ÉTUDES SUR L'HISTOIRE BYZANTINE

 

IV. — EMPEREURS ET IMPÉRATRICES D'ORIENT.

 

 

Article publié dans la Revue des Deux Mondes, du 1er janvier et du 15 février 1891.

 

I. — L'EMPEREUR BYZANTIN[1].

 

M. Gustave Schlumberger était admirablement préparé par ses études d'archéologie, de numismatique et de sigillographie orientales[2] à la tâche qu'il a entreprise : faire revivre une époque de cette histoire byzantine, si longtemps négligée parmi nous, après avoir été si fort en faveur chez nos grands érudits du xvii. siècle. Il ne s'est point borné à la raconter dans un exposé précis et vivant : près de deux cent cinquante illustrations, rigoureusement authentiques, empruntées aux sceaux, aux monnaies, aux miniatures de manuscrits grecs ou slavons, aux mosaïques et autres monuments iconographiques, lui ont permis de montrer à nos yeux les personnages de son récit, empereurs et impératrices, patriarche et grands dignitaires de la cour, légionnaires grecs et auxiliaires barbares, guerriers russes, bulgares ou arabes du Xe siècle. Dans les vastes annales de Byzance, l'époque dont M. Schlumberger se proposait de renouveler l'histoire par toutes les ressources de l'érudition et de l'art a été fort heureusement choisie. C'est une de celles où l'empire grec se montre le plus énergique et le plus heureux contre les barbares qui l'assiégeaient depuis tant de siècles, reconquérant sur les Arabes la Crète et la Syrie, mettant aux prises sur le Danube les Bulgares et les Russes, disputant aux Allemands la possession de l'Italie. C'est une de celles aussi où les questions d'ordre intérieur présentent le plus de variété : conflit du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel, efforts du prince pour protéger les petits propriétaires contre les grands, résistance de l'État aux empiétements territoriaux des monastères. Dans le palais même, un drame des plus émouvants qui se poursuit à travers les victoires du dehors et les réformes du dedans ; l'amour de Nicéphore Phocas pour la belle impératrice Théophano, leur mariage après l'élévation de celui-là au trône, puis le caprice de celle-ci se détournant du mari choisi et couronné par elle, s'excitant à une autre intrigue, mettant le couteau aux mains de l'amant contre l'époux. Nous n'entreprendrons pas, après M. Schlumberger, de raconter les exploits et les infortunes de son héros. Le drame met en présence deux personnages principaux, l'empereur Nicéphore Phocas et l'impératrice Théophano. L'intérêt capital du livre est peut-être dans l'opposition et le contraste de ces deux natures : l'homme vaillant, dévot et fruste, presque un primitif ; la femme perverse, raffinée et sceptique, une fleur de décadence. En les étudiant de plus près, ce sont deux aspects très différents de cette-civilisation byzantine, si variée et si complexe, qu'on peut saisir à la fois. Nicéphore représente la province, la montagne arménienne, les camps, c'est-à-dire les éléments rudes et forts, à demi barbares ; Théophano, c'est Constantinople, c'est la grande ville, avec ses élégances et ses corruptions. Ils marquent comme les deux termes extrêmes d'une évolution historique ; ce sont deux types humains qui pourraient appartenir à deux époques séparées par des siècles et qui cependant sont rapprochés par le jeu des événements ; plus que rapprochés, unis, mariés ; et cette union même fait éclater les incompatibilités d'humeur et de race, au point qu'elle ne peut se dissoudre que par un meurtre. A propos de Nicéphore et de Théophano, on peut essayer de bien comprendre ce qu'était un empereur et ce qu'était une impératrice d'Orient, ce qu'était le palais et ce qu'était le harem de Byzance. C'est le principal objet de cette étude.

 

I

Le chef de l'État byzantin portait le titre de Basileus, celui-là même que les Grecs des anciennes républiques donnaient au roi de Perse et aux autres dynastes barbares, et qui emportait dans leur esprit cette nuance de mépris que les Romains attachaient au mot Rex. Ce titre avait fini, à Byzance, par prendre la place de ceux d' Imperator, de Princeps et de Cassar qu'avaient portés les chefs du haut-empire, mais dont aucun ne répondait plus à la réalité. Rien que la substitution de ce vocable aux anciens suffirait à indiquer qu'une profonde révolution politique et ethnographique s'était accomplie, que l'État byzantin était autre chose que la continuation de l'État romain, que le commandement avait passé d'une race à une autre, du peuple conquérant du monde au plus cultivé des peuples conquis. A la vérité, celui-ci avait oublié son ancien nom : les Byzantins se donnaient à eux-mêmes le nom de Romains ; et ils réservaient celui d'Hellènes à leurs ancêtres païens et même aux païens de toute catégorie qui pouvaient encore se rencontrer dans le monde, par exemple aux Slaves idolâtres du Péloponnèse. Au fond, ce nom de Romains leur convenait encore mieux que celui d'Hellènes, car la population de l'empire était loin d'être toute hellénique. Tout au plus si les Grecs de race y formaient la majorité ; sans parler des thèmes ou provinces de langue italienne, la péninsule des Balkans était à moitié slave ; celle d'Asie Mineure était à moitié arménienne, arabe ou turque. Or ce qui faisait le lien entre tous ces peuples, c'est que tous professaient la même religion que l'empereur, s'efforçaient, sans toujours y parvenir, de parler la même langue, voyaient en lui l'héritier des Césars de l'ancienne Rome. L'empire byzantin n'était pas l'expression politique d'une nation ; il était une création artificielle, gouvernant vingt nationalités différentes et les réunissant dans cette formule : un seul maître, une seule foi. Il s'enorgueillissait d'une pure fiction : l'héritage de Rome ; mais il avait une force réelle : l'unité religieuse. Il s'appelait officiellement l'empire romain, bien que le latin, à partir du VIIe ou du VIIIe siècle, fût passé en Orient à l'état de langue étrangère, de langue morte. Nous l'appelons l'empire grec, parce que l'idiome hellénique était la langue de l'Église et de l'État. En réalité, c'était simplement un Saint-Empire, comme celui d'Allemagne, existant par et pour une religion. Plus simplement encore, c'était l'Empire, puisqu'il n'admettait la légitimité et même l'existence d'aucun autre. Il ne possédait pas d'armée nationale, puisqu'il n'y a jamais eu de nation byzantine. Tous les peuples de l'orient, parfois de l'occident, du midi et du nord, se rencontraient dans les camps du Basileus. Non seulement ses provinces italiennes, slaves, albanaises, roumaines, turques, arméniennes, arabes, lui fournissaient des recrues ; mais, comme une bonne partie des troupes se composaient ou de mercenaires ou d'auxiliaires étrangers, elles présentaient une infinie variété au point de vue ethnographique. Sous les étendards de Justinien ont combattu des Slaves, des Goths, des Vandales, des Longobards, des Perses, des Maures. Dans l'armée que l'anti-césar Thomas réunit contre Michel II, nous voyons en outre des Indiens[3], des Égyptiens, des gens du Tigre et de l'Euphrate, des Alains, des Ibères et les contingents de toutes les tribus du Caucase. Au Xe siècle, apparaissent des éléments tout septentrionaux, Russes, Bulgares, Hongrois, Khazars ; et, en même temps, des éléments tout occidentaux, car les auxiliaires vénitiens et amalfitains font prévoir les mercenaires français, anglo-saxons, allemands, espagnols de la période suivante. Les chefs de cette armée ne sont pas nécessairement des Grecs, pas même des natifs de l'empire ; car l'eunuque Narsès était un esclave d'origine perse ; parmi les autres généraux de Justinien, Pharas, qui vainquit en Afrique le roi des Vandales Gélimer, était un Hérule ; Mundus, un Gépide ; Chilbud, vainqueur des Slaves, un Slave ; Péran, un roi d'Ibérie ; Philemuth et Akoum, des Huns. Il en fut de même sous les successeurs de Justinien. Il y a plus : les empereurs eux-mêmes, très souvent, ne furent pas de race grecque ; la dynastie qui commence par Justin et Justinien n'est sûrement point hellénique, car, avant de porter ce nom romain, le grand législateur s'appelait Upravda, son père et sa mère Istok et Beglenitsa : trois noms slaves[4]. Il y eut plusieurs dynasties arméniennes : d'abord celle qui porte effectivement ce nom dans l'histoire, et qui commence à Léon V ; ensuite, celle qui porte le nom de macédonienne et qui commence avec Basile Pr, un autre grand législateur. Romain Lécapène, Nicéphore Phocas, Jean Zimiscès, sont des empereurs arméniens. Léon V, dit le Khazar, appartenait par sa mère à cette peuplade turco-finnoise des bords du Don.

L'Empire était une institution cosmopolite, comme furent le Saint-Siège et le Sacré-Collège pendant toute la durée du moyen âge. C'était non la nationalité, mais la foi qui faisait le Romain de Byzance. De quelque race qu'on fût issu, il suffisait d'entrer dans le giron de l'Église pour entrer dans celui de l'État. Le baptême orthodoxe conférait le droit de cité. La Byzance chrétienne présentait, parmi tant d'autres, ce point de ressemblance avec la Byzance musulmane. On devenait Romain en embrassant le christianisme comme plus tard on devint Turc en professant l'Islam. Combien de grands-vizirs ou de pachas ottomans furent de naissance grecque, albanaise ou slave !

L'empereur byzantin procédait de quatre origines distinctes. De par la tradition, il était le successeur direct des Césars romains, l'Imperator, le chef militaire, et en même temps le législateur, la loi vivante. Grâce à la substitution des Hellènes aux Latins comme race dirigeante, il était devenu le Basileus, c'est-à-dire le chef de l'hellénisme. Sous l'influence toujours croissante des idées et des mœurs de l'Asie, son pouvoir avait pris la forme despotique : il était le Maître (despotés), l'Autocrate (autocrator), un homme de palais et de harem. Après le triomphe définitif du christianisme, il fut l'Isapostolos (semblable aux apôtres), comme le pontife de Rome s'appelle, dans nos vieux auteurs français, l'apostole ; il était, en effet, l'apôtre armé, et, suivant l'expression du grand Constantin, l'évêque des choses du dehors. Il était, concurremment avec le patriarche. le chef suprême de la religion orthodoxe. En Orient aussi le patriarche et l'empereur, ce sont les deux moitiés de Dieu.

Les quatre personnages qui sont en lui, étant issus d'origines si différentes, entrent parfois en conflit et en lutte. Souvent l'homme du palais et du harem fait tort en lui à l'homme des camps, et Byzance a des empereurs fainéants. L'Imperator introduit dans la conduite de l'Isapostolos des procédés violents, lui prête sa main dure de militaire, oublie qu'il n'a pas, à lui tout seul, le dépôt de l'orthodoxie, et Byzance a des empereurs hérétiques, comme les ariens Constance et Valens, iconoclastes, comme les princes de la première maison arménienne et de la maison phrygienne, persécuteurs par zèle orthodoxe, comme Alexis Comnène, ou bien entrant en lutte avec le patriarche pour la primauté et donnant à l'Orient le pendant de la querelle des investitures d'Occident.

Le mal est qu'aucune de ces quatre origines n'a donné à la monarchie byzantine ce qui est l'essence même d'une monarchie : la fixité du droit de succession. La Rome des empereurs ne l'avait pas connu ; elle n'avait jamais eu de dynastie impériale, parce que le principe de l'élection était censé être toujours en vigueur. L'hérédité du pouvoir n'est pas non plus une idée grecque. L'Orient asiatique ne suggérait aucun exemple qui pût faire loi : la succession des rois de Perse ou des khalifes de Bagdad, pour des raisons diverses, a été aussi incertaine et hasardeuse que celle des empereurs romains. Enfin l'idée chrétienne n'avait point pour corollaire essentiel l'hérédité de la couronne.

Il y avait plusieurs manières légales, à Byzance comme à Rome, de devenir empereur. La première, la primordiale, c'était l'élection par le sénat et le peuple ; mais à Byzance le sénat n'était qu'une assemblée de fonctionnaires et le peuple n'était qu'une tourbe. La seconde, c'était la naissance, et c'est ainsi qu'il y eut à Byzance des espèces de dynasties. La troisième, c'était l'adoption qui avait été pratiquée par les empereurs Nerva, Trajan, etc., l'adoption emportant, du vivant même de l'adoptant, une sorte d'association de l'adopté au pouvoir. La quatrième, c'était l'association sans l'adoption, système que Dioclétien avait inauguré à Rome, et dont Byzance offre nombre d'exemples.

Mais ni l'élection, ni la naissance, ni l'adoption, ni l'association ne constituaient un système solidement établi, universellement reconnu.

 

Dans toute l'histoire byzantine, le droit est très peu de chose, le fait est tout. Or le fait, c'est surtout l'usurpation pure et simple, par le complot de palais et de harem, par l'insurrection de la plèbe, par la révolte militaire. On a calculé que sur cent neuf empereurs byzantins qui régnèrent, seuls ou en association, d'Arcadius à Constantin Dragazès, trente-quatre seulement moururent dans leur lit impérial et huit à la guerre ou par quelque accident. En revanche, on en compte douze qui de gré ou de force abdiquèrent, douze qui finirent au couvent ou en prison, trois qu'on fit périr de faim, dix-huit qui furent mutilés ou qui eurent les yeux crevés, vingt qui furent empoisonnés, étouffés, étranglés, poignardés, précipités d'une colonne. Cela représente, en 1058 ans, soixante-cinq révolutions de palais, de rue ou de caserne, aboutissant à soixante-cinq détrônements. C'est par une de ces soixante-cinq révolutions que se termine le livre de M. Schlumberger.

Cette instabilité du pouvoir tenait surtout à ce qu'à Byzance il n'y avait pas de sang royal, et qu'aucune maison, — à part une seule dont nous allons parler, — ne put durer assez longtemps pour que son origine eût le temps de se faire oublier. Or cette origine était presque toujours une usurpation : comment y trouver le principe d'une légitimité qui eût frappé d'illégalité toute tentative de révolution nouvelle ? Le droit d'un empereur étant presque toujours incertain, tout le monde pouvait arriver à l'empire. Tout le monde est assez noble pour y prétendre. Qui donc se serait trouvé de trop modeste extraction pour ne pas aspirer à la pourpre ? Léon Ier avait d'abord été boucher ; Justin Ier était venu à Constantinople, pieds nus, la besace sur le dos, de son village de l'Illyricum ; Phocas était un simple centurion quand il prit la place de Maurice ; Léon III avait d'abord été artisan et gagne-petit ; Léon V était né de parents arméniens chassés de leur pays pour leurs méfaits ; Michel II et Basile Fe avaient été palefreniers. Dès lors n'importe quel aventurier, n'importe quel soldat heureux pouvait être roi. Les supplices atroces qui, au Forum Amastrianum, déchiraient les conspirateurs malheureux ne décourageaient pas les autres ; on pouvait toujours espérer être plus habile ou mieux servi par la fortune.

 

II

Le souverain de Byzance procédait, à certains égards, de l'Imperator de Rome ; mais à Byzance, le caractère civil du pouvoir tend à prévaloir sur le caractère militaire. L'empire, suivant l'expression de Finlay, cesse d'être la propriété des légions avec l'empereur pour agent comptable. La prépondérance passe des hommes d'épée aux hommes de loi, d'église, d'administration, de palais, de harem ; les armées sont fréquemment commandées par des eunuques. Dès le Ve siècle, Léon Ier, tout Isaurien (c'est-à-dire presque un barbare) et tout militaire qu'il fût, formulait ce vœu : Puisse la solde de nos troupes revenir toujours à des docteurs ! Nous sommes loin de Septime-Sévère, dont les dernières paroles à ses fils furent : Faites tout pour les soldats. — Sans doute, la situation dangereuse de l'empire imposait souvent aux empereurs l'obligation de commander en personne les armées : beaucoup de souverains furent avant tout de vaillants soldats ; mais presque tous les princes guerriers étaient des hommes nouveaux, arrivés par la force, obligés de se soutenir par la victoire. Dès que la dynastie paraît fondée, si le danger extérieur n'est pas trop pressant, l'empereur délègue le commandement des armées : ni Léon VI, ni Constantin Porphyrogénète, par exemple, le fils et le petit-fils du belliqueux Basile Ier, ne firent suspendre à la porte de leur palais le bouclier, la cuirasse d'or et le glaive qui annonçaient leur prochain départ pour l'armée. Toute cette maison macédonienne, à part le Bulgaroctone, fut une lignée de princes lettrés et sédentaires. Il s'était même répandu la croyance à une prétendue loi du Basileus Théophile, interdisant aux empereurs de paraître à l'armée. Sous cette dynastie, qui compta aussi des règnes de femmes, les exploits militaires furent accomplis non par les souverains légitimes, non par les porphyrogénètes, issus du sang de Basile Ier, mais par des empereurs qui s'étaient imposés à ceux-là comme tuteurs, comme associés, comme maris des princesses porphyrogénètes, et qui, ayant leur fortune à faire, ou leur intrusion à justifier, se battaient comme des soldats. Tels furent Romain Lécapène, Nicéphore Phocas, Jean Zimiscès, Romain Argyre, qui régnèrent sans que la dynastie légitime fût détrônée. En règle, le pouvoir impérial est surtout un pouvoir civil. Les cérémonies du palais, sur lesquelles Constantin VII a publié une compilation infiniment détaillée, n'ont pas du tout le caractère militaire. Sur les monnaies, les empereurs nous apparaissent rarement sous l'armure, presque toujours avec les insignes de l'autorité pacifique : les longs vêtements, le globe du monde, la main de justice, la croix, le code.

Le pouvoir impérial était despotique, et cependant survivait encore le souvenir des temps où le premier des Augustes n'avait été que princeps, le prince d'un sénat dans une république. De là, dans la langue officielle, un mélange singulier de jargon servile et de phraséologie républicaine. Depuis Dioclétien, les empereurs avaient emprunté aux despotes de l'Orient ces insignes royaux qui avaient été un objet de mépris et de haine pour les anciens Romains : le diadème et le trône. Leurs sujets s'intitulaient leurs esclaves (douloi). On se prosternait devant eux, ou baisait leurs pieds. Pour donner un ordre, ils n'avaient pas besoin de parler : il leur suffisait de faire un signe imperceptible, de la paupière, dit le Livre des cérémonies. On ne parlait d'eux, ils ne parlaient d'eux-mêmes qu'en termes abstraits : Votre Majesté, Notre Royauté. — La litanie des épithètes fastueuses accolées à leur nom rivalisait de servilité avec celles que les Orientaux prodiguaient à leurs shahs, à leurs sultans, à leurs khalifes. Les statues des empereurs étaient honorées comme celles des saints : c'était même ce qui rendait si difficile aux princes iconoclastes de trouver de bonnes raisons contre les images des bienheureux. Le haut fonctionnaire ou le général victorieux qui recevait une lettre impériale, écrite à l'encre de cinabre et munie de la bulle d'or, avant de. l'ouvrir, la portait à son front, à ses yeux, à ses lèvres, comme font les esclaves des sultans. Sans doute, la religion enseignait que l'empereur était mortel comme les autres hommes ; l'expérience le prouvait ; mais c'était comme homme, non comme Basileus, qu'il était mortel. Justin, successeur d'Anastase, annonçant aux soldats la fin de son prédécesseur, disait : — Notre maître, en tant qu'homme, vient de mourir.

Le pouvoir du prince était absolu et s'étendait sur tout, même sur la religion. Les lois, il les faisait et les défaisait, étant la loi vivante. Le prince avait autorité sur les modes. Le vieux Michel Stratiotique édicta une loi pour obliger les citoyens à porter la coiffure qui avait été en vogue au temps de sa première jeunesse. Théophile, devenu chauve, promulgua une Novelle enjoignant à tous de se raser la tête. Léon VI, intervenant dans l'art culinaire, interdisait de se nourrir du sang des animaux. Codinus déclare que l'empereur a le droit de changer la signification des mots : rien ne l'empêchait d'être le tyran des syllabes, comme essaya de l'être notre Chilpéric. Du reste, n'a-t-on pas dit des rois et des reines de la Grande-Bretagne qu'ils peuvent tout, excepté changer en homme une femme ?

A côté de ces théories absolutistes, on est tout, étonné de retrouver dans les écrivains byzantins les vieux mots classiques de liberté, d'esclavage, de tyrannie. Ils.continuent à parler le langage de Démosthène et de Cicéron. Les empereurs eux-mêmes ne font nulle difficulté d'en user. Justinien changeait le nom du Pontus Polemoniacus, parce que Polémon avait été un tyran. Après la reconquête de l'Afrique, il félicitait en ces termes ses nouveaux sujets : Ils doivent savoir de quelle dure servitude ils ont été affranchis et de quelle liberté ils ont été dotés sous notre heureux empire. Mais qui ne voit que tous ces vocables ont changé de sens ? La barbarie, avec sa liberté anarchique, voilà l'esclavage ; les institutions romaines, despotiques, mais nationales, voilà la liberté. Hors de la romanité, hors de l'empire, il n'y a que servitude et abjection. C'est ce que fait très bien entendre ce passage de Lydus : Il est contraire à la liberté romaine d'avoir un maître : les Romains ne doivent obéir qu'à un Basileus. — Michel II, marchant contre l'usurpateur Thomas, exhorte ses soldats à être des hommes, à ne pas prostituer à un exécrable tyran leur liberté. Théophile, quand il obligeait ses sujets à se raser la tête, se proposait de restaurer chez les Romains la vertu de leurs ancêtres ; c'est avec la sanction du fouet qu'il travaillait à réaliser cette libérale pensée, sans crainte de voir un Brutus sortir de ce retour à la coiffure républicaine,

Byzance continuait à avoir son sénat, ses consuls, ses curies. Léon VI fut le premier qui s'avisa d'en prononcer l'abolition ; mais ses trois Novelles n'amenèrent aucun changement dans la réalité, car il y avait longtemps que la révolution s'était opérée. Réforme grammaticale et non point politique. C'étaient des lois abrogées de fait, tombées en désuétude, errant vainement autour du sol légal, qu'il prenait la peine d'abroger. Désormais, nous apprennent ces Novelles, il n'y aura plus de sénat, de consuls, de curies, car la majesté impériale s'étant arrogé les attributions sénatoriales, le sénat est devenu inutile ; il en est de même pour les consuls ; en un mot, les choses civiles se sont transformées, et tout dépend désormais de la sollicitude et de l'administration de la majesté impériale.

Voilà donc la théorie de l'absolutisme byzantin formulée en son extrême rigueur. Mais nous ne cessons de marcher de contradiction en contradiction. Après comme avant Léon VI, il y eut à Byzance un sénat : tout au plus si la Novelle 78 a eu pour effet de lui retirer le pouvoir législatif. L'empereur avait beau, en principe, être l'auteur de la loi : elle le limitait et le contenait. Si le Coran a pu parfois servir de frein au despotisme, combien mieux la loi romaine avec sa majesté et sa clarté souveraines ! En principe, c'était l'empereur qui légiférait ; en réalité, un corps de jurisconsultes, imbus de la tradition et qui, sous les souverains les plus ignares et les plus ineptes, sous un Michel l'Ivrogne aussi bien que sous un Basile le Grand, gardaient intact le dépôt de la doctrine, opposait aux caprices et à la mobilité du prince la fixité du droit écrit. Le sénat n'est rien, et il est tout. Les successeurs de Léon VI continuent à soumettre à l'approbation de cette haute assemblée les lois les plus importantes ; ils lui demandent des juges pour les grands procès politiques ; aucun avènement d'empereur, fût-ce à la suite d'un complot ou d'une révolte militaire, qui ne réclame la sanction du sénat, au même titre que le consentement du peuple et la bénédiction du patriarche. Presque toutes les grandes charges sont aux mains de familles sénatoriales ou donnent accès dans le sénat. Il est ce que les Russes du XVIIIe siècle appelaient la généralité, c'est-à-dire la réunion des généraux et des chefs de service. Il est le centre de ralliement de l'aristocratie byzantine, car à Byzance il y avait une noblesse, noblesse administrative, il est vrai, mais dont les membres trouvaient dans les charges mêmes qu'ils tenaient de l'empereur, dans l'importance qu'il leur avait conférée, des moyens de lui résister. Ils savaient, comme nos vieux parlementaires français, présenter des remontrances, apporter une sage lenteur à l'exécution des ordres qu'ils désapprouvaient, opposer au torrent du caprice la force d'inertie, amener l'empereur à résipiscence, ou, lorsque sa tyrannie était tout à fait débridée, lui préparer dans l'ombre un successeur.

En second lieu, il y avait un clergé, groupé autour du patriarche et du Saint-Synode, et qui, malgré sa sujétion, possédait une autorité immense. Il supportait, il tolérait beaucoup, mais sa condescendance avait des limites. A l'occasion, il se rencontrait des hommes comme Théodore le Confesseur, comme Théodore le Stigmatisé, comme le patriarche Nicolas, qui protesta contre les quatrièmes noces de Léon VI, comme le patriarche Polyeucte, qui blâma ouvertement le mariage de Nicéphore Phocas avec la femme de son prédécesseur et ensuite flétrit les assassins de ce même Nicéphore.

Ainsi, le clergé et la noblesse, le Saint-Synode d'une part, le sénat de l'autre, c'est, comme dans notre ancien régime, le droit des parlements et le droit des assemblées du clergé limitant le despotisme d'un Louis XIV.

En troisième lieu, il y avait les résistances armées des tribus montagnardes, des peuplades éloignées, chez lesquelles il n'était point prudent aux percepteurs de taxes illégales et aux agents du despotisme de trop se hasarder.

Enfin, il y avait à Constantinople une opinion publique. Même dans les temps calmes, où le peuple n'était pas en humeur de révolutions, elle savait se faire entendre. Par une sourde agitation, des rumeurs, même des clameurs (kataboéseis), elle forçait un Michel III à se donner pour collègue Basile I. Le plus souvent elle se manifestait par des mots piquants, des épigrammes qui couraient la ville. On en affichait sur le socle des statues : ainsi dans la Rome des papes sur le piédestal de Pasquino. Quand Michel Stratiotique entreprit de faire revenir les modes de sa jeunesse, comme il était en même temps un grand bâtisseur, il ne pouvait remuer une pierre dans Byzance sans qu'on racontât qu'étant enfant il avait en jouant perdu un osselet et que c'était pour le retrouver qu'il bouleversait les pavés. Le peuple donnait des sobriquets parfois peu aimables à ses maîtres : Constantin Copronyrne — parce qu'il avait souillé les fonts baptismaux —, Michel le Calfat, Michel l'Ivrogne. Quand Alexis Comnène fut battu par Robert Guiscard, sa fille nous apprend qu'il fut chansonné dans toute la ville ; partout on répétait le mot de son ennemi : Je l'ai amené dans la gueule du lion. — Quand la goutte empêchait ce même Alexis de marcher contre les Turcs, dans tous les cabarets et dans tous les salons de la ville, on mettait la chose en comédie : les uns se déguisaient en médecins complaisants, d'autres en courtisans qui se confondaient en génuflexions, celui-ci en empereur qu'on portait doucement dans une litière, ceux-là en barbares qui, en son absence, faisaient le diable à quatre. Byzance avait sa comédie politique et ses soties comme l'Athènes d'Aristophane, comme le Paris des confrères de la Basoche. Même les libellistes ne respectaient pas ce que le bon Louis XII entendait qu'on respectât : l'honneur des dames. Que de chansons n'a-t-on pas faites contre Théodora, la femme de Justinien ! L'écho en est venu jusqu'à M. Sardou.

Le prince était bien obligé de compter avec le peuple, avec la plèbe. S'il quittait sa capitale pour se rendre à l'armée, il faisait ses recommandations au préfet de la ville. Celui-ci devait : 1° s'assurer que le blé ne manquerait pas, car rien comme la disette ne dispose aux émeutes ; 2° surveiller ces nouvellistes qu'Anne Comnène nous représente, comme ceux de La Bruyère, discutant les plans de campagne, indiquant les manœuvres à faire contre l'ennemi, plaçant ici les auxiliaires dalmates et là les mercenaires albanais, bloquant les places et jetant des ponts sur les rivières ; 3° punir ceux qui répandaient les mauvaises nouvelles, démentir celles-ci dans des proclamations au peuple annonçant que l'empereur et l'armée se portaient bien ; 4° au besoin parler, mais très vaguement, d'une dépêche qui serait venue du camp, de renseignements apportés par un voyageur, de bulletins de victoire attendus d'un instant à l'autre.

De là, aussi, pour amuser le peuple, toutes ces fêtes civiles et fêtes ecclésiastiques, les théâtres et les jeux de l'Hippodrome, les processions où l'empereur jetait l'argent à poignées, les banquets monstres, semblables aux congiaria de Rome, auxquels s'asseyaient tous les citoyens, les solennités des triomphes, où défilaient les émirs et les khans vaincus, les prisonniers slaves ou sarrasins, les machines de guerre, les chameaux, les éléphants conquis sur l'ennemi. Afin d'attacher le peuple à la dynastie, on fondait des hospices pour les vieillards, des hôpitaux pour les malades, des greniers à blé que le cérémonial obligeait l'empereur à visiter en grande pompe une fois par an. Romain Lécapène faisait fermer de planches les portiques où s'abritaient les lazzaroni de la capitale. L'impératrice Irène dégageait les objets que les indigents avaient été obligés de mettre en dépôt aux monts-de-piété de l'époque. D'autres souverains rachetaient les billets souscrits par les citoyens pauvres et en faisaient un feu de joie sur une des places publiques : double largesse pour les créanciers et pour les débiteurs. D'autres délivraient les prisonniers pour dettes, ou les captifs emmenés chez les barbares. Aucun moyen de popularité n'était négligé. Le plus sûr était celui qu'employait Théophile et qui consistait à parcourir incognito, comme son contemporain Haroun-al-Raschid, les rues de la capitale, à écouter les plaintes du peuple contre les fonctionnaires, à lui rendre prompte et sévère justice. Comme saint Louis sous le chêne de Vincennes, Théophile jugeait en personne dans la Phialè, Basile Ier dans le Genikos, le césar Bardas à l'Hippodrome. Le droit de pétition était un des droits imprescriptibles du peuple de Byzance : le prince recevait lui-même les suppliques du plus humble de ses sujets ou se faisait remplacer dans ce soin par le préposé aux requêtes. Quand l'empereur montait à cheval pour parcourir la ville, les tambours battaient, les trompettes sonnaient, les clairons d'argent des buccinatores déchiraient l'air, et tout le peuple était averti de venir présenter ses pétitions à l'empereur (Codinus). Dans les processions les plus solennelles, le Basileus s'arrêtait pour écouter ce qu'on avait à lui dire et prendre les papiers. La justice qu'il rendait était souvent une justice à l'orientale, à la turque. Théophile surtout est célèbre par des traits de ce genre : les bouffons de l'Hippodrome, dans une pantomime, révélèrent un vol commis par un haut fonctionnaire ; celui-ci fut à l'instant brûlé vif sur une des places de Byzance. On voyait, représentées en airain, les deux mains qu'il fit couper à un marchand qui avait usé de fausses mesures. On montrait un four où il fit jeter un boulanger qui trompait ses clients. Un fonctionnaire qui, en élevant de plusieurs étages son palais, avait ôté l'air et le jour à la chaumière d'une vieille femme, fut fouetté, rasé, et sa maison donnée à la plaignante. Plus le châtiment était soudain, violent, disproportionné à la faute, plus il frappait l'imagination des masses et plus le justicier en devenait populaire. Il fallait aussi que le prince sût, à l'occasion, se condamner lui-même comme il condamnait les prévaricateurs. Un courtisan avait fait présent d'un magnifique cheval à Théophile ; pendant une procession, une vieille femme s'avance hardiment, saisit le cheval par la bride et déclare qu'il lui a été volé. Le prince descend, restitue le coursier et continue la route à pied. Pour conserver la mémoire de ce trait qu'eût admiré le meunier de Sans-Souci, le cérémonial prescrivit que désormais le cheval monté par l'empereur serait toujours suivi d'une file de chevaux tout sellés : si le prince était encore forcé à restitution, il n'aurait plus le désagrément de se retrouver simple piéton. Six siècles après l'aventure, l'usage s'observait encore.

Le peuple avait son rôle dans toutes les cérémonies de la ville et de la cour. Il y était représenté par les quatre factions des Verts, des Bleus, des Rouges, des Blancs. Ces factions étaient des espèces de gardes nationales, chargées de faire la haie sur le passage de l'empereur, de l'acclamer et de chanter des hymnes, en s'accompagnant sur les orgues d'argent. Elles étaient armées de piques et de boucliers : l'ambassadeur italien Luitprand, que les mauvais traitements reçus de Nicéphore Phocas mettaient de fort méchante humeur, nous dépeint ces miliciens sous les plus fâcheuses couleurs, vêtus de haillons galonnés, les pieds nus, les armes toutes rouillées. C'était tout ce qui restait de ces factions célèbres qui avaient agité l'Hippodrome et l'empire, livré bataille à Justinien. C'était cela qui représentait le peuple romain, mais dompté, domestiqué, réduit à un rôle de parade, ne poussant que des cris rythmés et réglés par les maîtres des cérémonies. Quelquefois aussi apparaissait un autre peuple, celui qui prit d'assaut le palais de Michel le Calfat et lapida ce prince dans la rue.

Après avoir défini l'empire une monarchie absolue et l'empereur un autocrate, il était bon d'indiquer les limites que les institutions, les mœurs, l'opinion et les faits apportaient au despotisme[5]. C'était une monarchie absolue, mais tempérée par des chansons, comme dans la France de Mazarin, et aussi par le régicide, comme dans le Stamboul des sultans ou le Pétersbourg de Paul Ier.

 

III

Il convient d'insister sur le caractère religieux de la royauté byzantine ; assurément il se retrouve aussi dans les royautés européennes, surtout dans la royauté française, et même, hors de la chrétienté, dans les monarchies de l'Orient ; mais à Byzance, ce caractère religieux présente des nuances qui ne se rencontrent nulle part ailleurs. Les potentats de l'ancien Orient, de l'ancienne Égypte, étaient sur la terre les incarnations de la divinité, Mithra ou Osiris ; ils étaient issus des dieux, étaient eux-mêmes des dieux ; ils recevaient après leur mort et parfois de leur vivant les honneurs divins. Les dynasties du ciel et de la terre se confondaient ; parmi les radjepoutes de l'Inde, les uns descendent du soleil et les autres de la lune ; les rois de Perse étaient frères de ces deux astres, et l'empereur de la Chine est fils du ciel. Sur les bords du Tibre, la déesse Rome, c'est-à-dire la Pairie, s'était incarnée dans un homme, et le peuple romain s'était fait César.

L'empereur se laissa d'abord élever des autels qu'il partageait avec la déesse de Rome, comme Auguste à la place des Terreaux de Lyon ; puis il en accepta pour lui seul. Quiconque insultait à sa statue, même à son effigie empreinte sur les monnaies, était sacrilège. Sacrilège aussi le conspirateur politique : le crime de lèse-majesté impliquait un crime contre la religion. Rien d'étonnant si les poètes s'obstinaient à placer l'empereur encore vivant dans le ciel, entre deux signes du zodiaque ; s'il se parait du nom et des attributs de Jupiter ou d'Hercule, comme Dioclétien et Maximien ; si le plat de champignons d'Agrippine faisait de Claude un habitant de l'Olympe, et si Vespasien, railleur devant la mort, disait : Je sens que je deviens dieu. Tout trépas d'empereur était une apothéose, dans le sens étymologique du mot, même quand elle était une apokolokynthose.

Oui, mais tous ces rois de Perse ou d'Égypte, tous ces empereurs de Rome étaient des païens : ceux de Byzance étaient des chrétiens. Ils se réduisirent donc à être les représentants et les vicaires de Dieu. Ainsi firent les souverains musulmans, pour la même raison, se contentant d'être l'ombre d'Allah sur la terre. Le Basileus ne pouvait être dieu, mais seulement un prêtre. Il aspira donc aux honneurs non plus de l'apothéose, mais du sacerdoce. Constantin savait ce qu'il voulait dire en se proclamant l'évêque des choses du dehors. Les pères du concile de Chalcédoine disaient à Marcien : Tu es à la fois prêtre et empereur, vainqueur à la guerre et docteur de la foi. Léon l'Isaurien, signifiant au pape Grégoire III ses décrets iconoclastes, les motivait ainsi : Attendu que je suis roi et prêtre. Les premiers successeurs du grand Constantin, pour assister aux offices, franchissaient les portes de l'iconostase, pénétraient dans le saint des saints et trônaient parmi le clergé. Saint Ambroise fut le premier qui, à Milan, enjoignit à Théodose de repasser les portes sacrées et de se tenir parmi les laïques. Le prince se soumit, alléguant qu'il n'avait pas prétendu empiéter sur les droits des clercs, mais que tel était l'usage à Byzance. Et en effet, revenu dans sa capitale, comme il s'asseyait à l'église parmi les laïques, le patriarche Nectaire l'invita à reprendre sa place dans le sanctuaire, à ecclésiastiser (έκκλησιάζειν) parmi les clercs. La différence entre l'esprit de l'église latine et celui de l'église grecque s'accuse ici bien nettement. Les successeurs de Théodose n'eurent affaire qu'à l'église grecque ; ils ne conservèrent cependant pas sans contestations leur place de l'autre côté de la cloison aux icones d'or. Justinien Rhinotmète fit décider ceci par le concile in Trullo : Il n'est permis à aucun laïque de pénétrer dans le sanctuaire ; cette défense ne concerne pas l'empereur, quand il veut offrir ses présents à Dieu, suivant l'usage. L'usage nous apparaît solidement établi au Xe siècle, dans les Cérémonies de Constantin Porphyrogénète. L'important pour l'empereur était de ne pas rester un simple fidèle : pour obtenir cette distinction, il se soumit à faire de riches offrandes chaque fois qu'il pénétrait dans le sanctuaire ; pour la justifier, il accepta les titres et les fonctions les plus humbles de la hiérarchie ecclésiastique. Il n'ambitionne plus d'être évêque comme Constantin, pas même d'être prêtre ; il se contente d'être lecteur, diacre ou sous-diacre. C'est à ce titre que les secondes noces lui sônt interdites ; mais il jouit de prérogatives que n'ont point les laïques. Il touche à la nappe de l'autel et peut y poser les lèvres, non pas au milieu comme le prêtre, mais au bord comme les clercs d'ordre inférieur. Il prend lui-même le pain consacré et communie avec les prêtres. Lecteur, diacre, sous-diacre, il lit l'Épître à l'ambon, porte l'évangile dans ses mains, reçoit du patriarche l'encensoir et en encense la sainte table. Il allume les cierges, change la nappe de l'autel, époussette celui-ci avec un éventail en plumes de paon. On sait que nos rois de France avaient le privilège de communier sous les deux espèces et de prendre part à certaines cérémonies du rituel : nos Capétiens étaient chanoines de Saint-Denis et abbés de Saint-Martin de Tours. Pour les empereurs byzantins, l'acceptation de titres inférieurs de la hiérarchie ecclésiastique constituait une déchéance ; sans parler des ambitions de Constantin, ils ne pouvaient oublier que le titre de souverain pontife avait été celui des empereurs païens, dont ils se considéraient comme les successeurs.

L'Église leur permit de prendre leur revanche sur d'autres points. Elle a fait de l'intronisation de l'empereur une cérémonie religieuse, un sacrement. Tandis que l'élection à l'empire n'était plus qu'une vaine formule, que la coutume des ancêtres était abolie, que la volonté ou le consentement des sujets étaient supposés, c'est Dieu même qui remplaçait le peuple et le sénat d'autrefois. C'est lui qui était censé élire (χειροτόνιν) le prince ; c'est le Christ qui est le grand électeur, et l'empereur, parmi ses titres, porte celui d'élu de la Trinité, nommé par le suffrage (pséphos) du Roi des rois. Sur les monnaies byzantines, on voit fréquemment une main qui, au-dessus de la tête du Basileus, sort d'un nuage pour bénir et pour élire. Quand l'empereur a été, à la mode des barbares, élevé sur un bouclier et a reçu ainsi l'investiture militaire, on procède au couronnement, cérémonie civile et surtout religieuse. Où se fait ce couronnement ? Sous les premiers empereurs, c'est en général dans quelque salle du palais ; puis, quand on sent la nécessité d'imprimer à la dignité impériale un caractère de plus en plus sacré, c'est dans une église, c'est même presque uniquement dans Sainte-Sophie, parmi les chants religieux, les flots d'encens et la plus grande pompe ecclésiastique qui se puisse imaginer. Ce n'est plus par la main de l'empereur lui-même, mais par la main du patriarche, que la couronne, prise sur l'autel, est posée sur la tête impériale. Enfin, quelque confusion que présentent parfois les textes et malgré le silence du Livre des cérémonies, on peut affirmer que l'empereur recevait l'onction. Siméon de Thessalonique le dit expressément : Le patriarche fait la croix, avec l'huile sainte, sur le front du prince, en mémoire de celui qui est le Roi de l'univers et qui, par cette imitation de sa propre onction, le constitue en puissance sur la terre... L'huile, versée en forme de croix par le patriarche, montre que c'est le Christ qui fait l'onction.

Ce sacrement, que l'Église a créé pour l'empereur, qui le marque du sceau de Dieu, sinon au même titre que l'évêque ou le prêtre, du moins à un titre égal, donne à sa personne un caractère particulièrement auguste. Rappelons-nous que le sacre de Reims rendait nos rois inviolables, et que Jeanne d'Arc pensait avoir fait du dauphin un roi, uniquement parce qu'elle lui avait ouvert, les armes à la main, le chemin qui conduisait à la sainte ampoule. Il fallut toute l'instabilité des institutions à Byzance pour que le même résultat n'y fût pas obtenu. Déjà cependant l'empereur élu de Dieu, oint de Dieu, prenait une autorité considérable : il cessait de n'être que la créature des légions, ou d'un peuple d'émeutiers, ou d'intrigues de sénat et de palais, pour devenir vraiment un roi. Les factions, dans leurs acclamations rythmées, le proclamaient saint (hagios). C'était en Dieu qu'il régnait ; les inscriptions monétaires portent : N.., en Christ, le Roi éternel, roi des Romains. Il régnait par Lui, sous son œil, sous sa main : de là, cet œil qui, sur les médailles, prend quelquefois la place de la main qui élit et bénit. Il a reçu de Lui mission, comme disait le grand Constantin, de dissiper et balayer l'erreur, de l'orient à l'océan britannique, d'instruire et de ramener à Dieu le genre humain. Oui, le genre humain ; car il n'est pas seulement le souverain de Byzance ; il est le maître de l'Univers (kosrnicos autocrator), le maître de toute la Terre habitée (oikouménè) ; il est le monarque œcuménique, comme est œcuménique l'Église elle-même. Non seulement la Grèce et l'Asie, mais l'Italie, l'Espagne, les Bretagnes, les Gaules, lui appartiennent légalement : aucune usurpation d'empereur ou de roi barbares n'a pu prescrire ses droits. L'autocrate grec aurait parfaitement pu tenir à l'ambassadeur de Charlemagne le propos que lui prête, en se gaussant, le moine de Saint-Gall : Pourquoi ton prince se fatigue-t-il à guerroyer contre les Saxons ?... Je te les donne, prends-les, ainsi que le pays qui leur appartient. De même qu'il n'existe qu'un Dieu, il n'existe sur terre, pour les choses temporelles, qu'un vicaire de Dieu : le Basileus. Bien plus, il est Dieu autant qu'un homme, autant qu'un chrétien peut l'être : à certains jours il fait le personnage du Christ. A la fête de Pâques, nous dit M. Schlumberger, il se montre à ses sujets dans le costume de Jésus ressuscité, avec des bandelettes dorées autour du corps, qui représentent celles du Christ dans le tombeau, les cuisses enveloppées dans un linceul, les sandales dorées aux pieds, avec le sceptre crucigère dans une main, et dans l'autre l'akakia, sachet d'étoffe de pourpre, enveloppé dans un sac de soie et plein de la poussière des tombeaux. Autour de lui de hauts dignitaires, en nombre égal à celui des apôtres, vêtus de costumes semblables, portent aussi la croix dans leurs mains.

Mais enfin l'empereur n'était Dieu que par procuration et non plus de son propre chef comme les empereurs païens. Il n'était Christ que par l'onction du Christ et comme son élu. Le véritable empereur de Constantinople, c'est Jésus : combien de monuments iconographiques nous représentent le Christos Basileus avec la couronne, le costume et tous les insignes impériaux ! Sous les premiers empereurs, les monnaies représentaient d'un côté l'effigie du prince régnant, de l'autre une Victoire à laquelle succéda bientôt une croix supportée par des degrés. Puis devient fréquente la légende : Jésus-Christ vainqueur. Sur les médailles de Léon VI, le revers porte l'effigie de la Théotokos (Mère de Dieu), qui partage ainsi avec l'empereur les honneurs monétaires. Sous Romain Lécapène, les empereurs — ils étaient alors quatre ou cinq associés — sont d'un côté, et, de l'autre, assis sur le trône impérial, pieds nus, la main levée pour enseigner et bénir, la tête environnée d'un nimbe, le Christ Roi des rois. Sous Romain II et Nicéphore, les puissances du ciel empiètent plus encore sur les puissances de la terre : au revers, le Christ aux pieds nus continue à occuper le trône ; sur la face, l'empereur est en partage avec la Théotokos. Enfin, sous Zimiscès — qui sans doute avait conscience de son usurpation —, l'empereur disparaît complètement : d'un côté, l'effigie du Christ ; de l'autre, cette légende : Jésus-Christ, Basileus des Romains. C'est seulement sous les héritiers légitimes, Constantin VIII et Basile II, que les princes reparaissent sur la face, laissant ordinairement le revers à Celui dont ils se reconnaissent les lieutenants. Dans les réceptions d'ambassadeurs, à côté du trône occupé par l'empereur, il y a un trône vide : c'est celui du vrai Roi. Les envoyés barbares amenés au pied de l'estrade sont moins impressionnés par la majesté du Basileus visible que par le mystère de ce trône vide et de ce Basileus invisible. Quelquefois, sur le siège non occupé, on place un Évangile ouvert, cette loi suprême des Byzantins ; ou bien quelque image révérée, comme celle d'Édesse, après qu'on l'eut reconquise en Asie.

De même que le Basileus règne par le Christ, c'est, par lui qu'il gouverne. Basile Ier apprenait par des songes envoyés d'en haut la solution des affaires difficiles. Quoi d'étonnant, disait-il, si ceux qui exercent le pouvoir sur le monde comme un sacerdoce (litourgia), et qui accomplissent un ministère (diakonia) vraiment divin, reçoivent de la Providence une direction vers le salut et apprennent d'elle les choses futures ? Inspiré de Dieu, possédé de l'Esprit Saint, le Basileus donnait des ordres comme la sibylle antique rendait des oracles : thespisma, dans le langage officiel, est synonyme de décret impérial.

C'est aussi par le Christ que le Basileus était victorieux. On n'entrait en campagne qu'après avoir pris l'avis du ciel : Alexis Comnène plaçait sous la nappe de l'autel deux plans d'opérations militaires, passait la nuit en prières et, au matin, prenait celui des deux plans que la Providence lui mettait sous la main. Jean Zimiscès, sur le point de marcher contre les Russes, visitait les églises et avec la plus entière conviction demandait à la sainte Sophia, la Sagesse divine, de lui envoyer un ange pour marcher en tête de l'armée. Ce qui précédait les légions, ce n'étaient pas des drapeaux militaires, une impériale bannière : c'était l'image de la Vierge conductrice, ou celles de saint Michel, des saints Théodore, de saint Georges. Marie était non seulement la conductrice, mais le collègue des généraux (systratégos). Héraclius clouait des images de la Vierge au grand mât de ses navires et faisait porter la vraie croix à l'avant-garde de son armée. Le chant de guerre, par lequel s'animaient les troupes, c'étaient des hymnes, le cantique de Moïse au passage de la Mer Rouge, les psaumes de David, ou bien le Staurikon, le chant de la croix. Leur cri de guerre, c'était : Christ vainqueur ! Les exhortations des empereurs et des généraux, c'étaient des sermons. Quoi de plus naturel, puisque tout ennemi de l'empire était nécessairement un ennemi de Dieu et qu'en dehors de la romanité, il n'y avait que des infidèles, comme les musulmans et les païens, des hérétiques, comme les manichéens, et, à partir du XIe siècle, des schismatiques, comme les peuples latins ? Basile Ier ne se faisait pas scrupule de demander à la Vierge la faveur de percer de trois traits la tête de son ennemi, l'hérétique Chrysochir. Avait-on remporté la victoire, on l'attribuait à une intervention divine : c'était saint Démétrios qui avait sauvé Thessalonique, saint André qui avait fait lever le siège de Patras, saint Théodore qui avait vaincu les Russes à Dorostol (Silistrie). La Vierge conductrice avait fait merveille contre les Arabes, l'image d'Édesse contre les Perses. Le maphorion (scapulaire ou mantille) de la Mère de Dieu, plongé dans les flots du Bosphore, avait soulevé la tempête dont la flotte russe fut engloutie. Aussi, quand on célébrait le triomphe à l'Hippodrome, c'était la Théotokos qui paradait dans le char attelé de chevaux blancs, tandis que l'empereur suivait à pied, portant une croix sur l'épaule.

Les lois de l'empire régissent l'Église, et les décrets des conciles sont obligatoires dans l'empire. L'hérésie, l'apostasie, le sacrilège sont crimes d'État ; la rébellion contre l'empire est un sacrilège : se révolter, c'est lever le talon de l'apostasie. Contre les rebelles, on emploie à la fois le glaive temporel et l'excommunication. Une Novelle de Constantin VII est intitulée : De l'anathème contre les apostats, c'est-à-dire les conspirateurs. M. Schlumberger nous montre Nicéphore Phocas anathématisé lorsqu'il fit son pronunciamiento pour s'emparer du trône : ses os ne devaient pas reposer dans le tombeau. Mais cette même arme de l'anathème, quelques jours après, lorsqu'il eut reçu l'onction sainte, se tournait contre ses adversaires.

Comme l'empereur est l'image de Dieu, l'empire doit être l'image du ciel. Quand nous montrons dans la puissance impériale cet ordre et cette harmonie, nous dit l'auteur du Livre des cérémonies, nous représentons en miniature l'ordre et le rythme que le Démiurge a mis dans l'univers. L'empire, c'est donc la reproduction terrestre de la cité de Dieu. Il est l'État chrétien par excellence ; romanité et chrétienté sont synonymes. L'idée religieuse est si bien la dominante de cette monarchie que la distinction du civil et de l'ecclésiastique y est impossible : en quoi il diffère des royaumes d'Occident et se rapproche des monarchies khalifales. Entre l'Église et l'État, il n'y a pas lutte, mais harmonie, presque confusion. Il n'y a pas de honte pour le patriarche à être nommé par l'empereur, ni pour l'Église à être subordonnée à l'État, car l'État est à peine laïque. Ce n'est point une main profane que l'empereur étend sur elle quand il entreprend de la réformer : c'est elle-même qui se réforme par l'un de ses membres. Les princes les plus religieux, les plus étroitement dévots, comme Basile Ier ou Nicéphore Phocas, ne se font aucun scrupule de restreindre les abus du droit d'asile ou de limiter les possessions des couvents.

La hiérarchie civile de Byzance s'appelait la sainte hiérarchie. L'empereur conférait une fonction ou une dignité comme il eût administré un sacrement : Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, ma majesté, qui me vient de Dieu, te crée patrice. Pour recevoir ce sacrement administratif, il fallait être en état de grâce, prêt à communier, et avoir la crainte du Seigneur. A Byzance, l'état de grâce aurait été l'état normal des consciences d'employés.

Les lois se promulguaient au nom du Seigneur Jésus-Christ, notre maître. En tête du code Justinien, à la place où dans nos codes modernes se trouverait l'exposé des principes, il n'est question que de la Trinité, de la foi catholique et des interdictions portées contre l'hérésie.

L'existence que l'étiquette byzantine imposait à l'empereur était vraiment une vie pontificale, pour emprunter une expression de Christine de Pisan à propos de la cour de Charles V. Son costume civil rappelait celui des prêtres ; dessous, une longue chlamyde blanche qui est l'aube de notre clergé ; par-dessus, une sorte de longue chasuble couvrant les épaules et les bras, étincelante d'or et de pierreries, rigide et pesante comme une chape. La couronne, surmontée de la croix, est presque la tiare du patriarche et des métropolites de l'Église orientale ; de cette couronne descendent, le long des deux joues, les præpendulia, pendeloques ou rivières de diamants et de pierreries qui se rejoignent sous le menton. Le Basileus, ainsi accoutré, ne montr presque pas de visage, presque pas de mains, presque pas de chair, comme la Théotokos et les saints des icones, dont l'image est cachée sous une croûte d'or et de gemmes. Ainsi immobilisé, emmailloté, étouffé, écrasé sous ce lourd et splendide appareil, le Basileus, assis roide sur le trône de Salomon, les mains occupées par les insignes impériaux, ne peut faire un mouvement ; il s'offre aux hommages des courtisans et à la piété du peuple dans une sorte d'immobilité hiératique, comme une idole d'Orient, parmi les flots d'encens et les chants d'église. Une étiquette plus rigide que ses vêtements, fixée dans les plus infimes détails par le Livre des cérémonies, l'emprisonne plus étroitement encore. Elle lui dicte l'emploi de chaque jour de l'année, de chaque minute de la journée. Elle prescrit la forme de la couronne ou du vêtement qu'il doit porter dans chaque cérémonie. Ses changements de costume sont aussi fréquents que ceux du patriarche officiant en grande pompe à Sainte-Sophie. Tantôt, il portera le diadème impérial, et tantôt la krinonia, décorée de lis en l'honneur de la Vierge. Il couvrira ses épaules tantôt du sagion et tantôt du tsitsakion, du dibétésion ou du scaramangion aux fourrures précieuses. Il se chaussera des brodequins de pourpre ou des sandales dorées. Tous ces changements s'opèrent derrière un voile tendu par des eunuques et par la main de ceux-ci ; car personne autre qu'eux ne peut mettre la main à cette toilette sacrée. Quand l'empereur s'agenouille pour la communion, deux ostiaires (huissiers eunuques) relèvent des deux côtés son vêtement sacerdotal, comme cela se pratique pour les agenouillements du prêtre officiant. Ces draperies, ces couronnes ; qui participent à la sainteté des cérémonies dont elles relèvent l'éclat, ne sont pas déposées ensuite dans une garde-robe profane ; on les conserve dans les sacristies ; on les étale sur l'autel de Sainte-Sophie, on les suspend aux voûtes du temple. C'est l'église qui est le vestiaire du Basileus. Si les rois barbares convoitent ces oripeaux augustes, on devra leur répondre qu'ils ont été apportés au grand Constantin par des anges da ciel, et que des maladies effroyables puniraient les sacrilèges qui oseraient s'en revêtir.

Le Basileus passe sa vie au milieu des cantiques, des psaumes, des processions. L'enceinte de son palais renferme moins d'appartements que d'églises. Sa salle du trône est pleine de reliques : la verge de Moïse, la vraie croix, etc. Sa salle à manger, sa chambre à coucher, sont décorées des images gigantesques, sur fond d'or, du Christ sévère ou de la Théotokos impassible. Le papias ou concierge du Palais gardé de Dieu est un clerc. Les portes sont les portes saintes, et, comme celles de l'iconostase, qui ne s'ouvrent pendant l'office qu'à de certains moments, elles ne roulent sur leurs gonds qu'à de certaines heures et se referment ensuite pour dérober aux profanes les mystères de l'intérieur. Tous les mois, on procède en grande pompe à la bénédiction de la demeure impériale ; et, à travers les triclinia (salles à manger), les cubicula (chambres à coucher), les kœtones (salons ou boudoirs), on promène les saintes icones. Le Basileus est dans son palais le commensal de Dieu, de la Vierge, des bienheureux et des anges[6]. En revanche, il a dans les églises son appartement à lui, sa toilette, comme le Metatorion de Sainte-Sophie ou des Saints-Apôtres. L'empereur est chez lui dans la maison de Dieu, comme Dieu dans la maison de l'empereur.

On cite l'étiquette de la cour de France sous Louis XIV et ces cérémonies qui constituaient comme un culte du roy. Combien ce caractère de culte est plus marqué dans les pratiques de la cour byzantine I Le même mot, offikia, sert à désigner les cérémonies ecclésiastiques et les cérémonies auliques ; Codinus et le Porphyrogénète les décrivent dans le même ouvrage. La même formule sert à donner, pour les unes comme pour les autres, le signal de la fin. A l'issue de la messe, on dit : Ite missa est ; au palais, dans un grec barbare ou un latin corrompu, l'empereur dit au préposé : Apelthe, poièson minsas. Sous Louis XIV il y avait, au lever du roi, les entrées ; à Byzance, cela s'appelle les vela (voiles ou levers de rideau). Dans un ordre immuable, le préposé introduit successivement les patrices, les magistri, les protospathaires et spathaires, les hypati (consuls), les stratores, les comtes, les candidats, puis les foules, sans cesse grossissantes, des officiers de terre et de mer et des fonctionnaires de tout ordre.

C'est encore le cérémonial qui détermine à quel jour l'empereur doit aller s'agenouiller à l'église des Saints-Apôtres devant les tombes de ses prédécesseurs ; se plonger, en lention ou chemise brodée d'or, dans le notatorion, piscine sacrée de Sainte-Marie des Blachernes ; visiter le monastère de la Source, hors des murs, ou quelque autre sanctuaire ; présider, dans son palais, à la fête des vendanges ou aux folies disciplinées du carnaval byzantin.

Avec une vie aussi sacerdotale, aussi occupée de représentation et d'offices, aussi accaparée par les prêtres et les dignitaires du palais, aussi minutieusement réglée par un rituel auguste et compliqué, est-il étonnant que la plupart des empereurs aient perdu toute initiative et toute énergie, que les Héraclius, les Basile Ier, les Nicéphore Phocas, les Zimiscès, les Basile II, aient été à Byzance des exceptions ?

Encore n'avons-nous pas indiqué l'entrave la plus forte à toute activité : la vie du gynécée, l'influence des femmes, en particulier de l'impératrice.

 

II. — L'IMPÉRATRICE BYZANTINE[7].

 

I

Qu'était-ce, à Byzance, qu'une impératrice, une Augusta, une Basilissa ? A priori, toutes les origines dont procédait la civilisation byzantine conspiraient à rendre nul le rôle politique de la femme. L'idée romaine faisait d'elle une éternelle mineure, lui interdisait le forum, ne permettant la rue qu'à la courtisane, enfermant la vierge noble ou la matrona dans son palais, ne l'en laissant sortir qu'en litière fermée, assignant pour unique domaine à son activité l'administration de sa maison et les ouvrages d'aiguille. L'idée grecque, non moins sévère, la condamnait à la réclusion du gynécée. L'idée orientale ajoutait au gynécée des grilles, des voiles, le sabre des eunuques, et le transformait en harem. Dans la Russie moscovite, le harem s'appelle le terem, à l'étage supérieur de la maison, et le voile s'appelle la fata. Mais les grilles, les voiles, les lois, les mœurs, les préjugés n'ont pu, ni dans la Rome républicaine ou impériale, ni dans la Grèce de Périclès et des successeurs d'Alexandre, ni dans. la Moscou des tsars, ni dans quelque pays d'Orient que ce puisse être, retirer toute action à la femme. Cette action y a été plus indirecte ou plus dissimulée qu'en Occident, mais à peine moins énergique. La Grèce alexandrine a eu Roxane. Rome a eu les Julie et les Agrippine, et les princesses syriennes, mères des légions, mères des camps, qui lui donnèrent quatre empereurs, et Hélène qui assura le triomphe du christianisme dans l'empire. L'Asie a connu les Nitocris, les Sémiramis, les Parysatis. L'Égypte a été gouvernée par Hatasou, fille et sœur des Thoutmès, et par Cléopâtre. La Syrie a obéi à Zénobie, l'Inde à des begums ; la Turquie a subi les caprices des Roxelane et des sultanes-validés. A Moscou, la tsarévna Sophie, dissimulée derrière le double trône de ses deux frères, a dirigé la diplomatie et les armes russes, frayant ainsi la voie aux impératrices du XVIIIe siècle.

A Byzance il en fut de même. Cela commence par Pulchérie, la fille aînée d'Arcadius. A quatorze ans, comme son père venait de mourir et que son frère n'était qu'un petit enfant, le préfet Anthémius la salue Augusta et lui remet le pouvoir. Pour se consacrer plus entièrement aux soins du gouvernement, elle fait vœu de virginité et engage ses sœurs à l'imiter. Elle administre au nom de son frère Théodose II, veille à son éducation, travaille à en faire un prince pieux et appliqué, mais sans réussir à vaincre sa paresse et sa frivolité. Elle le marie à Athénaïs, fille du philosophe athénien Léontios.

Celle-ci est une lettrée, une dilettante de dévotion, qui traduit en vers une partie de l'Ancien-Testament, fait des pèlerinages aux lieux saints et en rapporte de précieuses reliques, entre autres le portrait authentique de la Vierge par saint Luc. Naturellement, les deux belles-sœurs ne peuvent s'accorder, et Pulchérie, cédant à la passion de son frère pour sa femme, se retire de la cour. L'impératrice ne jouit pas longtemps de son triomphe : elle avait un faible pour Paulin, le maitre des offices. Un jour, un pèlerin venu d'Asie offre à Théodose une pomme d'une grosseur et d'une beauté extraordinaires. Le galant empereur en fait présent à sa femme ; la tendre impératrice l'envoie aussitôt chez Paulin ; celui-ci, voulant faire sa cour au prince, lui apporte le cadeau. Théodose, fort surpris, demande à sa femme ce qu'elle a fait de la pomme. Je l'ai mangée, répond-elle sans hésiter. Théodose insiste : elle jure sur la tête de l'empereur qu'elle a dit la vérité. Paulin, quoiqu'il pût être innocent, fut exilé, puis cruellement supplicié. L'impératrice obtint la permission de se retirer à Jérusalem. Elle y commit sans doute de nouvelles frasques, car le comte Saturnin reçut l'ordre de mettre à mort deux ecclésiastiques, dont les visites à l'Augusta furent jugées trop fréquentes. Pour se venger, elle fit assassiner Saturnin, tomba dans une disgrâce plus complète, fut dépouillée des honneurs impériaux et acheva ses jours dans l'obscurité[8].

Pulchérie avait repris l'influence sur son frère, et, avec elle, toute l'autorité. A la mort de ce prince, elle donna la couronne avec sa main au sénateur Marcien, un vaillant soldat, lui faisant jurer que, malgré son titre d'époux, il respecterait sa chasteté. Elle termina sa vie dans les bonnes œuvres, et de ce couple exemplaire l'Église fit une paire de saints.

La fille de Léon Ier, Ariadne, créa successivement deux empereurs : son premier mari, Zénon l'Isaurien, sur la tête duquel elle fit placer la couronne par les mains de leur fils encore en bas âge ; puis son second mari, Anastase le Silentiaire, qu'elle n'admit à l'empire et à son lit qu'après qu'il eut signé une profession de foi orthodoxe. Dans l'intervalle, la veuve de Léon Ier, Vérine, avait essayé de faire aussi valoir son droit à transmettre le pouvoir et avait couronné son frère Basiliskos. Celui-ci fut battu par les partisans d'Ariadne, bloqué dans une église, d'où il sortit sous la promesse qu'il serait épargné ; l'engagement fut tourné, car l'usurpateur fut jeté avec sa femme et ses enfants dans une citerne où on les laissa mourir de froid et de faim. Cette énergique Ariadne n'était pas tendre. Elle avait eu à se plaindre de son premier mari, Zénon, qui gouvernait mal et était sujet à des accès d'épilepsie : on prétend qu'elle profita d'un de ces accès pour le faire enterrer vivant ; lorsqu'on ouvrit son tombeau, quelque temps après, on trouva le cadavre tordu par les convulsions de la faim et ses bras à moitié dévorés.

L'histoire de Théodora, la fille du montreur d'ours Akakios et la femme du grand Justinien, est trop connue pour que nous y insistions.

Sophie, nièce de Théodora, avait épousé Justin 11, le successeur de Justinien. A la mort de son mari elle comptait, elle aussi, pouvoir disposer de l'empire. Elle avait jeté les yeux sur Tibère, auquel elle voulait offrir la couronne avec sa main. Par malheur, quand Tibère eut été proclamé, l'Augusta apprit qu'il était déjà marié. Elle parut se résigner, obtint qu'on lui laissât les honneurs impériaux avec la jouissance d'un palais ; mais ensuite elle complota contre l'ingrat et fut réduite à la vie privée.

Une fille de ce même Tibère, à la mort de son père, assura la couronne à Maurice. Elle vit, après l'usurpation de Phocas, son mari et ses cinq fils égorgés ; elle-même, avec ses filles, fut jetée dans un couvent ; accusées de conspirer contre le tyran, elles furent torturées et mises à mort.

Héraclius, qui vengea sur Phocas le meurtre de Maurice et de tous les siens, subit l'influence de sa mère Épiphania. Il eut successivement deux femmes ; l'une, Eudokia, qui mourut en lui laissant une fille et un fils appelé Constantin le jeune ; l'autre, Martina, qui était sa cousine germaine par sa mère, et qui joua un grand rôle. Elle fut une marâtre pour les enfants du premier lit, fit couronner, du vivant de son mari, son fils Héracléonas. Celui-ci était difforme, comme ses frères, étant tous nés d'un mariage incestueux suivant les lois de l'église grecque. Martina fut cependant obligée d'exécuter le testament de son mari, qui léguait l'empire conjointement à Constantin le Jeune et Héracléonas. Le premier ne tarda pas à mourir et, sous le nom du second, elle prétendit exercer directement le pouvoir. Les sénateurs s'indignaient d'obéir à une femme qu'ils auraient voulu voir se renfermer dans le gynécée. Le généralissime des armées d'Asie accusa Martina d'avoir empoisonné son beau-fils, et, au nom des enfants de celui-ci, fit un pronunciamiento. Martina et Héracléonas furent déposés, traduits devant le sénat, qui les jugea coupables. L'une eut la langue coupée, l'autre les yeux crevés.

Après l'extinction de la famille d'Héraclius, avènement de la dynastie isaurienne avec Léon III. Le second empereur de cette dynastie, Constantin Copronyme, épousa la fille du khagan des Khazars, baptisée sous le nom d'Irène. Le troisième, Léon IV, n'étant que prince impérial, épousa une Athénienne également nommée Irène. On ne sait rien sur la famille de celle-ci ; mais elle allait être un des plus grands souverains de Byzance[9]. Du vivant de son mari, elle avait déjà sa politique à elle. Léon IV avait adopté les principes des iconoclastes ; mais dans le gynécée impérial les images proscrites et leurs défenseurs étaient recueillis et honorés. Un jour l'empereur trouva chez sa femme des tableaux de sainteté ; il la disgracia et fit mettre à la torture les officiers du palais qu'il accusait de complicité dans cette dévotion séditieuse. Restée veuve en 780, gouvernant l'empire au nom de son fils Constantin, âgé de dix ans, Irène dompta les complots et les rébellions avec une énergie impitoyable. Elle entra en relations avec Charlemagne et essaya d'obtenir de lui une de ses filles, Rothrude, pour le jeune Basileus. Le règne d'une femme était nécessairement celui des eunuques. L'un d'eux, Théodoros, est envoyé pour réprimer la rébellion du gouverneur de Sicile ; un autre, Jean, est vainqueur des Arabes ; un troisième, Staurakios, soumet les tribus slaves de la Hellade et reçoit les honneurs du triomphe à l'Hippodrome ; un quatrième, Élysée, est chargé de l'ambassade à Charlemagne et enseigne à Rothrude la langue grecque et les manières de la cour. Le grand acte d'Irène, qui fut sa revanche sur la tyrannie de son défunt mari, la revanche du sentiment féminin sur l'idée iconoclaste, que soutenaient encore le sénat et les chefs militaires, ce fut la convocation du fameux concile de Nicée : il rétablit le culte des images.

Le fils d'Irène avait déjà vingt ans et continuait à se montrer d'une docilité exemplaire. En 788, le projet de mariage avec Rothrude ayant été rompu, elle le força d'épouser une fille du thème armé-iliaque, nommée Maria. Ce mariage semble avoir émancipé Constantin ; nous le voyons conspirer contre sa mère et l'eunuque Staurakios, le confident et le généralissime de la Basilissa. Avertie par Staurakios, elle fit de vertes remontrances à son fils, s'emporta jusqu'à le frapper au visage, lui enjoignit de se tenir renfermé dans le palais, exigea des troupes le serment de n'obéir qu'à elle seule. La garnison de Constantinople y consentit ; mais les légions du thème arméniaque, obéissant peut-être à quelque appel de la jeune impératrice, s'y refusèrent et prirent les armes. La révolte s'étendit : partout les soldats, las d'obéir à une femme, s'insurgèrent contre leurs officiers et demandèrent à grands cris Constantin. L'émeute devint une révolution.

Staurakios fut tonsuré et exilé, Irène se retira dans un château fort avec ses richesses, et Constantin gouverna. Il gouverna fort mal, se fit battre par les Bulgares, et le sentiment de sa propre incapacité ou le revirement de l'opinion publique le portèrent à rappeler Irène et même Staurakios. Les affaires n'en allèrent pas mieux : les Bulgares furent encore vainqueurs ; les quatre oncles paternels du jeune empereur conspirèrent et eurent les yeux crevés ou la langue coupée ; les Arméniaques, qui naguère lui avaient rendu le pouvoir, se soulevèrent contre le rappel de Staurakios ; il fit aveugler leur chef et répudia sa femme Maria, suspecte d'avoir pris part aux menées de ses compatriotes. Un second mariage, avec une certaine Théodote, cubiculaire ou femme de chambre d'Irène, amena une nouvelle brouille avec sa mère. Celle-ci se jeta dans le parti des mécontents, distribua de l'argent et provoqua une révolution qui renversa son fils. Pour mieux prendre ses sûretés contre le prince détrôné, elle employa le moyen qui était classique à Byzance et que l'influence grecque avait fait adopter dans la Gaule carolingienne : on lui creva les yeux. L'opération se fit avec tant de barbarie qu'il en mourut[10].

Irène règne de nouveau, et, ce que l'on n'avait pas encore vu à Byzance, ce n'est pas au nom d'un mari ou d'un fils, comme Pulchérie ou Martina, c'est en son propre nom. Elle n'est plus impératrice, mais empereur, comme Marie-Thérèse fut le roi des Magyars. Ses Novelles portent comme en-tête : Irène, grand Basileus et Autocrator des Romains. De nouveau le pouvoir est délégué à des eunuques, Staurakios et Aétius. Le règne de cette princesse usurpatrice, souillée du sang de son fils, ne fut pas sans gloire. Charlemagne rechercha sa main, et le pontife de Rome travaillait à ce mariage, qui eût refait l'unité de l'Église chrétienne et de l'empire romain. A la fin, l'aristocratie byzantine fut soulevée d'un nouveau sentiment de révolte contre le règne d'une femme. Profitant d'une maladie d'Irène, alors retirée dans sa campagne d'Éleuthère, sept patrices formèrent un complot et proclamèrent l'un d'eux, le grand-logothète Nicéphore. Irène, arrêtée dans sa villa, obtint seulement de se retirer dans un couvent qu'elle avait bâti dans une île voisine de Constantinople. Bientôt Nicéphore, craignant qu'elle ne sortit une seconde fois de sa retraite, l'exila dans Lesbos. Elle y mourut après quelques mois de captivité, absoute par l'Église orthodoxe, qui s'obstinait à ne voir en elle que la restauratrice du culte des images, a pieuse Irène d'Athènes.

Un rôle analogue, sous la dynastie phrygienne, fut dévolu à Théodora, fille d'un officier du thème de Paphlagonie et femme de l'empereur Théophile. Ce prince, comme ses trois prédécesseurs, détruisait partout les images et faisait brûler les mains aux moines qui les peignaient. De nouveau, l'orthodoxie proscrite trouva un refuge dans le gynécée impérial, auprès de la vieille impératrice Euphrosyne et de la Basilissa Théodora. Celle-ci faillit être trahie une première fois par un nain du harem qui parla au Basileus des belles images de l'Augusta ; elle réussit à persuader à l'empereur que son bouffon avait pris des miroirs pour des tableaux, et l'indiscret fut fouetté. Un autre jour, une des filles de l'empereur lui raconta qu'Euphrosyne, après avoir distribué des friandises aux petits enfants, leur faisait baiser des poupées (ninia) qu'elle tenait cachées sous son lit.

Ces poupées ne demandaient qu'à sortir du gynécée et de dessous le lit de l'impératrice douairière pour reparaître sur tous les autels de l'Orient. Le premier soin de Théodora, quand la mort prématurée de son mari la laissa régente sous le nom de son fils, fut de convoquer le concile de Constantinople (842), et, comme celui de Nicée, il rétablit le culte des images. Le patriarche iconoclaste fut déposé et reçut deux cents coups de fouet ; les évêques tremblèrent, les moines et le bas clergé exultèrent ; les confesseurs, les martyrs du règne précédent, les pieux artistes aux mains brûlées reparurent à la cour. L'un deux, Théophane, sur le front duquel le défunt empereur avait fait imprimer au fer rouge des vers injurieux, fut invité à une sorte de banquet des victimes que présidait l'impératrice. Celle-ci exprimait le regret devant Théophane de ne pouvoir effacer de son front ces traces de la persécution : Non ! non ! s'écria-t-il, j'ai juré à votre mari que je les lui ferais lire devant le tribunal de Dieu, et je lui tiendrai parole. Théodora n'avait pas intérêt à ce que le prince dont elle tenait le pouvoir fût voué à un anathème éternel. Toute en larmes, elle supplia le martyr d'oublier son injure, l'assurant que son mari s'était rétracté à ses derniers moments et avait baisé les saintes images. L'Église accepta ce pieux mensonge : elle consentit à prier pour l'&me de l'empereur et à faire espérer à sa veuve qu'il serait sauvé, sinon par ses mérites, au moins par ceux de sa femme. Le règne de cette autre Irène fut aussi fameux que celui de la première : son général-eunuque Théoktistos fut battu en Crète par les Arabes, mais les Bulgares se convertirent à la religion de Byzance et l'on essaya d'évangéliser les tribus manichéennes ou idolâtres de la péninsule des Balkans. La Basilissa, qui, déjà du vivant de son mari, exerçait le commerce de mer et même faisait la contrebande, amassa un trésor considérable. Elle perdit le pouvoir par un coup d'État de son fils Michel. Il fit assassiner Théoktistos et enjoignit à sa mère de rendre ses comptes. Elle n'essaya pas de résister, mais elle pria le sénat d'assister à l'inventaire de son trésor et ensuite se retira dans un monastère. Si résignés que fussent désormais les Byzantins à l'autorité d'une femme, dès qu'une autorité masculine se révélait, la première n'avait qu'à disparaître.

Le fils de Théodora était Michel l'Ivrogne. Il ne mit pas plus de onze mois à dissiper les épargnes de sa mère et à faire fondre sa vaisselle d'or et d'argent. C'était un débauché de toute façon. Sa mère, pour l'arracher aux séductions d'une certaine Eudokia, la fille d'Inger, l'avait marié à une autre Eudokia, la fille du Décapolite. Il n'en continua pas moins à entretenir des relations avec la première. Pour les rendre plus faciles, il imagina de la marier à Basile le Macédonien, et ce futur fondateur d'une grande dynastie dut se prêter à la honteuse combinaison. On assurait même que les deux fils aînés de Basile, dont l'un devait être l'empereur Léon VI, n'étaient pas les enfants de leur père, mais ceux de Michel.

Léon VI a fait aussi beaucoup parler de lui, chapitre des femmes[11]. Ses Novelles, avec la dernière énergie, proscrivent les troisièmes noces et les flétrissent : Les brutes elles-mêmes, quand elles ont perdu leur femelle, se résignent au veuvage, à la différence des hommes qui, sans pudeur, procèdent à un second mariage e t qui, non contents de ce péché, passent du second mariage à un troisième. Or, si l'Église grecque a fait une sainte de Théophano, la première femme de Léon VI, c'est apparemment pour récompenser la résignation avec laquelle elle supporta les désordres de son mari. Quand elle mourut, l'austère législateur, après l'avoir pieusement ensevelie et avoir allumé autour de ses reliques un millier de cierges, s'empressa d'épouser Zoé, fille de Stylianos, avec laquelle il vivait depuis longtemps en état de concubinage. Zoé morte, il convola en troisièmes noces et épousa une certaine Eudokia. Enfin, veuf pour la troisième fois, il prit pour mat-tresse Zoé Carbonopsina, et, quand elle fut mère d'un enfant mâle, en fit une Augusta. Celle-ci, devenue la tutrice de son fils Constantin VII, parait avoir été d'une conduite irréprochable. Il en fut de même pour Hélène, l'épouse de ce savant empereur. Mais avec le fils de celui-ci, le futur Romain II, la chronique du harem s'enrichit de nouvelles histoires.

Ce sont précisément celles que nous raconte M. Schlumberger. Ce Romain, étant encore très jeune, avait été fiancé avec Berthe, fille naturelle d'Hugues, roi d'Italie. La jeune Italienne entra dans le gynécée impérial, mais mourut avant que le mariage eût pu être célébré. Le père et la mère de Romain autorisèrent alors son union avec une certaine Théophano, que Léon le Diacre déclare la plus belle, la plus séduisante et la plus raffinée de toutes les femmes. Elle était née dans l'échoppe de son père, le cabaretier Cratéros — c'est-à-dire Grande-Coupe, un vrai sobriquet de marchand de vin —. Son vrai nom n'était même pas Anastasie, mais plutôt Anastaso, un nom de servante. Où et comment Romain l'avait-il connue et par quel enchaînement de circonstances put-elle passer du cabaret paternel au gynécée du Palais-Sacré ? C'est ce que nous ignorons. Ce ne sont pas les historiens officiels qui nous renseigneront à ce sujet, car voici ce que nous lisons dans le chroniqueur patenté : L'empereur choisit pour son fils Romain une épouse de noble naissance, Anastasie, fille de Cratéros, et qui prit le nom de Théophano ; le Basileus Constantin et l'impératrice Hélène se réjouirent d'avoir pu donner à leur héritier une fille d'une aussi vieille race. Théophano, astucieuse, perverse, très intelligente, exerça une influence despotique sur son mari et même sur son beau-père. Dès lors, elle fit passer au second plan la mère et les sœurs de son mari. A peine le vieil empereur eut-il expiré et eut-il été pompeusement couché dans son sarcophage de porphyre rouge à l'église des Saints-Apôtres, Théophano exigea l'éloignement de l'impératrice-mère et de ses cinq filles. Le nouvel empereur résista en ce qui concernait sa mère, mais céda pour ses sœurs. Comme elles n'avaient point la vocation du cloître, ce fut un arrêt cruel que celui qui les chassait du palais paternel pour y faire place à une parvenue et qui les condamnait à échanger les joies du foyer, les splendeurs de la cour, les somptueux vêtements impériaux contre la réclusion dans un monastère et la robe sombre des nonnes. Il fallut que les eunuques du palais les fissent entrer presque de force dans les litières de voyage. Par un raffinement de haine, Théophano leur avait assigné des retraites différentes : trois furent internées au couvent d'Antiochos et deux au monastère de Myrelæon. Le moine Jean avait été chargé de présider à leur prise de voile ; il leur coupa les cheveux et leur adressa les plus touchantes exhortations. Mais, nous dit le chroniqueur, le bon moine n'eut pas plutôt le dos tourné que les jeunes personnes, jetant leurs habits religieux, se refusèrent à les reprendre et se remirent à manger de la viande.

La belle-mère annulée, les belles-sœurs exilées, Théophano restait maîtresse du Palais-Sacré. De son mari, déjà naturellement disposé à la paresse, elle fit un empereur fainéant : il vécut entouré d'eunuques, de bateleurs, d'histrions, de comédiennes et de chanteuses. Les excès de toute nature ruinèrent promptement sa santé. Il mourait à vingt-quatre ans, laissant Théophano veuve avec deux fils, Constantin et Basile, et deux filles, Théophano, qui devait épouser un jour Otton II d'Allemagne, et Anna, qui devait épouser le grand-prince de Russie, Vladimir. Autour d'une jeune Basilissa, les intrigues de palais reprirent de plus belle. L'eunuque Bringas s'arrogea une autorité tyrannique. Pour s'en affranchir, l'impératrice jeta les yeux sur Nicéphore Phocas, domestique des Scholes d'Orient, c'est-à-dire généralissime des armées d'Asie. Il possédait ce commandement presque comme un patrimoine, l'ayant reçu de son père le vieux Bardas et le partageant avec son frère Léon. C'était un Arménien, qui avait passé sa vie dans les camps, fameux pour avoir reconquis la Crète sur les Arabes et pour avoir battu les émirs d'Alep et de Mossoul, aussi brave guerrier qu'habile capitaine, aimant avec passion son métier, soldat avant tout, de plus très religieux et d'une dévotion exaltée, chaste et sobre, s'exténuant de jeûnes comme un moine, faisant sa société d'ascètes et de pénitents, ne mangeant jamais de viande, ne buvant jamais de vin, couchant sur la dure avec un cilice. Ce cilice était un héritage de son oncle maternel, Michel Maléinos, mort en odeur de sainteté. Quelle sympathie avait pu porter l'un vers l'autre le montagnard inculte, le soldat rude et dévot, et l'impératrice raffinée et vicieuse ? c'est ce qu'on sait assez mal. Nicéphore avait été le parrain d'un ou deux des enfants de Théophano et de Romain II. La beauté de la Basilissa avait fait sur lui une impression profonde. Il l'aimait et l'on prétend que, du vivant même de Romain, il avait eu avec elle des relations coupables. Elles durent reprendre quand il vint à Constantinople jouir des honneurs du triomphe pour ses victoires de Syrie. Bringas les soupçonna et fit mander le vainqueur au palais : Nicéphore estima plus prudent de se réfugier à Sainte-Sophie, où il était couvert par le droit d'asile. Puis il trouva moyen d'en sortir, reçut du patriarche et du sénat des pouvoirs exceptionnels et repassa en Asie pour se mettre à la tête de son armée victorieuse. Ses lieutenants, surtout son compatriote Jean Zimiscès, l'engagèrent à mettre fin au gouvernement de Bringas et à s'emparer de l'empire. Ses soldats lui chaussèrent de force les brodequins de pourpre, lui passèrent au cou le collier de commandement, le hissèrent sur un pavois et crièrent : Longue vie à Nicéphore Auguste ! Un autre cri suivit celui-là : Eis tén Polin ! (A la Ville !) En peu de jours, l'armée d'Asie eut franchi le Bosphore, tandis qu'une insurrection contre Bringas éclatait à Byzance. Le nouvel empereur, en grand appareil militaire, entra par la Porte d'Or et se rendit à Sainte-Sophie, parmi les acclamations du peuple et des soldats. Là, le patriarche Polyeucte procéda, suivant les rites, au couronnement. Remarquons que Nicéphore n'usurpait point l'empire, car il s'était engagé par serment à respecter les droits des porphyrogénètes Constantin et Basile : il leur était simplement associé dans l'exercice du pouvoir impérial et devenait en outre leur tuteur. Les jeunes princes, avec leur mère, présidèrent, assis sur trois trônes d'or, à la cérémonie du sacre.

Au physique, M. Schlumberger, d'après les chroniqueurs, fait de Nicéphore le portrait suivant : environ cinquante ans ; un teint olivâtre, hâlé par le soleil d'Asie ; des cheveux noirs, abondants et longs ; un regard pensif et triste, brillant d'un feu sombre sous d'épais sourcils ; le nez moyen et fortement busqué à son extrémité ; la barbe rare et courte, légèrement grisonnante ; de petite taille, gros, presque replet ; la poitrine et les épaules très larges.

C'était ce quinquagénaire robuste et bien conservé que la gracieuse impératrice avait accepté pour époux et pour maitre. Trente-quatre jours après la révolution, le mariage fut célébré suivant les rites accoutumés. La cérémonie fut un moment troublée par les scrupules du patriarche, qui imposa aux nouveaux époux la pénitence dont l'Église frappait les secondes noces, et qui ensuite prétendit les obliger à se séparer, parce que Nicéphore avait tenu sur les fonts baptismaux les enfants de Théophano. Dans les idées du clergé grec, cela constituait un lien de parenté mystique ; l'union entre la mère et le parrain devenait un inceste. Heureusement il se trouva un prêtre pour affirmer par serment que le fait était faux, et le patriarche consentit à l'en croire.

M. Schlumberger a essayé, non sans quelque indiscrétion, de dépeindre la passion dont le nouvel empereur était épris pour sa souveraine d'hier :

Dès qu'il en avait fini avec les supplices renaissants de l'étiquette, il accourait au discret gynécée rejoindre sa belle et tant aimée Théophano. La créature superbe et câline savait chaque jour lui inspirer un amour nouveau, plus violent. Lui, si austère, si rude, dur aux autres et à lui-même, devenait auprès d'elle tendre et prodigue. Tous les chroniqueurs insistent sur les richesses dont il la comblait. Il ne savait assez l'accabler de dons sans cesse renouvelés. Bijoux précieux, pièces d'orfèvrerie, chefs-d'œuvre des joailliers de Byzance ou des plus renommés orfèvres d'Alep et de Damas, pièces de soie ou tapis de Perse à grand ramage, meubles et vaisselle d'argent, reliques très insignes enfermées dans des coffres très précieux, palais et villas sur le Bosphore, fermes en Asie, domaines de la côte de Thrace, chars d'apparat faits d'or, d'ivoire et de bois précieux, chevaux d'Arabie ou de Hongrie, eunuques de toute rareté, acquis à grands frais aux quatre coins du monde, rien n'était trop coûteux, rien n'était trop beau pour être offert par lui à sa Basilissa bien-aimée.

 

Peut-être y a-t-il lieu ici de conclure moins à la passion prodigue de Nicéphore qu'à l'avidité de Théophano, qui entendait prendre sa large part dans le butin de l'empire.

Ce n'était point pour faire de Nicéphore un Brutus galant et un Caton dameret que les ordres de l'empire s'étaient accordés à lui décerner le pouvoir et que le patriarche Polyeucte avait toléré son mariage. C'était bon pour des empereurs légitimes, comme Constantin VII ou Romain II, de faire des rois fainéants : Nicéphore était tenu d'être avant tout un imperator, un chef des légions. Ses goûts et son tempérament l'y poussaient : nous le voyons presque aussitôt s'éloigner du gynécée et du palais, endosser l'armure comme au temps où il n'était qu'un simple officier, traverser avec ses soldats les déserts de sables, les pays de soif, les âpres défilés du Taurus et du Liban, conquérir la Mésopotamie et la Syrie, tandis que sa politique met aux prises, sur le Danube, les Bulgares et les Russes, et que ses lieutenants guerroient en Italie contre les vassaux révoltés et les envahisseurs tudesques.

Théophano se lassa-t-elle d'un époux qui n'était presque jamais auprès d'elle ? Les victoires de Nicéphore ne purent-elles dissimuler les rides qui avec elles se multipliaient sur son front ? Jugea-t-elle un peu sots les scrupules religieux qui le reprenaient de temps à autre, quand il recommençait à s'abstenir de viande, à jeûner et à coucher dans le cilice de l'oncle Maléinos ? Trouvait-elle qu'il était aussi par trop un soldat, par trop dénué d'esprit, d'élégance, sentant par trop le harnais, trop rude de manières et trop brutal (un écrivain arabe assure qu'il la battait) ? Craignit-elle que Nicéphore ne voulût dépouiller de la pourpre ses deux pupilles, et l'affection maternelle la fit-elle passer sur toute autre considération ? Ou bien une nouvelle passion pour un héros plus jeune de dix ans lui fit-elle oublier cette première inclination, dans laquelle étaient entrées tant de considérations politiques ? Quoi qu'il en soit, un complot se forma contre Nicéphore ; il eut pour chef celui qui avait le plus contribué à le faire empereur, son compagnon d'armes et son émule de gloire, Jean Zimiscès ; l'impératrice connut la conspiration, l'encouragea et promit à Zimiscès d'être sa femme s'il la débarrassait de son mari. Elle était liée avec lui par une intrigue galante, comme elle l'avait peut-être été avec Nicéphore du vivant de Romain II. Zimiscès, nous dit M. Schlumberger, pour s'unir à l'impératrice dans de criminels rendez-vous, avait à traverser chaque soir le Bosphore dans une barque et se perdre ensuite dans le dédale des bâtiments palatins, se confier à la discrétion d'eunuques et d'esclaves, courir le risque, dans le cas où l'intrigue serait découverte, de supplices atroces et d'une mort ignominieuse. L'éternelle tragédie de Clytemnestre armant contre Agamemnon la main d'Égisthe se renouvela une fois de plus. Par une nuit de décembre, l'impératrice fit entrer les conjurés dans l'enceinte du palais et les cacha dans les appartements secrets. Elle-même se rendit auprès de Nicéphore pour l'occuper et endormir ses soupçons, lui persuada de laisser ouverte la porte de son cubiculum ; elle l'épia quand il succomba au sommeil et donna le signal aux assassins. Sur le cadavre mutilé du vaillant empereur, Zimiscès chaussa les brodequins de pourpre, et les conjurés se répandirent dans le palais en criant : Longue vie à Jean Autocrator !

Théophano fut trompée dans ses calculs amoureux ou ambitieux. Zimiscès, une fois empereur, réfléchit. Il se dit apparemment qu'elle n'était plus jeune, qu'elle était mère de quatre enfants et veuve de deux maris ; qu'elle n'avait pas de naissance et ne lui apporterait aucun droit ; que ce n'était pas la peine d'affronter le courroux du patriarche Polyeucte, qui allait tonner contre les troisièmes noces ; que, s'il fallait une expiation du régicide, il valait mieux qu'elle tombât sur Théophano que sur lui. Il refusa comme épouse celle qu'il avait convoitée comme maîtresse ; et, délaissant la fille de Cratéros, il épousa Théodora, une vraie princesse, une Porphyrogénète, une fille de Constantin VII, jadis expulsée du palais par la jalousie de Théophano. Le patriarche Polyeucte exigea, pour couronner Zimiscès, que celle-ci fût éloignée du palais et les autres complices exilés : le nouvel empereur souscrivit à ces conditions. L'impératrice déchue fut reléguée dans l'Ile de Proti. Elle s'en échappa quelque temps après et vint accabler l'ingrat de reproches et d'injures, qui lui valurent seulement une captivité plus étroite.

Sous Zimiscès, sous le belliqueux Porphyrogénète Basile II, l'empire retentit du fracas des victoires ; les camps ont la prépondérance sur le palais, et les femmes ne font plus parler d'elles. Après la mort de Basile et de son frère Constantin, de nouveau elles disposent de la couronne. La légitimité de la dynastie macédonienne, que n'avaient pu ébranler, qu'avaient au contraire confirmée les intrusions des Lécapène pendant la minorité de Constantin VII, les intrusions de Nicéphore Phocas et de Zimiscès pendant la minorité de Basile et Constantin, est si bien établie désormais que le principe d'hérédité est reconnu même dans la personne des filles. On avait vu autrefois des empereurs s'associer des empereurs ou tolérer leur usurpation pour qu'ils les aidassent à soutenir le fardeau du pouvoir ; maintenant ce sont des impératrices qui choisissent des maris pour parer aux mêmes nécessités. Constantin VIII n'avait d'autres héritiers que ses trois filles : Eudokia, qui se fit religieuse ; Zoé, qui avait déjà cinquante ans, mais qui montrait du tempérament ; Théodora, qui voulut rester vierge. Avant de mourir, cet empereur fit appeler un de ses meilleurs généraux, Romain Argyre ; gracieusement il lui donna le choix ou d'avoir les yeux crevés ou d'épouser Zoé. Romain ne savait que répondre, étant déjà marié ; sa femme le sauva en entrant dans un monastère. A la mort de son redoutable beau-père, Romain III se trouva prince-époux. Son rôle était de guerroyer contre les Sarrasins, tandis que Zoé, très jalouse de ses droits, gouvernait effectivement et tenait dans une étroite captivité sa sœur Théodora. Un caprice amoureux de Zoé abrégea les jours de Romain et donna aux Byzantins un nouveau maître. L'histoire en est tellement étrange, tenant à la fois du conte de Boccace et du drame shakespearien, elle jette une lumière si vive sur les mystères du Palais-Sacré, qu'il faut citer textuellement — toutefois en adoucissant les expressions par trop crues — le récit du chroniqueur Zonaras :

Romain se promettait une longue vie et un long règne ; et, quoiqu'il fût déjà sexagénaire, il rêvait de transmettre l'empire à des successeurs issus de ses reins. Il ne pouvait se persuader que l'impératrice, âgée de cinquante ans au moment de son mariage, fût impropre à lui donner des héritiers, et il travaillait ardemment à obtenir ce résultat. Même il usait de certaines drogues, obligeait sa femme à porter certaines amulettes qui pouvaient contribuer à la rendre féconde, l'impératrice se prêtant à tout avec la plus grande complaisance et ne répugnant pas aux formules magiques et aux incantations. Rien n'y fit, et, voyant qu'il ne pouvait réaliser ses vœux, n'étant guère d'ailleurs de complexion amoureuse, — l'âge contribuant encore à amortir ses feux, — et n'ayant jamais eu pour sa femme un goût très vif, Romain se prit à la négliger de plus en plus. Quelques années se passèrent ; et, tandis que son éloignement augmentait pour l'impératrice, celle-ci, qui était d'un tempérament ardent et qui s'irritait d'être dédaignée, prit en haine son époux. Or Romain avait en son particulier un eunuque nommé Jean. Le frère de celui-ci, Michel, avait reçu de la nature une beauté ravissante. A la prière de Jean, le Basileus avait admis Michel parmi les serviteurs de sa chambre à coucher. La Basilissa s'éprit d'un amour très vif pour celui-ci, et la vue quotidienne de sa beauté l'enflammait d'une ardeur croissante. Auparavant elle haïssait l'eunuque Jean ; maintenant elle le faisait venir à chaque instant, s'entretenait familièrement avec lui, l'accablant de questions sur son frère Michel. Comme cela se répétait souvent, l'eunuque, en homme avisé, comprit qu'elle était amoureuse de son frère. Il engagea celui-ci à la voir et, si elle lui faisait des avances, à ne pas craindre de la caresser, de l'embrasser et de l'étreindre. Que vous dirai-je de plus ? Les deux amants en vinrent au fait, et les choses allèrent si loin que la passion de cette femme ne fut plus un mystère pour personne : on s'en entretenait non seulement dans le palais, mais dans les carrefours de Constantinople. L'empereur était seul à l'ignorer. Quand Romain était couché dans le même lit que l'impératrice, il ordonnait à Michel de chatouiller ses pieds à lui ; mais qui croira qu'il ne touchait pas aux pieds de l'impératrice ? L'empereur se faisait ainsi le complaisant et le concubin de leurs amours. A la fin, sa sœur Pulchérie et d'autres encore lui révélèrent l'histoire et l'engagèrent à prendre garde. Il se contenta d'interroger l'inculpé et de lui demander s'il était vraiment l'amant de l'impératrice. Michel nia énergiquement, et Romain le força de confirmer ses dénégations par un serment. Michel n'ayant pas hésité à se parjurer, le Basileus se persuada qu'on avait calomnié ce bon serviteur. Or, du jour où il eut commis cd' parjure, Michel fut, dit-on, en proie à une maladie affreuse. A certains moments, son esprit se dérangeait, ses yeux se convulsaient, tout son corps était pris de tremblements, jusqu'à ce qu'il roulât par terre. Puis il revenait à lui. Ces accès se produisaient fréquemment, parfois en la présence même de l'empereur, qui était pris de compassion pour lui, se persuadant d'autant plus que l'accusation était fausse, car un tel homme ne pouvait ni aimer ni être aimé. Quelques-uns prétendent que l'empereur pénétra le secret de leurs amours, mais que, sachant combien sa femme était ardente et folle, il toléra sa passion pour Michel, de peur qu'elle ne prit plusieurs amants. A la fin, il tomba lui-même malade, avec la figure enflée, l'air d'un mort, la respiration haletante et pénible, les cheveux lui tombant de la tête. On pensait que ce mal lui était venu d'un poison qu'on lui avait fait prendre. Un jour il entra dans le bain du palais, sans que personne portàt ni soutint ce moribond. C'est là que la tragédie s'accomplit : on dit que certains lui tinrent la tête longtemps sous l'eau et qu'on le rapporta presque mort sur son lit. Quand le bruit s'en répandit dans le palais, l'impératrice accourut, pleurante et gémissante, et ne se retira qu'après s'être assurée du décès, l'empereur ayant rendu, avec le souffle, un liquide tout noir. Alors elle employa tous ses efforts à placer Michel sur le trône impérial. Vainement ses serviteurs, qui avaient été les ministres de son père, lui conseillèrent de laisser au moins passer quelque délai. Elle ne voulut entendre à rien, et se hàta au contraire d'en venir à ses fins, stimulée surtout par l'eunuque Jean, frère de Michel. Jean, lui parlant en secret, ne cessait de lui représenter qu'ils étaient tous perdus si l'affaire souffrait le moindre retard. Elle revêtit donc Michel des ornements impériaux, le fit asseoir avec elle sur le trône, et ordonna à tous les assistants de l'acclamer et de se prosterner devant lui. On prétend que, dans la même nuit, le patriarche Alexis, appelé en toute hale, bénit le mariage de Zoé et Michel, prit part à la proclamation du nouvel empereur et assista à la mise en linceul de l'ancien[12].

 

Zoé ne fut pas heureuse avec son second mari, toujours en proie à sa maladie noire, à des accès d'épilepsie, à des crises de remords, s'efforçant à racheter son crime par des pèlerinages aux sanctuaires en renom, abandonnant à son frère l'eunuque l'administration de l'empire, le laissant étendre même sur l'Impératrice son despotisme violent et tracassier, tandis que les barbares ravageaient les provinces. Michel ne se reprit qu'une seule fois pour marcher contre les Bulgares et les battre. Il revint mourir à Constantinople.

Lui mort, l'eunuque Jean entreprit d'imposer à l'impératrice un maître de son choix : c'était un neveu à lui, et comme lui un grossier Paphlagonien, qui avait été calfat sur les chantiers du port. Il devint l'empereur Michel le Calfat. Il était trop jeune pour que Zoé osât l'épouser ; elle se contenta de l'adopter, en lui faisant jurer, à la table de communion, de la traiter comme une mère. Le parvenu fut ingrat pour tout le monde : il exila son oncle Jean et fit eunuques plusieurs de ses parents dont il redoutait l'ambition ; puis il relégua l'impératrice dans l'Ile de Proti, où elle fut internée dans un monastère. Tels étaient le respect et l'affection du peuple pour le sang de la dynastie macédonienne, que, malgré les crimes et les folies de Zoé, tout Constantinople s'insurgea. Les uns mirent à leur tête le patriarche Alexis, les autres tirèrent de son couvent la vieille Porphyrogénète Théodora. Un monastère où l'empereur s'était réfugié fut : malgré le droit d'asile, pris d'assaut, et le Calfat, traîné sur la place du Sigma, eut les yeux crevés.

Zoé, ramenée dans Byzance, partagea le trône avec Théodora. Les deux princesses ne s'accordèrent pas longtemps ; Théodora rentra dans son monastère, et Zoé se mit en quête d'un mari. La triple expérience qu'elle venait de faire avec Romain III et les deux Michel, les prohibitions de l'Église contre les troisièmes noces, ne purent l'arrêter. Elle croyait se dévouer ainsi au salut de l'empire. Du moins, elle voulut s'assurer d'un époux obéissant et souple : elle avait jeté les yeux d'abord sur un certain Dalassène, qu'elle écarta comme étant d'humeur trop indépendante ; puis sur un certain Artoclinès ; mais il était marié, et sa femme refusait d'imiter le dévouement de celle de Romain Argyre. Enfin, le choix de Zoé s'arrêta sur Constantin Monomaque, qu'elle avait autrefois comblé de ses bienfaits, peut-être de ses faveurs les plus intimes, et que son second mari, sans doute dans un accès de jalousie, avait exilé. La Porphyrogénète courait sur ses soixante-cinq ans : son âge et ses mœurs la rendaient peu séduisante ; pour être empereur, Monomaque accepta sa main. Aussi dissolu que Zoé, il ne sut même pas garder les apparences. Il avait pour maîtresse une jeune veuve, de la noble famille des Skléros, qui l'avait suivi dans son exil. Il l'amena dans le palais, imposa sa présence à sa femme, la traita sur le même pied que celle-ci et entreprit de la déclarer Augusta. Une fois encore le peuple s'insurgea, en criant : Nous ne voulons pas de la Sklérène pour impératrice I Nous ne voulons pas qu'on fasse mourir pour elle nos mères les Porphyrogénètes ! Zoé fut obligée de se montrer et de parler à la foule pour épargner à Monomaque et à sa maîtresse le sort du Calfat. Puis ce fut une barbare, une princesse des Alains, amenée comme otage à Constantinople, que le mari volage introduisit dans le palais, lui accordant un train royal et le titre d'Augusta. La fin seule de Constantin (1055) mit un terme à ses débordements.

Dans l'intervalle, la vieille impératrice était morte. Le trône se trouva donc vacant. On y plaça l'autre fille de Constantin VIII, Théodora. Elle gouverna sagement, l'amour des Byzantins pour le sang royal lui rendant la tâche facile, décourageant les fauteurs de complots civils ou militaires. Elle avait soixante-quinze ans ; des moines lui prédisaient qu'elle vivrait jusqu'à cent ans ; mais ses eunuques, mieux au fait, reconnurent en elle les signes d'une fin prochaine. Ils la décidèrent à donner l'empire avec sa main à un vieillard nommé Michel Stratiotique. Ce fut une transmission du pouvoir plutôt qu'un mariage, car quelques jours après (1056) Théodora mourait. Avec elle finissait la race de Basile le Macédonien, qui, — durée inouïe dans les annales byzantines, — avait occupé le trône pendant cent quatre-vingt-neuf ans.

Cet aperçu de l'histoire du gynécée byzantin suffit à montrer combien l'influence des femmes sur les destinées de l'empire fut considérable à Constantinople ; elle le fut plus qu'en aucun autre pays chrétien ou musulman ; elle est un des caractères les plus saillants de l'histoire grecque au moyen âge. Combien de fois l'empire du grand Constantin n'a-t-il pas été gouverné par des femmes I Plus souvent encore elles ont eu la couronne en dépôt et l'ont donnée avec leur main. La cause de ce phénomène est la même qui a donné quatre impératrices à la Russie du XVIIIe siècle. Ici et là, c'est parce que l'empire manquait d'institutions stables et que la loi européenne de succession, l'hérédité de mâle en mâle et par ordre de primogéniture, n'y était pas explicitement reconnue. Les intrigues de harem ou les mariages de princesses furent donc un des moyens de transmission du pouvoir, au même titre et aussi souvent que l'entente de l'aristocratie et du clergé, les usurpations militaires ou les révolutions de la rue.

 

II

Ce que nous avons vu jusqu'à présent, ce sont des femmes faisant des empereurs ou les défaisant : il reste à montrer comment un empereur pouvait faire une impératrice. Ici encore, c'est l'arbitraire qui domine. Malgré la rigueur apparente des lois, des mœurs, du cérémonial, le caprice du prince était souverain. Il ne se croyait pas obligé, comme en Occident, à faire choix d'une épouse seulement dans les familles d'une noblesse égale à la sienne, dans les dynasties princières ou royales, à blason compliqué et à généalogie remontant au déluge. Les empereurs de Byzance ne craignaient pas, comme nos rois de France, de se mésallier. Toute femme pouvait devenir impératrice, comme tout homme pouvait aspirer au pouvoir suprême. A Constantinople, on peut voir ce qui ne s'est vu chez nous que dans les contes de fées : des rois épousant des bergères. Ils ont même choisi beaucoup plus bas.

Le futur empereur Justin, n'étant encore que simple officier, avait pour femme Lupicina, une paysanne du Danube, une barbare comme lui ; devenu le maître du monde, il ne voulut point la renier, et sur la tête de la commère, qui depuis si longtemps faisait bouillir sa marmite de soldat, il posa la couronne impériale. On sait dans quel monde son neveu, le grand Justinien, est allé chercher Théodora. Théodose II a épousé la fille d'un professeur de philosophie d'Athènes ; une autre Athénienne est devenue la bru de l'empereur Nicéphore Ter. Justinien II et Constantin Copronyme ont fait impératrices des Khazares. Deux fois au moins, avec Rothrude et Berthe, il a été question de fiancées d'Occident. Toutes les provinces de l'Europe, Attique ou Paphlagonie, Arménie ou Phrygie, ont fourni leur contingent de Basilissæ. Si les empereurs se sont abaissés parfois à des femmes d'abjecte condition, le plus souvent ils ont épousé des filles de fonctionnaires, placés plus ou moins haut dans la hiérarchie sacrée. Un médiocre employé pouvait devenir beau-père d'empereur, et les chefs des tribus barbares en rêvaient sous leurs tentes de feutre.

Une coutume singulière présidait parfois à ces choix ; elle nous est connue par le mariage de Théophile, le fils de Michel le Bègue. Quand il eut succédé à son père, sa belle-mère Euphrosyne envoya des messagers dans toutes les provinces et fit venir au Palais-Sacré les plus belles filles de l'empire. Elle les réunit dans une des salles les plus magnifiques, le triclinium de la Perle, et, remettant à son beau-fils une pomme d'or, lui dit : A celle qui te plaira le plus donne la pomme. Il y avait parmi les concurrentes une vierge de noble famille, nommée Icasia. Le jeune empereur, étonné de sa beauté, s'approcha d'elle et, en manière de compliment, lui dit : Les femmes ont causé beaucoup de maux. — Oui, mais elles sont la source de beaucoup de biens, répondit vivement Icasia. Théophile fut choqué de cette promptitude de repartie. Soit qu'il fût encore un sot, soit que ses instincts de futur despote fussent déjà éveillés, tant d'esprit l'effraya, et, dit le chroniqueur, déconcerté et blessé de ces paroles, il laissa Icasia et donna la pomme à Théodora, fille d'un stratège de Paphlagonie. Icasia, qui avait touché de si près à la couronne, se retira dans un monastère qu'elle-même avait fondé. Elle y vécut en femme pieuse et en femme de lettres, à la mode de Byzance, composant des récits édifiants et des cantiques.

Brunet de Presles, le savant helléniste, estimait que ce récit n'avait aucun fondement historique et qu'il n'y fallait voir qu'un échantillon du goût romanesque des chroniqueurs de cette époque. On peut n'être point de son avis : le fait est rapporté, avec les détails les plus précis, par plusieurs auteurs. On peut citer un second trait du même genre, qui ne se trouve pas dans les chroniqueurs byzantins actuellement connus de nous, mais qui nous est conservé dans un des plus anciens livres slavons traduits du grec, la Vie de Philarète le Charitable[13]. Il y est raconté que la grande Irène, voulant marier son fils Constantin, fit venir à Byzance dix jeunes filles, les plus belles de l'empire, parmi lesquelles Marie, la fille de Philarète. Celle-ci, qui avait l'âme bonne et l'esprit avisé, proposa aux autres concurrentes de s'engager par une promesse réciproque : celle qui serait choisie se souviendrait de ses compagnes et les marierait honorablement. Une seule, Gérontéia, par excès d'orgueil et certitude du succès, refusa de s'engager. Elle fut cependant éliminée. Marie fut choisie et tint parole à ses rivales. Du reste, Euphrosyne ou Irène, en instituant ces concours de beauté, avaient pour elles des précédents respectables et les exemples de l'antiquité biblique, alors en grand honneur à Byzance. N'est-ce pas ainsi qu'Assuérus avait choisi Esther entre mille beautés ? Louis le Débonnaire, contemporain du Basileus Théophile, aurait, au dire de l'Astronome, procédé de même pour son second mariage : undecumque adductas procerum filias... Les tsars de Moscou, qui s'inspiraient aussi de la Bible et en tout imitaient Byzance, n'eurent garde de négliger une coutume si bien en harmonie avec les traditions du despotisme oriental. On a conservé le texte des circulaires qu'ils adressaient à tous les gouverneurs, leur enjoignant de faire un choix parmi les plus belles filles de leur province et de les envoyer à Moscou, menaçant des plus terribles châtiments les nobles qui cacheraient leurs filles et ne les remettraient pas à leurs messagers. Sur cette élite rassemblée de tous les points de l'empire au vieux Kremlin, on faisait un nouveau choix, puis un autre encore, jusqu'à ce que le prince n'eût plus en présence qu'une douzaine de beautés entre lesquelles il était permis d'hésiter. Avant la décision dernière, des sages-femmes étaient appelées à donner leur avis motivé. Ivan le Terrible, lors de ses troisièmes noces, n'avait pas convoqué moins de deux mille jeunes filles. Il est à remarquer que le premier prince russe qui inaugura cette coutume fut Vassili Ivanovitch, père du Terrible et fils de cette Sophie Paléologue qui importa en Moscovie les usages byzantins, avec l'aigle à deux têtes des Basileis et les prétentions à l'empire de Constantin. Les analogies entre les deux civilisations sont si frappantes qu'au harem de Moscou, comme au Palais-Sacré de Byzance, l'aristocratie déplorait que la fantaisie matrimoniale des princes descendît parfois si bas. Les chambellans du premier Romanof disaient de sa femme : Nous n'avons pas une souveraine bien chère : elle portait autrefois des bottes jaunes comme les paysannes ; maintenant, Dieu l'a élevée. Des deux femmes du tsar Alexis, l'une était fille d'un simple domestique et avait fait la cueillette des champignons dans les bois pour aller les vendre au marché ; l'autre avait été reçue presque par charité chez le boïar Matvéef, et on l'avait vue marcher en laptis, c'est-à-dire en sandales d'écorce tressée.

Souvent la fiancée royale, comme si une situation tellement nouvelle lui donnait une nouvelle vie, changeait de nom. Athénaïs, fille du philosophe athénien Leontios, devint Aelia Eudokia, en épousant Théodose II. Lupicina, la femme de soldat, quand Justin Ier fut parvenu à l'empire, reçut des factions du cirque le nom auguste d'Euphémia. Les princesses khazares mariées à Justinien Rhinotmète et à Constantin Copronyme s'appelèrent Théodora et Irène. Anastaso, l'héroïne du récit de M. Schlumberger, mariée à Romain II, changea ce nom de servante en celui de Théophano. L'Italienne Berthe avait reçu celui d'Eudokia. Même usage à Moscou : là non seulement la fiancée, mais parfois son père même, devenu le beau-père d'un tsar, recevaient de nouveaux prénoms ; ainsi le père de la première épouse de Pierre le Grand, Ilarion Lapoukhine, prit celui de Feodor. A Byzance, on avait créé un titre spécial pour le beau-père du prince : celui de Basileopater.

D'où qu'elle vint, la fiancée du Basileus était aussitôt entourée de dignitaires eunuques ; elle recevait les entrées successives, dans le même ordre où leurs maris étaient reçus par l'empereur, les patriciennes, les protospatharissæ et spatharissæ, hypatissæ (femmes des consuls), stratorissæ, comitissæ, les femmes des généraux, des officiers, des scribes, etc. Avant même le mariage, elle était saluée du titre de Basilissa et traitée en souveraine. Elle logeait dans l'Augustéon, la partie du palais réservée aux Augustæ[14]. Les princesses de la famille impériale lui chaussaient les brodequins de pourpre. On la revêtait des ornements impériaux, et la nouvelle souveraine, peut-être la fille d'un barbare, d'un homme de peine ou d'un petit employé, d'un montreur d'ours ou d'un cabaretier, était parée de ces bijoux célèbres, historiques, trois fois sacrés, qu'avaient portés des générations d'impératrices et de porphyrogénètes. Quand le contrat de mariage avait été rédigé, quand l'empereur avait passé l'anneau de fiançailles au doigt de l'épousée, on procédait aux cérémonies très compliquées du mariage et du couronnement. Ou plutôt comme le mariage, dans les rites de l'Église d'Orient, a pour symbole principal la couronne posée sur la tête des époux, c'était d'un double couronnement qu'il s'agissait : l'un nuptial, l'autre politique. Les écrivains byzantins emploient deux mots pour les distinguer : stephanôma et stepsimos. Et, chose singulière, c'est le stepsimos qui précède le stephanôma. L'impératrice est déjà Augusta avant d'être la femme de l'Auguste.

Jusqu'à la période des Comnène, où les idées occidentales prévalurent à Constantinople, la double cérémonie s'accomplissait non pas au grand jour, sous les voûtes de Sainte-Sophie, mais dans le mystère du Palais-Sacré. Les idées grecques d'alors, qui imposaient à la femme une vie de réclusion, ne se seraient point accommodées d'une pompe aussi publique. C'était donc dans quelque église du palais ou très voisine du palais, parfois dans un des salons transformé en oratoire, que la fiancée était d'abord couronnée impératrice, puis mariée.

Voici une description de couronnement au Xe siècle. Dans le grand salon de l'Augustéon, sur des sièges d'or que leur ont apportés les sénateurs, sont assis l'empereur ou les empereurs, si le père et le fils se trouvent associés au trône. Le patriarche, averti par les silentiaires, sort de l'église palatine de Saint-Étienne. L'Augusta, avertie par le préposé aux cérémonies, sort de sa chambre à coucher. A part les empereurs, le patriarche (qui est parfois, lui aussi, un eunuque) et quelques dames de la cour, il n'y a là que les officiers sans barbe du palais : silentiaires, ostiaires, cubiculaires. Le patriarche prend alors la chlamyde de pourpre, étendue sur une table, la bénit et la remet à l'empereur. Les cubiculaires, avec une décente dextérité, habitués à tous les raffinements de la pudeur officielle, ôtent à l'impératrice son vêtement, l'étendent comme un voile pour cacher ses épaules à tous les assistants ; l'empereur ou les empereurs revêtent l'Augusta de la chlamyde ; sur la chlamyde on passe les longs vêtements d'étoffe d'or, le grand manteau multicolore brodé de perles et de rubis. Le patriarche bénit la couronne ; il bénit les præpendulia, nœuds et chaînes de diamants et de pierreries qui en forment le double appendice. Les empereurs posent la couronne sur la tête de l'Augusta, y attachent les præpendulia qui caressent ses joues de leurs ondulations scintillantes et font à sa beauté un cadre lumineux. Sur cette beauté, on jette un voile, le flammeum. L'impératrice s'assied entre son fiancé et son beau-père. Alors seulement on introduit les grands qui viennent chanter les polychronia, puis leurs femmes par entrées successives. Chacune de ces personnes s'avance, précédée par les ostiaires armés de leurs verges d'or ornées de perles, soutenue à droite et à gauche par les silentiaires. Trois fois elle se prosterne, le visage contre terre ; elle embrasse les genoux de l'Augusta, puis les genoux des empereurs, comme pour les remercier de lui avoir donné une telle maîtresse.

Reste à faire au peuple, — c'est-à-dire au peuple officiel, aux factions, — la présentation de la nouvelle souveraine. Une des cours du palais aboutit à une double terrasse, au bas de laquelle se tient le peuple. L'impératrice traverse cette cour et s'arrête sur la terrasse supérieure, tandis que les eunuques et les grands descendent sur la terrasse inférieure. Elle reste seule, tout en haut, debout, dominant toute cette foule. C'est le moment solennel : rappelez-vous le coup de théâtre d'Esclarmonde. Isis va se révéler ; le flammeum va tomber ; Byzance va savoir quel visage resplendit sous le diadème à triple rang de perles et s'encadre entre les præpendulia de diamants. Les acclamations, les polychronia, les cris de : Sainte ! Sainte ! Sainte ! éclatent dans un enthousiasme savamment réglé. C'est là ce qu'on appelait l'anacalypterion, la révélation.

On procède ensuite aux cérémonies du mariage. Ici on retrouve les anciens et poétiques usages grecs. Des fleurs partout ; la couronne qu'on pose sur la tête des mariés n'est plus d'or et de pierreries, mais de fleurs, les factions couvrent de fleurs le lit bientôt nuptial : de fleurs des champs, est-il dit dans les hymnes du mariage. Il y a, dans cette partie du rituel, bien plus de liberté, de laisser-aller, de bonne humeur que dans la première. Seulement, le paranymphe qui conduit la mariée à l'autel est nécessairement un officier sans barbe. Toute la nuit, un parent des nouveaux époux, le thyrôros, se tient en sentinelle à leur porte ; peut-être, comme en Moscovie, à cheval, l'épée nue à la main, pour éloigner les malveillants et les méchants esprits. Le troisième jour, l'impératrice sort en grande pompe pour aller prendre le bain symbolique au palais de la Magnaure. La publicité donnée à cette démarche contraste même avec l'idée grecque du gynécée et la rigoureuse pruderie de l'étiquette byzantine. C'est en grand appareil, avec une foule de serviteurs portant ostensiblement des peignoirs, des linges, des bassins, des vases et des cassolettes à parfums, que la Basilissa traverse les vergers de la Magnaure pour se rendre à la piscine. Trois dames, en avant et aux deux côtés de l'impératrice, tiennent des pommes rouges, ce symbole païen de l'amour, mais ornées de perles. Les factions font la haie, poussant des acclamations. Et, comme si cela ne suffisait pas pour ameuter la curiosité publique, des chanteurs et des comédiens se joignent au cortège[15]. Chose plus singulière, les consuls, les sénateurs, les hauts dignitaires accompagnent l'impératrice jusqu'à la porte du bain, attendent en dehors qu'elle ait terminé ses ébats, puis la ramènent jusqu'à la chambre nuptiale.

Désormais, la nouvelle impératrice habite dans le palais les splendides appartements bâtis par l'empereur Théophile, aux dalles de marbre blanc, aux murailles de mosaïques sur fond d'or, aux plafonds d'or soutenus par des colonnettes. Sa chambre à coucher, c'était ce merveilleux Mousikos (l'Harmonie), dont le pavé, de marbres multicolores, semblait une prairie émaillée de fleurs, dont les murs étaient tapissés de mosaïques de marbre, où cinq colonnes de marbre soutenaient le dais du lit impérial. Quand elle fera ses couches, ce sera dans le palais de Porphyre, afin que ses enfants, filles ou garçons, soient des porphyrogénètes et possèdent toute la quantité de légitimité que comporte la constitution byzantine. Elle est impératrice, elle est Augusta, Basilissa, Despoïna (maîtresse) ; on la traite de Royauté et de Majesté ; elle porte la couronne et le sceptre en forme de branche de lis, symbole de pureté. Quel qu'ait été son père, elle est d'origine divine et presque une divinité. Tout ce qui lui appartient est sacré, comme ce qui appartient à l'empereur. Elle figure sur les monnaies à la gauche de son époux, au-dessous d'un Christ qui étend ses mains sur leurs têtes. On a vu des empereurs accorder à des Augustæ le droit de battre monnaie, comme Constantin à sa mère Hélène. On en a vu leur élever des statues sur les places publiques, comme Théodose II à Eudokia sa femme. Suivant les circonstances, l'Augusta pourra disposer de l'empire ou être empereur pour son propre compte. Sa vie, inséparable de celle de son époux, est toute de représentation, de processions, de réceptions, d'offices religieux. Elle a sa maison à elle, mais uniquement composée d'eunuques ou de femmes ; comme le prince, elle a son préposé, ses silentiaires, ses ostiaires, ses cubiculaires, ses protospathaires armés de hallebardes et ses spathaires armés de sabres. Tous sont désignés par le choix de l'empereur avec le consentement de l'impératrice, car on comprend que le mari n'ait voulu s'en fier à personne pour le choix de serviteurs honnêtes et fidèles, si difficile à faire dans cette valetaille immense et corrompue du palais ; et la femme de César ne doit pas être soupçonnée. Ce n'est pas que ce personnel fût difficile à recruter ; beaucoup de parents mutilaient leurs enfants mâles pour leur assurer l'accès aux emplois du palais ou même de l'Église. De cette catégorie de serviteurs spéciaux sont sortis des ministres, des généraux, des amiraux, des patriarches. Enfin, l'Augusta avait sa flottille à elle, composée de navires noirs et rouges sous le commandement de l'o tès trapezès.

Outre ses officiers imberbes, l'impératrice avait sa maison féminine, à la tête de laquelle était la patricia zosta, la patrice à ceinture[16]. Celle-ci était un des premiers personnages de l'empire : elle avait le droit de s'asseoir à la table même du Basileus, honneur réservé à six dignitaires seulement. Elle prenait l'investiture des propres mains du souverain, ce que n'avait pu obtenir le préfet de la ville. Elle recevait de lui un manteau dalmate (ou dalmatique), une sorte de corsage ou de cuirasse, un maphorion (ou mantille) blanc ; enfin, ce qui était l'insigne de sa dignité, une ceinture ou baudrier (zonè, lôron), insigne d'un caractère si auguste que la personne qui s'en trouvait revêtue était dispensée de se jeter à plat ventre devant le prince : ce droit équivalait au droit castillan de se couvrir devant le roi. Sous la direction de cette haute dame, venait d'abord une protovestiaria, car l'impératrice avait comme l'empereur son vestiaire, qui comprenait son trésor ; puis une primiceria, des cætonissæ (pour les salons, cætones), des cubiculaires ou femmes de chambre (les odalisques de l'Orient musulman). Ces emplois étaient naturellement brigués par les plus nobles dames de l'empire. Revêtues des plus riches étoffes, tissus des fabriques anatoliennes ou péloponésiennes, soieries des manufactures impériales, mousselines de Perse, pelisses de Khazarie et de Russie, parées de bijoux syriens ou byzantins, coiffées du majestueux propolôma, en forme de tour de ville, évasé comme le kakochnick russe, orné de perles, de pierreries et d'icones, elles formaient à l'Augusta un splendide cortège. Cette cour de femmes était tout à fait séparée de celle du Basileus, et sans doute plus animée, plus vivante, plus remplie d'intrigues, gazouillante et papotante comme un harem musulman ou comme le couvent du Domino noir. Là, parmi les eunuques à mine truculente, aux longues robes de soie, aux sabres nus, circulaient, dans la liberté intime du gynécée, le voile relevé, toutes les beautés de l'Orient : les yeux de gazelle de l'Asie et les yeux bleus du Nord, les Grecques élégantes de Byzance, de l'Attique, des îles, les barbares ou demi-civilisées des pays francs, slaves, turcs, arméniens, arabes, que des généraux grecs avaient amenées à leur suite. Seuls, les princes de la famille impériale, les hommes sans barbe, le patriarche, de vieux prêtres, des mendiants, des pèlerins, des moines, avaient accès dans cet intérieur.

C'était d'ailleurs le régime en vigueur dans toutes les maisons nobles, comme dans le palais même de l'empereur. Dans la rue, les femmes ne cheminaient qu'enfermées dans des litières. Si elles accompagnaient leurs maris à l'armée, c'était en des espèces de tentes ambulantes, portées à dos de mule ou de chameau, comme dans la smala d'Horace Vernet. Dans les églises mêmes, c'était de galeries grillées, au premier étage, qu'elles entendaient la liturgie. Un fait qui montre le respect des Byzantins pour le principe de la séparation des sexes, c'est que les Basiliques de l'empereur Basile interdisent de mettre une femme en prison : accusée ou coupable, c'est dans un couvent, sous la garde de femmes, qu'elle doit attendre ou subir sa peine[17].

Mais derrière ces voiles, ces grilles, ces cloîtres (cancelli), que de mystères pouvaient se cacher ! Drames d'amour, crimes domestiques, rien ne transpirait au dehors. Le gynécée byzantin, comme le harem ottoman, le terem russe, la zenana hindoue, restait muet. Ces murs coquets étaient discrets. Et cependant, tout cet appareil de précautions et de reclusion n'en favorisait que mieux certaines intrigues. Sous les longs voiles de femmes pouvaient s'introduire dans le palais non seulement des messagères d'amour, mais aussi des amants, et aussi des conspirateurs et des assassins. Quand, sous des empereurs énergiques, le gynécée était sevré de toute participation aux affaires politiques et aux affaires religieuses, comment occuper ou tromper l'oisiveté du Mousikos ? Ah ! trois fois heureux, s'écrie M. Schlumberger, qui pourrait retrouver le journal de l'existence de Théophano, Basilissa très auguste, avec son immense cortège de femmes, d'eunuques, de cubiculaires ! Oui, assurément ; mais ce n'est pas toujours ce qu'il y a de plus intéressant dans l'histoire qui nous est conservé par les monuments. Un traité de cuisine ou de cosmétique byzantines ferait mieux notre affaire que maints récits de batailles. Parmi les Augustæ, il y a eu tous les types imaginables de femmes ; des femmes politiques, comme Irène l'Athénienne ; des femmes de lettres, comme Eudokia, à qui on a pu attribuer le Violarium, ou comme Anne Comnène, qui écrivit la Vie de son père ; des femmes galantes, comme Zoé la Porphyrogénète ; et d'autres, confites en pureté et dévotion, comme sa sœur Théodora ; et d'autres qui ne songeaient qu'à inventer des combinaisons de parfums, des raffinements de toilette, des recherches de vêtements et de coiffure pour révolutionner le tout Byzance féminin ; celles dont on ne parlait pas et celles dont on parlait trop ; celles dont la porte ne s'ouvrait qu'aux moines martyrs et aux prêtres zélateurs, celles qui admettaient les bateleurs et les diseurs de bonne aventure, et celles dont la fenêtre laissait passer de temps à autre un fardeau humain cousu dans un sac, qu'engloutissaient les flots silencieux du Bosphore.

Dans cette étude je me suis comme enfermé dans le palais impérial ; mais le beau livre de M. Schlumberger révélera bien d'autres aspects de la vie byzantine au lecteur curieux. Il lui montrera les légionnaires applaudissant du sabre sur le bouclier, comme les Francs de Mérovée, les harangues enflammées de l'imperator ; la solide infanterie régulière et les lourds escadrons cataphractes, couverts d'écailles d'airain, brisant l'élan des légers cavaliers arabes ; les forteresses attaquées avec toutes les ressources de la plus savante poliorcétique ; les prises d'assaut, les excès des soldats du Christ, la terreur du nom romain répandue sur les rives de l'Euphrate et du Jourdain, la croisade grecque précédant les croisades des Godefroy de Bouillon et des Richard Cœur-de-Lion. Ce livre montrera, une fois de plus, combien nos jugements sommaires sur la civilisation byzantine sont incomplets et souvent injustes ; combien elle était loin de cette monotonie qui avec l'ennui semble découler des secs récits des chroniqueurs ; combien elle était, au contraire, variée, multiple, vivante ; combien plus semblable à celle de nos capitales modernes qu'à celle de nos ancêtres à demi barbares, contemporains des grands empereurs byzantins. Non seulement Constantinople était alors presque la seule ville, digne de ce nom, qu'il y eût en Europe ; mais elle était vraiment le Paris du moyen âge.

 

 

 



[1] Gustave Schlumberger, de l'Institut, Un empereur byzantin au Xe siècle, Nicéphore Phocas, 1 vol. in-4° de 781 pages, avec 4 chromolithographies, 3 cartes et 240 gravures dans le texte. Paris, 1890, Firmin-Didot.

[2] Sigillographie byzantine, 1884 ; les Principautés franques au point de vue des plus récentes découvertes de la numismatique, 1877 ; les Îles des Princes, 1884.

[3] [Dans ces Indiens, mentionnés par le chroniqueur Genesios, il faut sans doute voir des nègres.]

[4] [Il est aujourd'hui établi que l'origine slave de Justinien est un pur roman, et que la prétendue Vie de l'empereur, écrite par son précepteur Théophile et d'où vient cette légende, n'est qu'un faux audacieux, fabriqué au XVIIe siècle par le Dalmate Marnavich. Voir sur ce point les articles de J. Bryce dans l'English historical Review de 1887, et de Vassiliev dans le Vizantijskij Vremennik de 1894, et Diehl, Justinien et la civilisation byzantine au VIe siècle.]

[5] [Sur la constitution byzantine, on lira avec intérêt le récent travail de Bury, The constitution of the later Roman empire. Cambridge, 1910.]

[6] [Sur ce palais impérial, on consultera, outre le livre de Labarte, le travail récent d'Ebersolt, Le grand palais de Constantinople et le Livre des cérémonies, Paris, 1910.]

[7] [On peut lire à ce propos Diehl, Figures byzantines, 1re série, le chapitre intitulé : La vie d'une impératrice à Byzance.]

[8] [Sur Athénaïs, voir Diehl, Figures byzantines, Ve série.]

[9] [Sur Irène, voir Diehl, Figures byzantines, 1re série.]

[10] [Il semble au contraire que Constantin VI survécut et acheva sa vie dans l'obscurité.]

[11] [Voir Diehl, Figures byzantines, série, le chapitre : Les quatre mariages de l'empereur Léon le Sage.]

[12] [De ce pittoresque récit on peut rapprocher les pages, non moins vivantes, de l'Histoire de Psellos. On lira avec intérêt le livre de G. Schlumberger, l'Épopée byzantine, t. III : les Porphyrogénètes Zoé et Théodora, Paris, 1905.]

[13] [Le texte grec, retrouvé depuis, de cette vie de saint, raconte l'histoire avec un grand luxe de détails pittoresques.)

[14] [L'Augustéon changea assez vite de destination : dès le VIIe siècle, ce n'est plus qu'un appartement servant aux réceptions officielles.]

[15] [Il faut observer toutefois que tout ceci se passe à l'intérieur du palais.]

[16] [Ce titre, le plus haut de la hiérarchie féminine, est plus souvent encore conféré, comme un honneur, à des parentes de l'impératrice.]

[17] [Il ne faut point exagérer pourtant, surtout en ce qui concerne l'impératrice et les femmes de la classe aristocratique de la capitale, le principe de la séparation des sexes et la réclusion du gynécée. La Basilissa, de par l'étiquette même, parait en bien des fêtes où les hommes sont admis. Voir, sur ce point, Diehl, Figures byzantines, 1re série, le chapitre cité en tête de cette étude.]