Ézéchiel était-il seul à construire ainsi des utopies pour
une restauration que l'on croyait prochaine ? Non certes, et tout prouve
qu'il y eut, dans les trente ou quarante premières années après la ruine de
Jérusalem, une période où s'élabora un nouveau Deutéronome, un code de
l'avenir. Tous les hommes pieux admettaient qu'Israël restauré aurait une loi
nouvelle. L'esprit prophétique était considéré comme une inspiration
permanente, suffisante pour compléter et remanier Ce qui caractérise, en effet, les lois que cette époque ajouta au Digeste mosaïque, c'est leur caractère spéculatif et chimérique. Ce ne sont pas les expédients de gens pratiques aux prises avec la nécessité, et faisant ce qu'ils peuvent pour parer aux exigences d'une situation qui leur impose des mesures claires. Ce sont des indications générales, qui deviennent puériles quand elles veulent en venir à quelque netteté, des plans comme ceux qu'on pouvait élaborer autour de M. le comte de Chambord ou ceux qu'on discute dans les clubs socialistes. Le code de la restauration fut ainsi ébauché cinquante ans d'avance. Ce n'est pas au moment de la reconstruction du temple que ces pages ont été écrites ; c'est à une époque où les espérances de la nation n'étaient que des rêves, où le pays s'offrait comme une carte blanche et où l'on pouvait confier au papier les solutions les plus hardies, parce qu'on n'avait pas à craindre le contrôle de la réalisation. Ce qui est bien frappant, en tout cas, c'est l'intime
connexion qu'il y a entre les neuf derniers chapitres d'Ézéchiel et les
parties sacerdotales et lévitiques de Le livre de l'Alliance, le Décalogue, le Deutéronome restaient
à la base des institutions religieuses de la nation ; mais quelques idées
nouvelles, très importantes, tendaient à s'établir, La situation des lévites
était une plaie toujours saignante, et on n'y voyait, après le retour, aucune
amélioration possible. On visait de plus en plus, d'après la théorie
d'Ézéchiel, à séparer les prêtres des lévites. Selon cette manière de voir,
les prêtres seuls servent Iahvé ; les lévites servent les prêtres[1] ; leur fonction
est celle d'hiérodules, occupés aux grosses besognes du temple. Comme les
institutions modernes devaient avoir leur racine dans les temps mosaïques, Ézéchiel, pas plus que Jérémie, le deutéronomiste et les anciens prophètes, ne parle jamais d'Aaron comme souche du vrai sacerdoce. Les vieilles histoires connaissaient Aaron, mais simplement comme frère et prophète de Moïse. L'idée d'Aaron grand prêtre est, au contraire, l'idée dominante du dernier code sacerdotal. Les prêtres y sont tous fils d'Aaron ; Aaron est à leur tête comme un président naturel. Le rôle presbytéral d'Aaron et l'idée de grand prêtre naquirent ainsi en même temps. Les temps anciens, même ceux d'Ézéchias, n'avaient pas de grand prêtre[4]. Le commencement de cette fonction apparaît sous Josias ; l'armée de prêtres groupée autour du temple devait avoir un chef. En 575, cependant, Ézéchiel, comme nous l'avons vu, évite de faire entrer dans son programme un prêtre supérieur aux autres. Il est très possible que, dans ses méditations ultérieures, il soit arrivé à en voir la nécessité, ou que ses disciples y aient été amenés. Quoi qu'il en soit, le mythe d'Aaron et la constitution officielle d'un cohen en chef étaient deux idées tout à fait voisines et à deux pas de celles d'Ézéchiel. Nous sommes persuadés qu'elles suivirent de très près le programme de 575[5]. Le signe de la prééminence par désignation était l'onction. Le grand prêtre fut conçu comme oint, installé solennellement, vêtu d'habits d'apparat, obligé à un grand décorum, à ce point qu'il ne pouvait porter le deuil, même de son père et de sa mère[6]. Une idée plus analogue encore à celle d'Ézéchiel fut l'invention de l'ohel moëd, ou tabernacle, sorte de temple portatif que Moïse était censé avoir fabriqué dans le désert, qu'on repliait en quelque sorte et qu'on réassemblait à chaque campement[7]. C'est là, vraiment, une imagination puérile, et, sur ce point, les plaisanteries de Voltaire étaient pleinement justifiées. Rien ne ressemble plus à ces visions liturgiques d'Ézéchiel, caractérisées par l'invraisemblance et le mépris absolu de la réalité. D'un autre côté, la conception d'une pareille fable avait quelque chose de très logique. L'unité du lieu de culte était devenue, depuis Josias, le dogme fondamental d'Israël. On voulait que ce dogme remontât à Moïse. Par une faute de critique qui ne soulevait aucune objection, on reportait facilement un tel état de choses jusqu'à la construction du temple sous Salomon. Avant le temple, il était plus difficile d'imaginer un culte centralisé et solennellement organisé. On comptait peu alors avec l'invraisemblance. On supposa un temple avant le temple, sans se soucier des impossibilités que l'on soulevait. Nous n'affirmons pas que cette invention soit d'Ézéchiel ; mais il faut avouer que les descriptions détaillées que nous avons de ce bizarre outillage sont bien conçues dans l'esprit même qui dicta à ce prophète tant de plans irréalisables et de combinaisons chimériques. On s'adressait évidemment à des lecteurs peu assidus des anciennes histoires ; car une telle conception était en contradiction flagrante avec les récits anciens de l'histoire de Moïse. Mais l'absence de critique et surtout le manque d'assemblage des textes laissaient place à tous les à-peu-près. Ce que l'un connaissait, l'autre ne le connaissait pas, et, de la sorte, le corps des écritures religieuses se grossissait de parties étrangères les unes aux autres et profondément contradictoires. La disposition, en carré parfait comme un damier, du camp
d'Israël se rattache de très près à la conception de l'ohel moëd[8]. Si Ézéchiel n'a
pas écrit cette description, il a dû sûrement concevoir une distribution
analogue. Le tabernacle est au centre ; Iahvé trône ainsi au milieu de son
peuple. La tribu de Lévi remplit autour de l'arche la position d'une garde et
aussi d'une équipe de porteurs. Symétriquement, à l'entour, sont rangées les
douze tribus. Juda, comme on devait s'y attendre, occupe la place d'honneur.
L'auteur du Deutéronome avait eu un concept analogue[9], et en avait
déduit des règles de propreté, très particulières et qui font sourire. Chez
le rédacteur du code lévitique, cela devient un plan géométral, absolument
semblable à la carte de Palestine et à l'esquisse de La description des habits sacerdotaux est de la même provenance que celle du tabernacle. Tout cela suppose un art du tapissier et du décorateur poussé assez loin. Les influences égyptienne, assyrienne, tyrienne, s'y croisent ; les données égyptiennes, cependant, l'emportent. Le goût égyptien dominait encore dans tous les ouvrages d'art et d'industrie. Un culte somptueux, un riche système de fêtes, étaient essentiellement dans l'esprit des organisateurs religieux de ce temps. Nous avons vu Ézéchiel[10] cantonner les lévites dans une partie déterminée du domaine sacré (évidemment aux environs de Jérusalem), où ils auront des villages pour demeures. Cette idée fut développée et aboutit, dans la nouvelle Thora, à la conception bizarre des villes lévitiques, autre impossibilité qui n'a jamais rien eu à faire avec l'ordre de choses réelles[11]. On supposa que Moïse avait ordonné qu'après la conquête du pays de Chanaan, on séparât des différentes tribus quarante-huit villes, qui seraient réservées aux lévites ; il fut admis que Josué avait exécuté cet ordre. Voilà sûrement une rêverie sacerdotale de premier ordre,. une des recettes les plus singulières qu'on ait imaginées pour sortir d'un embarras social intolérable. Loin d'être les déshérités, les lévites, en supposant. un tel arrangement, eussent été les plus riches des Israélites. C'est là un expédient de la dernière heure, ou plutôt une solution sur le papier qui ne fut jamais exécutée. Si une institution de ce genre avait existé avant la captivité, comment est-il possible que le Deutéronome n'en ait rien su ? Les villes qui, au chapitre XXI de Josué, sont données pour lévitiques figurent, dans l'histoire d'Israël, à la façon de villes comme d'autres ; plusieurs n'étaient pas même conquises du temps de Josué. Après le retour des captifs, nous voyons bien les lévites parqués dans les villages voisins de Jérusalem[12], mais jamais avec la régularité et le caractère légal que supposent les interpolations lévitiques du livre des Nombres et de Josué. Il est évident que la conception dont il s'agit n'a eu qu'un objectif, résoudre dans le sens indiqué par Ézéchiel ce problème lévitique, qui, depuis Josias, était la préoccupation constante des organisateurs religieux de Juda. Les impossibilités géométriques du passage Nombres, XXXV, 4-5, rappellent bien celles qui sont familières à Ézéchiel. L'année jubilaire[13] est la plus
hardie des utopies qu'engendra, en ses derniers jours, l'esprit hautement
socialiste de l'école prophétique. Le plus ancien code d'Israël connaissait
l'année sabbatique, c'est-à-dire le repos de chaque septième année. Ce
n'était là qu'un vœu théorique, qui, bien que renouvelé par le Deutéronome,
ne fut jamais pratiqué. Les utopistes du Ve siècle le prirent au sérieux,
l'épaulèrent d'un miracle[14] ; puis ils
allèrent plus loin. Ils voulurent que, chaque cinquantième année, le monde
retournât en quelque sorte périodiquement à ses origines, que les esclaves
redevinssent libres, que les terres fissent retour à leur ancien
propriétaire. Combinée avec la prescription de l'année sabbatique, cette loi
faisait une constitution économique absolument impraticable. Non seulement
jamais nation n'a vécu sous un pareil régime[15] ; mais il est
permis de dire que jamais homme sensé n'a pris la plume pour écrire de
pareilles choses en croyant qu'elles doivent être appliquées. Tout cela ne
fut pas écrit dans une charte en train de se faire. Ces conceptions bizarres
du tabernacle portatif, des villes lévitiques, de l'année jubilaire, aussi
éloignées que possible de tonte pensée d'application, sont des sœurs
évidentes de Une hypothèse qui groupe bien toutes ces données convergentes est de supposer que, près d'Ézéchiel et sous son influence, il s'écrivit une Vie de Moïse, compilée d'après les textes anciens, avec toutes les additions que les besoins du temps rendaient nécessaires. La forme était, en quelque sorte, anecdotique. Chaque solution légale était amenée par un cas qui était censé s'être présenté à Moïse ou à Josué. Ces solutions étaient toutes conçues dans un sens favorable aux prétentions du haut sacerdoce aharonide et avec une nuance prononcée de haine contre les officiants du temple ou Beni-Qorah. Là figuraient les récentes inventions sur le tabernacle, sur le rôle d'Aaron, sur le grand prêtre et les habits sacerdotaux, sur les villes lévitiques. Là étaient l'histoire du lévite Qorah, destinée à montrer qu'or ne peut sans un vrai sacrilège attribuer aux lévites les privilèges des prêtres. Les anciens récits s'y retrouvaient amollis et transformés en histoires pieuses à tendance. Ainsi on y lisait une version très affaiblie des épisodes de Balaam[17], des filles de Selofhad[18]. De même que l'auteur du Deutéronome avait repris presque toutes les vieilles lois du Livre de l'Alliance, pour les rajeunir et les développer ; de même le nouveau législateur embrassa dans son cadre une foule de prescriptions antérieures, comme s'il eût supposé que les autres codes étaient inconnus ou que le sien servirait seul. Vu le nombre extrêmement petit des livres, on voulait que chaque volume renfermât tout ce qui se rapportait à un sujet. Comme, plus tard, les derniers arrangements de l'Hexateuque se firent sans tenir compte de ces doubles emplois, il en résulta d'étranges répétitions. Presque toutes les lois importantes reviennent trois fois : une première fois dans leur forme antique (Livre de l'Alliance, ou Décalogue), puis dans la forme deutéronomique, puis dans la forme lévitique ou sacerdotale[19]. Le Décalogue lui-même, qui avait été repris par le Deutéronome, fut repris deux ou trois fois par les remanieurs sacerdotaux[20]. L'esprit moral du Lévitique diffère peu de celui du Deutéronome. Le fanatisme et le formalisme sont les mêmes[21]. L'impression laissée par les réformateurs de 622 avait été telle que, cinquante ans après eux, on ne faisait que les répéter. La pitié, l'humanité, sont poussées aussi loin que possible, toujours, naturellement, dans le sein de la famille israélite. Le pauvre est entouré de tant de garanties qu'on se demande quelle serait, dans une société faite sur ce modèle, le privilège du riche. La terre n'est pas réellement vendue[22] ; elle n'appartient qu'à Dieu ; le propriétaire n'est que le tenancier de Dieu. Celui qui est forcé de vendre sa propriété garde de telles hypothèques sur elle qu'on ne voit pas bien qui sera tenté de l'acheter. Le chapitre XXV du Lévitique est un vrai titre de code civil, où la considération d'humanité prime sans cesse le droit strict. L'Israélite, devenu pauvre ou affaibli par l'âge, doit être assisté par la commune, de manière à ce qu'il ait l'existence d'un homme vivant de son travail. L'usure est interdite entre Israélites. Le frère obligé de se vendre doit être accepté comme un mercenaire jusqu'au jubilé ; l'Israélite ne peut réellement pas être esclave d'Israélite. L'esclavage israélite ne peut se recruter que chez les peuples voisins et parmi les enfants d'étrangers établis dans le pays. Aux esclaves provenant de ces catégories, toutes les duretés de l'esclavage sont applicables ; on peut se les transmettre en héritage à perpétuité ; pour eux point de jubilé. Au contraire, il y a rachat et jubilé pour l'Israélite devenu esclave d'étrangers établis dans le pays. L'Israélite ne peut être que le mercenaire de l'étranger ; on ne doit pas souffrir qu'il soit traité avec dureté. Au jubilé, l'étranger perd ses droits. Cette loi, on le voit, est une loi de confrérie, non une
loi de nation. Elle se rapproche fort des idées qui dominent dans certains
cercles socialistes. Inutile de dire que nulle culture d'esprit, nul art,
nulle science, nulle philosophie, aucune de ces fleurs exquises que Qui maintiendra ce bel idéal ? Qui protégera ces petits paradis de frères vivant ensemble, contre les attaques de la force extérieure ? Voilà ce dont le socialiste juif ne s'inquiète pas. Les grands empires, fondés sur des classes militaires, sont. chargés de ce soin. De là une attitude humble et hautaine à la fois devant les aristocraties militaires, qui froisse nos instincts. Israël se dit toujours au fond qu'il a la meilleure part et que, malgré sa position subordonnée, le monde n'existe que pour lui. Il est plein de pitié pour ces pauvres fous qui passent leur vie à se mettre en pièces, au lieu de goûter, comme lui, les douceurs de la vie pacifique. Puis, quand l'empire qui lui servait d'abri s'écroule, il éclate de rire ; il s'écrie que toutes les nations[23] travaillent pour le feu, s'épuisent pour le vide. Il oublie que, sans cet abri d'une grande société civile et militaire, sa Thora serait inapplicable. Toutes les moineries en sont là. L'Église catholique, si dédaigneuse pour l'État, ne saurait vivre sans l'État. Si le socialisme pouvait arriver à quelque organisation, ses phalanstères, groupes, syndicats, existeraient dans l'État comme de petits égoïsmes, très peu soucieux de l'intérêt commun. Et, quand on leur ferait remarquer que les défenseurs de l'État ont bien droit à quelques privilèges, puisque ce sont eux qui empêchent la ruche d'être détruite et piétinée, ils répondraient sans doute, comme Ézéchiel, par des prédictions apocalyptiques sur la fin des nations et les futures transformations du monde. Ils n'auraient pas la franchise d'avouer, comme Ézéchiel, qu'il faudrait auparavant subir les invasions de Magog. Les Jérusalem idéales portent malheur. Elles amènent toujours pour les Jérusalem réelles l'atrophie, les catastrophes et finalement la ruine, l'incendie. Que dire de l'énorme contresens qu'on a fait en transportant au sein de la grande société une loi faite pour une petite communauté de frères ? C'est comme si l'on appliquait les constitutions d'un ordre religieux à un empire, à une nation. L'interdiction de l'usure, par exemple, est la chose du monde la plus conséquente dans la loi de charité rêvée par les utopistes hébreux. Elle devient funeste, si on l'érige en règle générale de la société. Les vieilles lois hébraïques à cet égard sont parfaitement raisonnables ; l'usage qu'en a fait, au moyen âge, le monde devenu chrétien a été funeste. Tant il est vrai que les lois d'Israël ne sont pas de vraies lois civiles, susceptibles d'être adoptées par un état ! Ce sont des rêves, souvent de beaux rêves, qui, transformés en législation positive, n'ont pas été sans danger. En somme, la charité, la bonté pour le faible, doivent beaucoup à Israël. Le droit ne lui doit rien. Ce code de Gortyne, dont on possède le texte original[24], est à peu près contemporain du code juif sacerdotal. Il lui est supérieur par la claire notion de la société civile, c'est-à-dire d'une société fondée sur la parenté humaine et la raison, non sur un fait surnaturel, la préférence supposée qu'un dieu très puissant aurait eue pour une certaine tribu. Aucun peuple, si ce n'est Israël, n'a interdit l'usure entre nationaux. L'interdiction, si humaine en apparence, du code juif a eu, en définitive, plus d'inconvénients que d'avantages. Car la permission de l'usure avec les étrangers s'en est trouvée soulignée, et, par une suite de singuliers contrecoups, le peuple qui a le plus stigmatisé l'usure s'est trouvé poursuivi par l'injuste épithète d'usurier[25]. Ajoutons que ces lois juives sur l'usure ont rendu au monde un mauvais service ; car, le christianisme les ayant adoptées, et la chrétienneté étant devenu d'abord une partie des plus considérables, puis la totalité de l'humanité progressive, le monde a subi, pendant des siècles, une loi très mauvaise, l'interdiction du prêt à intérêt, qui a prolongé considérablement le moyen âge et retardé de mille ans la civilisation. Sans aboutir à un ouvrage aussi nettement dessiné que le Deutéronome,
un nouveau code, par le fait, naissait en Israël. Beaucoup de tâtonnements se
produisaient. La refonte de Quoi de plus singulier, par exemple, que ce petit code, complet à sa manière, qui se trouve encastré dans le Lévitique actuel, du chapitre XVIII au chapitre XXVI ? Ces chapitres forment un livre ayant son unité et présentant les mêmes expressions caractéristiques d'un bout à l'autre ; or ces expressions sont justement celles qu'affectionne Ézéchiel, et on ne les retrouve presque point ailleurs. On est donc amené à supposer que le petit livre contenu dans les chapitres XVIII-XXVI du Lévitique n'est qu'un remaniement postérieur du morceau d'Ézéchiel contenu dans les chapitres XL-XLVIII. On a pu penser que c'est Ézéchiel lui-même qui composa cette espèce de mise au net, avec quelques modifications, de sa méditation primitive, en l'enrichissant d'emprunts faits à des écrits plus anciens[26]. Il vaut peut-être mieux croire que l'opuscule en question fut composé d'après les écrits d'Ézéchiel par un de ses disciples[27]. L'institution du grand prêtre, l'origine aharonide du sacerdoce, le tabernacle, les villes lévitiques, y sont mentionnés. L'écrit se donne pour un résumé complet des lois révélées par Iahvé à Moïse sur le Sinaï. Ce fut un nouveau Deutéronome approprié au temps et supposant que le code de Josias n'était pas fort lu. Des menaces finales (ch. XXVI) prouvent que ces petites Lois, créées à neuf et formant des ensembles, étaient en quelque sorte un genre de littérature assujetti à des règles et ayant ses parties fixes. Chacun refaisait sa Thora, et beaucoup de ces compositions éphémères ont sans doute disparu pour nous[28]. Les vingt ou vingt-cinq années qui suivirent la
transportation furent, de la sorte, une époque de haute activité créatrice.
Presque toute la partie sacerdotale et lévitique de |
[1] Nombres, III, IV, XVIII, etc.
[2] I Chron., VI, 33 et suiv. ; IX, 19 ; XXVI, 1 ; II Chron., XX, 19 ; titres de onze psaumes.
[3] Nombres, XVI, où l'on voit clairement l'enchevêtrement du vieux récit jéhoviste sur Datan et Abiram et de la légende moderne hostile aux Qorachites.
[4] L'histoire de Joas, pleine d'invraisemblance, a été retouchée après la captivité dans un esprit sacerdotal. Les Chroniques l'ont tout à fait lévitisée.
[5] La liste des grands prêtres (I Chron., V, 30 et suiv., Esdras, VII, 1 et suiv.) est pleine de difficultés insolubles.
[6] Lévitique, XXI, 10 et suiv. Cf. Lévitique, IV, 2 et suiv. ; VI, 15 ; VIII, 12 et suiv., 30 ; Nombres, XXXV, 25, 28 ; Josué, XX, 6.
[7] Exode, XXV et suiv.
[8] Nombres, ch. I, II, III.
[9] Deutéronome, XXIII, 10-15. Il y a peut-être là quelque interpolation lévitique.
[10] Ézéchiel, XXV, 5.
[11] Lévitique, XXV, 32 et suiv. ; Nombres, XXXV, 1 et suiv. ; Josué, XXL.
[12] Esdras, II, 70.
[13] Lévitique, XXV, 8-17, 39-11, 51 ; XXVII, 17 et suiv. ; Nombres, XXXVI, 1.
[14] Lévitique, XXV, 20 et suiv.
[15] L'année sabbatique fut pratiquée après l'exil (Néh., x, 32 ; I Macch., VI, 49, 53 ; Josèphe, Ant., XIII, VIII, 1 ; XIV, X, 6, 16 ; XV, I, 2 ; B. J., I, II, 4), sans doute avec bien des atténuations ; l'année jubilaire ne le fut jamais.
[16] Ézéchiel, XLVI, 17.
[17] Nombres, XXXI, 8 ; Josué, XIII, 22.
[18] Nombres, XXVII, XXXVI ; Josué, XVII.
[19] Ainsi la loi sur les villes de refuge : première forme, Exode, XXI, 13 ; deuxième forme, Deutéronome, XIX, (cf. IV, 41) ; troisième forme, Nombres, XXXV, et Josué, XX.
[20] Exode, XXXIV, et même dans le petit Lévitique.
[21] Lévitique, XXIV, 10 et suiv.
[22] Lévitique, ch. XXV.
[23] Jérémie, LI, 58.
[24]
Rodolphe Dareste,
[25] Il serait long d'expliquer toutes les phases de ce singulier malentendu. En réalité, la dévolution des affaires d'argent aux juifs date du moyen âge et des impossibilités que le droit canonique créait aux chrétiens pour toute affaire d'argent. Cela commença en Espagne, sous les Visigoths.
[26] C'était l'opinion de Graf, de Kayser. Quoi de plus frappant à cet égard que le passage Ézéchiel, XLVI, 17, où nous trouvons une allusion à l'institution longuement développée dans Lévitique, ch. XXV ?
[27] C'est l'opinion de MM. Reuss, Horst, Wellhausen.
[28]
La fusion de ces nouveaux éléments de législation religieuse dans le corps déjà
existant de
[29] En comprenant sous ce mot les parties lévitiques de l'Exode, des Nombres et de Josué.