HISTOIRE DU PEUPLE D’ISRAËL

TOME DEUXIÈME

LIVRE IV. — LES DEUX ROYAUMES

CHAPITRE III. — TRAVAIL LITTÉRAIRE DANS LE ROYAUME D’ISRAËL. - RÉCITS HÉROÏQUES.

 

 

A côté de l’idylle ou, si l’on veut, du roman patriarcal, il y avait la tradition héroïque, celle-ci bien plus près de l’histoire et qui n’était en quelque sorte que la continuation de la légende des pères. Caleb et Josué étaient à la tête de ce cycle nouveau, qui se rattachait ainsi directement à la délivrance censée accomplie par Moïse[1]. Ici, les données traditionnelles abondaient. Un élément capital venait épauler les traditions populaires et leur donnait une cohésion, une solidité, qui manquaient tout à fait pour l’âge patriarcal.

Nous avons, à diverses reprises, développé cette idée fondamentale de la critique, qu’il n’y a pas d’histoire avant l’écriture. Ce qui existe souvent avec un grand éclat et un grand développement chez un peuple illettré, ce sont des chants populaires. Israël possédait un riche écrin de ces sortes de chants, remontant à deux ou trois siècles, et se rapportant le plus souvent à des faits historiques dont le souvenir direct s’était perdu. Parfois le chant populaire contenait des indications suffisantes pour reconstruire le récit du fait ; parfois ces indications manquaient ou prêtaient au malentendu ; alors c’était l’imagination des âges postérieurs qui y suppléait. Le Kitâb el-Aghâni des Arabes est le type de ces sortes de compilations, où des chants longtemps gardés par la tradition orale sont enchâssés dans un texte en prose, qui les explique. Le principe, en pareil cas, est que la pièce en vers est antérieure à son préambule en prose, lequel n’en est que le développement, le commentaire souvent erroné.

Les plus anciens chants nationaux d’Israël remontaient à l’origine même de la vie nationale, à ce moment où les Beni-Israël, émancipés de l’Égypte, essayaient de sortir du désert, et contournaient, du côté de l’Arnon, le pays de Moab. Le chant relatif à la source de Beër, le chant sur la prise d’Hésébon, se perdent, comme des étoiles du matin, dans les rayons d’un soleil levant historique. Les petits masal de Balaam s’y rattachaient de très près. Le chant sur la bataille de Gabaon ne nous est connu que par un vers, qui donna lieu à une interprétation singulière[2]. Le beau cantique de Débora, au contraire, nous a été conservé à peu près dans son intégrité. Enfin l’élégie sur la mort de Jonathas et le début de l’élégie sur la mort d’Abner, sont cités avec un nom d’auteur ; ils sont donnés comme de David.

Sur ces sept ou huit exemples, trois sont rapportés par citation expresse à deux livres, l’un intitulé : Sépher milhamoth Iahvé, le livre des guerres de Iahvé[3], l’autre Sépher hay-yasar, livre du Iasar ou Iasir[4], titre dont le sens nous échappe tout à fait[5]. Ces deux livres, à n’en pas douter, étaient composés, pour la plus grande partie, de chants populaires. C’étaient ou deux livres se complétant l’un l’autre, ou un même ouvrage sous deux titres différents. Pour la commodité de l’exposition, nous adopterons cette seconde hypothèse, dont l’inexactitude, si inexactitude il y a, serait de peu de conséquence.

Des citations du Iasar et du Sépher milhamoth Iahvé se trouvant dans des parties très anciennes de l’Hexateuque[6], qui peuvent avoir été écrites au IXe siècle avant J.-C., il faut en conclure que le Sépher milhamoth Iahvé, ou Sépher hay-yasar, fut écrit vers le Xe siècle, à la fin même de la période dont il s’agissait de recueillir les chants et les souvenirs.

C’est le propre, en effet, des grands figes héroïques que d’ordinaire l’on commence à se passionner pour eux quand ils sont déjà bien finis. La génération héroïque meurt toujours sans écrire. Mais elle a raconté ses prouesses à une génération souvent très pacifique, qui attache d’autant plus de prix à ces récits épiques qu’elle n’a pour la vertu guerrière qu’une admiration toute littéraire. Les rudes soudards de Joab et d’Abisaï devaient avoir de longues histoires à défiler[7]. La vie d’aventures de David ; traversée, comme par un fil d’argent, par l’amitié de Jonathas, offrait, aux conteurs des épisodes charmants[8]. Une foule de chants et d’anecdotes du temps des Juges, de Saül et de la jeunesse de David allaient périr. C’est alors, selon nous, qu’un ou plusieurs scribes recueillirent cette riche moisson poétique, qui s’étendait sur trois ou quatre siècles, depuis les premières approches de l’Amon, au sortir du désert, jusqu’à l’avènement de David. David était le dernier de ces héros aventureux qui avaient déployé un courage tout profane au nom de Iahvé[9]. Du moment qu’il fut devenu roi, il cessa de payer de sa personne et de s’exposer dans les combats. Nous pensons donc que la bataille de Gelboé et l’élégie sur la mort de Jonathas occupaient les dernières pages du livre. Assurément, il n’y était question ni des derniers temps de David ni du règne de Salomon.

Tout porte à supposer que le livre des anciennes chansons héroïques des Hébreux fut écrit dans les tribus du Nord bien plutôt qu’à Jérusalem[10]. Le livre avait le caractère franc, libre, un peu barbare, sobre et ferme, de tout ce qui vient du royaume d’Israël. Ce qui est presque décisif, c’est que, dans la partie du livre relative à l’époque des juges[11], il n’était presque pas question de Juda ; les aventures héroïques se rapportaient surtout aux tribus du Nord. Les parties messéantes de l’histoire de David, ce qui concerne son singulier entourage dans la caverne d’Adullam, son séjour chez Mis, ses brigandages avoués ? ses campagnes contre Israël, se comprennent aussi beaucoup mieux chez un narrateur du Nord, pour lequel David n’était qu’un aventurier hardi, que chez un narrateur de Jérusalem ou d’Hébron, pour lequel David était le fondateur de l’hégémonie de Juda. Peut-être, à vrai dire, la rédaction du livre des héros fut-elle double, comme cela eut lieu plus tard pour l’Histoire sainte. Il y eut peut-être la rédaction du Nord et la rédaction du Sud ; il serait même loisible de supposer que Sépher milhamoth Iahvé fut le titre de l’une d’elles ; Sépher hay-yasar, le titre de l’autre. Mais, à cette limite, toutes les suppositions deviennent arbitraires ; il vaut mieux ne pas trop s’y arrêter.

On comprend qu’un pareil livre, écrit à un point de vue simplement héroïque, ait dû paraître scandaleux à une époque d’orthodoxie, où le cobol et le nabi conquirent une importance qu’ils n’avaient pas eue dans les âges reculés. En usant comme ils devaient du vieux livre épique, les historiographes d’Israël y firent sans doute de nombreuses coupures ou retouches. Mais les soucis de l’apologétique n’étaient pas, à cette époque, fort rigoureux. Les historiographes laissèrent échapper, surtout dans la partie des Juges, une foule de détails qui prouvaient avec la dernière évidence que la législation supposée de Moïse n’existait pas à cette époque. De la sorte, l’histoire hébraïque, telle qu’elle nous est parvenue, s’est trouvée renfermer sa propre réfutation. D’une part, elle nous affirme que Moïse, avant l’entrée d’Israël en Chanaan, lui donna une législation complète ; de l’autre, elle nous raconte une foule d’histoires postérieures à l’entrée d’Israël en Chuintait, qui supposent notoirement que cette législation n’existait pas.

La même chose est arrivée chez les musulmans. Malgré leur injuste mépris pour les temps de l’ignorance, ils n’ont pas perdu les souvenirs épiques antérieurs à l’islam. Les saints des mosquées ne lisent pas ces livres de vieille chevalerie ; mais tout vrai Arabe s’en délecte. Le système théologique du judaïsme n’admit pas heureusement de temps de l’ignorance ; aucun piétisme ne fit oublier la vie enivrante des gibborim, et ces brillants récits tout profanes eurent leur place dans l’histoire de la religion. Grâce à la façon, inattentive par trop de respect, dont se lisent les volumes sacrés, les plus pieux protestants, de nos jours encore, se nourrissent avec ferveur d’aventures dans le goût d’Antar, de brigandages héroïques, de petites intrigues habilement conçues et racontées[12].

Moïse et Josué figuraient-ils dans le Sépher milhamoth Iahvé ou dans le Iasar ? Cela est certain pour Josué. Le vers du chant sur la bataille de Gabaon (Josué, chapitre X), extrait du Iasar, semble supposer que Josué était nommé dans le récit en prose. La vision du sar-saba de Iahvé[13] est un des morceaux les plus anciens de la littérature hébraïque. Les aventures de Caleb, qui était évidemment un des héros du Sépher milhamoth, ne sont guères séparables de celles de Josué. Quant à Moïse, il est bien remarquable qu’il ne figure pas dans le chant de Beër, chant qui paraît avoir été l’origine des récits où Moïse fait, sourdre l’eau arec sa baguette. A Beër, nous voyons seulement figurer les sarim, les chefs, et les nobles du peuple, creusant le sable avec leurs bâtons. Ce qui est bien plus grave, c’est que, dans l’épisode de Balaam, qui suit[14] et que nous supposons extrait en grande partie du Sépher milhamoth Iahvé[15], Moïse n’est pas nommé, bien qu’il soit censé encore vivant quand Balaam entre en scène, et qu’il eût toute raison de figurer en une telle histoire. Nous n’oserions cependant pas conclure de là que Moïse ne figurait pas dans le Sépher milhamoth ou dans le Iasar comme chef militaire et libérateur du peuple. Le récit de l’exploration de Chanaan ne se comprend pas bien sans un chef de la nation, supérieur à Josué et à Caleb. Mais, sûrement, Moïse n’avait pas dans le Iasar le caractère d’homme de Dieu et de législateur inspiré qu’il revêtit depuis.

Peut-être les noms des stations du désert faisaient-elles partie de cet ancien document ? Les épisodes étranges ou analogues aux légendes patriarcales, de Iahvé voulant tuer Moïse, du hatan damin ou époux de sang, de Moïse chez Jéthro, de ses rapports avec le cohen madianite Raguël et sa fille Sippora, sont peut-être aussi de la même provenance. Certains détails de ces vieux récits purent sembler obscurs à ceux qui les rédigèrent, et devinrent bientôt, pour la tradition, des énigmes tout à fait inexplicables.

Bien que le Sépher milhamoth Iahvé et le Iasar aient dû se perdre de bonne heure comme livres à part[16], on peut dire cependant que les chapitres essentiels des deux livres nous ont été conservés. Le ton général de ces compositions nous est rendu surtout par le livre des Juges, et là est la cause du caractère particulier qui fait saillir si fortement ce livre dans l’ensemble du volume biblique. Ce n’est ni l’histoire ad narrandum, ni l’histoire ad probandum ; c’est l’histoire ad delectandum, comme le Kitâb el-Aghâni et la partie du Kitâb al-ikd relative aux Journées des Arabes. C’est l’histoire anecdotique d’un âge devenu légendaire, entremêlée d’énigmes, de jeux de mots enfantins[17], telle qu’elle pouvait plaire à un âge naïf, dénué de culture rationnelle. C’est la vie héroïque, peinte en vue d’un siècle qui l’aime encore, par le récit d’une série d’aventures possibles seulement dans une vie brillante et libre. L’auteur voulait, avant tout, intéresser un peuple agricole et guerrier. Le tour de toutes ses anecdotes est militaire et idyllique. Il aime les ruses de guerre, les exploits surprenants, les détails de la vie pastorale ou rustique. Jamais un trait gauche ou de faux goût ; jamais un trait piétiste ou de religion réfléchie ; toujours le caractère de la plus belle antiquité. La conscience humaine a, dans ces récits, la même limpidité que dans la poésie épique des Grecs. L’homme n’a pas encore un moment fait retour sur lui-même, ni trouvé qu’il avait droit de se plaindre de la vie ou des dieux.

Il est bien probable que, dans le livre hébreu primitif, les cantiques étaient plus nombreux que dans le texte actuel de la Bible. Les histoires de Gédéon, de Samson, surtout celle de Jephté, devaient avoir des parties en vers que le récit actuel a fait disparaître. Ce qui n’a pas changé, c’est le tour de l’anecdote, cette façon d’aiguiser un récit, de le rendre vif, parlant, saisissant. C’est ici le don spécial du narrateur biblique. L’hébreu n’a pas de rythme narratif. Le parallélisme, seul mécanisme poétique de l’hébreu, ne convient qu’au genre lyrique et parabolique. De là cette particularité que les compositions analogues de l’épopée chez les Sémites, tels que l’Aghâni, sont écrites non en un mètre continu, mais en une prose mêlée de vers. Le récit en prose tire son ornement du tour heureux de la phrase et surtout des détails, toujours arrangés de manière à mettre en vedette l’idée principale.

Ce talent de l’anecdote est aussi ce qui a fait le succès des conteurs arabes. C’est par là que le récit sémitique a lutté sans désavantage contre l’entraînement charmant de l’épos grec. Au moyeu de sa métrique savante, repos grec atteint à une majesté que rien n’égale. Mais la narration sémitique a bien plus de piquant. Elle a l’avantage de n’avoir pas de texte arrêté. La donnée fondamentale seule était fixée ; la forme était abandonnée au talent de l’improvisateur. L’épos aryen n’a jamais eu cette liberté. Son vers fut toujours d’une facture trop savante pour pouvoir être abandonné au caprice du rapsode. Le conteur sémitique, au contraire, l’antari, par exemple, comme le cantistori de Naples et de Sicile, brode sur un cadre donné[18]. Cela est sensible, en particulier, dans l’histoire si épique de Samson, histoire qui nous est parvenue en une dizaine de pages, tandis que, évidemment, chacun des épisodes frappants ou burlesques qui la composent, développés par les conteurs, remplissait des soirées et des nuits. En fait de récits hébreux, nous n’avons guère que des canevas, des titres, des indices d’épopées encapsulées. La matière sur laquelle on écrivait (bandes de cuir, planchettes, papyrus) n’admettait pas les longs et souvent charmants bavardages, qu’une littérature se permet quand la matière à écrire est devenue à bon marché. Comme la langue des paysans d’Israël était une merveille de justesse, de finesse et de force, il est résulté de ces fixés rapides un chef-d’œuvre sans égal.

Israël a donc eu son recueil épique comme la Grèce, dans ce livre primitif des chants et des gestes héroïques, dont certaines parties, reconnaissables encore dans les livres postérieurs, ont fait la fortune littéraire de la Bible. Répondant à un même idéal, la Bible et Homère ne se sont pas supplantés. Ils restent les deux pôles du inonde poétique ; les avis plastiques continueront indéfiniment d’y choisir leurs sujets ; car le détail matériel, sans lequel il n’y a point d’art, y est toujours noble. Les héros de ces belles histoires sont des adolescents, sains et forts, peu superstitieux, passionnés, simples et grands. Avec les récits exquis de l’âge patriarcal, ces anecdotes du temps des juges ont fait le charme de la Bible. Les narrateurs des époques postérieures, les romanciers hébreux, même les narrateurs chrétiens, prendront tous leurs couleurs sur cette palette magique. Les deux grandes sources de la beauté inconsciente et impersonnelle ont été ainsi ouvertes à peu près en même temps chez les Aryens et chez les Sémites, vers 900 ans avant Jésus-Christ. Depuis, on en a vécu. L’histoire littéraire du monde est l’histoire d’un double courant qui descend des homérides à Virgile, des conteurs bibliques à JéSus ou, si l’on veut, aux évangélistes. Ces vieux contes des tribus patriarcales sont restés, à côté de l’épopée grecque, le grand enchantement des âges suivants, formés, pour l’esthétique, d’un limon moins pur.

C’est pour ne s’être pas bien rendu compte de l’importance de cette première étape littéraire d’Israël, que des critiques, plus habiles aux découvertes du microscope qu’aux larges vues d’horizon, n’ont pas eu d’yeux pour voir, en sa grosseur capitale, ce fait : que les plus anciens rédacteurs de l’Hexateuque citent un écrit antérieur, savoir le livre du Iasar ou des Guerres de Iahvé, composé d’après d’anciens cantiques. Nous trouvons les membres épars de ce livre dans les parties dites jéhovistes du livre des Nombres ; nous le retrouvons dans Josué ; selon nous, il fait le fond du livre des Juges, et il a fourni les plus beaux éléments des livres dits de Samuel. Le livre des Juges, en effet, et les livres dits de Samuel nous offrent à la surface la couche de terrain que, dans les plus anciennes parties de l’Hexateuque, nous ne rencontrons qu’en filon et eu sous-sol. C’est ce qu’on aurait vu plus tôt, si, au lieu d’être cultivées par des théologiens, ces études eussent été entre les mains de savants habitués au grand air de l’épopée et des chants populaires. On cid, reconnu alors qu’avant la rédaction des récits entièrement religieux de l’Histoire sainte, il y eut un épos national, contenant les chants et les récits héroïques des tribus. Ce livre s’arrêtait, selon toute apparence, à l’avènement de David[19], à la fin de sa jeunesse aventureuse, quand les brigands de Sicéleg sont tous casés et que les aventures des âges antérieurs font place à des soucis beaucoup plus pacifiques et à des calculs plus positifs.

Ce n’était pas un livre sacerdotal, c’était un livre national. Ces histoires furent héroïques et populaires, avant d’être sacrées. Le mot profane serait ici fort déplacé ; car ce mot n’a de sens que par son opposition à ce qui est devenu religieux. La distinction des deux vies n’était pas faite ; la religion pénétrait tout ; comme personne ne la niait, elle n’avait pas à s’affirmer. Le piétisme israélite, œuvre des prophètes, n’était pas encore né. Certes Iahvé remplissait déjà ces vieux récits ; mais les dieux remplissent aussi l’Iliade et l’Odyssée, sans que pour cela l’Iliade et l’Odyssée soient des livres sacrés. Tout, dans l’épos hébreu, était arrangé pour la plus grande gloire de Iahvé ; mais le but n’était pas l’édification, ni la propagande, encore moins l’apologétique. On ne songeait nullement à créer des arguments pour des thèses de prédicateur. Ces premiers livres d’Israël étaient des œuvres laïques, comme on dirait aujourd’hui, où l’on ne se proposait qu’une seule chose, confier à l’écriture un trop plein de souvenirs intéressants au plus haut degré, dont la mémoire était surchargée.

Nous exposerons, siècle par siècle, les transformations que subirent ces traditions légendaires et ces récits historiques, qui font encore aujourd’hui notre admiration et notre charme. Qu’il nous suffise pour le moment d’avoir établi que les souvenirs légendaires de l’âge patriarcal et les souvenirs héroïques de la conquête de Chanaan, du temps des juges et de la royauté naissante, se fixèrent, vers 900 ans avant Jésus-Christ, en deux écrits dont nous possédons encore des parties étendues. Ces deux écrits paraissent avoir été rédigés clans le Nord, probablement dans quelqu’une des villes antiques d’Éphraïm. L’un racontait l’histoire mythologique de l’humanité primitive, puis celle d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, de Joseph ; nous le voyons percer en quelque sorte sous le texte actuel, souvent alangui, de la Genèse. L’autre était le Iasar ou le livre des Guerres de Iahvé, l’épopée de la nation, expressément citée dans l’Hexateuque et dans les livres dits de Samuel. Ces œuvres exquises et parfaites, à la manière des poèmes homériques de la Grèce, n’étaient point encan des livres religieux. Quoiqu’ils fussent l’éminente expression du génie d’Israël, ce n’étaient pas des livres tellement propres à ce peuple que les nations congénères, Moab, Édom, Ammon, n’en eussent de semblables. Ammon et Moab n’ont eu ni prophètes ni Thora ; mais il y a peut-être eu un Sépher  milhamoth Milkom, un Sépher milhamoth Kamos, Ammon et Moab ayant eu leurs souvenirs héroïques comme Israël, et ayant eu, comme Israël, l’habitude de rattacher ces souvenirs à leur dieu national. Comment ces récits idylliques et guerriers d’une petite nation syrienne sont-ils devenus le livre sacré de tous les peuples ? C’est ce qui sera plus tard expliqué. Nous touchons ici au nœud même de l’histoire d’Israël, à ce qui constitue son rôle à part, à ce qui le range parmi les unica de l’histoire de l’humanité.

 

 

 



[1] L’influence du récit héroïque se sent dans les Nombres, à partir de l’exploration de Chanaan (ch. XIII). Josué, dans cet épisode, est désigné par le nom de Hoséa, qui parait être la forme primitive.

[2] Pas aussi singulière cependant pour l’antiquité que pour nous. Dans les poèmes homériques, le soleil est arrêté pour des enfantillages. Dans l’Odyssée, XXIII, v. 241, Athéné retient les dans l’Océan et ne lui permet pas d’atteler ses chevaux, pour prolonger la nuit d’Ulysse et de Pénélope. Comparez Iliade, II, v. 413 ; XVIII, v. 239.

[3] Nombres, XXI, 14, 17, 27 et suiv.

[4] Josué, X, 13 ; II Samuel, I, 18.

[5] . La formule ךישי זא (Exode, XV, 1 ; Nombres, XXI, 17) fait mirage, rien de plus.

[6] Nombres, XXI, 14 et suiv. ; Josué, X, 13.

[7] Voir I Samuel, XXI, XXIII.

[8] Épisode de Saül devant la vie à la générosité de David, raconté deux fois (I Samuel, XXVI et XXVI).

[9] Pour le sens précis du mot הוהי הוטחלט, voir I Samuel, XVIII, 17. Cf. Josué, X, 14.

[10] Notez la locution Israël et Juda, I Samuel, XV, 4 ; XVIII, 16.

[11] Cette partie nous est représentée par le livre des Juges de la Bible actuelle.

[12] Le chef-d’œuvre du genre est le récit de l’entrée en relations de David et d’Abigaïl.

[13] Josué, V, 13-15.

[14] Nombres, XXI et suiv.

[15] En général, quand les auteurs arabes avouent un emprunt, cet emprunt a plus d’étendue que leur quotation ne le suppose la citation s’applique à ce qui suit, pendant plusieurs pages.

[16] Osée (IX, 9 ; X, 9) rappelle des faits qui maintenant se trouvent dans le livre des Juges (catastrophe de Gibéa, lévite d’Éphraïm). Michée (I, 10) fait allusion à l’élégie sur la mort de Jonathas. Il est difficile de dire s’ils avaient entre les mains l’ancien recueil ou les arrangements plus modernes.

[17] Les trente ânes de Jaïr ; les petites notes, Juges, XII, 8 et suiv.

[18] Chez les Grecs, la fable ésopique resta ainsi à l’état de matière de vers, que chacun traitait à sa guise.

[19] Pour les faits postérieurs à cette époque, le Iasar n’est plus cité, aucun chant populaire n’est plus allégué.