HISTOIRE DU PEUPLE D’ISRAËL

TOME DEUXIÈME

LIVRE IV. — LES DEUX ROYAUMES

CHAPITRE II. — TRAVAIL LITTÉRAIRE DANS LE ROYAUME D’ISRAËL. - IDYLLES PATRIARCALES.

 

 

Au premier coup d’œil, les tribus du Nord, en se séparant du centre brillant de Jérusalem, portèrent un coup mortel à leur propre développement. Mais l’histoire d’Israël est en tout si particulière, que ce qui semble ailleurs une décadence est ici une condition de progrès. L’esprit israélite, contrarié par Salomon, reprit le dessus avec une élasticité extrême. Les prophètes, qui avaient déclamé contre les travaux de Jérusalem et amené la sécession, furent mitres du royaume nouveau. On se mit à réchauffer les anciennes traditions, à les rapprocher, à établir entre elles un ordre déterminé. La mémoire, jusque-là, s’était chargée de ce soin ; on commença à éprouver le besoin d’écrire ces récits et de les coordonner selon un plan suivi. L’usage de l’écriture s’était fort répandu sous David et sous Salomon ; mais on ne l’avait pas encore appliquée aux traditions orales. Ces traditions se défendaient par leur notoriété. On n’écrit pas ce que tout le monde sait par cœur. La rédaction de pareilles données ne se fait que quand la mémoire éprouve déjà quelque fatigue et commence à fléchir. Dans les âges antiques, la littérature la plus importante n’était pas toujours celle qu’on écrivait ; c’était celle que la nation tenait dans ses souvenirs.

Voilà pourquoi, d’ordinaire, la rédaction d’un ensemble de traditions orales n’est pas, à l’époque où elle a lieu, un fait aussi capital que nous sommes portés à nous l’imaginer. Le livre qui ne fait que fixer un vieux fonds traditionnel n’est jamais, au moment où il est écrit, un événement de sensible importance. Les gens au courant de la tradition ne s’en servent pas et affectent même un certain dédain pour ces sortes d’aide-mémoire ; les maîtres s’en soucient peu. Il en fut ainsi pour les Évangiles, pour les Talmuds, devenus plus tard des livres d’une si haute importance, et dont l’apparition ne fit aucune sensation, parce que la génération où ils parurent en savait d’avance le contenu.

Les traditions orales d’Israël étaient de plusieurs sortes. A l’arrière-plan flottaient, dans un lointain indécis, les récits d’origine babylonienne ou harranienne, ces mythes sur l’histoire primitive et le déluge que les Hébreux avaient emportés avec eux de leur ancien séjour. Les souvenirs d’Our-Casdim et du mythique Abraham, combinés avec ceux d’un ancêtre supposé, Abram (le haut père), fournissaient la vie fabuleuse d’un patriarche, qui était déjà censé parcourir en nomade le pays de Chanaan, surtout la région saharienne de Gérare et de Beër-Séba. La biographie anecdotique de deux autres patriarches, Isaac et Jacob, et des fils de ce dernier, en particulier d’un prétendu Joseph[1], qui traversait, en Égypte, les plus piquantes aventures, remplissait la période suivante. L’imagination israélite, toujours enivrée des parfums de la vie pastorale, groupa autour de ces noms tout ce qu’elle avait de charme et de poésie. Certes, les traditions sur ce passé lointain étaient faibles au point de vue de la vérité historique. Des étymologies fantastiques, de vrais calembours sur les noms de lieux en faisaient tout le fond. Les puits, les tas de pierres, les grottes, les autels, les arbres, dont le pays était couvert, avaient des noms ; avec ces noms on faisait un mythe. Pour la couleur, les traditionnistes possédaient un document capital, la vie nomade telle qu’elle se continuait chez les Kénites, les Jérahmélites, les Beni-Qédem ou Saracènes. C’est là que plus tard l’auteur du livre de Job puisa les données de son merveilleux tableau. On peut dire que, de nos jours, cette grande pièce justificative de l’histoire patriarcale existe encore, la vie nomade ayant le privilège de rester toujours identique à elle-même et de reproduire les mêmes types dans les siècles les plus divers.

L’histoire vraie, quoique étrangement mêlée de fables encore, s’ouvrait avec le séjour des tribus israélites sur les confins de l’Égypte. La protection particulière de Iahvé sur Israël se montrait en la manière dont il tira son peuple de la captivité et le fit subsister dans le désert. La vie du chef légendaire qui guida le peuple en cette épreuve, Mosé, commençait à se dessiner, et sûrement le miracle y tenait déjà une très grande part ; mais l’idée, à ce qu’il semble, n’était encore venue à personne que ce Mosé eût été en quoi que ce soit législateur et qu’aucune loi divine lu ; eût été révélée. Les souvenirs d’Israël prenaient un degré particulier de précision et de réalité à partir du moment où le peuple, après avoir traversé le désert, s’approchait du pays de Chanaan.

De cette double série de traditions résultèrent deux écrits qui se faisaient suite, ou que peut-être l’on considérait comme un seul livre. Les idées d’alors sur l’identité des ouvrages n’étaient nullement celles de notre temps. L’un de ces écrits fut une sorte d’histoire patriarcale, qui a été absorbée par les rédactions postérieures[2]. Ce livre n’absorba-t-il pas lui-même des éléments écrits antérieurs[3] ? C’est ce qu’on ne saurait dire et ce qu’il serait peu intéressant de savoir, puisque ces documents antérieurs auraient été à peu près contemporains de la rédaction du livre lui-même et que la question d’unité d’auteur, en de telles conditions, n’a pas beaucoup de sens. Le livre dont nous parlons, autant qu’on peut l’entrevoir à travers les remaniements des siècles suivants, n’offrait pas essentiellement le caractère d’un livre sacré. Il n’avait pas de tendance religieuse précise, bien que la préférence de Iahvé pour Israël y éclatât déjà. Dieu y était désigné par le mot Ha-élohim ; la pluralité impliquée dans ce mot perçait encore en beaucoup d’endroits ; l’envoyé de Dieu s’appelait maleak Ha-élomim[4]. L’objet voulu avant tout était l’intérêt et le charme de la narration. Les temps primitifs de l’humanité y étaient racontés, bien qu’on puisse douter qu’il y fût question de la création et du déluge. Ces premières pages paraissent avoir offert beaucoup d’analogie avec les fables phéniciennes conservées dans les lambeaux de Sanchoniathon. De là venaient tant de passages qui restèrent inintelligibles pour les rédacteurs d’un âge plus moderne, et qui sont comme des trous obscurs dans le texte actuel de la Bible ; par exemple, le IVe chapitre de la Genèse, qui rappelle les mythes phéniciens sur les premiers inventeurs ; ce chant de Lamech à ses femmes, problème des plus singuliers ; le récit (retouché) sur l’amour des fils des dieux pour les filles des hommes, et sur les géants qui sortent de ce commerce ; l’épisode de l’ivresse de Noé et de la malédiction de Cham ou Chanaan, et la cantilène ethnographique qui s’y rattache ; le chapitre XIV de la Genèse, sorte de fenêtre ouverte sur la plus haute antiquité ; le chapitre XV du même livre, premier récit de l’alliance de Iahvé et d’Abram, où le sacrifice est raconté avec une étrange sauvagerie.

Et Iahvé lui dit : Je suis Iahvé qui t’ai fait sortir d’Our-Casdim pour te donner cette terre en possession. Et il dit : Seigneur Iahvé, à quoi connaîtrai-je que je la posséderai ? Et Iahvé lui dit : Prends-moi une génisse de trois ans et un chevreau de trois ans et un bélier de trois ans, une tourterelle et un pigeon. Et Abram prit tous ces [animaux], et les coupa par le milieu, et il plaça les morceaux vis-à-vis les uns des autres ; mais il se garda de couper les oiseaux. Et les oiseaux de proie descendirent sur les corps, et Abram les chassait. Et, comme le soleil allait se coucher, un sommeil tomba sur Abram, et voici qu’une terreur, une grande obscurité, tomba sur lui..... Et, quand le soleil fut couché et qu’il fit tout à fait sombre, voilà une fournaise fumante, un brandon de feu qui passe entre les morceaux.

On peut rapporter à la même source le récit de la catastrophe de Sodome, amenée par trois élohim voyageurs, et le très curieux chapitre XX de la Genèse, contenant la première version de l’aventure d’Abraham chez Abimélek[5]. On reconnaît la trace du même document dans ce qui concerne Ismaël[6] et dans le récit du sacrifice d’Isaac, sacrifice inspiré non encore par la foi, mais par la crainte des élohim[7]. En ce lointain, le caractère d’Abraham, présenté comme une sorte de moslim respectable et grandiose, se dessine avec une surprenante majesté.

La rédaction primitive se retrouve d’une manière presque continue dans l’histoire d’Isaac, et dans toute cette légende de Jacob, empreinte d’un cachet si frappant de mythologie, de sublimité grossière, d’idéalisme concret et de haute naïveté. On se sent bien loin de l’époque prophétique en lisant ces historiettes où Dieu convive aux roueries les plus avouées et fait même pour son favori de légères friponneries[8]. Le Dieu protecteur ne connaît que l’intérêt de son protégé[9], et, dans le choix de son protégé, il se gouverne par l’arbi traire le plus enfantin ; il n’entre dans ses préférences aucun motif moral. En revanche, il se dérange pour bien peu de chose. Le Dieu de Béthel se met en mouvement pour une affaire de chèvres en chaleur[10]. L’auteur trouve cela tout naturel ; comme la petite fille, à qui l’on a appris ses prières, en vient vite à demander au bon Dieu un miracle pour sa poupée.

Avec cela, un polythéisme mal dissimulé, qui se trahit à chaque page. L’auteur admet qu’on rencontre parfois dans la campagne des camps d’élohim ; quelques-uns viennent au devant de vous ; on cause avec eux[11]. D’autrefois, ils vous visitent en songe ; on lutte péniblement jusqu’au lever de l’aurore ; dès que la lumière se fait, ils vous quittent en vous disant adieu[12]. L’étonnante beauté de cette partie de la Genèse vient tout entière du vieux narrateur oublié du Xe siècle. Le fleuron du livre était ce charmant roman de Joseph, le plus ancien des romans et le seul qui n’ait pas vieilli. Le plan général et les parties essentielles de ce délicieux récit existaient déjà, parfaitement caractérisés, dans la plus ancienne rédaction des dires légendaires du Nord.

En quel état la légende de Moïse figurait-elle dans ce récit primitif ? C’est ce qu’il est d’autant plus difficile de conjecturer que nous ne savons pas au juste si les mentions de Moïse se trouvaient dans le livre des Légendes patriarcales, dans le livre des Guerres de Iahvé, dont nous parlerons bientôt, ou dans les deux. Le singulier passage[13] où Iahvé rencontre Moïse dans une des gorges du Sinaï, veut le tuer et ne lâche prise que quand Sippora a circoncis son fils avec un silex, ce passage appartenait sans doute au plus vieux texte[14]. Marie avait son rôle dans ces antiques récits[15], et peut-être dès lors lui prêtait-on le vers qui, plus tard, fut développé en un cantique entier sur le passage miraculeux de la mer Rouge[16]. L’épisode de Jéthro présente aussi un haut caractère d’antiquité[17].

La théophanie du Horeb[18] avait encore des proportions modestes ; c’était, à ce qu’il semble, un simple renouvellement de l’alliance de Iahvé avec son peuple. Ce qui est sûr, c’est que le caractère céraunien de Iahvé était fortement accusé. La foudre, l’éclair, le nuage sombre, la tempête, sont, en ces vieilles pages, l’accompagnement indispensable des apparitions de Iahvé. Dans la traversée du désert, Moïse jouait seulement le rôle de chef entre plusieurs autres chefs. Peut-être quelques données exactes sur la topographie de la péninsule du Sinaï servaient-elles à enchaîner ces récits, et, comme le voyage clans la péninsule fut très court, on arrivait ainsi presque d’un saut à Hésébon et aux talus de Moab, où l’histoire héroïque commençait.

Le livre était essentiellement un livre israélite, dans le sens que le schisme des dix tribus avait consacré[19]. Le but, qu’on s’y proposait était de faire valoir les légendes israélites, d’expliquer d’une façon relevée l’origine des lieux saints israélites, d’attribuer aux ancêtres des tribus, à l’exclusion des indigènes et des Philistins, toutes les bonnes vieilles choses du pays, les puits, les bois sacrés, les vieux térébinthes. Joseph, le père d’Éphraïm et de Manassé, est partout exalté[20] ; Éphraïm et Manassé sont l’objet des bénédictions les plus chaleureuses[21] ; Éphraïm, quoique censé le cadet, est préféré à Manassé[22]. Ruben paraît intentionnellement ménagé[23]. Béthel est, aux yeux de l’auteur, le vrai sanctuaire d’Israël, et un récit est destiné à établir le devoir qu’ont tous les descendants de Jacob d’y payer la dîme[24]. Sichem est le centre de la famille d’Israël[25]. La région transjordanienne de Galaad et les déserts du côté de Gérare et de Beër-Séba tenaient une grande place dans les récits du conteur. Beër-Séba surtout, est un lieu saint ; ses puits et son bois de tamaris sont comme le centre d’une religion que l’on cherche à fonder[26]. Chaque puits du désert au sud de Juda a sa légende, commune presque toujours à Israël et à Ismaël[27].

Le pays de Juda, au contraire, était, ce semble, à peine mentionné. L’auteur affectionnait les légendes locales ; il les connaissait à fond, et, s’il a peu de chose à dire sur Juda, c’est qu’évidemment il tournait un peu volontairement le des à ce pays. Il est difficile de ne pas voir une intention malveillante dans la légende de Thamar[28], où Juda est si complètement sacrifié, et où la famille de ce patriarche, censée issue du rapt d’une Chananéenne, est présentée comme souillée par tous les crimes. En religion, les idées de l’auteur étaient très larges. Déjà se dessine l’antipathie contre les téraphim, les idoles et les amulettes des païens[29]. Mais on ne remarque aucune tendance vers la centralisation du culte. Les autels à Iahvé s’élèvent de tous côtés, sans que l’auteur voie là autre chose que le témoignage d’une légitime piété[30].

Le livre des légendes israélites a été le commencement de la Bible, surtout de la Bible telle que les poètes et les artistes l’entendent. L’empreinte de la légende populaire y est en quelque sorte à fleur de coin. On n’y peut comparer que l’Homère des Grecs. L’intérêt que les enfants prennent à ces récits est un éloge suprême. Il y a deux livres d’enfants par excellence, Homère et la Bible[31]. Ce sont les deux seuls livres qui aient été faits pour un public analogue aux enfants, un public curieux, aimable, facile à contenter, n’ayant aucune arrière-pensée théologique, soit pour affirmer, soit pour nier.

Si nous possédions l’œuvre entière du conteur de Béthel ou de Sichem, nous verrions sans doute que, dans son écrit ; résida tout le secret de la beauté hébraïque, qui a séduit le monde à l’égal de la beauté grecque. Cet inconnu a créé la moitié de la poétique de l’humanité. Ses récits sont comme un souffle du printemps du monde. Leur fraîcheur exquise n’est égalée que par leur grandiose crudité. L’homme, quand ces pages étranges furent écrites, vivait encore dans le mythe[32]. Les aperceptions sur le divin étaient à l’état d’hallucination. Les multiples élohim remplissaient l’air, à l’état de souffles mystérieux, de bruits inconnus, de terreurs paniques[33]. L’homme avait avec eux des batailles nocturnes, d’où il sortait blessé. Élohim apparaît triple[34], et ses fils ont avec les femmes des embrassements féconds[35]. La morale est à peine née ; les volontés d’Élohim sont capricieuses, parfois absurdes. Le monde est tout petit. On atteint le ciel avec une échelle ou plutôt une pyramide à échelons[36]. Des messagers vont sans cesse de la terre à l’empyrée. Les théophanies et les angélophanies sont fréquentes. Les songes sont des révélations célestes, des visions de Dieu.

Les mythes ethnographiques de notre narrateur ont surtout une profondeur qui étonne. Sur ce terrain, il semble faire exprès d’être choquant, de violer la nature, pour bien avertir que tout se passe hors de la réalité. Les amours des fils des dieux et des filles des hommes, celles de Lot et de ses filles, Cham riant de la nudité de son père, les batailles de Jacob et d’Ésaü dans le ventre de leur mère, sont de colossales incongruités, qui ne peuvent blesser qu’une étroite pruderie, et qui expliquent mieux qu’aucune formule anthropologique les mystères cachés des races, leurs sympathies, leur inégalité, leurs substitutions, leurs mélanges, leurs haines. Toute l’histoire de Jacob le supplantateur et d’Esaü le sauvage est, à cet égard, un chapitre incomparable, le chef-d’œuvre de l’ethnographie[37]. L’opposition de l’homme sédentaire et, du chasseur[38] le besoin final qu’a le chasseur, malgré ses superbes captures, de recourir à l’homme de la tente, l’idée que tous les chasseurs mourraient de faim, s’il n’y avait pas des gens tranquilles pour leur préparer un plat de lentilles, le triomphe final du paisible végétarien sur le carnivore ne sauraient être plus parfaitement exprimés. Déjà se dessine en Israël un trait décisif, le goût d’une vie réglée, l’assurance que l’homme pacifique finira par l’emporter sur le brutal. L’antipathie contre l’esprit militaire est sensible. Jacob est d’une couardise avouée ; son amour du gain n’est nullement blâmé, et cet amour va parfois jusqu’à de petites coquineries[39]. Joseph fait admirablement son chemin comme bon intendant et bon employé.

Et tout cela est clair, analysé en quelque sorte. Le mythe, qui, chez les Grecs, se montre à nous tout formé et par conséquent obscur, nous apparaît ici dans sa formation même. Le narrateur primitif de la Genèse nous fait assister à l’acte créateur. Nous voyons le bouton de la fleur en train de se nouer ; nous comptons les plis qui s’y superposent, les significations multiples qui s’y pressent, selon l’essence du mythe, qui est de dire trois ou quatre choses à la fois. Le résultat est grandiose, poétique, aimable. C’est une mer sans bords, où l’on se plaît à naufrager.

L’homme rêve toute sa vie des têtes de jeunes filles qu’il a vues de quinze à dix-huit ans. Une race vit éternellement de ses souvenirs d’enfance, ou de ceux qu’une adoption séculaire lui a en quelque sorte inoculés. Le livre des patriarches eut sur l’imagination d’Israël une influence incalculable. Cet écrit primitif donna le ton à ceux qui suivirent, un ton qui n’est ni celui de l’histoire, ni celui du roman, ni celui du mythe, ni celui de l’anecdote, et auquel on ne peut trouver d’analogie que dans certains récits arabes antéislamiques. Le tour de la narration hébraïque, juste, fin, piquant, naïf, rappelant l’improvisation haletante d’un enfant qui veut dire à la fois tout ce qu’il a vu, était fixé pour toujours. On en retrouvera la magie jusque dans les agadas de décadence. Les Évangiles rendront à ce genre le charme conquérant qu’il a toujours eu sur la bonhomie aryenne, peu habituée à tant d’audace dans l’affirmation de fables. On croira la Bible, on croira l’Évangile, à cause d’une apparence de candeur enfantine, et d’après cette fausse idée que la vérité sort de la bouche des enfants : ce qui sort, en réalité, de la bouche de l’enfant, c’est le mensonge. La plus grande erreur de la justice est de croire au témoignage des enfants. Il en est de même des témoins qui se font égorger. Ces témoins, si fort prisés par Pascal, sont justement ceux dont il faut se délier.

 

 

 



[1] Ce sont là d’anciens noms de tribus. La forme pleine était Jacob-el, Joseph-el, etc.

[2] C’est le document B ou second élohiste des critiques allemands. On en découvre des passages suivis dans les chapitres IV et VI de la Genèse, puis aux chapitres XIV et XV, puis de longs extraits à partir du chapitre XVIII. Voir, pour l’analyse de détail, le commentaire de Dillmann, résumant les travaux antérieurs, en particulier ceux de Wellhausen.

[3] Par exemple, le chapitre XIV de la Genèse, où nous voyons introduit sans préparation Abram l’Hébreu, qui habitait la Chênaie de Mamré l’Amorrhéen.

[4] Genèse, XXI, 17 ; XXXI, 11 ; Exode, XIV, 19. Dans une foule d’endroits, le rédacteur jéhoviste a substitué maleak Iahvé, par exemple, Genèse, XXII, 11 ; Exode, III, 2, 4.

[5] Notez le pluriel ןעהה, ayant pour sujet םיהלא. Genèse, XX, 13.

[6] La légende d’Ismaël, selon l’ancien document, se trouve dans Genèse, XXI, 9-21.

[7] Genèse, XXII, 12.

[8] Genèse, XXXI, entier.

[9] Genèse, XXXI, 24, 29, 30 ; 42 ; XXXII, 12 ; XXXIII, 10-11 ; XXXIX, 2, 3, 5, 23.

[10] Genèse, XXXI, 10-13.

[11] Genèse, XXXII, 2-3 (complété parle grec).

[12] Genèse, XXXII, 25 et suiv.

[13] Exode, IV, 24-26.

[14] Peut-être en était-il de même du passage Nombres, XI, 1-3.

[15] Michée, VI, 4.

[16] Exode, XV, 20-21.

[17] Exode, XVIII.

[18] Exode, III, XVII, 6 ; XXXIII, 18 ; comparez la légende d’Élie. I Rois, XIX, 8. Le deutéronomiste reprit cette désignation géographique. Le jéhoviste et l’élohiste préférèrent Sinaï. Voir Dillmann, Exode, p. 24.

[19] Voir surtout Genèse, XLVIII.

[20] Genèse, XLVIII, 20, 22. Comparez Josué, XVI, 14-18, pris du livre des Guerres.

[21] Genèse, XLVIII, 8 et suiv.

[22] Genèse, XLVIII, 17 et suiv.

[23] Genèse, XXXVII, 21, 29 ; XLII, 22, 37.

[24] Genèse, XXVIII, 19-22, et XXXV, 15.

[25] Genèse, L, 25, comparé à Josué, XXIV, 32.

[26] Genèse, XXI, 22-31 (au verset 33, lisez ןזילע, au lieu de םלוע) ; XXVI, 25-33. Comparez Amos, V, 5 ; VIII, 14.

[27] Genèse, XVI, XXI, XXV.

[28] Genèse, XXXVIII.

[29] Genèse, XXXV, 2 et suiv.

[30] Genèse, XXVIII, 22 ; XXXIII, 20.

[31] On peut ajouter, à quelques égards l’Évangile, l’apparition du christianisme ayant ramené pour l’humanité une sorte d’enfance spirituelle et de rajeunissement.

[32] Voir surtout les récits sur Jacob.

[33] Genèse, XXXV, 5.

[34] Genèse, VI, 1 et suiv.

[35] Genèse, XVIII, 1 et suiv.

[36] Mythes de Béthel.

[37] Genèse, XXVI, 22 et suiv.

[38] Genèse, XXV, 27 : l’un était chasseur, l’autre galant homme. Notez la différence de Noé הטרא שיא et d’Esaü, הרש שיא.

[39] Genèse, XXVII, XXX.