C’est surtout par la guerre que la royauté naissante d’Israël inaugura une ère nouvelle, essentiellement différente des temps antérieurs. La forte bande que David s’était faite à Adullam et à Siklag devint le noyau d’une excellente armée permanente, qui eut, à son heure, la supériorité dans tout le midi de la Syrie. Jusque-là, Israël avait souffert des attaques perpétuelles de ses voisins, et s’était toujours montré inférieur aux Philistins. Maintenant les Philistins vont être domptés, les peuples voisins rendus tributaires. Israël va former un véritable royaume, en sûreté derrière ses frontières, et pour un temps dominant les États limitrophes. Ce qui avait caractérisé l’époque des Juges et amené les défaites d’Israël, c’étaient le manque de précaution, l’infériorité de l’armement. David fit faire des provisions d’armes défensives, que l’on gardait dans la citadelle de Jérusalem[1]. Plus anciennement, le gibbor avait été propriétaire de ses armes, lesquelles de la sorte se trouvaient souvent de qualité inférieure ou mal entretenues. L’homme de guerre fut maintenant équipé par le roi, et ces innombrables épisodes oit le Philistin, puissamment casqué, avec sa longue lance et ses cuirasses perfectionnées, narguait l’Israélite, armé d’une simple fronde ou d’une courte épée, ne se présentèrent plus. Une armée, dans les temps anciens, avait presque toujours pour origine une bande de pillards, ou, ce qui revient au même, de gens ne voulant pas travailler et résolus de vivre du travail des autres. Naturellement, ces brigands, une fois leur autorité reconnue sur une certaine surface de pays, devenaient les protecteurs-nés de ceux qui travaillaient pour eux. L’ordre, nous l’avons dit souvent, a été créé dans le monde par le brigand devenu gendarme. Les hommes qui réussirent, avec David, à faire d’Israël une patrie avaient partagé sa vie d’aventures. Ces hommes, presque tous Bethléhémites ou Benjaminites, durent avant tout s’armer ; le pillage des Amalécites les y aida. Beaucoup d’individus énergiques des tribus voisines se mirent avec eux. Les Chananéens ou Hittites paraissent avoir été dans la bande sur le même pied que les Israélites. Il y avait aussi des Arabes, des Araméens, des Ammonites[2]. Enfin les Philistins, comme nous le verrons, fournirent un contingent considérable. Parmi ces compagnons, que le fils d’Isaï savait retenir autour de lui à force d’habileté, de charme, et surtout en leur procurant de beaux profits, un homme dominait tous les autres par sa capacité militaire ; c’était Joab, fils de Serouïa, qui fut le lieutenant de David dans toutes ses conquêtes, comme il avait été le principal instrument de sa fortune. Son frère Abisaï le secondait habilement. Le dévouement de ces hommes à leur chef ne connaissait pas de bornes. David était personnellement d’une grande bravoure ; mais il était petit et ne paraît pas avoir été très résistant à la fatigue. Un jour, dans une expédition contre les Philistins, partie de Jérusalem, il fut obligé de s’arrêter à Nob[3] et faillit être tué par un Philistin. A partir de ce moment, les compagnons firent ce qu’ils purent pour l’empêcher de payer de sa personne, l’assurant que sa vie était trop précieuse pour être ainsi exposée, en réalité parce que la présence de leur ancien chef, devenu roi et légèrement obèse, était pour eux une gêne, un obstacle à la célérité des mouvements. Une singulière émulation de gloire s’alluma entre ces hommes, qui, n’ayant plus d’autre métier que la bataille, devinrent des soudards de profession, uniquement occupés à se raconter leurs prouesses et à se surpasser les uns les autres. Les gibborim (les héros, les braves) devinrent comme un groupe d’élite, dont on aspirait à être. Il y eut une sorte de Légion d’honneur des Trente, comprenant les plus illustres paladins de David. Parmi ces Trente, on en compta trois, les plus illustres de tous, Joab mis à part. C’étaient Jasobeam le Hakmonite, Éléazar fils de Dodo[4] l’Ahohite, Samma fils de Agé le Hararite, tous de la tribu de Juda ou de Benjamin. Plusieurs plaçaient clans la même catégorie Abisaï et Benaïah. Du vivant même de David, à ce qu’il semble, se fixèrent par écrit des listes, souvent peu d’accord entre elles, où étaient les noms de ces braves, et les petites anecdotes militaires qui se rattachaient à chacun d’eux[5]. Voici les noms des gibborim de David. Jasobeam le Hakmonite, l’un des capitaines. Ce fut lui qui brandit sa lance sur huit cents hommes tués en une seule fois. Après lui, Éléazar fils de Dodo, l’Ahohite, l’un des trois gibborim. Il fut avec David à Pas-Dammim[6]. Les Philistins se réunirent là pour le combat et les Israélites se retirèrent. Lui, il se leva et frappa les Philistins jusqu’à ce que sa main fût engourdie et comme crispée à la garde de son épée ; et Iahvé fit un grand coup de salut en ce jour. Et la masse revint se mettre derrière lui, mais pour piller. Après lui, Samma fils de Agé, le Hararite. Les Philistins s’étaient rassemblés pour le combat, et il y avait là un champ plein de lentilles, et le peuple fuyait devant les Philistins. Mais lui, il prit position au milieu du champ, et il se défendit, et il battit les Philistins, et Iahvé fit un grand coup de salut. Et ces trois capitaines descendirent, et ils vinrent trouver David dans la caverne d’Adullam, et la troupe des Philistins campait dans la plaine des Refaïm, et David était alors dans la mesouda, et un poste de Philistins était à Bethléhem[7]. Et David eut un désir, et dit : Ah ! si je pouvais avoir un peu d’eau du puits de Bethlehem qui est à la porte ![8] Alors les trois gibborim se frayèrent un chemin à travers le camp des Philistins, et puisèrent de l’eau du puits de Bethléhem qui est près de la porte, et ils l’apportèrent à David. Mais celui-ci ne voulut pas la boire, et il en fit une libation à Iahvé, en disant : Iahvé me préserve d’une pareille chose ! Cette eau est du sang d’hommes, qui l’ont conquise au risque de leur vie. Voilà ce qu’ont fait les trois gibborim[9]. Et Abisaï, frère de Joab, fils de Serouïa, était aussi un capitaine. Et il brandit sa lance sur trois cents tués ; et son renom égala celui des Trois. Il fut plus estimé que les Trente, et il fut leur chef ; mais il n’arriva pas jusqu’aux Trois. Et Benaïah, fils de Joïada, fils d’un brave de Qabseël, qui avait fait beaucoup de prouesses. Ce fut lui qui tua les deux Ariel de Moab[10] ; ce fut lui aussi qui descendit et tua le lion dans la fosse, par un jour de neige[11]. Il tua aussi l’Égyptien très bel homme, et, dans la main de l’Égyptien, il y avait une lance. Il descendit vers lui avec un bâton, et il arracha la lance de la main de l’Égyptien, et il le tua avec sa lance[12]. Voilà ce que fit Benaïah fils de Joiada. Et son renom égala celui des trois gibborim. Il fut plus estimé que les Trente ; mais il n’arriva pas jusqu’aux Trois. Et David le préposa à sa garde[13]. Asaël, frère de Joab, fut un des Trente ; Elhanan, fils de Dodo[14], de Bethléhem ; Samma le Harodite[15] ; Éliqa le Harodite ; Hélès le Paltite ; Ira, fils de Iqqès, le Thécuite ; Abiézer l’Anatotite ; Sibbekaï de Husa ; Salmon l’Ahohite ; Maharaï de Netofa ; Héleb, fils de Baana, de Netofa ; Ittaï, fils de Ribaï, de la Gibéa des Benjaminites ; Benaïah de Firaton ; Houraï de Nahalé-Gaas ; Abiel de Arba ; Azmaout de Bahourim ; Eliahba de Saalbon ; Hasem le Gilonite ; Jonathan, fils de Samma, le Hararite ; Abiam, fils de Sacar, le Hararite ; Eliphélet, fils de Ahasbaï, de Maaka ; Eliam, fils d’Ahitophel, le Gilonite ; Hesraï le Carmélite ; Paaraï l’Arbite ; Igaal, fils de Natan, de Soba ; Bani le Gadite ; Seleq l’Ammonite ; Naharaï de Beëroth, l’écuyer de Joab, fils de Serouïa ; Ira le Jitrite ; Gareb le Jitrite ; Ouriah le Hittite. En tout trente-sept. Quelques autres anecdotes militaires du temps nous ont été conservées, à ce qu’il semble, par la main même qui a tracé la liste des gibborim[16]. Et il y eut encore un combat entre les Philistins et Israël. Et David descendit avec ses gens, et ils combattirent les Philistins. Et David se trouva fatigué, et ils s’arrêtèrent à Nob. Et un homme de la race des Refaïm[17], qui portait une lance dont l’airain pesait trois cents sicles, et qui était ceint d’une ceinture de fer[18], parlait de tuer David. Et Abisaï, fils de Serouïa, vint à sou secours, et frappa le Philistin, et le tua. Alors les hommes de David lui firent ce serment : Tu ne sortiras plus désormais avec nous pour la bataille, de peur que le flambeau d’Israël ne vienne à s’éteindre. Et il y eut encore après cela un combat à Nob[19] avec les Philistins. Alors Sibbekaï, de la famille de Housa, tua Saf, homme de la race des Refaïm. Et il y eut encore un combat à Nob[20] avec les Philistins, et Elhanan fils de Dodo, de Bethléhem, tua Goliath le Gattite, qui avait une lance dont le bois était de la longueur d’une gaule de tisserand. Et il y eut encore un combat à Nob, et il y eut là un géant, et les doigts de ses mains et les doigts de ses pieds étaient six et six : en tout vingt-quatre. C’était aussi un fils des Refaïm, et il injuriait Israël, et Jonathan, fils de Siméa, frère de David, le tua. Ces quatre étaient nés de la race des Refaïm, à Gath, et ils tombèrent par la main de David et par la main de ses gens. |
[1] Cantiques, IV, 4.
[2] II Samuel, XXIII. Les noms de tribus qui se lisent dans la liste des gibborim paraissent souvent étrangers à Israël. Malheureusement, ces noms sont fort altérés par les copistes.
[3] II Samuel, XXI, 15.17.
[4] Même nom que David.
[5] II Samuel, XXI et XXIII (en comparant les passages parallèles, I Chron., ch. XI). On peut y joindre les petits récits des chap. V et VIII.
[6] Comparez I Samuel, XVII, 1.
[7] Tout ce texte est fort obscur, d’abord parce qu’il a été altéré par les copistes, puis parce qu’il est singulièrement contradictoire. On n’était pas d’accord sur l’endroit où se trouvait David quand il demanda de l’eau de Bethlehem. Les uns croyaient qu’il était à Sion (mesouda, comparez II Samuel, V, 7, 9, 17), et le récit actuel est conçu dans cette hypothèse. D’autres plaçaient l’épisode à l’époque où David était dans la caverne d’Adullam. Cette observation, d’abord marginale, a passé dans le texte, qu’elle rend incohérent. ריצק לא est une intercalation du même genre. Comparez I Chron., XI, 15. Le caprice de David et l’obséquiosité des trois capitaines se comprennent mieux, rapportés an temps où David était roi qu’au temps où il était hors la loi. Toute la topographie de l’incident a pour centre Sion, non Adullam.
[8] Cette eau devait être plus fraîche que celle qu’on pouvait boire à Sion.
[9] Les trois gibborim sont donc les trois héros qui précèdent, connus aussi sous le nom de ros-salis ou capitaines.
[10] Bizarrerie, que l’inscription de Mésa (lignes 12, 17-18) n’explique nullement.
[11] Pour prendre les lions, on creusait des fossés, qu’on recouvrait très légèrement. En temps de neige, surtout, le piège était facile à dissimuler.
[12] Prototype de la légende de Goliath.
[13] Je lis והרטשט לע. Ce sont les Kréti-Pléti.
[14] Le même probablement que II Samuel, XXI, 19.
[15] Doublet du second gibbor, ci-dessus.
[16] II Samuel, XXI, 15 et suiv.
[17] C’est-à-dire des géants.
[18] Mot inintelligible, texte défectueux.
[19] Le texte porte Gob ; mais il n’y a pas de localité de ce nom.
[20] Le texte porte Gath, leçon invraisemblable, pour Gob ou Nob. Le passage parait avoir pour but de relever toutes les batailles philistines qui eurent lieu à Nob.