Vers 175 avant Jésus-Christ, la victoire de l'hellénisme,
dans toute la partie orientale de La vie grecque se composait de quelques pièces essentielles, d'une sorte de discipline extérieure exigeant des établissements publics et, à certaines heures, une activité en commun, une éphébie, pour la jeunesse, un théâtre pour la vie publique et la culture littéraire, des bains, un gymnase et un xyste pour les exercices du corps. Le soin de sa propre personne primait tout dans la vie d'un Grec. Certes la propreté et l'hygiène tiennent une place considérable dans la vie d'un Oriental qui se respecte (juif de l'ancienne école ou musulman) ; mais la pédagogie grecque avait de bien autres exigences. Les luttes et les exercices factices de la gymnastique sont antipathiques aux Orientaux. Les nudités qu'entraînait la palestre grecque les choquaient. Ils y voyaient un acheminement à des vices contre lesquels, malheureusement, la Grèce[1] ne prenait pas assez de précautions. La circoncision était souvent, au gymnase, un objet de raillerie[2]. L'émulation que ces jeux entretenaient paraissait aux Israélites zélés une mauvaise chose et autant d'enlevé au sentiment des gloires nationales[3]. La ville de Jérusalem se partageait ainsi en deux camps.
Une moitié, affolée du désir d'imiter les usages grecs, ne négligeait rien
pour gréciser ses allures, son costume, son langage. A ce parti grécomane,
s'opposaient les gens pieux, à idées bornées, ceux qu'on appelait les hasidim, hostiles à la civilisation grecque,
même dans ses parties excellentes, n'écrivant qu'en hébreu ou en araméen et
dans les cadres de l'ancienne littérature. Cette division profonde répondait
à une autre, plus profonde encore. La majorité de la communauté juive était
fervente ; mais il y avait aussi dans son sein beaucoup de tièdes, beaucoup
de gens à peine juifs, ennemis de ce que le genre de vie selon Ni les Lagides, qui ne pratiquèrent jamais le compelle intrare pour l'hellénisme, ni
Antiochus le Grand et son successeur, qui furent tolérants, n'essayèrent
d'intervenir dans ce foyer brûlant, pour exercer une influence au profit de
l'un ou l'autre des deux partis. Il n'en fut plus de même quand le trône vint
à être occupé par Antiochus dit Épiphane[5], esprit
brouillon, sans tenue, libéral par moments, violent toujours, et qui gâtait
les meilleures causes par ses intempérances et son manque de jugement. Les
Juifs, prévenus peut-être, lui trouvaient le visage hautain, l'air farouche,
le cœur tellement dur que rien de ce qui touche l'homme, ni les femmes ni la
religion, ne pouvaient le fléchir. Selon eux, il n'était pétri que d'orgueil
et de fraude[6].
Son manque de dignité, ses actes de polisson débauché n'auraient pas eu
grande conséquence, s'il n'eût compromis son autorité en des entreprises sans
issue, où les plus tristes déconvenues l'attendaient. Il aimait Il était fort intelligent, généreux, porté au grand[8], et il fit
d'Antioche un centre très brillant, bien que non comparable à Alexandrie pour
les sciences et les lettres sérieuses. II fut en quelque sorte le second
fondateur de cette ville, qui jusque-là n'avait pas pris de grands
développements[9].
Grâce à lui, Antioche prit place parmi les cités les plus splendides du
monde. Antioche devint un des points rayonnants les plus actifs de
l'hellénisme. La tentation devait être forte de faire régner cette haute
civilisation rationnelle sur des pays qui n'avaient connu jusque-là que des
cultures inférieures, sur des religions qui portaient presque toutes une tare
de superstition ou de fanatisme. On peut dire que, si Antiochus le Grand
n'avait pas rattaché l'empire séleucide, l'entreprise d'Épiphane, se bornant
alors à helléniser le nord de C'est ici la première persécution dont la théocratie sortie des prophètes juifs fut l'objet. Antiochus obéit au même principe que les empereurs romains, souvent les meilleurs, moins excusable, en ce que le judaïsme était limité à un pays, tandis que le christianisme était un mal général qui minait l'empire. Ce feu roulant de plaintes réciproques entre l'État et l'Église ne cessera plus jusqu'à nos jours. Il y a contradiction, en effet, entre une société se prétendant fondée sur une révélation divine et la large société humaine ne connaissant que les liens du droit et de la raison. Marc-Aurèle, qui était un autre homme qu'Antiochus Épiphane, persécuta comme lui la théocratie. L'excuse de ces hommes considérables est que la théocratie, quand elle fut maîtresse, persécuta ses adversaires bien plus cruellement encore que ceux-ci ne l'avaient persécutée. Antiochus, avant d'arriver au trône, avait passé sa jeunesse à Rome comme otage. Peut-être puisa-t-il dans l'intimité des grandes familles romaines, où il s'était formé, cet absolu dans les idées et ce mépris des religions autres que les superstitions nationales, qui plus tard devaient faire de l'empire romain le pire ennemi de toute théocratie. |
[1] II Macchabées, IV, 12.
[2] Saint Paul, 66 et suiv. ; Marc-Aurèle, 556.
[3] II Macchabées, IV, 15.
[4] I Macchabées, II, 42, édit Fritzsche.
[5] Polybe, XXVI, 10.
[6] Daniel, VIII, 23 et suiv. ; XI, 21 et suiv., 37.
[7]
L'Olympieion d'Athènes était de lui. Polybe, XXVI, 10.
[8] Diodore Sic., XXIX, 32 ; XXXI, 16 ;
Tite-Live, XLI, 20.
[9] Voir Ottfried Müller, De Antiq. Antioch., p. 34-35, 53-65.
[10] Rex Antiochos demere superstitionem et mores Græcorum dare adnisus, quominus tæterrimam gentem in melius mutaret, Parthorum bello prohibitus est. Tacite, Hist., V, 8.