HISTOIRE DU PEUPLE D’ISRAËL

TOME QUATRIÈME

LIVRE VIII. — LES JUIFS SOUS LA DOMINATION GRECQUE

CHAPITRE XVI. — PRINCIPAT DE JUDA MACCHABÉE.

 

 

Pendant un an et demi après la reprise du temple, Juda Macchabée fut à peu près souverain de la Judée[1]. Akra seul maintenait, du haut de ses remparts imprenables, le pouvoir des rois de Syrie. Les juifs hellénistes ou renégats y menaient une vie misérable, presque de prisonniers. Lysias, absorbé par d'autres soins, ne pouvait revenir à la charge. Juda Macchabée fit fortifier l'enceinte du temple. Bethsour était un point très important ; Juda le fit également fortifier, pour le cas où des revers imprévus forceraient les hasidim d'évacuer Jérusalem.

Un des grands défauts des Juifs commençait à se manifester dès lors. Pleins du sentiment de leur supériorité, acariâtres, taquins, amenés par leur Loi à un isolement qui paraissait du dédain, les Juifs passaient pour mauvais voisins et l'étaient en effet. Ils étaient détestés des peuples qui les entouraient. Un tel fait s'est produit, à tous les siècles, d'une façon trop constante pour qu'il n'ait pas sa raison d'être. Tout voisin des Juifs maltraite le Juif ; c'est là une règle qui comporte bien peu d'exceptions. Les peuples limitrophes de la Palestine avaient vu de très mauvais œil le soulèvement juif et s'étaient rangés du parti des Séleucides. Le rétablissement du culte à Jérusalem amena une recrudescence de mauvais traitements. Il y eut des meurtres, des gens réduits en esclavage. Juda Macchabée regarda comme un devoir de venger ses coreligionnaires et le fit avec cruauté. L'Idumée surtout fut durement châtiée ; puis ce fut le tour des Ammonites, qui opposèrent une armée bien commandée par un certain Timothée. Mais Juda l'emporta. La ville de Jaézer fut prise et maltraitée. Juda, après cette campagne, qui dut exaspérer les haines, retourna en Judée.

On vit bien, dès les premiers jours de cette demi-autonomie, l'impossibilité d'un État juif et d'un souverain juif. Le souverain doit avoir l'esprit libre. Or le souverain juif est trop sollicité par le fanatisme religieux ; il entend trop de doléances. Quand le Juif se sent appuyé, il devient plaignant, dénonciateur. A peine Jérusalem fut entre les mains d'un chef juif que de toutes parts les plaintes arrivèrent. Elles étaient fondées probablement en partie, mais sans doute exagérées. Les chrétiens d'Orient, aujourd'hui, prétendent toujours qu'on les massacre, quand on ne fait que donner suite à des querelles, où souvent ils ont eu les premiers torts.

Les récriminations venaient surtout de Galaad (on désignait par ce mot tout le pays au delà du Jourdain) et de la Galilée, où les Juifs étaient nombreux et prétendaient que les païens leur tenaient sans cesse le couteau sur la gorge. Une grande assemblée eut lieu. Simon, frère de Juda, fut envoyé avec trois mille hommes en Galilée. Juda et Jonathan, avec huit mille hommes, devaient opérer au delà du Jourdain. Joseph fils de Zacharie et Azarias devaient protéger la Judée avec le reste des troupes. Les campagnes de Galaad et de Galilée furent très heureuses, si cela peut se dire d'une série d'incendies et d'égorgements[2]. Timothée, que nous retrouvons encore cette fois se mesurant contre Juda, fut complètement défait. Simon poussa ses armes jusqu'à Acre. Le but de ces expéditions n'était pas seulement de punir les païens. Il semble que le plan était de rabattre les Juifs isolés sur Jérusalem pour fortifier le groupe de Judée et ne pas laisser des populations trop faibles exposées aux retours offensifs de l'ennemi[3]

Joseph et Azarias, qui étaient restés à Jérusalem, faillirent compromettre la situation. Ils poussèrent imprudemment une pointe sur Iabné, où était Gorgias. Celui-ci leur tua beaucoup de monde et les força à rentrer dans la ville.

Juda était devenu un vrai soldat, un chef profane. Il se plaisait à sa renommée chez les païens, et il aimait à recevoir des félicitations dans Jérusalem[4]. Il ne voulait pas que les prêtres vinssent à la bataille ; on faisait remarquer autour de lui que dès que ces gens-là se mêlaient de ce qui ne les regardait pas, ils étaient tués tout de suite[5]. Un esprit vraiment militaire se formait. Une razzia que fit Juda du côté du Sud eut un plein succès. Hébron et Marésa, qui appartenaient depuis longtemps aux Iduméens, furent enlevés et démantelés. Azot et les villes du voisinage furent pillées, les autels détruits, les sculptures martelées[6]. La bande revint à Jérusalem avec un énorme butin ; mais on ne songeait pas encore à des conquêtes durables, on n'avait pas assez de soldats pour laisser des garnisons dans les villes prises.

C'est vers ce temps qu'on apprit la mort d'Antiochus, depuis si longtemps engagé dans sa malheureuse guerre contre les Parthes[7]. Comme son père, il tâchait de combler les vides de son trésor en prenant les richesses des grands temples de l'Orient. Son père y avait trouvé la mort ; il ne réussit pas beaucoup mieux. Obligé de battre en retraite devant un temple d'Artémis ou d'Anaïtis, en Élymaïde, il cherchait à regagner Babylone, quand la mort le surprit à Tabæ, en Perse (163). Son fils, âgé de neuf ans, lui succéda, non sous la tutelle de Philippe, ainsi que le roi mourant l'avait voulu, mais sous la tutelle de Lysias.

Juda, comme il est naturel, avait pour objectif principal la prise d'Akra. Il attaquait vivement cette citadelle, où non seulement les Syriens, mais les renégats et les Juifs modérés que froissait le fanatisme des hasidim, trouvaient un refuge. Les assiégés, sachant le sort qui les attendait, adressaient à Antioche les appels les plus pressants. Beaucoup de Juifs du parti helléniste, que les victoires de Juda Macchabée avaient réduits au silence, mais n'avaient pas fait disparaître, se joignirent à eux. Lysias, se faisant suivre par le roi son pupille, fit un effort énergique. A Beth-Zakariah, à moitié chemin à peu près entre Bethsour et Bethléhem, se livra une terrible bataille, où l'on vit clairement combien les bandes de Juda Macchabée étaient incapables de tenir devant le déploiement de toutes les forces syriennes. La victoire de Lysias fut complète (163), malgré l'héroïsme des Juifs. On cita des traits de courage extraordinaire, entre autres celui d'Éléazar, le frère de Juda Macchabée, qui, voyant un éléphant plus haut que les autres et royalement caparaçonné, pensa qu'il portait le jeune roi. Il se calcula alors une mort d'un bel effet. Se glissant sous le ventre de l'énorme bête, il y enfonça son épée tant qu'elle put entrer. L'énorme bête s'affaissa et l'écrasa.

Tout ce qu'avait gagné l'effort héroïque des fils de Mattathiah et de leurs partisans était anéanti. Juda s'enfuit, avec les débris de son armée, du côté de Gophna[8], et parait pendant quelque temps s'être tenu à l'écart[9]. Il y eut évidemment une forte réaction contre lui, et, quoiqu'il ait encore remué beaucoup d'intrigues et remporté une victoire sur les Syriens, il semble bien qu'il ne revit plus Jérusalem après la bataille de Beth-Zakariah.

Le peuple cependant espérait et priait toujours. Le peuple ne désespère jamais ; car il ne sait pas ce que c'est que douter. Il n'y a pas de déconvenue pour le peuplé ; car il n'y a pas pour lui d'expérience. Après dix échecs, il dit encore que certainement on ne s'y est pas bien pris et qu'il faut recommencer.

 

 

 



[1] I Macchabées, IV, 60 et suiv. ; Josèphe, Ant., XII, VII et suiv.

[2] Écho dans Baruch, IV, 32.

[3] C'est ce qui semble résulter, pour la Galilée, de I Macchabées, V, 23 (l'explication de Josèphe, XII, VIII, 2, est inadmissible) ; la chose est claire pour Galaad. I Macchabées, V, 45 et suiv. Comparez I Macchabées, VI, 53.

[4] I Macchabées, V, 63-64.

[5] I Macchabées, V, 67, composé de deux leçons superposées.

[6] I Macchabées, V, 65 et suiv. ; Josèphe, Ant., XII, VIII, 6.

[7] I Macchabées, VI, 1 et suiv. ; II Macchabées, I, 10 et suiv. ; Josèphe, Ant., XII, IX, 1 ; Polybe, XXXI, 11 ; Porphyre (Fragm. hist. græc., IV, 711) ; Appien, Syr., c. 66. — Le récit II Macchabées, ch. IX, est tout fabuleux.

[8] Aujourd'hui Djipteh prés de Beitin, au nord de Jérusalem.

[9] I Macchabées, ch. VI, le suppose. Josèphe l'affirme expressément, B. J., I, I, 5. Il se contredit, Ant., XII, IX, 5, 7.