HISTOIRE DU PEUPLE D’ISRAËL

TOME QUATRIÈME

LIVRE VIII. — LES JUIFS SOUS LA DOMINATION GRECQUE

CHAPITRE XVII. — RÉACTION HELLÉNISTE. LIBERTÉ DE CONSCIENCE.

 

 

Profitant de leur victoire de Beth-Zakariah, les Syriens enlevèrent le poste important de Bethsour ; puis, après avoir pris Bethsour, vinrent mettre le siège devant le temple et les quartiers voisins, que les Israélites, quelques années auparavant, avaient entourés d'un mur. On n'avait fait aucune provision ; les masses juives qu'on avait amenées de Galilée et de Galaad dévoraient les vivres. Pour comble de malheur, l'année 163 était, dit-on, une année sabbatique[1] ; si bien que la famine se fit presque tout de suite sentir.

Si l'on eût été au temps d'Antiochus Épiphane, le temple aurait sans doute été pris et détruit avec furie. Mais on commençait- à voir ce que la politique de ce souverain avait eu de déplorable. On le blâmait d'avoir voulu forcer les Juifs à changer de culte ; on en voulait à ceux qui avaient provoqué cette guerre interminable. Lysias était celui qui professait cette opinion de la manière la plus nette. Il conseillait au roi de faire mettre à mort le grand-prêtre Ménélas, qui avait donné à son père de si mauvaises indications[2]. Ptolémée fils de Dorymène (surnommé Macron), qui avait toujours été équitable dans ses rapports avec les Juifs et qui trouvait qu'on avait de grands torts à leur égard, conseillait aussi de régler pacifiquement ces tristes affaires[3]. On ne voyait donc plus, dans le camp syrien, aucune nécessité de pousser les choses à bout pour un parti qui n'était plus qu'un embarras. Avec le parti de Juda Macchabée, il n'y avait pas moyen de s'entendre ; mais ce parti était momentanément écarté ; le chef avait perdu son prestige militaire par la défaite de Beth-Zakariah. Restait un parti de Juifs sincères, qui n'avaient pas apostasié ou qui tout au plus avaient montré quelque faiblesse, mais qui ne partageaient pas les idées radicales de Juda Macchabée. Celui-ci voulait l'indépendance absolue de la Judée et l'expulsion totale des Syriens. Les Juifs modérés se bornaient à demander qu'on revînt sur la politique néfaste d'Antiochus Épiphane et qu'on accordât aux Juifs le droit de vivre selon leur loi religieuse. Comme les Syriens éclairés étaient juste du même avis, l'entente devenait possible et, pendant que le siège du haram se continuait, il s'établissait des colloques entre les gens modérés des deux côtés. Tout cela se passait, naturellement, tout à fait en dehors de Juda Macchabée.

Une autre raison, d'ailleurs, portait les Syriens à se montrer faciles sur les conditions de la capitulation. Philippe, qu'Antiochus Épiphane mourant avait nommé tuteur de son fils, réclamait ses droits et marchait sur Antioche. Lysias désirait vivement être libre de se tourner vers le Nord. Il alléguait la nécessité de ne pas exaspérer une nation dont il était sage de se faire une alliée. Les Juifs hellénistes, les Juifs modérés, les renégats qui osaient sortir d'Akra, l'entouraient et se disaient enchantés. La paix fut conclue sur la base de la liberté religieuse. Le culte du temple serait entièrement conforme aux anciens rites ; les Juifs en auraient la police. Les Juifs seraient entièrement libres de pratiquer leur Loi selon les coutumes anciennes. Un vrai juste, séparant la religion de la politique, ne pouvait désirer plus. Le but poursuivi depuis cinq ans était atteint ; tout le monde fut content, excepté les partisans de Juda, qui demandaient une solution radicale et avaient probablement aussi quelque visée dynastique ou personnelle[4].

Le roi fit détruire les fortifications de l'enceinte du temple ; il n'y eut plus qu'une citadelle à Jérusalem ; ce fut Akra. Cela mécontenta ; on prétendit que le roi ou ceux qui gouvernaient pour lui avaient juré, avant d'entrer dans l'enceinte, qu'ils ne toucheraient pas aux murs.

La question du grand-prêtre, était une des plus délicates à résoudre. L'odieux Ménélas, sorte de Gobel prêt à toutes abjurations, vivait toujours et avait le titre officiel. Il était également mal VII des Juifs et des Syriens, et Lysias disait hautement qu'il fallait se défaire de lui. Pendant la dictature de Juda Macchabée, qui remplit en réalité au temple les fonctions de grand-prêtre ? II n'est pas facile de le savoir. Le fils du pieux Onias III ne fut jamais grand-prêtre à Jérusalem. Juda Macchabée, quoique prétende Josèphe, ne fut jamais grand-prêtre. On respectait probablement le titre officiel de Ménélas, mais sans souffrir qu'il exerçât ses fonctions. Antiochus V le fit conduire à Alep, où il périt par le cruel supplice de la cendre. Il nomma en sa place un certain Iakim[5], qui, selon la mode du temps, se faisait appeler Alcimus[6] (162). C'était un membre de la famille sacerdotale[7], un Juif philhellène et, ce semble, assez modéré. Il fit tout ce qu'il put pour la paix dans un temps où la haine des partis était portée au plus haut degré.

Ce que le fanatique, en effet, déteste le plus, c'est la liberté. Il aime bien mieux être persécuté que toléré ; ce qu'il veut, c'est le droit de persécuter les autres. Juda Macchabée se tint toujours en dehors du régime nouveau. Il était en province, recueillant tous les fanatiques, reformant son armée. Le gouvernement syrien avait évidemment peu de développement dans ces régions. Il ne savait qu'envoyer des expéditions, frappant des coups temporaires ; puis il disparaissait, laissant le pays à ses habitudes invétérées. La machine séleucide se détraquait de plus en plus. Un an à peine après la paix religieuse conclue à Jérusalem, le débarquement de Démétrius, fils de Séleucus Philopator, avec quelques hommes à Tripoli suffit pour provoquer une révolution. Lysias et son pupille furent mis à mort par les soldats.

Le gouvernement d'Alcimus, dans de telles conditions, fut très faible. Les deux partis, helléniste ou modéré et patriote ou fanatique, se trouvaient en présence comme avant la guerre, se plaignant sans cesse l'un de l'autre. Il n'y avait horreurs qu'on ne dit d'Alcimus. Ce grand-prêtre indigne, suivant les piétistes, n'était entouré que d'impies et d'apostats. Alcimus, de son côté, accusait Juda de chercher à tuer, de chasser comme des bêtes les amis du roi. Dès les premiers jours du règne de Démétrius, ces plaintes arrivèrent à Antioche, et provoquèrent l'envoi d'un grand commissaire, Bacchide, homme du rang le plus élevé, que le roi chargea d'aller vérifier les faits, et soutenir avec un corps de troupes l'autorité d'Alcimus. Bacchide ne rencontra d'opposition décidée que chez Juda et ses partisans. Les hasidim, les scribes se prêtèrent à un arrangement à l'amiable et n'élevèrent aucune objection contre la légalité du sacerdoce d'Alcimus. De qui vinrent les torts ? Naturellement, les historiens juifs soutinrent que c'était de Bacchide. Il aurait fait des arrestations arbitraires parmi ceux qui venaient à lui avec les meilleures intentions, des tueries de soixante hommes à la fois ; on montrait des puits qu'il avait remplis de cadavres. La situation n'avait fait qu'empirer. Bacchide retourna en Syrie, laissant quelques troupes à Alcimus, qui passa le temps désormais dans une lutte perpétuelle. Il n'était pas assez fort pour maintenir l'ordre, et ce qu'il faisait pour le maintenir le frappait d'impopularité. Ses adversaires avouent pourtant que les moyens qu'il employait n'étaient pas d'un homme illibéral. Il cherchait à gagner la bienveillance du peuple, il parlait à tout le monde avec douceur et amabilité. Il s'entourait de gens modérés, que les piétistes appelaient des impies, des transfuges. On prétend que ses suppôts ne se faisaient pas faute, quand ils pouvaient, de tuer les partisans de Juda. Ce qu'il y a de plus sûr (puisque Josèphe le dit à son honneur), c'est que Juda parcourait le pays en tuant les partisans d'Alcimus[8].

Ce qu'il y a de sûr aussi, c'est que Juda Macchabée reprenait des forces chaque jour. Il ne bougeait pas de la toparchie de Gophna, où il réorganisait son armée. Il n'y avait plus de choix qu'entre lui et les hellénisants, qui ne pouvaient rallier l'ensemble de la nation. On trouvait qu'il avait raison après tout, qu'on n'obtiendrait jamais rien de bon des Syriens, que seul il pouvait rétablir l'ordre dans le pays. S'il se fût engagé un conflit, Alcimus et sa troupe eussent été infailliblement vaincus. Alcimus se rendit à Antioche et exposa l'état des choses. Nicanor vint avec une nouvelle. armée. Il se montra perfide et cruel. Juda sut éviter un guet-apens que le général syrien lui avait préparé, le battit à Gapharsalama[9], le força à se reployer sur Akra.

Nicanor ne fut pas mal reçu à Jérusalem. Les prêtres d'Alcimus, sortant de l'enceinte sacrée, et des notables vinrent le saluer respectueusement et lui montrer le sacrifice qu'ils faisaient pour le roi dont ils se reconnaissaient les sujets. Nicanor répondit mal à ces avarices : il fut grossier, plein de menaces, déclara que si Juda ne se rendait pas, il mettrait le feu au temple. Alcimus et ses prêtres furent consternés.

Nicanor alla camper à Béthoron avec son armée ; il y fut rejoint par un corps syrien. Juda campait à Adasa, près de là, avec trois initie hommes. On était au 13 de adar (répondant à peu près au mois de mars) de l'an 161. Nicanor, dont l'armée était sans doute trop faible[10], fut battu et tué. Les campagnes voisines, qui étaient du parti de Juda, se levèrent ; les paysans cernèrent les fuyards et les massacrèrent. On coupa la tête de Nicanor et la main droite de laquelle il avait menacé le temple, et. on les suspendit sur la route de Jérusalem. Ce fut l'occasion d'une fête qu'on célébra désormais en Israël sous le nom de jour de Nicanor[11].

Cette brillante victoire aurait, ce semble, dû remettre Jérusalem entre les mains de Juda[12]. Il n'en fut rien. Quelques semaines après, une nouvelle armée syrienne plus considérable que celle de Nicanor arriva devant Jérusalem. Elle était conduite par Bacchide, et Alcimus l'accompagnait. Juda était à Élasa[13], avec trois mille hommes. Le découragement, pour le coup, s'empara de la petite troupe. Elle fondit ; il ne resta plus à Juda que huit cents hommes. On lui conseilla de fuir, sauf à revenir plus tard en nombre. Loin de moi une pareille action ! Fuir devant eux, jamais ! Eh bien ! si notre temps est proche, mourons courageusement pour nos frères, et ne laissons pas de tache à notre gloire ![14] Juda, en vrai héros, tâcha de reconnaître l'aile où était Bacchide, se dirigea de ce côté avec ses plus braves compagnons, remporta une victoire partielle sui : l'aile droite, puis fut écrasé par l'aile gauche (avril 161).

On dit souvent qu'il fut enseveli dans son triomphe. Non ; il fut battu à Élasa, et son parti fut vaincu pour plusieurs années. Mais sa cause devait ressusciter. Son héroïsme fut celui des fondateurs de dynastie, qui vaut pour les descendants. La domination séleucide en Palestine était vraiment finie. Le judaïsme fanatique nous déplaît ; mais il représentait l'œuvre humanitaire. Juda avait raison contre les hellénistes, les pacifiques, les modérés. Sa grande âme courageuse d'homme du peuple obéissait à de profonds instincts. Il mourut vraiment pour l'avenir. L'homme brave a aussi sa révélation. Il la trouve dans les forts battements de son cœur.

On releva sur le champ de bataille le cadavre de Juda. On le déposa à Modin, à côté de celui de son père. Plus tard, s'éleva sur ces tombeaux un splendide monument. Après la mort de Juda, les impies poussèrent comme l'herbe sur les montagnes d'Israël, et les artisans d'iniquité fleurirent de toutes parts. Ainsi s'exprime l'auteur passionné du premier livre des Macchabées, empruntant les paroles d'un psaume[15]. La campagne, selon lui, s'entendait avec les ennemis ; il y eut une grande famine ; Bacchide fit un choix d'hommes impies qu'il établit gouverneurs du pays. L'angoisse fut telle qu'on n'en avait pas vu de pareille depuis la disparition, des prophètes. Cette mauvaise humeur de l'historien juif est la meilleure preuve de la forte réaction qui s'opéra contre les fanatiques après la mort de Juda Macchabée. Les hellénistes et les modérés, ceux qu'on appelait les gens sans loi[16], se rendirent maîtres sur toute la ligne. Bacchide et Alcimus gouvernèrent avec eux et furent très durs pour les survivants du parti de Juda. On employait contre eux tous les moyens de la persécution, de l'ironie. Le nom de Bacchide fut presque aussi exécré que celui d'Antiochus. Les fanatiques oubliaient que, s'ils eussent été au pouvoir, ils eussent fait bien pis. On a toujours tort de persécuter les fanatiques ; mais on a raison presque toujours quand ils ne sont pas contents. Pour nous, c'est un signe : quand les fanatiques sont furieux, c'est que la machine de l'État va bien, l'État et la liberté ne pouvant déchoir si les fanatiques sont tenus en respect.

Bacchide voulait avant tout éviter le retour des expéditions en rase campagne où Juda s'était montré maître. Il fit fortifier beaucoup de villes, Jéricho, Emmaüs, Béthoron, Béthel, Bethsour, Gézer ; les approvisionnements furent renouvelés ; partout il mit des garnisons. La citadelle d'Akra fut agrandie. On y gardait comme otages les fils des Juifs notables sur la fidélité desquels on avait besoin de garanties. Pour la première fois depuis la révolte, le pays était repris, sérieusement réoccupé par le gouvernement syrien.

Alcimus eut une très bonne idée, c'était de faire ce que Jésus fit spirituellement plus tard, démolir le mur de l'enceinte sacrée qui séparait les Juifs des païens. Cela fut trouvé épouvantable, subversif des prophètes et de la Thora. Le pontife prévaricateur, parce qu'il était tolérant, fut frappé de paralysie sur ces entrefaites (mai 160[17]). Ce fut la punition de son attentat, les ennemis des cléricaux n'ayant pas le droit de mourir sans que le ciel s'en mêle.

Alcimus, en tout cas, n'eut pas de successeur[18] ; pendant sept ans, au moins, le grand-pontificat resta vacant. Les partis tolérants sont souvent timides dans les choses religieuses. Les Juifs hellénistes, maîtres de la situation, se passaient de pontife sans trop de chagrin, et n'avaient probablement pas sous la main de personne qui remplit les conditions assez serrées du pontificat. Ce fut une faute ; c'est par ce biais que la famille asmonéenne put s'introduire dans la fonction qui, selon les idées juives, était presque l'équivalent de la souveraineté.

La meilleure preuve que le soulèvement macchabaïque avait des racines profondes et répondait au sentiment d'une partie de la nation, c'est que la bande de Juda, loin de se dissoudre après le désastre d'Élasa, se retrouva forte, agissante, décidée. D'une commune voix, les partisans de Juda Macchabée élurent pour les commander son frère Jonathan. Il avait la bravoure, la ténacité de Juda, mais un fanatisme beaucoup plus traitable. Son plan de conduite fut naturellement tout autre. Bacchide tenait réellement la Judée. Une guerre ouverte contre les Syriens était impossible. Jonathan, Simon son frère et toute la bande résolurent de gagner le désert, où le mouvement national avait grandi, huit ans auparavant. Ils allèrent du côté de Thékoa, et se fixèrent près d'un puits nommé Asfar. Là Jonathan et ses compagnons menèrent pendant sept ans une vie de bandits, fort ressemblante à celle que David avait autrefois menée dans ces parages. La religion parait avoir été pour eux un souci de second ordre. Ces saints, ces sauveurs de la Loi étaient de vrais Arabes pillards. Ils nouèrent de bonnes relations avec les Nabatéens du sud de la mer Morte et leur confiaient la garde de leurs femmes, de leurs enfants, de leurs bagages ; pendant ce temps, ils brigandaient. Il se forma tout un cycle de leurs aventures, analogues à celles que contaient les vieux livres hébreux, analogues aux vieux récits arabes, sur le temps des Juges et la jeunesse de David. On célébra surtout leurs batailles avec les Beni-Jamri de Médaba[19]. Jean surnommé Gaddis, un des cinq fils de Mattathiah, avait été enlevé et tué par les gens de cette famille, pendant qu'il conduisait la smala aux Nabatéens. Ses frères le vengèrent. Les Beni-Jamri fêtèrent en ce temps un beau mariage. On allait chercher la fiancée à Nadabath. Cachés dans les montagnes, Jonathan et ses compagnons épiaient le cortège, qui traversait le désert en grande pompe, avec accompagnement de musique et de tambours. Les gens de Jonathan tombèrent sur la troupe joyeuse et tuèrent tout ce qui ne se sauva pas dans la montagne.

La fête, ce jour-là finit en élégie ;

A la voix des chanteurs

Succédèrent les pleurs[20].

Après cet exploit, ils allèrent se cacher dans les broussailles du Jourdain. Or Bacchide, instruit de tout, passa la rivière et survint avec une troupe considérable ; c'était un jour de sabbat ; Jonathan n'eut aucun scrupule :

Allons ! debout, mes braves !

Vendez votre âme cher.

Les choses sont plus graves

Qu'à la noce d'hier.

Jonathan aperçut Bacchide, et allait le frapper. Bacchide fit un pas en arrière et évita le coup. La bande juive se jeta dans le Jourdain et le passa à la nage. Les autres n'osèrent les suivre.

Tout n'était pas sérieux, on le voit, dans ces luttes où un peu de jeunesse se retrouvait encore sous la glace de la théologie. La race arabe a le don de ces associations bizarres où la gravité fanatique du croyant n'exclut pas la fantasia du Bédouin, les coups de main du flibustier. C'est par ce fond d'esprit vraiment militaire que la famille asmonéenne gardait cette énergie que l'ascétisme oblitère et qui est nécessaire pour mettre dans une société l'élément de force et de crânerie sans lequel elle ne peut se tenir debout. Le soulèvement lévitique des Asmonéens semblait ne devoir produire que des ascètes ; ce fut des soldats qu'il donna.

Il faut se représenter le gouvernement séleucide sur le modèle de tous les gouvernements orientaux, eu particulier du gouvernement turc, n'existant réellement que dans les villes, ne se montrant jamais dans la montagne, ne s'aventurant pas au désert. La montagne et le désert deviennent ainsi le rendez-vous de tous les indépendants, lesquels mènent entre eux une vie au moins très libre, se réservant pour l'avenir. Le pays, pendant ce temps, vit en paix, sentant les forces anarchiques endiguées et se réservant de leur faire appel au besoin.

Cette période singulière, où le fanatisme religieux sembla sommeiller, dura huit ou dix ans pour la Judée. Ce fut une époque de paix, où chacun reposa sous sa vigne et sous son figuier, assez tranquille. On en fut redevable aux hellénisants et aux modérés, qui ne repoussaient pas en principe la domination syrienne. Pour nous, qui subordonnons la moralité abstraite à la liberté, et pour qui le fanatisme est le plus grand des maux, ce furent là des années très heureuses ; on se tua beaucoup moins ; la haine même s'assoupit un peu. Nous aimons ce qui détend les nerfs de cette pauvre humanité, qui souvent se monte pour si peu de chose. Le fanatisme de la bande qui se groupait autour des frères asmonéens tomba beaucoup ; la troupe de saints qu'on se figure autour de Juda Macchabée, devint une troupe d'aventuriers, passant son temps à marauder dans le désert avec les Nabatéens ; ce qui valait mieux, après tout, que de se brûler le sang sur la Thora. Par un côté, cette réunion de brigands avait son rôle et sa nécessité. Il y avait là de l'énergie, de la virilité à la façon arabe. Si la Vendée eût réussi, les soldats de La Rochejaquelein et de Charette fussent bien vite devenus de simples mainteneurs d'ordre. Nous allons bientôt voir Jonathan trafiquer de sa bande comme d'un instrument de force publique[21], et reprendre comme gendarme la situation que nous l'avons vu occuper comme chef d'armée sainte et organisateur de fanatisme.

 

 

 



[1] Voir Schürer, I, p. 166, note 2.

[2] Josèphe, Ant., XII, IX, 7.

[3] II Macchabées, X, 12 et suiv.

[4] Naturellement, pour voir le vrai en ces affaires, il faut rectifier les grossiers partis pris des historiens juifs. Nous sommes devant ces événements comme si nous ne connaissions les guerres de la Vendée que par des récits vendéens.

[5] Pour Éliakim ou Joïaqim.

[6] Josèphe, Ant., XII, IX, 7 ; II Macchabées, XIV, 3 et suiv. Selon une autre version (I Macchabées, VII, 9) Alcimus n'aurait été nommé que par Démétrius Ier.

[7] I Macchabées, VII, 14, quoi qu'en dise Josèphe.

[8] Josèphe, Ant., XII, X, 3.

[9] Du côté de Ramleh.

[10] Les chiffres des armées syriennes, dans les livres des Macchabées, sont toujours exagérés. Après la mort d'Antiochus Épiphane, le sénat exigea de grandes réductions de l'armée syrienne. Polybe, XXXI, 12 ; Appien, Syr., c. 46.

[11] Megillath Taanith, § 30 (Derenbourg, p. 63).

[12] C'est à ce moment qu'aurait eu lieu ce qui concerne le traité d'alliance de Juda Macchabée avec les Romains (I Macchabées, ch. VIII ; Josèphe, Ant., XII, X, 6). Nous croyons ce récit et le traité qui l'accompagne faux et apocryphes. Ce qui est vrai, c'est que la dynastie sortie de Juda Macchabée s'appuya toujours sur les Romains ; ce qui porta l'historien officiel (auteur du 1er livre des Macchabées) à supposer ledit traité, ensuite renouvelé (I Macchabées, XII, 1-16 ; XIV, 16 et suiv., 40 ; XV, 15 et suiv.).

[13] Site incertain.

[14] I Macchabées, IX, 10. On cite ces paroles, non comme ayant été tenues, mais comme un exemple de la manière dont un Juif de la vieille école comprenait encore, vers l'an 100 av. J.-C., la mort d'un saint.

[15] I Macchabées, IX, 23. Cf. Ps. XCII, 8.

[16] Άνομοι. C'est le nom que les judéo-chrétiens donnèrent plus tard aux disciples de saint Paul.

[17] I Macchabées, IX, 54 et suiv. Erreur de Josèphe, Ant., XII, X, 6. Comparez XX, X, 1.

[18] Josèphe, Ant., XX, X, 1.

[19] Clermont-Ganneau, Journal Asiatique, mai-juin 1891, p. 540 et suiv.

[20] I Macchabées, IX, 41.

[21] Cela se voit sans cesse chez les chefs arabes : exemple d'Akil-Aga [lors des événements de Syrie, en 1860].