Le massif du Sinaï, formé d’un granit sombre, que le soleil, qui dore toute chose, baigne depuis des siècles sans le pénétrer, est un des phénomènes les plus singuliers de la surface du globe[1]. C’est l’image parfaite des paysages d’un monde sans eau, tel qu’on se figure la lune ou tout autre corps céleste privé d’atmosphère. Ce n’est pas qu’il ne s’amoncelle fréquemment sur les sommets d’effroyables orages. Mais l’orage, ailleurs bienfaisant, n’est ici que terrible ; on dirait un phénomène inorganique, métallique en quelque sorte, un concert où n’entreraient que le son du canon, du tambour, de la trompette et de la cloche. Des dieux sévères doivent habiter ces sommets ; c’est l’Olympe, moins ses eaux et ses forêts ; l’Islande ou Jean-Mayen, moins les neiges. De tout ce qui constitue la nature, — le soleil, les nuages, l’eau, l’arbre, la verdure, l’homme, l’animal, — il n’y a ici que la pierre, striée par des filons de métal, parfois condensée en gemmes resplendissantes, toujours rebelle à la vie et l’étouffant autour d’elle. Du cuivre, des turquoises, tous les résidus d’une sorte de vitrification naturelle, voilà les produits du Sinaï. La Thora aussi, dit-on, en est venue, mais jamais la vie. Si l’on excepte la petite oasis du couvent de Sainte-Catherine, placée en dehors des parties vues par les Hébreux, la sécheresse est absolue ; dans ce monde anti-humain, pas un fruit, pas un grain de blé, pas une goutte d’eau. En revanche, nulle part ailleurs, la lumière n’est aussi intense, l’air aussi transparent, la neige aussi éblouissante. Le silence de ces solitudes terrifie ; un mot prononcé à voix basse suscite des échos étranges ; le voyageur est troublé du bruit de ses pas[2]. C’est bien la montagne des Élohim[3], avec leurs contours invisibles, leurs décevantes transparences, leurs bizarres miroitements. Le Sinaï est, en quelque sorte, la montagne de l’Égypte. L’Égypte proprement dite n’a pas de montagnes[4]. Ce qu’on appelle chaîne Arabique, chaîne Libyque n’est qu’une apparence ; ces hauteurs uniformes n’ont pas de revers ; ce sont les berges d’une grande vallée d’érosion. La mer Rouge, long canal dans un désert, ne crée aucune différence entre ses deux rives. Le Sinaï est ainsi, dans toute la région saharienne, une chose unique, un accident isolé, un trône, un piédestal ‘pour quelque chose de divin. L’Égypte, renfermée dans sa vallée et si peu attentive à l’aspect du monde, n’y pensa guère ; mais tous les nomades voisins de l’Égypte en furent préoccupés. Le Horeb ou Sinaï fut, depuis la plus haute antiquité, l’objet d’un culte religieux pour les populations d’origine hébraïque ou arabe qui rôdaient dans ces parages[5]. On y allait en pèlerinage[6]. Les Sémites d’Égypte venaient fréquemment y offrir des sacrifices[7]. Ils croyaient que leur dieu demeurait là. La montagne sainte répandait la terreur à une grande distance à la ronde. On l’appelait par excellence la montagne des Élohim ou la montagne de Dieu[8]. On admettait que les élohim résidaient sur ces sommets[9], tour à tour neigeux ou resplendissants, limpides comme un cristal ou sombres et enveloppés d’un effroyable chapeau de vapeurs. Jusque dans les premiers siècles de notre ère, les tribus du nord de l’Arabie vinrent en pèlerinage à Feiran et au Serbal. Les noms des pèlerins, écrits par centaines sur les rochers de la vallée qui y mène, sont le témoignage de la longue persistance à travers les siècles du culte qui s’attacha à ces rochers[10]. Le culte des montagnes est un des plus anciens de la race sémitique[11]. Le Tabor, le Casius, le Hauran, l’Hermon, le Liban eurent leur culte et leur dieu[12]. Le Sinaï eut le sien, et ce dieu avait avec la foudre les plus profondes affinités. Les sommets où se formaient de si terribles orages parurent le séjour d’un dieu brûlant, aux pennes d’aigle ou d’épervier[13], porté sur les ailes des vents, ayant le feu pour ministre, les vents pour messagers[14]. L’arafel, le nuage sombre était son voile. Il le déchirait pour se révéler par l’éclair. Un dieu de flamme habitait là. Ce qu’il y a de bien frappant, en effet, c’est que, dans un des cinq ou six paragraphes vraiment anciens que nous avons sur la vie de Mosé, ce futur chef d’Israël, exilé chez les Madianites et gardant les troupeaux de son beau-père Jétro, visite Horeb, la montagne de Dieu, et y a la vision d’un buisson ardent, qui brûle sans se consumer[15]. Ce dieu du Sinaï était, en tout cas, redoutable, et on ne le troublait pas impunément dans sa retraite. Quand on le rencontrait dans les couloirs de sa montagne, il cherchait à vous tuer. Telle paraît, du moins, l’explication de l’étrange épisode que voici. Il faut se contenter de le traduire ; car le vrai sens en échappe tout à fait : Or il arriva en route, dans un khan, que Iahvé attaqua Moïse et cherchait à le tuer. Et Sippora[16] prit un caillou, et elle coupa le prépuce de son fils, et elle le jeta aux pieds de son mari, et elle dit : Tu es pour moi un époux de sang. Alors Iahvé lâcha Moise[17]. C’est là, ce semble, un pendant de la lutte prêtée à Jacob contre un éloh. Quand on traversait le territoire d’un dieu, il n’était pas rare que ce dieu vous attaquât durant la nuit. On ne se tirait d’affaire qu’émasculé, énervé ou au moyen de quelque expiation sanglante. Le Sinaï était donc avant tout une montagne de terreur. Certains endroits passaient pour si saints, qu’on n’y marchait qu’après avoir retiré ses chaussures[18]. La croyance générale était qu’on ne pouvait voir le dieu qui y demeurait sans mourir[19]. Son seul voisinage tuait[20]. Le vulgaire n’approchait pas de lui[21]. Sa face, conçue comme une hypostase distincte de lui[22], était une tête de Méduse qu’un vivant ne pouvait voir[23]. Même celui à qui il faisait la faveur de ses entretiens face à face, expiait cet honneur par la mort. On racontait qu’un jour, en Horeb, Moïse voulut voir la gloire du dieu terrible. Le dieu le prit, le plaça dans un trou du rocher, où il le fit tenir debout, le couvrit de sa large main ouverte, et passa. Il retira alors sa Main, si bien que Moïse le vit par derrière. Si Moïse avait vu sa face, il serait mort[24]. Élie vit plus tard le dieu du Horeb, dans des conditions analogues[25]. Apercevoir ce Dieu caché, à la dérobée, était le privilège suprême des hommes élus. D’autres visions rendaient parfaitement les impressions de la haute montagne, l’éblouissement de l’azur[26]. On racontait qu’un jour les principaux Israélites gravirent la montagne et virent la divinité du lieu. Sous ses pieds, c’était comme un dallage de saphir, comme l’éclat du ciel même. Le dieu du Sinaï, on le voit, était un dieu de foudre. Ses théophanies se font dans l’orage, au milieu de la fulguration des éclairs[27]. L’ancien Iahvé avait déjà peut-être quelques-uns de ces caractères. Iahvé, d’ailleurs, prenait décidément le rôle de dieu protecteur d’Israël, et remplaçait, dans l’imagination du peuple les vieux élohim[28]. Il était donc assez naturel qu’on identifiât Iahvé avec le dieu sur les terres duquel on passait et dont on croyait ressentir l’impression terrifiante[29]. L’Égypte portait à son comble le culte des divinités locales ; chaque nome avait ses dieux particuliers. Le Sinaï fut désormais la base de toute la théologie des Israélites. On affirma obstinément que Iahvé apparut là pour la première fois sous la forme d’un feu[30]. Que se passa-t-il en réalité quand, du campement de Raphidim, la tribu s’engagea dans les défilés pierreux du Horeb[31] ? Impossible de le dire. Y eut-il là, en effet, en face du Serbal, un acte religieux, une sorte de consécration du peuple au dieu de la montagne, si bien qu’à partir de ce jour le dieu du Sinaï fut le dieu spécial d’Israël ? Le chef du peuple, Mosé, profita-t-il d’un de ces orages effroyables qui sont fréquents dans le pays, pour faire croire à une révélation du dieu-foudre, qui résidait sur les hauteurs ? La façon dont la Loi fut rattachée au Sinaï, vers le IXe siècle avant Jésus-Christ eut-elle quelque point d’attache dans les faits réels ? Ou bien, dans les quatre ou cinq cents ans qui suivirent, cette grandiose légende grossit-elle comme la bulle de savon, d’autant plus brillante et plus colorée qu’elle est plus vide ? Deux choses seulement se laissent entrevoir. La première, c’est que, dès l’époque sinaïtique, on s’habitue à concevoir Iahvé comme apparaissant sous la forme d’une vision de flamme[32]. Il a pour vêtement la nuée sombre, pour voix le tonnerre, pour traits les carreaux de la foudre. En temps d’orage, il glisse sur le vent, roule sur les nuées un char d’airain, comme un Capanée[33]. On lui prête parfois un char automatique muni d’ailes. Un second fait, non moins remarquable et acquis, c’est que le Iahvé des Hébreux, arrivé à sa constitution parfaite, demeure dans le Sinaï[34], comme Zeus et les dieux grecs demeurent dans l’Olympe. Il a son séjour sur ces hauts sommets, surtout quand un cumulus de lourds nuages en dérobe les cimes. De là, il éclate en bruits horribles, en éclairs, en flammes ardentes, en révélations tonitruantes. L’image fondamentale de la religion et de la poésie hébraïque sera la théophanie de Iahvé, apparaissant comme une aurore boréale, pour juger la terre[35]. Cette apparition se fait toujours du côté du Sud, au-dessus de Pharan et de Seïr ; son point de départ est le Sinaï. Ainsi, dans le morceau de poésie hébraïque le plus ancien que nous possédions en son état complet[36] : Ô
Iahvé, quand tu t’élevas au-dessus du Seïr, Quand
tu t’avanças des champs d’Édom, La
terre trembla, les cieux distillèrent, Les
nues se fondirent en eau ; Ce Sinaï !... à la vue de Iahvé ; A la
vue de Iahvé, le dieu d’Israël ! et, dans un des très vieux morceaux cousus artificiellement pour former la Bénédiction de Moïse[37] : Iahvé
arrive du Sinaï, Il se
lève du côté de Seïr, Il
éclate des montagnes de Pharan, Il vient des Meriboth-Qadès[38], Du côté du Sud, le feu brille[39]. et, dans les parties originales du Psaume Que Dieu se lève[40] : Ô Dieu,
quand tu apparus en présence de ton peuple, Quand
tu t’avanças dans le désert, La
terre trembla, les cieux distillèrent, A la
face de Dieu... Ce
Sinaï !... A la face de Dieu, du Dieu d’Israël ; et, dans le Psaume de Habacuc : Dieu
vient de Théman, Le Saint éclate des montagnes de Pharan[41]. Le Sinaï devint ainsi l’Olympe d’Israël, le point de départ des grandes apparitions lumineuses de Iahvé. Il était tout naturel que, quand on voulut avoir une Thora de Iahvé, on la lui fît révéler du Sinaï ou du Horeb. Dès l’époque reculée où nous sommes, c’est-à-dire dès la visite qu’Israël fit à la montagne de Dieu, le peuple crut-il entendre quelque’ enseignement ? Mosé profita-t-il de la circonstance pour inculquer certains préceptes ? Le peu de place que tiendraient ces préceptes dans la vie d’Israël, durant les six ou sept cents ans qui suivirent, porte à croire qu’ils n’ont jamais réellement existé. Il paraît probable du moins que le peuple quitta la montagne sainte, plein de terreur et persuadé qu’un dieu très puissant habitait sur ces cimes. Il y eut sans doute des sacrifices et des cippes érigés[42]. Il y eut surtout un éclatant souvenir. Le peuple avait réellement vu le dieu de la montagne sainte. Cette vision, comme un éclair, l’avait frappé d’amaurose. Sur le fond de sa rétine enflammée, il y eut comme une aurore boréale, dont la vision l’obséda. Pas un des morceaux de vieille poésie hébraïque qui ne débute par cette impression persistante. L’image maîtresse qui domina la conscience d’Israël fut la vision du Sinaï. Toujours l’homme primitif a logé les dieux sur les Montagnes, dans les neiges éternelles. Ces sommets non foulés laissaient le champ libre au mystère. On pouvait, croire que les mœses (sortes de fées) demeuraient sur le Parnasse, que Zeus tenait sa cour sur l’Olympe, quand les Sommets de ces montagnes n’avaient pas été explorés[43]. Mais, du moment que l’ascension en fut faite, on vit bien que les immortels n’y étaient pas. Iahvé, comme les autres dieux, habita sur la plus haute montagne de la région vouée à son culte. Le Sinaï prêtait merveilleusement à ce rôle de montagne divine, pour des tribus roulant à l’ouest de l’Égypte, dans le nord de l’Arabie et au sud de la Palestine. Dans la Palestine moyenne, on aurait pu songer aux montagnes du Hauran, dont l’aspect volcanique est si frappant. Ce sont, en effet, les montagnes du Hauran que le poète suppose jalouses de la préférence accordée par Iahvé à la petite colline de Sion[44]. Dans le nord de la Palestine, c’est sûrement l’Hermon qui eût été choisi. Ce superbe cône isolé, toujours strié de neige, et le plus élevé de la Syrie, semblait fait exprès pour servir de résidence à un dieu régional. Le fait que le dieu d’Israël a son séjour dans le Sinaï, montagne si éloignée du rayon visuel de la Palestine, est la meilleure preuve de l’importance religieuse qu’eut cette montagne aux yeux du peuple d’Israël. Pour les voyants et les poètes, l’aurore de l’apparition divine vient toujours du Midi. Si Iahvé n’est pas, comme on a pu le supposer, le dieu propre du Sinaï, c’est au Sinaï du moins qu’il faut placer la station intermédiaire où il est devenu le dieu particulier d’Israël. C’était une lourde chute ; le vieil Æon chaldéen, le maître de la vie, descendait au rôle inférieur de protecteur d’un petit peuple. Mais ce peuple était Israël, et ce qu’Israël adopte a chance d’être adopté par l’humanité. En ce sens, Iahvé est vraiment apparu du Sinaï, et l’ancien poète hébreu a eu raison de dire : Iahvé
est venu du Sinaï, Et il
s’est levé de Seïr, Et il a éclaté du mont Pharan[45]. Cette adoption de Iahvé, qui paraît avoir été consommée à l’époque sinaïtique[46], se présenta-t-elle comme une conversion, comme quelque chose d’aussi caractérisé que le furent plus tard la construction du temple, la réforme d’Ézéchias et surtout l’organisation fanatique de Josias ? Il faudrait se garder de le croire. Une des marques de la complète nationalisation d’un dieu est l’introduction de son nom dans les noms propres d’hommes. Or le nom de Iahvé, soit comme composant initial (Ieho ou Io), soit comme composant final (Iah) ne parait guère dans les noms propres avant les temps de Samuel et de Saül[47]. Il y a plus : un grand nombre d’Israélites, à l’époque des Juges et de David, portent des noms où entre le composant Baal[48], tels que Jarébaal, Meribaal, Isbaal, Baaliada[49]. Ce nom de Baal, équivalent d’Adonaï, mais particulièrement affectionné par les Phéniciens, ne fut considéré comme messéant et idolâtrique qu’à partir des prophètes de l’école d’Élie. Un large éclectisme fut jusqu’à ce temps la règle religieuse d’Israël. Il est remarquable que les noms formés avec les composants Milik ou Baal se trouvent particulièrement dans la famille ou l’entourage de Gédéon, de Saül et de David[50]. |
[1] Ordnance Survey, 1re partie.
[2] Ordnance Survey, 1re partie, p. 30.
[3] Exode, III, 1.
[4] Il faut excepter le Djébel-Ataka et ses prolongements vers le couvent de Saint-Paul, qui sont, en quelque sorte, des petits Sinaï.
[5] Exode, III, 1 et suiv., 5, etc.
[6] Exode, III, 18.
[7] Exode, III, 18.
[8] Exode, III, 1 ; IV, 27 ; XVIII ; XXIV, 13 ; I Rois, XIX, 8. Cf. Nombres, X, 33 ; Ps. XXXVI, 7 ; LXVIII, 16 et suiv.
[9] Exode, XIX, 3. Moïse monta vers les Élohim.
[10] Inscriptions dites sinaïtiques. Voyez la dissertation de Tuch, dans la Zeitschrift der d. m. G., 1849, p. 129 et suiv., celle de Lévy de Breslau, même recueil, 1860, p. 363 et suiv., 594 et suiv. Il y a parmi les pèlerins des chrétiens, des juifs et des païens. Journal asiatique, janv., févr.-mars 1859.
[11] Baudissin, Studien zur semit. Rel., II, 232 et suiv.
[12] Baal-Hermon, Baal-Lehanon, Baal-Hauran, Deus Carmelus, le nom de Cassiodore. Voyez Corpus inscr. semit., 1re part., p. 26.
[13] Exode, XIX, 4. Voir la singulière monnaie du Musée Britannique, un peu antérieure à Alexandre, présentant un dieu de foudre sur une sorte de vélocipède ailé, avec la légende זהי : de Luynes, Numism. des satrapies, pl. IV, n° 4 ; Combe, Vet. numi in Mus. Brit., pl. XIII, n° 12 ; Six, dans Numism. Chronicle, 1877, p. 229. Il n’est pas impossible qu’un satrape des pays juifs ou samaritains ait mis sur ses monnaies le dieu du pays.
[14] Ps. CIV, 4.
[15] Exode, III, 1 et suiv.
[16] La femme de Moïse.
[17] Exode, IV, 21-26.
[18] Exode, III, 5.
[19] Exode, III, 6.
[20] Exode, XIX, 12 et suiv., 21 ; XX, 18 et suiv. ; XXVIII, 35 ; XXX, 21 ; XXXIII, 20 ; Lévitique, XVI, 13. Exception : Exode, XXIV, 9-11, qui confirme la règle. Cf. Genèse, XVI, 13.
[21] Exode, XXIV, 2.
[22] Exode, XXXIII, 14.
[23] Légende d’Élie, I Rois, XIX, 13. Cf. Isaïe, VI, 5.
[24] Exode, XXXIII, 17-23 (très ancien).
[25] I Rois, ch. XIX.
[26] Exode, XXIV, 1-2 et 9-11.
[27] Exode, ch. XIX, etc. Cf. Job, XXXVIII, 1.
[28] La désignation du Sinaï par l’expression montagne de Iahvé (Nombres, X, 33) n’autorise pas à conclure que Iahvé fût primitivement le nom du dieu du Sinaï. C’est là une correction du jéhoviste, pour l’ancienne expression montagne des Élohim. Le fait que le nom de Iahvé fut censé révélé au Sinaï (Exode, VI, 3) est sûrement digne de remarque ; car les anciens rédacteurs observent bien l’ordre chronologique des révélations et, par exemple, ne rapportent pas la circoncision au Sinaï. Mais le passage Genèse, IV, 26, place bien Iahvé dans le vieux fond chaldéen.
[29] Exode, III, 11 ; VI, 3.
[30] Exode, III, I et suiv.
[31] La critique qui tient pour légendaires tous les récits relatifs au Horeb et au Sinaï ne peut guère attacher de valeur aux recherches topographiques qu’on a faites pour localiser la mise en scène biblique. Le rédacteur, écrivant en Palestine, n’avait pas en vue tel ou tel site plutôt que tel autre. Il est cependant bien plus naturel de rapporter les traditions bibliques au Serbal, au-dessus de Feiran, qu’au Djébel Mousa et au Djebel Katherin. Cette dernière région, en effet, est fertile, arrosée, et ne mérite nullement le nom de désert du Sinaï, par lequel est désigne le lieu de la théophanie. — Ajoutons que Horeb et Sinaï passèrent pour synonymes ; or Horeb désigna certainement la région montagneuse qui domine Raphidim. Exode, III, 1 ; XVII, 6. — Les inscriptions de Wadi Mokatteb sont aussi un grave indice. Elles montrent que le pèlerinage immémorial se faisait à Feiran et aux hauteurs qui le dominent. Feiran (Raphidim) est, si l’on peut s’exprimer ainsi, le centre religieux et historique du Sinaï.
[32] Genèse, XV, 17 ; Exode, III, 2 ; XIX, 18 ; XXIV, 17 ; I Rois, XIX, 12 ; Ezéchiel, I, 27 ; VIII, 2.
[33] Ps. XVIII, 11 ; CIV, 3-4.
[34] Exode, XIX, 3-4 ; XXXIII, 21.
[35] Voir les descriptions du jour de Iahvé, dans tous les prophètes à partir d’Amos, et celles de l’apparition du Messie (la parousie), dans les Évangiles synoptiques.
[36] Le cantique de Débora, Juges, V. Notez que ce morceau, comme ceux qui vont suivre, est antérieur aux récits contenus dans l’Exode.
[37] Deutéronome, XXXIII, 2.
[38] Deutéronome, XXXIII, 2. Comparez Ezéchiel, XLVII, 19. Voyez Gesenius, Thes.. Le traducteur grec a lu, comme nous, Καδής. Comparez Ps. XXIX, 8. La meriba ou les meriboth de Kadès était une source très connue.
[39] Passage altéré par les copistes. Comparer I Samuel, XXIII, 19.
[40] Ps. LXVIII, 8-9.
[41] Habacuc, III, 3. Cf. Ps. LXXVII, 17 et suiv., passage qui parait imité de Habacuc, et Zacharie, IX, 14.
[42] Cf. Exode, XVII, 15-16.
[43] L’antiquité et le moyen âge n’avaient pas le goût des modernes pour les ascensions de montagnes. La première ascension du mont Blanc est de 1788.
[44] Ps., LXVIII, 16.
[45] Deutéronome, XXXIII, 2.
[46] Le trait iahvéiste sur la bataille de Raphidim (Exode, XVII, 15-16) paraît avoir été emprunté au livre des Guerres de Iahvé. Mais le livre des Guerres de Iahvé, écrit IXe ou au Xe siècle, a déjà pu exagérer le caractère iahvéiste de ces histoires.
[47] Exception apparente : Jokéhed, mère de Moïse (nom sans doute fabriqué après coup ; ou ne trouve le nom de Iahvé dans aucun nom de femme vraiment ancien ; athalia est un adjectif féminin). Il n’est nullement sûr que le nom de Josué renferme le nom de Iahvé, el, d’ailleurs, le personnage est tout légendaire. Joël et Abiah, noms des fils de Samuel, sont douteux.
[48] Plus tard, on substitua boset (honte) à baal, ou bien l’on mit El à la place de Baal. Un grand nombre de noms païens ont été ainsi oblitérés.
[49] Autres exemples : Gesenius, Thes., p. 229, 230.
[50] Gesenius, l. c.