HISTOIRE DU PEUPLE D’ISRAËL

TOME DEUXIÈME

 

PRÉFACE.

 

 

Ce volume renferme la partie que je regarde comme la plus importante dans l'histoire du judaïsme. Iahvé, le dieu national d'Israël, y subit une complète transformation. De dieu local et provincial, il devient, par une sorte de retour à l'ancien élohisme patriarcal, le Dieu universel qui a fait le ciel et la terre. Il devient surtout un Dieu juste; ce que les dieux nationaux, nécessairement pleins de partialité pour leur clientèle, ne sont jamais. L'entrée de la morale dans la religion est un fait accompli : Amos, Osée, Michée, Isaïe, à la date où s'arrête ce volume, l'ont proclamée en tirades dont la beauté n'a jamais été surpassée.

Au premier abord, le judaïsme semble une religion née avec le monde, ou, pour mieux dire, qui n'a pas eu de commencement. C'est là une conception bien erronée. Le judaïsme, comme toutes les religions, a commencé, et il a mis à peu près quatre cents ans à se constituer. Vers 1000 ans avant Jésus-Christ, la religion israélite, ce qu'on a depuis appelé le judaïsme, n'existait pas encore. La religion de David et de Salomon ne différait pas sensiblement de celle des peuples voisins de la Palestine. Certes, un oeil sagace aurait pu apercevoir dès lors les germes qui devaient se développer plus tard. Mais, à raisonner de cette manière, rien ne commence et ne finit nulle part. Les traits de prédestination à une vocation religieuse qu'on peut entrevoir en Israël, dès l'époque la plus reculée, ne se dessinent nettement qu'à partir du te siècle avant Jésus-Christ. Les prophètes deviennent alors des créateurs dans le sens le plus éminent du mot. Élie et Élisée sont les représentants légendaires de cette grande révolution. Puis le mouvement se continue par des hommes que nous touchons en quelque sorte et dont nous possédons les écrits. En réalité, à l'avènement d'Ézéchias, vers 725 ans avant Jésus-Christ, le judaïsme est complètement formé. Ce que l'époque de Josias, les restaurateurs du temps de Zorobabel, la réforme d'Esdras y ajouteront, c'est une organisation sectaire d'une merveilleuse solidité.

J'essayerai de montrer, dans le prochain volume, comment s'accomplit cette oeuvre d'organisation, qui fut achevée environ 450 ans avant Jésus-Christ. Le judaïsme dès lors résume tout le travail religieux de l'humanité, puisque le christianisme et l'islamisme n'en sont que des branches latérales. L'oeuvre du génie israélite n'a été vraiment atteinte qu'au XVIIIe siècle après Jésus-Christ, quand il est devenu fort douteux pour les esprits un peu cultivés que les choses de ce monde soient gouvernées par un Dieu juste. L'idée exagérée de Providence particulière, base du judaïsme et de l'islam, et que le christianisme n'a corrigée que par le fond de libéralisme inhérent à nos races, a été définitivement vaincue par la philosophie moderne, fruit non de spéculations abstraites, mais d'une constante expérience. On n'a jamais observé, en effet, qu'un être supérieur s'occupe, dans un but moral ou immoral, des choses de la nature ou des choses de l'humanité. Une forte transposition demande dès lors à être opérée dans toutes les idées religieuses que nous a léguées le passé; on ne peut pas dire que la formule, satisfaisante pour tous, en ait encore été trouvée.

Je dois une explication sur les dates courantes que j'ai mises, pour la commodité du lecteur, au haut des pages. Ces dates, hors celle de la prise de Samarie, ne doivent jamais être considérées que comme des approximations. La date de la prise de Samarie est certaine à un an près. Mais toute la chronologie des événements qui vont de David à la destruction du royaume d'Israël souffre de graves difficultés, venant presque toutes des fautes que les abréviateurs, les compilateurs et les copistes ont introduites dans les textes hébreux, Il suffit de faire remarquer que les durées de règne des rois de Juda et d'Israël, depuis la séparation des deux royaumes jusqu'à la fin de celui du Nord, additionnées séparément, ne donnent pas le même total. Pour les temps de David et de Salomon, on estime que l'amplitude de l'erreur peut être de près de cinquante ans. Nous pensons qu'avec le système de moyennes que nous avons adopté, l'erreur possible des chiffres proposés au haut de nos pages ne va pas au delà d'une vingtaine d'années. Pour les derniers événements racontés en ce volume, l'erreur est bien moindre. Telles qu'elles sont, ces indications chronologiques fixent les idées, et peuvent aider l'imagination à espacer convenablement la succession des faits.