De tels changements ne se font pas en un jour. Beaucoup de
Juifs très sincères, en ces effroyables circonstances, continuaient à croire
que chacun touche ici-bas le prix de ses belles actions. Combattre pour sa
vie, pour ses foyers, pour Les familles lévitiques étaient, comme nous l'avons déjà
vu, le foyer du fanatisme juif ; sans elles, il est probable que le judaïsme
et les anciens écrits hébreux auraient disparu sous la pression des mesures
ordonnées par les Syriens. Parmi elles florissaient ces petits comités de
hasidim ou gens pieux, vivant ensemble dans leur pauvreté, très fiers de leur
exactitude à observer Un jour, Mattathiah fut témoin d'un spectacle horrible. Un Israélite apostat vint pour sacrifier sur l'autel païen que les gens du roi avaient dressé. L'officier d'Antiochus se tenait à côté de l'autel. Mattathiah fut pris d'une effroyable colère. Il se jeta sur l'Israélite, le tua, tua aussi l'officier royal, renversa l'autel. De vieux exemples de l'histoire sainte[6] autorisaient cette façon d'agir qui mettait si hardiment les intérêts de la religion au-dessus de toutes les lois. Après cela, il n'y avait plus qu'à fuir. Mattathiah
engagea tous ceux qui avaient au cœur le zèle de Beaucoup d'autres Juifs avaient pris le même parti, si
bien que le désert de Judée se trouva presque peuplé de hasidim[7]. Les Syriens les
attaquèrent et tirèrent un grand avantage du rigorisme mal entendu qui
empêchait ces Juifs pieux de se défendre le jour du sabbat. Mattathiah, à ce
qu'il parait, fut très mécontent de cet excès de scrupule, et fit établir en
règle que le combat pour Le vieux Mattathiah, se sentant près de mourir (167 av. J.-C.), désigna, dit-on, son fils Siméon, surnommé Thassi, pour avoir la préséance dans les conseils, et son fils Juda pour être le chef militaire. La famille resta étroitement unie dans un temps où les luttes entre frères étaient le fléau des dynasties. Jean surnommé Gaddis, Éléazar surnommé Avaran, Jonathan surnommé Happous figureront à leur heure à côté de leurs frères, pour les seconder dans leur œuvre, sans que jamais perce entre eux le moindre sentiment de rivalité. Le nom le plus célèbre fut de beaucoup celui de Juda, connu sous le nom de Maqqabaï (Macchabée), dont le sens est probablement Marteau de Dieu. Ce fut un véritable homme de guerre, d'un courage à la fois audacieux et froid, dévoué à sa cause comme un fanatique, dépourvu, à ce qu'il semble, de toute ambition personnelle. Nous aimons si peu les fanatiques qu'un tel caractère a peine à nous être sympathique. D'un autre côté, les grands rôles historiques absolument désintéressés sont si rares que ce serait appauvrir le Panthéon humain que d'en exclure de tels hommes. Juda Macchabée ne se mêla pas de politique ; il laissa tout ce côté de l'œuvre commune à son frère Siméon. Il se contenta de vaincre et de se faire tuer. Honneur à Juda ! Juda est un saint ; il a les qualités et les défauts des grandeurs créées par la foi ; elles dépassent en hauteur de dévouement tout ce que peut atteindre la simple raison ; puis nous songeons à des tares pour nous irrémissibles, au manque de respect pour la liberté, même quand on a l'air de défendre la liberté. Certes, les agents d'Antiochus avaient tout à fait tort de forcer ces pauvres Juifs à sacrifier à leur Jupiter. Mattathiah avait absolument le droit et même le devoir de s'y refuser pour son compte. Il n'avait pas le droit de tuer celui qui avait été moins héroïque que lui. Chacun est juge de sa conscience ; on ne saurait imposer ses principes aux autres. Mais, hâtons-nous de le dire, il n'y aurait pas de héros
religieux dans ces conditions-là. Godefroi de Bouillon, Simon de Montfort,
Charles d'Anjou avaient besoin de croire que leurs ennemis étaient destinés à
l'enfer. Nous sommes trop libéraux et trop bien élevés pour nous exprimer
avec un tel absolu. Je crois que M. de Mun se trompe au moins pour les cinq
sixièmes. Mais ma philosophie m'apprend qu'il doit avoir raison aussi pour un
sixième, et, si j'avais devant moi un de ses partisans, ma bonne éducation me
commanderait de chercher ce sixième où je pourrais être du même avis que lui.
Juda Macchabée a bien fait de n'être pas si bien élevé. Il fut sûrement une
colonne dans l'histoire du monde : il sauva le judaïsme, il sauva Les désespérés qui ont fait le sacrifice de leur vie, décidés à ne pas tenir compte des règles du possible, regardant la mort, la défaite même comme un avantage, sont le plus souvent des fléaux pour les nations dont ils défendent la cause ; quelquefois, cependant, ils ont raison. Juda Macchabée n'avait aucune force régulière à opposer aux légions syriennes, si bien organisées ; il osa néanmoins se mesurer avec elles[9]. Dans une première bataille, livrée probablement près de Jérusalem, Apollonius fut tué ; Juda prit son épée, qui lui servit désormais dans les combats. Les hasidim avaient à peine des armes ; les dépouilles des vaincus leur en fournirent. Séron, le général en chef des Syriens, mit en campagne une seconde armée ; Juda la tailla en pièces dans les défilés de Béthoron. Son activité était infatigable. Il allait de village en village, racolant tous ceux qui n'avaient pas apostasié. Se jetant la nuit à l'improviste sur les villages infidèles, il y mettait le feu, se procurait des vivres, massacrait les apostats. On ne parlait dans tout le pays que de ses exploits, objet de terreur pour les uns, pour les autres de joie et d'espoir[10]. Cela dura environ deux ans. Pendant ce temps, Juda et ses compagnons se formaient. Les Syriens ne prenaient en réalité aucune racine dans le pays. Le temple tombait dans un grand état de délabrement[11]. Les renégats ne fondaient rien. Les difficultés du gouvernement prodigue et imprévoyant d'Antiochus devenaient de plus en plus graves. La révolte de Judée était un fait public, considérable. Il s'agissait de la réprimer[12]. Mais les trésors étaient vides ; les impôts des provinces orientales, Babylonie, Élymaïde, Médie, ne rentraient pas, sans doute parce que les Parthes s'étaient emparés de ces provinces. Les plus mauvaises nouvelles arrivaient coup sur coup de l'Orient[13]. Antiochus résolut une grande expédition de ce côté. En partant (166 av. J.-C.), il conféra une sorte de vice-royauté, pour les provinces ciseuphratiennes, à un certain Lysias qui paraît avoir tenu de très près à la famille royale de Syrie. |
[1] I Macchabées, II, 51 ; III, 20-21. En général le premier livre des Macchabées s'en tient à l'ancien point de vue juif, sans messianisme, ni résurrection. Lire surtout le petit discours de Juda Macchabée au moment de mourir. I Macchabées, IX, 10.
[2]
C'est par abus qu'on donne à cette famille le nom du plus illustre de ses
membres (Macchabées). Les livres des Macchabées ne connaissent pas le nom
d'Asmonéens, qu'on trouve dans Josèphe, dans
[3] Aujourd'hui El-Medieh, ou Harbet el-Medieh, comme l'a bien vu M. Victor Guérin.
[4] Il ne faut pas conclure de I Macchabées, II, 70 ; XIII, 25, que Mattathiah eût des propriétés à Modin. Ce sont là des rédactions légèrement proleptiques.
[5] I Macchabées, II, 17, 20.
[6] Nombres, XXV.
[7] I Macchabées, II, 42. Άσιδαίων est la vraie lecture.
[8] C'est le sens de Daniel, XI, 34.
[9] I Macchabées, III, 10 et suiv.
[10] II Macchabées, VIII, 1 et suiv.
[11] I Macchabées, IV, 37 et suiv.
[12] I Macchabées, III, 27 et suiv. ; Tacite, Hist., V, 8.
[13] Daniel, XI, 44.