I. Combats de
Sidi-Khalef et de Dely-Ibrahim. — II. Bivouac de Chapelle et Fontaine. -
Agressions des Turcs. - Marche en avant.
- Erreur de direction.
I Pour
atteindre cette enceinte d'Alger on le général en chef promettait uses
troupes le combat décisif, il ne restait qu'un espace peu considérable à
franchir, si ce n'est que la nature y avait élevé des' obstacles dont une
défense intelligente pouvait disposer à son grand avantage. L'assaillant qui
venait de Staouëli voyait s'allonger en travers de sa route plusieurs chaînes
de collines distinctes, étagées, flanquées comme les pièces d'une
fortification régulière, toutes commandées par les hautes croupes de la
Bouzaréah, centre et nœud du massif d'Alger. Il n'y avait rien là toutefois
qui pût arrêter ou seulement retarder beaucoup l'armée française, si la
grosse artillerie, si les munitions et les vivres pouvaient arriver
promptement à sa suite. Par malheur, ce n'était ni de l'armée ni même du
général en chef que dépendait la solution de ce problème c'était de l'amiral
et surtout de la mer. Qu'était devenue cette dernière section du convoi,
chargée des chevaux d'attelage, et déjà bien tardivement partie, le 18 juin,
du mouillage de Palma ? Ni le 20, ni le 21, on n'en avait point encore de
nouvelles. Le 22, quelques voiles apparurent à l'horizon ; le 23, on en vit
un plus grand nombre ; mais toutes, retenues au large par une forte brise du
sud-ouest, faisaient de vains efforts pour s'élever au vent et doubler la
pointe de Sidi-Ferruch. Impatient d'amener à lui cette flottille qui portait
la fortune de l'expédition, le général én chef voulut chercher s'il n'y
aurait pas, sur quelque point de la côte, à l'est de la presqu'île et
jusqu'au cap Caxine, une plage favorable au débarquement. Le 23, des
détachements tirés de Sidi-Ferruch et de Staouëli se portèrent au nord vers
la mer. L'exploration du littoral, dirigée par le général Valazé, démontra
que 'la côte, dans ces parages, était inaccessible. Pendant
cette rapide excursion, une fusillade assez vive et quelques coups de canon
avaient appris aux troupes détachées en reconnaissance que l'ennemi, depuis
trois jours à peu près invisible, avait reparu en force aux abords du camp.
Évidemment les cœurs s'étaient raffermis à Alger. A la première stupeur avait
promptement succédé l'exaspération de la défaite. Des courriers dépêchés dans
toutes les directions pour arrêter la dispersion des Arabes et des Kabyles,
ramenaient à tout instant des bandes plus ou moins nombreuses dont
l'agglomération, dès le 30 juin, formait déjà une masse d'une vingtaine de
mille hommes. De nouveau les ulémas, dans leurs prédications fanatiques,
annonçaient l'extermination des Français et le partage de leurs richesses
entre les vrais croyants. L'aga Ibrahim, qui d'abord s'était caché dans une
de ses maisons de campagne, redoutant la fureur du dey, son beau-père, avait
été recherché par ses ordres, rassuré et maintenu dans le commandement
suprême de l'armée algérienne. Inexplicable pour les Turcs, l'immobilité de
l'armée française après sa victoire leur avait rendu tout à fait confiance ;
ils étaient persuadés qu'elle était hors d'état de soutenir un nouveau choc.
L'escarmouche du 23, prélude d'une attaque générale, avait mis le comte de
Bourmont en éveil ; non-seulement il se tenait prêt à repousser l'ennemi,
mais encore il était décidé à gagner sur lui autant de terrain qu'il pourrait
en garder sans imprudence. Le 24
juin, au point du jour, toutes les forces algériennes envahirent le plateau
de Staouëli et se déployèrent en face des avant-postes français. Dès les
premiers coups de fusil, le général en chef était accouru et avait fait ses
dispositions. La première division tout entière et la première brigade de la
seconde étaient désignées pour prendre sur tous les points l'offensive, droit
devant elles, en refoulant l'ennemi ; les brigades Monk d'Uzer et Collomb
d'Arcine restaient en réserve dans l'enceinte du camp. Au signal donné, le
mouvement commença avec un merveilleux ensemble à gauche Clouet, au centre
Achard et Poret de Morvan, Damrémont à droite, chaque régiment formé en
colonne double et couvert par ses compagnies de voltigeurs, dans l'intervalle
des brigades, l'artillerie alignée sur les tirailleurs ; tout marchait en
ordre, sans précipitation, comme sur un champ de manœuvre. L'ennemi étonné
reculait devant cette ordonnance régulière ; si quelque part il essayait de
se masser et de tenir, une volée de canon le mettait de nouveau en retraite. En
remontant ainsi vers le nord-est la pente à peine sensible du plateau, les
brigades du centre rencontrèrent le premier groupe d'habitations qu'elles
eussent encore vu en Afrique c'étaient quelques masures entourées de
jardinets et de vergers, auprès d'un de ces tombeaux de marabouts semés en si
grand nombre sur cette terre musulmane ; celui-ci s'appelait Sidi-Yeklef. II
couronnait l'extrémité du plateau de Staouëli, sur le ravin de l'Oued-Terfah.
Au-delà de ce ruisseau, la berge dominante, première assise d'un contrefort
de la Bouzaréah, figurait un rempart étroit, resserré entre deux ravins comme
entre deux fossés naturels, et tout de suite dominé lui-même par un second étage
de hauteurs. Celles-ci d'abord tourmentées, ravinées, formaient par
l'épanouissement de leurs sommets réunis une sorte de terrasse de médiocre
étendue, limitée à l'est par le vallon de l'Oued-Kerma et désignée sous le
nom de plateau de Sidi-Khalef. Du camp de Staouëli à Sidi-Yeklef, pour une
distance de trois kilomètres environ, la différence d'altitude n'était que de
trente mètres ; elle était de cent mètres au moins, pour une distance égale,
entre Sidi-Yeklef et Sidi-Khalef. A
partir de l'Oued-Terfah, tout concourait à contrarier la marche si bien
ordonnée des troupes françaises au passage des ravins la roideur des rampes,
les fourrés inextricables dans les fonds humides, sur les croupes des
bouquets de bois, des maisons de plus en plus nombreuses, des enclos, des
haies de nopals et d'aloès plus épaisses et plus hautes que des murs. Il y
avait là, pour la résistance de l'ennemi, toutes sortes d'appuis et
d'avantages ; cependant, il ne tenait nulle part. L'aga Ibrahim, assaillant
médiocre, entendait moins encore la guerre défensive ; il ne sut pas disputer
aux troupes françaises ce pays de chicane, et ce furent les difficultés du
terrain bien plus que le feu de leurs adversaires qui les obligèrent à
ralentir leur allure. Vers deux heures, les trois brigades de la division
Berthezène, maîtresses des ravins de Sidi-Khalef, s'étaient élevées sur le
plateau dont elles avaient bientôt atteint l'extrémité orientale. Déjà même
les plus avancés des tirailleurs, s'aventurant dans le vallon de
l'Oued-Kerma, avaient franchi le ruisseau et commençaient à gravir la berge
opposée, plus rapide et plus haute. Tout à coup une violente détonation
éclate ; un jet énorme de cendres et de fumée jaillit à plus de cent mètres
de hauteur, puis s'étale en tourbillons épais, colorés par le soleil d'un
éclat roussâtre. C'est une maison qui servait à l'ennemi de magasin à poudre
et qu'il vient de faire sauter en se repliant. Cette explication ne fut pas
d'abord connue des troupes françaises ; le bruit courut dans les rangs qu'au-delà
de l'Oued-Kerma les Turcs avaient pratiqué des fourneaux de mine, et que
c'était l'un d'eux qui venait d'éclater. La poursuite d'ailleurs avait mené
l'armée française à près de deux lieues de Staouëli. Le général en chef
arrêta le mouvement, rappela les tirailleurs et fit couronner par la première
division la crête orientale du plateau de Sidi-Khalef. A
l'extrême droite, la brigade Damrémont, qui avait éprouvé un peu plus de
résistance que les autres colonnes, était arrivée devant un mamelon élevé, au
sommet duquel était une grande maison carrée ou ferme désignée sous le nom de
Haouch Dely-Ibrahim. Chassé de cette position, l'ennemi fit un effort
vigoureux pour la reprendre. Le général Valazé s'y était arrêté avec une
seule compagnie de sapeurs ; il y courut les plus grands périls et y aurait
succombé peut-être sans la vigilance et le dévouement d'un jeune officier d'état-major
qui, ayant pu sortir avant que la ferme fût complétement investie, mais
lorsque la brigade était déjà loin, rejoignit un bataillon du 49e, lui persuada
de rétrograder et le ramena au secours du général H était temps. Chargés,
culbutés à grands coups de baïonnette, les Arabes s'enfuirent. Malheureusement,
dans cette rencontre, un jeune officier que son nom recommandait à
l'attention des troupes, le lieutenant Amédée de Bourmont, tomba frappé à
bout portant d'une balle en pleine poitrine. Le lendemain, dans son rapport
sur la journée de Sidi-Khalef, le comte de Bourmont donnait seulement
quelques mots, d'une simplicité touchante, à la douleur que son devoir lui
imposait de contenir. e Le nombre des hommes mis hors de combat a été peu
considérable, disait-il ; un seul officier a été blessé dangereusement c'est
le second des quatre fils qui m'ont suivi en Afrique. J'ai l'espoir qu'il
vivra, pour continuer de servir avec dévouement son roi et la patrie. e Le
vœu du père, et l'on peut dire celui de toute l'armée, ne fût pas exaucé.
Amédée de Bourmont succomba, le 7 juillet, à l'hôpital de Sidi-Ferruch. A
cette date, il y avait deux jours que l'armée française était maîtresse
d'Alger ; le succès du général donnait du moins au père malheureux le droit
de comprimer moins étroitement l'expression de sa douleur. e Des pères de ceux
qui ont versé leur sang pour le roi et la patrie seront plus heureux que moi,
écrivait-il au prince de Polignac ; le second de mes fils avait reçu une
blessure grave dans le combat du 24 juin. Lorsque j'ai eu l'honneur de
l'annoncer à Votre Excellence, j'étais plein de l'espoir de le conserver. Cet
espoir a été trompé il vient de succomber. L'armée perd un brave soldat ; je
pleure un excellent fils. Je prie Votre Excellence de dire au roi que,
quoique frappé par ce malheur de famille, je ne remplirai pas avec moins de
vigueur les devoirs sacrés que m'impose sa confiance. e Sans cette cruelle
atteinte, la journée du 84 juin eût été parfaitement bonne pour M. de
Bourmont ses ordres avaient été partout exécutés sans malentendus et sans
erreurs. Après le combat de Dely-Ibrahim, la brigade Damrémont était venue
s'établir à la droite de la première division, sur le plateau de Sidi-Khalef.
Sur la rive gauche de l'Oued-Kerma, en face du bivouac de la brigade Achard,
s'élevait le tombeau du marabout Sidi Abd er Rahman bou Nega, avec son
oratoire ou kouba vénérée des pieux musulmans. A peu de distance au-dessous,
dans le vallon, on voyait un large abreuvoir en pierre alimenté par une
source. C'étaient les deux points de repère qui avaient le plus frappé
Boutin, dans son exploration de cette partie des environs d'Alger, et c'est
pourquoi il avait marqué ce lieu sur sa carte sous la double et vague
dénomination de Chapelle et Fontaine. Les troupes l'adoptèrent, et les
combats des jours suivants consacrèrent sous ce nom les positions occupées
par l'armée française à l'extrémité orientale du plateau de Sidi-Khalef. Après
avoir présidé à l'installation des bivouacs, 1 e général en chef avait repris
le chemin de Staouëli dix ou douze cadavres décapités, mutilés, avec des
lambeaux d'uniformes français, gisaient çà et là sur la route. C'étaient des
hommes isolés qui s'étaient laissé surprendre par les rôdeurs ennemis,
revenus en grand nombre après le passage des colonnes. Des groupes importants
de cavaliers arabes, après s'être dérobés sur la droite du général Damrémont,
avaient poussé l'audace jusqu'à menacer le camp de Staouëli qu'ils
s'attendaient à trouver à peu près désert ; mais à la vue des brigades Monk
d'Uzer et Collomb d'Arcine, ils avaient fait prompte retraite et disparu
derrière les collines du Sahel. II Les
résultats acquis dans la journée du 84 juin exigeaient du général en chef des
dispositions nouvelles. Dès le soir même il y pourvut. A Sidi-Ferruch, le
quartier général eût été trop éloigné de Chapelle et Fontaine ; il fut
transféré à Staouëli. D'ailleurs, la presqu'île, complétement retranchée,
armée de vingt-quatre pièces de canon, appuyée par la flotte, offrait
désormais une sécurité si parfaite qu'il était permis, sinon de l'abandonner
à elle-même, tout au moins d'en réduire la garnison des deux tiers et
d'augmenter d'autant l'effectif des troupes combattantes. Ordre fut donné au
duc Des Cars de faire partir successivement ses trois brigades et de les
envoyer en ligne, satisfaction bien méritée par des hommes qui, tandis que
leurs camarades se battaient, avaient eu pour toute distraction, depuis dix
jours, les corvées du débarquement. Du camp de Staouëli, où demeurait seule
la brigade Collomb d'Arcine, la brigade Monk d'Uzer était rappelée pour
remplacer à Sidi-Ferruch la troisième division. Celle-ci commença son
mouvement dans la nuit même. Le 25,
à huit heures du matin, la brigade Bertier, formée du 2e régiment de marche
et du 35e de ligne, arrivait sur le plateau de Sidi-Khalef et prenait place à
l'extrême gauche de la ligne française ; mais ses bagages qu'elle avait
laissés en arrière étaient attaqués et pillés en partie par des coureurs
arabes. Ce petit succès les enhardit au point qu'ils osèrent se jeter sur les
flancs de la brigade Hurel qui suivait la première à quelques heures de
distance. Les deux régiments de cette brigade, le 17e et le 30% furent
obligés de former le carré, et n'arrivèrent que fort tard en vue des bivouacs
occupés depuis le matin par leurs camarades. La chaleur dans cette journée
avait été accablante, et pour la première fois le vent du désert avait fait
sentir sa terrible influence. Dans le court trajet de Sidi-Ferruch à Staouëli,
plusieurs hommes de la brigade de Montlivault, partie la dernière, avaient
été frappés de mort subite. Les
deux régiments de cette brigade, le 23e et le 34e, n'étaient point encore
appelés en première ligne ; leur mission était de garder les communications
et d'aider à la construction de cinq redoutes que le général en chef avaient
prescrit d'élever entre Staouëli et Chapelle et Fontaine. Déjà deux ouvrages
de ce genre, achevés et armes, couvraient la route depuis le retranchement de
la presqu'île jusqu'à Staouëli ; un troisième protégeait, à l'est, la tête du
camp conquis, le 19 juin, sur l'armée algérienne. Quoique
cette armée n'eût fait, dans la journée du 24, qu'une molle résistance, elle
n'était point pour les troupes françaises un adversaire méprisable. Sous la
main d'un chef plus intelligent et plus hardi que l'aga Ibrahim, les Turcs,
les Arabes, les Kabyles pouvaient déployer, mieux qu'ils n'avaient encore
fait, leurs qualités guerrières, inégales et diverses, mais exaltées par un
pareil fanatisme. La bravoure, chez quelques-uns, rappelait les vieilles
légendes des âges héroïques. Le 24 juin, au moment où la brigade Poret de
Morvan atteignait l'extrémité du plateau de Sidi-Khalef, on vit un nègre
descendre rapidement de la colline opposée et s'avancer vers les tirailleurs
du 3e de ligne, un sabre dans une main, un drapeau dans l'autre. On crut
d'abord qu'il venait se rendre, et l'on défendit de tirer sur lui ; mais lui,
grand, vigoureux, l'œil ardent, la tête haute, hurlant dans une langue
incomprise des malédictions évidentes, insultait et défiait les tirailleurs.
Parfois il se baissait, et, rasant la terre du tranchant de son sabre, il
faisait voler les herbes comme il eût volontiers fait voter les têtes, et
c'était bien là ce que voulait dire son geste expressif. Autour de lui
groupés, le colonel, le lieutenant-colonel, d'autres officiers et des
voltigeurs du 3e de ligne l'examinaient curieusement ; tout à coup il
s'élança sur un sergent, pour lui couper la tête. Quoi qu'on eût fait pour
l'épargner, il fallut en finir il tomba percé de trois balles. Cet
épisode n'était que le prélude d'une lutte acharnée. Les Français n'avaient
pas encore fini d'établir leurs bivouacs sur le plateau de Sidi-Khalef que
déjà un chef aimé de la milice turque et respecté des Arabes, Mustapha bou
Mezrag, bey de Titteri, avait remplacé à la tête de l'armée algérienne
l'incapable Ibrahim Aga. Habiles et promptes, les dispositions du nouveau
général redoublaient la confiance que son nom seul inspirait à ses troupes,
parce qu'elles assignaient à chacun le rôle qui était le plus approprié à ses
mœurs. Ainsi les cavaliers arabes et la plupart des gens de pied étaient
envoyés sur les flancs et sur les derrières de l'armée française, tandis que
les Turcs, les Coulouglis et les meilleurs tireurs parmi les Kabyles,
embusqués sur son front dans des positions dominantes, devaient l'écraser
sous un feu meurtrier. Limité à l'est par le vallon de l'Oued-Kerma, au nord
et au sud par des ravins, le terrain occupé par les Français paraissait
facile à défendre contre une attaque de vive force ; mais il avait le grand
défaut d'être partout inférieur au terrain occupé par l'ennemi. Au nord-est
particulièrement, par-dessus les premiers contreforts, s'élevaient les pentes
de la Bouzaréah d'où tout le plateau de Sidi-Khalef était entièrement vu et plongé.
Aussi le bey de Titteri n'avait-il pas manqué d'y faire établir des batteries
de gros calibre qui prenaient en écharpe les lignes françaises. Le 25
juin, dès les premières lueurs du jour, la canonnade et la fusillade avaient
été vivement engagées du côté des Turcs. C'était le moment où la première
brigade de la troisième division venait prendre place à la gauche de la
division Berthezène. En déniant sous les yeux de leurs camarades, ces troupes
nouvelles au feu semblaient s'y exposer à plaisir ; quand elles établirent
leurs bivouacs, ce fut sur le terrain le moins abrité, tandis que leurs
tirailleurs, par cette même exagération d'une bravoure imprudente,
affectaient de se montrer à découvert. Aussi la brigade eut-elle en peu
d'heures neuf hommes tués et cinquante-huit blessés. Au centre et à la
droite, officiers et soldats, n'ayant plus leurs preuves à faire, ne se
croyaient pas moins braves parce qu'ils prenaient plus de précautions ; ils
savaient combien, dans cette guerre de postes et d'embuscades, leurs ennemis
avaient sur eux d'avantages, et ils ne dédaignaient pas de les imiter en se
couvrant mieux et en donnant à leur feu ménagé un effet plus sûr. L'épreuve
meurtrière que la brigade Bertier avait subie le 25, la brigade Hurel eut à
la subir le 26 elle s'établissait, dans la matinée, à l'extrême gauche,
tandis que la brigade Damrémont, par ordre du général en chef, quittait l'extrême
droite pour regagner le camp de Staouëli. Ainsi modifiée, la ligne française
se trouvait formée, à partir de la gauche, des brigades Hurel et Bertier de
la troisième division, et des trois brigades de la première, Clouet, Achard
et Poret de Morvan. C'était la gauche, plus voisine de la Bouzaréah, qui
avait toujours le plus à souffrir ; malgré sa persévérance et son adresse,
l'artillerie française ne parvenait pas à éteindre le feu des batteries
turques. Pendant trois jours, les brigades Hurel et Bertier éprouvèrent des
pertes sensibles. Cependant, éclairées par l'expérience, elles s'étaient,
comme les troupes de la première division, couvertes par des ouvrages de
campagne les maisons qu'occupaient leurs avant-postes avaient été crénelées
et protégées par des abatis d'arbres. Dans la journée du 27, les Turcs
vinrent à plusieurs reprises planter leurs drapeaux sur les épaulements de la
brigade Hurel ; ils s'en emparèrent même le lendemain, et ce ne fut qu'au
prix des plus grands efforts que le 35e, engagé par le duc Des Cars, finit
par les en déloger. Du 26 au 28, la troisième division n'eut pas moins de 520
hommes hors de combat. Moins vivement attaquée d'abord, la première division
n'avait point autant souffert ; mais, le 28, la brigade Poret de Morvan eut à
soutenir un assaut, le plus rude peut-être qu'une troupe française eût eu à
repousser depuis le commencement de la campagne. A l'extrême droite, sur une
sorte de promontoire compris entre le vallon de l'Oued-Kerma et le ravin qui
terminait au sud le plateau de Sidi-Khalef, était campé le premier régiment
de marche, le bataillon du 4e léger, occupant l'angle même de la position, le
bataillon du 2e en retour sur la droite, face au ravin. Dominé au sud par les
hauteurs de Dely-Ibrahim, à l'est par les pentes opposées du vallon de l'Oued-Kerma, le 4e léger avait de plus à
surveiller, à la rencontre du vallon et du ravin, une trouée assez large et
d'une inclinaison assez faible pour laisser passer et se mouvoir librement
une masse considérable de cavalerie. En effet, dans la soirée du 87, tandis
que de nombreux tirailleurs tenaient en alerte les avant-postes du bataillon,
des groupes de cavaliers venaient caracoler à peu de distance, plutôt pour
reconnaître le terrain que pour engager une action véritable. La nuit, contre
l'usage, ne fit pas entièrement cesser le feu ; à minuit, on tiraillait
encore. Des cris éloignés, un bruit confus, mais qui devenait distinct quand
on mettait l'oreille contre terre, indiquaient l'approche de bandes
nombreuses. Le 28, au point du jour, on vit en position, au-delà de la
trouée, une masse de quinze cents à deux mille cavaliers arabes, et de part
et d'autre, des groupes de gens de pied, Maures et Kabyles. Vers sept heures
le feu commença, devint rapidement nourri et se maintint avec une grande
vivacité pendant deux heures. Les cavaliers eux-mêmes s'y mêlaient, par
pelotons qui sortaient tour à tour de la masse et y rentraient après avoir
déchargé leurs armes. Réduite à ce manège, l'action de la cavalerie était
assurément peu redoutable ; de là pour le 4e léger une confiance dangereuse.
Vers neuf heures., le feu avait presque entièrement cessé. Le commandant du
bataillon, jugeant l'affaire finie, avait donné l'ordre de démonter et de
nettoyer les armes. Imprudent en soi, cet ordre, qui n'aurait dû être exécuté
que successivement, le fut à la fois dans toutes les compagnies. Tout à coup
des cris épouvantables éclatent. De tous côtés des Kabyles, se précipitant à
travers les ravins, ont rapidement gravi les pentes du plateau. Assaillis de
front, débordés à droite et à gauche, les avant-postes se replient
précipitamment sur le gros du bataillon, qui lui-même n'est plus en mesure de
les soutenir. Bientôt c'est la masse de cavalerie qui, prenant la charge,
débouche au galop et se rue sur nos soldats désarmés. A ce moment, la mêlée
devient affreusement meurtrière. Les Arabes s'encouragent au massacre ; ils
sabrent et coupent des têtes. C'en était fait du 4e léger, si le bataillon du
2e léger d'un côté, de l'autre un bataillon du 3e de ligne, arrivant au pas
de course, n'avaient chargé à leur tour les assaillants, et en attirant
l'ennemi sur eux, sauvé leurs infortunés camarades. Ceux-ci dégagés, après
avoir remonté leurs armes, reviennent au combat et s'acharnent à venger la
surprise dont ils viennent d'être victimes. Les Turcs et les Arabes repoussés
regagnent leurs premières positions, mais le succès qu'ils ont eu d'abord les
engage à tenter une seconde attaque. Celle-ci prévue, vigoureusement
accueillie, dure moins longtemps que la première ; le feu de deux obusiers
amenés sur le terrain achève de décourager l'ennemi, qui s'éloigne enfin et
n'essaye plus de revenir. Dans cette sanglante affaire, le bataillon du 4e
léger n'eut pas moins de 8 officiers et de 117 hommes hors de combat. La
violence de l'attaque et surtout.la précision avec laquelle elle s'était
produite contre la droite, au moment même où la gauche n'était guère moins
vivement pressée, dénotaient, après les événements des journées précédentes,
un plan conçu non sans habileté par le chef de l'armée turque et de jour en
jour mieux compris, mieux exécuté par ses soldats. Il était impossible que le
général de Bourmont n'en fût point frappé. Laisser une heure de plus qu'il
n'était nécessaire les troupes françaises dans une situation si
désavantageuse eût été une faute tellement grossière que personne ne pouvait
songer à l'imputer au général en chef. C'était, chacun le savait et en maugréait
comme lui, le retard des moyens de transport qui retenait l'armée sous le feu
meurtrier des Turcs. Il est vrai qu'enfin, -le 25, la dernière section du
convoi était parvenue à gagner le mouillage de Sidi-Ferruch ; mais, le 26,
une tempête, presque aussi terrible que l'ouragan du 16, avait mis la Hotte
en perdition. Le 27 au matin, la mer parut couverte de débris ; quatre
transports, étaient à la côte ; des canots défoncés, des chalands désemparés
gisaient sur le sable. Cependant, dès que le danger fut moindre et la mer
plus maniable ; le débarquement fut repris avec ardeur. A peine mis à terre,
les chevaux étaient attelés, les mulets chargés, et des convois sous bonne
escorte transportaient par Staouëli jusqu'au plateau de Sidi-Khalef les
pièces de siège avec leur attirail, le matériel du génie, les réserves de
cartouches, les approvisionnements, les vivres. Dans la
journée du 28, les généraux de La Hitte, et Valazé purent annoncer au général
en chef que l'artillerie et le génie étaient prêts à suivre les troupes
d'infanterie sous les murs du château de l'Empereur. Aussitôt des ordres
furent donnés et de nouvelles dispositions prises, le quartier général, avec
les brigades Damrémont et Collomb d'Arcine, transféré de Staouëli à Chapelle et
Fontaine, la brigade Monk d'Uzer rappelée de Sidi-Ferruch à Staouëli, sauf un
bataillon du 48e laissé pour la garde de la presqu'île avec un détachement de
quatorze cents marins fourni, non sans quelque résistance du vice-amiral
Duperré[1], par les équipages de la flotte
; enfin les rangs et les rôles assignés pour la marche du lendemain qui
devait être la dernière. Afin de
surprendre l'ennemi par une attaque soudaine et qui ne lui laissât pas le
temps de se reconnaitre, le généra) en chef avait prescrit aux chefs de corps
de se tenir prêts à trois heures du matin. Six brigades, deux de chaque
division, étaient désignées pour concourir au mouvement. A gauche, les
brigades Hurel et Bertier, de la division Des Cars, avaient leur direction
indiquée sur les batteries de la Bouzaréah qu'elles devaient attaquer et
détruire, pour se rabattre ensuite vers les croupes de la montagne les plus
rapprochées d'Alger. Au centre, les brigades Damrémont et Collomb d'Arcine.de
la division Loverdo ; à droite, les brigades Achard et Clouet de la division
Berthezène avaient ordre d'appuyer le mouvement de la gauche, en franchissant
les dernières crêtes qui dominent le versant oriental du massif d'Alger, et
de s'établir en vue du château de l'Empereur ; Ni l'effectif de l'armée, ni
les difficultés du terrain ne permettaient au général en chef d'investir
complétement la ville ; tout ce qu'il était possible de faire, c'était de
prendre de bonnes positions, bien reliées entre elles et telles que les
travaux de siège pussent être facilement soutenus. Trois
brigades, un 'tiers de l'armée, avaient dû être laissées en arrière, la
brigade Poret de Morvan à Chapelle et Fontaine, pour garder le grand parc ;
de là jusqu'à Staouëli, la brigade de Montlivault échelonnée ; à Staouëli et
à Sidi-Ferruch, la brigade Monk d'Uzer. Hors du terrain occupé par leurs
camps ou couvert par les feux de leurs redoutes, les Français ne possédaient
rien ; le chemin qu'ils venaient de parcourir ne leur appartenait déjà plus.
Chaque jour, les convois les mieux escortés avaient à soutenir de
perpétuelles attaques. Les Turcs et les Arabes, coupeurs de têtes, montraient
qu'ils étaient toujours les maîtres du pays. La prise d'Alger suffirait-elle
pour leur faire reconnaître et accepter la suprématie du conquérant français
? Le 29
juin, à deux heures du matin, les bivouacs étaient levés à Chapelle et
Fontaine ; les troupes avaient pris les armes et s'étaient rangées en
silence. A trois heures, le mouvement commença. Chaque régiment formait une
colonne ; l'artillerie marchait dans les intervalles ; des détachements du
génie allaient en avant pour ouvrir et frayer des passages. Le vallon de
l'Oued-Kerma fut traversé sans obstacle. Au-delà, les avant-postes de
l'ennemi furent enlevés sans coup férir ; mais quelques fuyards s'échappèrent
en donnant l'alarme ; les premiers coups de fusil furent échangés. A gauche,
la lueur des feux allumés sur les pentes de la Bouzaréah guidait les brigades
de la troisième division. De ce côté, la fusillade fut très-vive, mais de
courte durée. Surpris par la rapidité de l'attaque, les canonniers turcs se
hâtèrent de désarmer leurs batteries ; encore les pièces qu'ils avaient
essayé d'emmener furent-elles abandonnées par eux et retrouvées plus tard
dans les ravins du voisinage. Le jour était venu ; nulle part on ne laissait
à l'ennemi le temps de se rallier ; des obus bien dirigés dispersaient et
poursuivaient les groupes partout où ils tentaient de se reformer. A cinq
heures, toute résistance avait cessé devant l'aile gauche ; la brigade Hurel
occupait, sur le sommet le plus élevé du massif, l'ancien poste d'observation
de la marine algérienne, la Vigie. A six heures, la brigade Bertier prenait
position sur un mamelon inférieur, plus rapproché d'Alger et presque à portée
du canon de la Kasbah. Là un spectacle pitoyable s'offrit aux regards étonnés
des Français. Des femmes, des enfants, des vieillards, accroupis, tremblants,
récitant des prières, semblaient attendre avec une résignation fataliste la
mort que d'autres s'efforçaient de conjurer en embrassant les mains et les
pieds des soldats. C'étaient des familles juives qui, chassées d'Alger par
les ordres du dey, avaient fui des maisons qu'elles occupaient sur les pentes
de la Bouzaréah. Pour les troupes françaises, exaspérées par la férocité de
leurs adversaires, mal instruites des différences de race et de costume, tout
indigène était un ennemi, toute maison un repaire d'ennemis. Des maisons
avaient été forcées, des hommes passés par les armes ; beaucoup de juifs
avaient péri. Quand, l'ardeur du combat éteinte et le tumulte apaisé, les
chefs plus éclairés eurent pu faire comprendre aux soldats leur erreur, ils
s'efforcèrent d'en réparer ou d'en atténuer au moins les effets. On les vit
empressés à rassurer les malheureux fugitifs et à partager leurs vivres avec
eux, jusqu'au moment où le général en chef, instruit de ces événements, fit
diriger cette population désolée sur Sidi-Ferruch. Pendant
la marche à peine contestée de la troisième division, le centre et la droite
avaient poursuivi la leur avec moins de difficultés encore. Il était évident
que l'attaque matinale de l'armée française avait dérangé toutes les
habitudes d'un ennemi dont il n'était pas possible de contester la bravoure,
mais dont la bravoure avait besoin d'être éclairée par le soleil. On avait plus
d'une fois remarqué que de bonnes positions occupées par les Arabes étaient
évacuées par eux à la nuit tombante pour être réoccupées au point du jour. A
six heures, la deuxième division faisait halte en arrière des consulats
d'Espagne et de Hollande, tandis que la première atteignait, à Bir ben Ateïa,
l'extrémité du plateau sur lequel elle marchait depuis trois heures. En ce
moment, le général en chef arriva, suivi de tout son état-major. Il se porta
en avant de la brigade Achard, qui tenait l'extrême droite, le front tourné
au sud-est. Un immense espace, sous la blancheur uniforme d'un épais
brouillard, s'étendait à perte de vue devant lui ; suivant l'état-major,
c'était la mer en réalité c'était la plaine de la Métidja. De là une grande
confusion dans les esprits ; on crut avoir fait fausse route et s'être engagé
sur le chemin de Constantine en laissant Alger derrière soi. La carte de
Boutin vainement consultée ne pouvait, quoique exacte, résoudre un problème
fondé sur une illusion d'optique. On la crut et on la déclara fautive on
s'imagina qu'elle avait placé mal à propos Alger beaucoup trop au sud, et que
la vraie position de la ville était au nord-est de la Bouzaréah. Donc la
seule division de l'armée qui fût bien placée était la troisième, si ce n'est
qu'au lieu de former la gauche, elle devait tenir la droite ; et comme
conséquence extrême, il était urgent de ramener vers le nord les deux autres
divisions égarées au sud. Tel était l'avis du général Desprez. Confiant
dans les connaissances topographiques de son chef d'état-major, dont c'était
surtout l'affaire, le comte de Bourmont prescrivit lui-même au général
Berthezène de changer de direction à gauche, avec le mont Bouzaréah pour
objectif, et fit porter le même ordre au général de Loverdo par le maréchal
de camp Tholozé, sous-chef d'état-major. Le général de Loverdo qui voyait
flotter sur les consulats les drapeaux d'Espagne et de Hollande, le général
Collomb d'Arcine qui, plus en avant, apercevait un peu sur sa gauche le
château de l'Empereur, firent d'inutiles objections ; l'ordre était positif ;
il fallut rétrograder. La division Berthezène déjà en mouvement suivait la
ligne des crêtes ; sous prétexte de gagner du temps par une marche parallèle,
la division Loverdo dut s'engager dans les ravins. Peu soucieux de cheminer
péniblement à la suite, le capitaine qui commandait l'artillerie attachée à
cette division obtint l'autorisation de chercher lui-même sa route, sous la
protection d'un bataillon du Me et avec le concours d'une compagnie de
sapeurs. Cependant
le général en chef, devançant la première division, avait rejoint le duc Des
Cars. A sept heures, du sommet de la Vigie, il eut bien vite reconnu l'erreur
que l'état-major lui avait fait commettre. Devant lui était Alger, à l'est,
et au sud-est, à sa droite, le château de l'Empereur, exactement aux points
indiqués sur la carte du commandant Boutin. Fallait-il donc contremander les
derniers ordres et faire simplement reprendre aux troupes les positions
qu'elles occupaient si justement le matin ? Une nouvelle délibération
s'engagea. Pour la division Loverdo qui ne devait t pas avoir fait beaucoup
de chemin, il n'y avait point d'inconvénient à lui prescrire de s'arrêter et
de revenir sur ses pas ; mais pour la division Berthezène, qui déjà touchait
à la Bouzaréah, le plus simple était de l'y laisser établie, et de renvoyer à
sa place, à l'extrême droite, la division Des Cars qui se reposait depuis
plusieurs heures. Ainsi fut décidé par le général en chef ; de sorte que,
d'après ces dispositions nouvelles, les divisions de l'armée, devant le
château de l'Empereur, devaient se présenter, non plus comme le matin, dans
l'ordre naturel, mais dans l'ordre inverse, la première à gauche et la
troisième à droite, la deuxième, dans tous les cas, occupant nécessairement
le centre. En
étudiant les détails du panorama qui se développait à ses pieds, le général
en chef avait distingué vers le nord-est, à un kilomètre environ de distance,
une belle maison gardée par des janissaires et surmontée du pavillon
américain. C'était en effet le consulat des États-Unis, où les représentants
de toutes les puissances européennes, à l'exception du consul d'Angleterre,
étaient venus, avec leurs familles, chercher un asile contre les hasards de
la guerre. En effet, malgré la bonne volonté du général en chef, deux des
maisons consulaires durent être occupées ; quant. au consulat des États-Unis,
le général Achard y envoya, comme garde d'honneur et de sûreté, une compagnie
du 14e de ligne. Au
moment de quitter son observatoire, le comte de Bourmont aperçut, non sans
surprise, le détachement d'artillerie et le bataillon du 49e, qui, en
cheminant un peu à l'aventure, s'occupaient à tirailler avec des embuscades
turques, lorsqu'une salve leur révéla tout à coup le dangereux voisinage du
château de l'Empereur ; en effet, ils n'en étaient guère qu'à sept cents
mètres. Malgré leur isolement, ils ne firent pas retraite ; ils se
contentèrent de s'abriter sur le revers de la colline dont les projectiles
ennemis labouraient la crête. Ravi de la bonne attitude de ces braves gens le
général en chef courut s'établir auprès d'eux, sur le terrain qu'ils avaient les
premiers gagné pour les travaux du siège. En arrière, tandis que leurs camarades de la division Loverdo, ignorant encore les nouveaux arrangements de l'état-major, cheminaient péniblement dans les ravins, un ordre imprudent y engageait, en sens inverse, la troisième division. Vainement le duc Des Cars avait insisté pour suivre la ligne des crêtes ; le général Desprez lui avait affirmé que par les ravins il irait à la fois plus sûrement, plus directement et plus vite. Sur les sommets, sur les points les plus élevés de la Bouzaréah et de la Vigie, l'air calme, immobile, embrasé par les rayons d'un soleil implacable, enveloppait les soldats comme d'une fournaise ; c'était bien pis dans les fonds remplis de vapeurs humides et lourdes ; littéralement on suffoquait. Sur les flancs escarpés de ces étroits vallons, couverts de broussailles, entrecoupés de haies, il n'y avait aucun chemin tracé à peine quelque sentier perdu qu'il fallait découvrir. C'était dans ce chaos que se traînaient les soldats de la troisième division épuisés, haletants, mourant de soif, lorsqu'ils rencontrèrent ceux de la division Loverdo. Alors ce fut un désordre, une confusion sans pareille. Quand le général de Loverdo, averti, essaya de rallier ses troupes et de les ramener vers leurs positions du matin, elles étaient si dispersées, éparpillées, confondues avec celles du duc Des Cars, que plusieurs heures se passèrent avant que l'inextricable mêlée fût éclaircie et que les noyaux de quelques régiments pussent être rendus à leur poste. Beaucoup de sacs et d'armes avaient été abandonnés, et bien des soldats, hors d'état de marcher davantage, ne rejoignirent que pendant la nuit. Si d'un côté la division Berthezène, de l'autre le bataillon du' 49' n'avaient attiré l'attention et le feu des Turcs, l'armée française, surprise dans cet affreux désordre, eût payé peut-être par un grand désastre ses premiers succès. Au témoignage des troupes, cette journée fut la plus pénible de toute la campagne. Pendant ce temps, le général en chef, accompagné des commandants de l'artillerie et du génie, avait reconnu la disposition et les défenses du château de l'Empereur et d'Alger. |
[1]
Le vice-amiral Duperré au comte de Bourmont, 28 juin 1830 :
« Je reçois la lettre de votre chef d'état-major, qui
m'annonce que vous rappelez du camp retranché le général d'Uzer avec trois
bataillons de sa brigade. En conséquence, le bataillon restant et le peu de
marins que je peux fournir restent chargés de la défense du camp retranché,
pour laquelle les généraux de l'artillerie et du génie demandaient cinq mille
hommes. Dans un pareil état de choses, la marine, ne pouvant répondre de cette
défense, tout à fait étrangère d'ailleurs à son service, ne peut en accepter la
responsabilité. Je dois la récuser en son nom. Elle fera ce qu'elle pourra. Je
n'ai mis à terre, hier, qu'un bataillon qui n'est même pas complété à sept
cents hommes. Je tacherai d'en mettre un autre aujourd'hui mais vous sentirez
qu'il faut au moins y laisser en outre deux bataillons de ligne. Encore ne
devront-ils être destinés qu'à la garde intérieure l'escorte des convois devra
être fournie par d'autres troupes. La marine a fait jusqu'ici son devoir et
rempli ses obligations vous demandez plus que son devoir, et des obligations
hors de son service et qu'elle ne peut que mal remplir. Je me borne à déclarer
qu'elle est disposée à faire ce qu'elle pourra, mais les conséquences ne
peuvent jamais lui être imputées. »