Depuis le retour des exilés de Babylone en Judée, les
iahvéistes de l'ancienne tribu d'Éphraïm ne cessèrent de faire des instances d'une
parfaite bonne foi pour nouer une véritable union religieuse avec Jérusalem.
Samarie (l'ancienne Someron) continuait
d'être le centre de ces restes authentiques, mais mal gardés, de l'ancien
Israël. La situation politique et sociale de ces gens que l'Assyrie n'avait
pas écrasés était meilleure que celle des pauvres colons de Judée. Mais l'organisation
sacerdotale de ces pays, restés en dehors de l'action de Jérémie, était très
faible. Ils n'avaient qu'une idée vague de Le livre de Josué ne faisait pas partie de Samarie n'avait pas de temple en grand renom ; les vieux sanctuaires de Silo, de Béthel étaient presque oubliés. Les Samaritains eussent voulu se rattacher également, pour le culte, à ce centre de Jérusalem, dont ils reconnaissaient la haute vitalité. Toutes leurs démarches, comme nous l'avons vu, ne rencontrèrent que des refus hautains. Les Juifs les tenaient pour une race impure, sans mélange de sang israélite ; leur culte, qui n'avait pas subi les réformes des prophètes, passait à Jérusalem pour un paganisme grossier[2]. Il était écrit dès lors qu'ils chercheraient à se créer un temple où ils pussent se consoler des injustes mépris de Juda. Sichem était pour cela mieux désigné que Samarie. A ce bel
endroit, situé entre les monts Ébal et Garizim, se rapportaient les plus
précieux souvenirs de l'âge patriarcal[3]. Le tombeau de
Joseph était censé placé à l'entrée de la vallée[4]. On racontait que
Jacob avait longtemps mené la vie nomade en ces parages[5] ; du temps des
Juges, Sichem avait souvent joué le rôle de point central des tribus[6]. Les monts Ébal
et Garizim, au-dessus de la ville, figuraient comme lieux saints dans les
légendes mosaïques. Les livres que Samarie venait d'emprunter à Jérusalem
consacraient en quelque sorte ces deux montagnes. Dans un récit qui
appartenait, à ce qu'il semble, à Le schisme des Juifs et des Samaritains devint ainsi définitif. Ce fut l'œuvre de Sanballat et de son gendre Manassé, fils du grand-prêtre Joïada, ou plutôt ce fut la conséquence de l'intolérance de Néhémie. Manassé participait aux fonctions sacerdotales de son père Joïada[10]. Mis en demeure d'abandonner ces fonctions ou de renvoyer sa femme, qu'il aimait, il préféra l'exil. Chassé ainsi de Jérusalem[11], il fut, à ce qu'il semble, le premier grand-prêtre du Garizim. Qui sait si ce ne fut pas lui qui porta le Pentateuque aux Samaritains ? Il résulterait de certains récits que Manassé provoqua une émigration des Hiérosolymites que la rigueur de Néhémie sur les mariages mixtes mécontentait ; Sanballat, de son côté, les aurait attirés en leur donnant des terres et de l'argent[12]. Ce mouvement d'émigration se continua, paraît-il, dans les siècles suivants. La violation du sabbat, l'usage de viandes défendues, les manquements à des préceptes religieux, entraînaient de cruelles pénalités. Pour les éviter, on se sauvait et on se faisait samaritain[13]. Chaque pas dans la voie du puritanisme et du particularisme était ainsi un pas de plus dans la voie du schisme. Les gens raisonnables des deux fractions d'Israël s'entendaient. Mais le fanatisme juif ne voulait que la séparation. Ce schisme funeste pour le judaïsme fut bien l'œuvre de Jérusalem. L'histoire religieuse nous montre que tous les schismes ont leur origine dans l'esprit de séparation des orthodoxies. Le samaritanisme resta, d'ailleurs, toujours quelque chose d'assez médiocre, comme un plagiat du judaïsme proprement dit. Il n'en sortit rien de fécond. Sa meilleure fortune fut que Jésus l'aima[14]. Jésus avait un penchant pour les hérétiques, les excommuniés, les décriés. A ce titre, il se plut quelquefois à opposer ces schismatiques aux rigoristes de Jérusalem. Il créa le type du bon Samaritain, et ce fut au pied du Garizim qu'il prononça ce mot : Femme, crois-moi ; l'heure est venue où l'on n'adorera plus Dieu sur cette montagne ni à Jérusalem, mais où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité. |
[1] Chronicon samaritanum, éd. Juynboll ; Aboulfath, Ann. sam., p. XXXIX et 21-25.
[2] Récit des Rois, évidemment partial et faux.
[3] Genèse, XII, 6, 7 ; XXXIII, 20 ; Jos., XXIV, 26.
[4] Jos., XXIV, 32 ; Jean, IV, 5, 12.
[5] Genèse, XXXIII, XXXIV, XXXVII.
[6] Jos., XXIV, 1, 25 ; Juges, IX ; I Rois, XII, 1, 25.
[7] Deutéronome, XXVII.
[8] Deutéronome, XXVII, 4.
[9] Josèphe, Ant., XI, VIII, 2 ; II Macchabées, VI, 2 ; Jean, IV, 20.
[10] Le Jaddous de Josèphe étant sûrement ici le Joïada de Néhémie, Manassé était fils, non frère du grand-prêtre.
[11] Les détails du récit de Josèphe (Ant., XI, ch. VII et VIII ; Cf. XII, V, 5 ; XIII, III, 4) sont tous faussés par sa chronologie erronée.
[12] Josèphe, Ant., XI, VIII, 2,
[13] Josèphe, Ant., XI, VIII, 7.
[14] Vie de Jésus, p. 239 et suiv.