Nous avons vu Jonathan l'Asmonéen arriver au rôle de chef de parti très important sans toutefois conquérir les insignes de la souveraineté. Il y fut probablement parvenu sans le guet-apens où il tomba et la captivité qui mit bientôt fin à ses jours. Ce fut son frère Simon qui réalisa, au bout de près de trente ans de luttes, le but poursuivi par l'ambition des fils de Mattathiah. Il était convenu dans le parti que Simon, à qui l'on
accordait un don supérieur de prudence et d'esprit de gouvernement, prendrait
la place de son frère, si celui-ci venait à disparaître. La position de Simon
était une des plus difficiles qu'on pût imaginer, et un gouvernement sérieux
qui eût voulu le perdre l'aurait pu sans difficulté. Mais, nous l'avons déjà
dit, il n'y avait plus de Syrie. Tryphon était un vrai bandit ; par une
cruauté abominable, il se débarrassa de son enfant-roi et se mit en sa place.
L'argent lui manquait ; ses troupes étaient hésitantes. Ce qu'il y avait de
plus dangereux pour Israël, c'était la haine des populations voisines de Simon rassembla la gérousie
et montra beaucoup de sagesse. Proclamé souverain pontife par la nation, son
premier acte fut de faire occuper militairement Joppé, dont l'annexion à Simon fit rechercher le cadavre de son frère et le déposa à Modin, près des corps de Mattathiah et de Juda Macchabée. La pensée d'un grand monument qui recouvrirait tous ces morts illustres était déjà dans son esprit. L'exécution n'eut lieu que plus tard. Démétrius II vivait toujours. Simon s'adressa à lui comme
au souverain légitime de LE
ROI DÉMÉTRIOS
À SIMON,
GRAND-PRÊTRE ET AMI DES ROIS, AINSI QU'AUX
ANCIENS ET À Nous avons reçu la couronne d'or et le rameau de palmier[1] que vous nous avez envoyés. Nous sommes prêts à conclure avec vous une grande paix et à écrire aux agents du fisc de vous tenir pour quittes de toutes vos contributions. Et tout ce que nous avons fait pour vous reste valable, et les fortifications que vous avez bâties, qu'elles soient à vous. Nous vous remettons toutes les erreurs et fautes que vous avez pu commettre jusqu'au jour d'aujourd'hui ; et la couronne que vous devez et tout autre tribut qui était à percevoir à Jérusalem, qu'il ne soit plus perçu. Et si quelques-uns d'entre vous sont propres à être enrôlés dans notre garde, qu'ils soient enrôlés, et que la paix soit entre nous. L'année 470 des Séleucides (an 143 et 142 avant J.-C.) fut ainsi considérée par les Juifs comme l'an 1 de leur indépendance[2]. Il fut décidé que les actes publics ou privés seraient
datés ainsi : L'année..., sous Simon, grand prêtre, stratège et higoumène des Juifs[3]. Simon battit
monnaie[4] ou plutôt on
battit monnaie sous son principat. Les beaux sicles ou demi-sicles d'argent
portant : Jérusalem L'influence romaine fut certainement pour beaucoup dans cet événement considérable. L'idée de s'appuyer sur cette puissance toujours grandissante, en opposition avec les Séleucides, devait venir naturellement, et, quoique les idées que les Juifs se faisaient des Romains fussent encore des plus naïves[7], Simon chercha sans aucun doute de l'appui chez ceux que tout lui indiquait comme hostiles à ses adversaires[8]. Les Romains, d'un autre côté, se prêtèrent volontiers à des tractations qui les engageaient peu et où ils n'avaient à donner que ce qui ne leur appartenait pas. Il y eut donc des négociations, qui plus tard furent transformées en traités réguliers et titres officiels[9]. Puis l'on rapporta rétrospectivement aux temps de Juda Macchabée et de Jonathan ce qui n'était vrai que du temps de Simon. Il y eut sûrement vers ce temps des Juifs à Rome ; car un singulier renseignement nous a été gardé sur leur propagande indiscrète et le mauvais accueil qu'on y fit[10]. Les sept ou huit années du principat de Simon (143-135), malgré la guerre dont nous
parlerons bientôt, furent prospères. Les apostats, les tièdes furent soigneusement
écartés[11]
; les anavim furent protégés[12]. Les places
fortes furent remises en état et bien approvisionnées. Le temple fut embelli
et le mobilier sacré enrichi[13]. Gézer et Joppé
vinrent arrondir le petit domaine juif. Gézer surtout eut dès lors beaucoup
d'importance ; on en fit une ville toute juive[14], et Simon s'y
construisit une maison. Quand on prenait une de ces villes autrefois
païennes, on en chassait les habitants, on purifiait les maisons où il y
avait quelque signe idolâtrique ; puis on entrait en chantant des hymnes et
des bénédictions. On remplaçait la population expulsée par des observateurs
de Enfin l'Akra maudite tomba. Il y avait près de trente ans que les Juifs pieux voyaient se dresser à côté de leur ville cette odieuse citadelle, qui représentait la domination de l'étranger et servait d'asile à tout ce qu'ils haïssaient. Le système de blocus inauguré par Jonathan porta ses fruits. On mourait de faim entre ces hauts murs ; on ne pouvait se ravitailler d'aucun côté. Les gens d'Akra demandèrent à capituler ; ce à quoi Simon consentit. Tous furent chassés ; on fit les purifications voulues ; puis la population orthodoxe prit possession de la place, en chantant des psaumes, au son des cinnors, des cymbales et des nebels, en portant des palmes à la main, le 23 iyyar de l'an 442. Ce jour fut pendant quelque temps un jour de fête nationale[16]. Les textes anciens ne disent nullement que Simon fit raser
la citadelle d'Akra ; ils disent plutôt le contraire[17]. Akra devint
citadelle juive, après avoir été citadelle syrienne. Les constructions
syriennes restèrent la base des constructions assez fortes qui couvrirent
toujours depuis la colline occidentale[18]. Simon fortifia
la colline opposée, et s'y fit bâtir une demeure, pour lui et les siens, près
de l'enceinte sacrée. Quand il vit que son fils Jean était devenu un homme,
il lui donna le commandement des troupes et l'établit à Gézer. Aucun païen,
ni aucun Juif helléniste, ayant trempé dans les coupables entreprises
d'Antiochus Épiphane, ne fut supporté dans le pays[19]. Simon parait
avoir été, dans les mesures qu'il prit pour l'observation de Sauf cette intolérance, qui était l'essence même de l'État juif, le gouvernement de Simon fut probablement assez sage. En quelques années, il accumula des sommes énormes. Sa maison était somptueuse ; ses buffets chargés de vaisselle d'or et d'argent, le nombre et l'ordre des services de ses festins excitaient l'admiration des Grecs[21]. Les fonctions de grand prêtre étaient prodigieusement lucratives ; ses coffres récoltaient ce qu'il y avait de plus clair dans les richesses de la nation[22]. La nation en tout cas, était fière et contente de son stathouder. Elle lui érigea, dit-on, sur le mont Sion, une stèle honorifique avec inscription en hébreu, où toute sa vie était racontée[23]. Simon fut vraiment l'idéal du nasi
rêvé par Ézéchiel. La théocratie juive avait réalisé en lui ce qu'elle
regardait comme la perfection. Le Juif moyen, si l'on peut s'exprimer ainsi,
étranger aux agitations utopiques, aux idées messianiques, devait être
satisfait. Israël était récompensé de sa fidélité à |
[1] Les cadeaux d'or se faisaient sous forme de couronnes ou de palmes que l'on convertissait ensuite en numéraire.
[2] Comparez Justin, XXXVI, 1, 10 ; III, 9.
[3] I Macchabées, XIII, 42 ; Josèphe, Ant., XIII, VI, 6.
[4] I Macchabées, XV, 6, qui aurait sa valeur, même quand la lettre d'Antiochus Sidétès serait fausse.
[5] Merzbacher, dans le journal de Sallet, 1878, p. 292-319 ; Madden, Jew. coin. (nouv. édit.), p. 65-67. L'aspect antique de ces pièces écarte l'hypothèse de quelques savants qui voudraient les rapporter au temps de la première révolte. V. Schürer, t. I, p. 635 et suiv. ; t. II, p. 192 et suiv.
[6] Origines du christianisme, t. VI, p. 203 et suiv. Ceux qui voient dans ce nom une désignation d'un personnage du temps de la révolte font comme celui qui viendrait demander à un cabinet de médailles des monnaies de Robespierre, de Gambetta.
[7] I Macchabées, ch. VIII.
[8] Amicitia Romanorum petita, primi omnium ex orientalibus libertatem acceperunt, facile tune Romanis de alieno largientibus. Justin, XXXVI, III, 9.
[9] I Macchabées, XIV, 16 et suiv., 24, 40. Ce qui est rapporté I Macchabées, XV, 15-24, est certainement faux. Les singulières ressemblances de Josèphe, XIV, VIII, 5 (sous Hyrcan II) avec ce que le premier livre des Macchabées place sous Simon (V. Schürer, II, p. 199-200) ne sont pas faites pour inspirer beaucoup de confiance dans tout ce qui concerne ces relations diplomatiques. Ni les historiens macchabaïques, ni Josèphe ne travaillèrent sur des pièces.
[10]
Valère Maxime, I, III,
2 : Idem [prietor Hispalus] Judæos, qui Sabazi
Jovis [Jova-Sabaoth] cultu Romanos inficere mores conati erant, repetere domos
suas coegit. Cf.
Schürer, I, p. 200 ; II, p. 505-506.
[11] I Macchabées, XIV, 14.
[12] I Macchabées, XIV, 14.
[13] I Macchabées, XIV, 15.
[14] Cf. Strabon, p. 759.
[15] Clermont-Ganneau, Acad. des Inscr., Comptes rendus, 1874, p. 201 ; Schürer, I, p. 194-195, note (texte résumant).
[16] I Macchabées, XIII, 49-52
(cf. XIV, 7, 36-37) ; Megillath Taanith, § 5,
Derenbourg, Pal., p. 67.
[17] I Macchabées, XIII, 50. Si on devait la détruire, pourquoi la purifier ? Tout ce que dit Josèphe, Ant., XIII, VI, 6, est un conte puéril. Le passage I Macchabées, XIV, 37 (tiré de l'inscription), est décisif. Cf. XV, 28.
[18] Robinson, Palästina, t. II, p. 17, 25, 110-114.
[19] I Macchabées, XIV, 36.
[20] Megillath Taanith, § 15. Cf. Derenbourg, p. 68-69.
[21] I Macchabées, XV, 32.
[22] Comparez I Macchabées, XV, 11-12.
[23] I Macchabées, XIV, 25 et suiv. L'authenticité de cette inscription n'est pas impossible. L'épigraphie orientale, vers ce temps, imitait souvent les tours de l'épigraphie grecque (Voir le décret honorifique du Pirée, Revue archéol., janv. 1888, p. 5-7). V, 27 : ΕΝΑΣΑΡΑΜΕΑ est, je pense, un souhait, comme ceux dont on fait suivre les noms chez les musulmans.