LES MÉROVINGIENS D'AQUITAINE

ESSAI HISTORIQUE ET CRITIQUE SUR LA CHARTE D'ALAON

 

AVANT-PROPOS.

 

 

Ces recherches, imprimées à un fort petit nombre d'exemplaires, il y a déjà plusieurs années, ayant obtenu du suffrage des juges les plus compétents dans les matières historiques une notoriété que j'avais redoutée plus que je ne la provoquais, j'ai cru devoir les soumettre à une révision attentive, ou plutôt les refondre entièrement, afin de reconnaître de mon mieux l'accueil bienveillant qui leur avait été fait, et de les rendre moins indignes d'une véritable publication. D'ailleurs, certains faits sur lesquels mon opinion n'était pas encore suffisamment fixée ont pris à mes yeux, depuis cette première rédaction, un caractère plus précis ; d'autres, que j'avais seulement effleurés, m'ont paru devoir être, au contraire, exposés avec détails. La question que je traite n'était pas seulement une des plus difficiles quand je l'abordai, elle était encore une des plus délicates. Le système de la charte d'Alaon sur les Mérovingiens d'Aquitaine était un fait authentique, une vérité incontestée ; tous nos livres d'histoire classique en font foi. A peine si l'on osait exprimer quelques doutes sur un document dont la découverte avait été pour notre histoire nationale un vrai coup de fortune, et que couvrait, après l'autorité si imposante des Bénédictins, l'adhésion d'un illustre écrivain de nos jours, dont la réputation semblait presque engagée dans le débat. On s'exposait en faisant ouvertement profession d'une incrédulité raisonnée. Il fallait être au rang des maîtres ou n'avoir absolument rien à perdre. J'étais dans ce dernier cas, et je m'attaquai à la charte, couvert, à mon tour, par mon obscurité. Heureusement la solution que j'eus la hardiesse de présenter ne parut pas appuyée sur de trop mauvaises raisons, bien que je n'eusse pas suivi la méthode de ceux qui avaient écrit ou parlé dans le même sens. Quelques-uns osèrent m'approuver tout haut, beaucoup se contentèrent de m'approuver tout bas. Aujourd'hui que la discussion est à peu près terminée, et que la conviction générale me parait se trouver entièrement d'accord avec la mienne, il ne me sera pas interdit de me prévaloir du seul mérite qui m'appartienne, celui d'avoir devance le jugement porté en dernier ressort par la science. Non pas que je veuille revendiquer l'honneur d'avoir ramené à mon opinion tous les érudits qui la professent, et dont la plupart certainement ne m'ont jamais lu ; mais, quelque insignifiant qu'ait été mon concours dans les conversions qui se sont produites, du moins puis-je me flatter d'avoir défendu la bonne cause alors qu'elle n'avait pas beaucoup de partisans. Si peu que mon plaidoyer ait aidé à la victoire du droit, j'aime à croire que le droit victorieux viendra maintenant eu aide au plaidoyer. Ne fût-ce qu'à titre de note sur un chapitre de l'histoire de France, ces études pourront être utiles comme expression ou résumé des motifs qui ont porté des littérateurs éminents à adopter, relativement à l'origine des premiers ducs d'Aquitaine et de Gascogne, des sentiments contraires à celui des auteurs de l'Histoire de Languedoc.

A ce dernier point de vue, surtout, la réimpression que j'entreprends ne me paraît pas dénuée d'intérêt.

Les deux hommes entre lesquels s'agitait, il y a vingt ans, la controverse à laquelle je me mêlai, MM. Fauriel et Guérard, sont descendus dans la tombe, laissant, avec d'universels regrets, deux places vides dans le monde savant. Le vif intérêt que tous deux, à des titres divers, attachaient à ce débat, et le souvenir de leur consciencieuse et courtoise polémique, recommanderont peut-être l'une des pièces du procès historique qui les divisa, et qui ne put être jugé de leur vivant, le respect qu'on avait pour l'un et pour l'autre ayant tenu jusqu'au bout les opinions en balance. J'étais, sans contredit, le dernier auquel il appartint de donner sa voix dans le silence qui se faisait autour des deux célèbres athlètes : pourtant je ne sache pas qu'aucune raison nouvelle ait été ajoutée à celles que je produisis, et il pourrait m'être permis de répéter à la fin de la lutte ce que je disais au commencement, dans une intention un peu agressive, il est vrai, et d'autant plus déplacée de ma part, « qu'on me rendrait peut-être ce témoignage, que je n'avais pas fait reculer la critique historique depuis le temps où le grand historien d'Espagne, Ferreras, disait de la charte d'Alaon : « Cette pièce, dont quelques personnes font si grand cas, me paraît trop suspecte pour que je l'admette sans scrupule[1]. »

 

 

 



[1] Ferreras, trad. de d'Hermilly, t. II, p. 574.