HISTOIRE DU PEUPLE D’ISRAËL

TOME TROISIÈME

LIVRE V. — LE ROYAUME DE JUDA SEUL

CHAPITRE XV. — LA NOUVELLE THORA.

 

 

Toutes les réformes de Josias furent faites en exécution d'une loi de Iahvé, censée révélée à Moïse. Avant le règne de Josias, on avait souvent parlé d'une Loi ou Thora de Iahvé, renfermant l'ensemble de ses volontés, son pacte en quelque sorte avec Israël. La rédaction de l'Histoire sainte dite jéhoviste contenait un petit code de ce genre appelé le Livre de l'alliance (Exode, ch. XXI-XXIII), conçu particulièrement au point de vue du royaume d'Israël et censé révélé au Sinaï. La rédaction élohiste contenait des prescriptions morales analogues (ce qu'on appelle Décalogue, Exode, ch. XX), d'un caractère plus général, censées également révélées au Sinaï. Les deux petites législations religieuses étaient réunies et se complétaient l'une l'autre dans le texte combiné que nous croyons avoir été fait sous le règne d'Ézéchias. Le temple vit aussi se former, probablement du temps d'Ézéchias, des espèces de décrétales attribuées dès lors à Moïse[1] et relatives à certains points spéciaux, par exemple les règlements concernant les lépreux, la liste des animaux impurs. Il y avait, en outre, des poèmes moraux, des Psaumes, ayant la prétention de renfermer en quelques articles l'enseignement moral de Iahvé.

Tout cela constituait un ensemble suffisant pour justifier des phrases comme celles-ci : observer la loi de Iahvé... conformément à la loi, c'est-à-dire aux préceptes de Iahvé. Il n'y avait pas, cependant un livre qui pût précisément s'appeler la Thora. Il faut se souvenir, d'ailleurs, que la vieille Histoire sainte avait une publicité très restreinte, qu'il n'en existait peut-être qu'un seul exemplaire, que le livre à cette époque était comme la stèle de pierre, une chose sans seconde. Nous l'avons déjà dit : on ne savait pas ce que c'était que recopier. Quand on devait recopier un livre, on faisait un autre livre, en ajoutant, en retranchant, en combinant. Parmi les inscriptions d'Asoka, qui sont ce que nous appellerions des affiches et qu'on s'attendrait à trouver partout les mêmes, il n'y en a pas deux qui soient identiques. L'ancienne Histoire sainte était ainsi presque inconnue. L'intention du parti piétiste étant de frapper un grand coup, son plan consista bien moins à tirer de l'oubli les parties législatives de l'ancien texte, qu'à composer un texte nouveau où les prescriptions anciennes fussent enchâssées d'une façon mieux accommodée aux idées du temps.

Le besoin d'un tel livre se faisait particulièrement sentir depuis que l'activité religieuse de l'entourage de Josias avait singulièrement perfectionné et complété la religion. On voulait un livre qui résumât tout l'idéal législatif de l'école théocratique, la règle d'un État parfait selon Iahvé. Naturellement, la révélation de ce code fut attribuée à Moïse, selon une idée qui remontait aux temps les plus anciens des traditions d'Israël. Mais la révélation du Sinaï (ou comme on disait alors, du Horeb[2]) était regardée comme un fait complet et achevé[3]. On supposa donc une seconde révélation plus compréhensive que la première, que Iahvé aurait faite à Moïse au delà du Jourdain, dans la plaine d'Arboth Moab, avant le moment solennel de l'entrée dans la terre promise. Très peu de personnes étaient en mesure de soulever une objection capitale, qui eût été d'opposer le texte ancien au texte nouveau. La nouvelle révélation, d'ailleurs, n'excluait pas l'ancienne ; elle était censée n'en être que la conclusion et le résumé[4]. Enfin l'intrigue pieuse d'où sortit le texte nouveau avait probablement pour complices toutes les personnes qui connaissaient les vieux livres et qui eussent pu provoquer à la comparaison. Sans parler de Jérémie, qui paraît avoir été l'âme de toute cette fraude, nous y voyons figurer en première ligne le chef des prêtres Helqiah, le sofer Safan fils d'Asaliah fils de Mesullam, deux grands personnages, Ahiqam fils d'un autre Safan, et Akbor fils de Mikaïah, un officier royal nommé Asaïah, enfin la prophétesse Hulda, femme du maître de la garde robe, Sallum fils de Tiqva fils de Harhas.

Un jour donc, en la dix-huitième année du règne de Josias (622 avant J.-C.)[5], le roi ayant vingt-cinq ans, le sofer Safan fils d'Asaliah vint au temple surveiller la comptabilité des travaux qui s'exécutaient, et s'entendre à ce sujet avec Helqiah. Quand les affaires furent réglées, le prêtre lui fit une confidence des plus singulières :

J'ai trouvé dans le temple le livre de la Loi.

Helqiah donna en même temps le livre à Safan, qui le lut. Safan, après avoir fait son rapport au roi sur les travaux, ajouta : J'ai là un livre que m'a donné le prêtre Helqiah, et il le lut devant le roi. Or, lorsque le roi eut entendu les paroles du livre de la Loi et les menaces qui les accompagnaient, il déchira ses vêtements, et il dit au prêtre Helqiah, et à Ahiqam, et à Akbor, et à Safan le sofer, et à Asaïah : Allez consulter Iahvé pour moi et pour tout Juda, au sujet des paroles du livre qui vient d'être trouvé ; car c'est une terrible chose que la colère de Iahvé, qui s'est allumée contre nous, parce que nos pères n'ont pas obéi aux paroles de ce livre. Le roi n'avait pas de doutes sur l'authenticité du livre ; mais, comme il était clair que, depuis l'avènement de Manassès, au moins, on n'avait pas pris les choses avec tant de rigueur, il se demandait si Iahvé reviendrait sur ses menaces et s'il valait la peine de se convertir, puisque le mal était fait. Les envoyés de Josias allèrent trouver la prophétesse Hulda, qui demeurait à Jérusalem, dans le quartier appelé Misné ; ils lui exposèrent l'affaire. La prophétesse, d'accord avec Jérémie, répondit que Iahvé était justement irrité, mais qu'on l'apaiserait en revenant à l'observation stricte de la Loi[6].

Le nouveau code fut adopté comme le programme du iahvéisme réformé que les piétistes de la nouvelle école voulaient introduire. Selon le récit du Livre des Rois, Josias fit assembler tous les habitants de Jérusalem. On lut devant eux les paroles du livre de pacte trouvé dans le temple. Le roi, debout sur l'estrade, proclama le pacte avec Iahvé, consistant à suivre Iahvé de cœur et d'âme, à garder ses commandements, préceptes et ordonnances, selon qu'il est écrit dans ce livre. Tout le peuple conclut le pacte, et Israël fut consacré de nouveau à Iahvé, comme on croyait qu'il l'avait été du temps de Moïse et de Josué.

On ne saura jamais avec la précision exigée par nos habitudes historiques les circonstances de cet événement. Ce qu'il y a de sûr c'est que le volume découvert si à propos par Helqiah, nous le possédons. C'est l'ouvrage parfaitement un, parfaitement bien composé, qui s'étend depuis le verset 45 du chapitre IV de la section de l'Histoire sainte appelée Deutéronome par les traducteurs grecs, jusqu'à la fin du chapitre XXVIII de cette même section[7].

Le code en question a la prétention d'être le code suprême, non le code unique d'Israël. Le pacte du Sinaï ou du Horeb dure encore[8]. La loi révélée à Arboth Moab n'en est qu'une nouvelle publication ; mais cette nouvelle publication rend inutile la première. La base du pacte de Iahvé avec le peuple est le Décalogue tel que le donnait l'ancien texte[9]. Ce document capital est reproduit avec des variantes insignifiantes. Pour les lois, le nouveau code innove très peu. Sur presque tous les points, il ne fait que relever les prescriptions du Livre de l'Alliance[10]. Il a sûrement copié sa liste des bêtes pures et impures dans un texte plus ancien[11], qu'il a corrigé et écourté. Sur une foule de points de casuistique, il n'a fait qu'abréger des règlements antérieurs. Pour les lépreux[12], il renvoie à un code, que nous trouvons en effet ailleurs[13].

Ce qui appartient bien à notre auteur c'est le Sekenza, la pierre angulaire du judaïsme, la courte formule de son Credo, à travers les siècles[14] :

Écoute, Israël : Iahvé notre Dieu est Iahvé tout court[15]. Tu aimeras Iahvé ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, et de toutes tes forces. Que les choses que je te prescris aujourd'hui soient toujours présentes à ta pensée. Tu les inculqueras à tes fils et tu en feras ton entretien, quand tu demeureras dans ta maison, et quand tu seras en voyage, en te couchant, en te levant. Tu les attacheras en signes sur tes mains, en bandeau sur ton front ; tu les écriras sur les jambages de ta maison et sur tes portes[16].

En prenant ce précepte à la lettre et en l'exécutant d'une façon toute matérielle, le judaïsme a montré une sorte de sagacité historique. La Thora découverte (c'est-à-dire fabriquée) sous Josias a été la base de la religion particulière qui s'est fondée au VIIIe et au VIIe siècle avant Jésus-Christ, en Palestine. Cette Thora a été la pire ennemie de la religion universelle que rêvaient les prophètes du vine siècle ; Jésus n'a pu faire triompher l'esprit des grands prophètes qu'en la brisant, en la niant en face. Mais les choses humaines sont composées de matière et d'esprit. La liberté et la chaîne, ce qui excite et ce qui retient, le sublime et le terre-à-terre sont également nécessaires pour construire un grand ensemble qui vive. Sans la méticuleuse Thora, les ardentes prédications des prophètes fussent restées infécondes ; elles seraient à l'état de tant d'autres manifestations de l'esprit, hautes en leur temps et dont la trace même est perdue.

Le Iahvé de la Thora née sous Josias, comme celui de Jérémie, est en même temps le Dieu du ciel et de la terre et le Dieu d'Israël. C'est, à la fois, le Dieu universel, comme tel absolument juste, et un dieu provincial, souverainement injuste[17]. Quand il s'agit de son peuple, il est égoïste, immoral. Pour prix d'une fidélité peu méritoire, puisqu'elle est intéressée, il promet à Israël le comble du bonheur humain ; ce comble du bonheur, c'est de posséder de grandes et belles villes qu'il n'aura pas bâties, des provisions qu'il n'aura pas amassées, des citernes qu'il n'aura pas creusées, des vignes et des oliviers qu'il n'aura pas plantés[18]. Ces récompenses ordinaires de la bravoure et du travail sont ici la récompense d'une vertu théologique, la croyance à un seul Dieu, unique en son nom. Iahvé est fidèle ; il garde son pacte. Il aime Israël, il a juré ; cela suffit. Ce n'est pas un mérite quelconque d'Israël qui lui vaut ces faveurs ; c'est le choix libre de Iahvé.

Le crime par excellence est de s'attribuer quelque chose. Celui qui dit : C'est par ma propre force que je me suis procuré tout cela, fait un vol à la gloire de Iahvé. Ce Dieu jaloux donne tout à ceux qui le servent, tout excepté l'impossible, c'est-à-dire l'immortalité ; ils ont la vie, la forte multiplication de la race, la prospérité parfaite, la pluie en son temps, tous les biens de la terre[19]. Le monde n'existe que pour eux : Vous dévorerez tous les peuples que Iahvé, votre Dieu, vous livre ; votre œil n'aura pas pitié d'eux[20].

Une législation fondée sur de telles prémisses ne pouvait être tolérante. Les mesures de précaution pour maintenir le monothéisme iahvéique sont empreintes d'une férocité extrême. Sous ce rapport, l'auteur du code deutéronomique n'a pas été dépassé, même par le code de l'inquisition dominicaine, au XIIIe et au XIVe siècle. Extermination des infidèles[21], défense de tout rapport avec eux, interdiction des mariages mixtes, par suite de cette idée que les infidélités religieuses sont la conséquence des séductions féminines ; broiement impitoyable de tout objet idolâtrique, iconoclastie absolue. Vous exterminerez le mal d'au milieu de vous, telle est la formule sanglante par laquelle sont motivés ces arrêts. Les accusations pour crime contre le iahvéisme entraînent les plus terribles solidarités. Un prophète, même thaumaturge, qui prêcherait d'abandonner Iahvé, doit être mis à mort[22].

Si ton frère, le fils de ta mère, ou ton fils, ou ta fille, ou la femme de ton sein, ou l'âme qui est comme ta propre âme, voulait te séduire secrètement en disant : Allons servir d'autres dieux..., tu ne l'écouteras pas. Vous n'aurez pas pitié d'un tel être ni ne l'épargnerez ; au contraire, vous devez le faire mourir. Ta main sera la première à lui donner la mort ; les mains du reste du peuple l'achèveront. Vous l'assommerez de pierres, parce qu'il a cherché à vous détourner de Iahvé. Que tout Israël l'apprenne pour l'exemple[23].

Plus terrible encore est le cas d'une ville d'où sort un séducteur. L'enquête ayant été faite, si l'accusation se trouve vraie :

Vous ferez passer au fil de l'épée les habitants de cet endroit, en les mettant au hérem avec tout ce qui se trouve dans la localité et en égorgeant les bêtes ; puis vous amasserez tout le butin au milieu de la place, et vous brûlerez la ville ainsi que tout le butin comme un holocauste à Iahvé. La ville sera à jamais un monceau de ruines, elle ne sera pas rebâtie.

On frémit quand on songe que, dans ces sortes d'enquêtes, il suffisait de la dénonciation de deux ou trois témoins, avec la garantie assez illusoire que les témoins jetteraient la première pierre[24]. Deux personnes qui s'entendaient pouvaient perdre un homme sans appel. Au VIIe siècle avant Jésus-Christ, nous croyons que ces textes-là ne tuèrent personne. C'étaient des utopies, prouvant beaucoup de naïve imprudence chez ceux qui les imaginaient ; ce ne furent pas des lois réelles, régulièrement appliquées. C'est déjà beaucoup qu'il y ait eu des fanatiques pour faire ces mauvais rêves. Deux mille ans plus tard, ces textes malsains devaient porter leurs fruits. Ils envoyèrent, en particulier, au bûcher, des foules de malheureux israélites. Notre Occident, avec sa lourde bonhomie, n'a pu comprendre que, par simple figure de style et par hyperbole, on ait écrit de telles horreurs, avec l'arrière-pensée qu'il n'y aurait personne pour les appliquer et les prendre au sérieux. Le terrible Directorium inquisitorum de Nicolas Eymeric est calqué sur le Deutéronome, et cette fois, des milliers d'infortunés furent victimes de la coupable légèreté de notre rêveur.

Les institutions judiciaires étaient, du reste, la partie la plus défectueuse de ces vieux codes. L'ordalie, base du Livre de l'Alliance, n'est pas commandée par la nouvelle législation ; mais, dans les cas difficiles, on doit aller à Jérusalem exposer l'affaire aux prêtres lévites et au juge du temps ; celui qui ne leur obéirait pas doit être mis à mort[25]. D'autres textes prouvent, du reste, que l'ordalie, en particulier celle des eaux amères pour la femme accusée d'adultère, continuait d'être en usage[26].

La conception de la royauté est bien celle que devait se former un anav, un ébion, ennemi du faste et de l'apparat. Le roi sera choisi par Iahvé ; il sera choisi parmi ses frères d'Israël[27]. Le luxe des chevaux est signalé comme un danger ; si le roi s'y abandonnait, il serait capable, pour s'en procurer, de ramener le peuple en Égypte. Or, c'est là un chemin qu'il ne faut plus reprendre[28]. Le roi doit s'interdire les harems nombreux. Il ne doit pas posséder trop d'or ni d'argent. Il doit éviter l'orgueil et ne pas dédaigner ses frères, pour qu'il règne longtemps. Il se procurera une copie de cette loi, dont il demandera le texte aux prêtres lévites. Il l'aura toujours par devers lui et la lira pour l'observer de point en point. On sent un esprit fortement antimilitaire. Le piétiste veut un roi à son image. Mais c'est là de sa part une grande inconséquence. Le roi est surtout établi pour les cas de guerre[29]. Or la guerre est une chose de race. Le tempérament militaire est affaire d'hérédité et d'éducation. Une caste militaire ne saurait se laisser morigéner par des saints ; un roi ne doit tenir le programme de sa maison ni de démocrates ni de bigots.

Toutes les innovations religieuses de Josias se retrouvent dans le code qui fut l'œuvre de Ses conseillers. L'invraisemblance et le manque de couleur locale eussent été trop choquants si Moïse, avant le passage du Jourdain, eût désigné Jérusalem pour le lieu unique du culte. D'un autre côté, la singulière invention par laquelle on chercha à rendre concevable l'unité du lieu de culte dès les temps mosaïques, la fiction du tabernacle, n'était pas née encore. L'auteur du code deutéronomique se sert d'une expression indéterminée : A l'endroit que Dieu choisira, d'entre vos tribus, pour y établir son nom et pour y demeurer[30]. Cet endroit sera le seul où l'Israélite pourra offrir ses holocaustes, ses sacrifices, ses dîmes, ses prémices, ses offrandes votives et volontaires, les premiers-nés de son gros et menu bétail. Les trois grandes fêtes de l'année doivent s'y célébrer en famille, avec les lévites, devant Iahvé[31]. Nous l'avons déjà dit, le monde auquel convenait un tel code était extrêmement petit.

Ce devait être un étrange et touchant spectacle que celui de ces familles en voyage avec leurs offrandes, leur batterie de cuisine, leur clientèle de lévites et de pauvres[32]. Les festins autour du temple, pleins de joie pieuse et de confiance en Iahvé, laissaient un précieux souvenir. A Jérusalem, les prêtres du temple s'y joignaient ; ces jours-là les lévites étaient rassasiés, ce qui n'arrivait pas fréquemment. Vous ferez vos festins en présence de Iahvé, votre Dieu, et dans ces repas vous vous réjouirez, vous et vos familles, avec tout ce que vos mains auront acquis et en quoi Iahvé vous aura bénis[33].

Il est clair qu'une telle vie de voyages continuels n'aurait pu être bien longtemps la règle d'une société. II faut toujours se souvenir que ces lois représentent un état de choses que l'homme de Dieu aurait désiré voir établi bien plutôt qu'un état réel ayant eu de la durée. Il faut se souvenir, d'ailleurs, que Josias mourut en 609, que sa mort fut suivie d'une réaction anti-piétiste qui ne finit qu'avec le royaume de Juda, si bien que le bel idéal rêvé par l'auteur du Deutéronome n'a guère duré que treize ans ; et certes plus de treize années eussent été nécessaires pour mettre en train un régime aussi extraordinaire et le faire fonctionner.

Le culte intérieur du temple de Jérusalem ne paraît avoir subi sous Josias que peu de changements. La théorie des sacrifices, dans le Deutéronome, est des plus simples. Ils sont de deux sortes : holocaustes où la victime est consumée ; sacrifices où l'animal est tué, puis mangé en famille[34]. On éprouva le besoin d'établir des règles pour le partage des viandes entre les prêtres et le fidèle qui offrait le sacrifice, mais sans entrer dans les détails qui plus tard furent jugés nécessaires[35]. Les préoccupations de l'auteur du Deutéronome, tout en étant sacerdotales à un haut degré, ne sont pas exclusivement liturgiques. Elles sont avant tout morales et puritaines. Les devins, les sorciers, les faux prophètes, la prostitution religieuse, l'érection des aseroth, les incisions au front et l'habitude de se taillader les cheveux, surtout l'horrible pratique de faire passer les enfants par le feu, voilà ce qu'il abomine[36]. C'était la reprise, avec une rigueur nouvelle, du programme de réforme essayé mollement sous Ézéchias.

La situation qu'avaient faite aux lévites les innovations de Josias entraînait les conséquences les plus singulières. Pour l'auteur du code deutéronomique[37], lévite est synonyme de prêtre ; son expression favorite est : prêtres lévitiques[38] ; il n'a pas l'idée d'une hiérarchie entre les cohanim. Le grand prêtre, évidemment, n'existait pas encore[39]. Tous les lévites, selon notre code, fonctionnent à l'autel. Le lévite à qui il plaît de venir de son village demeurer à Jérusalem prend rang immédiatement parmi ses frères, sert à l'autel, reçoit sa part comme les autres, indépendamment du prix qu'il a pu tirer de son patrimoine[40]. Ces lévites formaient ainsi comme une armée sacerdotale famélique, cantonnée en partie à Jérusalem, en partie dans les petites villes de province, et vivant en parasites du reste de la nation. L'auteur du code josiaque aime cette classe de déshérités. Il veut que la communauté les adopte. Vous vous réjouirez en présence de Iahvé, votre Dieu, vous et vos fils et vos filles, vos esclaves et vos servantes, et les lévites qui demeureront parmi vous[41], est pour lui une formule souvent répétée. La dîme et les prémices doivent être consommées à Jérusalem. Le cas où le fidèle demeure trop loin de Jérusalem est prévu ; il peut réaliser sa dîme en argent, qu'il dépensera ensuite à Jérusalem, toujours sans oublier les lévites[42]. Une dîme triennale (sorte d'aumône) doit de plus être abandonnée dans les villages, pour que les lévites, les étrangers, les orphelins et les veuves mangent et se rassasient[43]. Le caractère socialiste de toutes ces mesures frappe au premier coup d'œil le lecteur le plus superficiel. Il faut toujours se rappeler que de telles mesures sont conçues pour un État de proportions très réduites.

 

 

 



[1] Deutéronome, XXIV, 8.

[2] Le Horeb est étranger au jéhoviste et à l'élohiste. Les passages Exode, III, 1 ; XVII, 6 ; XXXIII, 6, paraissent venir de B. C'est dans la légende d'Élie (I Rois, XIX, 8) qu'on voit le Horeb apparaître comme montagne de Dieu. A partir d'une certaine époque, le Horeb supplanta la vieille gloire du Sinaï, et le deutéronomiste adopta cette tradition. Le nom du Horeb dans le passage I Rois, VIII, 9, est une correction deutéronomique. Les compositions plus modernes suivent le Deutéronome.

[3] Deutéronome, V, 2, 4 ; IX, 8.

[4] Deutéronome, I, 6 ; IV, 10, 15 ; V, 2 ; et surtout XXVIII, 69. Le Deutéronome suppose connue toute l'histoire de Moïse et même l'histoire patriarcale, telle qu'elle est donnée dans les livres plus anciens.

[5] II Rois, XXII, 3 et suiv. Cf. XXIII, 23.

[6] C'est là certainement ce que Jérémie eût répondu (morceau ch. III et IV, 14). L'auteur du Livre des Rois, persuadé que l'arrêt de Iahvé est prononcé depuis Manassès (II Rois, XXIII, 26 ; XXIV, 3-4) tourne la chose autrement. Tout le mal annoncé viendra ; mais Josias s'étant humilié devant Iahvé, les malheurs annoncés n'arriveront qu'après sa mort.

[7] Comp. II Rois, XXIII, 24, et Deutéronome, XVIII, 9 et suiv.

[8] Deutéronome, ch. V, plusieurs fois.

[9] Deutéronome, V, 6 et suiv. ; comp. Exode, ch. XX, 2 et suiv.

[10] Ainsi la limitation du droit de gage (Deutéronome, XXIV, 12 ; Exode, XXII, 25) ; l'interdiction de l'usure entre frères (Deutéronome, XXIII, 20- 21 ; Exode, XXII, 24) ; le droit de rachat pour l'esclave (Deutéronome, XV, 12-18 ; Exode, XXI, 1 et suiv.) ; les choses perdues et l'obligation de rendre service (Deutéronome, XXII, 1-4 ; Exode, XXIII, 4-5) ; le droit d'asile (Deutéronome, XIX, 5 ; Exode, XXI, 13) ; l'interdiction de cuire le chevreau dans le lait de sa mère (Deutéronome, XIV, 21 ; Exode, 19) ; le motif de bienveillance pour l'étranger tiré du séjour en Égypte (Deutéronome, X, 19 ; Exode, XXII, 20 ; XXIII, 9).

[11] Lévitique, ch. XI. L'interdiction des mélanges hétérogènes a aussi une physionomie plus ancienne dans le Lévitique, XIX, 19, que dans le Deutéronome, XXII, 9, 11.

[12] Deutéronome, XXIV, 8.

[13] Lévitique, XIII et XIV.

[14] Deutéronome, VI, 4 et suiv.

[15] Expression singulière reproduite dans Zacharie, XIV, 9, texte presque contemporain du Deutéronome. La nuance est qu'il n'y pas plusieurs Iahvés, comme il y a plusieurs Baal (Baal-Berith, Baal-Hermon, etc.), différenciés par des localités ou des nuances. Iahvé est Iahvé sine addito, simpliciter.

[16] Cf. Exode, XIII, 9, 13.

[17] Voir surtout Deutéronome, ch. X. On croit lire Jérémie.

[18] Deutéronome, VI, 10 et suiv.

[19] Deutéronome, IX, 1 et suiv.

[20] Deutéronome, VII, 16. Nombres, XIV, 9, est encore plus énergique. Comp. Nombres, XXIV, 8.

[21] Deutéronome, ch. VII.

[22] Deutéronome, XIII, 2 et suiv.

[23] Deutéronome, XIII, 7-12.

[24] Deutéronome, XVII, 6-7.

[25] Deutéronome, XVII, 8-13, article louche exprès ; semble fait pour augmenter la puissance royale et créer au roi une juridiction.

[26] Nombres, V, 11 et suiv., loi ancienne.

[27] Deutéronome, XVII, 14-20.

[28] Allusion aux essais d'alliance égyptienne, qui furent la grande préoccupation du règne de Josias, et auxquels Jérémie fut toujours opposé.

[29] I Samuel, VIII, 20.

[30] Deutéronome, XII, 5 et suiv.

[31] Deutéronome, ch. XVI.

[32] Voir surtout ch. XXVI. Comp. XII, 12 ; XIV, 29 ; XVI, 11, 14.

[33] Ch. XII. Comp. XV, 19-23, et les Psaumes lévitiques, par exemple, XXII, 27 ; XXIII, 1, 5 ; XXXVI, 9 ; CXXXII, 45.

[34] Deutéronome, XII, 11 et suiv. ; XIV, 22 et suiv ; XV, 19 et suiv. ; XVI, XVII, etc.

[35] Lévitique, I-IX, XII, XVI, etc. ; Nombres, XXVIII, XXIX, etc.

[36] Deutéronome, XII, 31 ; XIV, 20 et suiv. ; XVI, 21 ; XVIII, 9 et suiv.

[37] Deutéronome, XVII, 9, 18 ; XVIII, 1 et suiv. ; XXI, 5 ; XXIV, 8 ; XXVII, 9. Deutéronome, X, 6-9, parait une interpolation. Comp. Deutéronome, XXXI, 25.

[38] Voir surtout ch. XII, 10 et suiv. ; XVIII, 6 et suiv.

[39] Le rédacteur des Livres des Rois actuels, qui est postérieur à la captivité, place, par anticipation, des grands prêtres dans les temps plus anciens (Joïada, Helqiah, Seraïah).

[40] Deutéronome, XVIII, 6-8. La distinction marquée dans II Rois, XXIII, 9, fut peut-être une mesure transitoire.

[41] Deutéronome, XII, 12, etc.

[42] Deutéronome, XIV, 22 et suiv.

[43] Deutéronome, XIV, 26-29 ; XXVI, 12.