HISTOIRE DU PEUPLE D’ISRAËL

TOME PREMIER

LIVRE PREMIER. — LES BENI-ISRAËL À L’ÉTAT NOMADE JUSQU’À LEUR ÉTABLISSEMENT DANS LE PAYS DE CHANAAN

CHAPITRE XIII. — ISRAËL AU DÉSERT DE PHARAN.

 

 

Sorti de ce qu’il appela toujours la maison de servitude, Israël se trouvait en face du désert peut-être le plus inhospitalier qui soit sous le ciel[1]. Dans sa partie occidentale, on l’appelait le désert de Sur[2]. Plus loin, vers l’Est, il prenait le nom de désert de Pharan. En continuant sa route directement vers l’Est, Israël n’eût trouvé que le vide et la mort. Il inclina vers le Sud-est, suivant à peu près la mer, ou plutôt la vieille route que les Égyptiens avaient tracée, depuis plus de mille ans, pour l’exploitation des mines de cuivre du Sinaï[3].

Le manque d’eau était la privation la plus cruelle. Au bout de trois jours, on arriva au lieu nommé Mara, à cause de ses eaux saumâtres[4]. On chercha, en y faisant infuser certains branchages[5], à la rendre potable, sans y réussir beaucoup. Le campement d’Élim fut[6] plus supportable. On y trouva douze sources, soixante-dix palmiers et des tamaris procurant une ombre agréable. La tribu se rapprocha ensuite de la mer, jusqu’aux premiers contreforts du grand massif du Sinaï. Le désert de Sin les mit de nouveau à de rudes épreuves. C’est un pays affreux, nu, sans eau, où, même en hiver, un troupeau trouve avec peine sa vie.

Les récits des incidents qui remplirent ces journées, devenues plus tard la base d’une religion ou, pour mieux dire, de la religion universelle, donnent toujours le rôle principal à Mosé. Nous avons déjà dit les réserves que la critique doit faire à cet égard. Il est probable cependant que l’activité de l’Hébreu à demi Égyptien dont le rôle semble se dessiner dans les préparatifs de l’exode, se retrouva encore dans les marches du désert. Un autre lévi nommé Ahron ou Aharon (nom peut-être égyptien) paraît à côté de lui, ainsi qu’une femme nommée Miriam. La légende eh fit son frère et sa sœur. Certains récits[7] donnaient à ces deux personnages plus d’importance que les rédactions qui nous ont été conservées.

Peut-être y a-t-il quelque chose de vrai dans les relations que l’on prête à Moïse avec les tribus arabes de l’est de l’Égypte, et ces relations lui furent-elles utiles dans la tâche difficile qu’il s’était donnée. Mais on hésite à parler comme de personnages réels d’ombres à peine dessinées dans les ténèbres d’une nuit profonde. Nous verrons plus tard que le nom d’Aharon, en particulier, est susceptible d’une tout autre explication. Les seules lignes historiques que nous ayons sur ces temps, la chansonnette de Beër[8], où nous voyons une évidente allusion à ce qu’on présenta plus tard comme un miracle de Moïse, nous montrent des sarim (princes), des nedibé ha-am (nobles du peuple), portant des bâtons de commandement et faisant avec ces bâtons, sans intervention surnaturelle, l’acte qu’on attribua, dans les légendes plus modernes, à Moïse. Rien n’est aussi loin que ce petit chant de l’idée d’un chef unique, inspiré de Dieu.

Quand même les récits légendaires ne nous raconteraient pas les murmures et les révoltes quotidiennes du peuple contre les chefs qui l’avaient tiré d’Égypte, on devrait supposer a priori de pareilles scènes. L’homme n’est sensible qu’à son malheur présent. Ce qu’il a souffert lui parait toujours peu de chose auprès de ce qu’il souffre. La faim, la soif firent regretter aux esclaves d’hier les oignons de l’Égypte et la vie relativement plantureuse dont ils y avaient joui. Les chefs ne se refusèrent, dans ces circonstances, aucune des impostures dont la politique des anciens ne se faisait pas scrupule. Il s’agissait de persuader à ces pauvres déshérités que le dieu de leur tribu veillait sur eux. Tous les incidents de la route étaient exploités dans ce sens. Toutes les sources qu’on découvrait étaient attribuées à un miracle. Quelquefois un coup de vent amenait une nuée de cailles, sur laquelle se précipitaient les affamés ; c’était le dieu protecteur qui leur envoyait ce cadeau dans leur détresse.

Un faible secours que ces solitudes présentent au voyageur fut plus tard singulièrement exagéré par la légende. Il n’est pas rare qu’en certaines saisons les arbustes du désert se couvrent d’une sorte d’exsudation gommeuse, au moyen de laquelle les vagabonds réussissent à tromper un peu leur faim. C’est ce que les Arabes appellent mann es-sémâ, le don du ciel, ou simplement mann, le don, s’imaginant que cette excroissance tombe du ciel comme une sorte de gelée blanche. Les Israélites profitèrent de ce maigre soulagement ; plus tard, et dans des pays où l’on ne savait plus ce que c’était que le mann, on lit sur ce point les récits les plus fantastiques. La manne passa pour le pain dont les fils de Dieu mangent dans le ciel, et il fut reçu que Dieu, par une faveur exceptionnelle, avait quelque temps nourri son peuple favori du pain des anges[9].

Ce qui serait véritablement miraculeux, c’est que les Israélites eussent pu vivre dans le désert du Sinaï s’ils avaient été aussi nombreux et si leur séjour y avait été aussi long que le prétend la légende. Mais le récit traditionnel présente ici, certainement, de grandes exagérations. La troupe des fugitifs était infiniment moins considérable que ne voudraient le faire croire les chiffres hyperboliques du texte actuel ; en second lieu, la durée des pérégrinations fut bien moins longue qu’on ne le croit[10]. Les fugitifs avaient pu emporter du blé et des provisions d’Égypte. Avec les objets de valeur qu’ils s’approprièrent, s’il faut en croire les récits[11], ils purent se procurer quelque chose des marchands ismaélites ou madianites et se former un troupeau. Peut-être la péninsule n’était-elle pas, il y a trois mille ans, aussi dénudée qu’elle l’est maintenant[12]. La terre végétale paraît avoir coulé des ouadis dans les plaines environnantes[13]. Certaines vallées ont été barrées autrefois pour servir de réservoir aux eaux de l’hiver[14].

Aujourd’hui, la péninsule, si l’on met à part le couvent de Sainte-Catherine, est peuplée de quelques centaines de bédouins, qui vivent dans la dernière misère. Autrefois, la population était sûrement plus considérable. Les Amalékites et les Madianites, qui paraissent avoir été des tribus nombreuses, y ont vécu des siècles[15]. Pharan, qui n’est autre chose que Raphidim, donna plus tard son nom aux Pharanites[16], qui eurent en leur temps une importance presque égale à celle des Saracènes.

Le voyage d’Israël au désert fut une traversée, non un séjour ; mais l’impression que laissa cette courte période de vie misérable dans l’esprit d’Israël À fut extrêmement profonde. Toutes les circonstances dont on garda un souvenir plus ou moins déformé furent sacramentelles, et la théocratie en tira plus tard des conséquences pour sa politique religieuse. L’imagination s’en mêla et grossit les moindres faits. La manne et les cailles donnèrent lieu de croire que le peuple avait été nourri miraculeusement et que Dieu même avait été son guide, avait marché à sa tête. Dans ces grandes plaines sans vie, où l’atmosphère est d’une pureté extrême, la présence d’une tribu se décèle au loin par une colonne de fumée droite s’élevant vers le ciel. La nuit est souvent préférée pour les marches ; alors on se sert comme signe de ralliement d’un falot enflammé fixé au bout d’une longue perche[17]. Cette colonne, sombre le jour, lumineuse la nuit, fut le Dieu même d’Israël, qui le guidait dans ces solitudes[18]. Ce bon génie du désert avait montré pour Israël une affection si spéciale, qu’on se prit à l’invoquer d’une façon toute personnelle. Le dieu qui avait tiré Israël de l’Égypte, et l’avait fait vivre dans la terre de la soif n’était pas l’Élohim absolu, le simple grand Dieu, roi et providence de l’univers entier. C’était un dieu qui aimait particulièrement Israël, qui se l’était acquis comme un pécule. Que nous sommes loin de l’ancien dieu patriarcal, juste et universel ! Le nouveau dieu dont il s’agit est partial au plus haut degré. Sa providence n’a plus qu’un seul objectif : c’est de veiller sur Israël. Ce n’est pas encore un dieu de nation ; car une nation résulte du mariage d’un groupe d’hommes avec une terre, et Israël ne possède pas de terre ; mais c’est un dieu de tribu au plus haut degré. L’abaissement est sensible. L’ancien Jacobélite, dont l’auteur du Livre de Job saura retrouver le génie, avait de Dieu et de l’univers une idée autrement haute.

Un dieu protecteur a besoin d’un nom propre ; car le dieu protecteur est quelqu’un ; il se particularise avec celui qu’il protège. Israël n’avait, dans son vocabulaire religieux, qu’un nom propre de Dieu. Ce nom de Iahvé que les anciens nomades avaient rapporté du Paddan-Aram ou d’Our-Casdim, n’était pas, comme El ou Élohim, un nom générique ; c’était un mot indéclinable, inflexible, analogue au Camos des Moabites. Par suite d’idées qu’il nous est impossible de ressaisir, le dieu protecteur d’Israël s’appela Iahvé[19]. Chaque pas vers la confection de l’idée nationale était, on le voit, un abaissement de la théologie d’Israël. L’idée nationale voulait un dieu qui ne pensât qu’à la nation, qui, dans l’intérêt de la nation, fût cruel, injuste, ennemi du genre humain. Le iahvéisme commença virtuellement le jour où Israël fut égoïste par principe national. Le iahvéisme grandira avec la nation ; il sera une oblitération de l’idée sublime et vraie de l’élohisme primitif. Heureusement, il y avait dans le génie d’Israël quelque chose de supérieur aux préjugés nationaux. Le vieil élohisme ne mourra jamais ; il survivra au iahvéisme ou plutôt il se l’assimilera. La verrue sera extirpée. Les prophètes et en particulier Jésus, le dernier d’entre eux, expulseront Iahvé, dieu exclusif d’Israël[20], et reviendront à la belle formule patriarcale d’un père juste et bon, unique pour l’univers et pour le genre humain.

Ce n’est jamais impunément que l’on passe de l’idéalisme au nationalisme. Israël n’est pas le seul peuple pour qui l’adoption d’un dieu protecteur ait été une déchéance, et Israël a eu du moins le courage de réagir contre son erreur. Par une série d’efforts séculaires, il a su revenir au vrai et faire prévaloir, sur l’idée du dieu national, l’idée universelle de l’Élion ou du Saddaï des patriarches. El est juste envers les hommes, quoique sa justice soit entourée de mystère. Iahvé n’est pas juste ; il est d’une partialité révoltante pour Israël, d’une dureté affreuse pour les autres peuples. Il aime Israël et hait le reste du monde. Il tue, il ment, il trompe, il vole pour le plus grand bien d’Israël. Et pourquoi vraiment serait-ce ce dieu particulier qui aurait fait le ciel et la terre ? Tout cela constituait un tissu de contradictions, dont triompha peu à peu le génie des prophètes. Le travail des prophètes consistera à recréer, par la réflexion, l’ancien élohisme, à identifier de force Iahvé avec El-Élion, à réparer l’entorse que l’adoption d’un dieu particulier avait donnée à la direction religieuse d’Israël.

Un dieu particulier, en effet, étant, de toutes les erreurs philosophiques, la plus grave, devient une source perpétuelle de déviations pour le peuple qui se livre à lui. Autant El avait bien conseillé les vieux patriarches et leur avait inspiré une notion élevée de la vie ; autant Iahvé pervertit Israël, le rendit cruel, inique, exterminateur, perfide pour son intérêt. Ezéchiel[21] prétend que Iahvé, voulant châtier son peuple, lui commanda pendant un temps les sacrifices d’enfants, afin de l’amener à se punir de ses propres mains. Sûrement, à cet âge reculé, Iahvé ne différa pas beaucoup de Moloch. Le bien de la nation qu’il protège est le bien suprême, tout le reste y est subordonné. Le monde existé en vue d’Israël. Iahvé est un dieu national, c’est-à-dire un très méchant dieu.

Si la religion d’Israël fût restée dans ces termes-là, c’est sûrement la religion à laquelle le monde aurait le moins pu se rallier. Autant eût valu adopter Camos. Mais le fond de l’élohisme restait vivant et fort. Toujours il devait revivre, jusqu’à ce que Iahvé perdît tout caractère particulier, et que son nom même en vînt à être remplacé par un équivalent d’Élohim, l’inoffensif Adonaï, le Seigneur. Déclarer qu’un nom est imprononçable ressemble beaucoup à éliminer ce nom. En fait, l’usage qui s’établit, dans les siècles qui précèdent notre ère, fut le dernier terme de la lutte de Iahvé et d’Élohim, ou plutôt ce fut l’aveu que Iahvé n’existait plus. Les traducteurs grecs et les chrétiens n’ont plus aucun sentiment du mot Iahvé. Κύριος, équivalent de Adonaï a, en quelque sorte, supprimé le vieux nom propre divin. Si les traducteurs alexandrins eussent adopté la transcription Ίενάς, c’eût été un terrible obstacle à la propagande monothéiste ; on eût dit que c’était là un autre Jupiter, et que ce n’était pas la peine de changer.

Ce à quoi peut conduire le culte d’un dieu national, ce n’est pas le monothéisme, c’est ce que l’on a appelé de nos jours l’hénothéisme. Le dieu national est jaloux ; il ne veut personne à côté de lui. On est amené par la force des choses à lui sacrifier tous les autres dieux. Il est probable qu’à Daibon ou Ar-Moab, Camos était aussi exclusif que Iahvé le devint à Jérusalem, et qu’un pieux Moabite supposait à Camos un point d’honneur aussi chatouilleux que l’était celui de Iahvé. Il en fut de même pour Melqarth à Tyr, parce que le nom de Roi de la ville était une adaptation du Dieu suprême à un rôle national[22]. L’habitude de répéter sur tous les tons : Notre Dieu est si grand, que tous les autres dieux ne sont rien à côté de lui devait mener à cette autre assertion : Notre Dieu est le seul dieu du monde. Mais l’esprit des peuples est si lent, qu’il devait mettre des siècles à tirer cette conséquence.

L’homme malheureux voit faux en religion ; car il a besoin dd croire qu’un Dieu s’occupe de lui et se fera son vengeur. Facilement, devient superstitieux. L’idolâtrie, réduite, dans l’ancienne période patriarcale, au minimum que comporte l’esprit d’une peuplade illettrée, avait pris beaucoup de force en Égypte. Le peuple demandait des Mnévis, des Hathor[23]. Mosé fut-il aussi opposé à ces cultes idolâtriques que le voulut plus tard la tradition ? On en peut douter ; car nous voyons durer, dans le culte du peuple, jusqu’au temps d’Ézéchias, qui le brisa, un fétiche qu’on, prétendait avoir été dressé par l’ancien Homme de Dieu. C’était un serpent d’airain, que le peuple appelait le nehustan, et auquel on offrait des sacrifices[24]. Il est permis de voir dans ce nehustan une ancienne idole de Iahvé. Le serpent était, en Égypte, moins un dieu particulier qu’une façon de représenter les dieux et les déesses. Une des grandes infériorités de Iahvé était de traîner ainsi dans une assez honteuse promiscuité avec des dieux de bas étage. Il n’y a jamais eu d’image de Saddaï, d’Élion, d’Élohim. Il y a eu des images de Iahvé.

Plus tard, on prétendit que Moïse avait fait élever et mettre au bout d’une perche, comme un talisman contre la morsure des serpents, ce mystérieux nehustan[25]. Les deux versions peuvent être vraies en même temps. Il n’est pas impossible, en effet, que Moïse ait été, à quelques égards, un de ces sorciers que l’Égypte possédait et comme il en venait aussi des bords de l’Euphrate[26]. Toutes les altérations sont possibles, à cinq ou six siècles de distance, quand un génie religieux aussi puissant que celui des Hébreux agit sur une tradition orale essentiellement molle et susceptible de transformations infinies.

L’aron ou arche, dans ces pérégrinations, devenait de plus en plus la pièce centrale des tribus. Les porteurs des barres de bois qui servaient de leviers étaient probablement des lévis. On les considérait fort ; c’étaient à quelques égards des guides, les chefs de file de la nation. On put les appeler Beni-Aron ou Ahron. Selon l’habitude des généalogies, Aron, ou Ahron, serait devenu un personnage, guide du peuple comme Moïse, et bientôt frère de ce dernier. Beaucoup de savants expliquent ainsi Aaron tête du sacerdoce et chef supposé de la prétendue tribu de Lévi. Nous rapportons leur opinion pour qu’on voie combien, en ces difficiles matières, les hypothèses peuvent diverger, sans pour cela sortit du cercle de la possibilité.

Arrivés aux premières pentes du Sinaï, les Israélites cessèrent de suivre la mer. Inclinant à l’Est, ils contournèrent les massifs et s’enfoncèrent dans les terres jusqu’à l’endroit qui s’appelait Raphidim[27]. C’est presque le seul endroit de la péninsule où la nature ait quelque sourire[28]. Il y a là un peu d’eau et des palmiers. Mais le nom de ces flaques d’eau était caractéristique. On les appelait les eaux de Meriba, c’est-à-dire de la dispute, à cause des batailles incessantes que se livraient les bédouins en venant y désaltérer leurs troupeaux.

C’est, en effet, à cet endroit que les Israélites paraissent avoir eu à livrer le premier combat contre les peuplades qui cherchaient comme eux leur pauvre vie en ces parages. Les Amalékites, proches parents des Édomites, et par conséquent touchant de près au groupe jacobite, tombèrent sur eux pendant qu’ils prenaient quelque repos sous les palmiers du ouadi. L’avantage resta aux Israélites. Ce fait, ajouté sans doute à beaucoup d’autres du même genre[29], fut l’origine d’une haine terrible entre Israël et Amalek. Israël jura qu’il ne s’arrêterait dans sa guerre contre Amalek que quand il l’aurait complètement exterminé[30]. Il tint parole.

A la bataille de Raphidim, commencent probablement les emprunts fait par les rédacteurs de l’Histoire Sainte au vieux livre des Guerres de Iahvé[31]. A cette bataille parait pour la première fois un compagnon de Mosé, à qui est spécialement dévolu le rôle militaire ; c’est Hoséa ou Iosua (le vainqueur), connu sous le nom de Josué. Les partis pris des rédacteurs pieux sont tellement visibles dans tous ces récits, que le nom de Josué, comme celui de Moïse, ne doit être inséré dans un récit historique qu’avec précaution[32]. Caleb[33], l’un des héros les plus vantés du livre des Guerres de Iahvé, peut aussi n’avoir eu de réalité que sous la plume des collecteurs de chants populaires qui fixèrent les souvenirs épiques de la nation. Il en fut de même d’un certain Hour, dont le nom paraît avoir désigné à l’origine une sous-tribu du sud de Juda, en rapport avec les Calébites[34].

Le séjour de Raphidim put être assez long. Trois mois s’étaient écoulés depuis la sortie d’Égypte[35], quand les Beni-Israël levèrent le camp, et s’enfoncèrent dans les gorges rocheuses qui aboutissent au ouadi, et qu’on désignait du nom générique de Horeb[36]. C’était ce qu’on appelait le désert du Sinaï, région austère et grandiose, que le génie d’Israël devait classer au premier rang parmi les lieux saints de l’humanité.

 

 

 



[1] Malgré le caractère tout à fait légendaire des récits sur la période sinaïtique, le journal du désert renferme des éléments sérieux dont on ne saurait faire abstraction. — Cf. Robinson, Dillmann et l’Ordnance survey of the peninsula of Sinaï des savants anglais, Wilson, Palmer, etc. (1869).

[2] Pococke (Descr., t. Ier, p. 139) a entendu Shedur. Peut-être est-ce la vraie leçon.

[3] Serbout el-Qadim, Ouadi-Maghara.

[4] Aujourd’hui Aïn-Howara.

[5] Comparer de Lesseps, l’Isthme de Suez (Paris, 1864), p. 10.

[6] Ouadi Gharondel.

[7] Michée, VI, 4.

[8] Nombres, XXI, 17-18 (pris du Iasar).

[9] Ps., LXXVIII, 24.

[10] Les quarante ans (Amos, II, 10) rappellent les quarante jours du voyage d’Élie au Horeb. I Rois, XIX, 8. Les textes plus anciens ne supputaient pas la durée du séjour au désert.

[11] Nombres, XX, 19 (extrait, ce semble, du livre des Guerres de Iahvé) supposerait qu’ils avaient des objets de valeur avec eux.

[12] Ordnance Survey, 1re part., p. 28, 194 et suiv.

[13] Je dois ces renseignements à ces Messieurs de l’isthme de Suez.

[14] On a retrouvé les digues qui, à l’époque de la Ve, de la VIe et de la XIe dynastie, formaient les lacs autour desquels étaient groupés les villages des mineurs égyptiens [Note de M. Maspero].

[15] Genèse, XXV, 18 ; I Samuel, XV, 7 ; XXVII, 8.

[16] Ptolémée, V, XVII, 3.

[17] Quinte-Curce, V, II, 7 ; nombreux témoignages modernes, en particulier de l’expédition d’Égypte.

[18] Exode, XIII, 21 ; XXXIII, 9.

[19] Iahvé apparaît comme protecteur militaire d’Israël dès le lendemain de la sortie d’Égypte. Il est bien vrai qu’une telle conception a pu être rétrospective. Dans le fragment conservé du cantique sur la prise d’Hésébon, la victoire d’Israël n’est pas attribuée à Iahvé ; elle l’était sans doute dans le morceau complet, puisque Moab y est appelé le peuple de Camos. Nombres, XXI, 29.

[20] C’est l’idée profonde des gnostiques ; mais ils la faussèrent en refusant de voir que tout cela se passait dans le sein du judaïsme. Les anti-sémites allemands de nos jours commettent la même injustice historique.

[21] Voyez Ezéchiel, XX, 25 et suiv.

[22] Sur les analogies entre le culte du Melqarth tyrien et le culte du Iahvé israélite, voir Mission de Phénicie, p. 574, 575.

[23] Il est remarquable qu’Hathor joue un grand rôle dans les inscriptions égyptiennes de la péninsule du Sinaï. Ordnance Survey, 1re partie, p. 168 et suiv.

[24] II Rois, XVIII, 4.

[25] Nombres, XXI, 4-9.

[26] Balaam.

[27] Aujourd’hui, Feirân. C’est le Φαράν des anciens.

[28] Raphidim veut dire lieu de repos. Le site du couvent de Sainte-Catherine est bien plus avantageux ; mais les Beni-Israël ne paraissent pas avoir été de ce côté.

[29] Le narrateur jéhoviste parait avoir solennisé en une victoire miraculeuse plusieurs récits d’escarmouches et de surprises de Venants. Cf. Deutéronome, XXV, 17 et suiv. ; I Samuel, XV, 2.

[30] Exode, XVII, 8-16.

[31] On cherchera à établir, dans le second volume, que la première rédaction d’une Histoire Sainte, constituant le cadre dé l’Hexateuque actuel, a eu lieu vers l’an 800 avant J.-C., mais que cette rédaction suppose des livres antérieurs, le Iasar, le livre des Guerres de Iahvé, le livre des légendes patriarcales, qu’on peut rapporter par approximation à l’an 900 avant J.-C.

[32] Avec ces raisonnements, dit-on, il serait possible de prouver que Napoléon n’a jamais existé. Il y a une légère différence. Les premières sources de l’histoire de Moïse et de Josué sont postérieures à Moïse et à Josué de plus de cinq cents ans. L’écriture, en Israël, est postérieure à Moïse et à Josué de trois cents ou quatre cents ans. Les siècles sans écriture n’engendrent et ne transmettent que des fables.

[33] Ce nom est plus chananéen qu’hébreu. Corpus inscr. semit., 1re partie, n° 49, 52.

[34] Exode, XVII, 10 ; XXIV, 14 ; I Chron., II, 19 et suiv., 50 et suiv. ; IV, 1, 4.

[35] Exode, XIX, 1.

[36] Exode, III, 1 ; XVII, 6 ; XXXIII, 6.