traitant avec l'Espagne de la remise
d'une province ? Il est impossible d'avoir des manières plus distinguées et
plus aisées en même temps. C'est tout à fait un seigneur, mais né deux cents
ans trop tard. Au reste, deux cents ans plus tôt, on lui aurait fait trancher
la tête : à présent le général Bugeaud, après lui avoir fait tout avouer
devant témoins, se contente de lui donner un congé de convalescence et un
bâtiment qui va le porter à Carthagène ; là, il deviendra ce qu'il pourra. Je
ne serais du reste pas étonné que cet honnête homme, dont l'effronterie
dépasse toute idée, reparût bientôt à Paris pour calomnier celui qui n'a pas
voulu le faire fusiller. Au reste, il ne faut pas attribuer à ce projet de
trahison une importance exagérée. M. de Brossard n'aurait pas pu livrer à
Abdel-Kader une place fermée et contenant une nombreuse garnison. Je regarde
sa proposition comme une simple escroquerie. Quoi qu'il en soit, l'affaire
vaut la peine qu'on y pense, et le gouvernement qui envoie ici avec raison
les soldats les plus dérangés et les plus insubordonnés, qui encourage les
gens remuants et aventureux à s'y porter, devrait prendre garde au choix des
chefs qu'il met à leur tête. » Ce
qu'avait prévu M. de Maussion arriva de point en point : M. de Brossard ne
resta pas en Espagne, revint en France et calomnia le général Bugeaud. Par
une clause particulière du traité de la Tafna, l'émir devait payer une somme
de cent mille boudjous, équivalente à cent quatre-vingt mille francs en
monnaie française, que le général se réservait d'employer ainsi : cent mille
francs pour subvention aux chemins vicinaux de la Dordogne, son département,
quatre-vingt mille à répartir entre les officiers et les soldats les plus méritants
de son corps d'armée. Le gouvernement n'ayant pas approuvé la clause, il n'y
fut pas donné suite ; mais M. de Brossard, qui la connaissait, la dénonça
comme un acte criminel au conseil de guerre séant à Perpignan, devant lequel
il comparut, dans les derniers jours du mois d'août 1838. Ainsi mis en cause,
le général Bugeaud eut le tort de se laisser emporter à des vivacités de
langage qui lui attirèrent de cruelles représailles, de sorte que, a
maintenant encore, dit l'auteur des Annales algériennes, il faut que l'esprit
se recueille un instant pour se rappeler lequel des deux était l'accusé dans
ce procès si scandaleusement célèbre ». Des quatre chefs d'accusation relevés
à la charge de M. de Brossard : concussion, tentative de corruption de fonctionnaires
publics, immixtion dans des affaires incompatibles avec ses fonctions
militaires, proposition de complot et d'excitation à la guerre contre
l'autorité royale, le conseil de guerre ne retint que le troisième. Condamné
à six mois de prison et à huit cents francs d'amende, déclaré en outre
incapable d'exercer aucune fonction publique, M. de Brossard se pourvut en
révision contre le jugement qui fut cassé pour vice de forme ; un autre
conseil de guerre l'acquitta l'année suivante ; mais le ministre de la guerre
le mit d'office à la retraite. Ce
fatal traité de la Tafna était devenu le cauchemar de son auteur. Un jour, le
8 juin 1838, à la tribune de la Chambre des députés, embarrassé dans ses
explications, il s'en tira tout d'un coup en s'écriant : " Si les
esprits belliqueux qui se trouvent dans cette Chambre ou au dehors veulent
recommencer la guerre, il n'y a rien de plus facile. Venez ici, à la tribune,
demander au gouvernement de rompre le traité... Eh ! messieurs, les traités
n'ont jamais lié les nations que lorsqu'ils sont conformes à leurs intérêts ;
mais, sans avoir besoin de violer le traité nous-mêmes, l'émir nous fournira
souvent l'occasion de le rompre. » Avant
de partir d'Oran, le général Bugeaud avait eu à résoudre la question des
relations officielles entre l'autorité française et l'émir. Celui-ci eut des oukils dans les villes du littoral ; un officier français dut résider à
Mascara ; le premier qu'on y envoya, le commandant Menonville, du 47e, devint
fou et se tua ; en attendant l'arrivée du capitaine Daumas qui devait prendre
sa succession, le lieutenant-colonel de Maussion fit pendant une quinzaine de
jours l'intérim. « Ce matin, écrivait-il le 3 novembre 1837, on a remis au
sultan les présents du Roi ; il en a été très-flatté, et les Arabes ont été
dans l'admiration. Il est certain que rien d'aussi beau n'a paru dans ces
contrées depuis la chute de la domination romaine. Je me trouve très-bien à
Mascara, ville presque ruinée, mais bien située et entourée de jardins
auxquels il ne manque que d'être cultivés pour être superbes. Ne vous
imaginez pas que les ruines proviennent en général des Français ; elles
viennent des habitants qui, ayant abandonné les maisons, en ont brûlé le bois
pour se chauffer. Le sultan ne veut plus vivre que sous la lente, depuis
qu'il a éprouvé que les villes ne peuvent nous résister ; en conséquence,
très-peu de hadar se sont rétablis ici. » Mascara restait nominalement la
capitale d'Abdel-Kader ; c'était plus loin dans le sud-est, à Takdemt, qu'il
avait transféré le siège réel de sa puissance, ses ateliers, ses magasins,
son trésor. III D'Oran
à Constantine, le contraste était aussi frappant que possible : là-bas à
l'ouest, sur ce coin de terre abandonné comme par grâce à la France,
l'inertie, la torpeur ; ici, à l'est, sous les premiers rayons du soleil,
l'espace, l'activité, la vie. De ce côté, c'était le gouvernement qui ne
pouvait se faire à l'idée d'une telle fortune ; puis, s'établir
définitivement dans Constantine, si loin de la mer, quel démenti au système
de la zone littorale, de l'occupation restreinte ! M. Molé n'en prenait pas volontiers
son parti ; la pensée d'une transaction avec Ahmed continua de le hanter
longtemps encore ; elle le hanta sept mois entiers, jusqu'au jour où
l'opinion contraire se prononça dans la Chambre des députés et dans le public
avec une telle force que le président du conseil fut obligé de s'y conformer,
sinon de s'y convertir. C'était le 6 juin 1838 ; l'intendant civil de
l'Algérie, M. Bresson, peu confiant dans la durée du traité de la Tafna,
venait de dire qu'après tout, le principe en étant bon, il y faudrait revenir
en établissant à l'intérieur des pouvoirs indigènes soumis à l'influence
française, Ahmed, par exemple, à Constantine ou à Médéa. Sur ces derniers
mots, éclata un orage ; il fallut, pour l'apaiser, que M. Molé montât à la
tribune et désavouât l'orateur, qui lui avait paru — c'est son expression — «
déroger quelquefois à sa prudence ordinaire ». Le
maréchal Valée n'était assurément pas d'avis de restaurer Ahmed dans
Constantine ; mais il pensait que la province était trop étendue pour être
administrée par l'autorité française. « Les tribus, écrivait-il au ministre
de la guerre, le 5 janvier 1838, se livreront pendant quelque temps à
l'anarchie, puis se soumettront à un chef indigène, et nous aurons devant
nous un nouvel ennemi qu'il faudra renverser ; c'est ce qui est arrivé dans
la province d'Oran. Que la leçon nous soit profitable ! Le gouvernement du
Roi reconnaîtra, je n'en doute pas, la nécessité de placer dans la province
de Constantine un chef qui relève de la France, afin de prévenir, s'il en est
temps encore, l'influence que pourrait y prendre l'émir.» L'ambition
d'Abdel-Kader s'étendait en effet jusque-là ; dès la chute d'Ahmed, il avait
fait exciter les populations par ses émissaires à la fois contre le vaincu et
contre le vainqueur. Après s'être tenu quelque temps caché dans le
Djebel-Aurès, Ahmed y avait recruté des bandes à la tête desquelles il
s'était porté contre Farhat-ben-Saïd et lui avait enlevé l'oasis de Biskra.
Délaissé par le général de Négrier, à qui le maréchal n'avait pas permis de
le secourir, le Cheikh-el-Arab fut réduit à solliciter le secours
d'Abdel-Kader. Quelle occasion pour l'émir de propager jusque dans le Zab
oriental la renommée de sa puissance ! Par ses ordres, Barkani, son khalifa
de Médéa, marcha contre Ahmed et lui reprit Biskra ; mais au lieu d'y
rétablir l'autorité de Farhat, il y installa un des plus zélés partisans de
l'émir, le marabout Bel-Azouz ; et comme Farhat s'indignait de cette
conclusion déloyale, il le fil prendre et l'envoya captif à Takdemt. La
France ayant succédé, dans le beylik de Constantine, aux droits du bey, le
gouverneur général avait donné l'ordre de faire lever sur les tribus les
impôts accoutumés, à savoir : l'achour, qui est la dîme des récoltes,
la zekat, qui est la dîme des troupeaux, et l'hokor, qui est la redevance imposée aux locataires des terres
domaniales, lesquelles occupaient une très-grande part du sol cultivable dans
la province. Autour de Constantine, l'opération fiscale fut conduite avec une
sage prudence par les soins du hakem SidiMohammed-Hamouda. Dans la région
maritime, elle fut confiée au commandant de Mirbeck, des spahis de Bone, qui
fit successivement, avec l'assistance des kaïds, d'un cadi et d'un agent du
trésor, trois tournées de perception sans beaucoup de résultat, parce que le
gouverneur général avait prescrit la plus grande modération dans ce premier
essai de recouvrement. Le maréchal Valée avait en horreur les razzias et en
exécration le principe de la responsabilité des tribus qui confondait
iniquement, disait-il, l'innocent avec le coupable. Ce fut bientôt un sérieux
sujet de désaccord entre lui et le général de Négrier, qui avait, au
contraire, la main prompte aux exécutions rapides et sommaires. La
garnison de Constantine se composait du 26e et du 61e de ligne, du 3e
bataillon d'Afrique, de deux escadrons du 3e chasseurs d'Afrique et d'un
escadron de spahis ; il y faut ajouter un bataillon de tirailleurs indigènes,
formé en grande partie des anciens janissaires du bey Ahmed qui étaient
passés au service de la France ; de ce noyau primitif sont issus plus tard
les régiments de turcos. Les compagnies d'élite de l'infanterie et la
cavalerie étaient toujours prêtes à marcher au premier signal ; quand cette
colonne mobile devait sortir, les ordres étaient donnés le soir, après la
fermeture des portes, et le lendemain, dès la pointe du jour, elle était en
route. Ce fut ainsi que, du 10 au 13 février 1838, le général de Négrier fit
dans l'ouest une promenade militaire jusqu'à la petite ville de Mila, dont le
kaïd reçut l'investiture de sa main, et, quelques jours après, une expédition
beaucoup moins pacifique à seize lieues au sud-ouest, contre la grande tribu
des Ouled-Abd-en-Nour, qui avaient enlevé du bétail à des douars soumis. Ce
fut une vraie razzia : cent soixante Arabes furent tués, des bœufs, des
milliers de moutons furent ramenés par la colonne. Au mois d'avril, lé
général reçut d'Alger des instructions qui lui prescrivaient de reconnaître
au nord, dans la direction de Stora, un chemin qui pourrait mettre Constantine
en communication directe avec la mer. Partie le 7, la colonne mobile
bivouaqua, le 8, à El-Arouch, et parvint, le 9, à Skikda, sur les ruines de
Rusicada. Les Kabyles, dont elle avait inopinément traversé les montagnes,
avaient été surpris ; au retour ils attaquèrent l'arrière-garde sans lui
faire beaucoup de mal. La reconnaissance avait atteint son but : la
communication était facile et, comparée à la route de Bone, plus courte des
deux tiers. Vers la
fin d'avril, le lieutenant-colonel Dorliac, du 12e de ligne, qui commandait à
Mjez-Ahmar, prit sur lui de partir avec un petit détachement pour aller
visiter, près de Gherfa, une mine de plomb dont on lui avait signalé l'existence
; il ne trouva pas ce qu'il était venu chercher et trouva ce qu'il ne
cherchait pas, une embuscade où il perdit quelques hommes et, en fin de
compte, une mise en retrait d'emploi pour s'être ainsi aventuré sans
autorisation. Pendant
tout le mois de mai, le général de Négrier, qui avait un grand besoin de
mouvement, se montra dans le beylik, au nord, au sud, à l'est, à l'ouest ;
cet excès d'activité agaçait le gouverneur, homme de poids et de mesure. «
Les longues courses, écrivait-il au général, le 26 mai, les expéditions à
grande distance ne peuvent amener de résultats durables. Comme le vaisseau
qui sillonne la mer et derrière lequel le flot se referme immédiatement, nos
colonnes ont souvent parcouru de vastes territoires sans laisser trace de
leur passage. C'est un système que je veux abandonner pour revenir aux
établissements solides, à une marche progressive. » Un autre sujet de
dissentiment indisposait contre le général de Négrier le gouverneur. Le hakem
Sidi-Mohammed-Hamouda, qui avait rendu de si grands services aux premiers
occupants de Constantine, après les sanglantes émotions de l'assaut, et dont
le général de Négrier avait paru s'accommoder d'abord, lui était devenu tout
à coup suspect ; il l'accusait, non sans vraisemblance, d'un méfait
très-commun parmi les grands chefs arabes, à savoir de faire sa main, au
préjudice du trésor, dans la levée des impôts, et de rançonner journellement
les indigènes. Non-seulement il lui enleva ses fonctions, mais encore il le
mit aux arrêts. En outre, il avait transféré, de sa propre autorité, la
dignité d'agha de Bouzian au kaïd Hamlaoui, que le maréchal Valée tenait pour
un homme fourbe et dangereux. De ce peu d'accord il résulta que le général de
Négrier demanda son rappel en France et fut remplacé, au mois de juillet, par
le lieutenant général baron Galbois. La
prise de Constantine, les tournées du commandant de Mirbeck aux environs de
la Calle, les courses du général de Négrier à la poursuite d'Ahmed, près de
la frontière tunisienne, tous ces incidents étaient commentés avec inquiétude
à. Tunis et avec plus d'acrimonie à Londres. Au mois d'août 1836, quand
l'amiral Hugon avait une première fois barré le passage à l'escadre turque,
lord Palmerston avait eu au sujet d'Alger, avec le général Sébastiani,
ambassadeur de France, une conversation encore amicale. « Les gouvernements,
lui avait-il dit, se doivent entre eux des concessions fondées sur les
nécessités de leur situation intérieure, quand ils veulent maintenir une
alliance aussi intime que la nôtre. C'est ce que nous avons fait et ce que
nous avons dû faire pour votre possession d'Alger ; nous avons reconnu
l'impossibilité de l'abandon de votre conquête, et nous avons laissé de côté
l'argumentation de 1830. Vous nous placeriez à notre tour dans une position
difficile, si un acte quelconque venait révéler le projet de ne plus donner à
votre conquête les limites de l'ancienne résidence d'Alger. » L'année
suivante, après la prise de Constantine, l'attitude et le langage du
principal secrétaire d'État pour les affaires étrangères étaient encore
très-corrects. En parlant, le 22 novembre 1837, au général Sébastiani des
interpellations que lui faisaient prévoir les articles très-vifs du Times,
lord Palmerston ajoutait : « Vous aurez dans cette affaire la preuve de noire
bonne foi. Je vous déclare que toutes les dispositions que le gouvernement
français fera du territoire de l'ancienne régence d'Alger, que toutes les
mesures qu'il prendra dans les limites de ce territoire sont acceptées
d'avance par le gouvernement britannique, à cette seule condition que les
territoires de Tunis et de Maroc et l'indépendance de leurs gouvernements
demeureront intacts et ne donneront lieu à aucune entreprise de votre part ;
car, dans ce cas, la question changerait de face et donnerait certainement
lieu à de graves dissentiments. Par exemple, si vous remettiez au bey de
Tunis la possession ou la garde de Constantine, à la charge de vous payer un
tribut, nous nous y opposerions, parce que la condition de tributaire, même
pour la plus faible somme, nous paraîtrait, de la part du bey de Tunis, une
dérogation à l'état d'indépendance que nous voulons qu'il conserve ; mais que
vous remettiez Constantine à Achmet sous telles conditions qu'il vous plaira,
que vous appeliez un autre chef indigène pour y commander en votre nom, ce
chef fût-il même un parent du bey de Tunis, tout cela, je vous le répète, est
accepté d'avance, et vous n'avez à craindre de nous aucune objection, aucun
empêchement ni direct ni indirect. » Sur quoi le comte Molé répondait au
général Sébastiani, le 7 décembre : « Pendant que lord Palmerston vous
parlait en termes si mesurés et si convenables des dispositions du cabinet de
Londres par rapport à la conquête de Constantine, M. de Metternich affirmait
à M. de Sainte-Aulaire, comme en ayant la complète certitude, que la
conservation de cette place amènerait entre l'Angleterre et la France une
rupture absolue. » Deux
mois après, le Foreign Office passait, le 9 février 1838, une note
officielle dont lord Granville, ambassadeur de la Reine à Paris, avait ordre
de laisser copie entre les mains du comte Molé. Cette note appelait
l'attention du gouvernement français sur une réclamation du consul de France
à Tunis, au sujet d'un territoire qui aurait fait partie autrefois de la
régence d'Alger ; à ce propos, la note abordait une question très-grave : «
La souveraineté d'Alger, y était-il dit, doit être encore considérée aujourd'hui
comme appartenant à la Porte, qui n'a jamais cédé à aucune autre puissance
ses droits sur cette régence, et, à cet égard, on ne doit pas perdre de vue
que la France n'a pas acquitté la promesse qu'elle fit à l'Europe en 1830,
avant que l'expédition eût mis à la voile, savoir que « si dans la lutte qui
allait s'engager, « le gouvernement existant à Alger venait à être dissous,
la France, dont les vues, dans cette importante question, étaient entièrement
désintéressées, se concerterait avec ses alliés, afin de déterminer quel
serait le nouvel ordre de choses qui, dans l'intérêt, de la chrétienté, devrait
remplacer le pouvoir renversé ». La France ne peut donc être considérée ni de
fait ni de droit comme exerçant autre chose qu'une simple occupation
militaire dans une partie de la régence d'Alger ; mais lors même que la
France aurait légitimement acquis par une cession régulière et suivant la loi
des nations la souveraineté de ce pays, dans ce cas même elle ne pourrait à
ce litre prétendre à plus qu'au territoire qui appartenait à la régence à
l'époque où elle lui aurait été ainsi formellement cédée. » A cette
note arrogante, qui mettait en doute le droit de la France, il fallait une
réponse nette et catégorique ; elle fut expédiée à Londres, sous la forme
pareille d'une note officielle, le 22 février. Sur la question générale
soulevée par le gouvernement anglais : « La France, on doit le savoir, disait
le comte Molé, ne transigera jamais. » Puis il ajoutait : « C'est après six
ans de silence gardé par le ministère actuel, d'assurances même, à la vérité
officieuses, mais souvent répétées, que l'Angleterre n'avait aucune objection
à faire aux établissements de la France en Afrique, pourvu qu'ils ne
s'étendent pas au-delà des limites de l'ancienne régence d'Alger, que le même
cabinet vient aujourd'hui contester au gouvernement du Roi la souveraineté du
territoire algérien... La question de nos droits sur Alger est une question
jugée depuis longtemps et sur laquelle il n'y a pas à revenir. Alger
appartient à la France au titre le moins contestable, par le fait de la
conquête entreprise dans le but de punir des provocations dont personne n'a
pu méconnaître la gravité et la persistance. Je ne saurais me persuader que
le' cabinet de Londres veuille aujourd'hui engager sur ce point une
controverse qui, très-certainement, ne mènerait à rien. » Quand le général
Sébastiani remit à lord Palmerston copie de cette note, le 28 février, il le
trouva tout radouci. « Je vous répète, en mon nom et au nom du cabinet dont
je suis membre, dit le ministre de la Reine à l'ambassadeur de France, qu'il
n'existe pas la moindre pensée de contester ou de troubler le fait de votre
occupation d'Alger tant que vous ne changerez pas les limites de votre
conquête. » Mais, comme il ajoutait qu'une cession régulière des droits de la
Porte lui semblait nécessaire pour légitimer la conquête, le général
Sébastiani répliqua vivement que l'Angleterre ne s'était jamais embarrassée
d'une pareille légitimation pour les annexions qu'il lui convenait de faire ;
sur quoi lord Palmerston fit observer à son interlocuteur qu'il ne fallait
pas donner à cette discussion plus d'importance qu'elle n'en avait : « Votre
gouvernement, ajouta-t-il encore une fois, peut être convaincu que la
possession d'Alger ne deviendra jamais entre lui et le ministère dont je fais
partie l'occasion ou même le prétexte d'un conflit sérieux. » Un débat assez
vif sur la question d'Alger venait d'avoir lieu à la Chambre des communes, et
c'était dans la crainte qu'il ne se renouvelât que lord Palmerston avait
voulu se prémunir contre les attaques de l'opposition par sa note officielle
; telle était du moins l'opinion du général Sébastiani à propos d'un incident
brusquement survenu, disparu brusquement, comme un météore diplomatique. IV Si, en
dépit des résistances intérieures et extérieures, la domination française
marchait à grands pas dans le beylik de Constantine, la plus étendue, la plus
peuplée, la plus riche des trois provinces, elle ne cheminait pas aussi vite
autour d'Alger. Depuis près de dix mois que le traité de la Tafna lui avait
assigné ses limites, elle ne les avait pas encore atteintes. A l'expédition
de Constantine et à ses suites qui avaient dû retarder l'occupation de la
Métidja, il faut ajouter les longues méditations du maréchal Valée, ses
habitudes de méthodique lenteur. Enfin, ses résolutions définitivement
arrêtées, il les fit exécuter dans les derniers jours du mois de mars 1838.
Le 26, le colonel de La Moricière prit possession de Koléa et de son
territoire ; mais, pour ménager les scrupules religieux des habitants,
l'accès de la ville sainte fut rigoureusement interdit aux Européens ; sur un
plateau qui la domine à l'ouest, un camp permanent reçut les trois bataillons
de zouaves, un bataillon du 63e, un peloton de chasseurs d'Afrique et quatre
pièces d'artillerie. Le lendemain, à l'autre extrémité de la plaine, un
bataillon du 2e léger, deux bataillons de la légion étrangère, un détachement
de cavalerie et quatre bouches à feu prenaient position sur le haut Hamise et
entreprenaient aussitôt la construction de deux camps retranchés, l'un à
Kara-Moustafa, sur la rive gauche du Boudouaou, l'autre, à deux lieues en arrière,
au Fondouk ; une route de vingt-trois kilomètres devait les relier à la
Maison-Carrée. Enfin, le 3 mai, le gouverneur, à la tête d'une colonne de
quatre mille hommes, se présenta devant Blida ; le hakem, le kaïd des
Beni-Sala, les députés des notables, venus à sa rencontre, lui firent
hommage. De même qu'à Koléa, l'entrée de la ville fut provisoirement
interdite aux Européens. Deux camps, l'un dit supérieur, au nord-ouest,
l'autre dit inférieur, au nord-est, et l'établissement de deux blockhaus au
sud, au-dessus de la gorge de l'Oued-Kébir, assurèrent l'occupation. En
abandonnant Blida et Koléa aux Français, Abdel-Kader avait compté ne leur
abandonner que des murs ; depuis longtemps ses émissaires prêchaient aux
habitants l'obligation de s'éloigner des infidèles et les pressaient
d'émigrer sur le territoire de l'émir. Il s'était avancé lui-même chez les
Beni-Sala pour se donner le spectacle de l'exode attendu. Il attendit en vain
; comme il ne pouvait pas employer la contrainte, la persuasion ne fut pas
assez forte. Une tentative ingénieuse de son khalifa Si-Mohammed ben Allai
ben Sidi-Mbarek ne réussit pas davantage. Ce descendant des illustres
marabouts de Koléa demanda au gouverneur l'autorisation de transporter à
Miliana les restes sacrés de ses ancêtres ; l'autorisation fut refusée ; la
population, qui aurait suivi peut-être l'émigration des reliques vénérées,
demeura paisible autour de leurs tombes, et l'émir désappointé reprit le
chemin de Mascara. Peu de
temps après, son envoyé Ben-Arach revenait aussi désappointé, après un séjour
de quatre mois à Paris. « Ben-Arach, écrivait au gouverneur le comte Molé, le
13 juin, avait, j'en suis certain, pour mission d'obtenir pour son maître la
cession de Constantine, aux conditions que la France aurait voulu lui imposer
ou à peu près. Ses deux acolytes Bouderba et Ben-Durand m'ont fait arriver de
très-loin et par plusieurs intermédiaires cette idée. J'ai refusé de rien entendre,
ni directement ni indirectement, en disant que les affaires d'Afrique se
faisaient en Afrique, et qu'au gouverneur général de nos possessions
appartenait seul de négocier avec Abdel-Kader et d'adresser, avec son avis,
au gouvernement du Roi les propositions qu'il aurait reçues. » Le gouverneur
entreprit donc de négocier avec Ben-Arach, non pas à propos de Constantine,
dont il ne fut pas parlé, mais au sujet des territoires en litige à l'orient
de la Métidja. En dépit des protestations de l'Arabe qui se déclarait sans
pouvoirs pour traiter d'une aussi grave affairé, le maréchal crut triompher
quand il lui eut fait apposer, le 4 juillet, mais seulement ad referendum,
son cachet au bas d'une convention explicative du traité de la Tafna. Celte
convention, en quatre articles, assurait à la France les vallées de l'Isser
et du Sebaou, le fort de Hamza au sud, et la communication directe d'Alger à
Constantine par le fameux passage des Biban-el-Hadid ou Portes de fer.
Restait à obtenir le plus difficile, la sanction d'Abdel-Kader ; mais où le
prendre ? Il avait encore une fois disparu ; on le disait occupé, bien loin
dans le sud, à la conquête d'une oasis du Zab. Impatient d'en finir avec
cette convention qui tranchait les difficultés, le maréchal fit partir
aussitôt à la recherche de l'émir, son gendre, qui était son premier aide de
camp, le commandant de Salles. A Miliana, on commença par le retenir ; au
camp de Sidi-Moustafa, sur l'Oued-Fodda, on lui interdit absolument de passer
outre ; après quinze jours de tribulations et d'ennuis, il lui fallut
tristement reprendre le chemin d'Alger. Cependant le maréchal Valée ne
négligeait rien pour se concilier l'esprit d'Abdel-Kader ; il lui envoyait
des armuriers, des mécaniciens, des fusils, des obus, de la poudre ; mais des
mois et des mois devaient se passer encore avant que l'oracle consentît à
donner sa réponse. Les
seules distractions de cette longue attente, le gouverneur ne pouvait les
demander qu'à la province de Constantine ; heureusement, de ce côté-là,
toutes les nouvelles arrivaient bonnes. Sidi Mohammed-Hamouda, remis en
liberté par le général Galbois, était rentré dans ses fonctions de hakem, et
le conseil d'administration chargé d'apurer ses comptes n'avait laissé à sa
charge qu'une somme peu considérable. Au mois de septembre, le général, à la
tête d'une petite colonne, avait commencé de faire une tournée fiscale quand
il reçut la nouvelle inopinée que le maréchal, n'y pouvant plus tenir, venait
de débarquer à Bone. Il se porta aussitôt à sa rencontre, et, le 23, le
conquérant de Constantine y fit son entrée, aux acclamations de la foule. Le
grand motif de son voyage était de constituer définitivement la province et
d'assurer lui-même l'exécution des mesures qu'il avait méditées longuement dans
son palais d'Alger. Le 30 septembre, trois arrêtés organiques furent publiés
à la fois ; le plus considérable confiait à des khalifas et à des kaïds
l'administration des territoires qui ne seraient pas gouvernés directement
par l'autorité française ; le tiers du produit de l'hokor leur était
abandonné à titre de traitement. Le conseil d'administration de la province,
présidé par le général commandant supérieur, était composé du sous-intendant
militaire, du payeur de la division, du hakem de Constantine, des trois
khalifas, du Cheikh-el-Arab, et des trois kaïds des Hanencha, des Harakta et
des Amer. L'investiture fut donnée solennellement aux grands chefs indigènes
; le plus important de tous, le fameux défenseur de Constantine, Ben-Aïssa,
qui avait fait depuis quelque temps sa soumission à la France, fut reconnu
khalifa du Sahel, c'est-à-dire des montagnes du littoral entre Bone et
Djidjeli ; El-Hamlaoui, khalifa du Ferdjioua, entre Constantine et Sétif ;
El-Mokrani, khalifa de la Medjana, entre Sétif et les Biban ;
Ali-ben-Bahamet, kaïd des Harakta ; Resghi, rallié comme Ben-Aïssa, kaïd des
Hanencha ; Moktar, kaïd des Amer ; le titre de Cheikh-el-Arab, que portait
encore Farhat-ben-Saïd, trahi et retenu prisonnier par Abdel-Kader,. fut
transféré plus tard à son heureux rival Bou-Zeïd-ben-Ganah. Après
l'organisation de la province, ce que le maréchal Valée avait le plus à cœur,
c'était l'occupation définitive de Stora. Depuis la reconnaissance faite au
mois d'avril par le général de Négrier, une route de neuf lieues avait été
ouverte dans cette direction jusqu'à Smendou, par le colonel du génie
Vaillant. Le 30 septembre, le général Galbois fit commencer les travaux du
camp retranché d'EI-Arouch, à six lieues seulement de Stora, et le 8 octobre,
le gouverneur put adresser de Skikda la dépêche suivante au ministre de la
guerre : « L'armée a pris possession hier de l'ancienne Rusicada ; le
quartier général est établi sur une position qui domine la rade et a reçu le
nom de Fort-de-France ; le camp, sur l'emplacement duquel s'établira la
ville, est dans une position parfaitement couverte qui touche à la mer. »
Substituée à Stora, où l'escarpement du sol ne se prêtait à aucune
installation possible, l'ancienne Rusicada se voyait ainsi renaître ; bientôt
un royal parrainage allait lui permettre de changer le nom de Skikda pour
celui de Philippeville ; la rade de Stora devait lui servir de port. Le
maréchal avait amené quatre bataillons d'infanterie et trois escadrons de
chasseurs d'Afrique ; il y avait bien eu pendant la marche quelques coups de
fusil sur les flancs de la colonne ; mais, entêté de pacification, il n'avait
pas voulu y prendre garde. Le lendemain de son arrivée à Skikda, un des kaïds
du Sahel étant venu l'avertir d'une prise d'armes imminente des Kabyles
contre le camp d'El-Arouch, il le reçut très-mal ; cependant l'avis méritait
un autre accueil. En effet, un convoi venant de Constantine fut surpris et
enlevé ; puis le camp même eut à repousser une attaque. Le retour de la
colonne expéditionnaire ne fut pas inquiété d'ailleurs. La garde de
Philippeville et du camp d'El-Arouch resta confiée au 61e de ligne, et celle
du camp de Smendou au bataillon turc, sous les ordres du capitaine Mollière.
Le 1er décembre, le général Galbois, alors en tournée de contributions chez
les Harakta, reçut, par une dépêche du gouverneur, qui avait regagné Alger,
l'ordre de se porter sans retard sur Sétif. Impatient d'ouvrir la route
directe d'Alger à Constantine et mécontent du silence inexpliqué
d'Abdel-Kader, le maréchal Valée avait obtenu du gouvernement l'autorisation
d'occuper le fort de Hamza, sur l'Oued-Sahel, et c'était pour concourir à cette
opération qu'il appelait le général. Celui-ci, ayant réuni à la hâte toutes
les troupes disponibles, se mit en mouvement, le 5 décembre. La marche,
retardée par le mauvais état des chemins que ravinait une pluie torrentielle,
fut lente. Il fallut s'arrêter deux jours à Mila. « En y arrivant, raconte le
docteur Bonnafont, chirurgien en chef de l'ambulance, nous fûmes témoins d'un
fait que je n'oserais rapporter, si je ne l'avais vu moi-même. Avant d'entrer
dans Mila, le général Galbois fut informé par le kaïd qu'une jeune fille
folle, ou mieux derviche, entourée du plus grand respect par tous les
musulmans, se promenait dans la ville avec le simple costume d'Eve ; il fut
prié instamment de la faire respecter par les soldats. Le général le promit,
et, en effet, un ordre du jour bien motivé recommanda expressément à tous de
la respecter, ainsi que faisaient les habitants, ce qui fut scrupuleusement
observé. Que l'on se figure maintenant cette jeune fille de dix-sept ans au
plus, bien faite, bistrée et basanée, se promenant dans un camp au milieu des
soldats, regardant tout cet ensemble nouveau pour elle, on comprendra
l'étonnement qu'elle devait produire. Je l'ai vue un malin s'approcher d'un
groupe de soldats qui déjeunaient et prendre part à leur gamelle : tout se passait
comme si la jeune fille avait été un convive habitué, faisant partie de
l'escouade. Pendant les deux jours que nous sommes restés à Mila, la consigne
fut exactement suivie. Le kaïd, très-sensible à ce témoignage de respect
donné à cette sainte fille, en exprima sa reconnaissance au général, au nom
de tous les habitants. » Quand la marche fut reprise, la tourmente était
encore si furieuse qu'on fut obligé d'abandonner les malades, les tentes, une
partie des vivres et les gros bagages à la bonne foi des Arabes, qui, de leur
côté, tinrent religieusement leur parole ; au retour, tout fut restitué
intégralement, même une sacoche de quelque deux cents francs qu'avait oubliée
une cantinière. Quelle
magnifique promenade, si le ciel avait été plus clément, que ce passage des
troupes au travers d'une contrée pittoresque, toute jonchée de ruines
romaines ! La route en était littéralement jalonnée. Le 12 et le 13, on fit
halte à Djémila, au pied d'un arc de triomphe dédié à Septime Sévère ; le 15,
on arrivait enfin à Sétif, l'ancienne capitale de la Mauritanie sitifienne.
Là, le général Galbois apprit indirectement que, devant la violence et la
persistance du mauvais temps, le maréchal Valée avait renoncé à l'expédition
annoncée sur Hamza. Après une journée de repos, la colonne reprit, le 16,
dans la nuit, le chemin de Constantine. Le général avait. été averti que les
Kabyles, surpris à son arrivée, l'attendaient à la retraite. L'infanterie,
qui marchait devant, se trompa de route et inclina vers la plaine des
Abd-en-Nour, tandis que la cavalerie reprenait le chemin de Mila. L'attaque
de l'ennemi sur l’avant-garde eut le bon effet de faire connaître au général
l'erreur qu'elle avait commise ; les deux colonnes se rejoignirent et
forcèrent ensemble le col de Mons, où s'étaient massés les Kabyles.
Heureusement le beau temps était tout à fait revenu. A Djémila, dont la
petite garnison avait été légèrement inquiétée les deux nuits précédentes, le
général crut devoir laisser, à titre d'occupation provisoire, le 3e bataillon
d'Afrique. A peine eut-il repris le chemin de Constantine que Djémila devint
aussitôt le rendez-vous de toute la Kabylie. C'était
un poste absolument ouvert ; bien à la hâte, le commandant Chadeysson se
retrancha derrière un parapet de pierres empruntées aux ruines ; dans ce
misérable réduit, dominé de toutes parts, il se défendit pendant cinq jours
et quatre nuits contre des milliers de Kabyles, avec six cent soixante-dix
hommes, pourvus chacun d'une quarantaine de cartouches ; mais ce n'était pas
le Kabyle qui était le grand ennemi, c'était la soif. Il n'y avait pas d'eau
dans le réduit ; l'eau coulait à cinquante pas, au fond d'un ravin ; on
l'entendait bruire sur les cailloux ; mais au-dessus, dans la broussaille, on
apercevait une rangée de longs fusils : c'était le supplice de Tantale. Le
quatrième jour, l'ennemi, décimé par le feu lent, mais sûr, des assiégés,
offrit de se retirer si on voulait lui promettre l'exemption de l'achour, de
la zékat et de l'hokor ; le commandant répondit que, pour traiter, il n'avait
ni pouvoir ni vouloir. Cependant, la nouvelle de cette attaque avait fini par
arriver à Constantine ; à l'approche du 26e de ligne, accouru le plus vite
possible, les Kabyles se retirèrent ; c'était le 22 décembre,
l'investissement avait commencé le 18. L'aspect du réduit était curieux :
au-dessus du niveau déterminé par le parapet, toutes les tentes étaient criblées
de balles ; au-dessous, la toile était à peu près intacte. Les zéphyrs
avaient eu quatre tués et quarante-six blessés ; ils rentrèrent avec le 26e à
Constantine. Cette
défense d'un poste ouvert est un des beaux faits d'armes de la guerre
d'Afrique, supérieur à la fameuse défense de Mazagran. Il n'y a qu'heur et
malheur ; Mazagran était près de la mer, en face de Marseille, sous l'œil
d'une presse éveillée, prompte à la réclame ; derrière la masse énorme des
montagnes kabyles, qui donc, parmi les journalistes, connaissait Djémila ?
Plus tard, un grand conteur, Alexandre Dumas, y prit intérêt ; mais plus
tard, c'était trop tard. La popularité de l'écrivain ne réussit pas à
populariser, à l'égal des zéphyrs de 1840, les zéphyrs de décembre 1838 ;
c'est dommage. L'affaire
de Djémila ne plut pas au gouverneur dont elle contrariait le système
pacifique, et déplut tout à fait au ministre de la guerre qui n'était plus
aussi bien disposé pour le gouverneur. Il lui écrivit, à ce sujet, une longue
dépêche, pleine de reproches à peine déguisés. « Nos soldats, disait-il, ont
été sur le point de manquer de munitions ; privés d'eau, ils se sont vus
réduits aux nécessités les plus cruelles ; cernés pendant cinq jours dans des
ruines qui ne leur offraient d'abri ni contre la pluie ni contre l'ennemi,
ils ont donné d'éclatantes preuves de courage et de fermeté. Il reste à
expliquer comment la position a été jugée susceptible de défense dans d'aussi
mauvaises conditions ; comment, à une aussi grande distance de Mila, au
milieu d'un pays tout à fait inconnu, un corps français a été abandonné à
lui-même par la colonne qui s'éloignait, sans prévoyance suffisante d'une
attaque que tant de signes devaient faire juger inévitable et prochaine. »
Toutes ces observations étaient justes ; mais le ton d'aigreur qui les
assaisonnait s'expliquerait, sans doute, par la méchante humeur du général
Bernard, menacé d'avoir à céder son portefeuille, à qui ? Au maréchal Valée
lui-même. Le 6
décembre 1838, voici la lettre que le comte Molé adressait au gouverneur : «
C'est en sortant d'un long entretien avec le Roi que j'ai l'honneur de vous
écrire ; l'objet de cette lettre doit rester profondément secret. Je vous
demande avec instance de permettre qu'elle ne soit connue que de vous, et
quelle que soit la réponse que vous y aurez faite. Le cabinet va traverser
une nouvelle épreuve ; je ne doute pas qu'il n'en sorte avec un plein succès
; cette épreuve, c'est la discussion de l'adresse. Dès que l'adresse aura été
votée selon nos vœux, l'intention du Roi est que M. le général Bernard, dont
la santé donne, depuis quelques mois, de sérieuses inquiétudes, soit remplacé
dans le poste éminent et laborieux qu'il occupe d'une manière honorable
depuis plus de deux ans. Le Roi, Monsieur le maréchal, s'unissant à la voix
publique et à celle de l'armée, désire vivement que vous acceptiez cette
nouvelle marque de sa confiance. S'il m'est permis de parler ici de mes
sentiments personnels, je dirai que depuis longtemps je ne vois, je ne
connais que vous, Monsieur le maréchal, qui soyez à la hauteur d'une tâche
aussi difficile que celle qui vous est offerte ; mais il fallait vous enlever
à celle que vous terminez en ce moment d'une façon si glorieuse. Le moment
est arrivé où vous pourrez, comme ministre de la guerre, confirmer et
féconder ces établissements que votre main vient d'asseoir sur des bases
durables. » Cette lettre du président du conseil se recommandait d'une
autorité plus haute encore, de la parole du Roi même. Le même jour, 6
décembre, Louis-Philippe écrivait au gouverneur : « Mon cher maréchal, c'est
avec mon plein assentiment que le comte Molé vous écrit. J'ai connaissance de
ce qu'il vous mande, et c'est de tout mon cœur que je vous demande d'y
acquiescer. Je conçois que ce soit pour vous un grand sacrifice que de
quitter cette terre d'Afrique où vous avez fait tant de bien et acquis tant
de gloire ; mais des intérêts plus élevés me portent à vous le demander, et
en acceptant le poste nouveau auquel ma confiance est disposée à vous
appeler, vous ajouterez un nouveau titre à tous ceux que vous avez déjà et à
tous les sentiments que je vous porte et que je vous garderai toujours. » Le
maréchal Valée répondit en donnant au Roi et au ministre son acceptation
virtuelle ; mais il voulait, avant de quitter l'Algérie, régler invariablement
avec Abdel-Kader la difficulté toujours pendante des limites. V Pour
ranger et tenir sous sa domination le peuple arabe, il ne suffisait pas que
l'émir Abdel-Kader n'eût à redouter aucune rivalité politique, il fallait
qu'aucune influence religieuse ne parût supérieure ni même égale à la sienne.
De la mer aux extrêmes confins du Tell, il était obéi, respecté, vénéré comme
le chef des croyants ; mais plus loin, dans le Sahara, dans le pays des
dattes, il y avait un marabout d'un grand renom, issu d'une longue lignée de
saints, qui refusait de lui faire obédience. Souvent menacés par les beys
d'Oran, les Tedjini, enfermés dans leur ksar d'Aïn-Madhi, s'étaient toujours
maintenus indépendants et libres ; Mohammed-el-Tedjini, leur descendant,
n'entendait pas déchoir sous la suprématie d'un maître. C'était cet insoumis
que l'émir avait résolu de dompter pour l'exemple. « Dieu, disait-il plus
tard dans une sorte de manifeste, nous ayant donné mission de veiller sur les
intérêts des musulmans, de prendre la direction de tous les peuples soumis à
la loi de notre seigneur Mohammed, nous sommes allé dans le Sahara, non pour
nuire aux croyants, mais pour consolider leur foi, les réunir dans un intérêt
commun et pour rétablir Tordre. Tous ont écouté notre voix, tous nous ont
obéi et nous ont accepté pour chef. El-Tedjini seul s'y est refusé. Nous nous
sommes trouvé en face de ceux qui lui obéissaient ; ils étaient prêts à nous
combattre, et nous avons désespéré de leur conversion. » Cependant,
quand il était parti de Takdemt pour Aïn-Madhi, le 12 juin 1838, aussi
confiant que le maréchal Clauzel partant pour Constantine, il s'était flatté
du même espoir, bercé de la même illusion ; à sa vue, les armes devaient
tomber des mains des rebelles, et les portes du ksar s'ouvrir toutes seules
devant lui. Aussi n'était-ce point une armée qu'il emmenait, c'était une
grande escorte, quatre cents de ses cavaliers rouges, dix-huit cents askers
et vingt-quatre topjis pour servir deux obusiers de montagne. Il ne songea
même pas à retenir les goums qui venaient le saluer au passage et qui, la
fantasia courue devant lui, retournaient comme d'une simple fête à leurs
douars. En six jours, il arriva de Takdemt au ksar de Tedjini. Rien
n'annonçait la soumission ; Tedjini n'avait pas cherché la guerre, mais il
était décidé à se défendre. A la sommation de l'émir voici ce qu'il répondit
: « Chérif et marabout, j'étais sultan quand tu n'étais encore qu'un enfant ;
je ne sais donc ce que tu viens faire chez moi. Je comprendrais ton langage
si tu venais me demander des secours pour soutenir ou mener la guerre sainte
; mais, loin de là, après avoir traité avec les infidèles, tu viens tourner
tes armes contre de vrais musulmans qui n'ont jamais rien eu de commun avec
toi. Tu crois trouver de faibles femmes, je te montrerai des lions ; et que
le sang qui sera versé retombe sur ta tête ! » Entourée
d'une ceinture de palmiers, semblable aux autres ksour du Sahara, la ville
paraissait émerger d'une corbeille de verdure. L'enceinte, de forme
elliptique, comme le mamelon qui la portait, renfermait une belle mosquée, la
kasba, demeure de Tedjini, et quelque trois cents maisons ; la muraille,
flanquée de tours carrées, haute de huit à dix mètres, épaisse de quatre,
portait un chemin de ronde crénelé ; un mur en pisé de cinq mètres de haut,
également flanqué de tours et percé de meurtrières, formait une première
ligne de défense autour des bouquets de palmiers et des jardins, arrosés par
les eaux de la source d'où la ville tirait son nom ; cinq puits creusés dans
le sol du mamelon suffisaient aux besoins des habitants et des Arabes du
dehors venus à leur aide ; ils étaient ensemble de huit à neuf cents, bien
pourvus d'armes, de munitions et de vivres. Dès qu'Abdel-Kader eut reconnu la
force de la place et la disposition résolue de ses défenseurs, il fit porter
à tous ses khalifas Tordre de lui envoyer sans retard du canon et des
renforts. Le 1er juillet, il reçut quatre pièces de petit calibre,
suffisantes pour ouvrir le mur extérieur, et, dès le lendemain, il donna le
signal de l'attaque. Le mur franchi, les jardins furent occupés, non sans
peine ni sans perte, car les assaillants n'eurent pas moins de quatre-vingts
tués et de cent quatre-vingt-cinq blessés. La première brèche n'avait pas été
difficile à faire ; mais comment pratiquer la seconde à travers l'épaisse
muraille qui protégeait la place ? De treize pièces successivement arrivées
et mises en batterie, deux canons de 12 étaient seuls capables de produire
quelque effet. Un déserteur de la légion étrangère, un Hongrois, eut la
direction de cette artillerie ; le secrétaire français d'Abdel-Kader, M. Léon
Roches, était l'ingénieur du siège. Le 4 juillet ; la batterie fut démasquée
; mais avant que le canon eût entamé profondément la maçonnerie, il ne
restait plus un seul des huit cents boulets amenés ou envoyés de Takdemt. Il
fallut attendre les mortiers promis par le sultan de Maroc et les bombes
offertes par le maréchal Valée. Les
Arabes, gens de coup de main, ne sont pas faits pour les longues affaires ;
quand ils voient la fin de leur petit sac de farine et de la poignée de
dattes qu'ils ont apportées dans un coin de leur burnous, ils s'en vont.
Ainsi firent les tribus que l'émir avait appelées du Tell ; ses réguliers
demeurèrent seuls ; encore les khiélas étaient-ils en partie démontés ; les
chevaux n'avaient plus d'orge. Les mortiers venus, la ville fut bombardée
pendant trois jours ; elle ne se rendit pas. L'autorité de l'émir était
atteinte ; les fidélités s'ébranlaient. Un convoi de vivres impatiemment
attendu, car l'assiégeant commençait à souffrir de la faim, fut pillé par les
Larbâ ; c'était une grande tribu qui pouvait envoyer plus de six cents
cavaliers à la guerre. A l'heure qui a donné son nom à la razzia, au point du
jour, elle se laissa surprendre auprès de Tadjemout par les khiélas de l'émir
et lâcha sa proie. C'était la vie assurée au camp pour quelques jours ; mais
après ? Ni les boulets ni les bombes n'ayant eu raison de la ville, on essaya
de la guerre souterraine ; on fit venir des mineurs de Figuig, les plus
réputés parmi les Arabes ; partout leurs galeries rencontrèrent les
contremines de l'assiégé. Les marabouts des Hachem, la tribu même
d'Abdel-Kader, vinrent lui demander d'abandonner une entreprise qui ne
faisait tort qu'à sa puissance. Les Beni-Mzab, sommés par ses collecteurs de
payer Tachour, avaient répondu : « Si c'est du secours que tu demandes, nous
ne pouvons pas t'en fournir ; pauvres nousmêmes, nous gardons nos ressources
pour aider nos malheureux ; si c'est autre chose que tu veux, nous avons cinq
villes, et dans chacune deux mille tireurs comme ceux d'Aïn-Madhi. Viens
donc, nous te recevrons en gens de cœur. » Comme les Beni-Mzab, les Flitta
refusèrent l'impôt, et la résistance gagna jusqu'aux Hachem. Cependant
Abdel-Kader ne cédait pas : « Venu fort comme un taureau, disait-il, je
ne peux m'en aller comme une vache. » L'aveu de sa défaite, c'était sa
déchéance. Après avoir essayé de la force, il se rejeta, de guerre lasse, sur
la diplomatie religieuse. De saints marabouts, des agents du sultan de Maroc
s'entremirent ; ils prêchèrent Tedjini au nom des grands intérêts de l'Islam
; ils lui persuadèrent de couronner sa magnifique défense, non par une
capitulation, mais par un acte de résignation magnanime ; en un mot, de céder
pour quelque temps la possession d'Aïn-Madhi à l'émir. Il y consentit. Un
armistice de sept semaines fut conclu, le 30 novembre ; pendant qu'Abdel-Kader
se retirait avec ses troupes à Tadjemout d'abord, puis à Laghouat, Tedjini
faisait emporter vers le Zab tout ce que les années avaient accumulé dans la
kasba ; six cents chameaux furent employés au transport de ses richesses. Les
gens d'Aïn-Madhi suivirent l'exemple de leur chef. Quand Abdel-Kader fit, le
11 janvier 1839, son entrée dans la ville, elle était à peu près vide. Selon
la convention, il n'y devait pas demeurer toujours, mais rien n'empêchait
qu'en la quittant, il ne laissât derrière lui que des ruines. Le 12, il fit
ouvrir par la mine de larges brèches dans ces murs qui lui avaient fait
résistance, et l'œuvre de destruction fut achevée par les mains cupides des
Arabes, accourus à la curée comme une bande de chacals. Abdel-Kader fit
partout célébrer l'occupation équivoque d'Aïn-Madhi avec autant d'éclat que
le plus mérité des triomphes. La proclamation suivante fut faite à Mascara :
« L'émir est entré dans Aïn-Madhi ; il faut se réjouir d'une aussi éclatante
victoire ; en conséquence, il est ordonné à tous ceux qui ont chevaux et
fusils de faire la fantasia et à tous ceux qui ont des boutiques de les orner
de leur mieux, sans quoi leurs biens ne suffiront pas pour racheter leurs
têtes. » La jubilation ou la mort ! Après
plus de sept mois d'absence, Abdel-Kader était rentré à Takdemt, le 26
janvier 1839 ; peu de jours après, appelé par une maladie de sa mère, il vint
s'établir à Bou-Korchefa, près de Miliana. C'est là que le commandant de
Salles, aide de camp du maréchal Valée, put enfin le joindre. L'émir, qui
s'attendait à sa venue, avait convoqué les khalifas de Tlemcen, de Mascara,
de Médéa, du Sebaou, les kaïds, les grands des tribus. Devant eux, il reçut
avec un dédain superbe les riches présents que lui envoyait le maréchal, puis
il réclama deux esclaves appartenant à son premier khodja, et qui s'étaient
enfuis à Alger. Le commandant Pellissier, directeur des affaires arabes,
s'appuyant de l'autorité du procureur général, soutenait ce principe que la
terre de France rend libre tout esclave qui la touche ; néanmoins les
misérables furent arrêtés, conduits jusqu'à la frontière par les gendarmes
maures et remis entre les mains des Hadjoutes. Le commandant Pellissier donna
aussitôt sa démission, et le gouverneur nomma le capitaine d'Allonville à sa
place. L'acte du maréchal fut cependant blâmé par le ministre de la guerre.
Peu de temps après, un cas plus grave s'étant présenté, car il s'agissait
d'un nègre de la garde de l'émir, l'extradition fut refusée. Les
complaisances du maréchal n'eurent pas plus d'effet que ses présents ;
lorsque son aide de camp pressa l'émir de s'expliquer enfin sur la question
des limites, Abdel-Kader se retrancha derrière l'avis de son grand conseil,
unanimement déclaré contre la convention acceptée par Ben-Arach et pour le
maintien absolu du traité de Tafna. Le commandant de Salles dut reprendre le
chemin d'Alger sans avoir rien obtenu. Cependant
l'émir ne voulait rompre qu'à son heure et sans se donner les apparences de
la rupture. Afin de gagner du temps, il fit rédiger par son secrétaire
français des lettres pour le Roi, pour la Reine, pour le duc d'Orléans, pour
le maréchal Gérard et pour M. Thiers. Il n'y en eut pas moins de trois
successivement adressées au roi Louis-Philippe. Voici les passages les plus
expressifs d'une de ces lettres : « Depuis la fondation de l'islamisme, les
musulmans et les chrétiens sont en guerre ; pendant des siècles, ce fut une
obligation sainte pour les deux croyances ; mais les chrétiens, négligeant
leur religion et ses préceptes, ont fini par ne plus considérer la guerre que
comme un moyen humain d'agrandissement. Pour le véritable musulman, au
contraire, la guerre contre les chrétiens reste obligatoire dans tous les
cas, à plus forte raison lorsque les chrétiens envahissent le territoire des
musulmans. D'après ce principe, je me suis donc écarté des préceptes de ma
religion lorsque j'ai conclu avec toi, roi des chrétiens, un traité de paix,
il y a deux ans, et surtout en cherchant aujourd'hui à consolider cette paix
pour toujours. Grand roi des Français, Dieu nous a désignés l'un et l'autre
pour gouverner quelques-unes de ses créatures, toi dans une position bien
supérieure à la mienne par le nombre, la puissance et la richesse de tes
sujets ; mais il nous a imposé pareillement l'obligation de les rendre
heureux. Examine donc, et tu reconnaîtras que de toi seul dépend le bonheur
des deux peuples... « Signe « ou ne signe pas, me dit-on, mais ton refus sera
« la guerre. » Eh bien ! moi, je ne signe pas et je veux la paix, rien que la
paix. Seras-tu compromis, toi, sultan de la nation française, de la nation la
plus puissante du monde, en faisant des concessions à un jeune prince dont le
pouvoir commence à peine à s'affermir sous ton ombre ? Ne dois-tu pas me
protéger, me traiter avec indulgence, moi qui ai rétabli l'ordre parmi ces
tribus qui s'égorgeaient, qui tâche chaque jour de faire naître chez elles le
goût des arts et des utiles professions ? Aide-moi donc au lieu de
m'entraver, et Dieu te récompensera. Si la guerre éclate de nouveau, je n'ai
pas l'orgueil de croire que je pourrai tenir ouvertement tête à tes troupes,
mais je les harcèlerai sans cesse ; je perdrai du territoire sans doute, mais
j'aurai pour moi la connaissance du pays, la frugalité et le dur tempérament
de mes Arabes, et surtout le bras de Dieu qui soutient toujours le faible
opprimé. Que Dieu t'inspire une réponse digne de ta puissance et de la bonté
de ton cœur ! » Toutes ces lettres, renvoyées au maréchal Valée, demeurèrent
sans réponse. A ce
moment, le gouvernement traversait la célèbre crise connue dans notre
histoire parlementaire sous le nom de la coalition. Le cabinet dans lequel
une place allait être faite au maréchal venait de succomber ; sa chute
devait-elle entraîner celle du gouverneur de l'Algérie ? Le maréchal n'en
douta pas ; il envoya sa démission. Le Roi refusa de l'accepter et lui
demanda d'attendre au moins la naissance du futur ministère. Après trois mois
d'un enfantement plus que laborieux, le nouveau-né vint enfin au monde, le 12
mai 1839. Le général Schneider, nommé ministre de la guerre, s'empressa de
dépêcher au maréchal Valée le colonel d'état-major de La Rue pour le prier de
rester à son poste ; devant tant d'insistance, le maréchal y consentit, et,
comme d'habitude, ce fut à la province de Constantine qu'il songea pour
inaugurer en quelque sorte le renouvellement de ses pouvoirs. VI Depuis
l'expédition du général Galbois à Sétif, quelques mouvements de troupes
avaient été faits : sur le territoire des Hanencha, pour soutenir le kaïd
Resghi contre son éternel rival El-Hasnaoui, ancien allié des Français,
devenu leur adversaire ; dans les environs de la Calle, pour empêcher les
Tunisiens de mettre à contribution les douars soumis à la France ; enfin,
chez les Ouled-bou-Aziz, pour punir le meurtre commis sur le cheikh Bou-Akal,
à l'instigation de l'ancien bey Ahmed. Dans ce dernier cas, les troupes
françaises, sous les ordres du lieutenant-colonel de Bourgon, ne firent
qu'appuyer en spectateurs l'action des cavaliers Harakta que conduisit le
kaïd Ali. Vers la fin du mois d'avril arriva d'Alger à Constantine le
commandant de Salles, avec le titre de chef d'état-major de la division ; en
fait, cet officier supérieur, aide de camp et gendre du maréchal Valée,
n'était que détaché temporairement du quartier général pour une opération
spéciale, l'occupation de Djidjeli. Quatre mois auparavant, le 1er janvier
1839, aux environs de ce petit port, un navire de commerce français, le brick
Indépendant, avait été pillé, après échouage, par les Kabyles qui avaient
emmené dans la montagne et mis à rançon les marins du bord. C'était pour
obtenir satisfaction et prévenir le renouvellement d'un acte qui rappelait
les pires habitudes des anciens Barbaresques, que le maréchal Valée avait
conçu le projet dont l'exécution était confiée à son gendre. Afin d'en
assurer le succès, des diversions simultanées devaient détourner l'attention
des Kabyles sur Mila, sur Bougie et sur Philippeville. Depuis
quatre années, depuis le temps de Duvivier, Bougie n'avait pas cessé de mener
la triste existence d'une ville sans habitants, bloquée sans répit et
quelquefois, mais à de longs intervalles, saluée par les balles kabyles. Deux
événements en avaient seuls varié un instant la monotonie. Dans les premiers
jours de son gouvernement, le maréchal Clauzel était venu à Bougie avec
l'idée d'en ordonner l'évacuation ; mais, sur les observations du colonel
Lemercier, il s'était contenté de réduire la garnison en fortifiant davantage
la place. Le second événement qui fit époque dans l'histoire du blocus fut
tragique. Le 4 août 1836, le commandant Salomon de Musis, du 2e bataillon
d'Afrique, avait accepté une entrevue, dans la plaine, avec le cheikh
Amziane, frère de cet Oulid-ou-Rebah qui avait été si perfide aux Français.
Il s'y était rendu avec le sous-intendant militaire, le kaïd de la ville et
l'interprète, laissant en arrière, à quelque distance, la compagnie franche
du capitaine Blangini. Insensiblement, les cavaliers du cheikh enveloppèrent
le petit groupe, puis tout d'un coup ils firent feu ; le commandant et
l'interprète furent tués roides ; le kaïd, grièvement blessé, le
sous-intendant, jeté à terre, accablé de coups de crosse, furent sauvés à
grand'peine par la compagnie franche. On peut juger de ce que furent
désormais les rapports des successeurs de Salomon de Musis avec Amziane. Au
mois d'avril 1839, c'était le lieutenant-colonel Bedeau, de la légion
étrangère, qui commandait à Bougie. Dans la
série des mouvements combinés pour l'affaire de Djidjeli, ce fut lui qui
entra le premier en scène. A la tête d'une colonne de six cents hommes, il
occupa, pendant la nuit du 11 au 12 mai, le col de Tizi, fit quelques
démonstrations aux alentours, eut un assez vif engagement avec Amziane et ne
se replia sur Bougie, le 17, qu'après avoir appris l'heureux succès de
l'opération principale. La diversion de Philippeville, moins importante, ne
dépassa pas la journée du 13. Ce fut dans la matinée de ce jour-là que les
bateaux à vapeur Styx et Cerbère, venant de Bone, débarquèrent sur la plage
de Djidjeli le commandant de Salles, un bataillon polonais de la légion
étrangère, fort de sept cents hommes environ, un détachement de sapeurs, deux
pièces de 12, deux obusiers de montagne. Le chef de bataillon Horain,
Polonais de naissance, commandait l'infanterie ; l'artillerie était sous les
ordres du capitaine Lebœuf. La ville fut occupée sans résistance ; mais le
lendemain et les jours suivants, les Kabyles vinrent à l'attaque. Dans le
combat du 17, qui fut le dernier, le commandant Horain reçut une blessure
mortelle ; sa perle excita les plus vifs regrets, non-seulement dans la
légion, mais dans toute l'armée d'Afrique, où il était justement estimé.
Djidjeli, fortifié comme Bougie, pourvu, comme Bougie, d'ouvrages avancés,
était condamné au même sort que Bougie, au blocus, à la guerre intermittente
; c'était, jusqu'au jour où la Kabylie pourrait être soumise, une conquête
illusoire. Pendant
ce temps, le général Galbois, qui aurait dû concourir à l'opération en
partant de Mila, n'avait pas jugé prudent de s'engager dans le massif
inexploré des Babor ; au lieu de tenter l'inconnu, il s'était porté sur
Djémila qu'il mit en état de défense. Enhardis par le voisinage de la colonne
française, le khalifa EI-Mokrani et le cheikh des Riga allèrent attaquer dans
la Medjana le lieutenant d'Abdel-Kader, Abdel-Salem, et le battirent ; sa
musique et ses drapeaux, accompagnés d'un chapelet d'oreilles, furent envoyés
triomphalement au général. Quand les travaux de Djémila furent assez avancés
pour mettre à couvert la garnison qu'on y laissa, la colonne se dirigea vers
Sétif, où El-Mokrani s'établit sous la protection temporaire du bataillon
turc et de quelques compagnies du 23e de ligne ; après quoi le général
Galbois reprit, avec le reste de ses troupes, le chemin de Constantine par la
plaine des Abd-enNour. A peine avait-il quitté ces parages qu'Abdel-Salem y
reparut, avant-coureur d'un plus grand que lui. Sous prétexte d'honorer les
restes des saints vénérés par les Kabyles, Abdel-Kader fit savoir au
gouverneur qu'il se proposait de visiter, sans appareil militaire, les
marabouts des Zouaoua. On l'y vit en effet paraître au mois de juin ; appelé
par Amziane, il vint distribuer des burnous d'honneur aux cheikhs les plus
hostiles à la France. Des murailles de Bougie on put voir flotter au vent son
drapeau rouge et les fanions distinctifs de son escorte. A l'approche du
lieutenant-colonel Bedeau qui sortit aussitôt de la place à la tête d'une
petite colonne, l'émir se hâta de se mettre au retour par le col de Tizi.
Avait-il lieu de se féliciter beaucoup de cette course ? Les Kabyles, gent
méfiante, l'avaient reçu avec respect, mais sans enthousiasme. Elle eut
néanmoins pour effet certain l'évacuation de Sétif, qui n'était pas encore un
poste défendable, et la retraite d'El-Mokrani au profil d'Abdel-Salem. Il est
vrai que, deux mois après, l'apparition du colonel Gueswiller dans les mêmes
parages y rétablit encore une fois, au bénéfice de l'influence française, cet
équilibre instable que l'occupation définitive de Sétif pouvait seule
affermir. Au retour, sur le territoire de Djémila, le colonel fut assailli
par une bande kabyle ; mais l'intervention du kaïd Bou-Akkas, très-respecté
dans la montagne, suffit pour mettre fin au combat. Il ne déplaisait pas à ce
chef orgueilleux de laisser tomber la paix des plis de son burnous aussi
facilement qu'aurait pu s'en échapper la guerre. En
résumé, l'état des affaires dans la province de Constantine était
satisfaisant, et le maréchal Valée avait le droit d'écrire, le 20 juillet, à
Paris : « Je crois le gouvernement du Roi trop juste pour se refuser à
apprécier la différence des résultats obtenus dans cette province où, en
moins de deux années, plus de mille lieues carrées ont été soumises à la
France, tandis que, depuis près de dix ans, on lutte vainement dans les
autres pour la possession tranquille et tout à fait improductive pour l'État de
quelques lieues de territoire qu'on a voulu se réserver. » VII Pendant
ces deux années de progrès dont le gouverneur général de l'Algérie se faisait
honneur, son activité laborieuse s'était portée sur d'autres objets que les
établissements ou les expéditions militaires ; il avait médité tout un plan
de réforme pour l'administration civile et pour la constitution organique de
l'armée d'Afrique. Le 27 juillet 1838, il avait adressé au gouvernement un
long rapport sur le premier de ces grands sujets. Deux institutions subies
par ses prédécesseurs étaient particulièrement dénoncées par lui,
l'intendance civile à Alger et la direction des affaires d'Afrique au
ministère de la guerre. Il réclamait pour le gouverneur général, assisté d'un
directeur de l'intérieur, d'un directeur des finances et d'un directeur de là
justice, exécuteurs' de ses ordres, l'omnipotence administrative et la
correspondance exclusive avec le pouvoir central, représenté par un ministère
spécial de l'Algérie et des colonies, ou, si l'on se refusait à cette
création nouvelle, par le président du conseil. Une ordonnance royale,
promulguée le 31 octobre 1838, ne donna aux idées et aux demandes du maréchal
Valée qu'une satisfaction incomplète. L'intendant civil disparut et fut
remplacé par un directeur de l'intérieur et un directeur des finances ; mais
le procureur général, maintenu dans toutes ses attributions, au lieu d'être
un simple directeur de la justice, continua d'être indépendant du gouverneur
et de correspondre directement avec le garde des sceaux et le ministre de la
guerre. Les
idées du maréchal au sujet de la constitution de l'armée d'Afrique n'étaient
pas moins absolues. Il condamnait énergiquement le système des détachements
distraits, pour telle ou telle circonstance, des corps de troupes
régulièrement organisés. « Toutes les formations de compagnies hors ligne,
disait-il, ne servent qu'à désorganiser les corps pour favoriser un petit
nombre d'individus au détriment de leurs camarades, qui valent souvent autant
ou mieux qu'eux. » Ainsi la compagnie franche du 2e bataillon d'Afrique,
commandée par le capitaine Blangini, dut rejoindre son corps aussitôt après
la prise de Constantine. « De bons régiments, constamment maintenus à un
effectif suffisant, écrivait le maréchal au ministre de la guerre, le 17
janvier 1838, me paraissent suffire à tous les besoins du service, surtout
lorsqu'ils seront placés sous l'autorité de lieutenants généraux actifs et
instruits. Je pense que les principes suivis pour la constitution des armées
en Europe peuvent s'appliquer, en les combinant aux exigences du terrain, à
la guerre que nous faisons en Afrique. » C'est pourquoi il était
systématiquement hostile, non-seulement à la création de nouveaux corps
indigènes, mais encore au maintien de la plupart de ceux qui existaient déjà.
Il leur reprochait de coûter fort cher et d'être incapables de rendre tous
les services qu'on attendait d'eux ; ce n'était pas autre chose, selon lui,
que la pépinière des réguliers d'Abdel-Kader ; instruits, équipés, armés à la
française, les fantassins désertaient pour entrer dans les bataillons
d'askers, les cavaliers pour servir dans les escadrons de khiélas. Il n'y
avait que les misérables, les vagabonds, les gens sans aveu qui se présentent
à l'enrôlement, et si on les éloignait de leur lieu d'origine, les désertions
n'en devenaient que plus nombreuses ; ainsi deux cents hommes, recrutés à
Constantine et envoyés aux zouaves d'Alger, avaient peu à peu disparu des
cadres. Quant à la dépense, elle était excessive ; l'entretien d'un spahi
coûtait 578 francs de plus que celui d'un chasseur, et l'entretien d'Un
zouave était de 417 francs plus cher que celui d'un fantassin français.
Cependant, pour les spahis, le maréchal voulait bien revenir à l'organisation
primitive des chasseurs d'Afrique en mettant à la suite des escadrons
français un ou deux escadrons indigènes. Pour ce
qui est des zouaves, il était impitoyable. « Voilà, disait-il, un régiment
porté à trois bataillons qui n'a pas 1.500 hommes d'effectif au lieu de 2.600
qu'il devrait avoir, et qui ne compte que 450 indigènes au lieu de 1.000,
nombre réglementaire. » Le maréchal proposait donc leur licenciement, sauf à
former des éléments français un nouveau régiment d'infanterie légère, et des
indigènes un bataillon annexé à la légion étrangère. Énergiquement défendus
par le duc d'Orléans, les zouaves furent sauvés, mais en sacrifiant leur
troisième bataillon, de création récente. Le maréchal Valée ne s'avouait pas
satisfait : « Les zouaves, disait-il en grommelant, n'ont pas pris une part
plus glorieuse à l'assaut de Constantine que le 2e léger ou les autres corps
qui ont formé des détachements pour le service d'honneur. L'armée a vu avec
peine la prédilection qu'on a souvent montrée sans motif pour des régiments
étrangers, à la solde de la France. La réduction de ce corps à deux
bataillons ne peut être que transitoire et doit avoir nécessairement pour
complément sa suppression ou sa transformation. » La transformation ne fut
pas telle que la demandait le maréchal ; elle allait se faire indirectement
et peu à peu par l'absorption de l'élément indigène dans les bataillons
spéciaux créés sur le modèle des tirailleurs de Constantine, de sorte que
cette élimination naturelle ne devait plus laisser dans le régiment de
zouaves que l'élément français. Une
ordonnance royale du 31 août 1839 régla l'organisation de la cavalerie. Les
régiments de chasseurs d'Afrique, portés à quatre par la création d'un
nouveau régiment dans la province de Constantine, eurent, selon la
proposition du maréchal, un ou deux escadrons indigènes à la suite des
escadrons français, indépendamment des spahis réguliers d'Oran et de Bone qui
furent maintenus en corps distincts ; ceux d'Alger seuls furent supprimés. Au mois
de septembre 1839, l'effectif général des troupes en Algérie était de 48.000
hommes ; mais entre ce chiffre et celui des soldats disponibles prêts à
marcher et à combattre, il y avait une différence énorme. Dans les camps
systématiquement établis et multipliés par le maréchal, les fièvres
paludéennes et la dysenterie faisaient de grands ravages. Sans parler des
postes moins con - sidérables et des simples blockhaus, la seule province
d'Alger n'avait pas moins de seize camps : autour de la capitale, Koubba,
Birkhadem, Tixeraïn, Dely-Ibrahim ; à l'est, la Maison-Carrée, Kara-Moustafa,
le Fondouk ; au sud, l'Arba, l'Harrach, Boufarik ; à l'ouest, les deux camps
de Blida, supérieur et inférieur, l'Oued-el-Alleg, Koléa, Maelma, Douéra :
seize camps, autant dire seize prisons où l'inaction et l'ennui livraient aux
sourdes influences d'un sol mal assaini des malingres hors de résistance ; et
pourquoi faire ? « Nous ne devons pas, écrivait au maréchal Valée le ministre
de la guerre, le 31 juillet 1839, nous ne devons pas condamner nos soldats à
se fondre annuellement dans des lieux infects pour donner une protection
insuffisante à quelques pauvres colons que d'avides spéculateurs s'obstinent
à lancer dans la plaine de la Métidja, aussitôt que s'efface le souvenir de
leurs premières victimes. » En effet, où en était, après neuf années, la
prétendue colonisation ? Il y avait, dans toute l'Algérie, 11.000 Français et
14.000 étrangers de toute origine, Espagnols, Maltais, Italiens, avec
quelques Allemands et quelques Suisses ; étrangers et Français venus pour la
plupart sans ressource et réduits, pour vivre, à demander du travail aux
ingénieurs de l'État. C'était tout au plus si, pour dix artisans ou hommes de
peine, on trouvait un cultivateur. Le gouvernement avait, dans la plaine,
sept établissements agricoles, qui occupaient deux cent trente familles ;
assez étendues dans le Sahel, les entreprises particulières ne se hasardaient
pas volontiers encore dans la Métidja ; cependant les outhanes de Beni-Khelil
et de Beni-Mouça comptaient quelques haouchs exploités par des Fiançais ;
dans Khachna, on ne voyait guère que des baraques occupées seulement pendant
la saison des foins. C'était
la principale affaire du gouvernement sans doute d'assurer à la population
non armée sa protection tutélaire ; mais il ne devait pas oublier qu'il y
avait aussi de grands intérêts moraux dont il ne lui était pas permis de se
désintéresser à son égard ; telle était, au premier rang, l'obligation de
pourvoir à ses besoins religieux. « Dieu, disait Abdel-Kader, récompense la
foi, même chez les infidèles ; mais ceux qui ont fait la conquête d'Alger ne
ressemblent en rien à leurs ancêtres. J'entends dire que quelques-uns ne
reconnaissent pas de Dieu ; en effet, ils n'ont construit aucune église, et
les ministres de leur religion sont peu respectés par eux-mêmes. Ils ne
prient jamais. Dieu les abandonnera, puisqu'ils l'abandonnent, » Le fait est
que, jusqu'en 1838, les secours de la religion catholique n'étaient donnés,
en Algérie, que par un petit nombre d'anciens aumôniers de régiment dont
l'autorité morale ou intellectuelle n'était pas toujours suffisante. En
dehors d'Alger même, la célébration du culte n'était à peu près régulière qu'à
Koubba, Douéra et Boufarik ; il était urgent qu'il en fût de même à Oran, à
Mostaganem, à Bougie, à Philippeville, à Bone, à Constantine. Par un accord
intervenu entre le gouvernement français et la cour de Rome, Alger fut pourvu
d'un siège épiscopal dont le premier titulaire fut un prêtre du diocèse de
Bordeaux, l'abbé Dupuch. Le nouvel évêque prit possession de son église le 31
décembre 1838. Son premier soin fut de visiter la plus grande partie de son
vaste diocèse, la province de Constantine particulièrement, et d'installer
dans les paroisses qu'il put fonder des prêtres respectables. En 1839, à
l'occasion de la Fête-Dieu, la procession, sortie de la cathédrale, parcourut
solennellement les principales rues d'Alger, au milieu des témoignages de
respect, non-seulement des catholiques, mais des musulmans eux-mêmes. Il leur
plaisait de voir enfin que leurs vainqueurs avaient un culte. VIII De
Mascara, de Miliana ou de Takdemt, Abdel-Kader, très-bien renseigné sur le
compte des Français, observait avec attention tout ce qui se passait chez eux
depuis Oran jusqu'à Constantine. Son autorité, un moment ébranlée pendant le
long siège d'Aïn-Madhi, avait été promptement raffermie par sa main
puissante. Ses khalifas pressaient la rentrée des impôts et l'enrôlement des
réguliers ; les cadres des bataillons d'askers et des escadrons de khiélas se
remplissaient de recrues, pendant que les sacs de boudjous s'amoncelaient
dans les coffres du trésor. Des ateliers s'ouvraient dans les établissements
nouveaux de Saïda et de Taza ; des fusils, des barils de poudre, du soufre,
du plomb, du fer, envoyés de Gibraltar et de Tanger, arrivaient en longs
convois des frontières du Maroc à Tlemcen. Le 3
juillet, devant une assemblée des khalifas, des kaïds et des grands, réunie à
Taza et semblable à celle qui s'était tenue à Boukorchefa, cinq mois
auparavant, un des officiers du sultan-chérif, envoyé solennellement de Fez,
revêtit d'un kafetan d'honneur Abdel-Kader, lieutenant de Mouley-Abd-er-Rahmaue
; puis, d'une acclamation unanime, le djihad, la guerre sainte fut décidée
contre l'infidèle ; mais l'heure de la déclaration demeura réservée au
jugement de l'émir. Au mois d'août, il parcourut les montagnes et les vallées
de l'ouest, demandant aux tribus de l'argent, beaucoup d'argent, pour faire
aux chrétiens la guerre, « non pas une guerre comme par le passé qui n'avait
dû qu'irriter le Prophète, mais une guerre vraiment sainte, où chacun, pour
gagner le paradis, devait se préparer à mourir ». Le 15 octobre, il rentrait
à Mascara. D'après les instructions du maréchal Valée, datées de Constantine,
ce même jour, le général qui commandait les troupes d'Oran expédiait au
capitaine Daumas, accrédité par le gouverneur près d'Abdel-Kader, l'ordre de
rentrer dans les lignes françaises. L'occasion si patiemment attendue par
l'émir, c'était l'adversaire qui enfin la lui présentait lui-même. Le duc
d'Orléans, qui avait la nostalgie de l'Algérie, avait obtenu du Roi
l'autorisation d'y revenir et de visiter surtout la province de Constantine.
Décidé d'abord pour le printemps de 1839, le voyage s'était trouvé retardé
jusqu'à l'automne. Le 23 septembre, le prince prit terre à Mers-el-Kébir ; ni
gouverneur, ni lieutenant général même pour le recevoir ; une bourrasque de
nord-ouest avait retenu dans le port d'Alger le gouverneur, et la maladie
empêchait le lieutenant général Guéhéneuc de faire au royal visiteur les
honneurs d'Oran. Enfin, comme si c'eût été une gageure de la fortune, quand
le prince, amené par le Phare, arriva devant Alger, il ne trouva personne au
débarcadère : l'homme de vigie n'était pas à son poste, et le maréchal ne fut
averti que trop tard. Pendant huit jours, le duc d'Orléans visita les
établissements civils et militaires de la ville, tout le chapelet des camps
de la Métidja, les grands haouchs, les plantations Hurtin, Saint-Guilhem.
Vialar. A Koléa, il passa en revue les zouaves avec une satisfaction que ne
feignit pas de partager le gouverneur. Enfin, le 6 octobre, ils
s'embarquèrent l'un et l'autre à bord du Phare ; escortés par le Crocodile et
le Cocyte, qui portaient le 2e léger dont Changarnier venait d'être nommé
colonel. Ils virent en passant Bougie et Djidjeli, et débarquèrent, le 8, à
Stora, où les attendait le général Galbois, accompagné des grands chefs de la
province. L'état
sanitaire de Philippeville était déplorable, et le service hospitalier encore
pire. Il faut citer ici l'expression indignée du prince : « Mille malades
entassés sous quelques baraques en planches mal jointes ou sous de vieilles
tentes trop minces, et par conséquent trop chaudes ou trop froides, gisent
tout habillés sur la terre humide, sans paille, sans air, sans eau, car les
ustensiles manquent pour leur donner à boire, sans médicaments et presque
sans médecins, car les officiers de santé, trop peu nombreux, succombent
eux-mêmes, victimes de fatigues au-dessus de leurs forces. Dans ces affreux
charniers, les malades sont livrés à de soi-disant infirmiers qui, voilant
sous une hypocrite apparence de philanthropie leur refus de combattre et de
travailler, exploitent et dépouillent ceux qu'ils devraient assister et
soulager. » L'indignation du duc d'Orléans ne fut pas stérile ; de son voyage
ont daté de grandes et salutaires réformes dans les services du casernement
et des hôpitaux. Le 12 octobre, il vit enfin Constantine, qui, depuis si
longtemps, remplissait son imagination de rêves et de regrets. Pour don de
joyeuse entrée, il accorda aux indigènes la vie de cinq des leurs, condamnés
pour connivence avec l'ancien bey Ahmed. De même qu'à Philippeville, son
passage fut marqué par des améliorations importantes au profit du bien-être
et de la santé des troupes. Le 16,
le duc d'Orléans et le gouverneur partirent pour Mila. Le bruit général était
qu'ils allaient forcer entre Sétif et Bougie le passage des montagnes kabyles
; et, de fait, le lieutenant-colonel Bedeau, commandant de Bougie, venait de
recevoir d'Alger un bataillon du 62e en renfort. A Mila, 5.300 hommes de
toutes armes étaient réunis : le maréchal Valée en forma deux divisions : la
première, sous les ordres du duc d'Orléans, comprenait trois bataillons du 2e
léger et deux du 23e de ligne, faisant ensemble 2.500 baïonnettes, 360
chasseurs d'Afrique et spahis, une compagnie de sapeurs et quatre obusiers de
montagne ; la seconde, commandée par le général Galbois, de force un peu
moindre, se composait du 17e léger, d'un bataillon du 22e de ligne, du 3e bataillon
d'Afrique, des tirailleurs de Constantine, de 350 chasseurs et spahis, d'une
compagnie de sapeurs et de deux obusiers de montagne. Un troupeau conduit par
des nègres, un convoi de neuf cents mulets chargés de vivres pour dix jours,
étaient encadrés entre les colonnes. Le 18, l'expédition se mit en marche à
travers le Ferdjioua ; le prince reçut en passant les chevaux d'hommage que
vint lui offrir le kaïd Bou-Akkas. Arrivées à Sétif, le 21, les deux
divisions y furent retenues par une pluie torrentielle jusqu'au 25. Ce temps
d'arrêt fut employé par le gouverneur à préparer l'occupation définitive de
ce poste, qui était un point stratégique de la première importance, et à
donner des audiences aux nombreux cheikhs du pays kabyle accourus de toutes
parts pour surveiller cette menace d'invasion, la détourner, s'il était
possible, ou sinon la combattre. L'un d'eux, en se retirant, tua d'un coup de
pistolet un caporal du 2e léger à moins de cent pas des avant-postes. Le 25,
l'expédition vint camper sur l'Oued-bou-Selam, près d'Aïn-Turco ; le
lendemain, au moment où l'avant-garde allait s'engager dans le chemin de
Bougie, elle fit tout à coup tête de colonne à gauche et prit la direction de
Bordj-bou-Areridj ; mais cette direction, c'était celle des Biban, des
fameuses Portes de fer, la direction d'Alger ! A cette révélation soudaine de
la pensée du chef, l'enthousiasme envahit les rangs avec d'autant plus de
force que le secret du maréchal avait été mieux gardé. Le soir, le bivouac
fut établi près de Bordj-Medjana. Le 27, au lieu de la plaine aride et nue
que l'expédition avait traversée depuis Sétif, elle trouva un pays charmant,
raviné, arrosé, vêtu de la plus admirable verdure ; c'était au bivouac seulement
que l'attendait un fâcheux déboire : le ruisseau limpide où tous les bidons
allaient à l'envi se remplir, l'Oued-Bouktoune charriait dans ses eaux
perfides, chargées de sulfate de magnésie, un violent purgatif. Le 28,
à l'aube, un ordre du jour annonça que la première division, augmentée du 17e
léger et de deux escadrons, allait traverser les Portes de fer, tandis que la
seconde reprendrait le chemin de Constantine. On se mit en marche ; au bout
d'une heure, la vallée de l'Oued-Boukloune, réduite aux étroites proportions
d'un ravin, parut barrée par une gigantesque muraille. Pendant les anciens
âges, une convulsion géologique y a fait deux cassures, la grande Porte et la
petite ; ce fut dans celle-ci que s'engagea la division d'Orléans. « La
sombre horreur de ce défilé, a dit le général Changarnier plus tard, dépassa
l'idée que nous nous en étions faite. Pendant six kilomètres, un ruisseau, un
filet d'eau que deux heures de pluie élèvent à sept ou huit mètres, circulait
entre deux parois de roc, absolument dénudées, exactement perpendiculaires,
dont la hauteur varie de quatre-vingts à cent cinquante mètres, et si
rapprochées l'une de l'autre que nous fûmes obligés de modifier le chargement
des mulets. Avec le beau temps, avec le ruisseau réduit à son minimum, il
fallut sept heures à notre faible colonne pour faire ces six kilomètres. Si
l'orage, qui nous a inondés une demi-heure après notre sortie, nous avait
assaillis pendant que nous cheminions sur une seule file entre les
impitoyables parois, nous aurions tous été noyés. La pluie tombée pendant
notre séjour à Sétif avait laissé du limon à trente pieds de hauteur. » Sur
une des parois du défilé, on put désormais lire cette simple inscription
gravée par les soldats : Armée française, 1839. Le 29,
on fit une grande halte chez les Beni-Mansour, pour abreuver chevaux et
mulets, qui depuis cinquante-deux heures étaient restés sans boire. Là on eut
les premières nouvelles de Ben-Salem, que les Arabes disaient être campé à
trois lieues environ dans le sud ; on saisit des courriers d'Abdel-Kader qui
s'en allaient appeler, pour un temps prochain, les Kabyles à la guerre
sainte. Le 30, une heure avant le jour, le duc d'Orléans se porta rapidement
avec la cavalerie, deux compagnies d'élite du 2e léger et deux obusiers de
montagne, sur le fort de Hamza qu'il trouva inoccupé, délabré, désarmé, mais
que le maréchal Valée décida de relever sous son vieux nom turc de
Bordj-Bouira. Le 31, dernier jour d'octobre, il y eut un petit engagement
d'arrière-garde contre quelque trois cents Kabyles de Beni-Djead et cinq ou
six cents cavaliers de Ben-Salem ; du côté des Français, la perte ne fut que
de deux morts et de dix ou douze blessés. Enfin, le 1er novembre, la
division, suivie par quelques groupes d'Arabes qui lui tiraient de loin en
loin des coups de fusil, traversa les vallées de l'Isser et de l'Oued-Khadra
et vint coucher au Fondouk, où elle trouva les troupes d'Alger amenées par le
général Rullière à sa rencontre. Des fêtes couronnèrent cette expédition de
quinze jours, qui n'avait été en quelque sorte qu'une promenade triomphale.
Le duc d'Orléans réunit dans un vaste banquet, sur l'esplanade de
Bab-el-Oued, le 5 novembre, tous ceux qui, sans distinction de grade, avaient
passé avec lui les Biban. A la fin du repas, monté sur une table, il fit à
ses compagnons d'armes des adieux pleins de cordialité, de chaleur et de bon
espoir, et, le lendemain, il s'embarqua pour la France. Le 19
novembre, à Paris, le maréchal Soult, président du conseil, écrivait au
maréchal Valée : « C'est un beau mouvement stratégique, militaire et
politique au plus haut degré, que vos savantes combinaisons ont mis le prince
royal à même d'exécuter sous votre direction. Je me garderai bien de dire
que, de votre part, il y a eu de la témérité ; non sans doute ; il n'y a eu
que justesse de calcul, science consommée et assurance de succès. Aussi ce
succès a été complet et a surpassé tout ce qu'on pouvait attendre de vous,
Monsieur le maréchal, de la présence du prince et de vos vaillantes troupes.
C'est un beau titre de gloire que celui d'avoir écrit, après les Romains et
les dix-huit siècles qui nous en séparent, cette page d'histoire, et d'avoir
fait pénétrer les Français dans ces pays par des passages que les anciens
maîtres du monde n'avaient pas osé franchir. » Le 19
novembre, en Algérie, la Métidja était depuis dix jours en proie aux
incursions des Hadjoutes. Le 10, le commandant Raphel, du 24e de ligne,
attiré dans une embuscade par le kaïd El-Bechir, le plus habile chef de ces
hardis cavaliers, y était tombé mort. Le 13 et le 16, des coups de feu
avaient été tirés sur la ville et sur les camps de Blida. En même temps, une
sorte d'aspiration du dehors faisait rapidement le vide parmi les tribus de
la plaine ; en dépit des postes retranchés, des redoutes, des blockhaus, les
douars disparaissaient comme le poisson s'échappe entre les mailles élargies
d'un filet trop lâche. Le 20,
jour néfaste, de l'est, du sud, de l'ouest, des hordes de cavaliers, qui par
les défilés des Isser, qui par la gorge de l'Harrach, qui par les ravins du
Bou-Roumi et de l'Oued-Djer, s'abattirent sur la plaine et, comme autant de
trombes, y portèrent la dévastation et la mort. Tous les établissements
européens, toutes les plantations, toutes les cultures furent anéantis ;
heureux les colons qui purent sauver leurs têtes ! Dans le Sahel, on ne se
croyait plus en sûreté : dans Alger même, on était en crainte. Le lendemain,
ce fut encore pis. Un détachement, sorti du camp d'Oued-el-Alleg au-devant de
la correspondance de Blida, fut détruit tout entier avec les renforts que le
commandant du camp avait amenés à son aide, et les quinze cents Arabes
exécuteurs de ce carnage portèrent victorieusement au khalifa de Miliana cent
huit tètes françaises. Quand
Abdel-Kader avait reçu, le 31 octobre, à Takdemt, les nouvelles des Biban : «
Louanges à Dieu ! s'était-il écrié ; l'infidèle s'est chargé de rompre la
paix ; à nous de lui montrer que nous ne craignons pas la guerre ! » Le
lendemain, il avait pris le chemin de Médéa, envoyant partout ses ordres pour
la prise d'armes universelle. Le 20 novembre était la date arrêtée par lui ;
si les Hadjoutes avaient devancé l'heure, c'était le fait de leur
particulière impatience. Le 18 novembre, l'émir adressait au maréchal Valée
sa déclaration et son cartel : « Je t'ai déjà dit que tous les Arabes sont
d'accord pour faire la guerre sainte. J'ai employé tous mes efforts pour
changer leur idée ; mais personne n'a voulu la durée de la paix, et je suis obligé
de les écouter pour être fidèle à notre sainte loi. Ainsi je me conduis
loyalement avec toi, et je t'avertis de ce qui est. Renvoie mon oukil d'Oran
et tiens-toi prêt ; car, s'il arrive quelque chose, je ne veux pas être
accusé de trahison. Je suis pur, et jamais il ne se fera par moi rien de
contraire à la droiture de notre loi. Le Roi, lorsque je lui ai écrit, m'a
fait répondre que toutes les affaires étaient chez toi, soit de paix, soit de
guerre. Tienstoi pour averti ; avec tous les croyants, je choisis la guerre.
» Oui, c'était fait du traité de la Tafna ; c'était la guerre. Le maréchal Valée, qui, par le passage des Biban, l'avait rendue inévitable, le maréchal Valée qui devait s'y attendre, qui s'y attendait si bien que, dès le 15 octobre, il avait rappelé de Mascara le capitaine Daumas, son chargé d'affaires, le maréchal Valée s'était pourtant laissé surprendre. La dévastation de la Métidja, qui faisait tort à sa vigilance, n'était pas davantage à l'honneur de ses conceptions militaires. |