RELATIONS POLITIQUES ET COMMERCIALES DE L’EMPIRE ROMAIN AVEC L’ASIE ORIENTALE

 

OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES

 

 

Jamais sujet plus nouveau et plus important ne fut abordé par l’érudition moderne. Un empire dont le souvenir s’était transmis d’âge en âge et pour lequel la science semblait avoir épuisé la source des renseignements, apparaît ici sous un aspect inattendu. Des personnages, tels qu’Auguste, Trajan

Aurélien et Constantin, sur lesquels on avait perdu l’espoir de recueillir des notions ultérieures, se présentent avec un caractère qu’on ne leur soupçonnait pas. Ce n’est pas seulement l’histoire civile et politique qui trouve ici â s’enrichir. L’histoire littéraire, notamment dans ce qui concerne les immortelles [p. 16] poésies d’Horace, de Virgile, de Properce et de Tibulle, reçoit un jour nouveau. C’est, en un mot, une face restée inconnue de la grandeur et de la décadence romaines ; une face qui avait échappé aux méditations des Montesquieu et des Gibbon. Là où je commence, les autres s’étaient arrêtés.

La géographie n’est pas restée étrangère à ces recherches. Une étude plus attentive des poésies latines m’a fait reconnaître en elles les opinions qui régnaient à Rome sur le système du monde, au temps de Jules César, et pendant le règne d’Auguste, opinions qui se maintinrent chez les Romains jusqu’à l’extinction de l’empire d’Occident. Éclairé par ces précieuses données, j’ai soumis à un nouvel examen le système de Ptolémée, venu cent cinquante ans plus tard, et la manière de voir de l’auteur du Périple de la mer Érythrée, qui tenait de l’un et de l’autre système. En un mot, j’ai essayé d’établir l’histoire de la géographie chez les Grecs et les Romains sur de nouvelles bases.

Ce n’est pas tout : si les témoignages indiens et chinois apportent un utile concours pour mieux comprendre les idées fondamentales de la politique romaine, par une juste réciprocité, les témoignages latins et grecs jettent un nouveau jour sur l’état politique et social de la Chine et de l’Inde.

Ce mémoire commence après la mort de Jules César, au moment où le triumvir Marc-Antoine devient maître de l’Égypte, et où le nom romain pénètre jusque dans l’Orient le plus reculé. Les relations [p. 17] commerciales de l’Égypte proprement dite avec l’Inde remontent à une ou deux générations plus haut ; mais déjà il a été traité de cette question dans mon mémoire sur la Mésène et la Kharacène.

L’influence romaine en Orient se fait sentir par mer et par terre, surtout par mer, à travers l’Égypte. Après la décadence et la chute de l’empire d’Occident, les empereurs de Constantinople continuèrent longtemps à se ménager des intérêts dans les contrées du nord de l’Asie ; quant aux mers orientales, les navires romains cessèrent peu à peu de s’y montrer. Au vie siècle toute relation avait cessé ; c’est là que je m’arrête. La suite des événements, depuis le VIe siècle jusqu’à l’arrivée des Portugais dans les mers de l’Inde et de la Chine, à la fin du XVe siècle, formera l’objet d’un mémoire subséquent.

Les sources où je puise sont les témoignages latins, d’une part, et de l’autre, les témoignages orientaux. On demandera peut-être si j’ai découvert quelque manuscrit qui eût échappé jusqu’ici à toutes les recherches. Je n’ai rien découvert ; mais grâce à des études spéciales et prolongées, j’ai recueilli les témoignages avec plus de soin qu’on ne l’avait fait, je les ai examinés sous des faces qui n’avaient pas été soupçonnées, et après y avoir joint certains faits archéologiques et géographiques récemment mis au jour, il m’a suffi de les rapprocher les uns des autres pour en faire jaillir la lumière. En effet, les savants qui, tels que Saumaise, Casaubon et leurs successeurs, ont travaillé sur les textes grecs et latins, [p. 18] n’en ont pas, faute de connaître les récits indiens et chinois correspondants, saisi toute la portée[1] ; quelquefois même, chose singulière ! ils ont mal rendu le sens des mots. A leur tour les orientalistes qui, tels que Deguignes, Klaproth et Abel Rémusat, ont opéré sur les données indiennes et chinoises, n’ayant pas été avertis des ressources que leur offraient les textes grecs et latins, n’ont pas eu la pensée d’y recourir. Moi-même, c’est pour ainsi dire par hasard que j’ai été mis sur la voie. Cherchant dans les historiens de l’empire romain quelque témoignage relatif au Périple de la mer Érythrée, j’eus l’attention éveillée par ce qui est dit au sujet des règnes de Valérien et d’Aurélien par les auteurs de l’Historia Augusta. Il est vrai que, une fois averti, je n’ai pas eu de repos que la question ne fût discutée et résolue. Voilà comment je suis arrivé à des résultats dont auparavant je ne me faisais pas plus l’idée que les autres.

Je dois expliquer d’abord comment les faits que j’ai à mettre en lumière, et qui naturellement étaient connus des générations contemporaines, devinrent, avec le temps, une espèce de mystère impénétrable. On a vu, dans mon mémoire sur le Périple de la mer Érythrée, qu’à partir du gouvernement de Marc-Antoine et de Cléopâtre, à s’était formé des [p. 19] comptoirs romains dans les principales places de commerce des mers orientales, et que des compagnies de marchands s’étaient organisées. Indépendamment des personnes qui chaque année se rendaient parterre dans les régions orientales, il partait d’Égypte, par la mousson, environ deux mille personnes, qui visitaient les côtes de la mer Rouge, du golfe Persique et de la presqu’île de l’Inde. Six mois après, il arrivait, avec la mousson contraire, le même nombre de personnes en Égypte. Naturellement ce qui s’était passé d’important d’un côté était transmis de l’autre, et l’Orient et l’Occident se trouvaient en communication régulière. Nous sommes trop portés à voir les choses sous le jour qui nous est avantageux. Aux temps dont il s’agit, lorsque l’empire romain était dans toute sa force, et que l’aisance était générale, les fonctionnaires publics, les hommes qui avaient un revenu assuré et les oisifs tenaient, comme à présent, à se mettre au courant de tout ce qui se passait d’important. A Rome, on faisait circuler à la main les actes du sénat et les autres nouvelles du jour, et ces espèces de journaux se répandaient dans toutes les villes de l’empire[2]. C’est en grande partie à l’aide de ce genre de documents qu’ont été rédigés les écrits de Suétone, de Florus, d’Aurelius Victor, etc. qui sont parvenus jusqu’à nous. Tacite lui-même, qui traitait d’événements presque contemporains, n’a pas dédaigné de [p. 20] puiser à cette source[3]. A plus forte raison ces documents ont été mis à contribution par les écrivains qui traitaient de sujets spéciaux, comme Asinius Quadratus, qui composa une histoire particulière des guerres des Romains et des Parthes[4]. Le moment arriva où journaux et histoires particulières, presque tout périt sous les coups des barbares et à la suite d’une misère devenue générale ; il ne resta plus que de maigres abrégés composés longtemps après les événements. Comme les auteurs de ces abrégés, tels que Suétone, etc. s’étaient imaginé que l’empire romain était fait pour l’éternité, et que rien de ce qui était écrit ne périrait, ils s’étaient bornés à de courtes indications ; leur récit ne tarda pas à devenir, en divers endroits, à peu prés inintelligible. Pour se faire une idée exacte de ce que sont réellement les abrégés de Suétone, de Florus, etc. il suffit de se représenter ce que seraient d’ici à mille ans les événements de notre temps, si dans l’intervalle toutes nos bibliothèques et tous nos dépôts scientifiques avaient péri, et que nos neveux en fussent réduits aux résumés qui s’adressent maintenant à la foule, surtout à des résumés composés longtemps après les événements, et lorsqu’un de ces revirements d’opinion dont nous sommes de temps eu temps les témoins, serait venu changer toutes les idées.

Il n’a jamais existé d’histoire de l’empire romain, comme il a existé une histoire de la république romaine, [p. 21] par Tite-Live. Les savants modernes, qui ont essayé de constituer l’histoire de l’empire romain, n’ont eu à leur disposition que des histoires partielles et des abrégés ; et encore, à quelques exceptions prés, ces abrégés et ces histoires partielles n’étaient pas contemporains. Pour la composition de ce mémoire, ce que j’ai trouvé de plus authentique et de plus exprès, ce sont en général les allusions que les poètes latins ont faites aux événements de leur temps. Le plus souvent ces témoignages avaient été négligés ou mal interprétés ; je suis forcé de le reconnaître : sans cet ordre de témoignages, mon mémoire aurait été raccourci de moitié.

Je ne tarderai pas, pour les gouvernements de Marc-Antoine et d’Auguste, à invoquer les témoignages de Virgile et d’Horace. Dira-t-on que, quelques années seulement après la mort de Virgile, ses poésies furent le sujet des élucubrations de Hygin, bibliothécaire d’Auguste, et que si le traité de Hygin ne nous est point parvenu, nous possédons les remarques explicatives et critiques faites au Ve siècle par Servius, Macrobe et autres ? Il est difficile d’émettre un jugement sur le traité de Hygin. Pour les écrits de Macrobe et de Servius, nous savons que ces deux auteurs avaient surtout en vue la valeur philologique des mots et certaines traditions qui leur étaient chères ; Servius était un grammairien et un littérateur ; la géographie et l’histoire n’étaient pas étrangères à Macrobe ; mais les choses de l’extrême Orient lui étaient inconnues. Il y a plus : le souvenir des [p. 22] choses de l’Orient était déjà perdu. Ce qui le prouve, ce sont, d’une part, le silence de Macrobe, et, de l’autre, les erreurs historiques qui déparent le commentaire de Servius.

Si, après un si long laps de temps, les hommes les plus savants de l’Occident n’étaient plus en état de se rendre compte de ce qui, dans les écrits latins des premiers siècles de notre ère, avait trait à l’Orient, les savants de l’Orient étaient encore moins en état de se rendre compte de ce qui, dans les écrits indigènes, se rapporte au même sujet. Nous, peuples de l’Occident, nous sommes loin de posséder toutes les connaissances auxquelles nous aspirons. Mais si, pour ces temps reculés, nous nous comparons aux Orientaux de nos jours, toute la différence est à notre avantage. Qu’on songe à cette masse de faits de tout genre que la science a recueillis dans les derniers siècles, et qui sont à l’épreuve de la critique la plus rigoureuse. A chaque nouveau fait qui se présente, nous avons plusieurs moyens de contrôle, et ordinairement, un peu plus tôt ou un peu plus tard, le fait est mis à sa véritable place. Rien de pareil n’existe pour les nations orientales. Les Chinois de nos jours, qui sont les moins arriérés de tous, et qui possèdent des annales remontant à. plusieurs siècles avant notre ère, ne seraient pas en état, pour ce qui concerne les anciens rapports du Céleste Empire avec la Tartarie, l’Inde, la Perse et l’empire romain, de rédiger une seule page exacte de tout point. Les noms des pays et des peuples ont [p. 23] changé ; les compilations chinoises et ce qu’on peut nommer les auteurs critiques chinois du moyen âge, manquant de bonnes cartes géographiques et de tables chronologiques, ont presque tout brouillé. De plus, les imperfections de l’écriture chinoise ne permettent pas de marquer un nom propre étranger quelconque d’une manière fixe. C’est au point que, au bout de quelque temps, le personnage qui de son vivant avait occupé les cent voix de la renommée, devient méconnaissable pour les Chinois eux-mêmes. Pour arriver aux résultats que j’ai obtenus, il n’y avait qu’un moyen : c’était de faire comparaître à la fois les divers témoignages occidentaux et orientaux, et à mesure que les témoignages se répondaient, de les noter au passage.

Les relations politiques et commerciales qui sont l’objet de ce mémoire eurent en général lieu par mer et par l’intermédiaire de l’Égypte. Elles commencèrent l’an 36 avant J.-C. à l’époque où le triumvir Marc-Antoine gouvernait l’Égypte et les autres provinces orientales de l’empire, de concert avec Cléopâtre. Elles furent reprises par Auguste vers l’an 20 avant notre ère, et elles se maintinrent pendant plusieurs siècles. Il importait de bien déterminer la part que Marc-Antoine prit à ce grand événement, circonstance qui était restée ignorée. Il fallait aussi recueillir avec soin tout ce qui, dans les actes d’Auguste, se rapporte à cette face de la politique impériale. Le règne d’Auguste fut le plus long de tout l’empire. Ce fut Auguste qui donna à ces relations [p. 24] le caractère qu’elles conservèrent jusqu’à la fin. C’est d’ailleurs la période sur laquelle il nous reste le plus de témoignages, et qui est demeurée une des plus brillantes de l’esprit humain.

Chose singulière, il ne nous est parvenu sur l’histoire du triumvirat de Marc-Antoine, Octave et Lépide, et ensuite sur le long règne d’Auguste, que des fragments et des abrégés. Il y a plus : aucun de ces fragments n’est contemporain. Ils ont été écrits plus de cent ans après les événements, lorsque les idées reçues n’étaient plus les mêmes. Le croira-t-on ? ce que j’ai recueilli de plus précis pour l’objet qui intéresse ce mémoire, je l’ai trouvé dans les poésies d’Horace, de Virgile, de Properce et de Tibulle. Horace et Virgile n’étaient pas seulement de grands poètes ; ils étaient des poètes de cour, et souvent ils se trouvèrent dans le secret de la politique impériale. Leurs poésies renferment quelquefois des faits capitaux, des faits restés ignorés, qui méritaient d’entrer dans l’histoire générale. Grâce à elles, j’ai pu éclairer d’un jour nouveau les années d’enfantement de l’empire romain. Cette circonstance, mise au grand jour, donnera un intérêt de plus à ce mémoire. Quelquefois, cependant, l’on reconnaît dans ces poésies l’influence d’une politique, aussi personnelle qu’adroite, qui a fait aller les deux poètes au delà de la vérité[5].

[p. 25] La place qu’Horace et Virgile occupent dans la littérature, celle même qu’ils occupent dans la première partie de ce mémoire, est telle, que je ne puis me dispenser d’ajouter quelques mois. Quelques années après la bataille d’Actium, lorsque le nouvel empire eut pris son assiette et que les frontières romaines eurent été portées jusqu’à l’océan Atlantique à l’ouest, jusqu’aux sables du Sahara au midi, et du côté du nord jusqu’au Weser, au Danube et au Palus-Méotide, l’idée vint de l’étendre jusqu’aux limites orientales du monde d’alors, en y comprenant l’Inde et la Chine. Dans cette hypothèse Rome et le monde n’auraient fait qu’un. Tout semblait alors possible en fait d’ambition, et cette idée flatta beaucoup l’orgueil des Romains. Horace et Virgile adoptèrent l’idée avec ardeur et la développèrent sous toutes les formes ; elle leur parut même si naturelle et si facile qu’ils ne craignirent pas de la présenter comme déjà réalisée. Cette idée, qui exerça une grande influence sur l’état des relations de l’empire romain avec l’Asie orientale, resta gravée dans l’esprit de beaucoup de Romains pendant cent cinquante ans, jusqu’au règne d’Adrien, qui l’abandonna définitivement. Les historiens qui écrivirent depuis cette époque, tels que Suétone et Florus, n’eurent pas l’occasion ou peut-être le courage [p. 26] de faire une mention expresse de ce revirement de la politique romaine, et au bout de quelques générations, probablement sous le règne du grand Constantin, les souvenirs s’altérèrent. Les témoignages d’Horace et de Virgile auraient dû suffire pour maintenir l’idée dans l’esprit des savants. Malheureusement Horace, qui fait mention de toute sorte de choses dans ses odes, ne parle de celle-ci qu’en passant, et ne conserve pas toujours un ton sérieux. Virgile, qui remplissait l’office de narrateur, entre dans quelques détails ; mais, à la manière des poètes, il ne marque ni les noms des personnes, ni quelquefois les noms des lieux, et pour les faits qui ne sont pas connus d’ailleurs, on a de la peine à le suivre. Pour arriver à la vérité il m’a fallu laisser de côté les traducteurs et les commentateurs, et remonter à des témoignages ignorés jusqu’ici, ou qui, bien qu’ayant circulé de tout temps, n’avaient jamais été appréciés à leur véritable valeur. Une fois fixé, il m’a été facile de soumettre les vers de Virgile et d’Horace à un nouvel examen et d’en donner une traduction plus exacte. Cet examen a même eu un résultat auquel je ne m’attendais pas : c’est qu’une des pensées fondamentales de l’Énéide a été rendue par Virgile d’une manière défectueuse, et que c’est cette lacune qui inspira tant de regrets au poète au moment de sa mort. Ce que j’ai dit d’Horace et de Virgile doit s’appliquer à Properce et à Tibulle.

A quelles bizarreries n’est pas exposé l’esprit humain ! Les Romains, du temps d’Auguste, se crurent [p. 27] appelés à la conquête du monde entier ; l’idée, ayant été reconnue d’une exécution impossible, est abandonnée, et les historiens qui ont écrit après le règne de Trajan, n’en ont pas même fait mention. Mais, à partir du ive siècle, à mesure que l’empire marcha vers sa ruine, l’idée revint avec une nouvelle force dans l’esprit des personnes qui se piquaient de patriotisme, et, sur la foi de Virgile et d’Horace, on crut que l’idée avait eu, pendant quelque temps, son exécution. C’est ainsi que Servius, dans ses notes sur Virgile, et Æthicus dans sa Cosmographie, sont partis de l’idée qu’Auguste avait soumis l’univers entier à ses lois. N’est-ce pas égaiement ainsi qu’au moyen âge, lorsque la race de Charlemagne fut éteinte et que son empire fut morcelé en cent États différents, nos pères aimèrent à se figurer le grand empereur comme ayant subjugué Constantinople et Jérusalem, et comme ayant étendu son ascendant à tous les points de l’horizon ?

Tel est l’objet du premier paragraphe. Dans le second paragraphe, je passe dans l’Inde et en Chine, et, à l’aide de témoignages déjà connus, mais qui n’avaient jamais été rapprochés et discutés, j’essaye de faire connaître l’Asie orientale mieux qu’on ne l’avait fait jusqu’ici.

Enfin, dans le troisième paragraphe, je reprends la suite des événements à partir de la mort d’Auguste, et je la continue jusqu’au vie siècle, lorsque le nom romain eut cessé de retentir dans les mers orientales.

[p. 28] Ce mémoire étant nouveau d’un bout à l’autre, je n’ai pas eu, au fur et à mesure qu’une question se présentait, la ressource qu’on a ordinairement de renvoyer à d’autres ouvrages, et il m’a fallu traiter la question dans son ensemble. Mais il y a des bornes à tout, et, bien que n’omettant rien d’essentiel, j’ai été sobre de détails.

Deux idées dominent dans ce mémoire, et ces idées sont tellement grandes, qu’au seul énoncé l’esprit en est comme saisi : 1° Rome régnant sur le monde, l’Europe, l’Asie et l’Afrique, et le vieux monde ne faisant qu’un avec Rome ; telle est la doctrine dont Virgile et Horace se firent les apôtres. 2° Avec le temps, l’impossibilité matérielle de soumettre de si vastes contrées à une même autorité s’étant fait jour, Rome se résigna à n’être plus que la capitale du premier empire du monde ; mais tel était le prestige exercé par le nom romain, que, jusqu’au règne du grand Constantin, le nom de Rome se trouva dans toutes les bouches, amies et ennemies, depuis l’océan Atlantique jusqu’à la ruer de Chine, depuis la mer Baltique, le Palus-Méotide et la mer Caspienne jusqu’au fleuve Niger, aux sources du Nil et à la mer des Indes, et que toute secousse qui ébranlait Rome ébranlait le vieux inonde tout entier. Il n’avait pas existé jusque-là d’empire pareil, et l’on n’en verra peut-être plus de semblable.

 

 

 



[1] Letronne est allé jusqu’à contester la réalité des relations diplomatiques de l’empire romain avec l’Asie orientale. (Voyez le tome X du Nouveau recueil des Mémoires de l’Académie des inscriptions, p. 226 et suiv.)

[2] Mémoire de M. Victor Le Clerc, intitulé Des journaux chez les Romains, Paris, 1838, in-8°, p. 181 et suiv.

[3] Annales de Tacite, liv. XVI, ch. XXII.

[4] Voyez mon mémoire sur le Périple de la mer Érythrée.

[5] Les poésies de Virgile et d’Horace sont d’un secours d’autant plus grand pour l’histoire, qu’en général les morceaux les plus importants portent avec eux-mêmes la date de leur composition. En ce qui concerne Horace, les savants se sont occupés de bonne heure de fixer l’époque précise de la composition de chacune de ses pièces, et les travaux faits en ce genre ont été récemment résumés et contrôlés par le baron Walckenaer, dans son Histoire de la vie et des poésies d’Horace, deuxième édition, Paris, 1858, deux vol. in-12.