LE COMMERCE DES CÉRÉALES EN ATTIQUE AU QUATRIÈME SIÈCLE AVANT NOTRE ÈRE

 

par Georges Perrot

Revue historique — Tome IV - mai-août 1877.

 

 

Athènes et le royaume du Bosphore Cimmérien.

La puissance maritime, la prospérité commerciale d’Athènes s’expliquent par une double cause : d’une part l’Attique, par sa situation même, semblait destinée à devenir, ce que la firent les événements, une des parties les plus peuplées de la Grèce ; d’autre part, le sol en était, dans son ensemble, trop aride et trop stérile pour que ce territoire pût nourrir par ses propres ressources une population un peu dense. Vous savez, dit Démosthène aux Athéniens dans son discours contre la loi de Leptine, qu’il n’est point de peuple qui consomme plus de blé étranger que nous ne faisons (§ 31). Afin de comprendre comment il s’était établi, entré Athènes et les pays producteurs de grains, un courant commercial assez continu et assez puissant pour alimenter le marché du Pirée, il est nécessaire de remonter aux origines mêmes de la civilisation attique, et d’indiquer, par une rapide esquisse de son histoire, comment elle fut conduite à s’emparer de la mer, à se l’approprier comme son domaine héréditaire, comme le champ sans limites où s’exerçait le mieux son esprit d’entreprise et son activité féconde.

— I —

Du seizième au onzième siècle avant notre ère, des invasions et des conquêtes dont le détail nous échappe ne cessèrent pas de bouleverser la Grèce, d’arracher les hommes à leurs demeures et de pousser vers de nouveaux campements les tribus vaincues et dépossédées[1]. C’était dans les fertiles plaines de la Thessalie et de la Béotie que venaient s’entasser les populations qui descendaient du Nord ; mais elles ne pouvaient toutes y trouver place ; les groupes les moins nombreux et les moins forts, s’ils ne voulaient pas reculer, se voyaient contraints de poursuivre leur route vers le Midi. Or l’Attique forme, à l’extrémité de la Grèce centrale et aux portes du Péloponnèse, une péninsule qui termine de ce côté le continent. C’était donc là que s’arrêtaient enfin, la terre leur manquant, ceux de ces émigrants qui n’osaient s’engager dans les passages de l’isthme ; ainsi firent les Thraces pièriens, qui ne dépassèrent point Éleusis. Les Pélasges, au contraire, tout en franchissant l’étroit défilé pour aller coloniser l’Arcadie, avaient laissé en Attique une forte division, comme une arrière-garde chargée d’occuper ce vestibule du Péloponnèse.

Plus tard, quand les Doriens et les bandes qui les accompagnaient eurent inondé le Péloponnèse, ceux qu’elles dépouillaient et chassaient devant elles, comme les Ioniens, refluèrent à travers l’isthme sur la Grèce centrale. Quelle était la première terre que rencontraient alors les exilés et où il leur était donné de respirer et de se reposer après les fatigues dé la lutte et de la fuite ? C’était l’Attique avec ses plaines abritées contre les vents du nord. On se décidait donc à hiverner sur les tièdes rivages d’Éleusis ou de Phalères ; on y dressait des tentes ou l’on y élevait des huttes de feuillage ; pour nourrir le peu de bétail que l’on avait sauvé, on semait de l’orge auprès du camp. L’hiver était doux ; on ne l’avait pas encore senti venir que déjà s’annonçait le printemps. On ne songeait pourtant pas à partir ; il fallait faire la moisson. Les jours s’écoulaient ; juments, vaches et brebis mettaient bas, nouvelle cause de retard. Déjà l’automne approchait ; la neige allait bientôt commencer à tomber sur les montagnes et en fermer les sentiers. Pourquoi, sans tenter encore les hasards, ne se fixerait-on pas dans ces campagnes hospitalières, au bord de ces beaux golfes ? On restait donc, on s’emparait des terres que l’on trouvait à sa convenance ou bien on les achetait aux premiers occupants. Des maisons de pierre remplaçaient les cabanes de branchages ; le campement se transformait en un village, ou la ville voisine y gagnait un nouveau quartier.

C’est ainsi que s’établirent en Attique la plupart de ces bandes d’Achéens et d’Ioniens que jeta hors du Péloponnèse la conquête dorienne. Pour employer une comparaison triviale mais juste, l’Attique formait comme une espèce de sac où étaient précipitées et s’accumulaient les tribus les plus diverses. Il vint pourtant un montent où le sac étant plein et de nouveaux arrivants faisant effort pour y pénétrer, il creva par le fond, si l’on peut ainsi parler. Au milieu du onzième siècle, l’Attique envoya vers les côtes de l’Asie-Mineure tout ce peuple d’émigrants où dominait la race ionienne. C’était une disette qui avait décidé le départ.

La population de l’Attique se trouva ainsi ramenée à un chiffre mieux en rapport avec les ressources du territoire, et, pendant les quelques siècles qui suivirent, jusque vers le temps de Solon, elle ne dut augmenter que lentement. L’aristocratie était maîtresse de presque toutes les terres ; l’usure dévorait, épuisait la plus basse classe. Enfin le génie athénien s’éveilla avec Solon ; le peuple fut soulagé par des lois tutélaires ; il fut admis, dans une certaine mesure, au partage du pouvoir politique. Avec Pisistrate et ses fils, les esprits commencèrent à s’ouvrir au goût des lettres et des arts, en même temps que se répandait la richesse et que les mœurs se raffinaient. Enfin les réformes de Clisthène, en achevant d’organiser la démocratie, accélérèrent encore ce mouvement : l’élan est donné et ne s’arrêtera plus. Athènes, dans ses luttes contre les Béotiens, les Spartiates, les Éginètes, montre tout d’abord une activité et une énergie singulière. La liberté est féconde : les enfants de l’Attique devinrent alors encore une fois trop nombreux pour le sol qui les avait portés. La terre ne suffisait plus à ceux qui en tourmentaient les maigres flancs ; mais la mer n’était-elle pas là avec Salamine, Égine et l’Eubée toutes voisines, avec les Cyclades que, de tous les sommets de l’Attique, on voyait se dresser au milieu des flots étincelants, jetées comme autant de jalons sur la route de l’Hellespont et de l’opulente Asie ? Était-il en Grèce beaucoup de ports aussi beaux et aussi sûrs que le vaste bassin du Pirée ? On ne se souciait pas d’émigrer comme avaient fait Nélée et les Ioniens. La nouvelle Athènes était pour tous ses fils une mère trop juste et trop bonne pour qu’aucun d’eux songeât à la quitter. On ne s’exilerait donc pas, on garderait ses dieux, son foyer et ses droits d’Athénien ; mais pourquoi Athènes ne deviendrait-elle pas comme Corinthe une cité maritime et commerçante ? Pourquoi n’irait-elle point chercher, dans des terres plus favorisées de la nature, ce qui manquait à l’Attique, ce blé, par exemple, que se refusaient à nourrir, en quantité suffisante, ses plaines trop étroites et les pentes desséchées de ses collines pierreuses ?

Par malheur, la piraterie régnait depuis la plus haute antiquité dans les mers de la Grèce ; chaque îlot, chaque crique, chaque détour de la côte pouvait cacher une barque de forbans prêts à fondre sur le marchand, à piller sa cargaison, à le réduire lui-même en esclavage. Partout d’ailleurs, le commerce grec rencontrait la jalouse concurrence des Phéniciens ; afin de ne point partager avec d’aussi dangereux rivaux ce riche domaine dont ils avaient été si longtemps les maîtres, ceux-ci le plus souvent mettaient à mort les navigateurs grecs qui leur tombaient entre les mains. Pour avoir un commerce maritime de quelque importance, il fallait donc commencer par se donner une marine militaire imposante. C’est ce que comprirent, vers la fin du sixième siècle, les politiques athéniens. Miltiade fit voter la construction d’une première flotte athénienne, et conduisit soixante-dix vaisseaux à la conquête des Cyclades ; quand Xerxès se jeta sur la Grèce avec toutes les forces de l’Asie, Athènes avait dans ses ports deux cents galères prêtes à prendre la mer. Sous la protection de ces escadres, la marine marchande avait dû naître et s’accroître rapidement dans les premières années du cinquième siècle. Dès lors, des relations s’établirent, par l’intermédiaire de Miltiade, entre Athènes d’une part et de l’autre l’île de Lemnos, qui fut occupée, ainsi que la fertile Chersonèse de Thrace ; Lemnos fournissait un vin renommé, et la Chersonèse beaucoup de grain.

La guerre médique vint remettre un moment tout en question ; mais l’orage passé, on reprit, avec un redoublement d’énergie et d’ardeur, l’œuvre à peine ébauchée. Les Athéniens, comme l’avait prédit l’oracle ou plutôt Thémistocle, avaient été sauvés par leurs murs de bois ; leurs victoires navales, Artémision, Salamine et Mycale, leur avaient appris à aimer la mer et à s’y confier. Tout alors concourut à servir Athènes, les fautes du généralissime spartiate Pausanias, les vertus d’Aristide, les talents militaires de Cimon. En même temps Thémistocle mettait la flotte et les arsenaux à l’abri d’un coup de main, derrière les redoutables fortifications dont il entourait le Pirée ; il concevait aussi le projet de le relier à la ville par cette double muraille que devait commencer Cimon et achever Périclès. C’est le moment où Athènes se place à la tête d’une vaste confédération maritime, qui comprend presque toutes les îles et la plupart des villes grecques éparses sur les côtes de l’Asie-Mineure, de la Thrace et de la Macédoine ; maîtresse de toutes les forces de cette ligue, elle répand ses escadres du fond de l’Euxin jusque dans les parages de l’Italie et de la Sicile, elle donne partout la chasse aux pirates, bat en toute rencontre les Phéniciens, rejette leurs navires dans les eaux de la Syrie, assure enfin au commerce grec, dans les mers de la Grèce, une liberté, une sécurité qu’il n’avait auparavant jamais possédée. Cette prépondérance d’Athènes faisait nécessairement la fortune de ses négociants et de ses marins ; tous les marchés leur étaient ouverts. Ce fut alors que le commerce athénien commença à tirer de la Chersonèse taurique et de la Sarmatie d’immenses quantités de blé ; les forés de la Macédoine fournissaient des bois de construction, la Thrace, Byzance’ et les côtes de la Propontide du vin, du poisson salé et des esclaves, Milet et la Phrygie de la laine et des tapis. Grâce à ses armateurs et à ses négociants, Athènes recevait de tous les points du bassin de la Méditerranée tout ce qui pouvait servir aux besoins et aux plaisirs d’une société civilisée[2]. Ces marchandises, elle en consommait une partie, elle en distribuait le reste aux pays voisins. C’est ainsi que, vers le milieu du cinquième siècle, le Pirée, rival de Milet et de Corinthe, de Tyr et de Carthage, devint un des plus riches entrepôts que le monde ancien ait connus.

L’empire maritime d’Athènes fut détruit et la ligue dissoute par les catastrophes qui terminèrent la guerre du Péloponnèse ; mais, dès que l’indépendance et la démocratie sont rétablies, c’est vers la mer que se tournent aussitôt les regards et l’ambition de la cité renaissante. Dés que Conon, avec les vaisseaux du grand roi, a dispersé la flotte lacédémonienne, son premier soin, c’est de rétablir en toute hâte les longs murs et de remettre le Pirée en état de défense. Aussitôt chantiers et arsenaux se réveillent et retentissent de bruits joyeux. On équipe des galères, les escadres athéniennes parcourent les côtes de l’Asie-Mineure et de la Thrace, franchissent les détroits et se montrent de nouveau dans l’Euxin. On rentre en possession de ces îles, Lemnos, Imbros et Skyros, de cette Chersonèse de Thrace, qui, depuis plus d’un siècle, appartenaient à Athènes. Un peu plus tard, sous l’empire des défiances et des craintes qu’inspire la politique de Sparte après la paix d’Antalcidas, soixante-six des villes soumises jadis à la suprématie d’Athènes viennent volontairement déférer à cette cité la présidence d’une nouvelle ligue maritime (377).

On ne vit plus sortir du Pirée de flottes comme celles que Thémistocle, Périclès et Nicias avaient commandées ; mais la rivalité de Thèbes et de Sparte, mais l’affaiblissement général qui commençait à se faire sentir, permirent à Athènes de se maintenir dans une position prépondérante avec des forces bien inférieures à ses armements d’autrefois. Quant au commerce d’Athènes, il se relève aussi florissant, plus florissant peut-être que jamais. La ligue nouvelle est fondée sur le principe d’une égalité, d’une réciprocité parfaite entre les confédérés ; mais par sa position centrale entre la Grèce asiatique et la Grèce d’Italie et de Sicile, parle nombre plus considérable de ses négociants et la supériorité de leurs capitaux, c’est Athènes qui profite le plus de l’alliance[3]. En même temps elle conclut avec certains états, par exemple avec les rois du Bosphore cimmérien, des conventions qui lui garantissent un traitement plus favorable qu’à tous les autres acheteurs. Athènes devait donc, vers le milieu du quatrième siècle, arriver à un chiffre d’affaires plus élevé qu’au temps même de Périclès. C’est que l’amour du luxe, le goÛt des jouissances matérielles, avaient singulièrement gagné, depuis lors, dans la société grecque. Dans chaque ville les gens riches se contentaient moins aisément des denrées que leur fournissait le territoire même de leur patrie. D’autre part, ils trouvaient d’autant plus aisément à satisfaire leurs fantaisies que, vers cette époque, partout s’étaient créées des institutions destinées à développer le commerce au long cours. C’étaient des banques, dont nous avons étudié ailleurs le rôle et les opérations[4] ; c’était, chez les Athéniens surtout, une législation commerciale qu’il importe d’étudier avec quelque détail ; elle est, par certains côtés, vraiment très intelligente et très libérale, tandis qu’à d’autres égards elle est déparée et viciée par de grossières erreurs économiques.

— II —

Bien avant les états civilisés de l’Europe moderne, Athènes avait compris que les différends commerciaux veulent être jugés par une juridiction spéciale, qui s’affranchisse des lenteurs ordinaires de la justice, qui simplifie la poursuite du droit et l’exécution des jugements, qui s’inspire enfin d’un autre esprit plus rapide et plus pratique, de ce que l’on peut appeler l’esprit des affaires. Sous le nom de juges maritimes (νxυτοδίxαι), Athènes eut au quatrième siècle ce que Rome ne connut jamais, un vrai tribunal de commerce[5]. Pendant les trois mois de l’hiver, quand les tempêtes de l’Euxin, de la mer Égée et de la mer Ionienne retenaient au port capitaines et marchands, ce tribunal, présidé par les Thesmothètes, jugeait à loisir toutes les contestations[6] qui, pendant la belle saison, avaient pu naître entre négociants faisant le commerce maritime (έμαοροι), ou entre eux et les agents qu’ils employaient, capitaines, subrécargues et autres. Les juges étaient-ils pris seulement parmi les commerçants, comme, dans d’autres cas, ils étaient choisis seulement parmi les initiés, s’il s’agissait d’une profanation des mystères, ou parmi les soldats, si l’on avait à poursuivre un manquement à la discipline[7] ? C’est là une hypothèse séduisante, mais que, jusqu’ici, par malheur, aucun texte ne confirme. Sur la compétence, sur la procédure, sur les voies d’exécution, les renseignements sont un peu plus précis. L’antiquité nous a conservé, dans le recueil des œuvres de Démosthène, quatre plaidoyers qui ont été composés pour des affaires de prêts maritimes, ou contrat à la grosse aventure ; quel qu’en soit l’auteur, ils appartiennent bien au temps de Philippe, et c’est devant le tribunal des juges maritimes qu’ils ont dû être prononcés[8]. Or, dans l’un de ces discours, celui qui est intitulé contre Zénothémis, la compétence des juges maritimes et la nature des actions commerciales (δίxαι έμποριxαί) se trouve ainsi définie : elles portent sur les contestations entre capitaines et commerçants qui ont fait des conventions au sujet de marchandises à transporter de pays étranger à Athènes, ou d’Athènes en pays étranger, quand ces conventions ont été relatées par écrit ; en dehors de ces contrats, aucune action n’est recevable devant cette juridiction (§ 1).

Par cette dernière prescription, la loi qui régissait ce genre de procès dérogeait à l’un des principes fondamentaux du droit attique. Partout ailleurs dans la procédure athénienne, la preuve testimoniale l’emporte de beaucoup sur la preuve écrite ; elle est plus souvent employée, le législateur et la jurisprudence lui accordent une plus haute valeur ; ainsi les contrats les plus importants de la vie civile, comme par exemple le mariage et la vente, n’étaient le plus souvent constatés et prouvés que par le dire des témoins ; c’était par le même procédé que se tranchaient ces questions d’état où étaient engagées la condition, la liberté, parfois même la vie du citoyen ou de l’étranger. Accoutumés comme nous le sommes à toujours mettre en première ligne la preuve écrite, nous éprouvons quelque peine à comprendre comment on pouvait s’en passer dans tant de cas où pour nous, à son défaut, l’action ne serait pas recevable ; ce qui doit diminuer notre étonnement, c’est que le droit romain de la belle époque et, jusqu’à ces derniers temps, le vieux droit coutumier de la race anglo-saxonne, la commonlaw, avaient pour la preuve testimoniale cette même préférence[9]. Quoi qu’il en soit, dans le commerce, on avait senti de bonne heure, chez les Athéniens, l’utilité, la nécessité même des conventions écrites. C’était surtout dans le commerce maritime qu’elles étaient indispensables. Souvent en effet une affaire était conclue entre gens de pays différents, dont l’un restait à Athènes pendant que l’autre partait pour Syracuse, Byzance ou Cyrène ; ceux qui avaient pu assister à la conclusion du marché étaient eux-mêmes des marins ou des marchands, que leur profession dispersait aux quatre vents du ciel. Si, pour l’exécution des engagements réciproques, on n’avait dû compter que sur la mémoire des intéressés et des assistants, que de contestations et de procès ! Il y en aurait eu presque autant que d’affaires. Des conditions et des clauses jadis arrêtées, chacun n’aurait retenu que celles dont il pouvait tirer parti ; il aurait oublié tout ce qui pouvait profiter à son adversaire ; quant aux témoins, les uns auraient imité les contractants ; les autres, souvent de la meilleure foi du monde, auraient été fort embarrassés pour rien apporter de précis dans le débat. Pour tous ces prêts maritimes où était engagée à Athènes une grosse part des capitaux disponibles, l’usage prévalut donc de rédiger un acte écrit (συγγραφή)[10]. On y mentionnait la somme avancée par le préteur, le taux de l’intérêt stipulé, le navire ou les marchandises qui servaient de garantie, les conditions enfin et le mode de remboursement. Le plaidoyer contre Lacritos nous a conservé un de ces actes, un contrat a la grosse avec toutes ses stipulations (§ 10-13) ; nous en empruntons la traduction à M. Dareste :

Androclès de Sphette et Nausicrate de Caryste ont prêté à Artémon et Apollodore, de Phasélis, trois mille drachmes d’argent pour un voyage à Mendé et à Scioné, de là au Bosphore, et même, s’ils le veulent, jusqu’à Borysthène, en longeant la côte à gauche, avec retour à Athènes, à raison de deux cent vingt-cinq drachmes par mille, et de trois cents drachmes par mille s’ils ne reprennent la mer qu’à l’automne pour aller du Pont à Hiéron. Ce prêt est affecté sur trois mille amphores de vin de Mondé, qui sera chargé à Mendé ou à Scioné, dans le navire à vingt rames commandé par Hyblésios. Il est déclaré que les objets ainsi affectés sont francs et quittes de toute autre dette et ne seront point affectés à un nouvel emprunt. Artémon et Apollodore ramèneront à Athènes, sur le même navire, toutes les marchandises qu’ils auront prises en échange au Pont. Si ces marchandises arrivent, à bon port à Athènes ; les emprunteurs payeront aux prêteurs la somme qu’ils leur devront, aux termes du contrat, dans les vingt jours de l’arrivée à Athènes, sans autre déduction que celle du jet, pour le cas où des marchandises auront été jetées à la mer, par décision des passagers délibérant en commun, et celle des rançons qui pourront être payées aux ennemis. Aucune autre avarie ne sera à la charge des prêteurs. Le gage sera tenu intact à la disposition des préteurs, jusqu’à ce, que les emprunteurs aient payé la somme due, aux termes du contrat. A défaut de paiement au terme convenu, les préteurs pourront se mettre en possession du gage et le vendre au prix qu’ils en trouveront. Et si le prix est insuffisant pour remplir les préteurs de la somme qu’ils devront recevoir, aux termes du contrat, les préteurs pourront poursuivre Artémon et Apollodore sur tous leurs biens de terre et de mer, en quelque lieu que ces biens se trouvent, comme s’il y avait contre eux un jugement de condamnation et terme échu, et ce droit appartiendra à chacun des préteurs comme à tous les deux. Si les emprunteurs n’entrent pas dans le Pont-Euxin, ils feront relâche dans l’Hellespont pendant les dix jours après la canicule, et mettront les marchandises à terre dans un lieu contre lequel les Athéniens n’aient pas de représailles à exercer ; ils payeront les intérêts portés au contrat l’année précédente. Eu cas d’accident arrivé au navire sur lequel seront transportées les marchandises, on s’efforcera de sauver les marchandises ; affectées à l’emprunt, et le produit du sauvetage appartiendra par indivis aux prêteurs. A l’égard de tous ces points, rien ne pourra prévaloir sur la présente convention.

Témoins Phormion du Pirée, Céphisodore de Béotie, Héliodore de Pittos.

Comme l’atteste un témoignage ensuite cité, l’acte, scellé du sceau des deux parties intéressées[11], avait été déposé par elles chez un tiers, Archénomide, fils d’Archédamas, d’Anagyronte, qui en était encore dépositaire au moment du procès. Chacun des contractants, pour savoir à quoi s’en tenir sur ses droits et ses devoirs, devait garder une copie de l’acte. En cas de contestation, il serait toujours facile de comparer ces copies au texte authentique, qu’exhiberait devant témoins celui à qui la garde en avait été confiée. Assez souvent le dépositaire était un de ces trapézites ou banquiers qui étaient en relations continuelles avec les gens de mer et leur prêtaient les fonds de leurs clients. J’ai déposé le contrat chez le banquier Kittos, dit Chrysippe dans le discours contre Phormion (§ 6). Quelquefois, par un surcroît de prudence, l’acte était rédigé en double ; il y avait alors deux textes authentiques, deux dépositaires attitrés du contrat[12]. Cette précaution était remarquée comme une marque de méfiance.

Par exception et à la différence de ce qui se passait pour les autres contrats, l’acte écrit constituait seul ici l’engagement. Si le demandeur n’en avait point à présenter, l’instance pouvait être repoussée par voie d’exception ; le défendeur était dispensé de plaider au fond[13]. Un simple contrat verbal, que l’on aurait offert de prouver par témoins, ne pouvait fournir la matière d’une action commerciale. Il suffisait encore d’opposer une fin de non-recevoir, si la convention n’avait pas eu pour objet d’exporter des marchandises d’Athènes ou d’importer en Attique des denrées prises sur quelque autre marché[14]. A quel titre les tribunaux athéniens auraient-ils connu de conventions ayant pour objet des transports à opérer entre deux ports étrangers ? N’y trouvant aucun intérêt, la cité ne se chargeait pas d’en surveiller et d’en assurer l’exécution, alors même qu’y étaient engagés des capitaux et des citoyens d’Athènes.

C’est donc par le caractère même de la convention et non par la qualité des personnes qui l’ont conclue que se définit l’action commerciale et que se détermine la compétence. Citoyens, étrangers domiciliés, étrangers de passage, tous ceux qui, de manière ou d’autre, entraient dans une affaire de ce genre, devenaient, par ce fait même, justiciables des juges maritimes. C’étaient les archontes thesmothètes qui présidaient ce tribunal[15]. Ils en ouvraient les séances au commencement du mois de boédromion, c’est-à-dire en septembre, et les faisaient durer pendant tout l’hiver, jusqu’à la fin de munychion qui répondait à avril[16]. Alors les vents de Thrace régnaient dans la mer Égée ; on ne se hasardait guère hors des ports, et il était plus facile de réunir tout le monde, parties et témoins. Devant d’autres juridictions, les procès traînaient souvent pendant des mois et des années, comme nous l’apprenons par plus d’un plaidoyer des orateurs attiques ; Athènes connaissait ces lenteurs de la justice que, dans Shakespeare, Hamlet compte parmi les maux les plus insupportables de la vie. On avait pourtant compris combien il importait, en matière commerciale, d’arriver à de promptes décisions[17]. C’est vers le mois d’avril que commencent à souffler ces brises du sud et du sud-ouest qui poussent les navires grecs vers les détroits et vers l’Euxin, d’où les ramèneront après la moisson et la vendange, en automne, les vents étésiens. Que d’affaires auraient manqué et comme l’activité des transactions en eût été ralentie si, quand venait le printemps, les contestations eussent été encore pendantes ! Il aurait fallu, ou rester à Athènes et s’exposer ainsi à ne point prendre la mer au bon moment, ou renvoyer le débat à l’hiver suivant ; les intérêts des capitalistes auraient souffert de ce retard, et les juges se seraient trouvés encore plus embarrassés pour trancher des litiges par eux-mêmes déjà fort obscurs souvent et fort embrouillés. Il avait donc été réglé que pour toute cause de cette espèce, le tribunal devrait rendre son arrêt dans le courant du mois qui suivrait l’introduction de l’instance. De là le terme de procès mensuels (δίxαι έμμηνοι) par lequel on désigne souvent toute cette catégorie d’affaires[18].

Tout ce monde de négociants, d’étrangers, de capitaines au long cours était très nomade ; il aurait été facile au perdant de mettre à la voile par le premier bon vent et de quitter l’Attique sans régler ses comptes. Tout jugement devenait donc aussitôt exécutoire ; celui contre lequel il avait été prononcé payait ou fournissait une caution, faute de quoi il était mis en prison pour y rester jusqu’à ce qu’il se fût acquitté[19]. Comme le faisait, jusqu’à ces derniers temps, la loi française, Athènes recourait donc, pour assurer le paiement des dettes de commerce, à la contrainte par corps, tandis qu’en matière d’obligations civiles elle la repoussait par respect pour la liberté du citoyen.

Rien ne fait plus d’honneur au sens pratique des Athéniens que d’avoir su créer, à l’usage des gens d’affaires, une juridiction spéciale, plus expéditive d’allures que la justice ordinaire. A parcourir d’autres chapitres de la législation commerciale d’Athènes, on y retrouverait cette même justesse, cette même précocité d’intelligence. Ainsi le système douanier ne mérite que des éloges. Rien qui ressemble à une prohibition ou même à un droit protecteur, mais un simple droit fiscal des plus modérés. Dans le Bosphore, le prince percevait le trentième et en Thrace un dixième sur la valeur de toutes les marchandises, à l’importation et à l’exportation ; or Athènes se contenta toujours d’une taxe fixe du cinquantième ou deux pour cent[20].

Là n’était donc point le défaut de la législation qui régissait le commerce des céréales ; cette taxe était assez faible pour que les prix de la vente au détail, en Attique, s’en ressentissent à peine, et les blés mêmes qui devaient ressortir du Pirée supportaient aisément cette surcharge. Le mal était ailleurs.

Dans les meilleures années, l’Attique, d’après les calculs de Bœckh[21], pouvait produire tout au plus les deux tiers des grains nécessaires à sa consommation annuelle ; quand le printemps avait été trop sec ou trop orageux, quand la grêle avait haché les moissons prêtes à tomber sous les faucilles, le déficit devait être bien plus considérable encore.

Ce déficit, ce n’était pas par la voie de terre que le commerce pouvait espérer le combler. La Béotie, qui touche à l’Attique, possède, il est vrai, un sol très fertile ; mais, avec sa population fort dense et moins sobre que celle d’Athènes, peut-être ne produisait-elle pas beaucoup plus de grains qu’elle n’en consommait. On était, de plus, si souvent en guerre avec Thèbes qu’il eût été fort imprudent de compter, pour s’approvisionner, sur la plaine béotienne ; on n’aurait pas voulu se mettre ainsi à la discrétion de l’ennemie héréditaire. Il y avait d’ailleurs encore une autre difficulté. Aujourd’hui, pas-un ingénieur, pas un économiste ne visite le royaume de Grèce sans s’indigner contre l’apathie de ces Hellènes qui veulent passer pour une nation européenne et qui, depuis quarante ans qu’ils sont libres, n’ont pas encore su conduire une route carrossable d’Athènes à Patras ou d’Athènes à la frontière turque. On en conclut une fois de plus que les Hellènes sont bien dégénérés, qu’ils n’ont plus rien de leurs glorieux ancêtres. C’est se faire là de singulières illusions. Sans doute la viabilité laisse fort à désirer dans les états du roi Georges ; on y a exécuté, à grands frais, des chemins de voiture dont le tracé est conforme aux règles de l’art ; mais ils n’ont jamais été entretenus, hors dans le voisinage immédiat de la capitale, et presque tous sont bientôt devenus impraticables. Il n’en est pas moins certain que la Grèce possède maintenant plus de routes carrossables qu’elle n’en eut jamais du temps de Périclès ou de Démosthène. Les Romains sont les premiers qui aient pris la peine de mener, à travers les montagnes grecques, de larges et commodes chaussées, comme par exemple la voie que l’empereur Adrien ouvrit d’Athènes à Corinthe, sur les flancs abrupts des monts Géréniens. Quant aux Grecs des beaux siècles, ils paraissent, comme le font aujourd’hui leurs descendants, s’être fort bien passés de ce qui nous paraît si nécessaire. Pour eux les vraies routes, les routes des voyages et du commerce, étaient toujours ces chemins humides de la mer que chante déjà le vieux poète, ces chemins qui mènent partout où l’on veut aller. Je doute fort qu’au cinquième et au quatrième siècle avant notre ère un chariot chargé de grains ait jamais pu franchir les défilés du Cithéron et du Parnès. Tout au plus, dans les temps de paix, s’introduisait-il par cette frontière quelques milliers de. médimnes d’orge et de froment, tandis que l’Attique, dans les années mêmes où ses récoltes avaient le mieux réussi, était encore obligée d’en importer près d’un million de médimnes[22]. C’était seulement à dos d’âne ou de mulet et par de rudes sentiers que les blés de la Béotie pouvaient arriver sur le marché d’Athènes ; aussi le prix de revient devait-il en être assez élevé, trop élevé peut-être pour qu’ils pussent, malgré la brièveté de ce trajet, soutenir la concurrence des blés mêmes de la Thrace et du Bosphore cimmérien, que des centaines de navires venaient verser par monceaux sur les quais du Pirée.

C’était donc au commerce maritime de nourrir le peuple athénien ; mais la mer, elle aussi, pouvait se trouver fermée soit par les tempêtes, soit plutôt par une flotte ennemie ou par l’hostilité des villes qui, comme Byzance, tenaient la clef des détroits. Athènes avait donc toujours peur de mourir de faim, et la peur est mauvaise conseillère. A d’autres égards, cette intelligente cité semble avoir entrevu, avoir appliqué par avance les principes mêmes de la science économique ; mais dès qu’il s’agissait de son approvisionnement en céréales, elle laissait répéter à l’assemblée et devant les tribunaux des erreurs et de dangereux sophismes dont les plus curieux échantillons se trouvent dans le discours de Lysias contre les marchands de grains (xατά τών σιτοπρλών)[23]. Que nous inventons peu, se dit-on en lisant ce réquisitoire ! Dans ce plaidoyer, qui a plus de deux mille ans, on trouverait déjà le thème de ces banales déclamations, où se complaisent encore aujourd’hui tant d’esprits, contre les affaires et contre ceux qui les font.

Lysias, ou du moins celui qu’il fait parler, accuse ces négociants de se réjouir des malheurs d’Athènes ; c’est ainsi que, sur tous les tons, en vers et en prose, on a reproché à la Bourse d’avoir, sur la nouvelle de Waterloo, coté en hausse les fonds publics. Comment d’ailleurs Lysias justifie-t-il cette grave accusation ? Il est de nos défaites, dit-il, qu’ils apprennent avant tous les autres (§ 14). Sans doute, pour être avertis promptement dans les circonstances importantes, ces négociants avaient à leurs ordres des navires fins voiliers prêts à partir aussitôt avec la nouvelle attendue et à venir tout droit la leur apporter. C’est ainsi qu’en pareil cas une maison de commerce se fait expédier aujourd’hui un télégramme par un de ses correspondants. Les moyens seuls sont changés et perfectionnés. Y a-t-il d’ailleurs là rien qui ne soit tout naturel et très légitime ? Une défaite d’Athènes modifiait singulièrement la situation des négociants du Pirée. Les détroits allaient se clore, les ports d’Athènes être bloqués, les navires, les cargaisons devenir la proie de l’ennemi ; il importait d’être prévenus à temps, pour régler les prix sur toutes ces chances de perte. Qu’on le veuille ou non, en affaires les risques se sont toujours payés, se payeront toujours.

D’autres fois, continue Lysias, ce sont eux qui inventent des désastres ; il font courir le bruit que nous avons perdu une escadre dans l’Euxin, ou qu’une autre a été capturée par lés Lacédémoniens, que les marchés vont se trouver fermés, que la paix va être troublée, et ils en sont venus à une telle haine pour vous qu’ils cherchent à tirer parti contre vous des mêmes circonstances que vos ennemis (§ 14). Rien de plus habilement perfide et de plus injuste. Aussitôt que la mer n’est plus sûre et que cessent les arrivages, n’est-il pas inévitable que tout enchérisse, puisqu’il faudra vivre sur un fonds qui ne se renouvellera pas et qui, de jour en jour, tendra à s’épuiser ? Les marchands de blé auront à acheter plus cher que par le passé le vin, l’huile et les autres denrées de première nécessité ; n’est-il pas juste qu’afin de subvenir à leurs propres dépenses ils vendent plus cher, à leur tour, le genre de denrées dont ils sont détenteurs ? Toutes ces accusations ne reposent donc que sur de grossières erreurs, filles de l’ignorance et surtout de l’envie. Plus d’un orateur famélique ne pardonnait pas leur aisance à des gens sans qui la cité n’aurait pas pu vivre même un mois. La, comme partout, de ces sophismes naquirent de mauvaises lois et d’odieuses vexations, qui aboutirent même parfois a de vrais meurtres juridiques[24]. Après le fanatisme religieux, il n’en est pas qui ait fait plus de victimes que le préjugé, que le fanatisme de la mauvaise économie politique.

C’était d’abord par la création de magistrats spéciaux que s’était manifestée cette inquiète préoccupation d’Athènes. Pour surveiller les négociants en grains, on ne s’était pas contenté des agoranomes, auxquels était confiée la police des marchés ; on avait institué tout exprès le collège des sitophylaques ou gardiens du blé[25]. Ces magistrats étaient quinze, dix dans là ville et cinq au Pirée ; ils tenaient registre du blé importé et de sa provenance (Démosthène cite leurs livres[26]) ; ils avaient aussi la farine et le pain sous leur inspection, ils veillaient à ce que ces denrées fussent vendues aux conditions légales[27]. On ne voit pas qu’ils aient eu le droit d’établir un maximum. L’état n’agissait sur les cours que par voie indirecte. Dans les temps de disette, il formait un fonds spécial (τό σιτωνιxόν ταμίεϊον) administré par des commissaires (σιτώναι) nommés tout exprès, et, par leur entremise, il achetait des grains qu’Il revendait, sans doute seulement aux plus nécessiteux et par quantités limitées, moins cher qu’on ne les payait sur le marché. D’autres fois, les blés qu’il cédait ainsi à bas prix lui venaient de quelque riche citoyen ou de villes, de princes alliés qui en avaient fait don à la cité. De toute manière, ces ventes devaient avoir pour effet d’empêcher les cours de s’élever outre mesure[28].

Même en cette matière où elle n’avait pas tout son sang-froid, toute sa clairvoyance ordinaire, Athènes n’avait donc pas été jusqu’à cette folie de vouloir fixer par décret le prix des denrées. Des gênes très réelles n’en pesaient pas moins sur les marchands de grains. La loi ne se contentait pas de considérer comme nul et non avenu tout contrat qui aurait eu pour but de fournir à un capitaine les moyens de charger, du blé pour le conduire des pays producteurs dans d’autres ports que ceux de l’Attique[29] ; elle ne se bornait point à refuser, en pareil cas, son concours et sa protection au prêteur. Elle allait plus loin, elle édictait la peine de mort contre le citoyen ou l’étranger domicilié qui transporterait ailleurs qu’au Pirée une cargaison de céréales[30]. Aujourd’hui même il serait difficile d’assurer l’effet d’une telle prescription ; à plus forte raison devait-elle rester lettre morte dans l’antiquité. Les voyages étaient plus longs ; les navires plus petits que les nôtres, n’ayant pour se guider ni les phares, ni la boussole, ni les observations astronomiques, dépendaient bien plus des caprices du vent et des hasards de la tempête ; ils n’avaient pas de papiers de bord en règle ; aucun journal n’annonçait leur arrivée dans tel ou tel port, leur départ pour telle ou telle destination ; armateurs et capitaines pouvaient donc aisément éluder cette défense ; comme le fait remarquer Xénophon, lorsqu’ils avaient chargé dés grains, ils ne manquaient pas d’aller les vendre la où ils en trouvaient le meilleur prix[31]. La loi n’en était pas moins fâcheuse ; elle pouvait tenter les sycophantes, et donner ainsi matière à de fréquentes dénonciations[32]. Sans doute les preuves à l’appui feraient défaut, mais le jury, quand le blé serait cher, quand on craindrait la disette, n’en demanderait pas tant ; les plus légers indices lui suffiraient pour prononcer une condamnation rigoureuse.

Une autre loi, qui n’était pas plus sensée et qui ne devait pas être plus respectée, aspirait à prévenir les accaparements ; elle défendait au négociant, aussi sous peine de mort, d’acheter à la fois plus de cinquante charges de blé[33]. La fraude devait être continuelle et facile ; on achetait, sous le nom d’un compère, tout ce qui dépassait cette quantité. La loi prétendait limiter à une obole par médimne le bénéfice des marchands sur le blé revendu par eux en Attique[34] ; c’était beaucoup trop peu pour les payer de leurs peines et de leurs risques, pour les décider à continuer les affaires. Aussi, comme l’atteste Lysias, ils réalisaient souvent un bénéfice bien plus élevé, ils gagnaient jusqu’à une drachme ou six oboles par médimne[35]. D’ailleurs les négociants pouvaient, dira-t-on, se dédommager sur les ventes qu’ils faisaient à l’étranger ; la loi ne leur laissait-elle pas, en pareille matière, toute liberté de fixer leur prix, comme ils l’entendraient ? Oui certes ; mais elle intervenait encore pour déterminer les quantités sur lesquelles ils pourraient opérer, et par là même elle gênait les transactions. La réexportation n’était permise que pour un tiers du blé importé en Attique[36] ; les deux autres tiers devaient demeurer et être consommés dans le pays. Il en résultait, à certains moments, sur le marché d’Athènes, une abondance factice et un avilissement des prix que suivait bientôt la cherté. En effet, promesses ni menaces n’y faisaient rien : du jour où les navires chargés de blé pouvaient tirer, sur d’autres places, meilleur parti de leur cargaison, ils désapprenaient le chemin du Pirée.

Ces règlements tyranniques, qui prétendaient faire violence à la nature des choses, auraient encore bien plus gêné l’approvisionnement d’Athènes, s’ils n’eussent été sans cesse, dans la pratique, éludés ou violés. C’était comme une lutte engagée, comme une guerre déclarée entre la ville et ceux qui la nourrissaient. Les marchands de blé, et c’était juste, faisaient payer au peuple les chances de ruine ou de mort que multipliaient, à leur détriment, des lois mal conçues et inapplicables. D’ordinaire on fermait les yeux ; mais parfois, quand le pain devenait trop cher, le peuple était pris d’accès de méfiance et de colère que se hâtaient d’exploiter les envieux et les sycophantes. On ne proposait rien moins que de livrer aux onze et de faire périr sans jugement, sur une simple décision du Sénat, les négociants en grains, presque tous simples métèques ou étrangers domiciliés[37] ; c’était à grand’peine que l’on obtenait qu’ils fussent au moins traduits devant le jury, qui n’hésitait pas à les frapper de mort. Il arrivait même que l’on s’en prit aux magistrats qui étaient chargés de prévenir les fraudes et d’empêcher les accaparements ; on les accusait d’être devenus les complices de ceux qu’ils devaient surveiller. Plus d’un de ces malheureux, Lysias nous l’assure, paya de sa vie ce crime imaginaire, des tolérances qui, à le bien prendre, étaient plus utiles que nuisibles à la cité[38].

Le Pirée avait sa halle aux blés, dans laquelle ou, tout près de laquelle siégeaient sans doute les sitophylaques. C’était le bâtiment que l’on appelait le portique de vente pour le froment (άλφιτοπώλις στοά), et qui avait été bâti par Périclès[39]. On le trouve ailleurs désigné par le titre de long portique (μαxρά στοά)[40]. Le blé étant de toutes les denrées que recevait le Pirée la plus nécessaire et s’y déversant, a l’automne, par quantités considérables, il était naturel qu’on lui eût attribué le plus étendu des cinq portiques qui se développaient sur les quais de l’emporion ou du port de commerce proprement dit. L’emporion occupait le fond, la partie nord-est du Pirée. On peut se représenter les édifices qui l’entouraient comme des magasins dont la façade, tournée vers la mer, était ornée d’un portique ouvert, sous lequel les marchands et leurs clients se mettaient à l’ombre ; c’était à la fois commode et décoratif.

De plus l’État avait ses magasins à lui, où il serrait les grains qu’il avait achetés pour son compte en temps de guerre ou de disette. L’Odéon de Périclès parait avoir été souvent employé à cet usage[41]. Quand les circonstances exigeaient que l’État fit des ventes à prix réduit, elles avaient souvent lieu dans cet édifice.

— III —

Ce blé sans lequel Athènes serait morte de faim et que, chaque automne, elle attendait avec impatience pour sa subsistance de l’hiver et du printemps, elle ne le tirait point d’un seul pays producteur, d’un marché unique ; elle eût été trop exposée s’il lui eût fallu dépendre des chances de la récolte dans une région limitée ou de la bonne volonté d’une seule cité puissante, d’un seul prince étranger. C’était surtout de l’orge que cultivait l’Attique dans ses campagnes où le sol est pierreux, sec et léger[42]. Il lui venait du froment de toutes les terres fertiles que renferme le bassin de la Méditerranée orientale. Elle en recevait de ces campagnes de la Sicile, qui devaient plus tard tant contribuer à nourrir Rome, devenue la capitale du monde[43] ; elle en recevait de l’Égypte[44], de Chypre et de Rhodes où le commerce accumulait les céréales provenant de la Syrie et des côtes méridionales de l’Asie-Mineure[45]. L’Eubée et la Chersonèse de Thrace lui en fournissaient aussi. Des clérouques ou colons athéniens avaient possédé, pendant une partie du cinquième siècle, les meilleures terres de l’Eubée et, alors même qu’ils eurent été expulsés lors des désastres qui suivirent la funeste expédition de Sicile, cette grande île était trop voisine de l’Attique pour que ses producteurs ne trouvassent pas tout profita diriger de préférence leurs grains vers ce marché tout proche où ils étaient assurés d’en trouver le placement[46]. Quant à la Chersonèse, aujourd’hui la presqu’île de Gallipoli, elle était comptée, depuis plus d’un siècle, parmi les possessions extérieures d’Athènes ; elle n’avait guère cessé de lui appartenir que pendant les quelques années qui s’étaient écoulées entre le désastre d’Ægos-Potamos et la victoire navale de Conon à Cnide. Un mur, long de 36 stades ou 7000 mètres environ, barrait l’isthme prés de Kardie et couvrait la péninsule contre les incursions des Thraces ses voisins. Les terres ainsi protégées étaient pour la plupart aux mains de propriétaires athéniens ; quoi de plus naturel pour ceux-ci que d’expédier leurs produits à Athènes, soit comme marchandise à vendre, soit comme provisions de famille ? Dans Lysias, une mère de famille, établissant contre un tuteur infidèle le compte de la fortune de ses fils, y fait entrer, dans les revenus ordinaires, un chargement de grains qui venait tous les ans de la Chersonèse[47]. La riche plaine Thessalienne, la fertile Chalcidique, différents districts de la Macédoine et de la Thrace, fournissaient aussi des céréales dans les années où leur récolte avait été bonne et dépassait les besoins de la consommation locale[48].

Athènes recevait donc du blé de toutes les provenances ; suivant les années, suivant que les prix étaient plus ou moins rémunérateurs, elle en tirait plus ou moins de telle ou de telle région mais, pris ensemble, les arrivages de l’Afrique, de la Sicile, de l’Eubée et des autres îles, ainsi que des côtes de la mer Égée, égalaient à peine, en moyenne, ceux qu’envoyait régulièrement aux greniers du Pirée la vaste plaine qui s’étend des bouches du Danube à celle de l’Hypanis (aujourd’hui le Kouban)[49]. C’est ce que nous atteste Démosthène : Le blé importé du Pont-Euxin, dit-il, donne à lui seul à peu près le même chiffre de médimnes que le total de celui que nous tirons de tous les autres marchés[50]. Un peu plus loin, d’après des documents officiels, il évalue cette quantité à 400.000 médimnes, environ 207.000 hectolitres. Le froment qui provenait de ces contrées avait la réputation ; de mieux supporter le voyage et de se garder plus longtemps que tout autre[51]. Comme une partie de celui que produit encore cette région, il devait appartenir à la catégorie de ce que l’on appelle aujourd’hui les blés durs. Ceux-ci sont plus rustiques, ils poussent a moins de frais et avec moins de soins ; or les cultivateurs scythes qui produisaient la plus grande partie de ces blés avaient sans doute des méthodes de culture très simples, très primitives.

On devait charger du blé, à destination d’Athènes, dans les ports de toutes ces cités grecques que le hardi génie de Milet, vers le septième siècle avant notre ère, avait semées du Bosphore de Thrace au pied du Caucase, sur les rivages des contrées habitées par les Thraces, les Gètes et les Scythes. Sentinelles perdues de la civilisation grecque dans ces régions lointaines, ces villes eurent pendant près de dix siècles une existence laborieuse et pénible ; elles soutinrent contre la barbarie qui les assiégeait de toutes parts des luttes obstinées qu’aucun poète n’a célébrées, que n’a racontées aucun historien, mais qui n’en ont pas moins été profitables au monde hellénique. Ces Grecs de la Scythie européenne eussent mérité d’être moins oubliés ; ils ont porté la peine de leur éloignement ; quand ils visitaient les brillantes cités de l’Asie-Mineure ou de la Grèce propre, on se moquait de leur langue incorrecte, toute pleine de solécismes, toute mêlée de mots barbares[52]. C’était pourtant grâce à leur patience et à leur ténacité que le commercé grec gardait, sur toutes ces côtes, des comptoirs et des marchés dont il tirait de gros bénéfices. Il en rapportait des produits naturels, tels que les cuirs, les fourrures et les grains, en échange desquels il plaçait avec grand avantage les produits de son sol, de son industrie et de ses arts.

Les routes commerciales qui partaient de ces ports s’enfonçaient dans le continent jusqu’à des distances dont personne n’avait l’idée avant de récentes découvertes ; il est maintenant prouvé qu’un mouvement régulier d’échanges portait les monnaies grecques, et particulièrement les monnaies athéniennes, jusque sur les rivages de la Baltique ; on en a retrouvé d’assez nombreux exemplaires dans le grand duché de Posen[53]. C’est ainsi seulement, grâce a de minutieuses observations, grâce à beaucoup de petits faits que rapproche industrieusement la science moderne, que nous arrivons à deviner quelque chose de la vie intense et féconde des cités gréco-scythiques, de leur activité commerciale, des rapports qu’elles entretenaient avec les peuples du continent, de leur influence civilisatrice et de leur rôle trop méconnu. Tous ces points de contact entre le génie grec et la barbarie qui s’agitait confusément autour de lui sont situés trop loin des grands foyers lumineux, du plein jour de l’histoire et de la littérature attique ; ils se dérobent dans l’ombre, comme les Cimmériens d’Homère, enveloppés dans les humides vapeurs du nord,

ήέρι xαί νερέλη xεxαλυμμένοι.

Seules, l’archéologie, l’épigraphie, la numismatique projettent dans ces ténèbres quelques légers rayons qui, tout faibles qu’ils soient, agrandissent pour ‘historien le champ de la vision et creusent devant lui des profondeurs que ne soupçonnaient même pas ses devanciers.

Il y aurait là toute une histoire à restituer, d’après les textes anciens, malheureusement bien courts et bien incomplets, surtout d’après les inscriptions, les monnaies, les monuments de tout genre que les fouilles ne cessent de rendre au jour. Bœckh en a réuni les principaux éléments dans la savante introduction qu’il a mise en tête de l’une des parties du grand recueil épigraphique de l’Académie de Berlin[54] ; il suffirait de compléter et de contrôler ces données à l’aide des renseignements que fournissent les marbres retrouvés, les tombeaux ouverts depuis quarante ans. Un des plus curieux chapitres de cette histoire, ce serait celui où l’on essayerait de faire revivre cette importante cité d’Olbia qui avait été fondée par Milet ù l’embouchure de l’Hypanis (le Boug), sur l’estuaire où viennent se réunir aux eaux de ce fleuve celles du Borysthène ou Dniéper, non loin de la ville actuelle de Nicolaief. On suivrait cette cité dans ses premiers efforts pour entrer en rapports avec les Scythes ses voisins, dans le développement de ses relations commerciales, dans l’activité de ses échanges et la surveillance de ses pêcheries d’où le poisson salé s’expédiait en quantités énormes vers la Grèce[55], dans les luttes toujours recommençant qu’il lui fallait soutenir pour sauver sa précaire indépendance, enfin dans les démarches de sa diplomatie ; c’était par des présents offerts à propos, par le paiement d’un véritable tribut, qu’elle tentait d’enlever aux princes indigènes le désir d’attaquer des murailles qu’elle savait défendre résolument quand elle se voyait contrainte d’accepter la guerre[56]. Il vint pourtant un moment où tout fut inutile, aussi bien les habiletés d’une politique prudente que le courage et l’emportement des résistances suprêmes ; vers le milieu du premier siècle avant notre ère, un peuple qui avait pris rapidement dans cette région une grande importance, les Gètes, s’empara d’Olbia et la détruisit[57]. Elle se releva quelques années après, grâce aux secours de ses voisins ; un certain nombre de Scythes paraissent avoir concouru avec les restes des anciens habitants à en former la population nouvelle et à en reconstruire les édifices[58]. La protection des gouverneurs romains de la Mésie s’étendit bientôt sur elle comme sur les autres cités grecques du littoral ; les armes des légions l’aidèrent à repousser des attaques qui la mirent en danger[59]. Il ne semble pourtant pas qu’elle ait jamais recouvré, du temps de l’empire, toute son ancienne prospérité ; comme grand port de commerce, ce fut une autre colonie milésienne, Tomis, aujourd’hui Kustendjè, qui prit alors le premier rôle dans cette région et le garda pendant plusieurs siècles. Quand Dion Chrysostome vint, à Olbia vers l’an 90 de notre ère, cette ville avait un air de décadence qui toucha le philosophe[60]. Observateur intelligent et curieux, Dion fut frappé d’un singulier phénomène : les Olbiopolitains (c’est ainsi que se désignent eux-mêmes sur leurs monnaies les habitants d’Olbia) connaissaient très mal la littérature classique de la Grèce ; perdus dans ce canton reculé de la Scythie, loin de ces cités de l’Ionie et de l’Attique où les lettres et les arts de la Grèce avaient porté leurs plus beaux fruits et donné à l’esprit ces fêtes que le monde n’a point revues, ils n’avaient pu se tenir au courant ; la vie leur avait été trop dure ; mais presque tous savaient l’Iliade par cœur[61]. Cet Homère que leurs ancêtres avaient apporté jadis avec eux de la vieille patrie milésienne, ils ne l’avaient point oublié, ils l’avaient enseigné à leurs enfants, de génération en génération ; ils l’avaient fait apprendre à ces fils des Scythes qui, de temps en temps, avaient pénétré dans la cité mal fermée et s’y étaient fait leur place[62]. Ce qui avait empêché la tradition de l’antique épopée de périr chez eux, parmi tant de vicissitudes et d’alarmes, dans cette vie affairée et inquiète qu’ils avaient, menée pendant près de sept siècles, c’était le culte que la cité ; depuis sa fondation, avait voué à l’Achille d’Homère ; Achille était un des dieux protecteurs d’Olbia[63]. La longue levée sablonneuse qui borne les lagunes au sud de l’embouchure du Borysthène avait reçu le nom d’Achilleios Dromos, la carrière d’Achille. Le héros aux pieds légers s’y exerçait encore à la course, de même que, dans l’île de Leuke, en face des bouches du Danube, il jouissait de son immortalité au milieu des plus vaillants de ses compagnons d’armes. Époux d’Hélène, éternellement jeune et belle, il menait là une existence bienheureuse, et les navigateurs, avant de se lancer sur cette mer redoutée, s’arrêtaient pour le saluer au passage et lui demander des vents favorables[64]. Tout pleins des chants et des récits d’Homère, les premiers colons ioniens que l’esprit d’aventure jeta sur ces plages avaient voulu établir et naturaliser avec eux, dans la région où s’enfermeraient désormais leur vie et leur pensée, ces héros dont les exploits avaient enchanté leur jeunesse. Ici comme ailleurs l’imagination grecque, avec sa facile souplesse, avait eu bien vite trouvé des formes nouvelles et de nouveaux cadres pour les mythes nés dans la patrie lointaine, pour ces nobles figures poétiques qui lui offraient, la plus haute expression de ses facultés héréditaires et de son propre génie.

Du Bosphore, que les navires grecs remontaient au printemps et par où ils débouchaient en foule dans le Pont-Euxin, il y avait loin jusqu’au dernier repli septentrional de cette vaste baie au fond de laquelle s’ouvrait le port et se dressaient les remparts d’Olbia ; aussi les marins d’Athènes et des îles aimaient-ils mieux se laisser porter par les vents du sud-ouest, qui soufflent d’ordinaire dans ces parages durant les mois de mai et de juin, vers les côtes de la grande presqu’île que nous appelons aujourd’hui la Crimée[65]. Le trajet était moins long ; mais ce qui attirait surtout vers ces rivages les capitaines et, les négociants grecs, c’est qu’ils y trouvaient ; sinon un champ de production plus riche et plus étendu ; tout au moins des cités helléniques jouissant d’une indépendance moins précaire qu’Olbia plus assurées du lendemain, mieux en mesure d’assurer au commerce, avec la sécurité des transactions, tous les avantages d’un marché régulièrement approvisionné. Ces cités se divisaient en deux groupes. Le premier, au sud-ouest de la péninsule, était formé de la ville de Chersonesos et de diverses bourgades qui en dépendaient ; le second, séparé du premier par une côte montagneuse et sans ports, comprenait toute la partie orientale de la Crimée avec les villes de Theudosia et de Panticapée, ainsi que Phanagorie sur la côte asiatique du Bosphore cimmérien, maintenant le détroit d’Iénikalé ; c’était ce que les historiens modernes appellent le royaume du Bosphore, ce que les Attiques désignaient d’ordinaire par ce simple mot, le Bosphore (ό Βόσπορος)[66].

Chersonesos occupait le site même de la Sébastopol moderne. Quand elle fut fondée, on l’ignore ; tout ce que l’on sait, c’est que c’était une colonie d’Heraclea Pontica, elle-même colonie des Mégariens et des Béotiens de Tanagre. Ce qui avait déterminé les Héracléotes à s’établir en ce lieu, c’était cette admirable rade que forme l’embouchure de la rivière que l’on nomme aujourd’hui la Tchernaïa, c’étaient les anses abritées et profondes qui se creusent au sud de la grande rade dans cette côte si singulièrement découpée. Le comptoir devint bien vite une cité populeuse ; celle-ci se couvrit. contre les attaques des barbares de l’intérieur en conduisant un long retranchement dans la vallée de la Tchernaïa jusqu’au fond de ce beau port naturel de Balaklava où mouillaient les flottes française et anglaise pendant le siège de Sébastopol. A l’abri derrière ces lignes fortifiées, Chersonesos semble avoir mieux défendu qu’Olbia la pureté de son sang et de sa langue ; comme le remarque Bœckh, on y écrit encore un grec très correct dans les bas temps de l’empire romain[67]. C’était sur son marché que devaient être versés les blés de la côte occidentale et une partie de ceux des fertiles plaines du centre de la péninsule ; on ne voit pourtant pas qu’Athènes ait fait beaucoup d’affaires avec Chersonesos. C’est que celle-ci, comme le prouve la langue de ses inscriptions, était une cité dorienne ; peut-être ses principales relations étaient-elles avec sa métropole, Héraclée, ou avec Byzance, autre colonie mégarienne, autre ville dorienne. Au contraire Panticapée et les villes voisines, colonies de Milet ou de Téos[68], tenaient par là, comme les Athéniens, à la souche ionienne ; c’était un premier lien, qu’avait resserré l’habitude et un long échange de bons offices. Le Bosphore était trop loin pour qu’Athènes ait pu aspirer à le comprendre dans son empire maritime ; elle s’était bornée à occuper quelques points fortifiés sur la côte, comme cette petite ville de Nymphæon, située à quelques milles au sud de Panticapée, où les Athéniens paraissent avoir tenu garnison, peut-être depuis l’expédition de Périclès dans le Pont-Euxin en 438 jusqu’en 404. On a cru retrouver dans les débris des listes de tribut la trace de quelques autres villes tributaires de la même région, mais rien n’indique que Panticapée et Phanagorie aient jamais été assujetties à cette obligation[69]. Les princes qui gouvernaient ce groupe de cités avaient pu, sans compromettre leur indépendance, cultiver une amitié dont les témoignages les flattaient, les relevaient aux yeux de leurs sujets et des étrangers. En échange de titres et d’honneurs qui ne leur coûtaient guère, les Athéniens avaient obtenu, sur ce marché, de tels avantages, de tels privilèges qu’ils avaient tout intérêt à tirer de cet entrepôt plutôt que de tout autre les blés dont ils avaient besoin.

C’est vers le milieu du sixième siècle avant notre ère que Panticapée et Phanagorie paraissent avoir été fondées l’une par Milet, l’autre par Téos, la première sur, le rivage européen du Bosphore cimmérien, là où s’élève aujourd’hui Kertch, la seconde sur la côte asiatique, en un point où une forteresse russe conserve encore le nom antique. D’un côté comme de l’autre, des tribus scythiques habitaient l’intérieur du pays ; c’étaient, en Europe, la tribu puissante des Tauroi, d’où le nom de Chersonèse taurique que les Grecs donnèrent à la péninsule, en Asie les Dandarioi, les Sindes et d’autres peuplades belliqueuses. Pour lutter avec succès contre ces barbares, il fallut éviter ces divisions intérieures et ces luttes acharnées entre cités voisines qui ailleurs, en Sicile par exemple et dans la Grande-Grèce, furent si fatales à l’Hellénisme et servirent si bien contre lui les Carthaginois et les Samnites. Rien ne nous révèle ici ces sanglants démêlés de l’oligarchie et de la démocratie où se sont usées tant de cités grecques ; sans cesser d’avoir chacune sa vie propre, ses magistrats et sa monnaie, Panticapée et Phanagorie s’unirent de, borine heure par une étroite alliance. Dès le commencement du cinquième siècle, vers 480, nous voyons à la tête de cette confédération des chefs héréditaires appartenant à la famille des Archéanactidai, auxquels succèdent, en 437, les Spartocidai, ainsi nommés de Spartocos I qui fonda cette dynastie ; celle-ci se maintint jusqu’au temps de Mithridate VI Eupator, le grand ennemi de Rome, qui s’empara du Bosphore. Sous les Spartocides, la prospérité de la ligue Bosporitaine ne cessa de se développer ; ils y firent entrer, vers 390, Theudosia, colonie milésienne dont les ruines ont été retrouvées tout près de la ville moderne de Caffa[70]. Phanagorie, Panticapée, Theodosie, c’étaient les trois cités principales de cette ligue au temps de Démosthène ; mais elle comprenait encore plusieurs villes moins importantes, fondées soit par les Milésiens soit par les princes du Bosphore, Kepoi, Cimmerion, Hermonassa, le port Sindique, Gorgippia, etc., petits ports de pêche, échelles où l’on chargeait sur des chalands les blés du voisinage pour les transporter dans le grand entrepôt de Panticapée, où venaient les chercher les navires étrangers. Il y avait même des comptoirs grecs sur divers points des Palus Méotides, notre mer d’Azov. C’étaient Tyrambe, au nord du delta de l’Hypanis ou Kouban ; c’était Tanaïs, à l’embouchure même du fleuve de ce nom. Cette ville, qui parait s’être plus tard rendue indépendante, avait fondé des comptoirs dans l’intérieur ; sur le cours du bas Tanaïs ; nous avons conservé les noms de Naubaris et d’Exopolis. Sur la côte asiatique, au milieu du quatrième siècle, la suprématie des princes du Bosphore parait s’être étendue assez loin dans l’intérieur et tout le long de la côte que dominent les prolongements septentrionaux du Caucase ; mais en Europe, sous les Spartocides du moins, Theudosia restait la limite occidentale de leur territoire. Des lignes fortifiées, dont on a relevé les traces, protégeaient contre l’humeur turbulente des Taures d’une part cette ville même et sa banlieue, d’autre part cette presqu’île qu’un isthme d’environ dix-huit kilomètres rattache à la Crimée orientale. Ce district, que les anciens nommaient la Chersonèse Tracheia, formait le domaine propre de Panticapée, et était surtout couvert par d’importants ouvrages. On donnait, dit Strabon, le nom de Bosporanoi à l’ensemble des habitants des villes et bourgades qui dépendaient de ces princes du Bosphore[71].

A propos de ce petit état grec et de son histoire, combien de questions qu’il est plus facile de poser que de résoudre ! Ces princes qui, dans un poste d’avant-garde, défendirent avec tant d’énergie et de succès, pendant plusieurs siècles, les intérêts de la civilisation hellénique, quelle était leur origine, quelle était au juste la nature de leur pouvoir et comment se conciliait-t-il avec ces habitudes républicaines que paraissent avoir gardées les cités du Bosphore ? A quelle race appartenaient ces populations dites scythiques que les princes du Bosphore, sur la côte d’Europe comme sur la côte d’Asie, ont contenues d’un bras si ferme et qu’ils ont fait travailler à leur profit et à celui de la Grèce, les unes comme sujettes, les autres comme alliées et clientes ? Dans quelle mesure Grecs et barbares avaient-ils ici mêlé leur sang, comme à Olbia ; quels emprunts les Scythes de l’intérieur, dans un contact si prolongé, avaient-ils faits à cette civilisation supérieure, et, d’autre part, dans quelle mesure les Grecs des villes, sans cesse appelés par leurs affaires à résider au milieu des indigènes, avaient-ils subi l’influence de ces laboureurs, de ces pêcheurs, de ces mariniers, de tout ce peuple qu’ils dirigeaient et qu’ils exploitaient, de ces soldats barbares qui devaient former le gros de l’armée des princes du Bosphore ?

Comme l’indique la forme même de leur nom, les Archéanactides, étaient des Grecs ; on est fondé à se les représenter comme une vieille famille dans le sein de laquelle était pris le premier magistrat de la confédération ; l’histoire d’Athènes, de Corinthe et de bien d’autres villes grecques nous fournit des exemples analogues pour la période qui précède l’établissement du gouvernement populaire. Bœckh a mis en lumière un texte qui témoigne de la part qu’une bande d’émigrés mityléniens aurait prise à la colonisation du Bosphore[72]. Il a rappelé le nom d’Archæanax que portait le Lesbien par qui fut fondée la ville de Sigée, à l’entrée de l’Hellespont[73], il a encore groupé quelques autres légers indices, et il en a conclu que les Archæanactides étaient d’origine éolienne[74]. Quoi qu’il en soit de cette conjecture, tout ce que nous en savons se réduit à une brève mention de Diodore. Il n’est pas vraisemblable qu’ils aient porté le titre de roi, qui n’existait au sixième ni au cinquième siècle dans aucune cité ionienne leur titre officiel était sans doute celui d’archonte du Bosphore (άρχων τοΰ Βοσπόρου) que nous voyons se perpétuer, sous les deux dynasties suivantes, jusqu’à l’époque romaine[75].

Quant aux Spartocides ou Leuconides, comme on les appelle tantôt d’après le fondateur de cette dynastie, tantôt d’après le plus connu de ces princes, d’après celui que nomment le plus souvent les orateurs athéniens, j’inclinerais à croire qu’ils ne sont pas de race grecque. Bœckh a déjà remarqué le caractère thrace de plusieurs dès noms qui se répètent dans la liste des princes de cette famille, Spartocos et Pærisadès par exemple[76]. Il y a, si je ne me trompe, quelque chose d’encore plus significatif. On sait quelle était, aux yeux des Grecs, la valeur des couronnes remportées dans les grands jeux de la Grèce, combien les couronnes olympiques ou pythiques ajoutaient à la réputation et au prestige de la famille ou du prince qui réussissait à les remporter ; on sait avec quelle passion les tyrans de Cyrène et de Syracuse, comme plus tard les rois de Macédoine, désirèrent et poursuivirent ces triomphes qui les relevaient aux veux de leurs sujets et répandaient leur gloire dans tout le monde grec. Les princes du Bosphore, nous le verrons, paraissent avoir été très sensibles aux honneurs que leur décernèrent les Athéniens et d’autres cités grecques[77] ; mais, alors même que leurs relations furent le plus étroites avec la Grèce, nous ne voyons pas qu’aucun d’entre eux ait eu l’idée de faire courir en son propre nom des chars à Olympie, comme l’avaient fait les Arcésilas, les Hiéron, les Denys et les Philippe. Ce n’est point que la dépense les eût effrayés ; le luxe des tombes royales que l’on a découvertes prés de Panticapée suffit à nous donner une haute idée de leur richesse. La vraie raison, c’est qu’ils eussent été repoussés comme barbares. Il n’est d’ailleurs pas impossible de s’expliquer comment un Spartocos, Thrace de naissance, sera devenu le chef d’un groupe de cités grecques. Les citoyens de Phanagorie, de Panticapée et des petites villes voisines ne pouvaient former à eux seuls l’armée qui servait à lutter sans cesse contre ces tribus plus ou moins sauvages par lesquelles on était enveloppé et pressé de toutes parts ; ils étaient trop peu nombreux et trop occupés de leurs affaires. Pour soulager les citoyens, pour garnir toutes les lignes, toutes les forteresses qui couvraient un territoire toujours menacé par les brusques et capricieux assauts de la barbarie, pour avoir en tout temps des forces disponibles à jeter, aussitôt l’alarme donnée, sur tous les points attaqués, il avait fallu enrôler des mercenaires ; par l’appât d’une haute paie dont le poids ne pesait pas lourd au commerce florissant du Bosphore, on avait attiré, on avait retenu des hommes énergiques, de toute race et de toute langue ; il n’en manquait point des vallées du Caucase aux forêts de la Thrace. Spartocos doit être un condottiere thrace que ses talents de général, son prestige et la confiance des troupes auront désigné, dans un moment de péril, comme seul capable de sauver l’état[78] ; il aura peut-être été porté au pouvoir par un coup de main militaire, mais lui et ses successeurs s’y seront maintenus par les égards qu’ils témoignèrent à la population grecque et les services qu’ils ne cessèrent point de rendre pendant plus de trois siècles.

Ces égards, ces ménagements habiles, nous en avons une preuve frappante : tout absolue que fût sans doute l’autorité de ceux auxquels obéissait l’armée, ces princes, dans leurs rapports avec les Grecs leurs sujets, se contentèrent toujours du titre antique et républicain d’archontes ; ils affectèrent de ne revendiquer le titre et le pouvoir royal que comme maîtres des tribus barbares qu’ils avaient, par une longue suite de guerres, soumises à leur suprématie. Dans le discours contre Leptine[79], Démosthène mentionne ce Leucon auquel les Athéniens avaient rendu de si grands honneurs et auquel ils n’auraient point marchandé le titre royal s’il lui avait plu de s’en parer ; or il l’appelle seulement l’archonte du Bosphore. C’était là le terme officiel et consacré, comme nous le prouve une formule qui revient plusieurs fois, avec de légères variantes, dans les inscriptions de Phanagorie. Il s’agit d’indiquer la date d’un monument ou d’une offrande votive, et voici comment elle est inscrite sur le marbre : Parisadès fils de Leucon étant archonte du Bosphore et de Théodosie et régnant sur les Sindes, les Torètes et les Dandariens[80]. C’est vers la fin du troisième siècle avant notre ère que les Spartocides commencent à mettre leur nom avec le titre de roi sur les monnaies frappées dans le Bosphore ; jusque-là les pièces sorties des ateliers de ces villes n’avaient porté que le nom même de ces cités avec les emblèmes propres à chacune d’elles[81]. Il nous est difficile de dire jusqu’à quel point la réalité correspondait à ces apparences. Le prince résidait à Panticapée, où ses gardes l’entouraient[82]. Sous les yeux de ce prince et sous la main de ses mercenaires, il ne devait guère rester de place pour la liberté politique et pour les discussions de l’agora ; si le nom de certaines magistratures républicaines se perpétuait, ce que ne nous apprennent point les inscriptions, les titulaires en devaient être réduits à des fonctions de simple police et d’administration municipale. Lisez le récit, que nous fait Diodore, de la guerre qui s’engagea entre les fils de Pærisadès, l’histoire des meurtres par lesquels Eumelos, en 309, se débarrassa de tous ses compétiteurs au trône ; vous y verrez ce prince assemblant sur la place publique les citoyens de Panticapée et leur adressant une harangue pour se justifier ; il leur explique sa conduite, il leur promet de leur rendre la constitution sous laquelle avaient vécu leurs pères ; il leur fait remise des impôts qui avaient été établis dans ces derniers temps ; désormais, leur déclare-t-il, ils seraient affranchis de toute contribution comme l’avaient été leurs ancêtres[83]. Diodore ajoute qu’il tint ses promesses et depuis lors gouverna conformément aux lois. Nous ne sommes point en mesure de vérifier l’exactitude de ces assertions ; il est possible que les exemptions de taxe aient été maintenues, mais il semble bien douteux que la liberté politique ait refleuri à Panticapée et qu’Eumelos ait été moins absolu que ses prédécesseurs. Une inscription qui doit dater du règne de son père nous montre ces princes exerçant souverainement un droit qui dans toute cité libre appartient au sénat et au peuple, celui de conférer la proxénie et les privilèges qui s’y rattachent ainsi que certains avantages commerciaux[84]. Il en est de même pour les conventions conclues entre Athènes et les princes du Bosphore ; c’est à la bonne volonté de Leucon et à ses sympathies pour Athènes que Démosthène en attribue tout le mérite[85]. Tout ce que l’on peut dire, c’est que ces princes s’attachèrent à sauver les apparences, qu’ils ménagèrent l’amour-propre de, leurs sujets des cités grecques et conquirent leur reconnaissance et leur affection. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’éloge que leur accorde Strabon : On les appelait tyrans, dit-il, quoique la plupart d’entre eux aient gouverné avec douceur[86]. Pærisadès même avait été assez populaire et assez aimé pour recevoir après sa mort les honneurs divins[87].

Quelles limites atteignit le royaume du Bosphore en pays scythe, c’est ce que ne nous apprend aucun historien. En Europe, il est difficile de dire pourquoi les Spartocides ne semblent point avoir cherché a soumettre les Taures ; ils leur avaient laissé, au moins pour toute la période qui nous occupe, et le pays montueux qui forme la côte méridionale de la Crimée, et les plaines fertiles du centre et de l’est ; peut-être ce peuple était-il plus belliqueux et mieux armé que les tribus asiatiques. Quoi qu’il en soit, de ce côté, ces princes paraissent s’être contentes de la Chersonèse Trachée, couverte par ses fossés et ses remparts ; Theudosia et sa banlieue étaient le seul point qu’ils possédassent en dehors de cette frontière[88]. Au contraire, de l’autre côté du détroit, ils s’étendirent vers le nord, vers l’est et vers le sud. La première tribu scythe qu’ils aient subjuguée, ce sont ces Sindes qui avaient donné leur nom à la péninsule appelée aujourd’hui presqu’île de Taman et alors Sindike, avec ses terrains humides et ses lagunes poissonneuses[89]. Parmi les autres tribus qui, de proche en proche, furent soumises à cette même suprématie par ces princes énergiques et ambitieux, les. inscriptions mentionnent encore les Dandaroi, les Toretai[90], et les Thatéens[91] ; d’autres fois elles emploient cette expression collective : tous les Maïtai, c’est-à-dire toutes les peuplades barbares qui habitent les rivages asiatiques des Palus-Méotides[92]. Les Dandariens et les Torètes sont placés par Bœckh et par Kiepert au sud de l’Hypanis ou Kouban, sur la côte montueuse du Pont-Euxin ; les Thatéens paraissent à Bœckh avoir été une des tribus habitant entre l’embouchure du Kouban et celle du Tanaïs ou Don, l’une de celles que désignait le terme générique de Maïtai ou Maiotai. Elle aurait été mentionnée, dans le texte où elle figure, à titre de conquête récente, pour relever la gloire de Pærisadés I[93]. Sur la côte asiatique de la mer d’Azov et de la mer Noire, les princes du Bosphore avaient donc subordonné à leur autorité de vastes espaces qui répondent, à peu de chose près, au territoire actuel des Cosaques d’Azov et à la côte du pays des Tcherkesses. Les tribus qu’ils avaient ainsi rattachées à leur état du Bosphore conservaient d’ailleurs leurs chefs nationaux, ce qui conduit les princes de la dynastie qui succède aux Spartocides à prendre sur leurs monnaies le titre de roi des rois[94]. Ces chefs se révoltaient souvent ou cherchaient a reconquérir leur indépendance en se mêlant aux luttes de famille de leurs maîtres, en prenant parti pour tel ou fiel des princes qui se disputaient le trône du Bosphore[95]. Suivant que les guerres civiles avaient été plus ou moins prolongées, suivant que le souverain qui régnait à Panticapée était plus ou moins énergique et habile, les limites du royaume des Spartocides s’étendaient ou se resserraient ; pour mieux dire, suivant les temps et les princes, une suprématie qui, par moments, était purement nominale se changeait en une autorité vraiment respectée, vraiment obéie. La principale marque de sujétion, ce devait être, pour tous ces chefs barbares, le paiement d’un tribut qui s’évaluait et se versait en nature ; chaque tributaire devait livrer aux agents du roi tant de milliers de médimnes de blé. En cas de guerre, il avait aussi à fournir son contingent de troupes auxiliaires. Les Spartocides avaient sans doute mis à profit, pour mieux asseoir leur influence, les jalousies de ces différents peuples ; ils avaient su les combattre et les user les uns par les autres. Afin de mieux tenir en bride ces populations turbulentes, les Spartocides, à ce qu’il semble, avaient l’habitude de placer leurs provinces d’Asie sous la surveillance d’un membre de leur famille, qui jouait là le rôle d’une sorte de vice-roi et, quand il n’était pas en campagne contre les Sindes, les Maiotai ou autres Scythes, devait résider à Phanagorie, la seconde ville de l’empire[96].

A quelle race appartenaient ces tribus voisines des Palus-Mæotides et du Bosphore cimmérien, que les Grecs réunissaient sous ce nom générique et vague des Scythes ? Ces peuples parlaient des langues qui n’ont point laissé de monuments écrits ; jamais ils n’ont eu un art national qui ait reproduit et perpétué leur type physique ou traduit leurs idées religieuses et morales ; enfin les historiens grecs les plus curieux mêmes et les plus exacts, comme Hérodote et Strabon, se sont bornés à signaler certains traits de mœurs qui sont moins spéciaux à telle race humaine que propres au milieu où ces peuples étaient appelés à vivre et à l’état social qu’ils n’avaient point dépassé. La question est donc difficile et ne comporte peut-être pas une réponse de tout point certaine ; tout au moins la critique moderne a-t-elle réuni les éléments d’une solution qui parait présenter un haut degré de vraisemblance.

En pareil cas, c’est la langue qui nous fournit encore les plus sûrs indices. Or, comme l’avait déjà entrevu Bœckh et comme l’ont prouvé les travaux de MM. Bergmann et Müllenhoff, c’est par l’étude des racines et des procédés de dérivation propres à la famille des langues aryennes que s’expliquent la plupart des mots que les anciens nous donnent comme appartenant à la langue scythique et surtout les noms propres, que l’on a relevés en très grand nombre dans les auteurs et dans les inscriptions[97]. Il est possible que des tribus d’origine et de langue touraniennes aient été comprises par les Grecs sous ce titre vague de Scythes ; mais pour ce qui est des Scythes d’Hérodote, de, ceux qui habitaient, dans le voisinage des établissements grecs, les côtes du Pont-Euxin et des Palus-Méotides, ils paraissent tous, qu’on les appelle Scythes, Sarmates, Maiotai ou de tout autre nom de tribu, avoir appartenu à la grande race aryenne. C’étaient donc, malgré tant d’apparentes différences de langue, d’usages et de civilisation, de proches parents des Grecs, et cette parenté originelle contribua peut-être, sans que Grecs ni barbares en eussent conscience, à rendre faciles et fréquentes les relations entre Hellènes et Scythes.

Le témoignage des monuments figurés, quoique moins clair à certains égards et moins affirmatif, ne contredit point ces données ; il les confirme tout au contraire dans une certaine mesure. Il n’y a point, avons-nous dit, d’art scythe ; mais nous devons aux archéologues russes la connaissance de monuments qui ont été exécutés par des artistes grecs pour les souverains du Bosphore ou même pour des princes scythes. Dans plusieurs d’entre eux, l’artiste, d’une main sûre et ferme, a représenté des Scythes avec leurs traits caractéristiques et leur costume national[98]. Or ces traits n’ont rien qui rappelle ce type de la race mongole à laquelle certains historiens avaient prétendu rattacher les Scythes. Ni les pommettes ne sont saillantes, ni les yeux petits et bridés, ni le nez épaté ; celui-ci rappellerait plutôt le profil des Perses sur les monuments de Persépolis. Vous ne trouvez pas non plus ici cette pauvreté du système pileux qui distingue la race mongole : si les jeunes gens sont imberbes, les hommes faits ont, avec d’épais sourcils, des barbes longues et fournies. Quant au costume, avec de légères différences qui tiennent surtout à des détails d’exécution, il est partout le même, et voici les observations qu’il suggère à l’érudit qui a décrit les premiers monuments de cette série : Ce qui frappe à première vue dans les figures de ce beau vase, c’est la ressemblance du type avec celui du peuple des campagnes dans la Grande Russie. La tunique courte, en gros drap ou en peau, suivant la saison, serrée à la taille par une ceinture, les pantalons larges descendant dans une botte courte, la barbe et les cheveux longs, le tout constituant un de ces costumes si appropriés au climat que les siècles n’ont pu le changer, et qu’il est arrivé jusqu’à nos jours avec sa simplicité primitive[99].

Comme en témoigne Hérodote, entre toutes les tribus qui habitaient la Russie méridionale et qui se trouvaient, soit soumises aux princes du Bosphore, soit en contact avec ses sujets et avec les marchands grecs établis dans les comptoirs semés sur les côtes et aux embouchures des fleuves, il y avait de sensibles différences de dialecte et de mœurs[100] ; certains de ces peuples étaient nomades et ne vivaient que de la chasse ou de l’élève du bétail, du lait et de la chair de leurs troupeaux[101] ; mais d’autres, ceux qu’il appelle les Scythes laboureurs, tiraient parti de la fertilité de cette vaste plaine pour faire croître du blé avec l’intention de l’exporter, de le vendre sur la côte[102]. Grâce à ces échanges, l’influence de cités comme Olbia et Chersonesos, surtout d’un état grec tel que celui du Bosphore, maître des côtes européennes et asiatiques des Palus-Mæotides, s’étendait très loin à l’intérieur, bien au-delà de l’étroit territoire soumis à la colonie hellénique, au-delà même des plus lointains parages où les Spartocides, sous les règnes les plus brillants, aient entrepris de porter leurs armes et de faire prévaloir leur ascendant. En retour des céréales et autres matières premières qu’ils envoyaient sur les marchés de l’Euxin, les rois barbares en faisaient venir, pour orner leurs résidences et décorer leurs festins, des chefs-d’œuvre de la toreutique et de l’orfèvrerie grecque qui les suivaient ensuite dans leur demeure dernière. Bien loin du littoral, dans le gouvernement d’Ekatérinoslav, région qui paraît répondre à celle qu’Hérodote appelle le pays des Gerrhes et où il place les sépulcres des rois, on a retrouvé l’une de ces tombes royales dont l’historien nous a laissé une si curieuse description. Il n’y a point à s’y méprendre. C’est bien le procédé de construction indiqué par Hérodote. Point de caveau en pierre autour et au-dessus des restés humains que renferme le sol ; les cadavres et les objets qui les accompagnaient, le trésor du mort, n’étaient recouverts que de poutres appuyées sur des montants de bois ; ce plafond a cédé quand, à la longue, le bois s’est pourri, et les terres ont alors rempli la chambre. Or, là où celle-ci existait autrefois, sous le tertre, on a recueilli des bijoux et des vases travaillés au repoussé, dont l’origine grecque ne saurait être contestée. Ces objets, ainsi que ceux qui ont été découverts dans la Chersonèse taurique, provenaient-ils d’Athènes même, ou étaient-ils fabriqués dans les villes de la côte ? Il est difficile de le dire. Le fréquent retour de certains symboles, tels que les animaux réels ou fabuleux qui servent d’emblème aux villes grecques du Pont-Euxin, surtout ces figures de Scythes avec leur type et leur costume national, suggèrent l’idée d’une fabrication dont le centre aurait été à Panticapée ; d’autre part, le grand style de ces vases et bijoux fait songer à Athènes, et l’on se demande si les plus beaux de ces objets n’auraient pas été commandés à Athènes même, pour le compte de ces princes barbares, par les correspondants qu’ils avaient dans les villes da littoral. C’est ainsi que, de notre temps, plus d’un prince d’Orient, qui n’est guère au fond plus civilisé que ne l’étaient ces rois scythes, tire de Paris ses meubles, ses voitures et ses bijoux. Ce qui me ferait croire plutôt à des artistes athéniens établis dans le Bosphore, c’est que la matière employée dans les objets trouvés en Chersonèse et en Scythie, est souvent l’électrum, ou l’or pâle de l’Oural, alliage naturel dont ne semblent point s’être servis, à Athènes même, les orfèvres grecs. Avec les fortunes qu’y créait le commerce, avec les débouchés qu’y promettait ce goût des Scythes pour les produits de l’art grec, Panticapée pouvait attirer et largement rémunérer le talent de modeleurs et de ciseleurs athéniens. Leurs ateliers ne chômeraient point ; ils trouveraient une clientèle assurée dans les riches marchands du Bosphore et dans ses souverains opulents, non moins que parmi tous ces chefs barbares qui prétendaient, en s’entourant de ce luxe exotique, accroître leur prestige et se relever aux yeux de leurs sujets.

Pour ce qui est du royaume du Bosphore, en quelque endroit qu’on y fouille la terre, sur la rive asiatique du détroit comme autour de Kertch, dans les tombes des particuliers comme dans celles des princes, c’est toujours les œuvres variées de la céramique et de l’orfèvrerie grecque que l’on y retrouve partout où l’on rencontre des vestiges du passé, et, par leur style, la plupart de ces objets paraissent appartenir au quatrième et au troisième siècle, c’est-à-dire à l’époque où les relations commerciales entre Athènes et le royaume du Bosphore furent le plus actives et le plus étroites. Ces rapports, les historiens auraient oublié de nous les attester que nous en saisirions la trace et le témoignage jusque dans les débris de poteries que livrent en grande quantité les sépultures de la Chersonèse. Ainsi les ouvrages céramiques rehaussés de dorures étaient comme une spécialité de l’art athénien. Or on retrouve à Panticapée et dans les environs beaucoup de vases de ce genre. Otto Iahn, qui, en 1865, dressait le catalogue des vases ainsi décorés, en connaissait dix-neuf provenant des fouilles de Kertch, tandis que l’on n’en avait encore signalé que dix recueillis dans l’Attique même[103].

Les plus beaux des monuments trouvés dans ce district pro-viennent d’ailleurs des tombes royales de la dynastie des Spartocides. Celles-ci, comme nous l’apprenait déjà Diodore (XX, 24), étaient situées prés de Panticapée, ainsi que le palais héréditaire de ces princes. Du palais, qui a du fournir aux générations postérieures des matériaux de construction, l’emplacement même n’a pas été reconnu ; mais les sépultures, protégées par les tertres épais qui les recouvraient, se sont conservées intactes jusqu’à nos jours, plusieurs du moins d’entre elles. Comme le dit Charles Lenormant dans son intéressant Mémoire sur les antiquités du Bosphore cimmérien, c’est un émigré français, Paul Dubrux, qui à été le Fauvel des villes grecques du Bosphore cimmérien[104]. Un emploi qu’il devait au gouvernement russe l’avait conduit, vers le commencement de ce siècle à s’établir en Crimée. Aucune éducation scientifique ne l’avait préparé aux recherches archéologiques ; mais, à force d’ardeur et de sagacité, il suppléa aux lacunes de son instruction première ; il étudia le terrain pendant de longues années, et ce fut lui qui signala aux gouverneurs de la province et aux archéologues russes la plupart des points où ont été faites depuis lors d’importantes découvertes[105]. Ces tombes qu’il a le premier devinées aux flancs des collines qui dominent Kertch sont d’ailleurs d’une construction bien plus savante que celle des kourgans ou tertres funéraires de la Russie continentale. Ce ne sont plus seulement ici des amas de terre sous lesquels on trouve, parmi maintes traces de rites sauvages, quelques objets d’origine étrangère, représentants d’une civilisation supérieure, qui sont venus ainsi comme s’égarer en pleine barbarie ; dans le Bosphore, tout est en harmonie, la tombe elle-même et les trésors qu’elle renferme. Dans le mamelon artificiel qui signalait et cachait la sépulture, un caveau tout de pierres soigneusement ajustées conservait encore, après tant de siècles, les squelettes qui lui avaient été confiés, avec les vases, les armes, les bijoux, avec tout le riche appareil funéraire dont le mort avait été jadis entouré par la piété des siens. La voûte, qui presque partout a résisté, est formée par des rangs d’assises qui font escalier et se rapprochent insensiblement, à mesure qu’ils s’élèvent, de sorte qu’ils arrivent à dessiner, par cette suite d’encorbellements, comme un moule de pyramide. On a retrouvé, dans les environs de Kertch, plusieurs sépultures de ce genre ; mais plusieurs avaient été violées à une époque inconnue, et si dans toutes on trouvait des dispositions analogues, aucune n’a livré le même butin et offert à l’étude les mêmes avantages que celle du Koul-Oba, ouverte en 1831 par Dubrux. C’est la tombe où l’on a relevé, entourés des débris de leur cercueil presque réduit en poussière et des plaques d’or dont jadis étaient couverts leurs vêtements, le squelette d’un roi de taille gigantesque, celui d’une femme d’assez petite stature, et les os d’un cheval. Le diadème, formé de deux pièces, qui entourait encore le crâne, ne permettait point de méconnaître ici un sépulcre royal[106].

Quel est le prince dont le dernier repos a été ainsi troublé par la curiosité de nos contemporains ? Aucune inscription ne fournit le moyen de le reconnaître, et quand les archéologues russes parlent de Pærisadès, de Satyros ou de Leucon, ils n’ont aucune raison pour mettre en avant ces noms plutôt que d’autres. Quant au style des vases et ornements de métal, de bois peint ou d’argile cuite qui ont été trouvés dans cette sépulture du Koul-Oba et dans d’autres tombes, ils n’offrent pas non plus un critérium bien certain ; il est tel de ces objets dans lequel les archéologues russes sont disposés à voir un ouvrage du siècle de Phidias, tandis que Boulé inclinerait 1 le faire descendre jusqu’au temps des successeurs d’Alexandre. Prenons une moyenne entre ces deux évaluations, et nous arriverons à l’époque que nous savons d’autre part avoir été celle des plus étroits rapports entre Athènes et les princes du Bosphore, le quatrième siècle et le commencement du troisième.

Sans toucher à aucune des difficultés que l’histoire des Spartocides présente à qui entreprend de rétablir la série complète de ces princes, nous devons mentionner tout au moins ceux dont les relations avec Athènes sont attestées soit par les orateurs, soit par les inscriptions. C’est en 438 que Spartocos commence cette lignée de souverains auxquels nous attribuerions volontiers une origine thrace ; après lui on s’accorde à placer un Seleucos et un Spartocos II sur lesquels nous n’avons aucun détail. De 407 à 393 règne Satyros, le premier de ces princes dont le nom se trouve cité chez les orateurs ; mais sa réputation est surpassée par celle. de son fils Leucon qui garda le pouvoir pendant quarante ans, jusqu’en 353. Spartocos III ne fait que passer ; mais Pærisadès I gouverne le Bosphore de 348 à 310. Après une guerre civile où périssent en peu de mois les deux fils aînés de Pærisadès, Satyros II et Prytanis, Eumelos occupe le trône avec éclat pendant cinq ans, et a pour successeur Spartocos IV, qui meurt en 284. Sur les princes de la même famille qui se succèdent ensuite pendant 190 ans, nous ne savons rien, hors quelques noms qui flottent un peu au hasard dans ce vaste espace de temps. La race royale de Spartocos et de Pærisadès avait sans doute dégénéré ; elle se sentait trop faible pour cette lutte perpétuelle contre les barbares, pour ces combats au prix desquels ses ancêtres avaient fondé le royaume du Bosphore. Vers l’an 94 avant notre ère, un dernier Pærisadès, humilié de la lourdeur des tributs qu’il payait aux barbares, céda sa couronne à Mithridate Eupator, le célèbre adversaire de Sylla, de Lucullus et de Pompée[107].

— IV —

Dès la fin du cinquième siècle, il existait déjà entre Athènes et les cités du Bosphore un actif mouvement d’échanges, et les Athéniens étaient sûrs d’un bon accueil à Panticapée et dans les villes voisines. Au moment des grands désastres d’Athènes, d’Ægos Potamos, du siège et de la capitulation, bon nombre d’Athéniens trouvèrent un refuge sur cette terre lointaine et y attendirent en paix de meilleurs jours. Nous le savons d’un client de Lysias, Mantitheos ; bien d’autres citoyens durent profiter du même asile[108]. Quant au poste fortifié de Nymphaion, le gouverneur athénien Gylon en fit cession à Satyres ; Eschine l’accuse à ce propos de trahison[109] ; mais dans l’état où étaient alors les affaires d’Athènes, le mieux n’était-il pas de remettre entre des mains amies un dépôt que l’on ne pouvait plus garder ? Athènes en effet n’avait plus de marine militaire ; pour garantir, son commerce dans ces parages reculés où, de longtemps, ne pourraient plus paraître ses trirèmes, elle devait compter surtout sur une communauté d’intérêts qu’elle saurait exploiter, sur le prestige de son nom et les sympathies qu’éveilleraient tant de malheurs après tant de gloire et de puissance. Par les fugitifs partout répandus, on apprit d’abord les duretés de Lysandre et la tyrannie des Trente, et l’on s’apitoya sur cette ruine et sur ces meurtres ; bientôt, par les premiers navires qui arrivèrent dans l’été de 403, on sut la démocratie rétablie, grâce à Thrasybule et à ses compagnons, presque sans effusion de sang, et le serment d’amnistie plus religieusement observé qu’on n’aurait pu l’espérer après tous les crimes de l’oligarchie. Quand Athènes, favorisée par l’opinion publique de toute la Grèce qui s’effrayait de la puissance spartiate, eut ainsi repris possession d’elle-même, le Pirée vit promptement revenir tous ces négociants étrangers, tous ces capitaux, tous ces navires qui avaient jadis fait sa prospérité. Alors les hommes d’état qui dirigeaient avec bon sens et fermeté la politique de la cité s’occupèrent de lui refaire des alliances, et l’une des premières ambassades envoyées dut prendre la route du Bosphore cimmérien. Les actes ne nous en sont pas parvenus, comme ceux d’autres missions diplomatiques que mentionnent les historiens ou qui nous sont connues par les marbres[110] ; mais nous voyons, par le Trapézitique d’Isocrate, prononcé vers 393, que dès les premières années du quatrième siècle, les rapports étaient déjà très amicaux entre Athènes et Satyros, le souverain du Bosphore[111]. Ils deviennent encore plus intimes et plus cordiaux pendant le cours du long règne de Leucon.

Conon avait eu l’habileté de faire servir les escadres et l’argent du grand roi à détruire la flotte spartiate et à relever les fortifications du Pirée et les Longs murs qui le joignaient à la ville (394-3). Ainsi mise à l’abri d’un coup de main, favorisée d’ailleurs par les malheurs de Corinthe qu’Agésilas tint comme, assiégée pendant plusieurs années, Athènes avait commencé à se donner une nouvelle marine de guerre, à remplir ses arsenaux, à protéger le commerce contre les pirates pour en attirer la meilleure part dans les bassins du Pirée ; mais, malgré la rapidité de cette sorte de résurrection, elle ne pouvait encore espérer redevenir ce qu’elle avait été autrefois, la reine de nombreuses cités tributaires ; pour achever ses pompeux édifices et payer le luxe de ses fêtes, pour entretenir son état militaire et maritime, elle ne pouvait plus compter sur les contributions annuelles des villes alliées ou plutôt sujettes. Comme un grand seigneur qui, sous peine de déchéance, ne peut se réduire au train d’une vie bourgeoise, il lui fallait tenir son rang, offrir aux étrangers les spectacles qu’ils étaient accoutumés à y trouver, et faire face à ces dépenses avec un budget des recettes réduit d’environ 1.200 talents (à peu près 6.675.000 francs). Pour combler ce déficit, elle ne pouvait compter que sur le développement de son industrie et de son commerce. Plus serait actif le mouvement d’échanges qui s’opérait au Pirée, et plus croîtrait le revenu considérable que la cité tirait des impôts indirects tels que le droit du cinquantième perçu à l’entrée et à la sortie sur toutes les marchandises, tels que les taxes des marchés et le droit d’ancrage que paraissent avoir acquitté tous les navires qui entraient au port ; plus aussi s’accroîtrait le capital national, l’ensemble de ces fortunes privées qu’en cas de guerre ou d’autres dépenses extraordinaires l’état atteignait par l’impôt direct (είσφορά).

Quand Athènes était maîtresse de toutes les mers et qu’elle avait en main, si l’on peut ainsi parler, les clefs de toutes les villes maritimes du monde hellénique, elle avait pu, dans toute l’étendue de son empire, régler et trancher à son gré, par décret, toutes les questions de trafic, ménager d’importants avantages à ses armateurs et à ses négociants, se garantir contre toute concurrence et s’emparer d’une sorte de monopole. Il en était autrement depuis que, par sa faute, elle avait perdu cette suprématie ; elle avait à suppléer par sa diplomatie au déclin de son pouvoir. Elle ne pouvait se contenter d’alliances purement politiques comme celles qui auraient suffi à Sparte ou à Thèbes ; il lui fallait encore des conventions qui eussent pour effet de faciliter ses approvisionnements, d’assurer des débouchés à son industrie et de protéger sa marine marchande. Sans donner à ces actes internationaux, comme le font les modernes, un nom spécial qui les distingue, elle avait donc conclu de vrais traités de commerce. C’est par accident que nous en apprenons l’existence ; les historiens n’en font même pas mention, et les hommes d’état qui les ont négociés au nom de la cité demeurent inconnus ; pourtant ces conventions eurent pour Athènes une plus réelle importance, lui rendirent des services plus utiles et plus durables que telle paix célèbre qui, longuement débattue à la tribune par ses premiers orateurs, régla ses relations avec la Perse, avec Thèbes ou avec Sparte.

Les marbres ne nous ont conservé qu’une de ces conventions, et elle n’a point trait au genre de denrées qui nous occupe ici ; il nous suffira donc de la signaler en passant comme un unique et curieux échantillon de toute une catégorie d’actes diplomatiques d’un caractère particulier. Nous voulons parler de la convention conclue entre Athènes et les trois villes principales de l’île de Céos, Carthæa, Koresos et Ioulis[112] ; les trois cités assurent à Athènes le monopole de l’exportation du vermillon que l’île produisait en grande quantité et qui était, fort estimé. L’industrie athénienne, ses fabricants de vases, de meubles et d’armes de luxe, d’instruments de musique, de toute sorte d’objets partout recherchés, faisaient, paraît-il, un grand usage de cette substance colorante et ils avaient tout intérêt à la tirer d’une île si voisine au lieu d’être obligés d’aller chercher bien loin et de payer beaucoup plus cher le vermillon de Lemnos ou de la Cappadoce[113]. La convention frappe de la peine de la confiscation le bateau qui essayerait de faire la contrebande, ainsi que sa cargaison ; elle offre des primes à ceux qui dénonceraient les fraudeurs ; elle règle le prix du fret entre Céos et le Pirée ; elle stipule que les exportateurs n’auront rien à payer à Céos, mais qu’ils acquitteront au Pirée le droit ordinaire du cinquantième. Les contestations relatives à l’exécution de ces clauses pourront être portées en appel, du tribunal des magistrats de Céos, devant le jury d’Athènes. L’acte qui nous est parvenu parait à M. Kœhler, d’après l’orthographe et la forme des lettres, appartenir au milieu du quatrième siècle, c’est-à-dire à la période même qui nous occupe ; mais il se réfère à des conventions antérieures qu’il confirme et qu’il renouvelle[114].

C’est seulement par les orateurs que nous sont connus des traités qui eurent bien plus d’importance encore pour Athènes, ceux qui la rattachaient aux princes du Bosphore cimmérien et qui :concernaient l’importation de leurs blés. Le discours de Démosthène contre la loi de Leptine nous a conservé les principales stipulations des actes diplomatiques par lesquels avaient été établis et se maintenaient ces rapports (§ 29-40). Leukon, le successeur de Satyres, avait reçu, pour lui et ses enfants, outre certains privilèges honorifiques que l’on voit souvent énumérés. dans lés inscriptions dites décrets de proxénie, l’άτελεία, c’est-à-dire le droit de bourgeoisie athénienne sans les charges qu’il comportait, sans l’obligation de supporter les liturgies ou services publics tels que la chorégie ou la gymnasiarchie. Il était aussi dispensé de payer à Athènes aucun droit de douane, à l’entrée ou à la sortie, pour tout ce qu’il y expédiait ou tout ce qu’il en tirait[115].

Ces marques de reconnaissance, Leukon les avait bien méritées. Tandis que toutes les marchandises qui sortaient des ports du Bosphore étaient frappées d’un. droit d’exportation de trois pour cent, les cargaisons de céréales achetées pour le compte de négociants athéniens et destinées au Pirée sortaient en franchise. Outre cette dispense de taxes, les navires athéniens avaient encore le privilège de charger les premiers. Aussitôt après la moisson, quand les derniers restes de la récolte précédente achevaient presque partout do s’épuiser et que, sur bien des points du monde grec, on attendait avec impatience les arrivages de blés nouveaux, quel avantage n’était-ce pas pour les capitaines athéniens de passer avant tous leurs concurrents ! Leurs cargaisons de céréales entraient dans le port du Pirée avant que fussent approvisionnées les îles de la mer Égée et les contrées voisines de l’Attique ; les négociants d’Athènes devaient donc trouver très aisément des prix fort rémunérateurs, particulièrement pour tout ce que n’absorbait point la consommation de l’Attique. Gênés à l’intérieur par la surveillance des sitophylaques et les dénonciations des orateurs, au moins avaient-ils toute liberté de vendre, pour l’exportation, aussi cher qu’ils le pouvaient. L’antériorité qui leur était garantie dans les ports du Bosphore leur conférait pour quelques jours, pour quelques semaines peut-être, une sorte de monopole ; seuls en mesure de répondre aux besoins les plus pressants, aux premières demandes, ils en profitaient de leur mieux ; les cours ne tombaient qu’au bout d’un certain temps, alors que tous les navires athéniens ayant achevé leur chargement et mis à la voile, ceux de Rhodes, de Byzance, de Corinthe et autres villes commerçantes pouvaient à leur tour se remplir de grains pour aller ensuite les distribuer là où ils étaient le plus recherchés et faire ainsi concurrence aux négociants du Pirée.

De cette manière, grâce aux princes du Bosphore, la Grèce entière se trouvait payer, chaque année, une véritable prime aux capitaux athéniens engagés dans le commerce des blés. A combien cette prime pouvait-elle s’élever ? Nous ne saurions le dire ; mais elle devait être assez forte surtout dans les années qui suivaient une mauvaise récolte, quand beaucoup de cités n’ayant plus de réserves étaient forcées d’acheter, dés le commencement de la campagne nouvelle, n’importe à quel prix. En revanche, à l’aide des chiffres que nous fournit Démosthène, nous pouvons mieux apprécier l’avantage que retirait Athènes du droit accordé à ses armateurs d’exporter en franchise les blés du Bosphore. Prenons, d’après Démosthène, comme moyenne du blé importé chaque année du Pont en Attique 400.000 médimnes. D’après les calculs de Bœckh, le prix le plus bas où le blé ait pu descendre vers le temps de Démosthène, en Attique, était de cinq drachmes le médimne[116]. En calculant d’après ce cours la somme que les marchands athéniens auraient payée à Leucon, pour le droit d’exportation du trentième qu’acquittaient leurs concurrents, on arrive à la somme de 65.000 drachmes dont profitait ainsi, chaque année, le commerce d’Athènes[117]. Les prix de revient étant diminués ainsi, pour lui, de plus de trois pour cent c’était un bénéfice d’autant que le traité lui assurait, toutes conditions étant égales d’ailleurs entrelui et les négociants étrangers. En vendant au même prix qu’eux, il gagnait encore, par médimne, un peu plus d’un dixième de drachme, plus d’une demi obole. Assuré d’un pareil avantage, il devait aisément défier la concurrence ; en effet, il pouvait toujours, sans se mettre en perte, sacrifier cet appoint, maintenir ainsi ses prix au-dessous des cours que ses rivaux prétendaient établir et leur enlever les acheteurs.

A l’octroi de ces privilèges, Leucon avait encore ajouté toute sorte de bons procédés. Ainsi, en 357, une disette cruelle étant survenue, Leucon avait expédié à la république plusieurs cargaisons de, céréales qui avaient été cédées à bas prix et qui avaient ainsi aidé les pauvres à traverser cette crise[118]. L’État avait pu satisfaire à tous les besoins, et il avait encore réalisé sur la vente de tout ce blé un bénéfice de quinze talents. Après le moment où avait été conclu le marché entre Athènes et Leucon, celui-ci avait fait la conquête de Theudosia or, du jour où il avait été maître de ce nouveau marché et où le blé s’y était vendu pour son compte, il s’était empressé d’y conférer aux Athéniens les mêmes privilèges que ceux dont ils jouissaient déjà à Panticapée[119].

L’acte qu’avait ainsi complété cette dernière concession avait été gravé sur trois plaques de marbre. L’une était posée et scellée à Panticapée même, une autre dans un temple des Argonautes qui s’élevait sur le Bosphore de Thrace, à mi-chemin entre Athènes et la capitale de Leucon ; la dernière avait été dressée dans l’enceinte du Pirée[120]. Il y avait donc là un contrat solennel et public, connu des marchands de tous pays qui fréquentaient les ports du Bosphore cimmérien. Leucon l’avait toujours fidèlement exécuté, et pourtant c’était bien Athènes qui en retirait le profit principal. En échange de cette double prime que garantissaient aux négociants athéniens le droit d’emporter les premiers blés de la récolte et l’exemption de toute taxe douanière, que donnait la République ? Des honneurs et des dispenses qui ne lui coûtaient pas une drachme, car les étrangers non résidents ne pouvaient recevoir le droit de cité que dans des conditions qui en fissent un privilège et non une gêne et un fardeau ; à rayer de la liste des citoyens Leucon et d’autres bienfaiteurs d’Athènes, on ne gagnait pas un citoyen effectif de plus, on n’augmentait pas, en fait, le nombre de ceux entre qui devrait se répartir désormais le poids des services publics tels que la chorégie et la gymnasiarchie, et, d’autre part, on risquait de mécontenter et de blesser des souverains qui pouvaient d’un mot transférer à d’autres les avantages dont ils avaient jusqu’alors fait jouir Athènes. C’est ce que ne comprit point Leptine, l’un des orateurs ou hommes politiques qui menaient les affaires d’Athènes, lorsque, en 356, il proposa et fit adopter par le peuple une loi qui révoquait toutes les exemptions accordées jusqu’alors à des nationaux ou à des étrangers naturalisés ; seuls les descendants d’Harmodius et d’Aristogiton étaient exceptés de cette mesure.

On comprend la pensée qui avait inspiré à Leptine cette proposition. C’était au plus fort de la guerre sociale, ou de la lutte que soutenait Athènes contre ses alliés résolus à se détacher d’elle, contre Chios, Rhodes, Byzance et d’autres villes importantes, soutenues par les armes de Mausole, prince de Carie, et par l’or du grand roi,, la seconde confédération maritime, qui avait semblé promettre a Athènes le renouvellement de sa puissance d’autrefois, s’en allait en lambeaux ; les escadres athéniennes n’étant plus maîtresses de la mer, le commerce souffrait, et Athènes, avec un revenu diminué et un capital qui s’épuisait, ne suffisait qu’à grand’peine aux lourds impôts de guerre qu’il lui fallait payer ; les riches et la classe aisée pliaient sous le fardeau, et l’on ne trouvait plus de gymnasiarques, d’hestiateurs, de chorèges. La cité risquait de se voir privée de ces divertissements et de ces fêtes qui avaient été si utiles aux progrès des arts et qui répandaient sur la vie athénienne une incomparable splendeur. Chacune de ces fêtes avait un caractère religieux c’était un hommage à l’une des divinités protectrices du dême, de la phratrie, de la tribu ou de la cité. Tous ces dieux, s’ils cessaient de recevoir les offrandes et les honneurs auxquels les avait accoutumés la piété du peuple, ne se détourneraient-ils pas d’Athènes, ne lui retireraient-ils pas leur appui et leur protection ?

Leptine avait eu raison de vouloir remédier à ce danger ; il avait eu raison de vouloir alléger le poids de ces prestations en les répartissant plus équitablement, en faisant peser le fardeau sur un plus grand nombre d’épaules. Des exemptions avaient été conférées à la légère — Démosthène l’avoue (§ 88, 164) — et il était juste de réviser la liste, de faire cesser des inégalités choquantes. Là où Leptine avait manqué de sens politique, c’était en n’inscrivant pas, dans le texte même de sa loi, certaines exceptions qu’il importait à la cité de voir maintenues. L’exception qu’il consacrait en faveur des descendants d’Harmodios et d’Aristogiton était un hommage au passé aux traditions démocratiques d’Athènes, à ces souvenirs dont Thucydide avait inutilement contesté le caractère historique (I, 20) ; mais il y en avait d’autres a faire, en vue du présent et de l’avenir. C’est ce que comprit, tout d’abord Démosthène, en homme d’état qu’il était. Désigné de bonne heure à l’attention par la lutte inégale et pourtant victorieuse qu’il avait soutenue contre ses tuteurs ; bientôt mis tout à fait en vue par ses succès comme logographe ou rédacteur de plaidoyers, il commençait à se préparer pour la carrière politique à laquelle il se sentait appelé par son patriotisme, son ambition et son génie. Nourri de Thucydide, mieux instruit de l’histoire de son pays qu’aucun des orateurs de son temps, Démosthène avait sans cesse devant les yeux l’image, qu’il prétendait faire revivre, de l’Athènes d’Aristide, de Cimon et de Périclès. La première condition pour qu’Athènes se relevât, c’était que les âmes reprissent quelque chose de leur ancienne énergie ; Démosthène le sent tout d’abord, et, jusqu’au dernier jour de sa vie, il ne cessera d’insister sur la nécessité de cette réforme morale, sans se dissimuler les difficultés qu’elle présente. Le politique même le plus habile et le plus puissant n’a que bien peu de force réelle pour changer les cœurs, pour changer les mœurs de ses contemporains ; ce qui dépend de lui, dans les siècles de décadence, c’est d’aider ce qui leur reste de vertu et de contenir leurs vices par des institutions et des lois sagement combinées, c’est d’appuyer sur d’utiles et solides alliances la faiblesse de la cité vieillissante. On sait ce que tenta Démosthène, quand il passa de l’opposition au pouvoir, pour contraindre les citoyens au service militaire, pour développer la marine de guerre en réorganisant la triérarchie, pour réformer les finances en resserrant dans de plus étroites limites ce fonds théorique, sorte de budget des fêtes, qui tendait, sous l’administration d’Eubule, à tout envahir, à dévorer tous les revenus de l’État. Dans le même temps, il ne cessait de se préoccuper des relations extérieures d’Athènes, il promenait ses regards d’un bout à l’autre du monde grec afin de chercher a la cité des alliés pour la lutte qu’elle serait bientôt appelée, croyait-il, à soutenir contre Philippe ; il fallait à la fois conserver les anciens alliés et en trouver de nouveaux pour remplacer ceux qu’avaient fait perdre à Athènes les fautes d’Aristophon d’Æzania et des hommes qui dirigeaient avec lui les affaires depuis l’exil de l’habile Callistratc d’Aphidna, l’un des fondateurs de la seconde confédération maritime. Tous les premiers discours politiques de Démosthène témoignent de cette préoccupation ; pour parler notre langue d’aujourd’hui, on pourrait dire que le jeune orateur se préparait ainsi de longue main à jouer le rôle, qu’il remplit plus tard avec tant d’autorité, de ministre des affaires étrangères d’Athènes.

Sous l’empire de semblables pensées, Démosthène comprenait combien il eût été dangereux de compromettre, en vue d’un avantage très problématique, les bonnes relations qui existaient, depuis longtemps déjà, entre Athènes et les princes du Bosphore, relations qui’ n’avaient jamais été aussi cordiales que depuis quelques années, qui n’avaient jamais donné d’aussi beaux bénéfices au commerce athénien. Leucon n’était peut-être pas en mesure de fournir à Athènes, contre Philippe, un concours armé ; mais il lui garantissait le pain quotidien, et, pour se battre, il faut manger. Blessé dans son amour-propre par le retrait des privilèges honorifiques qui lui avaient été solennellement décernés, il n’aurait pas, plus que par le passé, fait les frais d’un chœur tragique ou comique ; mais il aurait, selon toute apparence, replacé les Athéniens dans le droit commun, sur tous les marchés de son royaume[121]. C’était là un danger qu’il fallait prévenir à tout prix.

La mesure proposée par Leptine répondait trop bien aux secrets mécontentements et aux inquiétudes de l’opinion pour ne pas trouver des esprits favorablement disposés ; sans examiner quelles en seraient les conséquences, on l’avait donc accueillie pour ce qu’elle promettait, et l’on ne s’était même pas arrêté à observer les formalités et les délais auxquels le législateur avait soumis l’adoption de toute loi nouvelle. Il y avait là tout un ensemble de dispositions sagement combinées pour garantir le peuple souverain contre ses propres entraînements, contre les surprises et les caprices. Toutes ces précautions avaient été négligées ; saisie d’urgence, l’assemblée avait voté, presque sans discussion, le projet de loi que lui avait soumis Leptine[122].

Ce fut sur cette hâte et sur cette omission des délais légaux que s’appuyèrent les intéressés pour remettre ce vote en question, pour essayer d’empêcher la loi de Leptine d’être appliquée. Pour Leucon et les autres étrangers qui ne résidaient point à Athènes, le retrait de cette exemption des liturgies n’était qu’un affront gratuit ; pour les Athéniens de naissance ou pour les étrangers naturalisés qui résidaient à Athènes, c’était une humiliation analogue à ce que serait chez nous la révocation prononcée contre un membre de la Légion d’honneur ; c’était, de plus, un surcroît de charges à porter dans un moment où tout le monde était à bout de ressources. A ceux que la mesure atteignait ainsi le plus directement, il restait un recours dont ils usèrent : c’était d’appeler des décisions du pouvoir législatif aux arrêts du pouvoir judiciaire. Dans la constitution d’Athènes, c’étaient les tribunaux qui tranchaient en dernier ressort les questions mêmes qui semblent avoir un caractère plutôt politique que juridique ; il en est encore ainsi de nos jours dans les États-Unis d’Amérique. Séparés du reste des hommes par des serments redoutables, délibérant sous le regard même des dieux qui avaient entendu ces serments, les jurés passaient auprès des Athéniens pour offrir des garanties toutes particulières d’indépendance, de conscience et de lumières. Aussi, de manière ou d’autre, tous les actes de l’assemblée ou des magistrats pouvaient-ils âtre soumis à leur contrôle et cassés par leur verdict. Les intéressés attaquèrent donc Leptine comme auteur d’une proposition inconstitutionnelle. Cette action, dont il est sans cesse question chez les orateurs, se nommait la graphé paranomôn. Ce n’est pas ici le lieu d’en étudier le mécanisme curieux, de montrer comment elle était destinée à remédier aux abus que ne pouvait manquer d’entraîner ce que nous appelons, dans notre langue politique, le droit d’initiative parlementaire, que possédait chaque citoyen. Avec ce droit, il était à craindre que l’on n’eût sans cesse des lois nouvelles, filles des rancunes privées, de l’intérêt présent, de la passion du jour. Pour tenir en bride toutes ces fantaisies d’improvisation législative, il n’était pas de meilleur frein qu’une responsabilité pénale suspendue sur la tête de celui qui porterait sur l’auguste édifice des lois de la cité une main indiscrète et capricieuse[123].

Une fois engagée, cette instance suspendait l’effet de la loi que le peuple avait votée ; celle-ci ne devenait applicable, n’avait un, caractère définitif que le jour où le tribunal, en acquittant l’auteur de la proposition, donnait ainsi implicitement à la loi son visa et son approbation. Par suite de divers incidents, l’affaire de Leptine et de sa motion traîna deux ans ; le débat s’engagea enfin en 354. L’un des demandeurs était Ktésippos, fils de Chabrias, l’habile et vaillant capitaine qui s’était fait tuer, trois ans plus tôt, dans le port de Chios. Personne, dans ce siècle, n’avait mieux mérité que Chabrias les honneurs dont le peuple l’avait comblé ; en venant réclamer le maintien de ceux de ces honneurs qui avaient été déclarés transmissibles à sa descendance, c’était la mémoire même de son père que Ktésippos semblait défendre. Très jeune encore, il se contenta de prononcer quelques mots pour, demander au tribunal la permission, qui ne se refusait jamais’ en pareil cas, de faire entendre à sa place Démosthène, avec lequel il était lié.

Dans le texte de leur plainte écrite (γραφή), les adversaires de la loi se fondaient, pour en contester le caractère constitutionnel, sur ce principe du droit public d’Athènes : les faveurs accordées par le peuple sont inamissibles et irrévocables — sauf pour cause d’indignité dament constatée. Ils admettaient que plusieurs des privilégiés pouvaient se trouver dans ce cas, et ils s’engageaient, si la loi de Leptine était invalidée, à faire réviser par une autre loi la liste de ceux qui jouissaient de ces exemptions. Il serait ainsi remédié aux abus que Leptine avait eu raison de signaler mais l’État ne se déshonorerait pas en manquant à sa parole et lie se priverait pas pour l’avenir d’un puissant moyen d’encouragement et d’action. Ce fut un orateur nommé Phormion qui porta le premier la parole ; il insista surtout sur les anciennes lois, non encore abrogées, que la loi de Leptine se trouvait contredire, et qui, par suite, la frappaient de nullité. Après lui se leva Démosthène, alors âgé de trente ans. Insistant moins que n’avait dû le faire son prédécesseur sur la question juridique, Démosthène, dans le discours qui nous est conservé et que l’on peut regarder comme son premier acte politique, prend la loi en elle-même, en étudie le caractère et les conséquences probables, et démontre ainsi qu’elle n’est conforme ni aux intérêts ni à l’honneur d’Athènes.

Nous n’avons pas à juger ici en critique la harangue sur les immunités contre Leptine (περί τής άτελείας πρός Λεπτίνην). Sans doute Denys d’Halicarnasse exagéré en voyant ici un des chefs-d’œuvre de Démosthène, celui où il a mis le plus d’agrément et où il est le meilleur peintre[124] ; pourtant le grand orateur est déjà ici tout entier, dans ce premier essai de la parole publique, avec les qualités qui le distinguent de tous ses rivaux de gloire. C’est déjà cette éloquence qui n’est autre chose que le mouvement et l’élan de la raison, d’une raison lumineuse, animée et pressante, jalouse de faire partager à ses auditeurs les convictions qu’elle s’est formées par une longue méditation.

Ce qui se rattache étroitement à notre sujet, ce sont les idées que Démosthène expose sur la politique étrangère, sur ce qu’Athènes doit faire pour conserver son prestige et garder la situation que lui ont conquise les générations antérieures, sur l’accord qui régnait entre ses intérêts économiques et ses devoirs d’honneur. On est surpris de tout ce qu’il y a, chez ce débutant, de maturité précoce, de sens pratique, d’étendue et de liberté d’esprit. Ses adversaires avaient jeté, dans ce débat, de ces mots qui flattent la foule ; ils avaient invoqué l’intérêt du trésor, le principe de l’égalité des charges, cher à toute démocratie, l’exemple des ancêtres. Démosthène fait justice de toutes ces déclamations, il ramène la question à ses véritables termes, il montre qu’il n’est ni juste ni utile de retirer à ceux qui les ont méritées les récompenses que le peuple leur a accordées, et d’enlever, pour l’avenir, aux citoyens comme aux étrangers, toute espérance de pareilles faveurs. A la suppression de toutes ces immunités, que gagnerait Athènes ? Peut-être trente ou quarante contribuables à inscrire sur le tableau des liturgies, et ce serait pour ce mince avantage que la cité irait encourir la honte de manquer à des engagements solennels, qu’elle découragerait le zèle de ses enfants et qu’elle s’enlèverait le moyen de reconnaître et de stimuler ces sympathies, ces dévouements, qu’Athènes, dans ces jours de malheur, a été si heureuse de rencontrer chez des peuples, chez des princes étrangers, jusque chez les barbares ! Démosthène raisonnait là comme font les financiers qui, chez nous, malgré les besoins pressants de notre trésor, se sont opposés avec tant de bon sens à toute tentative directe ou indirecte pour imposer la rente française. Dans l’un et l’autre cas, le bénéfice momentané que l’État aurait réalisé n’aurait pas été en rapport avec la sérieuse et durable atteinte que l’État aurait portée lui-même à son autorité morale et à son crédit. Athènes et la France auraient payé cher, dans l’avenir, l’économie qu’elles auraient cru faire sur le présent.

Nous n’insisterons pas sur les autres raisons alléguées par Démosthène, soit qu’il réfute les prétextes tirés de l’exemple des ancêtres, soit qu’il discute les exemples de cette Sparte que l’on connaissait mal à Athènes, que l’on n’y aimait point, mais que l’on y admirait de confiance ; il nous suffit de savoir que Démosthène obtint gain de cause. La loi de Leptine fut abrogée avant d’avoir été appliquée ; les princes du Bosphore, demeurés en possession de leurs honneurs, continuèrent aux Athéniens >les privilèges si précieux qu’ils leur avaient accordés. Pærisadés I, second fils de Leucon, pendant son long règne (349-311), n’entretint pas avec Athènes des rapports moins étroits et moins affectueux que son père. Il renouvela, de la manière la plus solennelle, l’exemption des droits de douane concédée à quiconque chargerait dans ses ports du blé pour Athènes[125]. Dans les disettes qui, plusieurs hivers de suite, paraissent avoir concordé avec des années douloureuses à d’autres titres pour Athènes, avec celles des dernières victoires de Philippe et des premières d’Alexandre[126], ces relations avec le Bosphore, en empêchant le prix du blé de s’élever outre mesure, durent beaucoup contribuer à diminuer les souffrances. Aussi Démosthène, qui, dès le début de sa carrière politique, alors même qu’il appartenait à ce que nous appellerions l’opposition, avait si bien compris l’importance de cette alliance commerciale, ne négligea-t-il rien, quand il fut au pouvoir, pour l’affermir encore et la resserrer. On aurait pu craindre qu’elle ne fût ébranlée par les échecs d’Athènes et par la révolution qui avait fait passer aux mains de la Macédoine la direction effective des forces et de l’action du monde hellénique, l’hégémonie, suivant le terme consacré ; il parut donc prudent, pour ne pas perdre la bienveillance de ces princes, d’ajouter de nouveaux honneurs à ceux qu’on leur avait conférés d’abord. Du jour où Athènes commence à comprendre que son alliance n’apporte pas à ceux auxquels elle l’offre un réel surcroît de force, elle se sent de plus en plus intéressée à piquer au jeu leur amour-propre et à le mettre de la partie ; elle les paye de leur concours en flatteries qui garderont longtemps du prix. Ces hommages du peuple athénien, un Alexandre, un Démétrius Poliorcète les goûtaient vivement auraient-ils pu laisser insensibles ces princes à demi barbares qui luttaient contre les Scythes, sur cette frontière lointaine du monde grec ? Athènes seule, où se donnait rendez-vous tout ce qu’il y avait en Grèce de riches oisifs et d’esprits délicats et curieux, pouvait les tirer de l’ombre où ils combattaient, et faire tomber sur eux quelques rayons détournés de cette gloire qu’elle savait si bien dispenser.

Ce fut dans cette pensée que Démosthène, nous ne savons pas au juste en quelle année, fit voter par le peuple l’érection sur la place du marché (έν άγορά) de statues de bronze représentant Pærisadès, Satyres et Gorgippos, que Dinarque appelle tous les trois tyrans du Pont[127]. Pærisadès, c’était le second successeur de Leucon ; quant à Satyres et à Gorgippos, le premier, d’après Bœckh, devait être le fils même de Pærisadès, son futur successeur, et le second un prince spartocide délégué dans le gouvernement des provinces asiatiques du royaume[128].

Si l’on en croit Dinarque, les princes spartocides se seraient montrés reconnaissants au grand orateur des soins qu’il avait pris ; ils lui auraient envoyé chaque année un cadeau de mille médimnes, près de cinq cents hectolitres de froment[129]. Il paraît peu vraisemblable que l’envoi ait eu cette régularité. Ces princes, souvent troublés et occupés tout entiers par leurs guerres contre les Scythes, n’ont pas dû s’astreindre à servir cette sorte de rente ; mais il est probable que l’assertion de Dinarque contient un fond de vérité. Dans une, peut-être dans plusieurs de ces années de cherté et de disette que nous rappelions tout à l’heure, le roi du Bosphore ou l’un des princes de la maison royale aura expédié à Démosthène un cadeau de blé, et ces libéralités se seront renouvelées dans des circonstances analogues. Il n’y a d’ailleurs rien la qui porte atteinte à la considération de Démosthène. Celui-ci croyait qu’il était de l’intérêt et de l’honneur d’Athènes de défendre son indépendance et celle de la Grèce contre cette puissante monarchie militaire qu’avait créée un homme de génie ; il n’avait pas craint de l’engager dans une lutte qui pouvait paraître disproportionnée. C’était donc pour lui un strict devoir de prudence d’assurer l’approvisionnement d’Athènes, fût-ce même au prix de quelques exagérations de langage, et de quelques prodigalités de bronze ; il ne fallait pas que, dans un moment critique, aux souffrances et aux périls de la guerre étrangère vinssent encore s’ajouter les gênes et les inquiétudes de. la disette. Les relations personnelles qui paraissent s’être établies entre la famille des Spartocides et l’homme qui était à la tête du gouvernement athénien ne pouvaient que profiter à la cité ; s’il en est en même temps résulté quelque avantage pour l’orateur lui-même, la haine seule peut le lui reprocher, comme elle le fait dans la longue et monotone invective de Dinarque.

Le fatal dénouement de la guerre lamiaque emporta Démosthène, et avec lui ou bientôt après lui disparurent tous les hommes éminents de la dernière génération qui eût tenté de maintenir Athènes dans sa haute situation de cité souveraine, présidente d’une confédération de cités maritimes et maîtresse, par ses escadres, des mers grecques ainsi que des détroits qui conduisent à l’Euxin. Obligée à plusieurs reprises d’admettre des garnisons macédoniennes dans ses murs, soumise à des gouverneurs macédoniens, parfois séparée du Pirée, Athènes ne fera. plus que reprendre parfois les apparences de la liberté politique et de l’indépendance ; mais elle restera longtemps encore une ville tout à la fois de plaisir et d’études ; les étrangers continueront à y affluer en foule ; c’est là qu’ils trouveront, ceux-ci les plus brillantes courtisanes et les meilleurs cuisiniers, ceux-là les écoles de philosophie les plus florissantes, tous les fêtes théâtrales les plus charmantes. Ménandre est contemporain de Démétrius de Phalère. Même réduite à ce rôle, même après qu’Antipater, en 322, eut déporté une partie de la population athénienne, Athènes reste, vers le commencement du troisième siècle, une ville populeuse, dont l’alimentation préoccupe toujours ses orateurs et ses magistrats. Les relations continuent donc avec les princes du Bosphore, et Athènes conserve encore assez de prestige pour que ceux-ci attachent du prix à l’amitié et à la reconnaissance d’Athènes. C’est ce dont témoigne un décret rendu, probablement en 286, sur la proposition d’un certain Agyrrhios, fils de Kallimédon, en l’honneur de Spartocos, fils d’Eumelos et arrière-petit-fils de Pærisadès I. Ce prince est celui auquel Bœckh donne le titre de Spartocos IV ; il régna de 304 à 284.

C’était dans un de ces moments où l’âme d’Athènes semblait tressaillir et se réveiller du sommeil où l’avaient plongée ses malheurs ; sous la conduite d’Olympiodoros, les Athéniens s’étaient soulevés et avaient réussi a intimider et à expulser la garnison macédonienne que Démétrius Poliorcète avait installée sur la colline fortifiée du Musée, d’où elle commandait les Longs Murs. A la suite de ce succès, il y avait eu un grand élan d’enthousiasme, ce dont témoignent, outre une page de Pausanias, quelques inscriptions gravées bientôt, après ces événements[130]. Ce coup de vigueur. très inattendu avait eu en Grèce un grand retentissement ; on avait cru voir renaître, sinon l’Athènes de Périclès, tout au moins celle des Thrasybule et des Callistrate, des Lycurgue et des Démosthène. Les contemporains ont de ces illusions que l’on s’explique mal à distance. Plusieurs des anciens alliés d’Athènes s’empressèrent donc de lui envoyer leurs félicitations ; ils lui disaient avec quelle joie ils avaient appris qu’elle s’était délivrée de cette présence et de ce joug de l’étranger, qu’elle avait repris possession d’elle-même et de ses défenses. Nous avons les décrets rendus par le peuple, dans une des années qui suivirent, en réponse aux compliments d’Audoléon, roi de Péonie, et de Spartocos du Bosphore[131]. A leurs félicitations, l’un et l’autre de ces rois avaient joint un cadeau de blé ; Audoléon avait donné 7.500 médimnes et les avait fait transporter à ses frais jusque dans les ports d’Athènes ; Spartocos, à ce qu’il semble, en avait offert 15.000. Ces présents avaient dû être d’autant mieux venus qu’au milieu même des joies de sa liberté reconquise, Athènes, dans ces années, devait souffrir de la disette ; en effet, comme l’atteste le décret en l’honneur d’Audoléon, les troupes de Démétrius occupaient alors encore le Pirée et ses magasins[132] ; le blé qui venait s’y décharger se distribuait dans les contrées voisines, mais ne montait pas à Athènes, sinon sous le bon plaisir du commandant macédonien, et grevé peut-être à son profit d’un lourd droit de transit. Pour débarquer les blés à destination de la cité, il ne devait rester que le petit port de Phalères, exposé d’ailleurs aux attaqués et aux sorties de la garnison établie au Pirée et à Munychie, ou les ports situés en face de l’Eubée, sur l’Euripe, ou au cap Sunium, d’où on le transportait par terre jusqu’à Athènes, ce qui devait beaucoup en augmenter le prix[133]. Dans ces conditions, un pareil cadeau devait avoir pour les Athéniens une valeur toute particulière, surtout lorsque le donateur, comme Audoléon, poussait la libéralité jusqu’à se charger de conduire lui-même les grains à destination.

Il ne semble pas que Spartocos ait été jusque là ; mais son présent était plus considérable et il avait d’ailleurs été précédé, il serait suivi sans doute de bien d’autres services rendus à la République par ces princes du Bosphore. La reconnaissance des Athéniens n’éclata donc pas avec moins d’effusion qu’à propos du bienfait à Audoléon. Après les formules usitées à cette époque pour dater et signer le décret, celui-ci commence par rappeler tous les bons offices que le peuple d’Athènes a dus aux ancêtres de Spartocos et par attester que ce prince a suivi à cet égard, depuis son avènement, les traditions de sa famille ; il indique ensuite par quelles marques d’honneur les Athéniens ont reconnu cette bienveillance, purs il arrive aux circonstances qui ont amené la présentation et le vote du nouveau décret, aux félicitations envoyées par Spartocos à propos de l’expulsion des Macédoniens, ainsi qu’au cadeau de blé qui accompagnait ces félicitations. Le peuple ne veut pas paraître ingrat. Il décide donc de louer Spartocos, fils d’Eumélos, roi du Bosphore, et de le couronner d’une couronne d’or de ...[134] drachmes à cause de ses hautes qualités et de l’attachement qu’il n’a cessé de témoigner au peuple. La couronne sera proclamée pendant les grandes Dionysies, dans le concours des tragédies, au théâtre. Ceux qui sont chargés de l’administration des finances (τούς έπί τή διοιxήσει) veilleront à ce que la couronne soit exécutée et proclamée ; ils auront de plus à faire placer dans l’agora une statue en bronze de Spartocos auprès des statués de ses ancêtres et une autre dans l’acropole (l. 32-42). Le reste du décret règle les mesures à prendre pour que les décisions du peuple soient portées à la connaissance du roi Spartocos par l’envoi d’une ambassade qui l’engagera en même temps à continuer au peuple ses bons offices. Les ambassadeurs seront au nombre de trois et leurs frais de route seront réglés d’après le tarif ordinaire. Les dernières lignes renferment l’ordre donné au secrétaire de la prytanie de faire graver ce décret sur une stèle de marbre et de dresser celle-ci dans l’acropole.

Si nous avons insisté sur cette pièce, c’est qu’elle reproduit, à très peu de chose près, les considérants d’actes analogues, auxquels les orateurs font allusion sans nous en conserver le texte. On pourrait presque restituer, d’après ce modèle, soit le décret rendu en l’honneur de Leucon, soit celui qui avait dû précéder l’érection des statues de Pærisadès, de Satyros et de Gorgippos ; seulement, selon toute apparence, le décret dont nous parle Démosthène dans son discours contre la loi de Leptine était plus concis, moins verbeux que ce texte du troisième siècle. L’orateur ne nous apprenait pas qu’il y ait eu entre Athènes et les princes du Bosphore alliance même défensive (συμμαχία) ; nous voyons au contraire ici, dans la partie où le rédacteur des considérants revient sur les relations antérieures d’Athènes et des Spartocides, cette phrase qui fait allusion à un traité contenant des promesses de coopération effective : le peuple d’Athènes... s’étant engagé, pour le cas où un ennemi marcherait contre les états des ancêtres de Spartocos ou contre ceux de Spartocos lui-même, à porter secours de tout son pouvoir, par terre et par mer (l. 15-20). La réciprocité avait-elle été stipulée, et les Spartocides, au temps de la guerre sociale ou des luttes contre la Macédoine, avaient-ils aussi promis à Athènes un concours armé ? Nous l’ignorons ; mais, dans ce que nous savons de l’histoire d’Athènes pendant ce siècle ou dans le peu de renseignements qui nous sont parvenus sur les guerres du Bosphore contre les tribus scythiques, rien ne nous indique que cette clause ait jamais eu le moindre effet. Il y avait trop loin d’Athènes au Bosphore cimmérien ; nous ne sommes plus au temps où Athènes envoyait ses fils combattre, dans une même année, en Chypre, en Égypte, en Phénicie, en Argolide, en Mégaride[135], où Périclès visitait avec une escadre athénienne les côtes du Pont-Euxin[136]. Il ne semble pas que, depuis ce moment, des navires de guerre athéniens aient jamais dépassé le Bosphore de Thrace et Byzance. Les Athéniens, dans le cours du quatrième siècle, avaient trop de répugnance pour le service militaire, ils aimaient trop la vie bourgeoise et les plaisirs du repos pour se hasarder et d’aussi lointaines expéditions ; c’était à peine s’ils suffisaient aux efforts que leur demandait le maintien de leur suprématie dans la mer Égée. Cet engagement demeura donc, de part et d’autre, une affaire de pure forme, une sorte d’hyperbole du langage diplomatique, destinée u montrer combien étaient étroits les liens qui unissaient la République athénienne aux princes du Bosphore.

Ces princes, c’est la première fois que nous voyons les Athéniens les désigner, dans un document public, par le titre qu’ils prenaient comme souverains du royaume mythique. Démosthène appelle Leucon archonte du Bosphore ; Dinarque emploie le mot de tyran à propos de Pærisadés, tandis qu’ici le décret traite Spartocos de roi (Βασιλεύς) (l. 42). Les royaumes issus du démembrement de l’empire d’Alexandre enveloppaient alors tout le bassin oriental de la Méditerranée ; Athènes était avec eux en relations quotidiennes ; elle n’avait donc aucune raison pour marchander le titre royal à l’un de ses plus anciens et de ses plus fidèles alliés.

Un dernier trait à remarquer dans le décret : ce n’est pas seulement sur l’agora, comme nous le savions par Dinarque, c’est encore au Pirée, sur le marché aux grains, qu’avaient été dressées les statues des princes du Bosphore (l. 15). Placées sur le quai, prés du long portique, leurs images semblaient regarder venir les navires chargés de grains qui arrivaient de Panticapée et de Theudosia ; nulle part elles ne pouvaient être mieux placées pour jouir de leur propre bienfait et de la reconnaissance des Athéniens.

— V —

Nous arrêterons ici cette étude. Les documents nous manqueraient pour la poursuivre plus loin. Déjà les orateurs nous ont abandonnés avant la fin du quatrième siècle ; les monuments épigraphiques ne nous fournissent pas non plus de renseignements postérieurs à ce commencement du troisième siècle. Aussi bien Athènes ne va pas cesser de décroître et de s’affaiblir ; ce qui lui reste encore de prestige s’effacera peu à peu. Au moment où les Gaulois menacent la Grèce centrale, elle aura encore une belle journée ; ce sera sa marine qui défendra le rivage des Thermopyles, et un Athénien, Callippos, malgré la faiblesse du contingent athénien[137], commandera l’armée de terre (278). Cet effort, cet élan suprême auront comme épuisé le peu de forces qui lui restaient. Bientôt après, assiégée, bloquée, affamée par Antigone Gonatas, elle lui résiste, non sans vaillance et sans résolution, pendant six années entières, puis elle finit par succomber (263). Une garnison macédonienne l’occupe, et cette fois en reste maîtresse pendant plus de trente ans. Quand Athènes reprit son indépendance en s’alliant à la ligue achéenne, vers 230, elle était ruinée sans retour. Les spacieux arsenaux que Lycurgue avait achevés un siècle auparavant étaient déserts ; Athènes n’avait plus de marine militaire pour protéger sa marine marchande. D’ailleurs le mouvement commercial du Pirée n’avait pu que se ralentir beaucoup pendant toute cette période ; le Pirée avait été, à certains moments, séparé de la ville, privé par là de son débouché le plus naturel et le plus voisin. Alors même qu’il communiquait librement avec elle, il n’y trouvait plus à alimenter qu’une population très réduite. Déjà, en 322, la victoire d’Antipater et la constitution imposée par lui aux vaincus avaient contraint à l’exil environ 12.000 citoyens[138] ; les vicissitudes qu’avait traversées depuis lors Athènes n’étaient pas faites pour combler ces vides. Depuis l’expulsion des Pisistratides, la liberté avait été féconde à Athènes ; la perte de cette liberté appauvrit la cité, elle enleva à la vie ce qui lui donnait du prix, ce qui inspirait à la génération présente le désir de s’assurer de nombreux héritiers qui jouissent après elle des mêmes biens, du même patrimoine d’indépendance et d’honneur. Les métèques ou étrangers domiciliés, les étrangers de passage formaient autrefois une portion considérable de la population réelle d’Athènes ; mais l’Athènes du troisième siècle n’était plus cette ville où l’esprit, où la liberté et les passions donnaient tous les jours de nouveaux spectacles[139]. Il ne vint donc plus guère à Athènes que les curieux qui s’y sentaient attirés par l’étude de ses monuments et de son glorieux passé, ou les jeunes gens qui désiraient fréquenter ses écoles demeurées célèbres et figurer dans les rangs de son éphébie afin de recevoir une éducation gymnastique et militaire, musicale et littéraire, dont les traditions et les pratiques avaient gardé, et garderont pendant plusieurs siècles encore une haute réputation[140]. Des hôteliers et des cuisiniers, des exégètes ou ciceroni et des professeurs, des touristes et des étudiants, c’était assez pour entretenir un certain mouvement dans la ville, ce n’était pas assez pour remplacer la multitude affairée et vivante dont regorgeait autrefois la cité que l’un de ses fils avait pu appeler jadis la capitale de la Grèce[141]. Ainsi réduite, la population d’Athènes devait être facile à nourrir. Le sol de l’Attique pouvait peut-être presque y suffire en temps ordinaire, avec un appoint plus ou moins considérable de blés étrangers quand l’année avait été mauvaise. En tout cas, ce n’était plus sur les quais et dans les magasins du Pirée que venaient s’accumuler les grains de la Sicile, de l’Égypte, de Chypre, de la Thessalie et de l’Eubée, des contrées fertiles que baignent la Propontide et surtout l’Euxin ; le Pirée n’était plus l’entrepôt principal et le marché régulateur des céréales pour tous les riverains de la mer Égée. Depuis le temps de la guerre lamiaque, le commerce de cette place n’avait point cessé de souffrir des péripéties de la lutte engagée contre la suprématie macédonienne. Parfois, lorsque Athènes était maîtresse de ses ports, une flotte ennemie tenait la mer et empêchait les arrivages. Dans d’autres moments, des troupes macédoniennes occupant Munychie, où l’oit avait construit une forteresse qui dominait le Pirée, Athènes se révoltait contre le prince auquel obéissait cette garnison, et le port se trouvait coupé de la cité. De manière ou d’autre, que de gênes, que de chances contraires !

Il y avait bien eu des instants de calme, où les affaires reprenaient ; ainsi le temps de la brillante et paisible administration de Démétrius de Phalère ; mais les troubles, les blocus de mer ou de terre revenaient trop souvent, de 322 à 230, pour ne pas dégoûter les capitaux, pour ne pas solliciter le commerce à prendre d’autres habitudes, à se chercher d’autres entrepôts et d’autres débouchés. Quand Athènes semble retrouver, grâce à l’alliance des Achéens, quelque indépendance et quelque sécurité, elle était tombée trop bas pour rappeler à elle le trafic qui s’en était détourné ; du moins n’en attira et n’en recouvra-t-elle qu’une faible partie. Le monde grec, depuis les conquêtes d’Alexandre, s’était trop élargi pour que des marchés nouveaux ne se fussent pas ouverts qui faisaient tort aux anciens. Les rois successeurs d’Alexandre avaient fondé partout de grandes villes par ou passaient et s’accumulaient toutes les productions de vastes et riches contrées tout récemment ouvertes à l’esprit d’entreprise de la race grecque. Vers la fin du second siècle, l’intelligence commerciale et les capitaux désireux de s’employer devaient trouver une bien meilleure rémunération de leurs services à Thessalonique, à Antioche, à Alexandrie, qu’au Pirée ; ces cités populeuses, qui avaient derrière elles l’une la Macédoine, l’autre la Syrie, celle-ci l’Égypte, avaient à offrir aux marchands de bien autres chances de bénéfices qu’une cité déchue, qu’une grande ville honoraire comme Athènes. Après avoir cessé d’être un centre politique, Athènes n’était même pas restée longtemps une capitale littéraire et philosophique ; ce n’est plus qu’une ville d’université, quelque chose comme ce qu’ont été Heidelberg ou Leyde en Europe, au seizième et au dix-septième siècle. La génération de Ménandre et d’Épicure, contemporaine des premiers temps macédoniens, avait disparu sans laisser de successeurs ; dans le milieu du troisième siècle, Pergame et surtout Alexandrie ont des savants plus remarquables et des poètes plus distingués qu’Athènes ; on y remue plus d’idées. Le foyer qui a jeté jadis tant d’éclat, au pied de la roche sacrée de l’Acropole, n’a plus de flamme ; tout au plus les cendres en gardent-elles encore quelque reste de chaleur et quelque étincelle cachée, grâce aux soins assidus d’hommes laborieux et sans originalité, poètes qui remettaient au théâtre les anciennes pièces, professeurs de grammaire, de rhétorique et de philosophie.

C’est ainsi que tout se tient dans la vie d’un peuple. Avec l’activité politique, ses luttes et ses travaux, avec le génie poétique sous ses formes diverses, avec les hautes ambitions de la pensée créatrice, disparaissent aussi cette puissance financière, ces institutions économiques, ce grand mouvement d’échanges dont nous avons essayé de donner une idée en étudiant, après les banques athéniennes, le commerce des céréales tel que l’avaient fait, en Attique, les besoins de la cité, les intérêts qu’il mettait en jeu, les conventions conclues par des hommes d’État prévoyants avec les maîtres de la terre du blé. Dans les lois qui régissaient ces transactions, nous avons trouvé, à côté d’erreurs qui s’expliquent d’elles-mêmes, bien des dispositions ingénieuses, très dignes de ce peuple dont le droit civil, trop longtemps oublié et méconnu, commence aujourd’hui à être remis en honneur, grâce aux recherches des Gide, des Caillemer, des Dareste. On admet depuis longtemps que les Romains ont dû à la Grèce leurs lettres et leurs arts ; mais c’est seulement aujourd’hui que l’on commence à soupçonner’ quels larges emprunts ils lui ont fait, sur un autre terrain, pour adoucir la rigueur et pour enrichir la pauvreté de leur droit primitif, pour le rendre plus rationnel et plus commode, plus apte à se plier aux besoins complexes d’une société riche et civilisée. Les Romains auraient eu grand avantage, ce semble, à prendre aussi d’Athènes cette heureuse idée d’une juridiction spéciale pour les gens de mer et les hommes d’affaires, d’un tribunal de commerce, pour l’appeler par son nom.

Comme nous l’avons fait pour les trapézistes, nous avons cherché à remettre en leur jour d’autres obscurs et laborieux artisans de la fortune publique, ces marchands de grains, dont la plupart étaient des étrangers qu’attiraient les chances de bénéfice et les agréments que leur offrait le séjour d’Athènes. Ils venaient de toutes parts lui apporter, en échange du droit de résidence qu’elle leur accordait, leurs relations, leur industrie et leurs capitaux ; ils faisaient valoir utilement ceux que les citoyens leur : confiaient. Athènes, qu’ils nourrissaient, les a parfois persécutés par ignorance ; cependant, pour qu’ils ne l’aient pas abandonnée, pendant environ deux siècles, il faut qu’ils y aient trouvé plus de profits encore, plus de sécurité et de bonheur que partout ailleurs. Malgré tout ce que l’on peut lui reprocher, Athènes parait encore avoir été, dans le monde ancien, l’endroit où il était le plus doux de vivre ; elle avait, comme aujourd’hui Paris ; ce charme secret qui appelle et qui retient non seulement les hautes intelligences désireuses de trouver un public digne de comprendre leurs plus nobles pensées, mais encore les humbles mêmes et les ignorants. C’est ce que ressentaient, à leur manière et sans bien s’en rendre compte, non seulement les Grecs d’Asie-Mineure ou de Sicile qui venaient s’y établir en foule, mais jusqu’à ces hommes de race étrangère, ces marchands phéniciens dont on retrouve les épitaphes au Pirée et qui paraissent y avoir eu de nombreux comptoirs dans le cours du quatrième et du troisième siècle[142].

Enfin, l’étude du mécanisme économique de la vie athénienne nous a conduit à entreprendre, avec les capitaines et les négociants d’Athènes, le lointain voyage des colonies grecques de l’Euxin, pour venir aborder dans les ports du Bosphore cimmérien. Sans essayer d’écrire l’histoire, si obscure encore à certains égards, des princes du Bosphore, nous avons cherché à jeter quelque jour sur la constitution, le rôle et l’action dé ce petit état grec gouverné par des princes d’origine barbare ; nous avons montré combien avaient été profitables aux deux parties les étroites relations que ce royaume entretint pendant longtemps avec Athènes. Le Bosphore fournissait à Athènes le pain du corps ; en revanche, Athènes envoyait à ces villes, que la barbarie assiégeait de toutes parts et que son flot envahissait parfois brusquement, les élégants et nobles produits de son art, qui entretenaient dans l’âme de leurs chefs et de leurs bourgeois la flamme de l’hellénisme, la résolution obstinée de ne. point céder ni à ces assauts répétés de la force ni à la lente infiltration des mots et des usages scythiques. L’influence des arts de la Grèce pénétrait même plus loin, grâce aux Grecs de la côte ; elle s’étendait jusque dans l’intérieur de la Scythie, où les rois croyaient se relever à leurs propres yeux et aux yeux de leurs sujets en s’entourant, pendant leur vie et après leur mort, des chef-d’œuvres de l’orfèvrerie athénienne. Il eût été intéressant d’examiner plus en détail les monuments trouvés dans les tombes de la Crimée et de la Russie méridionale, d’y montrer ce que Ch. Lenormant appelait si bien, dans le travail qu’il a jadis consacré aux antiquités du Bosphore cimmérien, la subordination intelligente et intéressée du génie hellénique aux mœurs et aux coutumes de ces barbares. Nous n’avons pu nous engager dans cette étude ; il nous a suffi d’indiquer les débouchés que trouvaient de ce côté les artistes d’Athènes et de faire entrevoir les profondeurs reculées jusqu’où le commerce portait les monnaies frappées, les vases et les ustensiles de luxe fabriqués au pied de l’acropole, ainsi que ceux qu’une colonie de céramistes et d’orfèvres, établie à Panticapée, fabriquait en vue même de cette exportation. Ces villes grecques de la Scythie, leurs chefs élus et leurs princes héréditaires ont eu la vie très dure, dans cette lutte éternelle contre la barbarie, sous ce ciel qui a de rigoureux hivers et des étés étouffants[143] ; l’histoire classique les a pourtant presque oubliés et ne sait guère que leur nom. L’historien moderne, qui voudrait ne rien négliger, ne rien sacrifier du passé humain, s’intéresse surtout aux combats livrés pour la civilisation ; c’est donc un devoir pour lui de rendre justice, dans la mesure du peu qu’il sait, à ces Grecs de, la marche scythique, comme on aurait dit au moyen âge. En pleine Scythie, mille ans après Homère, ceux-là savaient l’Iliade par cœur ; ceux-ci employaient leur richesse à commander et à payer des objets d’art comme cette belle et rare hydrie, ornée à la fois de figures peintes et de figures en relief, à laquelle on vient de demander une restitution vraisemblable d’un chef-d’œuvre perdu de Phidias, du groupe des deux divinités, Athénée et Poséidon, qui formaient le groupe central de l’un des frontons du Parthénon[144].

 

 

 

 

 



[1] Thucydide, I, 2.

[2] Xénophon, De la république des Athéniens, II, 7 : Grâce à la suprématie qu’Athènes exerçait sur la nier, elle a pu faire converger sur un seul point tout ce que produisent d’agréable la Sicile, l’Italie, Chypre, l’Égypte, la Lydie, le Pont, le Péloponnèse et tous les autres pays.

[3] Sur cette nouvelle confédération, voir l’étude récemment publiée sous ce titre : Der zweite Athenische Bund und die auf der Autonomie beruhende Hellenische Politik von der Schlacht bei Knidos bis zum Frieden des Euboulos, mit einer Einleitung zur Bedeutung der Autonomie in Hellenischen Bundesverfassungen, von Georg Busolt, in-8°, 1874, Teubner. On a retrouvé en 1851 le texte même du décret par lequel, dans la seconde moitié de l’armée de Nausinicos (378-377), sur la proposition d’un certain Aristote, le peuple athénien, prenant des précautions contre lui-même, s’engage solennellement à éviter les anciens abus, à ne point changer en une domination odieuse cette présidence de la ligue qui lui est déférée ; l’acte énumère toutes les garanties qui sont offertes aux membres de la confédération et à ceux qui voudront s’y joindre. Cette pièce, dont Diodore nous avait laissé une très courte analyse (XV, 29), est un des documents les plus précieux que nous ait conservés l’épigraphie attique ; M. Foucart y a consacré plusieurs leçons de son cours (décembre 1875 et janvier 1876). On en trouvera le texte, en attendant le second fascicule du Corpus inscriptionum atticarum, dans Rangabé, Antiquités helléniques, t. II, n. 381 et 381 bis, et dans Meyer, Commentatio epigraphica, 1 et 2.

[4] Voir nos Mélanges d’archéologie, d’épigraphie et d’histoire (in-8°, 1875, Didier), p. 337-444.

[5] Sur les νxυτοδίxαι, voir Pollux, VIII, 126 ; Bekker, Anecdota, t. I, p. 283,

[6] Hesychius, Suidas, Harpocrathon, s. v. Lysias, XVII, 5, 8. Lucien, Dialogues des courtisanes, II. Perrot, Essai sur le droit public d’Athènes, p. 311-313.

[7] Sur ces tribunaux composés de jurés pris dans une classe spéciale de citoyens, voir Perrot, Essai sur le droit public d’Athènes, p. 247.

[8] Voir l’intéressant travail de M. R. Dareste, intitulé Du prêt à la grosse chez les Athéniens, études sur les quatre plaidoyers attribués à Démosthène contre Zenothémis, Phormion, Lacrite et Dionysodore, in-8°, 1867. Voir aussi les introductions et notes des mêmes plaidoyers dans le récent ouvrage de M. Dareste : Les plaidoyers-civils de Démosthène, traduits en français, avec arguments et notes (2 vol, in-18, Plon, 1875). Sur un certain nombre de points délicats, M. Dareste a corrigé, dans cette dernière version, son interprétation première.

[9] De même notre ancien droit français, dont on commit l’adage : témoins passent lettres. L’ordonnance de Moulins (1566) est un des premiers actes législatifs qui aient dérogé à ce principe en exigeant une preuve écrite de toute créance de quelque importance. De même notre code civil (art. 1341).

[10] Dans la langue attique, l’engagement conclu entre les deux parties, le contrat en lui-même, est désigné par le terme συμβόλαιον ; συγγραφή, c’est l’acte écrit qui le constate : nous aurions détruit l’acte, et tu aurais été dégagé de la convention (C. Phormion, § 31), et un peu plus loin (§ 32) : Pour mieux garantir le contrat, ils ont rédigé l’acte en double, tant ils avaient peu de confiance.

[11] Contre Lacritos, § 15.

[12] C. Phormion, 33.

[13] C. Zénothémis, § 1.

[14] C. Zénothémis, l. c. Phormion, 4.

[15] C. Phormion, § 45. C. Apaturios, § 1.

[16] C. Apaturios, § 23.

[17] Parmi les conseils que donne Xénophon dans son traité des revenus d’Athènes, en vue de relever la prospérité de la république, nous remarquons cette indication : Pourquoi ne pas proposer des récompenses à ceux des magistrats qui, chargés de veiller sur les intérêts du commerce, termineraient à la fois le plus justement et le plus vite tous les différends qui leur seraient soumis, de, manière à ce qu’un capitaine prêt à mettre à la voile ne fût pas retenu dans le port par un procès pendant ? Une pareille mesure augmenterait le nombre des négociants qui fréquenteraient le Pirée et leur rendrait plus agréable le séjour de notre ville (III, 3). Il est possible que ce soit seulement à cette époque que la procédure des procès mensuels ait été réglée dans le sens de ces conseils.

[18] Harpocration et Suidas, s, v. έμμηνοι δίxαι. Bekker, Anecdota, I, p. 237, s. v. δίxη έμποριxή. Pollux, VIII, 63, 101.

[19] C. Apaturios, § 1.

[20] Bœckh, Économie politique des Athéniens, t. III, ch. IV.

[21] Économie politique des Athéniens, t. III, ch. XV.

[22] Le médimne représente 51 litres 790. Démosthène fournit un chiffre approximatif de 800.000 médimnes. Bœckh, d’après des calculs fondés sur le rapport de la population au territoire et à la production de l’Attique, croit que ce chiffre devait être presque toujours dépassé.

[23] Discours XXII.

[24] Le discours de Lysias nous atteste (§ 18) qu’à la suite d’allégations semblables à celles qu’il contient, des condamnations à mort avaient souvent été prononcées par les tribunaux athéniens contre les marchands de blé.

[25] Bœckh, Économie politique, t. I, p. 117-118. Voir Harpocration, s. v., Bekker, Anecdota, I, p. 300. Les sitophylaques sont aussi mentionnés dans le discours XXII de Lysias, § 16.

[26] Contre la loi de Leptine, § 32.

[27] Cette dernière attribution, ils la possédaient déjà du temps de Périclès. Voir l’auteur comique, sans doute Cratinos, cité par Plutarque, dans ses xολιτιxά παραγγέλματα, XV, 9. Ce doivent être les fonctions de sitophylaque qui sont visées dans ce vers dirigé contre un ami politique de Périclès :

Μητίοχος δ’άρτους έποπτά, Μητίοχος δέ τάλφιτα

[28] Voir sur ce sujet des ventes à bas prix et des distributions gratuites faites par l’état, en temps de disette, les textes réunis et commentés par Bœckh, Économie politique, t. I, p. 123-127. Un des plus importants se trouve dans le discours contre Phormion, §§ 37-39. Parmi les σύμβολα ou jetons qui ont attiré dans ces derniers temps l’attention des archéologues, on en a reconnu que, par la comparaison des tesseræ fumentariæ romaines, on a pu désigner comme ayant servi à ces distributions de blé ; ce sont ceux qui portent comme marque des épis tendus par une main, quelquefois accompagnés d’un caducée, de cornes d’abondance et d’emblèmes analogues. Voir Benndorf, Beitræge zur Kenntniss des Attischen Theaters (in-8°, 1875, Vienne), p. 56. Toute cette étude est à lire pour l’importance du rôle que jouaient dans la vie administrative d’Athènes ces jetons ou ov1i6o1a qui remplaçaient dans bien des cas la petite monnaie et facilitaient des opérations assez compliquées. — On trouvera dans le Corpus inscriptionum æticarum, t. II, n° 194-197, plusieurs décrets relatifs à une cherté de blé qui dura à Athènes de 330 à 326. N° 335, on lit un décret en l’honneur de σιτώναι qui s’étaient bien acquittés de leur mission. Sous les nos 312 et 313 ; on a deux décrets, l’un en l’honneur d’Audoléon, roi des Péoniens, qui avait fait un cadeau de blé aux Athéniens, l’autre en l’honneur d’un de ses serviteurs qui s’était occupé de faire arriver le plus vite possible ces blés à Athènes. Les deux décrets sont de 286 avant J.-C.

[29] Démosthène, C. Lacritos, § 51.

[30] Lycurgue, C. Léocrate, § 27. Démosthène, C. Phormion, § 37.

[31] Œcon., XX, 27.

[32] Cette dénonciation, en pareil cas, s’appelait proprement φάσις ou révélation. Démosthène, C. Lacritos, § 31. C. Theocrines, passim, §§ 1-15. Bekker, Anecdota, t. I, p. 313, s. v. φαίνειν.

[33] Lysias, XXII, § 5. — On ne sait pas au juste ce que représentait la charge (φορμός), mais Bœckh admet, d’après divers indices, qu’elle ne devait pas différer sensiblement du médimne, dont le poids (environ 40 kilogrammes) était à pou près ce qu’un homme peut porter sans trop d’efforts.

[34] Ibidem, 8.

[35] Ibidem, 12.

[36] Harpocration, s. v. έπιμεληνής έμπορίον, d’après Aristote. La même glose se retrouve, altérée et tronquée, dans les Anecdota de Bekker, au même mot, t. I, p. 255.

[37] Le discours XXII de Lysias a été prononcé dans un de ces moments d’exaspération populaire (§ 2), et l’orateur y fait allusion à d’autres circonstances analogues, où l’opinion s’était déchaînée de même contre ces négociants et où plusieurs avaient été victimes de sentences rigoureuses (§ 18, 20).

[38] Ibidem, § 16. Il semblerait, d’après un mot d’un lexicographe, que pour tous les délits ou crimes ayant trait à la violation des lois sur le commerce du blé, le jury siégeât à l’Odéon ; έν ώ xαί διxαστήριον ήν σέτου (Lexica Seguerriana, p. 318). Peut-être aussi cela veut-il dire seulement que les sitophylaques tenaient là leurs séances et y prononçaient des amendes contre les auteurs de contraventions, y recevaient les dénonciations qui pouvaient entraîner des condamnations plus graves.

[39] Scol. d’Aristophane, Acharniens, v. 547.

[40] Cette identité est admise par Bœckh (Staatsaushaltung, t. I, p. 84, n. 5) qui a réuni les textes relatifs à ces portiques. Voir surtout Démosthène, contre Phormion, § 37. Thucydide, VIII, 30. Pausanias, I, 1, 3.

[41] Démosthène, C. Phormion, § 37. Lexica Segueriana, p. 318, s. v. ώδεϊον.

[42] Κριθοφόρος άρίστη, dit Théophraste en parlant de la terre attique, dans son Histoire des plantes, VIII, 8, p. 274.

[43] Démosthène, C. Dionysodore, 9. En 322, les mesures prises par Cléomène, le, gouverneur macédonien, en Égypte, ayant fait hausser le prix des blés à Athènes, ce sont des arrivages siciliens qui le ramènent au taux normal. L’ex-pression dont se sert l’orateur, ό Σιxελεxός xατάπλους, indique que ces arrivages étaient réguliers, qu’on les attendait et qu’ils avaient lieu tous les ans. Cf. Xénophon, Économique, XX, 27.

[44] En 445-444, Athènes, menacée d’une disette, reçoit du souverain de l’Égypte, alors révoltée contre les Perses, un cadeau de 40.000 médimnes de blé. Philochoros, cité par le scholiaste des Guêpes, au v. 718. — Les bâtiments de commerce qui viennent de l’Égypte à destination d’Athènes et qu’une escadre péloponnésienne cherche à capturer dans les parages de Cnide, en 411, doivent être des navires chargés de blé. Thucydide, VIII, 35. — En 322, Cléomène, en accaparant les blés d’Égypte, fait monter sensiblement les prix sur les marchés d’Athènes. Démosthène, C. Dionysodore, 7-10.

[45] Andocide (sur son retour, 20-21) parle de 14 navires chargés de grains arrivant à la fois au Pirée, en provenance de Chypre. Les discours de Lycurgue contre Léocrate (§ 15) et de Démosthène contre Dionysodore (§ 3) témoignent de l’activité qu’avait déjà alors le commerce de Rhodes et des étroites relations de ce marché avec celui d’Athènes. Les navires qui d’Athènes allaient en Égypte ou qui revenaient d’Égypte à Athènes suivaient cette route et faisaient en général escale dans l’une ou l’autre de ces deux îles (voir les textes réunis par Büchsenschütz, Besitz und Erwerb int Griechischen Alterthume, p. 433-135), parfois dans les deux. Il est donc probable qu’une partie du blé qui venait à Athènes de ces ports était du blé d’Égypte réexporté.

[46] Lors de la conquête de l’Eubée, il avait été fait aux citoyens une distribution de blé à laquelle Aristophane fait allusion dans les Guêpes, v. 715-718. Au siècle suivant, nous voyons Chabrias livrer bataille à l’amiral spartiate Pollis, afin d’assurer le libre passage des navires chargés des grains de l’Eubée, qui attendaient à Geræstos le moment de doubler le cap Sunium. Xénophon, Hell., V, 4, 61.

[47] Lysias, XXXII, 15.

[48] Nous voyons (Xénophon, Hell., V, 4, 56) les Thébains, dans une année de disette, faire. de grands achats de blé à Pagasaï. Xénophon (Hellen., V, 2, 16) parle de la πολυσιτία ou de la richesse en blé du territoire d’Olynthe.

[49] On trouvera une description instructive et pittoresque de toute cette région de la terre noire (tchernoziom) et de la steppe fertile dans l’un des intéressants articles que M. Anatole Leroy Beaulieu donne à la Revue des Deux-Mondes sous ce titre : La Russie et les Russes. Voir dans le tome CVI, p. 737, le premier de ces articles intitulé : La nature russe, le tchernoziom, les steppes et la population.

[50] C. Leptine, 31. Bœckh, en citant ce passage, fait remarquer que cette forme de phrase, cet emploi de πρός, indique non pas une égalité mathématique, mais une égalité approximative, une analogie dans les nombres ; il se fonde sur un passage d’Hérodote où cette préposition est ainsi employée (VIII, 44 rapproché du 48).

[51] Théophraste, Histoire des plantes, VIII, 4, 5. [Aristote], Problèmes, XIV, 2.

[52] Voyez la liste de toutes les formes incorrectes, de tous les mots étrangers à la langue classique qui sont relevés par Bœckh dans les inscriptions d’Olbia (Introductio, c. II. De sermone, § 2). Cf. ce que dit Ovide de la langue mêlée de mots gètes et sarmates qui se parlait à Tomis (Tristes, V, 7, 51-54).

[53] Voir dans les Abhandlungen de l’Académie de Berlin (1833, Historisch-philologische klasse, p. 181) le mémoire de Levezow intitulé über mehrere im Grossherzogthum Posen in der Næhe der Netze gefundene uralie Griechische Münzen. Levezow, en groupant divers indices, incline à attribuer à Olbia la plupart des pièces archaïques qu’il décrit, et regarde cette ville comme la tête de la route commerciale, où aboutissait l’ambre de la Baltique.

[54] Corpus inscriptionum græcarum, partie XI.

[55] C’est ce dont témoignent des monnaies de bronze d’un caractère tout particulier ; elles ont la forme d’un poisson. Quelques-unes sont anépigraphes ; les autres portent le mot ΤΑΡΙΧΟΣ. On les retrouve en grande quantité dans ce district ; toutes les collections de l’Europe en possèdent des échantillons.

[56] C. I. Gr., n° 2058. Dans ce long et curieux texte, il est question d’un tribut régulier, désigné par l’expression στόλος εϊς βασίλεια (A, l. 45), puis de présents offerts au roi Saïtapharnès à titre de marque de respect (έπί θεραπείαν), lorsque, voyageant à travers ses états, il passe dans le voisinage de la ville ; ces cadeaux extraordinaires sont appelés (A, l. 11) les dons du passage, δώρα τής παρόδου. Ce n’était pas seulement ce chef suprême qu’il fallait se concilier par ces marques d’égards ; il est question de chefs de second ordre, de chefs de tribus dont la cité se conciliait aussi la faveur par les mêmes moyens ; ils sont appelés là (l. 41-42) les porteurs de sceptre (σxηπτοϋχοι).

[57] Dion, Borysthenica, p. 75. D’après Dion, cette catastrophe avait été précédée d’autres semblables (πολλάxις έάλώxε) ; mais jamais elle n’avait été aussi complètement détruite que lors de cette victoire des Gètes.

[58] Ibidem, p. 76.

[59] Antonin le Pieux envoie des secours à Olbia contre les Tauroscythes et force ceux-ci à lui livrer des otages. Julius Capitolin, Vie d’Antonin, 9.

[60] Elle n’occupait plus, dit-il (p. 76), qu’une partie de son ancienne, enceinte et les habitants avaient quelque chose de misérable. Les murailles et les tours d’autrefois ne pouvaient plus servir ; la ville m’était entourée que d’un mauvais mur bâti à la hâte.

[61] Dion, Borysthenica, p. 78, 86.

[62] Macrobe, Saturnales, I, 10. Les noms propres que l’on rencontre dans les inscriptions de l’époque romaine, par la forme barbare de plusieurs d’entre eux, témoignent aussi de ce mélange. Bœckh, Introductio, c. II, De sermone, § 3. Dion (p. 76) dit de toutes ces villes de la côte scythique : τών μέν ούxέτι συνοιxισθεισών πόλεων, τών δέ φαύλως xαί τών πλείστων βαρβάρων είς αύτάς συρρυέντων.

[63] Il y portait le titre de ποντάρχης ou maître de la mer. Dion, Borysthenica, p. 80, et C. I. Gr., nos 2076, 2077, 2080.

[64] Pausanias, III, 19.

[65] Un contrat de prêt à la grosse que nous avons cité plus haut, celui que nous a conservé le plaidoyer contre Lacritos (§ 10), prévoit pourtant le cas où, après avoir visité Panticapée et Theudosia, c’est-à-dire le royaume du Bosphore, le capitaine voudrait revenir par la côte de gauche jusqu’à Borysthène, c’est-à-dire faire escale à Olbia. Comme j’ai essayé de le démontrer dans une leçon de la conférence d’antiquités à l’école des hautes études (30 mars 1876), il n’y a aucune raison de suspecter l’authenticité des documents contenus dans le discours contre Lacritos. Tout semble indiquer que nous avons bien là les pièces mêmes qui ont été lues devant le tribunal athénien.

[66] Sur l’emploi et le sens du terme Βόσπορος voir les observations de Bœckh et les textes qu’il a réunis dans le ch. XV de son Introduction. Il en résulte qu’il n’y avait point, comme les modernes l’avaient cru d’abord, de ville qui fût nommée par ses habitants Βόσπορος mais les Attiques, dans l’usage courant, appliquaient souvent ce mot non seulement à la région, mais, dans un sens plus étroit, à sa ville principale, à Panticapée.

[67] C. I. Gr., t. II, p. 90, col. 2.

[68] Voyez les textes réunis et commentés par Bœckh, ibidem, p. 98.

[69] C. I. Att., part. I, p. 23, col. 2. Sur la position de Nymphæon, Strabon, VII, 4, 4. D’après Krateros, Nymphæon payait un talent de tribut annuel. Harpocration, s. v. Νύμφαιον.

[70] Voir sur Theudosia et son annexion au royaume du Bosphore les textes réunis par Bœckh, ch. XIV de son Introduction.

[71] Strabon, XI, 2, 10.

[72] Eustathe ad Dionys. Perieg., v. 553.

[73] Strabon, XIII, 1, 38. Alcée mentionne un Lesbien qui porte le nom d’Archæanactidés. Bergk, fr. 118.

[74] Voir ses observations § 12 et 15 de l’Introduction.

[75] Diodore (XII, 31) se sert bien à ce propos de l’expression βασιλεύσαντες, mais on sait qu’il ne faut pas lui demander une grande propriété de termes.

[76] Introduction, ch. II, § 3. De même pour le nom de reine Κομοσαρύη. Le nom même de Seleucos, le second prince de la dynastie (433 avant J.-C.), est inconnu en Grèce vers cette époque et ne s’explique guère par un radical grec ; on ne le voit se répandre dans le monde grec qu’après l’époque macédonienne ; je le croirais volontiers aussi d’origine barbare.

[77] Bœckh attribue aux Arcadiens du Péloponnèse un décret en l’honneur de Leucon, qui a été retrouvé à Panticapée, C. I. Gr., 2103, e. Mais on ne tonnait point d’acte où les Arcadiens figurent sous ce titre comme corps de nation. Le seul décret analogue qui ait encore été retrouvé est rendu au nom des mille, l’assemblée délibérante de la confédération arcadienne après Épaminondas. Voir Foucart, Mémoire sur un décret inédit de la ligue arcadienne en l’honneur de l’Athénien Phylarchos, dans le tome VIII des Mémoires présentés à l’Académie par divers savants étrangers. Il faut donc reconnaître ici un décret des citoyens d’Arcadia en Crète, dont on a déjà retrouvé un décret parmi les documents relatifs au droit d’asile de Téos (Le Bas et Waddington, Voyage archéologique, partie V, n, 72).

[78] Dans le récit que nous fait Diodore (XX, 22-24) de la guerre entre Eumélos et ses frères, nous voyons 2.000 mercenaires thraces au service du roi du Bosphore. 2.000 mercenaires sont Grecs ; le reste de l’armée, plus de 20.000 hommes, se compose de contingents scythes. Nous ne voyons pas figurer, dans ce tableau des forces dont dispose Satyres, un corps de citoyens de Panticapée ou de Phanagorie. Il est vraisemblable que les Grecs des villes, commerçants et propriétaires de grandes exploitations agricoles, s’étaient peu à peu déshabitués du métier des armes ou n’étaient tout au plus appelés à servir que dans des cas graves, lorsque le territoire était menacé de quelque invasion.

[79] § 25. Voir à ce sujet la comparaison que Bœckh établit entre tous les passages des auteurs anciens où sont mentionnés ces princes ; il montre que les auteurs d’une époque postérieure, tels que Strabon et Diodore, ont employé, en parlant des souverains du .Bosphore, des termes inexacts et vagues qu’il ne faut pas prendre à la lettre. On trouve chez ces écrivains, à propos de ces princes, tantôt les mots de rois (βασιλεϊς), tantôt ceux de δυνάσται, de τύραννοι, d’ήγέμονες et de μόναρχοι. La diversité même de ces vocables prouve que ces historiens les emploient ici à peu près au hasard. Introduction, I, § 19.

[80] Άρχοντος Παιρισάδους τοϋ Αεύxωνος Βοσπορου xαί Θευδοσίης xαί βασιλεύων (pour βασιλεύοντος, avec un solécisme comme on en trouve souvent dans les inscriptions de ces contrées) Σίνδων xαί Τορετών xαί Δανδαρίων. C. I. Gr., 2117. Cf. 2118, 2119, 2120.

[81] Bœckh, Introduction, I, § 12. Mionnet : pour Panticapée et les autres cités européennes, Description, I, p. 346-348. Supplément, II, p. 1-10 ; pour les villes de la côte asiatique, Description, II, p. 333-334. Supplément, IV, 415, 417 ; pour les monnaies des princes du Bosphore, Description, t. II, 358-387. Supplément, t. IV, p. 501-549.

[82] Diodore, XX, 24.

[83] Diodore, XX, 24.

[84] Comptes-rendus de la commission archéologique de Saint Pétersbourg, 1865, p. 207.

[85] Contre la loi de Leptine, 31-34, 36-37.

[86] Strabon, VII, 4, 4.

[87] Ibidem.

[88] Ni dans les inscriptions, ni ailleurs, les princes du Bosphore, descendants de Spartocos, ne sont jamais appelés rois des Taures. C’est la dynastie issue de Mithridate qui conquit toute la Crimée. Asander (vers le temps d’Auguste) fortifia l’isthme qui la réunissait au continent (Strabon, VII, 11, 6).

[89] C. I. Gr., 2117, 2118, 2119. Ce nom des Sindes vient toujours le premier après le nom du roi.

[90] C. I. Gr.

[91] C. I. Gr., 2119.

[92] C. I. Gr., 2118, 2119.

[93] C’est dans les chapitres 16, 17 et 18 de la première, partie de son Introduction que Bœckh réunit tout ce qui se rapporte à chacune de ces tribus, en retrouve les noms, souvent défigurés par les copistes, chez les auteurs classiques et les géographes, et détermine la position probable de chacune d’elles. On remarquera la conjecture ingénieuse et très vraisemblable par laquelle il arrive à rétablir le nom des Thatéens dans le texte de Diodore (XX, 22, 4), conjecture qu’a admise, à la place du mot θραxων fourni par les manuscrits, Louis Dindorf, l’éditeur de Diodore dans la bibliothèque grecque-latine de Didot.

[94] Nous trouvons ces chefs scythes des tribus rattachées au royaume du Bosphore mentionnés plusieurs fois dans les auteurs. Diodore (XX, 22) donne comme allié à Eumelos l’un des fils de Parisadès qui se disputent le trône, Aripharnes, roi des Thatéens, et ce chef met sur pied, dit-il, 20.000 cavaliers et 22.000 fantassins. Dans Polyen (VIII, 55), c’est Satyros qui rétablit Hécatée, roi des Sindes, que ses sujets avaient chassé. Cf., pour une époque postérieure mais où n’avait pas dû changer sensiblement l’état politique et ;social :de cette région, Plutarque, Lucullus, 16 ; Appien, Mithridate, 102. Pharnace prend sur ses monnaies le titre de βασιλεύς βασιλέων μέγας et nous le voyons donné dans les inscriptions à Tib. Julius Sauromates II (C. Inscr. Grœc., 2123, 2124).

[95] Diodore, XX, 22-24.

[96] Bœckh (p. 92 et 93 de son Introduction) relève différents indices qui lui permettent d’attribuer ce rôle à Gorgippos, le fondateur de Gorgippia en plein pays des Sindes, et au Satyres dont on voyait, d’après Strabon (XI, p. 494), le tombeau sur la côte du Bosphore cimmérien.

[97] Voir la seconde partie de l’Introduction de Bœckh, et particulièrement les §§ 5-12. Bœckh est frappé surtout de la ressemblance que présentent les noms des chefs de tribu voisins du royaume du Bosphore avec les noms perses et mèdes.

F.-G. Bergmann, Les Scythes, les ancêtres des peuples germaniques et slaves, leur état social, moral, intellectuel et religieux, esquisse et ethnogénéalogique et historique. Colmar, 1858, in-8°.

Enfin le travail qui me paraît offrir le plus de garanties, être rédigé avec le plus de science et de méthode, c’est celui que Müllenhoff a publié dans le Bulletin de l’Académie de Berlin (1866, p. 549-576). Cette remarquable étude est destinée à prouver, par une série de comparaisons où rien ne parait donné au caprice et à la fantaisie, que les Scythes d’Hérodote sont de race aryenne et que leur langue tenait de très près à celles qui forment le rameau iranien de la famille indo-européenne. Sarmates et Scythes ne feraient qu’un seul groupe ; que rapproche des Slaves ce fait que les langues slaves sont celles qui ont le plus de rapport avec les idiomes de la branche iranienne, mais qu’en sépareraient pourtant certaines différences caractéristiques. il faudrait donc faire des Scythes et Sarmates une nouvelle subdivision de la famille aryenne.

[98] C’est aux publications, trop peu connues en France, de l’Académie impériale russe, qu’il faut demander la reproduction et l’explication de ces curieux monuments. Voici surtout ceux que nous avons en vue. 1° Un vase en électrum ou or pâle qui a été trouvé dans un tombeau du Koul-Oba, près Kertch, et dont la panse est ornée de sept figures de Scythes qui paraissent engagés dans une expédition militaire (Antiquités du Bosphore cimmérien, pl. XXXIII). Cf. un bijou en or, provenant des mêmes fouilles, et formé par deux figures de Scythes buvant dans une même coupe (ibid., pl. XXII, a, 10). 2° Un vase en argent doré, trouvé sous un tumulus ouvert en 1863 loin de la Date, dans le district d’Ekatérinoslaw, à 20 verstes au nord du bourg de Nicopol (voir les Comptes rendus de la Commission archéologique pour les années 1863 et 1864 avec la description de Stephani). Il résulte de l’ensemble des découvertes qu’on a là les restes d’un de ces tombeaux des rois scythes que décrit Hérodote (IV, 71). Ce vase, aujourd’hui l’un des plus beaux ornements du musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, est d’un magnifique travail. Il a la forme d’une amphore. En haut est figuré un griffon dévorant un cerf ; au-dessous règne une frise qui représente des Scythes dont plusieurs sont occupés à soigner leurs chevaux. Plus bas, toute la panse est ornée de palmettes et de rinceaux du plus beau style an milieu desquels se jouent des oiseaux et animaux fantastiques ailés.

[99] Antiquités du Bosphore cimmérien, explication de la planche 33.

[100] Hérodote (IV, 24) indique que sept idiomes principaux sont parlés dans la Scythie. Ailleurs (§ 76) il insiste sur cette extrême diversité de coutumes.

[101] Ainsi § 19, § 21, § 46.

[102] § 17. Plus loin, au-dessus de la Crimée, il place les Σxυθαί γεωργοί, expression qui doit être synonyme de la précédente.

[103] Ueber bemalte Vasen mil Goldschmuck, Leipzig. Depuis lors de nouveaux vases de cette fabrique ont été recueillis en Attique. Voir (Revue archéologique, n. s. XXX, 1-3 et 77-80) l’article de Maxime Collignon Sur trois vases peints de la Grèce propre à ornements dorés. Le plus beau des vases de cette espèce est celui qui représente une chasse de satrapes perses, et qui est signé de Xénophantos athénien (Antiquités du Bosphore cimmérien, pl. 45 et 46).

[104] Mémoires de l’Académie des Inscriptions, t. XXIV. Un autre Français, Dubois de Montpéreux, par la publication de son Voyage autour du Caucase (1839-1843), a beaucoup contribué à faire comprendre aux savants de l’Occident l’importance et l’intérêt des monuments de cette région.

[105] Antiquités du Bosphore cimmérien.

[106] A défaut des Antiquités du Bosphore cimmérien, dont les belles planches peuvent seules faire bien connaître le plan de ces tombes et le style des objets qu’elles renferment, on pourra consulter, pour en avoir au moins une idée, outre le mémoire de Ch. Lenormant cité plus haut, un travail de Boulé, intitulé Antiquités du Bosphore (Fouilles et découvertes, t. II, p. 378).

[107] Pour toute cette chronologie des rois du Bosphore, qui paraît assez bien établie grâce à de nombreux synchronismes, nous avons suivi Bœckh, p. 91-94 de son Introduction.

[108] Lysias, XVI, 11.

[109] Eschine, III, 171.

[110] Les inscriptions relatives aux ambassades athéniennes ont fait l’objet de toute une série de leçons dans le cours de M. Foucart au collège de France, pendant le premier semestre de 1876.

[111] Trapézitique, 5, 9, 52, et surtout 57. Le plaideur y fait allusion aux privilèges dont les Athéniens jouissent déjà sur les marchés du Bosphore.

[112] C. I. Att., II, 546. Voir aussi les observations de Bœckh sur cette pièce qu’il a publiée le premier (Staatsaushaltung, t. II, p. 351-355).

[113] Théophraste, περί λίθων, 52, met en première ligne le vermillon de Céos, puis ensuite ceux de Lemnos et de Sinope, comme qualité.

[114] L. 11. Comme exemple d’une convention du même genre, mais où ne sont plus partie les Athéniens, on peut encore citer celle qui était intervenue entre Amyntas et les Chalcidéens ; elle avait trait à l’exportation de la poix et des bois de construction pour maison et navires, que les Chalcidéens voudraient tirer de la Macédoine. On en trouvera le texte dans Le Bas, Voyage archéologique, inscriptions de la Macédoine, n° 1406.

[115] C’est ce qui me paraît résulter clairement du § 31. L’exemption des droits de douane dont les Athéniens jouissent dans le Bosphore y est présentée comme correspondant à un privilège semblable concédé par Athènes à Leucon et à ses fils.

[116] L’auteur du discours contre Phormion (§ 39) appelle ce prix de cinq drachmes ή xαθεστηxυϊα τιμή. Voir les observations de Bœckh à ce sujet (Staatsaushandlung, I, p, 132, note c).

[117] Démosthène calcule autrement (l. l., § 33). Leucon étant le producteur auquel Athènes achetait en moyenne 400.000 médimnes par an, on a, pain la somme totale, destinée à couvrir cet achat, environ 13.000 médimnes de plus que si l’on payait ce droit de trois pour cent. Athènes y gagne ainsi 13.000 médimnes, soit environ 6.706 hectolitres de blé. Il va sans dire que le chiffre de 65.000 drachmes n’est qu’un chiffre approximatif. Sur le marché, le blé devait coûter moins cher qu’à Athènes où il avait à supporter en sus du prix d’acquisition celui du fret ; mais d’autre part souvent le prix du blé s’élevait à Athènes bien au-dessus de 5 drachmes et, de plus, il y avait des années où Athènes tirait du Bosphore beaucoup plus de 400.000 médimnes. on peut donc. accepter ce chiffre comme une moyenne qui n’a rien d’arbitraire.

[118] Contre la loi de Leptine, § 33. Ce doit être là le cadeau de blé dont Strabon a aussi conservé le souvenir (VII, p. 311) : il parle de 1.200.000 médimnes. Le texte de Strabon ni celui de Démosthène ne disent pas d’une manière suffisamment claire pour nous s’il s’agit ici d’un don gratuit ou d’une vente consentie à des conditions exceptionnellement avantageuses pour Athènes. Bœckh (Staatsaushaltung, I, p. 125, note a) adopte une correction déjà proposée par Fr. A. Wolf, τοσούτου pour τοσούτον, qui trancherait la difficulté ; la phrase contiendrait alors la mention d’un prix fixé par Leucon ; mais ce n’est là qu’une correction. Quoi qu’il en soit, que Leucon ait donné son blé pour rien ou l’ait cédé à très bon marché dans une année où il était très cher, à cause de la disette générale, il avait fait aux Athéniens un véritable cadeau et leur avait rendu un grand service. J’inclinerais d’ailleurs à croire que cette dernière interprétation est la vraie ; ni Démosthène ni Strabon ne se servent des mots έδωρήσατο, δέδωxεν σίτου δωρεάν (décret en l’honneur d’Audoléon) ; mais ils emploient les termes άπέστειλεν, πέμψαι. De plus, l’indication d’un fonds destiné à des achats et administré par Callisthène, sans doute président d’un collège de σιτώναι, semble indiquer qu’il s’était agi d’un marché à conclure avec Leucon. Leucon avait répondu en fournissant à la ville les quantités qu’elle demandait, et il les lui avait comptées au cours ordinaire, et, non au cours exceptionnellement haut de cette année de disette.

[119] Contre la loi de Leptine, § 33.

[120] Ibidem, § 36.

[121] C. Leptine, § 34.

[122] C. Leptine, §§ 89-94.

[123] Sur la γραφή παρανόμων voir notre Essai sur le droit public d’Athènes, p. 164-167.

[124] Lettre I à Ammæos, 4.

[125] Démosthène, C. Phormion, § 36.

[126] C’est ce que permettent de supposer les termes par lesquels fait allusion à ces disettes l’auteur du plaidoyer contre Phormion, que Schæfer croit avoir été prononcé vers 330. Il indique comme une de ces années de disette celle où Alexandre marcha contre Thèbes (335) et il ajoute : Déjà auparavant le, prix du blé s’était élevé jusqu’à 16 drachmes. L’année qui avait précédé le procès avait encore été une année de grande cherté.

[127] C. Démosthène, § 43.

[128] Voir l’Introduction aux inscriptions de Sarmatie, p. 92 et 93. Bœckh groupe là des textes et des indices qui rendent cette interprétation très vraisemblable.

[129] Dinarque, c. Démosthène, § 43.

[130] Pausanias, Attica, 25, 26 ; C. I. Attic., t. II, nos 311, 312, 313, 317, 315.

[131] Le premier porte dans le Corpus le n° 312, le deuxième le n° 311. Voir aussi, sur le décret en l’honneur de Spartocos, qui est maintenant déposé au Musée britannique, les observations de M. Hicks (The collection of Ancient Green inscriptions in the British Museum. Pars I. Attika, n° XV).

[132] Il y est dit (l. 32-33) qu’Audoléon avait promis de concourir.

[133] Le décret d’Audoléon semble bien faire allusion à ces divers points de débarquement au moyen desquels la pauvre Athènes remplaçait mal le Pirée perdu. Audoléon, dit-il (l. 29-90), a fait arriver à ses propres frais le blé qu’il donnait jusque dans les ports de la ville.

[134] Le chiffre a disparu sur la pierre.

[135] Voir la liste des guerriers athéniens de la tribu Erechthéide tués à l’ennemi en 459, connue sous le nom de Marbre de Nointel. C. I. Att., t. I, n. 433.

[136] Vers 440. Plutarque, Périclès, c. XIX-XX.

[137] Athènes ne fournit que 1.000 hoplites et 500 cavaliers, quand la Béotie, quand l’Étolie donnent chacune plus de 10.000 hommes.

[138] Diodore, XVIII, 18. Plutarque, Phocion, 29.

[139] Bossuet, Histoire universelle, 3e partie, ch. V.

[140] Voir l’ouvrage de M. Albert Dumont, Essai sur l’éphébie attique, 2 vol. in-8°, Paris, Didot, 1876, 1875.

[141] Isocrate, sur l’antidosis, § 299.

[142] Dans les tables du précieux ouvrage de M. Koumanoudis (Άττιxής έπιγραφαί έπιτύβιοι, Athènes, 1871, gr. In-8°) je relève les chiffres suivants des épitaphes appartenant à des hommes ou à des femmes originaires de la Syrie : 1 de Damas, - 1 de Marathus, - 1 d’Arados, - 2 avec le titre générique Φοίνιξ - 3 de Tyr, - 3 d’Ascalon, - 3 de Bérytos, - 12 de Sidon. Pour donner une idée de l’importance relative de ces chiffres, nous ferons remarquer que M. Koumanoudis ne relève que 5 épitaphes de Syracusains et 13 de Corinthiens.

[143] Le sud de la Russie est par excellence le pays du climat excessif, des saisons fortement contrastées... Sous la latitude de Paris et de Venise, les contrées placées au nord de la mer Noire et de la Caspienne ont en janvier la température de Stockholm, en juillet celle de Madère. Anatole Leroy Beaulieu, la Russie et les Russes (Revue des Deux-Mondes, t. CVI, p. 751).

[144] Monuments grecs publiés par l’Association pour l’encouragement des études grecques (in-4°, 1875) : La dispute d’Athéné et de Poséidon, par M. de Witte. M. de Witte reproduisait dans ce travail les idées exposées par le savant archéologue de Saint-Pétersbourg, M. Stéphani. Ces idées ont été, depuis lors, fortement contestées. Voir dans l’Archæologische Zeitung de Berlin (t. VIII de la nouvelle série, p. 115) l’article de M. Petersen, die neueste Erklærung der Westgiebetgruppe des Parthenon. Les doutes de Stephani ont été partagés par M. H. Brunn, dans sa dissertation intitulée Die petersburger Poseidonvase et lue à l’Académie royale de Munich (Aus den Sitzungsberichten der philosophisch-philologischen Classe, t. I, 4e livraison de 1876).