Ézéchias mourut â l'âge de cinquante-quatre ans, après vingt-neuf ans de règne. On ne sait pas où il fut enterré. A partir d'Ézéchias, la vieille sépulture des rois de Juda, au pied d'Ophel, fut délaissée. Peut-être ces sépultures offraient-elles plus d'une trace de paganisme, et les puritains crurent-ils devoir en dissimuler l'entrée[1]. Isaïe avait probablement devancé au scheol le roi dont il avait été l'intime conseiller. D'après les idées iahvéistes, Ézéchias n'avait pas eu le compte de jours auquel il avait droit, et, si le scheol n'avait pas été aussi dénué de conscience que le pensait Ézéchias lui-même, certes Isaïe aurait eu de la peine à expliquer pourquoi cette vie, si conforme aux voies de Iahvé, n'avait pas duré cent vingt ans. Ce qui dut être plus inexplicable encore aux yeux des iahvéistes, c'est que le règne du roi parfait fut suivi d'un règne beaucoup plus long (le plus long qu'on eût vu à Jérusalem), qui, en tout, présenta justement la contrepartie de la conduite d'Ézéchias. Menasse, qu'on a coutume d'appeler Manassès, n'avait que douze ans quand il devint roi. Sa mère s'appelait Hefsi-bah, c'est-à-dire Mon désir est en elle. Il régna cinquante-cinq ans à Jérusalem (696-641), sans qu'on sache de lui autre chose si ce n'est que sa conduite fut en tout le contraire de celle de son père. Les haines accumulées par le règne absolu des anavim portèrent leur fruit. Le parti des gens du monde, des lécim, qui, sans être des impies, avaient été froissés, peut-être vexés par les hypocrites, reprit le dessus. Le manque de documents ne nous permet pas d'énoncer même une conjecture sur la manière dont se passa cette révolution, très conforme du reste aux lois générales de l'histoire. Le jeune âge de Manassès en fut sans doute la cause principale. L'influence de Hefsi-bah, mère du jeune roi, devint prépondérante. Or les femmes, une reine surtout, ne devaient pas être favorables au mouvement des prophètes. Ces sordides porteurs de saq ne pouvaient guère être sympathiques aux gens bien élevés. Les prophètes de leur côté, étaient fort opposés aux concupiscences féminines. Isaïe, nous l'avons vu, traitait les femmes avec une extrême dureté. Ces grandes religions sémitiques organisées sont faites pour les hommes, non pour les femmes. L'ancien judaïsme[2], comme l'ancien islamisme[3], ne faisaient presque aucune place aux femmes ; aussi les femmes y furent-elles d'abord peu favorables[4]. Les classes dirigeantes, d'un autre côté, les militaires surtout, reprirent leur influence. Les sectaires qui avaient capté la faveur d'Ézéchias, et qui d'ailleurs n'avaient plus leur chef Isaïe, se trouvèrent, après la mort du roi, exposés à l'animadversion de ceux qu'ils avaient malmenés. Le coup de vent fut assez vif. Le parti opposé aux anavim arriva en masse au pouvoir. Les institutions judiciaires du temps, ou plutôt l'absence d'institutions judiciaires, laissaient place à un arbitraire terrible. Les procès à la porte de la ville étaient, comme les accusations devant l'agora dans les villes grecques, une menace suspendue sur la tête de tous[5]. Le grand devoir de Iahvé est de sauver ses serviteurs, quand ils sont en justice. La justice était le grand fléau du temps. Chacun courait risque d'être traduit à la barre du tribunal de ses ennemis. Le faux témoignage était la chose du monde la plus ordinaire ; le parti dominant tenait ainsi entre ses mains la vie de ses adversaires. Les fanatiques ne s'étaient pas privés de ce moyen pour se débarrasser de leurs ennemis. Les libertins, devenus tout puissants, rendirent cruellement la pareille à leurs anciens oppresseurs. Jusqu'où allèrent ces violences ? On n'a pas à cet égard de détails précis. Il est très possible que certains zélotes provocateurs aient expié les actes de prépotence qu'ils avaient commis sous Ézéchias, et que quelques saints personnages aient été victimes de leur zèle intempérant. Mais on sait combien les fanatiques sont prompts à se plaindre, quand on résiste à leur fanatisme. L'accusation d'avoir rempli Jérusalem de sang innocent, comme un vase où le liquide affleure[6] est sûrement exagérée. Jérémie, cent ans après, n'a que des allusions vagues[7]. Les fanatiques ont coutume de se dire opprimés, quand ils ne sont pas les maîtres ; la tolérance est ce qu'ils détestent le plus. Ils aiment mieux être vexés que mis par le droit commun sur un pied d'égalité avec ce qu'ils appellent l'erreur. On a toujours tort de les persécuter ; mais d'ordinaire il faut faire dans les malheurs qui les frappent une part à leurs taquineries. Ce qui paraît vrai, c'est que les violences de langage de l'école prophétique furent énergiquement réfrénées, et que Manassès pratiqua en réalité la tolérance, n'accordant aucun privilège exclusif au culte de Iahvé, et laissant librement pratiquer les rites païens que son père avait proscrits. Les lieux consacrés aux cultes profanes se rétablirent. Manassès ne se borna pas à laisser chacun de ses sujets adorer à sa guise. Lui-même paraît avoir été éclectique en religion. Dans l'enceinte du temple de Iahvé, il érigea des autels à Baal et aux dieux étrangers. Il se fit des aséroth comme en avait fait Achab. Une de ces images sculptées était dans le temple même. Les monothéistes juifs s'imaginaient volontiers que les dieux des nations n'étaient autre chose que des astres ; on prétendit que les deux cours du temple à avaient des autels pour toute l'armée céleste, et que le roi s'inclinait tour à tour devant ces stèles. Une accusation assurément plus grave, si elle ne fut pas une
calomnie, fut d'avoir fait passer son fils [aîné]
par le feu, c'est-à-dire de l'avoir sacrifié, en le brûlant à Iahvé ou à
Moloch, sans doute dans quelque péril extrême où il put se trouver. Il semble
que le VIIe siècle vit une sorte de recrudescence chez les Juifs de cet usage
hideux des anciens peuples sémitiques[8]. La vallée de
Hinnom, au sud de Jérusalem[9], en fut le
théâtre. Il y avait là, près de Manassès ne blessa pas moins les orthodoxes par son penchant pour la divination et la sorcellerie. Il consulta les revenants et les nécromanciens ventriloques, toutes choses que le iahvéiste pur trouvait condamnables au premier chef. Le nabi iahvéiste, primé ainsi par son rival, le qosem, rentra dans l'ombre. On ne parle pas, sous Manassès. d'un seul prophète s'occupant des affaires de l'intérieur, comme avaient été Isaïe, Michée, Osée, Amos. Nahum, le seul prophète de ce temps, est en quelque sorte un publiciste profane, sans aucune tendance ni messianique ni morale. Ce qui rendit cette crise tout à fait cruelle pour la conscience du vrai Israélite, c'est qu'elle fut excessivement longue. Elle dura près de soixante-quinze ans, le règne d'Amon et les premières années du règne de Josias, ayant eu le même caractère que celui de Manassès. Le prophétisme, durant ce temps, sembla se taire. Il fallut la ténacité extrême de l'esprit hébreu pour ne pas céder à une tentation qui atteignait sa croyance dans ses bases mêmes. Que dire, en effet, d'un Dieu qui n'a que la vie présente pour récompenser ses fidèles, et qui les abandonne à leurs ennemis, qui néglige son honneur au point de se laisser railler outrageusement par ceux qui le nient ? Évidemment il dort, il s'oublie. Lève-toi, réveille-toi, Iahvé, est le cri de ce temps. Le trésor concentré de tristesse et de haine que créa, en se prolongeant, cette situation contre nature, fut Pâme d'une série de psaumes conçus dans un esprit nouveau[13]. L'auteur s'y présente toujours comme en détresse, abandonné de Dieu, entouré de méchants, en butte aux railleries de l'impiété triomphante. Ces psaumes remplacent en quelque sorte les prophètes, qui nous manquent pour ce temps. Nous y sentons, aussi clairement que dans n'importe quel prophète, la rage des anavim humiliés, leur colère contre les mondains. Dieu des revanches, Iahvé[14], Dieu
des revanches, éclate. Lève-toi,
juge de la terre, Rends
la pareille aux insolents. Jusques
à quand les méchants, ô Iahvé, Jusques
à quand les méchants triompheront-ils, Vomiront-ils
des paroles creuses, impertinentes, orgueilleuses, Ces
artisans d'iniquité ? Ils écrasent ton peuple[15], Iahvé, Ils
oppriment les tiens. Ils
tuent la veuve et l'orphelin, Ils
assassinent l'étranger, Et ils
disent : Iah ne le voit pas ; Le
Dieu de Jacob n'en saura rien. Entendez,
gens stupides ; Insensés,
quand comprendrez-vous ? Celui
qui a planté l'oreille, comment n'entendrait-il pas ? Celui
qui a formé l'œil, comment ne verrait-il pas ? . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . T'aurait-il
pour allié, le trône d'iniquité, Qui
fait du mal la loi ? Ils se
ruent sur l'âme juste, Ils
versent par leurs condamnations le sang innocent. Mais
Iahvé est ma forteresse ; Dieu
est le rocher de mon refuge. Il fera
retomber sur eux leur iniquité, Par
leur méchanceté male il les perdra ; Oui,
Iahvé, notre Dieu, les exterminera ! L'impunité des méchants amène souvent l'anav persécuté à des pensées fort analogues à celles du livre de Job[16]. Oui,
Dieu est bon pour les hommes droits, Pour
ceux dont le cœur est pur. Pour
moi, peu s'en faut que mon pied n'ait bronché, Que mes
pas n'aient glissé. Car
j'ai éprouvé un sentiment d'envie, En
voyant la prospérité des méchants. Pour
eux, point d'épreuves ; Inaltérable est leur bonne mine en tout temps[17]. Ils
n'ont point leur part dans les souffrances des hommes ; Ils ne
sont, pas atteints par les coups qui atteignent les autres. Voilà
pourquoi l'orgueil est leur hausse-col, La
violence le manteau où ils se drapent. La bouffissure
leur ferme les yeux, Leur cœur est obstrué par la graisse[18]. Tout
bas, ils complotent des méfaits ; Tout
haut, ils débitent des insolences. Leur
bouche affronte le ciel, Leur
langue ravage la terre. Voilà
pourquoi la foule les suit, Et s'enivre de leurs exemples[19]. Et ils
disent : Comment Dieu le saura-t-il ? Est-ce
qu'il y a quelque savoir chez le Très-Haut ? Voyez
ces méchants, ils sont prospères ; Ces pervers,
ils croissent en force. C'est
donc en vain que j'ai gardé mon cœur pur, Que
j'ai lavé mes mains dans le bor, Que
j'ai été éprouvé chaque jour, Châtié tous les matins[20]..... J'ai
réfléchi pour comprendre tout cela ; Ç'a été
pour moi un rude travail, Jusqu'à
ce que, pénétrant dans le sanctuaire de Dieu, J'ai vu
clair dans leur fin. Oui, tu
les as mis sur un chemin glissant. Tu les
mènes à la désolation. Ils
tomberont subitement dans la ruine. Ils
finiront dans les terreurs. Comme
un songe fuit devant le réveil, Ainsi
s'évanouira leur ombre, à ton lever, Seigneur. Ainsi,
quand mon cœur s'aigrissait, Et que
mes reins étaient transpercés, J'étais
comme une brute, je ne savais rien, Je
devais paraître un animal à tes yeux. Désormais
je resterai toujours avec toi ; Tu
tiens ma main droite. Conduis-moi
par ton conseil, Tire-moi derrière toi par la main[21]. Ma force[22] est dans les cieux ; A côté
de toi, je ne désire rien sur la terre. Ma
chair et mon cœur se consument en ton attente ; Mon
rocher, mon pariage est Dieu pour jamais. Certainement
ceux qui s'éloignent de toi périront. Tu
extermines ceux qui te sont infidèles. Pour
moi, être près de Dieu m'est bon ; J'ai
mis ma confiance dans le seigneur Iahvé. Je raconterai tes hauts faits aux portes de la fille de Sion[23]. D'autres fois, le désespoir l'emporte, et, sans abandonner jamais l'affirmation de son innocence, l'anav s'envisage comme abandonné par le Dieu obligé de le venger. Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?[24] Pourquoi t'éloignes-tu quand je t'implore ?[25] Mon
Dieu, je crie de jour, et tu ne m'exauces pas, De
nuit, et tu ne fais nulle attention à moi. Et pourtant
tu es le Saint, Assis sur les louanges d'Israël[26]. En toi
nos pères ont eu confiance, Ils ont
eu confiance, et tu les as sauvés. Ils ont
crié vers toi, et tu les as délivrés, Ils ont
espéré en toi et ils n'ont pas été confondus. Moi, je
suis un ver et non un homme, L'opprobre
de tous, le méprisé du peuple. Tous
ceux qui me voient se moquent de moi, Ricanent
des lèvres, hochant la tête : Il a
remis ses affaires à Iahvé, que Iahvé le sauve ! Qu'il
le délivre, puisqu'il l'aime ! C'est
toi qui m'as tiré du ventre de ma mère, Qui
m'as fait reposer en confiance sur son sein. J'ai
été jeté sur toi dès ma naissance ; Dès le
sein de ma mère, tu as été mon Dieu. Ne
t'éloigne pas de moi ; car l'angoisse est proche, Et nul
n'est là pour m'aider. Des taureaux
nombreux m'environnent, Les
colosses de Basan m'assiègent ; Ils ouvrent
contre moi leur gueule, Comme
des lions déchirants et rugissants. Je m'en
vais comme de l'eau, Tous
mes os se disloquent, Mon
cœur est comme une cire Qui
fond au milieu de mes entrailles ; Mon
gosier est sec comme un tesson, Ma
langue adhère à mes dents ; Tu
m'envoies rouler dans la poussière de la mort. Car des
chiens m'environnent, La
bande des méchants tourne autour de moi, Comme un lion, [ils broient] mes mains, mes pieds[27]. Quand
je raconte ce que je souffre, Ils me
toisent, me regardent. Ils se
partagent déjà mes habits, Ils
jettent le sort sur mon vêtement. Mais
toi, Iahvé, ne t'éloigne pas ; Mon
Dieu !, hâte-toi de me secourir, Sauve
mon âme du glaive, Ma vie
de la dent des chiens ; Arrache-moi
de la gueule du lion, Délivre-moi
des cornes des buffles. Je
redirai ton nom â mes frères, Je te
louerai au milieu de l'assemblée : Adorateurs
de Iahvé [dirai-je], louez-le ; Race
de Jacob, célébrez-le ; Révérez-le,
race d'Israël. Car
il n'a point dédaigné la misère de l'anav ; Il
n'a point caché de lui son visage ; Il
écoute le pauvre, quand celui-ci crie vers lui ! Je
célébrerai tes louanges dans la grande assemblée ; J'accomplirai
mes vœux devant ceux qui te craignent. Les anavim
mangeront[28] et seront rassasiés, Les
adorateurs de Iahvé le loueront. Soyez,
[se diront-ils entre eux], réconfortés pour toujours. Les
confins de la terre se souviendront et se convertiront à Iahvé, Devant
lui se prosterneront toutes les familles des peuples. Car à
Iahvé appartient la royauté, Il
domine sur toutes les nations. Tous les habitants de la terre[29] mangeront[30] et adoreront, Devant
lui s'inclineront ceux qui allaient mourir de faim, Une race de nouveaux serviteurs sera inscrite au culte d'Adonaï[31]. Ils
viendront et célébreront sa justice, Ils
diront au peuple à naître ce qu'Il a fait. L'épreuve eût été au-dessus des forces de toute autre race. Un dieu qui manque à ce point à toutes ses promesses eût été ailleurs abandonné. La puissance d'attente d'Israël éclata dans cette circonstance, peut-être plus que dans aucune autre. Le principe de la justice intermittente de Iahvé sauva tout. Iahvé sommeille habituellement ; sa justice s'exerce par de grands jours, par des révolutions subites, où tout est réparé. S'il y eut réellement des martyrs sous Manassès, ils durent mourir enragés. On ne voit pas, en effet, paraître dès cette époque les idées de résurrection et de règne des martyrs, qui du temps d'Antiochus Épiphane, furent l'échappatoire à une situation désespérée. L'anav pauvre, dédaigné par les puissants du monde, se consolait en récapitulant les motifs qu'il avait de ne pas porter envie à ses adversaires heureux. Leur prospérité ne durera pas... Et puis le juste est plus heureux dans sa tranquille médiocrité... Il finira par posséder la terre... On n'a jamais vu un juste tout à fait pauvre..., etc. Ne t'irrite pas contre les méchants[32], Ne sois
pas jaloux de ceux qui font l'iniquité ; Car ils
seront vite fauchés comme de l'herbe, Ils se
faneront comme la verdure des prairies. Aie
confiance en Iahvé, et fais le bien, Ainsi
tu habiteras la terre, et tu y vivras en sécurité. Mets
tes délices en Iahvé, Et il
t'accordera les demandes de ton cœur. Jette
le soin de tes affaires sur Iahvé, Fie-toi
en lui ; il fera tout ce qu'il faut ; Et ton
innocence éclatera comme la lumière, Ton
droit comme la clarté de midi. Dors
tranquille sur Iahvé, et mets ton espérance en lui ; Ne
t'irrite pas contre l'homme qui réussit En
nouant des intrigues coupables. Renonce
au dépit, laisse la colère, Ne
t'emporte pas contre le mal ; Car les
méchants seront exterminés, Et ceux
qui attendront patiemment Iahvé posséderont la terre. Encore
un peu, et le méchant n'est plus, Tu
regardes sa place, il n'y est plus. Et les anavim
posséderont la terre, Et se
délecteront en pleine prospérité. Le
méchant complote sans cesse contre le juste, Et
grince des dents contre lui. Adonaï
rit de lui ; Car il
voit venir le jour de son châtiment. Les
méchants ont tiré l'épée et bandé leur arc, Pour
abattre l'humble et le pauvre, Pour
massacrer ceux de la voie droite. Leur
épée entrera dans leur propre cœur, Leur
arc sera brisé. Mieux vaut
la médiocrité du juste Que la
richesse surabondante des méchants ; Car les
bras des méchants seront brisés, Et le
soutien des justes est Iahvé. Iahvé
sait le compte des jours réservés aux parfaits, Il voit
leur héritage assuré pour toujours. Ils ne
seront pas confondus au temps de la calamité ; Au jour
de la famine, ils seront rassasiés. Car les
méchants périront Et les
ennemis de Iahvé passeront comme le foin des prés, Ils
s'en vont en fumée, ils disparaissent. Le méchant emprunte et ne paie pas[33] ; Le juste
donne et donne encore. Car
ceux que Dieu bénit possèdent la terre, Et ceux
qu'Il maudit sont exterminés. Iahvé
raffermit les pas de l'homme pur ; Il
porte intérêt à sa voie. Si
l'homme pur tombe, il ne s'étend pas tout de son long ; Car
Iahvé le soutient par la main. J'ai
été jeune autrefois, et maintenant je suis vieux ; Jamais
je n'ai vu un juste délaissé, ni sa race chercher son pain. Tous
les jours, il donne, il prête, Et sa
race est bénie. Fuis le
mal et fais le bien, Et tu habiteras éternellement [la terre[34]] ; Car
Iahvé aime le droit Et il
ne délaissera pas ses hasidim. Les impies seront perdus pour toujours[35], Et la
race des méchants sera exterminée. Les
justes posséderont la terre, Et
demeureront à jamais sur elle. La
bouche du juste murmure la sagesse, Et sa
langue énonce le droit, La loi
de son Dieu est dans son cœur, Ses pas
ne chancellent point. Le
méchant fait le guet pour perdre le juste, Il
cherche à lui donner la mort ; Iahvé
n'abandonne pas son serviteur, Et ne
le laisse pas condamner quand il est en justice. Tourne
ton attente vers Iahvé, et garde sa voie, Et il
t'élèvera à la possession du pays, Et tu
assisteras à l'extermination des méchants. J'ai vu le méchant droit et fier comme un cèdre du Liban[36] ; J'ai
passé, et il n'était plus ; Je l'ai
cherché ; impossible de le trouver. Observe
le juste, et regarde l'irréprochable, Tu
verras qu'il y a une postérité pour l'homme accompli. Les
pécheurs, au contraire, seront détruits tous ensemble ; La
postérité des méchants sera exterminée. Le salut
des justes vient de Iahvé ; Il est
leur lieu fort au temps de la détresse. Iahvé
les aide et les délivre ; Il les
délivre des méchants, il les sauve ; car ils se sont fiés à lui. Sous toutes les formes, l'Israélite pieux fait ainsi sentir à Iahvé que son intérêt bien entendu lui commande de ne pas abandonner ses serviteurs. On ne loue pas Dieu dans le scheol ; les morts n'ont aucun sentiment. En laissant un de ses serviteurs descendre au scheol, Iahvé se prive donc d'un louangeur. Il n'y a pas de torture qu'Israël ne se soit donnée pour éviter l'idée que toutes les autres religions ont acceptée avec une étrange facilité, la vie au delà de la mort. Les réparations d'outre-tombe lui parurent chimériques, jusqu'à ce que le sort des martyrs les imposa, au temps des Macchabées, comme une nécessité. Les angoisses du temps de Manassès, quoique terribles, ne furent pas assez fortes pour ébranler Israël en ce qui lui paraissait une évidence absolue. Peut-être doit-on rapporter à ce temps de difficultés extrêmes le livre qui jeta les premiers fondements de la légende de Daniel. Ézéchiel, vers 590, place Daniel parmi les hommes accomplis, avec Noé et Job[37]. Le livre qui a fait la célébrité de ce personnage n'était pas celui qui figure maintenant dans le Canon[38]. Le Daniel primitif, comme son nom, combiné avec les passages d'Ézéchiel, l'indique, était un sage qui portait dans ses jugements la sagesse même de Dieu[39]. Des histoires comme celles de Susanne supposant qu'il est impossible que Dieu laisse condamner un innocent, répondent bien au temps des Manassès. L'argument tiré de la contradiction sur les petites circonstances — si défectueux en lui-même, et qui a fait prononcer, en Angleterre surtout, tant de sentences injustes — est bien de ceux qui devaient défrayer les histoires de procès célèbres. Le principe que Dieu a des moyens pour empêcher les innocents d'être victimes est bien dans le goût de Job et des psaumes anavites. Le livre se perdit bientôt ; mais les historiettes de sagacité judiciaire se conservèrent oralement[40]. A l'époque des Macchabées, on reprit le vieux cadre, et on y mit toutes les idées du temps. |
[1] Les grands feux qu'on faisait anciennement aux funérailles des rois (II Chron., XVI, 14 ; XXI, 19 ; Jérémie, XXXIV, 5) se rattachaient peut-être à quelque usage païen.
[2] Les superstitions des femmes ne tiraient pas à conséquence. Voir cependant Proverbes, XXXI, 30. Notez aussi la prophétesse Hulda.
[3] Dans l'ancien islam, la femme n'a pas de religion, ni même d'âme. Un des éloges qu'un ancien poète arabe fait de sa maîtresse, c'est qu'elle ne lit pas le Coran. C'est seulement depuis une époque très moderne que les femmes ont une place dans les galeries des mosquées. Les musulmans n'aiment pas que leurs femmes soient dévotes. Chez les chiites, moins sémites que les sunnites, les femmes sont plus pieuses.
[4] Nous verrons la même chose se produire à la mort de Josias.
[5] Les métaphores tirées des procès auxquels on doit répondre sont innombrables dans les Psaumes et dans le livre de Job. Ps. XXXVII, 33 ; CIX, 7 ; CXXVII, 5, etc.
[6] II Rois, XXI, 16 ; XXIII, 26 ; XXIV, 3-4.
[7] Voir le chap. II de Jérémie, où sont groupés tous les méfaits du temps de Manassès. Le méfait relatif aux נקיים אביונים, Jérémie, II, 34, n'est pas clair. Le passage Jérémie, II, 30, est général ; cependant, s'il n'est pas spécial à Manassès, il implique Manassès.
[8] Les textes bibliques plus anciens ne mentionnent jamais ce crime. Qu'il s'agît d'une vraie crémation, non d'une lustration ou passage rapide par la flamme, c'est ce que prouvent II Rois, XVII, 31 ; Ézéchiel, XVI, 20 ; XXIII, 37 ; Jérémie, XIX, 5 ; XXXII, 33 ; cf. VII, 31.
[9] Gé-hinnom ou Géhenne.
[10] Jérémie, XIX, 2. Ce devait être près du Chaudemar des croisés (Haceldama).
[11] II Rois, XXIII, 10 ; Jérémie, VII, 31, 3-2 ; XIX, 6, 11, 12, 13, 14.
[12] Jérémie, VII, 31 ; XIX, 5.
[13] Tous ces psaumes sont caractérisés par de nombreuses fautes de copistes. Ils ont eu une destinée critique à part.
[14] Ps. XCIV. Notez surtout le verset 20, allusion directe à Manassès : un gouvernement qui forge l'iniquité sur le hoq, sur la légalité.
[15] Les anavim.
[16] Ps. LXXIII. On en peut rapprocher le psaume XLIX.
[17] Verset altéré.
[18] Verset altéré.
[19] Très obscur.
[20] J'omets le verset 15, à peu près inintelligible.
[21] Bonnes corrections de M. Grætz.
[22] Correction de M. Grætz.
[23] D'après les Septante.
[24] Ps. XXII, très altéré.
[25] Doublets de variantes. Voir Dyserinck et Grætz.
[26] Peut-être lacune, assis sur [les chérubins, célébré par] les louanges d'Israël.
[27] Cf. Isaïe, XXXVIII, 13.
[28] Des sacrifices que l'auteur offrira pour accomplir ses vœux.
[29]
De
[30] Le rétablissement des sacrifices rendra la vie aux prêtres pauvres, qui, pendant le triomphe des lécim, mouraient de faim.
[31] Comparez Ps. LXXXVII, 5-6.
[32] Ps. XXXVII, alphabétique. Nous reproduisons ce morceau, malgré ses longueurs, pour qu'on voie de quelles sortes de cantilènes se délectaient ces hommes pieux. Comparez Proverbes, XXIV, 1.
[33] Il fait de mauvaises affaires.
[34]
C'est-à-dire la terre promise,
[35] Corrections nécessaires.
[36] Passage à corriger.
[37] Ézéchiel, XIV, 14, 20 ; XXVIII, 3.
[38] Daniel aurait eu une douzaine d'années au plus, quand Ézéchiel le citait comme un ancien sage.
[39] On a pu supposer que l'ancien Daniel traversait la captivité de Ninive en gardant intacte sa dignité d'Israélite et sa foi. Mais jamais on ne voit les Judaïtes se préoccuper des Israélites emmenés en captivité, ni supposer qu'ils restèrent fidèles au culte de Iahvé. Le livre de Tobie, conçu sous l'empire de cette préoccupation, est tout à fait moderne.
[40] Le livre palestinien de Daniel, composé en 163 avant Jésus-Christ, n'épuisa pas la tradition orale. D'autres anecdotes, comme celle de Susanne, celle de Bel et du Dragon, y furent ajoutées, mais ne réussirent jamais à conquérir une place bien fixe.