LA GUERRE ENTRE LOUIS XIII ET MARIE DE MÉDICIS

1619-1620

 

CHAPITRE VIII. — LE TRAITÉ DES PONTS-DE-CÉ.

 

 

La victoire des Ponts-de-Cé, dans son pur éclat, rehaussait tellement Louis XIII que, dès qu'elle se fut déclarée par l'enlèvement des barricades et du bourg de Saint-Aubin, il accourut, avec Condé, à Trélazé pour en aviser son conseil et lui en communiquer son allégresse. Pendant ce temps, et comme pour mieux décorer son triomphe, arrivait son trophée de prisonniers et d'enseignes sous l'accompagnement de Bassompierre. C'est que, dès qu'il eut achevé de bloquer la citadelle des Ponts-de-Cé par l'érection des barricades et le renforcement des corps de garde, Bassompierre s'était esquivé pour quelques instants de sa ligne de blocus avec ces gages de bienvenue ; et, vraiment, cette victoire qui s'incarnait en lui, il méritait bien à la fois d'en assurer le couronnement et d'en escorter les prémices.

Hélas ! pourquoi faut-il qu'une victoire qui lui devait à lui-même l'innocence de son lustre, Bassompierre, dès son arrivée à Trélazé, l'ait douloureusement reconnue inutile et, partant, regrettable ? C'était peu après la venue de Bellegarde qui, de son côté, semblait n'être arrivé d'Angers avec la tardive signature de Marie de Médicis que pour aborder Condé, qui déjà s'applaudissait de proscrire ce hors-d'œuvre, avec cet amer reproche : Eh quoi ! ne pouviez-vous nous attendre au moins deux heures ? Et pourquoi faut-il que ce reproche qui, dans le silence de Bellegarde et rien qu'à l'apparition de Condé devant le convoi sanglant de Nérestan, eût surgi du fond de sa blessure et vibré dans le râle de son agonie, hélas ! pourquoi faut-il qu'un aussi poignant reproche n'ait valu à l'ambassade affligée dont elle émanait si justement que cette impitoyable réplique : Nous n'étions pas obligés à deviner la parole de la Reine. C'était à vous à vous hâter, et non pas à Sa Majesté à vous attendre. On vous l'avait bien dit à La Flèche !

Ce qu'à La Flèche Henri de Bourbon s'était bien gardé d'avouer à l'ambassade angevine, c'était le piège attaché à la rigueur de son ultimatum. Ici, d'ailleurs, Condé est le seul coupable. Seul il répond de la perpétration de son coup de Jarnac. Dans la grande journée du 7 août, il n'a pas trouvé plus de complices en l'attaque prématurée des Ponts-de-Cé qu'en l'attardement au logis Barrault de l'ambassade angevine. Un complice ! on n'en peut voir, certes, dans le jeune roi, que sa double impatience de réconciliation et de victoire a tenu jusqu'au soir à égale distance de Trélazé et des Ponts-de-Cé, à égale distance de Condé et de Luynes. Dans toute cette journée, Louis XIII n'avait pas plus répudié la diplomatie qu'enchatné la victoire. Et c'est ce qui l'autorisait à convier Bassompierre et Bellegarde, dès qu'à Trélazé tous deux parurent devant lui sans que la récente victoire du jour entre eux deux pût s'ériger en grief et sans que, partant, il y eût là de glace à rompre, à fraterniser sous ses irrécusables auspices. Louis XIII, à Trélazé, présenta donc sûrement Bassompierre à Bellegarde[1], et tous deux s'abordèrent en parfaite courtoisie, quoique non encore sans réserve.

Ce qu'en effet à Trélazé dut réserver Bellegarde vis-à-vis de Louis XIII jusqu'au retour à Angers de l'ambassade du nonce, ce fut la remise de la signature maternelle qui ne répondait plus, comme lorsqu'il l'eut recueillie dans la ruelle du logis Barrault, aux assurances du sursis d'hostilités daté de La Flèche. Depuis lors, la bataille si soudainement engagée au pied des tranchées de Saint-Aubin n'avait-elle pas tout remis en question ? Non que, encore une fois, ce qu'on peut bien appeler la surprise des Ponts-de-Cé ne fût imputable qu'à la seule perfidie de Condé. Mais, aux yeux de Marie de Médicis abusée, et de par la hiérarchie des responsabilités, Louis XIII n'en devait-il pas porter toute la peine ? Et, dans son aveugle exaspération des apparentes trahisons filiales, Marie de Médicis n'allait-elle pas s'obstiner dans ses chimères de revanche ? Et dès lors, tant qu'à éterniser par là la guerre civile, son objectif immédiat, en la persévérance de ses expectatives méridionales, ne serait-ce pas le recouvrement du passage de la Loire ? Aussi importait-il, pour ainsi dire, moins encore à Louis XIII d'en avoir conquis que d'en entretenir et d'en ravitailler l'interceptation. Dans ce but, tout d'abord, il renforça la ligne de blocus établie autour de la citadelle déjà presque entr'ouverte des Ponts-de-Cé, par l'échelonnement de toute la partie encore intacte de son aile droite aux plus proches quartiers de l'Authion, à savoir : l'infanterie à Sorges et la cavalerie à Trélazé. Et ce ne fut qu'après avoir intégralement assuré les logis de cet effectif de réserve qu'il alla, vers minuit, rejoindre son conseil de gouvernement au quartier général reporté vers Brain ; et cela non sans que d'abordée on ne l'y vit en tête des cornettes de sa garde caracoler aussi légèrement que s'il n'eût pas été, sous le feu de la canicule, dix-sept heures à cheval. Et après cette svelte passade, toujours sous l'impulsion de la même allégresse et par une suite de ses sollicitudes obsidionales, Louis XIII ne mit pied à terre que pour ériger le fleuve séparant la rébellion maternelle de sa dernière zone d'assistance, en un double courant d'armes et de vivres. Se retournant vers l'homme qui, dans son gouvernement de Saumur, s'attachait à l'extrémité la plus voisine de l'Anjou comme le plus strict gardien de ses délimitations fluviales, Louis XIII envoya relancer Duplessis-Mornay pour l'envoi aux Ponts-de-Cé de cette artillerie si impatiemment attendue d'Orléans, avec chargement de pains de munitions. Et, pour défrayer à cet égard ses commandes et ses réquisitions de bacs, le surintendant des finances Schomberg, qui, dans le conseil de gouvernement, accompagnait Condé, Retz et Luynes, assigna à Duplessis-Mornay le remboursement de ses avances sur la caisse de l'armée.

En même temps, par une correspondance heureuse à ces sollicitudes d'interceptation qui, chez Louis XIII, suivaient le cours central de la Loire, et tout à la fois pour y conjurer la perméabilité insurrectionnelle et y mieux assurer jusqu'aux Ponts-de-Cé le libre trajet de l'artillerie d'Orléans — en tout seize canons, sous bonne escorte, annoncés pour le lendemain, avec trois mille pains de munition fournis au commissaire des vivres —, Louis XIII, en amont d'Orléans, avait fait occuper par le duc de Rethelois le poste de la Charité. D'Orléans à Saumur, le gouverneur de Tours Courtenvaux avait, avec deux canons amenés du chef-lieu de sa province, chassé de Langeais le commandant rebelle La Joubardière. Plus bas Villarnoul occupait, du bourg de Candes au château de Chinon que venait d'évacuer Chanteboube en n'y laissant que cinquante hommes, l'embouchure de la Vienne, pendant qu'à Montreuil-Bellay La Tabarière surveillait, avec un noyau de fraîches recrues, l'embouchure du Thouet. Enfin, de Saumur aux Ponts-de-Cé, nous avons vu Duplessis-Praslin, en refoulant devant lui La Perraudière des Rosiers sur la Daguenière et de la Daguenière sur Belle-Poule, balayer la jetée de la Loire, tandis qu'un de ses détachements allait, jusqu'en aval des Ponts-de-Cé, garnir l'étape de Montjean. Et ainsi, sur toute la Loire, les rebelles n'avaient plus de passage libre que vers l'extrémité de son cours inférieur, à l'étape d'Ancenis, d'ailleurs trop éloignée d'Angers pour leur être rapidement exploitable, alors même qu'en cette zone de son gouvernement de Bretagne est failli le royalisme attentif du duc de Brissac.

En développant ainsi tout à la fois et en affermissant, dans son extension à travers toute la France, cette ligue centrale d'interceptation, Louis XIII, d'une part, sur la rive droite de la Loire, avec 16.000 fantassins et 3.000 cavaliers, tenait à sa merci Marie de Médicis. Par où, en effet, lui pouvait-elle échapper, une fois emprisonnée entre la Loire et la Maine, la Bretagne et la Touraine, avec ses seules réserves de 4.000 hommes et de 800 cavaliers, frustrée d'un chargement de 50.000 livres de poudre à son adresse immobilisés dans La Rochelle, et réduite à la provision précaire de trois jours de vivres par l'incendie des récoltes de la banlieue ?

Sur la rive gauche de la Loire, et entre la Loire et la Garonne, le seul homme qui, en sa qualité d'un audacieux corsaire des imminentes guerres de religion, eût pu par l'embouchure de la Loire, en reconquérant le poste de Montjean, convoyer jusqu'à Angers les poudres de La Rochelle, le frère de Rohan, Soubise, subissait dans le Poitou un grave et, ce semble, un décisif échec. Car, au sud de Poitiers, l'un des principaux commandants méridionaux de l'armée royale, le duc de La Rochefoucauld, en l'enlèvement des tranchées du poste de Brion, avait capturé, avec une partie de son état-major, l'élite de ses forces. Entre la Charente et la Garonne, et en remontant ce dernier fleuve au-delà de son affluent du Lot jusqu'à l'affluent du Tarn, Thémines, grâce à la conquête du Quercy, consommée par l'enlèvement de Moissac sur le comte de la Suze, neveu du duc de Mayenne, s'était assuré là, avec 7.000 fantassins et 200 cavaliers, une base de diversion qui attardait ce dernier en ses tentatives avunculaires de revanche. Sur la Haute-Garonne, à Toulouse, l'impassible mais le fidèle Montmorency assoupissait dans sa zone d'immobilité l'incandescence isolée des huguenots de Béarn. A l'extrémité orientale du réseau insurrectionnel, sur le bassin du Rhône, le gouverneur du Lyonnais d'Alincourt et le gouverneur du Dauphiné Lesdiguières s'étaient abouchés à Lyon, avec leur contingent total de 8.000 fantassins, 1.200 cavaliers et 6 canons, pour y conjurer les surprises de la Savoie. Sur la Saône, les lieutenants de Bellegarde maintenaient la Bourgogne et, par la Bourgogne, surveillaient la Lorraine. Au nord, sur la Somme et au regard des Pays-Bas, le gouverneur de Chaulnes, Cadenet, s'était inquiété à tort des armements limitrophes du général Spinola qui, alors en pleine ouverture de la période palatine de la guerre de Trente-Ans, et par une solidarité des deux branches de la maison d'Autriche dans l'attaque de l'électeur rebelle Frédéric V, dirigeait, par Juliers et le Bas-Rhin, vers le Bas-Palatinat toutes les forces espagnoles. Et un aussi rassurant dérivatif était attesté avec l'autorité la plus persuasive, à la fois par l'archiduchesse Isabelle à l'évêque d'Avranches, et à Paris à l'un des secrétaires d'État par l'ambassadeur de Bruxelles en France. Bien plus, dans l'intimité de ses confidences thermales à Spa, l'archiduchesse Isabelle blâmait sévèrement la sédition de Marie de Médicis, il est vrai sans s'offrir à la combattre. Mais, en définitive, une aussi prudente, disons mieux, une aussi maligne neutralité de la politique espagnole n'était que la contre-partie de celle observée, dans les conflagrations religieuses de l'Allemagne, par la France envers l'Autriche. Et d'ailleurs nous sommes encore loin de cette seconde et, cette fois, irrémédiable crise des dissensions de la maison royale où l'Espagne, par une transition de sa neutralité sournoise en une hostilité déclarée, au lendemain de la journée des dupes n'accueillera la fugitive Marie de Médicis que pour fomenter dans une insidieuse hospitalité ses rancunes maternelles.

Mais, après avoir assuré et goûté sa victoire, Louis XIII, non content d'en propager autour de‘ lui la jubilation, en voulut de suite adresser l'annonce officielle au siège permanent de l'autorité royale. Celle qui y avait droit en première ligne à un aussi heureux message, c'est bien cette reine qu'en quittant Paris Louis XIII avait laissée avec le titre de régente du royaume. D'autant plus qu'aujourd'hui l'on peut bien affirmer que la gracieuse et engageante Anne d'Autriche n'était pas pour rien dans l'exploit du jour. Nous en attestons ces héréditaires affinités entre la galanterie et la .vaillance qui nulle part, dans la race d'Henri IV, ne se décélèrent si innocemment que chez Louis XIII. On reconnaît bien sous ses lauriers l'époux transformé d'Anne d'Autriche. A son essor de virilité conjugale s'attache ce qu'on célébrait autour de lui comme l'éveil d'un Alcide. Aussi c'était à celle qui avait provoqué cette radieuse métamorphose à la constater de première main dans la remise d'un bulletin triomphal, d'un bulletin accompagné de dix-sept enseignes conquises dans les tranchées de Saint-Aubin, et qui devaient reposer au Louvre en attendant leur déploiement sous les voutes de Notre-Dame.

A côté d'Anne d'Autriche, et au premier rang de son conseil de régence, figurait le duc dé Montbazon qui, lors de l'arrestation à Angers de son fils Rochefort, fuyant les trahisons de l'hospitalité angevine encourues rien que par son adjonction à l'ambassade du nonce, avait regagné à Paris son premier poste de gouverneur de l'Ile-de-France. C'est à lui qu'Anne d'Autriche communiqua d'abord son message d'allégresse. Et rien ne pouvait mieux que ce privilège d'information le dédommager de ses transes paternelles. Rien ne pouvait mieux effacer en sa personne l'outrage infligé à une diplomatie dont la victoire elle-même allait respecter l'œuvre et confirmer les démarches.

Immédiatement autour de ce Conseil de régence, il y avait ce Parlement de Paris qui, la veille de l'entrée en campagne de Louis XIII, en avait homologué la formation, et qui ne s'était jamais départi de sa fidélité à la cause royale, puisque, après avoir condamné l'insurrection dans son principe, il en avait rejeté les appels. Aussi ces dignes magistrats qui avaient renvoyé toutes closes au roi les requêtes dont les rebelles assiégeaient ses audiences, en retour méritaient bien de recevoir toutes fraîches des mains de Montbazon, le 11 août, et d'enregistrer solennellement ces premières annales d'un règne qui répondait si glorieusement à leur confiance, d'un règne où le nom de Louis XIII promettait de ne s'effacer pas éternellement sous celui de Richelieu, entre les deux noms d'Henri IV et de Louis XIV.

En même temps on ne pouvait non plus oublier le corps diplomatique, à commencer par son plus auguste membre, le nonce Bentivoglio, qui, dans son éloignement de sa délégation angevine, devait voir son œuvre moins compromise que confirmée par l'éclat d'une victoire qui semblait s'imposer comme l'impérieux dénouement de la guerre civile. Aussi, dès la matinée du 10 août, Anne d'Autriche lui en expédia l'annonce ; et, de suite, Bentivoglio en alla complimenter la jeune reine qui, par une joyeuse infraction à la sévère étiquette des réceptions du Louvre, lui donna audience avant même l'achèvement de sa toilette, pour dérouler devant lui, avant leur chargement pour Notre-Dame, les trophées si chers à son orgueil conjugal[2].

Mais, pour Louis XIII une fois confirmé dans sa victoire, ce n'était pas tout d'en propager au loin le retentissement, il fallait encore lui en décerner la consécration. C'est à quoi pourvut, dès après la réduction du château des Ponts-de-Cé, le maréchal de Créquy, en venant à Brain informer son souverain de cette mainmise sur l'enjeu final de la guerre civile, et en l'y acheminant dans le rapide éclat d'une entrée royale. Car il y avait à peine deux heures que Condé avait ébranlé de l'acclamation de Vive le Roi ! les voûtes évacuées de la frêle citadelle, qu'à son tour, vers midi, Louis XIII en franchit le pont-levis avec son frère Gaston, son état-major et son régiment des gardes. Et c'est là que l'attendait son bouillant collatéral, également empressé d'acclamer et d'accueillir le jeune souverain qui s'était laissé pousser par lui si docilement à la victoire, à cette victoire qu'il revendiquait, lui, comme son œuvre. C'est là qu'Henri de Bourbon attendait Louis XIII pour déployer sur ses lauriers d'Alcide le plus beau des étendards capturés de Marie de Médicis et, partant, le trophée le plus disputé aux exigences de la capitulation par le gouverneur Bettancourt : un étendard blanc et jaune, portant, autour des armes couronnées de la reine-mère, la devise Pietate et justitia.

Pitié et justice ! En affichant cette assignation d'aussi plausibles mobiles à sa prise d'armes, Marie de Médicis était-elle sincère ? En se targuant — car telle était la signification de ses enseignes —, en se targuant d'affranchir l'autorité royale de la tyrannie de Condé et de Luynes, à quel point s'abusait-elle sur ses rancunes maternelles ? C'est là un secret à jamais enseveli entre elle et son confesseur, le jésuite Suffren. Toujours est-il que, dès que Louis XIII eut atteint la forteresse dont sa seule approche, pour ainsi dire, soulevait devant lui la herse, qu'on eût pu croire que, sous les auspices du plus mortel ennemi de Marie de Médicis, son cri de guerre tournait en supplique. Pitié et justice ! Par une transposition de ce mot d'ordre qui, hier encore, ralliait l'insurrection autour d'elle, Marie de Médicis semblait invoquer aujourd'hui la commisération filiale.

Pourtant Louis XIII arrivait au château des Ponts-de-Cé en vainqueur non désarmé, le pied maintenu dans l'étrier, le casque en tête et la lance en arrêt. Et, après avoir élevé d'abord en actions de grâces ses regards étincelants vers le ciel, après avoir ensuite reporté du bassin de l'Authion jusqu'aux extrémités du théâtre angevin de sa marche triomphale ses sollicitudes de retranchements et de logis, il avisait déjà, ce semblait-il, par delà le passage définitivement intercepté de la Loire, des perspectives méridionales d'une nouvelle phase de victoires. Mais, dans la satisfaction rapidement atteinte d'un premier essor guerrier, Louis XIII n'ambitionnait plus désormais que la plus belle de toutes, celle de se les interdire et de poser les armes au pied des trophées où s'inscrivait l'appel à sa clémence filiale. Nous nous rappelons comme cette clémence s'était délicatement trahie dès les premiers élans de son entrée en campagne, en cette déclaration de Mortagne où, pour que se cicatrisât mieux la plaie infligée d'abord à l'orgueil maternel par l'imprudente apologie de Condé, il avait écarté du nom de Marie de Médicis toute accusation directe de révolte, pour la rejeter toute sur les exploiteurs de ses griefs, en ne se disant armé que pour sa délivrance dès lors qu'ils la tenaient captive. Plus tard, lorsqu'au Verger, dans l'interceptation opérée sur Sardini des lettres de Marie de Médicis, il eut reconnu des destinataires que compromettait cette capture, il voulut, rien que parce qu'elles étaient signées d'elle, oublier jusqu'à leurs noms. En même temps, par une suite des sollicitudes vouées par ce sincère libérateur de Marie de Médicis à tout ce qui touchait à sa considération et à son service, c'est sur ses recommandations que la police préposée derrière lui à la surveillance de sa capitale y avait épargné sa haute domesticité dans une razzia de suspects pour la lui renvoyer intacte. Après cela, qui s'étonnera de voir Louis XIII, à peine installé au château des Ponts-de-Cé, en renvoyer à sa mère, le 9 août, la garnison non désarmée sous l'honorable escorte du capitaine du régiment de Navarre Bonnevau, avec ses enseignes marquées de ses armes et de son chiffre ? C'est que, dans les clauses de la capitulation du matin, Louis XIII n'en avait exigé si rigoureusement la remise que pour gagner sur sa mère le plaisir de lui en déférer l'hommage. Et en renvoyant à Anne d'Autriche toutes les autres enseignes, il n'avait gardé celles-là que juste le temps de méditer l'enseignement de leurs devises, avant de partager les trophées de sa victoire entre la veuve de Henri IV et la mère de Louis XIV.

En regard des glorieux ménagements octroyés par la piété filiale à cette garnison qui rapportait à Marie de Médicis les plus hautes consolations de son désastre, qu'allaient obtenir les prisonniers recueillis la veille sur le champ de bataille ? Malheureusement le plus prestigieux d'entre eux, Saint-Aignan, encourait aussi le plus gravement la sévérité du vainqueur pour ne s'être jeté dans la révolte qu'en désertant son poste antérieur de maître-de-camp de la cavalerie royale. Aussi, dès qu'arriva au quartier-général de Trélazé cet éminent transfuge, avec le flagrant délit d'une forfaiture qu'accentuait encore l'éclat de ses prouesses finales, le prince de Condé et le garde des sceaux Du Vair, appelés le 13 août, dans l'improvisation de ce qu'aujourd'hui nous appellerions une cour martiale, à statuer judiciairement sur son sort, opinèrent d'emblée pour une condamnation capitale. Et Louis XIII, par une rigueur naturelle primant ici le respect filial, en face d'un homme à qui Marie de Médicis devait la glorification de son malheur, allait sanctionner le verdict draconien de son conseil, et par là livrer à Condé Saint-Aignan, comme il fera plus tard à Richelieu Montmorency, Marillac et Cinq-Mars. Mais à ce moment Bassompierre, dont la courtoisie et la générosité suivaient infatigablement les vaincus bien au delà du champ de bataille de la matinée et jusqu'au tribunal des réactions consécutives, s'adjoignit pour un recours en grâces, en la personne de Créquy, le collègue partageant avec lui tout à la fois l'honneur et l'autorité de la victoire. Ensemble ils plaidèrent chaudement devant Louis XIII la cause d'un homme dont l'élan malheureux, sous l'arche des Ponts-de-Cé, ne l'avait trahi qu'en le transfigurant ; de l'indéfectible chevalier d'une souveraine dont la considération lui devait assurer en retour, par une communication de ses augustes prérogatives, aux yeux de celui qui ne l'avait vaincue qu'en s'inclinant devant elle, l'invulnérabilité d'un prisonnier de guerre. C'est ce privilège, ajoutaient Bassompierre et Créquy, c'est ce privilège qu'au moment de sa capture nous avons garanti à Saint-Aignan en notre qualité de généraux de Sa Majesté. Nous y avons donc engagé l'autorité royale, et cette assurance l'a seule déterminé à se rendre. Après cela, si de ce chef notre initiative est désavouée, il ne faut plus compter sur de pareilles soumissions. Il n'est désormais pas un rebelle qui, cerné sur les champs de bataille d'une guerre civile, n'y épuise la résistance, fût-ce en abreuvant de son sang ce qui s'est par là transformé pour lui en un lit d'honneur, plutôt que de s'y laisser ignominieusement ramasser comme une proie d'échafaud. Nous ne sommes pas des prévôts pour traîner au supplice un ancien compagnon d'armes. Et, plutôt que d'en encourir le soupçon, concluait impérieusement Créquy, il me faut le salut de Saint-Aignan, ou je brise là-dessus et je pars si, séance tenante, je n'obtiens sa grâce. Il ne fallait pas moins que ce fier plaidoyer, s'enhardissant de toutes les recommandations d'une victoire dont une résistance si implacablement condamnée avait encore rehaussé le lustre autant qu'elle avait honoré l'infortune maternelle, pour fléchir soudainement Louis XIII. Séance tenante, il expédia d'abord aux exécuteurs d'une sentence si hautement réprouvée un ordre de sursis, qui donna le temps à Duplessis-Mornay de venir à son tour intercéder pour son collatéral. Et alors, comme pour racheter envers Saint-Aignan sa rigueur initiale par un renchérissement sur ce qu'on sollicitait de sa clémence, Louis XIII ne lui rendit la vie qu'avec la liberté, en le défrayant même de l'acquit de sa rançon envers l'aide de camp Boyer, celui-là même à qui Saint-Aignan avait déclaré se rendre. Le seul témoignage subsistant de sa disgrâce fut sa dépossession de la charge laissée vacante par sa désertion, et dont Louis XIII avait déjà disposé le 9 août au profit de l'officier La Curée[3]. Mais ce n'était là, comme nous l'allons voir, que l'application d'un des articles les moins débattus du traité de paix générale signé dès le 11. Et d'ailleurs Saint-Aignan pouvait compter sur l'indemnité de cinquante mille livres dont le couvrit peu de jours après Marie de Médicis, comme en un concours ouvert au sein de cette maison royale, déjà réconciliée dans le dénouement de la guerre civile, entre la miséricorde et la gratitude. Pour rivaliser même, sur ce nouveau champ de bataille, au moins à armes égales avec celle qu'il désespérait d'y vaincre, Louis XIII emprunta à Marie de Médicis tout ce qui, dans son grand cœur, survivait légitimement à sa révolte. Aussi, à peine Saint-Aignan se fut-il jeté à ses pieds avec l'effusion du repentir provoqué par sa clémence, qu'en le relevant il le loua des prodigalités d'un courage reconnu digne d'une meilleure cause. Et de ce seul côté là, certes, il y avait de quoi consoler Saint-Aignan de ce que sa soumission ne lui pouvait plus rendre.

Ces éloges d'ailleurs, Saint-Aignan les partageait avec son compagnon de captivité Du Thier, et avec Marillac qu'on croyait alors disparu dans la mêlée[4], et avec tant d'autres héroïques défenseurs de Marie de Médicis qui, eux, n'avaient rien déserté pour la suivre. Aussi, en les gardant à son service, Louis XIII ne leur demanda que de lui continuer ce que sa mère avait obtenu d'eux. En revanche, et de par les mêmes identifications filiales, il stigmatisa ceux qui, au plus fort du combat où s'était jouée au nom de Marie de Médicis sa partie d'honneur, l'avaient si fatalement lâchée. Et d'abord l'inconsistant duc de Retz, dont la cour ne daigna pas même salarier la défection. Et puis et surtout les Vendôme, chez qui Louis XIII, en dépit des naturelles solidarités de race, ne retrouvait rien de ce qui circulait héréditairement dans ses veines. C'est que, de ce côté, les vaillances d'Arques, d'Ivry et de Fontaine-Française n'avaient pas suivi dans ses prostitutions le sang royal. C'est du moins ce que proclamait bien haut, dans l'intraduisible crudité et dans l'émancipation guerrière de ses saillies triomphales, sur ce champ de bataille qu'ils lui avaient si honteusement abandonné, l'héritier normal de ce sang généreux d'Henri IV. Et là-dessus Louis XIII s'épanchait à d'autant plus juste titre, que ce sang si légitimement reçu de Marie de Médicis et si respectueusement tourné contre elle, lui-même à son tour, en époux tendre encore et toujours chaste de celle qui venait d'en déterminer chez lui si à propos l'éruption virile, il ne le transmettra que par Anne d'Autriche à Louis XIV.

Si la vitupération sans merci de Retz et de Vendôme nous révèle tout le prix que Louis XIII attachait au déploiement de l'héroïsme jusque dans la révolte, en revanche on juge, par la haute estime vouée à un Saint-Aignan et à un Du Thier, tout ce qu'obtint de lui le même héroïsme éclatant sous ses enseignes. Dès qu'était arrivé à Trélazé le convoi funèbre où déjà presque agonisait Nérestan, Louis XIII était accouru à son chevet pour lui déléguer, ainsi qu'à Du Thier, son propre chirurgien, avec le versement de deux cents pistoles affectées à son traitement, et pour lui prodiguer tous les soins grâce auxquels on ne désespérait pas encore de fermer sa blessure[5]. Et quand, malheureusement, peu après cette paix des Ponts-de-Cé trop tardive pour conjurer sa perte, et que cette perte 'n'avait pas même servi à préparer, quand, dis-je, l'hémorragie ou la gangrène eut tari la source de sa généreuse vie[6] avant que Louis XIII eût pu lui conférer, ainsi qu'à son émule Bassompierre, le bâton de maréchal de France, au moins, comme pour perpétuer auprès de lui l'illusion de son assistance, dès après le transfert de ses dépouilles au couvent voisin de la Baumette, il conféra au digne fils qui l'avait relevé sur le champ de bataille et qui, par là, s'était érigé pour ainsi dire en héritier de son plus beau titre d'honneur, sa survivance en la grande maitrise de l'ordre de Saint-Lazare.

En repassant des sollicitudes de récompense aux sollicitudes d'amnistie inséparables de sa victoire, et en revenant par Nérestan et par Saint-Aignan à Marie de Médicis, Louis XIII étendit le privilège d'inviolabilité attaché à son service et à son état-major jusqu'à l'enceinte de son dernier refuge. Certes, il n'avait pas dès La Flèche, et tout en exauçant les vœux de l'ambassade du Nonce, dévié de son acheminement primitif sur Angers pour que, à peine maitre des Ponts-de-Cé et par là rendu sans appel arbitre des destinées maternelles, il démentit le pieu infléchissement qui l'avait tenu dès le seuil de son apanage éloigné d'elle, par l'inutile brutalité d'un retour offensif vers ce qui n'était plus pour Marie de Médicis qu'un asile consacré par le malheur. Aussi, dès lors, il interdit du côté de ces remparts qui, dans l'effarement de son entourage et devant les sommations de la famine, l'y protégeaient moins que la majesté de sa détresse ; il interdit à son artillerie qui, des rives de la Loire, visait déjà le bassin de la Maine, il lui interdit, dis-je, comme une gratuite profanation, la plus inoffensive canonnade. Satisfait même d'avoir, au cours de la bataille des Ponts-de-Cé et avec ses réserves des Justices, refoulé de là sur Angers dans une vive escarmouche une partie de sa garnison, en vain signala-t-on le lendemain le dégarnissement consécutif des faubourgs à l'élan de ses troupes rafraîchies par la victoire : c'est sur son ordre que, en se repliant de là inébranlablement sur les Ponts-de-Cé, elles durent respecter jusqu'aux plus lointaines avenues du sanctuaire maternel. Que dis-je Y ce privilège d'inviolabilité édicté par la piété filiale couvrait jusqu'à la dernière étape de la guerre civile. Aussi, sous la surveillance d'une police d'état-major qui, autour de lui, répartissait équitablement l'occupation militaire et châtiait sans merci les exactions de la soldatesque, on vit, peu d'heures après l'entrée aux Ponts-de-Cé de Louis XIII, s'y rétablir autour des boutiques réouvertes la circulation normale. On vit dans la banlieue soudainement repeuplée d'Angers, des Ponts-de-Cé et de Sainte-Gemmes, le laboureur rassuré poursuivre sur des guérets ensanglantés et à travers les sillons interrompus par la folle stratégie des Vendôme, le paisible achèvement de sa récolte[7].

Ainsi émanaient de la mansuétude de Louis XIII de nouveaux gages d'une réconciliation dont les préliminaires survivraient à sa victoire, si l'on y voyait favorablement correspondre, au lendemain d'un conflit qui remettait en question sa signature de la veille, l'altière Marie de Médicis. Mais à cet égard les dispositions de cette reine si malléable en son orgueil dépendaient surtout de celui qui, le premier, dans la tragique journée du 7 août, viendrait l'informer de son désastre. Et justement ce messager de malheur, ce fut l'homme dont ce malheur était surtout l'ouvrage ; l'homme que nous avons déjà tant de fois, dans les conseils de Marie de Médicis, anathématisé comme son plus mauvais génie. Que dis-je ? Le premier déserteur du combat des Ponts-de-Cé, le lâche, le perfide, l'hypocrite Vendôme ne sembla pressé de devancer tout le monde auprès de sa souveraine que pour fausser plus sûrement là-dessus ses premières impressions. A cet effet, dans son souci d'opérer au Logis-Barrault sur un fond plus propice, voulant d'abord éblouir Marie de Médicis sur la précipitation déjà fort suspectée de son retour et sur la fourberie de ses démarches ultérieures par un foudroyant coup de théâtre, dès à son arrivée des Ponts-de-Cé il fondit dans la chambre de la reine-mère avec un visage renversé, en accompagnant son lugubre message de cette exclamation d'un chevaleresque désespoir : Madame, je voudrais être mort ! Il est vrai que, dans la ruelle où tombait cette explosion, tous n'en furent pas dupes, car, séance tenante, une spirituelle fille d'honneur lança au beau tragédien cette réplique péremptoire : Eh ! Monsieur, si vous vouliez mourir, que ne restiez-vous aux Ponts-de-Cé ? Mais c'est que justement nous y avons vu Vendôme, au pied des tranchées de Saint-Aubin, pour mieux distraire la loyauté abusée de Nemours de ce vrai poste d'honneur, en reculer la perspective jusqu'au quartier-général encore intact de leur souveraine, et reporter des Ponts-de-Cé à Angers le dénouement militaire de la guerre civile. Pour mieux soutenir jusqu'au bout cette couverture de sa fuite, pour y engager plus à fond la solidarité de Nemours, et sans doute aussi pour mieux dérouter de prime abord au Logis-Barrault les sarcasmes d'alcôve, et du même coup achever d'étourdir Marie de Médicis en une brusque recharge de sa pathétique entrée en scène : Madame, poursuivit-il d'une seule haleine, et sur un diapason à la hauteur des tranchées qu'il avait jugées seules capables d'arrêter l'ennemi, mais dont il n'avait pas même su protéger l'ébauche, Madame, une fois la défense des Ponts-de-Cé désespérée, et l'armée royale déjà marchant sur Angers, il n'est que temps de s'y préparer à l'y recevoir de pied ferme. Voilà ce qui nous ramène auprès de vous, Nemours et moi. Nous accourons les premiers sur les remparts de votre dernier refuge, pour y défier nos détracteurs et y donner rendez-vous à ces retardataires des Ponts-de-Cé qui nous ont laissé revenir seuls vers vous. S'ils nous ont ainsi lâchés, nous ne nous devons pas abandonner nous-mêmes, dès lors qu'il ne faut plus compter sur la clémence du vainqueur. Cette clémence n'est qu'une ironie et un mensonge, à en juger par ce mépris de votre signature du matin, qu'à Trélazé on n'a pas daigné attendre seulement deux heures. Si, en vous déléguant les Duperron, les Bérulle et les Bellegarde pour la venir ici solliciter de votre bonne foi, Condé et Luynes eussent voulu sérieusement la paix, cette paix n'eût pas tenu à une méprise d'antichambre ou à un embarras de carrosse, et nous en serions encore à en attendre en pleine confiance la conclusion. Mais non. Aux mains de Condé et de Luynes la diplomatie pontificale n'a servi que d'un guet-apens à la fois pour vous humilier et vous perdre. C'est là le fruit de ces ténébreux conciliabules dont on nous a toujours exclus depuis l'arrivée de ces négociateurs de contrebande. Nous l'avions bien prévu en les voulant écarter de nos murs. Si on ne les avait pas subrepticement introduits, ou si seulement on avait daigné nous admettre à surveiller ici leurs colloques avec Richelieu, Lanier ou Laporte, vous n'en seriez pas où nous vous voyons aujourd'hui réduite, ou tout au moins nous aurions conjuré cette signature qui n'ajoute que votre confusion à votre ruine. Et cependant si Sa Majesté veut encore s'en relever, utilisons donc, par une résolution digne d'elle, ce peu de relâche que nous laisse la résistance du château des Ponts-de-Cé, qui seule arrête encore l'armée royale dans sa marche sur Angers. Utilisons ce délai pour nous y préparer à soutenir et à rompre un siège en règle. Seulement alors on ne doit plus reculer devant les plus impérieuses nécessités de la défense. Déjà s'est assuré sur cette ville aux dispositions équivoques le principe de notre salutaire domination par l'exil des traîtres, l'occupation des remparts, la confiscation des armes et des logis. Mais, pour consommer cette domination et la pousser jusqu'à ses dernières limites, il nous faut encore, vu les exigences multiples de cette phase la plus aiguë de notre état de siège, un décret d'expropriation en masse. Il nous faut aussi, dans notre imminence de disette, l'expulsion des femmes et des enfants à titre de bouches inutiles.

Ce que les Vendôme réclamaient là si haut de Marie de Médicis, que dis-je ? ce qu'ils extorquèrent d'une reine aveuglée que leur jetait en proie l'ulcération de son échec, et qui s'en prenait aux Angevins de sa désastreuse et, ce semblait-il, irrémédiable léthargie de la matinée, ce qu'enfin ils arrachèrent surtout à la faible Marie de Médicis comme la suite forcée d'une sublime résolution de revanche où revivrait en elle l'intrépidité du voyage de La Flèche, c'était le dernier sceau opposé à la liquidation de ce vandalisme où ils poursuivaient, eux, tout le rendement de leur exploitation insurrectionnelle ; d'un vandalisme où ils se dépêchaient de dévaliser et puis de souiller leurs victimes avant de les trahir. Hideux et monstrueux vandalisme, dont les plus souveraines homologations ne palliaient plus le cynisme. Car cette signature, qu'ils surprirent à Marie de Médicis aussi sataniquement qu'on avait loyalement obtenu d'elle pour son salut celle du matin, cette signature néfaste entre leurs mains n'était qu'un larcin de plus et ne consacrait que gratuitement leur dernière phase de brigandage et de viol. Car, à leur faux point de vue si bruyamment affiché de la défense urbaine, qu'ajoutaient les plus radicales rafles aux confiscations antérieures des armes, des logis et des vivres ? Et, quant à la proscription des bouches inutiles, que n'y englobait-on, sans nul souci de catégories, toute la population urbaine, dès que le désarmement l'avait toute reléguée en bloc dans les non-valeurs ? C'eût été plus logique, en même temps que plus humain, que de promener l'ostracisme d'un foyer à l'autre par un barbare calcul, pour la disjonction de chaque famille. Au lieu de clouer dans chacun de ces foyers envahis autant de pères ou d'époux paralysés dans l'interdiction de les défendre, que ne les embrassait-on dans la solidarité de l'exil, avec le sexe inséparable de leur protection hiérarchique ? A moins qu'on arrachât exprès de leurs seins leurs femmes et leurs filles, et qu'on ne les rejetât hors de ces remparts demeurés quant à eux infranchissables, pour les outrager loin de la seule intimidation de leur présence, non pas certes, hélas ! plus impunément, mais avec tout le sans-gêne et tout le cynisme du crime. Oui, l'on voulait qu'en franchissant de nuit ces faubourgs transformés, si l'on peut ainsi s'exprimer, en une douane de prostitution, rien de ce qu'à travers la violation de leurs domiciles ces malheureuses avaient pu sauver de leur honneur ; l'on voulait que rien de cet honneur, une fois abandonné sur les chemins ténébreux de l'exil, n'échappât à la lubricité des corps de garde.

Ainsi s'exhalait à Angers, sous les impuissantes compressions de l'état de siège, dès qu'y retentit vers sept heures du soir, avec l'annonce du retour de Vendôme, le signal des horreurs où allait se profaner le nom de Marie de Médicis ; ainsi s'exhalait en des accents, qui vibrent encore dans les palpitantes annales du greffier du présidial Louvet, l'indignation universelle. C'est qu'en fait d'avanies et de sévices infligés aux Angevins dans une sanglante ironie de protection, la mesure était comble. Ils recevaient là le coup de grâce. Eh quoi ! poursuivaient-ils dans leur débordement d'imprécations, ce n'a pas été assez pour ces bandits qui, depuis une semaine, nous tiennent le pied sur la gorge, de nous avoir, avant de nous museler comme des chiens de garde incommodes, ôté le pain de la bouche. Ce n'a pas été assez qu'après nous avoir parqués sur les dalles de nos vestibules avec les bestiaux de leurs razzias, ils se vautrent et se gorgent dans nos dépouilles. Ce n'a pas encore été assez, quand, dans notre abîme de détresse, nous n'avons plus cherché de refuge qu'au pied des autels, afin d'y invoquer Dieu pour le salut de celle dont ils arborent la querelle et que nous révérons encore en ce moment jusque dans la prostitution de sa signature, ce n'a pas été assez pour eux de s'y dresser sur le seuil des églises en haie infranchissable avec leurs piques abaissées, leurs mousquets chargés à balles, leurs mèches allumées, et des blasphèmes en guise de mots d'ordre. Non, il faut que cette scandaleuse interposition, qui s'est si odieusement exercée sur ce seul point de contact avec notre pieuse souveraine, ils la poursuivent jusqu'au fond de nos sanctuaires domestiques, en n'y laissant pas même abrités, derrière les quatre murs qui nous restent, nos trésors d'innocence et de pudeur. Eussions-nous rien essuyé de semblable de la part de ceux contre qui ils prétendent nous défendre ? C'est là la seule récompense de notre fidélité au service de notre Reine, comme aussi ce sont là, jusqu'ici, leurs seuls exploits. S'ils veulent sérieusement se relever des désastres de la matinée en soutenant ici un siège en règle, qu'ils nous rejettent tous hors des remparts avec ceux qui, dans cet exil, réclament si impérieusement notre consolation et notre escorte, afin de consommer à eux seuls, dans un vide absolu, le pain amer du blocus ; ou que, en déchirant nos entrailles d'époux et de pères, au moins ils nous rendent nos armes, avec lesquelles nous saurons mieux défendre Angers qu'eux n'ont fait leurs grotesques tranchées des Ponts-de-Cé. Mais, sans même rentrer en possession de ces armes que nous ne reverrons sans doute jamais, notre juste colère nous fournira de quoi arrêter nos envahisseurs dans le paroxysme de leurs saturnales. Qu'ils osent attenter à cet honneur immaculé de nos couches et de nos berceaux, et nous les attendons de pied ferme avec les bêches, les couteaux et l'huile bouillante. Et, au besoin même, prévenant l'aveugle explosion de ces brûlots dont le château regorge, nous ensevelirons avec nous cet honneur intact dans l'embrasement de nos logis.

Ainsi, dans l'élite de la population angevine, s'exhalait un noble désespoir. Ailleurs, moins audacieux dans une non moins vigilante sollicitude, d'autres, sur les traces encore fraîches de Lanier et dans un double violement des interceptions les plus contraires au reflux affolé de la banlieue rurale, s'esquivaient avec celles dont ils embrassaient l'exil. D'autres, à travers ce remous désordonné, avec les débris de leurs fortunes et leurs réserves sacrées de chasteté, allaient recourir aux seuls asiles encore épargnés par les fureurs du vandalisme, et cela grâce à la tutelle d'une Reine demeurée, dans sa fragilité de captation, inattaquable en son titre de protectrice des oratoriens, des carmélites et des calvairiennes. Mais, au seuil de tous les couvents, en leur sollicitation d'une hospitalité jugée là trop compromettante, vu ce qu'elle y attirerait de perquisitions vengeresses, ces victimes si impitoyablement traquées s'étaient heurtées, comme en vertu d'un mot d'ordre, à d'invincibles déclinatoires, quand du sein de cette pusillanimité surgit la plus intrépide, la plus persuasive entremise.

Depuis le rappel de Richelieu à Angoulême auprès de Marie de Médicis et l'acheminement vers elle à Angers de l'ambassade du Nonce, le Père Joseph, croyant avoir épuisé dans le succès de ces deux démarches au sein de la maison royale sa sainte diplomatie de réconciliation, avait laissé la place à tout ce qu'il avait suscité et introduit à Angers d'influences restauratrices, pour rentrer dans l'effacement claustral de son œuvre de fondation des calvairiennes. Est-ce là que le vinrent relancer dans la pathétique soirée du sept août les cris d'angoisse de cette population dont le désespoir assiégeait vainement autour de lui toutes les cellules monastiques ? Du moins, dès que l'atteignirent les appels effarés de ceux que son double apostolat de pacification et d'ascétisme lui avait fait adopter comme de vrais concitoyens, il s'interdit de les délaisser dans leur poignante détresse. D'autant plus que, depuis l'attardement au Logis-Barrault de la grave signature du matin et le surcroît de discrédit qui, aux yeux des Vendôme, en rejaillissait à la fois sur Richelieu et sur les ambassadeurs du Nonce au point d'exclure en la crise actuelle, même en supposant ces derniers revenus déjà de Trélazé, jusqu'à la supposition de leur ingérence directe, il n'y avait plus à compter en première ligne que sur l'homme assez heureux pour avoir été leur précurseur sans qu'on le pût récuser comme leur complice. Le père Joseph se voua donc de tout cœur au salut d'une ville où s'était consommé pour lui comme l'enfantement d'une patrie. Et ces hommes auxquels il ne pouvait assurer dans son atmosphère monastique l'inviolabilité d'un droit d'asile, il leur voulut au moins restituer ce peu de sécurité relative inhérente aux débris de leurs foyers. Mais, pour les réintégrer avec encore moins de sécurité que d'honneur en ces ruines sacrées, à travers l'hermétique blocus qui depuis leur affluence vers lui s'était refermé sur eux, il fallait pour la troisième fois depuis la matinée conquérir la signature si contradictoirement sollicitée et tour à tour si honorablement obtenue et si indignement extorquée de Marie de Médicis. Mais, pour cet enlèvement d'assaut sous la pression des Vendôme, il fallait au Père Joseph une largeur d'appui en rapport avec la magnanimité de son initiative. Il ne voulut aborder Marie de Médicis qu'avec toutes les garanties d'accessibilité puisées dans un harmonieux cortège où se fondraient en son attraction d'apostolat toutes les dissidences de l'état-major angevin.

Aussi, dans tout le retentissement des promulgations dues à la barbarie des Vendôme, ne nous étonnons pas de voir au seuil du Logis-Barrault accourir auprès du Père Joseph en son rendez-vous d'intercession à la fois Richelieu, la comtesse de Soissons et Nemours[8]. Richelieu, qui, sous les auspices du Père Joseph, résorbait sa récente compromission du matin, et une fois de plus et pour toujours se rafraîchissait dans la confiance de sa souveraine. Arme de Montafié, trop heureuse de soutenir et d'accentuer son a parte d'avec les Vendôme en une perspective adverse d'humanité et de compassion. Nemours enfin, qui dans sa sincérité de chevalerie et dans l'émancipation des étreintes de hiérarchie qui venaient de l'enlever aux Ponts-de-Cé, alliait librement en un suprême poste d'honneur l'intrépidité à la miséricorde. Mais tous,. en cette galerie royale où se croisaient presque avec eux les ravageurs d'une émeute aux abois qu'ils venaient détrôner, tous cédèrent la parole au promoteur enflammé de leur noble démarche, qui apostropha la reine-mère avec cette hardiesse toute évangélique : Madame, les Angevins, avec le commandement de Sa Majesté votre fils, vous ont accueillie dans leur ville avec tous les honneurs dus à votre prestige de souveraine. Ils vous ont fêtée avec la plus belle entrée qu'on puisse imaginer. Ils ont ensuite déféré à tous vos ordres avec une obéissance absolue, en vous sacrifiant leurs vies et en subissant pour vous jusqu'à la dépossession de leurs armes. En retour, vous leur devez une maternelle protection. Vous devez écarter de leurs foyers toute tentative de brigandage et de viol. Et sachez que si, au contraire, au lieu de cette préservation qu'ils n'attendent plus que de vous, si vous-même sanctionnez avec leur ruine le déshonneur de leurs femmes et de leurs filles, non seulement vous vous rendrez à jamais odieuse à vos concitoyens d'adoption et au roi qui les a commis à votre garde, mais, avec ceux dont vous aurez consacré les atrocités, vous encourrez votre damnation. Mais de grâce, il en est temps encore, revenez vite sur ce décret que vous regrettez déjà de vous être laissé surprendre, afin de vous assurer à jamais dans votre apanage les bénédictions de la postérité. A peine était tombée des lèvres frémissantes du Père Joseph sa supplique embrasée, que déjà Marie de Médicis s'avouait vaincue et révoquait, une heure à peine après leur promulgation, les décrets dont la fraiche émission vibrait encore autour d'elle. C'était, ou peu s'en faut, l'heure où aux Ponts-de-Cé, de leur côté, Bassompierre et Créqui venaient d'arracher à la justice prévôtale de Louis XIII la grâce de Saint-Aignan. Ainsi se répondaient d'un camp à l'autre les deux triomphes de la miséricorde sur l'ivresse de la victoire et sur l'exaspération du malheur. Mais le triomphe du Père Joseph l'honore surtout parce qu'il s'y attache le salut de toute une ville, avec le renversement de ce terrorisme insurrectionnel qui y a voué à l'anathème les noms des Vendôme et des Boisdauphin. Et sur les ruines de leur tyrannie le Père Joseph réinstallait, sinon dans l'intégrité, au moins dans la virginité de leurs foyers ceux qui, en retour, l'acclamaient de la glorieuse et désormais impérissable appellation d'ange gardien de la cité angevine[9].

Pour mieux assurer la chute de cette tyrannie des Vendôme liée à Angers aux exigences d'un mensonge d'état de siège, peu après la démarche du Père Joseph, et comme pour la mieux justifier, arrivait au Logis-Barrault Marillac, avec l'annonce du désastre dont le duc César n'avait été jusqu'ici que l'artisan et le facile prophète. Mais ce désastre où Vendôme avait escompté l'imposture de son intransigeance absidionale, les révélations de Marillac en tiraient de quoi la déjouer et la confondre. Après sa vaine tentative du débloquement du château des Ponts-de-Cé par Sainte-Gemmes, Marillac, avec Pontchâteau, Saint-Géran, Navailles, La Mazure et Dumont, et un petit groupe des gardes et des domestiques de la reine-mère, lui vint dévoiler toute l'étendue de sa catastrophe. Avec cela, d'ailleurs, rien de plus pressé pour lui que d'en accuser bien haut Vendôme. Rien de plus urgent que de cribler d'une représaille d'invectivés l'éternel déserteur qui ne l'avait devancé à Angers que pour incriminer sa persévérance. Cette lugubre entrée d'un homme qu'on croyait à jamais disparu dans le feu de la bataille et dont on avait pour ainsi dire sonné le trépas ; cette lugubre entrée qui ajoutait aux plus navrantes révélations le cauchemar d'une évocation spectrale, laissa la reine-mère presque impassible. Secouée déjà de sa somnolence du matin par l'apparition de Vendôme, puis, après ses oscillations fiévreuses entre Vendôme et le Père Joseph, retombée vite dans sa placidité massive, Marie de Médicis, après avoir gracieusement félicité de sa résurrection Marillac, l'écouta avec encore moins de constance et d'intrépidité que d'orgueil, avec encore moins de résolution que de majesté, et moins encore avec l'expansion communicative qu'avec l'emphase olympienne de sa grandeur d'âme[10]. Elle ne trahit un instant d'émotion qu'à l'endroit des sollicitudes maternelles, qui sur les champs de bataille de la guerre civile, et par une correspondance inquiète aux avances de la piété filiale, suivaient Louis XIII d'aussi près que les opiniâtretés insurrectionnelles. C'est au point que lorsque, durant cette phase du combat des Ponts-de-Cé qui suivit le retour à Angers du duc César, quand les messagers de Marillac, en quête d'un renfort pour la défense des tranchées de Saint-Aubin, eurent enfin, à travers l'interception de l'armée royale et l'opposition des Vendôme, percé jusqu'à elle pour solliciter d'elle au moins l'envoi de la plus mince escouade, on ne l'avait jamais pu obtenir d'elle, tant elle redoutait d'attirer dans la milice où se jouaient ses destinées, par ce surcroit de résistance capitale, ce fils qui ne la pouvait combattre en personne sans alarmer sa tendresse. Aussi, pour la réintégrer dans l'immobilité solennelle où l'avait surprise Marillac et d'où né l'avait pu tirer qu'un doute sur l'invulnérabilité filiale, il fallut l'assurer que l'ennemi qui tenait d'elle tout le prix de son sang royal avait été écarté de la tempête où elle croyait voir, elle, sombrer sa fortune, par cette royauté même qui le liait au rivage.

Heureusement, d'ailleurs, pour le maintien de Marie de Médicis en la majesté de son attitude, Marillac ne l'avait pas trouvée seule. En se dérobant aux ovations populaires que venait de mériter sa sublime entremise, le Père Joseph avait laissé derrière lui les deux hauts personnages qui l'y avaient principalement assisté. Et, tandis qu'il rentrait dans l'ensevelissement claustral, on voyait encore surgir à côté de Marie de Médicis et la comtesse de Soissons, dont le rôle au Logis Barrault grandissait de toute la mesure de son dégagement de Vendôme, et Richelieu, dont la considération près de sa souveraine s'était renouvelée au contact de l'Ange gardien de la cité angevine. Ensemble et tous deux rivalisèrent auprès de la reine-mère avec autant de flexibilité que de persévérance, dans le dévouement et dans les conseils. En l'apaisant dans ses aigreurs ils la soutenaient dans sa ruine.

Après avoir donc honoré de ses doléances les victimes du combat, après avoir félicité les héros survivants de leur résistance, et cela non sans excuser charitablement leurs déserteurs ; après avoir envoyé reposer tout ce qu'elle ne retenait pas dans son plus intime conseil, Marie de Médicis s'enferma, dis-je, avec Richelieu et la comtesse de Soissons renforcés de Marillac, à qui son indéfectibilité sur le champ de bataille valait bien une telle distinction de confiance, afin de mesurer avec eux toute l'étendue de son désastre[11]. Vu l'occupation définitive des Ponts-de-Cé, vu l'entière débandade des rebelles, vu la libre évolution de l'armée royale vers Angers, que lui ouvraient la famine et le dégarnissement des défenses suburbaines, on ne pouvait plus soutenir au quartier général de la révolte un siège en règle. Si encore, dans ce suprême effort de résistance, Marie de Médicis avait eu encore pour elle à Angers cette population qu'elle venait d'arracher à l'opprobre et à la ruine ! Mais cette population, aigrie contre elle par des misères dont la vénération même et les sympathies de la postérité ne dégageront jamais son nom, cette population retirée par elle de son gouffre de détresse et ramenée par elle des chemins de la prostitution et de l'exil, ne lui en savait pas plus de gré que de tout ce que sa générosité naturelle leur avait, même avant l'entremise du Père Joseph, prodigué d'atténuations aux fléaux de la guerre civile. On oublia que, longtemps avant l'irruption à Angers des Vendôme, quand déjà la garnison primitive du château dégénérait par des affluences de hasard en une soldatesque pillarde, Marie de Médicis, le 1er juillet, avait assuré les quartiers adjacents contre les sorties du maraudage par l'érection protectrice d'une clôture d'estrapades[12]. On oublia, quand s'exercèrent autour d'elle les dernières rafles de l'état de siège, on oublia que Marie de Médicis en avait préservé ceux à qui échut dans sa cité d'adoption l'hébergement de ses gardes et de ses chevau-légers, en astreignant plus formellement cette milice qui relevait plus spécialement d'elle, à défrayer au moins équitablement une hospitalité de commande. On oublia même que, dès que les angevins eurent subi, grâce aux Vendôme, l'enlèvement de leurs armes, Marie de Médicis, en une assemblée générale des délégués des autorités urbaines, et par l'organe du cardinal de Sourdis, s'était là-dessus défendue de toute précaution de défiance et leur avait déclaré ne retenir ces armes pour leur défense qu'en leur en cautionnant la restitution prochaine. On oublia, ou l'on ignorait encore, que par une sollicitude de charité devançant chez nous celle des filles de Saint-Vincent-de-Paul, Marie de Médicis, à peine informée du combat des Ponts-de-Cé, en ouvrant comme asile aux blessés des deux armées l'antique Hôtel-Dieu si cher aux angevins[13], avait voulu ne cicatriser que dans leur sein les plaies de la guerre civile. Eh ! qu'importaient aux angevins de telles assurances ou de tels gages de sécurité, de soulagement ou de justice, si avec leurs armes ils ne devaient recouvrer leur place aux remparts qu'après que les Vendôme les auraient livrés à Condé et à Luynes ? D'ici là, dans les désarmements même que d'exceptions suspectes[14] ! Et au pied même de ces remparts, dans cette zone marginale des dégagements imposés à l'édilité urbaine par les exigences de l'état de siège, combien de palais à leurs yeux s'érigeaient intacts avec une impunité scandaleuse, partout où les Vendôme avaient à observer dans les puissances locales des ménagements de complices !

Ainsi, rien des protestations ou des garanties de Marie de Médicis ne touchait plus les angevins, qui y voyaient moins des palliatifs de leur infortune que la dissimulation par leur souveraine du joug que lui infligeaient les Vendôme pour les mieux opprimer sous son nom, d'un joug qu'ils ne la plaignaient plus de subir dès qu'il ne tenait qu'à elle de le secouer. Ils s'en prenaient à elle de toutes leurs souffrances, sans l'associer aux bénédictions de gratitude dont ils assiégeaient le Père Joseph, qui ne les avait, ce leur semblait-il, sauvés que malgré elle. Que dis-je ? A leurs yeux le Père Joseph était encore moins un ange de préservation que de concorde. Il ne pouvait, se disaient-ils, les avoir réintégrés dans leurs foyers pour y perpétuer devant eux l'invasion et la famine. Une protection surnaturelle n'avait pu planer que sur des foyers déjà réconciliés avec l'autorité légitime. Et si avec ces asiles de dignité et d'innocence on ne leur avait déjà rendu leurs armes, c'est que la paix qu'il ramenait avec lui les leur allait rendre d'elle-même. La paix, au moins pour Angers ! Aux yeux des angevins, telle était la signification préjudicielle du céleste message émané du couvent des Calvairiennes ! En se détournant d'une reine que leurs sympathies ne soutenaient plus, en acclamant le séraphique libérateur qui lui avait, ce leur semblait-il, imposé cette paix avant même que Marillac en fût venu attester l'urgence, avec des soupirs d'allègement, ils n'en attendaient plus que l'annonce officielle. Et ce n'est pas dans cette relâche désabusée où les derniers désastres surprenaient les angevins, et bien moins encore en disposant de leurs armes et de leurs vivres, qu'on pouvait en un dernier soubresaut de résistance violenter leur désaffection et relancer leur lassitude. En fait de sacrifices, avant l'entremise du Père Joseph Marie de Médicis avait tout exprimé d'eux. Ils s'estimaient dégagés de tout envers elle dès qu'elle les avait livrés aux Vendôme ; et le Père Joseph ne les avait arrachés à cette tyrannie insurrectionnelle qu'au bénéfice des revendications paternelles de la victoire.

Ainsi, dans l'impossibilité de défendre malgré elle une population qui déjà passait au triomphateur du jour, ainsi s'imposait à Marie de Médicis la reddition de la cité angevine proprement dite. Mais cette reddition impliquait-elle celle de la citadelle ? Cette citadelle elle-même, se soumettrait-elle au vainqueur en tant que place de guerre isolée, ou comme siège de la révolte ? En d'autres termes, rattacherait-on à la capitulation d'Angers la paix générale, ou cette capitulation réserverait-elle aux rebelles, au delà de la Loire franchie à toutes les issues qu'improviserait le désespoir, une chance de revanche méridionale ? Et d'abord l'issue la plus directe, celle des Ponts-de-Cé dont le château tenait encore lors du retour à Angers de Marillac, était-elle irrévocablement condamnée ? En un mot pouvait-on encore par un suprême effort, par delà le passage reconnu impraticable de Sainte-Gemmes, débloquer Bettancourt ? C'est ce que proposa dès à sa rentrée au Logis-Barrault l'infatigable Marillac, en offrant d'aller, séance tenante, avec les réserves encore fraîches d'Angers, en tout quatre mille hommes, et huit cents chevaux ralliés aux débris de l'armée des Ponts-de-Cé, y revenir à la charge à une lieue en aval de Sainte-Gemmes par le long circuit de Bouchemaine[15].

Malheureusement les mômes causes qui avaient précipité le désastre des Ponts-de-Cé en paralysaient cet héroïque remède. Vendôme n'avait certes pas évacué les tranchées de Saint-Aubin, il n'avait pas reflué si anxieusement vers le dernier refuge de la rébellion pour y risquer sur la foi du dénonciateur acharné de ses paniques une telle volte-face de revanche. Son absence du Logis-Barrault à l'heure si critique de l'arrivée de-Marillac disait assez ce qu'on en devait attendre. Ce qui l'en tenait écarté, ce n'était pas seulement le soin d'esquiver en la personne du Père Joseph et de Marillac la double condamnation de son terrorisme et de ses couardises, c'était surtout l'empressement d'aller par tout le quartier-général, dont il se targuait d'embrasser seul la défense, propager sa panique, sauf à rejeter sur l'attardement aux Ponts-de-Cé de Marillac la responsabilité de la reddition d'Angers. Était-ce dans ces dispositions qu'il lui fallait parler d'aller sauver Angers par Bouchemaine ? A cet égard les récriminations mêmes dont le criblait Marillac se dressaient comme autant d'objections contre une aussi extrême tentative, puisque Marillac ne la pouvait risquer sans l'appui de tout ce que lui soutirait la contagion de lassitude émanée de son collègue.

Ainsi tombait d'elle-même l'offre de Marillac, mais pour faire place au plus imprévu des enchérissements. Tandis que, jusqu'à la dernière heure de la guerre civile, Vendôme croyait masquer ses inavouables, mais non plus ses énigmatiques calculs d'immobilité sous l'affichage éhonté de ses mensonges de résistance, voilà tout-à-coup que Richelieu, qui l'avait appuyé dans le maintien à Angers du quartier-général de la révolte tant que l'issue des Ponts-de-Cé était restée libre ; voilà que Richelieu tout-à-coup, une fois cette issue fermée, et pour mieux répudier là-dessus avec la cabale adverse tout soupçon de connivence, affecta de prôner à son tour et de dépasser même Marillac dans sa motion désespérée de revanche méridionale. C'est que, au sujet de cette insistance à retenir, jusqu'après l'aboutissement à Trélazé de l'armée royale, Marie de Médicis sur les bords de la Maine, Richelieu avait perçu tout ce qui s'y attachait contre lui d'imputation de trahison. Il savait que le déserteur des tranchées de Saint-Aubin aussi bien que l'organisateur des ralliements d'outre-Loire, il savait que Vendôme aussi bien que Rohan lui reprocheraient sans relâche d'avoir emprisonné Marie de Médicis dans son chef-lieu d'apanage et derrière l'interceptation de l'armée royale pour y comploter plus sûrement sa ruine, avec la double complicité de l'ambassade du nonce et du Père Joseph : avec l'ambassade du nonce, en extorquant à sa somnolence d'alcôve la consommation d'un stérile 'déshonneur ; avec le Père Joseph, en refoulant sur elle au sein de sa place d'armes, avec le rapatriement des bouches inutiles, l'ultimatum de la famine. Et ce n'est que pour mieux accentuer en face de cette ligue de détracteurs une justification exempte d'inconséquence, puisque la péremption de la signature recueillie des mains de la reine-mère par Bellegarde au rendez-vous angevin remettait en question, avec le dénouement de la guerre civile, l'immobilité de son quartier-général ; c'est, dis-je, pour proclamer avec plus d'éclat sa justification, et par là rétorquer à Vendôme, il est vrai avec moins de franchise que d'astuce, l'ingrate responsabilité d'une paix immédiate ; c'est pour l'éternel retentissement de cette justification que, en plein échec de l'offre de Marillac., Richelieu la reprit et l'amplifia de toute la distance séparant des étapes d'émigration fluviale de Sainte-Gemmes et de Bouchemaine trop voisines des portes de surveillance des Ponts-de-Cé ou de Montjean, l'étape bien plus lointaine, mais par là même encore libre d'Ancenis. Non qu'il s'agit pour Richelieu d'aller par ce dernier circuit, mesurant le double ou le triple de celui de Bouchemaine, débloquer le château des Ponts-de-Cé, qui sur les entrefaites venait d'arborer ses signaux d'armistice, et d'où arrivaient à Angers les demandes de pleins pouvoirs et de sauf-conduits en vue des pourparlers de reddition. Mais au moins, dans l'hypothèse paraissant si probable où Louis XIII une fois maitre des Ponts-de-Cé marcherait sur Angers, on l'y retiendrait, selon Richelieu, non plus sous les portes de la ville qui déjà tombaient d'elles-mêmes, mais sous les murs du château, jusqu'à ce que Marie de Médicis, escortée de son état-major et de la cavalerie encore fraîche du grand-prieur qui l'attendait au rendez-vous de Saint-Nicolas et que n'atteindrait jamais la cavalerie harassée de l'armée royale, ait pu, par les bateaux jetés sur le passage d'Ancenis, rejoindre aux confins du Poitou et en l'étape de Maulévrier les contingents méridionaux attardés sur la route des Ponts-de-Cé et surtout celui du duc de Roannès, et, avec ce surcroît de protection ralliant en route les ducs de Rohan, d'Épernon et de Mayenne, gagner sûrement Angoulême[16]. Là seulement, concluait Richelieu, en rivalisant d'artifice avec Vendôme dans l'ostentation distincte de son propre étalage d'intransigeance, là seulement on pourrait parler de paix, parce que là seulement, sous les chevaleresques auspices du duc d'Épernon en qui l'on retrouverait le duc d'Épernon de la sortie de Blois, cette paix semblerait moins humblement sollicitée que généreusement offerte. Que dis-je ? à peine informé du passage de la Loire, Luynes enverrait en poste lui offrir carte blanche.

Une aussi abrupte ouverture, qui s'accentuait encore chez Richelieu de son forcement de diapason, attaqua si avant dans sa solennité Marie de Médicis et lui imprima dans son phlegme olympien une telle commotion de galvanisme, que, séance tenante, elle improvisa dans cet éclair d'échappée son exode de sauvetage. Par là, d'ailleurs, au fond Marie de Médicis se rachetait de la confusion encourue le matin par son désastreux sommeil, en se reprenant à cette industrie d'évasion qui, durant une carrière trop agitée pour son alourdissement précoce, et aux deux crises extrêmes de la chute de Concini et de la journée des Dupes, l'enleva tour à tour aux deux captivités de Blois et de Compiègne.

On parla donc d'envoyer exhorter Bettancourt à prolonger aux Ponts-de-Cé ses pourparlers de reddition, afin d'y tenir bon au moins jusqu'au passage projeté de la Loire. Au cas où cette démarche n'aurait pu devancer l'imminente capitulation, et pour retenir du moins l'armée royale, une fois reportée de la Loire à la Maine, au pied du château d'Angers, on y consigna en garnison, sous le commandement sûr et comme renfort du régiment de Laporte, les régiments de la reine-mère et du marquis de Juigné. Puis on dépêcha par-delà la Loire vers Rohan et Roannès, pour les mander au ralliement de Maulévrier. En même temps, par un saisissant contraste entre la précipitation de son départ et la fastueuse magnanimité de ses adieux à sa cité adoptive, Marie de Médicis distribua autour d'elle ses pierreries, en commandant d'atteler son carrosse.

En cela elle allait beaucoup plus vite que ne l'eût voulu l'homme qui semblait la pousser si impérieusement vers la Loire. En se voyant là-dessus si vite pris au mot, en expérimentant dans cette fausse direction la docilité empressée de sa souveraine, Richelieu se sentit vis-à-vis d'elle comme embarrassé de sa puissance. Si, en effet, en montrant la Loire à Marie Médicis, il esquivait la responsabilité de tout ce dont le récent désastre aggraverait peut-être les clauses de l'honorable paix de la veille, il se demandait aussi si Marie de Médicis allait réellement subir cette aggravation. Car enfin, depuis la signature du matin, l'on n'avait pas encore revu les graves messagers qui, sur les routes du Mans et de La Flèche à Angers et d'Angers à Trélazé, portaient pour ainsi dire cette paix dans les plis de leurs toges. Rien n'avait encore transpiré des inexplicables vicissitudes de leur dernière démarche ou si fatalement traversée, se disait-on, ou si indignement méconnue. En tous cas, ils en devaient revenir rendre compte au Logis-Barrault ; et là qu'allait recevoir d'eux la reine-mère ? Serait-ce la notification de ces rigueurs nouvelles attachées à la consommation de sa ruine ? Ou, au contraire, par un égard rétrospectif pour l'antériorité incontestée de sa soumission, serait-ce son maintien dans le bénéfice des clauses obtenues dès La Flèche ? Si même Duperron, Bérulle et Bellegarde tardaient tant à reparaître, n'était-ce pas justement pour ne revenir qu'avec cette solution favorable ? Et, jusque dans leur attardement, n'entrevoyait-on pas cette solution trop débattue pour être déjà désespérée ? En tout cas, ne devait-on pas attendre sur place leur retour de Trélazé aussi patiemment qu'on avait déjà fait leur retour de La Flèche ? Au contraire, en hâtant une revanche militaire des plus problématiques, ne risquerait-on pas de répudier à jamais la seule offre de réconciliation encore acceptable ? Car ces clauses, qu'il était permis de supposer survivantes à la catastrophe des Ponts-de-Cé comme à un cas de force majeure, certainement ne survivraient point au passage de la Loire qui, à peine franchie, s'érigerait désormais entre les deux camps adverses comme une interceptation sans remède. Et, d'autre part, tant qu'à embrasser la perspective une fois ouverte et nécessairement soutenue d'une émigration méridionale, il y avait dans le départ autant d'urgence que de péril. Et ainsi pour Richelieu, dans cette alternative d'attente ou de revanche, c'était à se demander de quel côté de la Loire et dans lequel des deux camps opposés il encourrait la responsabilité la plus grave.

Heureusement l'urgence du départ ne dispensait ni d'attendre au conseil l'arrivée, ni d'écouter les objections de celui qui, dans une réciprocité de double jeu, prônait en contre-partie de Richelieu la résistance sur place. Et pourtant ce que Vendôme était venu chercher des Ponts-de-Cé à Angers, mais ce qu'il ne pouvait avouer lors même qu'il eût eu le courage de la paix plus que celui de la guerre, c'était cette paix envisagée par lui comme le refuge de ses défaillances encore moins que de son discrédit. Car les deux dessous que lui venaient d'infliger coup sur coup au Logis-Barrault et les anathèmes de Marillac et l'entremise du Père Joseph, l'avaient décidément entamé dans la considération si invétérée de sa souveraine. Depuis le champ de bataille des Ponts-de-Cé jusqu'au Logis-Barrault, et à Angers depuis les remparts jusqu'aux corps de garde, c'était à qui, dans le désarroi où s'enhardissaient les persiflages, le criblerait et le percerait à jour ; et, pour ainsi dire, par ce dévisagement, il coulait et il fondait à vue d'œil. Il lui échappait jusqu'à l'appui de ces soudards qui, après n'avoir adhéré à la guerre civile que par l'inféodation des razzias et des curées, aux étapes tour à tour radicalement pillées ou religieusement préservées l'avaient lâché dans la satiété ou la frustration. Mais si Vendôme se voyait ainsi, sur le théâtre de son règne d'hier, isolé dans la démonétisation et le décri, que survivrait-il de lui au passage de la Loire ? Rien que le souvenir néfaste attaché aux persistantes diatribes de Marillac qui le suivraient et l'achèveraient sur les traces de Rohan et d'Anne de Montafié rejoignant Mayenne. Et devant cette coalition de revanche méridionale qui ne lui pardonnerait pas de l'avoir tour à tour compromise ou traversée, et qui se resserrait contre lui dans ce grief érigé en mot d'ordre, il n'y aurait plus pour lui qu'à rentrer sous terre. En un mot, en franchissant la Loire, Vendôme, en échange du théâtre à la fois de son règne et de sa chute, rencontrerait bien plus un ensevelissement qu'un refuge. Or, tant qu'à se voir ainsi, d'une rive à l'autre de toute la zone insurrectionnelle, voué à un ravalement sans appel, autant l'essuyer à proximité d'une paix sortable, qui seule le dégagerait de son impasse, en retenant à Angers avec lui, dans cette expectative de relèvement diplomatique et de réhabilitation d'amnistie, Marie de Médicis. Non qu'il présumât la disputer de force à la prépondérance définitivement assurée des impulsions adverses. Mais du moins Vendôme, qui depuis l'entremise du Père Joseph avait si vite déserté le Logis-Barrault, s'y croyait encore officiellement assez nécessaire pour y tenir en échec toute détermination par le prolongement de son absence ; et dans ce plongeon maussade où toute la nuit suivante il cuva sa honte, gisaient avec lui les atermoiements propices à l'attente générale.

Par là, en effet, Vendôme entrait à plein dans le jeu de Richelieu, qui ne demandait qu'à ce qu'un autre que lui paralysât l'impulsion que la logique de son propre rôle le forçait de soutenir ; et cela sauf à affecter de presser lui-même par une suite de la même fausse manœuvre le faux mouvement de retraite, en y attachant l'indispensable homologation de l'état-major. Aussi, de guerre lasse, alla-t-on relancer Vendôme dans l'enfouissement de son opprobre, pour le ramener au Logis-Barrault, et là le mettre en demeure de souscrire de plein 'gré, ou le contraindre à l'ébranlement du départ. Il est vrai qu'on ne pouvait ainsi l'emprisonner dans ce dilemme sans le laisser au moins une dernière fois produire son opposition, et c'est là où l'attendait Richelieu pour provoquer un débat dilatoire et par là retenir sous main celle qu'il ne voulait lancer qu'ostensiblement vers la Loire. Mais, dès la réapparition de Vendôme, Richelieu eut beau stimuler, fomenter, attiser chez son adversaire des contradictions pour lui-même si secourables[17], ces contradictions éventées se perdaient dans des échos de branle-bas et de boute-selle. Et ainsi l'artificieux promoteur de l'émigration de revanche allait voir contre lui-même tourner son initiative ; et les conséquences aussi soudaines qu'imprévues du signal tombé de ses mains allaient enlacer, presser, entrainer en avant l'artisan de son propre piège. Ou, plutôt, dans l'engrenage d'un tel piège et sur la pente où glissait Marie de Médicis, il allait tour à tour l'entraîner et puis la suivre d'aussi mauvaise grâce que celui qui ne la suivait que faute de ne l'avoir pu retenir ; et Vendôme et Richelieu, le sycophante de la résistance et le tragédien de la revanche, allaient tous deux et côte à côte sombrer dans ce passage de la Loire comme dans le commun naufrage de leurs considérations respectives. Et pour y échapper sans pouvoir là-dessus échanger leurs confidences ni concerter leurs tactiques, ils se débattaient convulsivement dans leur double jeu de contrainte et dans la double portée de leurs tiraillements adverses en partie double. Et cependant, dans cet imbroglio de mensonges et de malaises, la théâtrale Marie de Médicis épuisait anxieusement vers la Loire son emprunt de vitesse acquise, elle qui n'eût demandé qu'à pénétrer l'insondable angoisse de Richelieu pour l'en exonérer en répondant à ses vues, elle qui n'aspirait finalement qu'à rentrer dans un statu quo qui, après la mise en scène de son ébranlement initial, épargnerait à sa solennité empesée la compromettante précipitation d'une fuite. Et ainsi tout le Logis-Barrault palpitait dans une crise aiguë de crispations et de contraintes, quand tout à coup tout s'y résorba dans le plus heureux dénouement. Déjà Marie de Médicis, escortée de tout son état-major groupé d'avance en son antichambre, montait en carrosse, lorsqu'avec l'annonce, d'ailleurs bien prévue, de la capitulation des Ponts-de-Cé, on lui signala le rassurant retour de Bellegarde et de Bérulle[18].

 

Ce n'avait pas été sans peine qu'après avoir, à Trélazé, exhalé leurs plaintes sur la perfide précipitation de l'engagement des Ponts-de-Cé, les ambassadeurs du nonce y avaient diplomatiquement remédié. A cet égard nous connaissons trop les dispositions manifestées par Luynes depuis son entrée en campagne, et plus que jamais à La Flèche et à Trélazé, pour croire que la moindre difficulté vint de lui. Lorsque, une fois la réconciliation consommée' dans la maison royale, au milieu d'août, son ami l'ambassadeur de Venise vint sur les bords de la Loire complimenter le roi, et de là le féliciter plus particulièrement de la part qui lui revenait dans cette glorieuse solution de la guerre civile, c'est avec une entière sincérité mêlée d'un juste orgueil que Luynes put lui dire : Eh bien ! Monsieur l'Ambassadeur, que vont dire maintenant mes ennemis ? A les entendre, je voulais mettre la main sur les princes du sang, ruiner Mayenne, ruiner la reine-mère. Ils voient bien aujourd'hui que je pouvais faire tout cela puisque, après la prise des Ponts-de-Cé, j'avais en mon pouvoir la reine, le comte de Soissons et Mme la Comtesse, comme s'ils eussent tous été dans cette chambre. Et pourtant rien de tout cela ne s'est fait, parce que le roi a pour sa mère la tendresse et le respect qu'il lui doit, et que j'ai toujours entretenu dans son cœur ces nobles inclinations. Voilà pourquoi, au lieu d'aller avec l'armée victorieuse nous emparer d'Angers, et là faire prisonniers la reine-mère et tous les siens, ce qui était aussi facile que de franchir le seuil de cette porte, il y a eu une gracieuse entrevue entre la reine-mère et le roi ; ils se sont affectueusement embrassés, et la paix s'est faite à la satisfaction de la reine, et avec le maintien de la dignité du roi, ce qui était le point capital, parce que Dieu m'est témoin que je n'ai jamais eu qu'un seul but, faire en sorte que l'autorité du roi soit à l'abri de toute atteinte, maintenue haut et redoutée.

Tout en assurant aux Ponts-de-Cé dans la réconciliation de la maison royale le relèvement de la couronne, Luynes voulait ruiner l'homme qui n'y avait brusqué la victoire que pour y perpétuer et y amplifier son règne, au préjudice même de cette couronne dont il s'instituait l'arrogant protecteur. Que dis-je ? au cours de la nouvelle phase d'hostilités que le triomphe du jour menaçait de rouvrir par delà le bassin de la Loire, Luynes s'effrayait de voir Condé, pour s'assurer une satanique revanche de ses lointaines frustrations de dauphin, engloutir dans les péripéties éternisées de la guerre civile cette lignée du sang de France qui l'écartait du trône. Déjà au siège de Caen n'avait-on pas vu Condé produire jusqu'à trois fois à sa suite sous le feu des assiégés, et comme si à leur égard c'eût été la désignation d'une cible, à la fois Louis XIII et le jeune duc d'Anjou ? Pendant ce temps-là Luynes s'était tenu piteusement à l'écart, il est vrai sous le couvert des plus nobles en même temps que des plus habiles sollicitudes ; car, au nom et à l'exemple du roi, et avec son parent le maitre de camp Modène, il allait visiter et consoler les officiers blessés, en offrant à chacun d'eux une somme de cinq cents écus et un brevet de deux cents livres de pension. Mais rien de ces effusions de largesses n'avait trouvé grâce devant l'impitoyable soldatesque qui, en le voyant s'isoler de ses périls, chemin faisant le criblait de lazzis sur sa poltronnerie. Et cependant, dans sa timidité vulgaire de parvenu improvisé, Luynes s'offensait moins de ces persiflages qu'il ne frissonnait de ce qui s'y insinuait pour lui d'avertissements sinistres. Eh quoi ! répliquaient aux mauvais plaisants de plus clairvoyants malins sous des semblants de charitable excuse, eh ! mon Dieu ! Luynes ne doit-il pas se précautionner moins encore contre les mousquets de la garnison du château que contre les embûches de l'armée royale ? Pour lui le vrai péril est là. C'est qu'en effet pour la pusillanimité de Luynes, dont on pénétrait ainsi à la fois et dont ravivait les alarmes, le vrai péril, aux tranchées comme sur les champs de bataille, gisait derrière Louis XIII et le duc d'Anjou. Condé était le vrai ennemi de Luynes et, dans leur hostilité, le sang d'Henri IV les séparait seuls l'un de l'autre. Tant que s'interposerait entre Condé et Luynes, en la personne de Louis XIII, la protectrice reconnaissance de l'élimination de Concini, Condé n'oserait toucher au favori à qui l'autorité royale s'estimait redevable de son affranchissement, sauf à lui disputer tumultueusement dans les conseils la suprématie et l'influence. Mais qu'au delà de la Loire, au pied de la citadelle d'Angoulême ou de Bordeaux, vienne à se renouveler le hasardement du sang de France, et, le lendemain de la catastrophe calculée qui par là ramènerait au trône la branche cadette de la lignée d'Henri IV, l'homme à qui nul ne saurait plus gré de cette immolation de Concini dont il avait d'ailleurs accaparé le bénéfice, était tout à la merci du prince à qui elle n'avait valu, grâce à lui, que l'humiliante délivrance de Vincennes. En un mot, ce jour-là, dans un des nombreux guet-à-pens à l'ordre du jour, Luynes allait rejoindre sa victime du pont-levis du Louvre entre Rizzio et Buckingham, en attendant Monaldeschi et Vallenstein.

Tel était le cauchemar que ravivèrent chez Luynes, dès qu'à Trélazé les eut suivis de près cette victoire qu'ils reprochaient à Condé comme une perfidie, à la fois Duperron, Bérulle et Bellegarde. En cela, et de concert avec Retz et le père Arnould, ils renforçaient les primordiales insinuations du nonce, autorisées de tout l'éclat du triomphe usurpé aujourd'hui par Condé moins encore sur Marie de Médicis que sur Luynes. Que dis-je ? Répétons qu'aux Ponts-de-Cé Condé n'avait pas plus vaincu Luynes que Marie de Médicis. Mais, tant qu'à envisager de prime abord dans le dénouement de la journée du 7 août le triomphe de la guerre sur la diplomatie, il fallait, insistaient auprès de Luynes nos ambassadeurs, il fallait, pour écarter de Luynes, aussi bien que de toute la lignée royale, cette épée de Damoclès attachée au transfert des hostilités sur la rive gauche de la Loire, il fallait au plus vite arrêter Condé aux Ponts-de-Cé par tout ce que cette diplomatie de Trélazé, si sagement tenue là en réserve, avait à lui opposer dans la souveraineté de sa revanche et de ses remèdes. En d'autres termes, ce qu'à Trélazé et à Brain poursuivait l'ambassade pontificale, c'était de consommer dans une coalition déjà ébauchée de griefs et d'alarmes le rapprochement entre Marie de Médicis et Luynes ; entre la reine pardonnant à son fils d'avoir secoué son joug et dompté sa révolte dès qu'elle se prenait à trembler pour ses jours, et le favori dont la destinée tenait toute à la préservation de Louis XIII.

Mais Marie de Médicis ne pouvait revenir à Luynes à travers le champ de bataille des Ponts-de-Cé, que par l'homme à qui il n'avait pas tenu d'en prévenir la conflagration en acheminant, le matin, dans son alcôve les messagers de La Flèche. La signature qu'ils n'en avaient emportée que sous ses auspices, n'avait pu être à Trélazé rejetée comme tardive sans indisposer gravement, s'y disait-on, Richelieu autant que Marie de Médicis. Aussi c'est de ce côté qu'à Trélazé, par une juste réciprocité des inquiétudes adverses, c'était du côté du Logis-Barrault qu'à Trélazé l'on redoutait de voir remettre en question, depuis l'attaque des Ponts-de-Cé, les préliminaires réconciliateurs de la veille. Et c'est pour dédommager Richelieu du coup de Jarnac infligé malgré Luynes à sa diplomatie, et par là le regagner et le rengager dans des démarches réparatrices, qu'on voulut que cette campagne d'entremise inaugurée par lui dès Angoulême, et poursuivie à toutes les étapes de la guerre civile avec une si infatigable sûreté, reçût sa digne récompense sous la forme d'un insigne couronnement. Certes, en montrant de loin sinon le titre au moins les honneurs de la connétablie à Lesdiguières ou le bâton de maréchal à Thémines ou à Bassompierre, en conférant la duché-pairie à Brissac et à Bellegarde, en prodiguant dans ses inféodations les croix de l'ordre du Saint-Esprit, Luynes ne rémunérait que justement ceux qui avaient lutté au grand jour dans les rangs de la cause royale. Mais la cause royale était encore plus redevable de son triomphe à l'homme qui, bravant courageusement dans l'apparente fausseté de son rôle et dans le pénombre de ses démarches tous les soupçons adverses, n'avait plongé dans l'insurrection que pour en retirer Marie de Médicis et la rendre à Louis XIII. Toutefois, avant de rémunérer Richelieu d'une aussi ingrate en même temps que d'une aussi salutaire abnégation de sa diplomatie, on avait cru devoir en épuiser l'épreuve. Mais, quand parut à Trélazé Bellegarde avec cette solennelle signature que la haineuse précipitation de Condé rendait seule intempestive, on y vit moins encore en faveur de la reine-mère un titre de rassurement qu'au bénéfice de Richelieu un brevet indiscutable à la fois d'habileté et de droiture. Et, dès lors, on jugea que, en la crise ouverte au pied des tranchées de Saint-Aubin, il était temps de gratifier Richelieu de ce que demandaient pour lui tour à tour à Luynes et au nonce et le Père Joseph et le Père de Bérulle, en retour de ce qu'ajoutaient en lui aux mérites d'un médiateur de la maison de France la protection de leurs deux œuvres du Calvaire et de l'Oratoire. Il s'agissait de la plus haute dignité que pût ambitionner un prélat en voie de remonter au pouvoir, afin d'y figurer plus grandement en l'illustre cortège des Georges d'Amboise, des Guise, des Duperron et des Retz, en attendant Mazarin, Fleury et Bernis. En d'autres termes, en s'acheminant vers Angers le 8 août, et à ne s'en tenir d'abord qu'aux seules instructions de Luynes, Bellegarde et Bérulle allaient non seulement rejeter toute la responsabilité du combat de la veille et par là tous les ressentiments de Richelieu sur Condé, en l'y séparant de Luynes de toute la distance de Trélazé à Sorges ou aux Maisons-Rouges. Mais, pour achever de fixer Richelieu du côté de celui qui pouvait si légitimement se laver les mains de l'apparente rupture de l'œuvre de La Flèche et par là le convier à la reprendre, Bellegarde et Bérulle ne devaient apporter à Richelieu, de la part de Luynes, rien moins que l'offre d'un chapeau de cardinal.

Ici entendons-nous bien. Tant que lui-même ne ceindrait pas l'épée de connétable, l'ombrageux Luynes n'était rien moins que pressé de voir, au conseil où il allait rentrer avec Marie de Médicis, Richelieu sous le prestige de la pourpre s'élever au-dessus de lui, et peut-être le supplanter un jour. Avec ce qui se révélait de la hauteur et de l'inflexibilité de l'évêque de Luçon et en se reconnaissant lui-même assez adroit pour nouer des alliances mais trop faible pour les régir, Luynes entrevoyait que cette pourpre même que Richelieu tiendrait de lui l'émanciperait de sa dépendance bien avant de l'affranchir de celle de Marie de Médicis. Mais aussi, tant que Richelieu n'aurait pas réalisé en cela son suprême idéal, Luynes le supposait voué au sort des plus illustres ambitieux qui, pour pousser leur fortune à travers les obstructions de cour, s'y assujettissent aux cheminements de biais par les portes basses et les issues latérales et s'abaissent à recommander et à rafraîchir leur candidature au regard de chaque favori de passage, que ce favori s'appelât Concini ou Luynes, par des obséquiosités d'inféodation, par des complaisances et des soumissions de clientèle. Luynes espérait que, tant qu'il n'aurait pas atteint par lui l'autorité qui le primerait, Richelieu graviterait dans sa mouvance avec la souplesse d'une créature et la docilité d'un homme lige ; qu'avant de condescendre à le protéger il se résignerait à le servir. Aussi, pour entretenir en Richelieu sur le chemin du cardinalat cette vassalité d'expectative, Luynes, à son égard, se ménageait derrière chaque confirmation de son engagement initial un recul de promotion et un atermoiement d'investiture. Et à cet égard rien ne pouvait mieux favoriser ses calculs dilatoires, en vue d'éterniser la soumission de l'homme qui ne le reconnaissait utile que pour lui devenir redoutable, rien ne pouvait mieux favoriser Luynes que l'évocation subreptice et l'encouragement sournois d'une candidature parallèle. Et c'est alors qu'il se ressouvint de l'ancienne promesse du même chapeau de cardinal au fils du duc d'Épernon Lavalette, archevêque de Toulouse. A cet égard, Luynes n'avait pas été plus sincère qu'il ne comptait l'être envers Richelieu, puisque de ce chef Lavalette avait dû subir, eu égard aux affinités gouvernementales et aux recommandations ultramontaines, la préférence de Retz. Et cet échec de Lavalette n'avait pas été, pour l'ambition paternelle du duc d'Épernon le moindre des griefs qui l'avaient jeté dans la guerre civile. Aussi y avait-il à se demander si l'urgence de conquérir dans le gouverneur d'Angoulême le plus ferme appui d'une revanche méridionale de Marie de Médicis ne primerait pas le souci de conserver en Richelieu un allié d'une fidélité désormais assez éprouvée pour qu'un simple ajournement de promotion ne désespérât pas sa patience. En d'autres termes, tout en portant Richelieu comme candidat pour le chapeau rouge, on lui ferait politiquement agréer, en faveur de l'archevêque de Toulouse, une antériorité de promesse qui, sur la feuille des présentations en cour de Rome, le rejetterait en seconde ligne. Il est vrai qu'après cela l'on ne pourrait plus, sous peine de rebuter cette fois grièvement Richelieu, susciter entre Lavalette et lui de nouvelles intercalations de candidatures, et qu'après la promotion si décisive pour le ralliement du champion le plus invétéré de la reine-mère, le plus persévérant médiateur de la famille royale passerait de suite à son tour. Mais avant que la latitude d'atermoiements circonscrite par les immédiates avances de Bellegarde s'épuise, en attendant que dans le sacré collège de la cour de Louis XIII la malléabilité d'un Retz ou d'un Lavalette se renforce des hauteurs de l'homme reconnu nécessaire mais à qui l'on s'effraye de recourir ; en attendant que s'impose l'avènement de Richelieu, Luynes aura conquis la connétablie. Et, dès lors, sans qu'il puisse se flatter que cet exhaussement suprême d'importance l'élève au niveau de deux hommes qu'il redoute diversement mais presque autant l'un que l'autre ; au moins, dans sa présomption de parvenu que grisent déjà les plus rapides faveurs, Luynes espère, grâce à cet emprunt de considération officielle, opposer l'un à l'autre et contrebalancer l'un par l'autre rien moins que Richelieu et Condé. Car, lorsqu'un officier de basse-cour en vient à perdre de vue l'effacement de ses visées primitives au point de briguer ce suprême honneur de la connétablie, pour n'en daigner laisser à ce glorieux vétéran de Lesdiguières qu'une expectative de coadjutorerie ; quand un favori si neuf convoite un honneur qu'après eux n'obtiendront plus même un Montmorency et un Turenne, en vérité c'est que la tête lui tourne ; et c'est dans ce vertige de grandeur et dans cette insolence d'apothéose qu'on s'arroge une omnipotence d'arbitrage entre le génie décoré de la pourpre romaine et le sang royal de France.

Même avant sa promotion au cardinalat et jusqu'après l'avènement de Luynes à la connétablie, le vrai arbitre du conseil de Louis XIII, dès qu'il y rentrerait et s'y impatroniserait par Marie de Médicis, c'était ce même prélat dont on s'empressait de s'assujettir mais dont on appréhendait tant de couronner et de consacrer l'ambition. Dès à sa réapparition au conseil de Louis XIII, Richelieu y allait commander en maitre, et cela aux yeux surtout du prince à qui on s'ingéniait le plus à l'opposer. Condé savait mieux que personne, pour l'avoir si rudement éprouvé durant le premier ministère de Richelieu, ce qu'il en coûtait de l'avoir contre lui, et par cela même il calculait tout le prix de son alliance en vue de contrebalancer Luynes. Et Luynes en valait bien la peine, sinon par sa propre importance, au moins par le crédit de ce groupe modérateur qui lui adhérait depuis l'ouverture de la guerre civile. A chaque étape même de la campagne qui venait de se clore aux Ponts-de-Cé, cette arrogance qui, chez Henri de Bourbon, croissait avec la victoire, en même temps aliénait de lui ces pieux réconciliateurs pour les resserrer, par la solidarité des aspirations, autour du favori dont la guerre éclipsait le règne. On en peut attester surtout le cardinal de Retz qui, lui, n'oubliait pas de qui il tenait la pourpre. Au conseil de guerre qui, dès après la prise de Caen, s'était ouvert en présence de Louis XIII et où Condé avait fait prévaloir, contre l'avis d'un retour à Paris, celui d'une marche en avant sur le Maine et l'Anjou, Retz ayant demandé qu'au moins par bienséance le roi sur sa route épargnât la ville d'Alençon, comprise dans le douaire maternel, Condé reprocha aigrement au cardinal de ne vouloir tant ménager Marie de Médicis que par considération pour son neveu le duc de Retz, qui venait de se déclarer pour elle. — Monsieur, reprit le cardinal avec une cuisante allusion aux antécédents insurrectionnels de son interlocuteur, je suis le serviteur du roi et n'ai jamais pris parti contre son service. Mais je sais aussi ce que je dois à la reine-mère, sans qu'on me puisse reprocher d'avoir épargné mon propre sang dans ceux qui ont embrassé sa querelle. Et de suite l'honnête niais le susceptible prélat se départit de ses restes d'égards envers son collègue du conseil pour s'aller retrancher sans retour dans le groupe adverse. Après tout, qu'importait â Condé que, dans ce groupe aussitôt refermé derrière lui, Retz se soit lavé du soupçon de népotisme, en contribuant à écarter des préliminaires de La Flèche l'article des garnisons de Machecoul et de Belle-Ile ? Qu'eût importé, même à Condé, que, pour une justification encore plus éclatante de son collègue, si d'avance il l'eût pu prévoir, cette trahison perpétrée au début du combat des Ponts-de-Cé, le long du pont de Saint-Aubin et sur le chemin de Beaupréau, soit restée à la cour sans récompense ? Ce dont Condé se souciait et ce qui l'affectait encore bien autrement que la sanglante vitupération datée des murs d'Alençon, c'était de voir par là-dessus décidément autour de son bivouac se creuser le vide, au point qu'enfin ce qu'on peut appeler presque aujourd'hui le guet-apens des Ponts-de-Cé l'ait isolé et comme figé dans son triomphe. C'est en vain que, à la descente des Maisons-Rouges, et pour ainsi dire avec son impétuosité de sanglier, Condé avait décousu la trame diplomatique ourdie à La Flèche, puisque déjà, à travers les fumées de la bataille dont il avait extorqué le signal et avec lesquelles s'exhalaient d'ailleurs ses rancunes satisfaites, cette trame d'un recommencement si fertile se reformait derrière lui. Et une œuvre de réconciliation par lui sans relâche compromise et traversée allait fatalement tourner contre lui si bien vite, en un primesaut de palinodie et avec sa vélocité de volte-face, il n'embrassait la nécessité de s'y rallier. En d'autres termes, pour trouver grâce devant la diplomatie de La Flèche, rien ne s'offrait à Condé de plus urgent que d'y concourir, dès lors que, dans les représailles réparatrices de Trélazé, Luynes l'acculait politiquement à l'alternative d'être où son prisonnier ou sa victime. Et c'est pour se dégager de cette impasse qu'en une ruade d'évolution il fonça d'un bond vers l'homme qui, auprès de Marie de Médicis, tenait en mains les destinées de la guerre civile, afin de le disputer à l'insinuant favori dans un parallélisme de recherches et d'avances. Pour détacher Richelieu de l'allégeance exclusive de Luynes et le maintenir par l'alternance des ménagements d'ambition â égale distance des deux pôles du conseil en une perspective centrale d'arbitre médiateur, il importait que Richelieu sût bien que Luynes, même dans son rafraîchissement de faveur, n'était pas le seul dispensateur des grâces et qu'auprès du nonce Luynes ne disposerait seul de la pourpre. Pour l'obtenir, il était bon que Richelieu comptât avec un Henri de Bourbon, que dis-je ? préférât même peut-être s'adresser à lui. Car enfin, avec ce que son besoin de déférences et son assujettissement de courtisan laissaient en lui subsister d'orgueil, Richelieu croirait moins déroger en tenant le chapeau rouge de la protection hiérarchique du sang de France, que de l'outrecuidant patronage d'un parvenu de hasard et de rencontre. Et, tant qu'à se résigner aux sollicitations, solliciter un Condé lui semblerait une voie plus digne, et peut-être aussi plus sûre. Car, au degré où le prestige du sang d'Henri IV l'élevait au-dessus des ombrages vulgaires, Condé n'y regarderait pas à un cardinal de plus siégeant auprès de lui dans le conseil, et de ce trône qu'il touchait d'assez près pour avoir failli s'y asseoir, il prodiguerait en grand la pourpre pour en décorer les avenues ; au lieu que cette pourpre n'y serait jamais que strictement mesurée par les tergiversations et la craintive parcimonie de Luynes.

Mais, plus que jamais depuis les étapes de La Flèche et de Trélazé, Luynes avait capté les bonnes grâces du nonce. Aussi, si d'un côté par Condé Richelieu embrassait la chance d'enlever le cardinalat de plus haute lutte, en revanche l'entremise plus lente et plus circonspecte de Luynes était peut-être aussi moins capricieuse. Et de là pour l'évêque de Luçon, dans sa tactique d'ambition, l'utilité de louvoyer entre ces deux hommes qui se disputaient son culte d'expectative, afin de les servir tous deux sans les trahir l'un par l'autre. Or, le premier gage de cette loyale complaisance en partie double, c'était pour Richelieu de résoudre au Logis-Barrault la solution du problème érigé par le combat des Ponts-de-Cé entre la diplomatie et la guerre, c'était de rapprocher de Condé sans éloigner de Luynes celle par laquelle il rentrerait au Louvre. C'était de concilier en la personne de Marie de Médicis l'intégralité des réconciliations avec les exigences de la victoire. Car si, d'une part, sous sa parade et sous son intransigeance triomphales, Condé sentait par degrés tomber ses rancunes, si peu à peu sa nouvelle évolution le ramenait à celle avec qui Richelieu solidarisait son avenir, s'il voulait que la reine-mère lui pardonnât la satisfaction de sa vengeance en le voyant s'interdire de l'épuiser contre elle ; s'il voulait même que, par Richelieu, Marie de Médicis allât jusqu'à lui savoir gré de ne pas plus franchir la Loire que les barricades angevines, afin de ménager à la fois sur les deux rives de l'étape actuelle de l'armée royale et ses dernières alliances et son dernier asile, en revanche Condé mettait son point d'honneur à n'avoir pas pour rien dépassé Trélazé et Sorges, descendu les Maisons-Rouges, forcé les tranchées de Saint-Aubin. Il tenait à ce que, tant qu'à revenir aux pourparlers de La Flèche, si peu que ce fût de la considération de cette victoire qu'il proclamait comme sienne en marquât la reprise. En un mot, en renvoyant au quartier général de Louis XIII redemander cette paix remise en question par le combat de la veille, suivant Condé Marie de Médicis devait tenir pour non avenue en principe cette amnistie de ses adhérents si laborieusement conquise au Mans et à La Flèche, en déclarant s'en remettre là-dessus à la clémence royale, sauf toutefois à n'y recourir qu'avec la certitude morale, officieusement acquise de Bellegarde et de Bérulle, qu'une amnistie dont le maintien touchait son honneur lui serait confirmée. Après tout, après avoir conquis dès La Flèche cette pleine garantie de réconciliation, la reine-mère reprenait à travers le champ de bataille des Ponts-de-Cé le vrai chemin de la retrouver intacte. Et, grâce à cette démarche aussi digne que sûre, elle comblait la mesure des mérites qui lui redonnaient le cœur de Louis XIII, en ajoutant aux prévenances d'une soumission qui avait devancé le sort des armes l'indéfectibilité d'une confiance survivant à son désastre. Elle tenait compte à Condé de sa victoire sans rien risquer au fond de celle de Luynes. Et par là elle méritait de voir enfin Condé et Luynes, abdiquant leurs soupçons adverses, se retourner l'un vers l'autre pour marcher au-devant d'elle.

Mais pour qu'une telle convergence d'évolutions trouvât du côté de Marie de Médicis une correspondance décisive, pour éloigner du champ de bataille encore tout fumant qui séparait Condé à la fois de Marie de Médicis et de Luynes toute trace de méfiances, pour enrayer entre les deux quartiers généraux une sincère, une large, une pleine réciprocité d'avances, en un mot pour faire agréer à Marie de Médicis le seul acceptable mais non le moins délicat des moyens termes de la pacification générale, il fallait que Marie de Médicis en vint à forcer ses répugnances, à infléchir gon orgueil, à amortir ses rancunes. Et c'est là qu'on attendait de Richelieu l'emploi sur elle de son habileté impérieuse. C'est à ce prix qu'il ne devait gagner de ne compter pas que sur Luynes pour sa pourpre, en se voyant assuré du patronage du sang de France. En revanche, il y avait dans ce qu'on peut appeler ainsi de la part de Richelieu un dédoublement d'inféodation, de quoi stimuler dans sa vanité de protecteur l'émulation de Luynes. Il allait se piquer d'honneur de ne se laisser pas devancer auprès de Richelieu par une investiture plus recherchée que la sienne parce qu'elle tomberait de plus haut. Et de là entre les deux antagonistes des deux quartiers généraux de Trélazé et de Brain vis-à-vis de Marie de Médicis comme un assaut de prévenances et comme un enchérissement mutuel sur son culte et sa gratitude. Mais en retour c'était bien le moins que, des rives de la Maine aux rives de la Loire, Marie de Médicis escortée de Richelieu fit la moitié du chemin vers ceux qui à l'envi s'entrecroisaient et se dépassaient dans leur marche au devant d'elle. Bref, au lendemain de la bataille des Ponts-de-Cé, Marie de Médicis devait désormais non plus stipuler mais attendre de l'unique et aussi de l'indubitable mansuétude de Louis XIII, pour tout son parti comme pour elle, l'oubli de la révolte ; et telle est la communication dont Bellegarde, à son arrivée de Trélazé au Logis-Barrault, devait de prime abord saisir Richelieu, en lui offrant pour le cardinalat la double présentation de Condé et de Luynes[19], comme prix de l'entremise qui devait réacheminer vers tous les deux à la fois la reine-mère. Et certes une aussi unanime, une aussi impérieuse, une aussi glorifiante recherche de son arbitrage en vue d'une solution du dénouement le plus universellement souhaitable de la guerre civile, tirait Richelieu de la situation fausse où l'avait acculé sur la Loire vis-à-vis de la cabale de Vendôme, dans la crise actuelle, le soin de justifier son rôle. Quelle qu'eût été en cela son imprudence, il pouvait maintenant, en levant le front au grand jour, ramener Bellegarde avec lui à Marie de Médicis et la ramener avec lui-même à Louis XIII par le chemin que n'avait pas frayé en vain devant eux la signature de la veille, par ce chemin qu'une perfide exploitation n'avait pu recouvrir, et qui restait toujours le chemin de la confiance et de la droiture. Il pouvait, dis-je, le retraverser avec sa souveraine sans rougir, parce qu'il ne la pouvait par là ramener au Louvre qu'après lui avoir offert de franchir avec elle la Loire, parce que ce n'est qu'après avoir accepté de la servir entre Épernon et Mayenne, qu'il allait se réinstaller à sa suite entre Condé et Luynes. En cela, d'ailleurs, Richelieu ne trahissait pas plus non seulement les alliés d'outre-Loire mais même les Vendôme au profit de Marie de Médicis, qu'il ne la trahissait elle-même au profit de Luynes et de Condé. Et, en voyant Richelieu reparaître avec Bellegarde, Vendôme ne lui pouvait reprocher une démarche qui le sauvait lui-même de l'impasse où l'avaient jeté finalement entre les deux camps de la maison royale ses alternatives de lâcheur et de bravache ; une démarche lui valant une amnistie que ne lui avaient pas plus méritée sa trahison des Ponts-de-Cé qu'à Angers son intransigeance de parade. Ah ! sans doute, Vendôme ne saura nul gré à Richelieu de ne s'être vengé de sa haine qu'en le sauvant malgré lui. Et, sans avoir le front de l'incriminer d'avoir à ce point confondu son indignité, il lui sera commode de dire que, sans cette paix qu'il lui devait, il n'a pas tenu à lui d'arrêter à Angers l'armée royale, au moins jusqu'à ce que Marie de Médicis eût gagné Angoulême et Bordeaux. Mais qu'importait à Richelieu la reconnaissance d'un Vendôme pour ce qu'il n'avait entrepris que par considération pour sa souveraine ? Et, des hauteurs d'où il envisageait sa cabale, n'était-il pas d'humeur à dédaigner encore moins ses soupçons que son ingratitude ?

C'est du concert des deux hommes qui, du camp opposé, se rencontraient dans leurs avances et à l'envi lui tendaient les mains, que Richelieu attendait sa vraie et sa légitime récompense, mais une récompense où il ne manquait que d'y voir concourir celle qu'il arrachait à sa ruine ; une récompense qu'il voulait tenir aussi de la souveraine qui remontait par lui à la source des grâces. Si Marie de Médicis revenait par Richelieu au Louvre, dès que réciproquement il revenait avec elle au pouvoir il lui devait bien de ne vouloir pas devenir cardinal sans elle, comme elle lui devait bien, elle aussi, le chapeau rouge en guise de prémices d'un retour de faveur, puisqu'en se détournant de la route d'Ancenis pour revoir avec elle Bellegarde, Richelieu la retirait du mauvais pas où lui-même s'était cru forcé de l'engager. Grâce à l'évêque de Luçon, Marie de Médicis s'arrêtait juste à temps dans sa chimère de revanche pour la sauvegarde de tout ce que sa rébellion lui pouvait laisser de son décorum de souveraine. Elle avait épuisé dans le malheur tout son déploiement de majesté, et ce ton de tragédie où l'avaient haussée par contrainte les résolutions issues de sa défaite, un retour heureux de diplomatie la dispensait de le soutenir. Il en était d'elle, pour ainsi dire, comme de ces pierres branlantes qui oscillent à la plus légère impulsion et qui, dès que cette impulsion cesse, retombent d'elles-mêmes sur leurs bases immuables. Trop inquiète et trop mobile pour son opacité organique, Marie de Médicis, une fois à bout de ses tressaillements d'une amazone d'épopée et de ses soubresauts d'une junon en détresse, à l'apparition de Bellegarde s'était vite affaissée d'elle-même en un phlegme majestueux qui était, pour ainsi dire, son Olympe et son Louvre, et où elle se réfugiait comme clans l'atmosphère le plus propice à la respiration de son orgueil : le repos dans la grandeur ! C'est ce que ménageait à Marie de Médicis, autour du trône d'Henri IV, la vénération filiale avec le libre jeu pour un mouvement sans orage et une activité sans fièvre. Ici, du moins, nous supposons une Marie de Médicis autre que celle qui nous apparait entre les deux équipées de Blois et de Compiègne, ne se pouvant résigner dans le rassasiement de sa rentrée en grâce à un solennel effacement qu'elle n'envisagera que comme la platitude et la vulgarité d'une retraite bourgeoise. Mais que n'a-t-elle donc compris qu'elle se donnait le plus beau rôle en même temps que le rôle le plus séant à sa solennité naturelle, en enfermant sa vieillesse fatiguée dans l'ombre et le silence, avec la placide jouissance du vrai couronnement de sa longue régence ? A travers tant d'agitations stériles, elle y avait enfanté de quoi éternellement se survivre, à côté d'un nom dont le sien désormais ne se séparera plus. Car si, au lendemain de la bataille des Ponts-de-Cé, Richelieu a redonné Marie de Médicis à Louis XIII, ce n'est pas sans que Marie de Médicis ait, en retour, doté de Richelieu la France. En ne vivant plus que sur ce grand titre de gloire, Marie de Médicis se serait épargné cette Journée des Dupes où, après avoir renié le serviteur taxé d'ingratitude, par cela seul qu'il ne relèvera plus exclusivement d'elle, elle en sera réduite à secouer la poussière de ses pieds sur le chemin d'un second et, cette fois, définitif exil. Mais cet exil-là même proclamera, fût-ce contre elle-même, l'indestructible puissance de son œuvre. Pas plus à Bruxelles qu'à Cologne elle ne nous fera oublier de nous avoir valu l'homme à qui on ne l'a que justement sacrifiée. Elle aura beau répudier cette réconciliation des Ponts-de-Cé dont le souvenir l'offusque, elle n'y abolira point ce qui en fut par excellence le sceau et le gage. Richelieu survivra à cette réconciliation mémorable, tour à tour grâce à elle et malgré elle, et, avec Richelieu, toutes les grandeurs qui rattachent Henri IV à Louis XIV.

Certes,' au lendemain de la bataille des Ponts-de-Cé, Marie de Médicis était loin de prévoir que ce même Richelieu serait pour elle, sans qu'elle pût s'en prendre qu'à elle-même, tour à tour son ouvrage et son écueil, sa garantie et sa condamnation, son salut et sa ruine. Mais, pour l'instant, elle n'avait qu'à se livrer sans crainte à celui qui ne l'avait pas suivie à Blois, à Angoulême et à Angers, pour ne la ramener que par les chemins de la trahison au Louvre. Avec Richelieu elle pouvait aller rejoindre Louis XIII sans défiance, comme aussi sans plus d'humiliation que de rancune. Sans humiliation, car sur le champ de bataille qu'elle avait à traverser sur sa route, elle ne laissait rien de son honneur ; et nulle fourche caudine ne s'y élevait sur sa tête, entre Condé et Luynes se dépassant au-devant d'elle. Sans rancune, car les armes de Louis XIII n'avaient reconquis sur elle que sa réconciliation. En elle il n'avait vaincu que la cabale qui la tenait captive. Elle reconnaissait maintenant que ce fils, qui lui avait paru si dur contre elle en secouant le joug de Concini, n'avait fait que l'affranchir, elle à son tour, de la tyrannie des Soissons, des Chanteloube et des Vendôme. Elle ne lui en voulait pas plus de cette campagne libératrice qu'il ne lui en voulait, lui, d'une rébellion qui n'avait fait que manifester sa primeur de gloire, en le provoquant à un élan triomphal, à l'élan d'Henri IV retrouvé en sa personne, à l'élan d'Arques, d'Ivry et de Fontaine-Français, en attendant l'élan du Pas-de-Suze. Mais d'ailleurs Louis XIII n'était pas plus fier de produire et de mettre en œuvre le sang paternel que Marie de Médicis ne s'applaudissait de le lui avoir transmis. En définitive, elle le voyait tenir d'elle le principe de ce qui l'avait subjuguée. Aussi, si le fils de Marie de Médicis amnistiait en elle sa révolte, c'est d'aussi grand cœur que la mère de Louis XIII amnistiait sa victoire.

 

Mais cette prochaine perspective d'une paix si universellement glorieuse, il en fallait assurer officiellement la réalisation par le déploiement solennel de toute la diplomatie évoquée depuis l'ouverture de la guerre civile entre les deux camps opposés de la maison royale. Répétons qu'à Marie de Médicis s'imposait l'urgence de cette démarche, cette fois inattaquable, d'une soumission sans réserve, accompagnée d'un digne mais respectueux appel à l'intégralité de la clémence royale en faveur de tout ce qui l'avait suivie dans sa révolte. Il lui fallait ne demander la paix et ne s'abandonner à la discrétion du vainqueur qu'avec la fière production de cette requête d'amnistie introduite comme une requête d'avance exaucée. A cet égard, nous venons de désigner le vrai messager de Marie de Médicis dans l'homme qui l'avait décidée à cette suprême démarche, après l'avoir, ne nous lassons pas de le redire, servie avec autant de force, de courage et de hardiesse que de tact et de prudence, avec autant de persévérance que de franchise, avec autant de droiture que de souplesse, avec autant d'insistance que de discrétion et de mesure. Certes, encore une fois, celui qui, de plus en plus, se décèle ici comme le bon génie de Marie de Médicis, Richelieu, n'avait pas jusqu'ici indéfectiblement épousé sa disgrâce, soutenu et plaidé sa cause, affermi et développé dans son immobilisation son quartier général, puis embrassé et assumé sa revanche pour aller loin d'elle, fût-ce au prix d'une secrétairerie d'État et d'un chapeau de cardinal, marchander son honneur et tramer sa capitulation. On le savait incapable de sacrifier en Marie de Médicis rien de ce que le malheur lui laissait ou plutôt lui conférait de considération. En un mot, sur la communication de Bellegarde, Marie de Médicis dut tenir à ne consommer sa démarche consécutive que par l'homme dont cette démarche était l'œuvre ; elle dut tenir à n'envoyer aux Ponts-de-Cé que l'homme qui l'avait voulu suivre à Ancenis ; elle voulut n'être sauvée et absoute que par l'homme qui ne voulait pas être cardinal sans elle.

Aussi, dès qu'elle se fut décidée à poser les armes, Marie de Médicis, le 9 août[20], envoya l'un de ses écuyers solliciter Louis XIII d'agréer Richelieu comme son messager de paix. Et, sous le bénéfice d'une réponse naturellement favorable et suivie de la proclamation d'un armistice général de trois jours, elle l'expédia avec le cardinal de Sourdis, à midi, vers le quartier général des Ponts-de-Cé, avec les passeports en règle et les pleins pouvoirs, pour y offrir son absolue soumission, inséparable de la supplique en vue de l'universelle amnistie. Ajoutons que Richelieu et Sourdis ne s'acheminèrent vers les Ponts-de-Cé qu'avec un cortège en rapport avec la solennité de leur démarche. Cette ambassade pontificale, qui n'avait dit peut-être guère moins à Richelieu qu'au Père Joseph l'initiative de son recrutement et de son entremise, et qui certainement lui devait la promptitude et l'intimité de son accès dans la place d'armes angevine, il était juste qu'en retour elle lui conférât la souveraineté de sa vertu propitiatoire, attachée à la consécration de son lustre, comme aussi à l'intégralité de son cadre et de son escorte. Car ce que nous avons vu figurer jusqu'ici de son personnel sur les routes du Mans, de La Flèche et de Trélazé réclamait sur la route des Ponts-de-Cé son digne complément. Nous nous rappelons qu'à son arrivée en Anjou cette auguste ambassade, pour concilier avec l'agilité de son entremise la continuité de sa persuasion, avait détaché d'elle, pour le fixer au Logis-Barrault durant ses allées et venues entre les deux camps opposés de la guerre civile, une délégation immuable en la personne de son patriarche : nous voulons parler du grave, du judicieux, du sympathique président Jeannin. Il est vrai que, depuis son installation près de Marie de Médicis, même en l'absence de ses collègues qui d'ailleurs ne s'éloignaient de lui qu'en le laissant sous la dominante société de Richelieu, Jeannin nous semble là comme abîmé dans l'ombre et le silence. Du moins on ne l'y voit qu'une fois sortir de son mutisme, à l'annonce de la défection aux Ponts-de-Cé et du brusque retour à Angers du duc de Vendôme. Ce n'est qu'alors qu'avec tout ce que sa bénégnité, sa mansuétude et son indulgence comportaient d'ironie, il lui échappa d'observer malicieusement que jusqu'ici il avait bien lu et ouï dire que des généraux de camp s'appliquaient à remédier aux déroutes, mais non pas certes qu'ils prissent plus de soin d'en venir apporter les nouvelles que d'en recueillir les débris. Ici l'on croit voir le vénérable président ne dissimuler qu'à peine sous sa barbe blanche un léger sourire de satisfaction, en voyant se réaliser dans une aussi affligeante désertion les pronostics dont il avait jadis salué aux portes de Paris, dans la direction d'Angers, la libre sortie de ces Vendôme qui, selon lui, n'y emporteraient avec eux qu'un principe de ruine. Après tout, où eût été le mal si, au dedans de lui, Jeannin eût applaudi à une défaillance qui, en détachant d'une reine respectée par le malheur la cabale qui l'avait tenue jusqu'ici captive, ne la rendait par là que plus sûrement à elle-même ? Pourquoi Jeannin, une fois hors la présence de la reine-mère, se fût-il affligé d'une désertion qui, en dissolvant son parti, brisait ses fers ? Seulement ne lui devait-on souhaiter son affranchissement que pour la sauver. Et c'est là que, dans son impérieuse direction des destinées de sa souveraine, Richelieu dut apprécier, plus que lui-même ne l'avoue, tout ce que l'auxiliaire immobilisé près de lui y déployait de discrète surveillance. En cela, d'ailleurs, Jeannin ne servait que le fruit de son expérience consommée de vieux ligueur honnêtement rallié à la cause royale, d'une expérience opérant sur son altier collègue du Logis-Barrault à travers l'analogie des rôles où s'inaugurèrent leurs carrières respectives. Car l'homme qui n'avait traversé, que pour l'assainir et le régler le parti des Guise et de Mayenne, était naturellement écouté de celui qui ne s'identifiait à Marie de Médicis que pour être à la fois son rempart et son bon génie, son protecteur et son remède. Ajoutons que, pour déterminer Marie de Médicis à une paix qui lui ouvrait à lui-même avec le chemin du Louvre le retour au pouvoir, il fallait au jeune ambitieux, trop avide d'y immortaliser son nom pour qu'on ne suspectât pas là-dessus le désintéressement de ses conseils, la rassurante adhésion de ce vétéran de la diplomatie d'Henri IV en qui le rassasiement de gloire cautionnait l'impartialité des suffrages. Au reste, l'impartialité de Jeannin tenait aussi à ce même fond de bienveillance qui en lui s'était déclaré pour Richelieu dès les origines de la guerre civile, lorsqu'en dépit des répulsions réactionnaires de ses collègues du ministère datant de l'avènement de Luynes, il avait favorisé l'évêque de Luçon jusque dans son retour d'Avignon à Angoulême. C'est sous les mêmes auspices qu'aujourd'hui Richelieu devait souhaiter de se réacheminer d'Angers par les Ponts-de-Cé au Louvre ; et c'est dire à quel point Jeannin, le 9 août, avait sa place marquée auprès de Richelieu dans sa démarche capitale auprès de Louis XIII. Car il figurait comme le suave complément et l'organe onctueux de son cortège[21].

A peine Richelieu et Sourdis, introduits au château des Ponts-de-Cé sous d'aussi engageants auspices, eurent-ils passé de là dans les jardins qui en formaient les riantes dépendances le long. de la Loire, pour s'y aboucher avec Louis XIII assisté de son conseil, qu'aussitôt, et comme en vertu de cette atmosphère d'aménité propice à la détente générale, s'établit le plus parfait compromis entre les exigences raisonnables de la victoire et tout ce qu'une reine vaincue pouvait revendiquer de dignité dans sa soumission. En lui conférant son bénéfice d'amnistie, on alla même jusqu'à lui laisser l'apparence de l'avoir plus obtenu de ses stipulations que d'une supplique. Car, de même qu'elle n'avait sollicité l'amnistie qu'avec la certitude d'être exaucée, en revanche on était trop sûr qu'une paix qui la lui octroyait serait agréée d'elle, pour croire en risquer rien en en subordonnant la validité à sa détermination d'y reporter la signature périmée de la veille. En d'autres termes, on admit Marie de Médicis à figurer comme partie contractante à un traité qui revêtait ainsi en son honneur la forme synallagmatique.

Mais, du reste, même sous cette forme qui comportait un débat contradictoire, mais qu'on n'avait justement admise qu'en raison d'un débat sans péril, la discussion entre les plénipotentiaires s'abordant au pied du château des Ponts-de-Cé, et que Louis XIII laissa seuls en présence pour se délecter en paix du riant panorama de la Loire, ne pouvait être longue. Aussi, d'abordée et séance tenante, en une première conférence qui, ouverte à midi, se termina à quatre heures, on aborda vite la rédaction de l'acte immortalisé sous le nom de paix des Ponts-de-Cé. Mais, au cours de cette dernière tâche, Richelieu, observant jusqu'au bout envers Marie de Médicis la déférence la plus précautionneuse, au regard de la cabale toujours aux aguets sur ses traces pour empoisonner ses suprêmes démarches, revint au Logis-Barrault, avec la teneur des principales clauses, s'assurer jusqu'à trois fois de l'adhésion de sa souveraine. Au fond, et sous ces ménagements dus à son légitime orgueil, Richelieu n'en fixait que mieux Marie de Médicis dans la résignation, la confiance et la docilité qui lui étaient, à elle, son triomphe, sa force et sa gloire. Et c'est ce dont affecta de lui savoir gré, dans la clôture même des mémorables conférences, l'homme qui jusque-là s'était affiché comme le plus implacable ennemi de Marie de Médicis, l'homme qui, depuis l'ouverture de la guerre civile, s'était acharné à éconduire ses ambassades, à lui souffler les armistices et à forcer contre elle la victoire. C'est que dès que, par une aussi décisive victoire, Henri de Bourbon s'était vu acculé au dénouement de la diplomatie, envahissant d'un bond ce seul champ qui restât ouvert à sa tapageuse influence, en fait d'avances à Marie de Médicis nous l'avons vu obséder et inquiéter Luynes de la soudaineté de ses surenchères. C'est ainsi que, pour combler l'abîme qui, depuis l'attaque des Ponts-de-Cé plus que jamais le séparait de la reine-mère, il ne la crut pouvoir assez impérieusement capter de ses générosités de bon prince. Aussi, quand il n'y avait déjà plus qu'à signer ce traité qu'hier encore il eût traversé et pourfendu de toute la haine vouée à sa mortelle ennemie, il saisit la plume pour y introduire comme d'assaut les clauses de faveur qui devançaient le plus ses désirs. Mais, encore une fois, une si conquérante gracieuseté s'adressait moins encore à Marie de Médicis qu'à l'arbitre de ses destinées, et Richelieu y recevait comme les arrhes de cette pourpre qui, à cette date et en cette anticipation d'investiture où d'ordinaire la postérité l'envisage, éclate comme le sceau et le ciment de la paix générale.

Ainsi se dégagea des conférences tenues aux Ponts-de-Cé les 9 et 10 août ce traité auquel tous applaudirent[22], et que Richelieu lui-même, à travers l'animosité rétrospective dont ses Mémoires ont poursuivi Luynes, envisage comme un chef-d'œuvre d'habile modération. Le principe dominant en était l'amnistie générale, reproduisant celle du traité d'Angoulême et qu'allait consacrer ultérieurement une expresse déclaration d'innocence. Cette amnistie couvrait avec la reine-mère tous ses adhérents[23]. Par là, sauf restitutions réciproques au profit de la cause royale, tous les serviteurs de la reine-mère étaient réintégrés en tout ce que la guerre leur avait enlevé de biens et d'honneurs demeurés jusqu'ici en la libre disposition de Louis XIII. Notamment, le comte de Soissons recouvrait la ville de Dreux et son commandement de chevau-légers. A Vendôme retournaient les villes de Vendôme et de Verneuil, mais dégarnies des fortifications qu'il y avait élevées durant sa révolte. Boisdauphin et Mayenne rentraient dans Sablé et La Ferté-Bernard. En revanche, et par un principe de rigoureuse justice que ne semblent pas même avoir songé à discuter ni Richelieu ni Marie de Médicis, tant elle s'imposait à leur raisonnable résignation, les postes auxquels, dès leur occupation, Louis XIII avait pourvu d'urgence, demeuraient irrévocablement dévolus à leurs nouveaux possesseurs. C'est ainsi que le colonel d'Ornano, investi, dès après la dépossession de Du Ménil, du commandement du Vieux-Palais de Rouen, le devait garder pour surveiller par là et, au besoin, contenir dans la haute Normandie le duc de Longueville. De même, le gouvernement du château de Caen, dont le grand-prieur avait été déchu aux applaudissements de toute l'armée royale, demeurait sans retour la juste récompense de Mosny. Quant aux officiers des douze compagnies réfractaires de l'armée de Champagne, une fois éliminés du service par leurs destitutions suivies d'un remplacement immédiat, ils durent longtemps encore cuver leur disgrâce jusqu'à ce que les instances réitérées de Marie de Médicis et du duc d'Épernon les ait, par degrés, rappelés au service. Au reste, pour qu'une clause expresse du traité encourageât Marie de Médicis à intercéder généralement en faveur de toute son adhérence — et cela visait tout ce qui ne pouvait profiter immédiatement de l'amnistie -, il fallait que Louis XIII s'y sentit bien tendrement accessible. C'est qu'il se réservait l'exaucement de sa mère comme prix de la persévérance de sa réacclamation près de lui. En attendant, rien ne pouvait être d'un meilleur augure, au moins pour le dédommagement que mériteraient à l'avenir ceux sur la dépossession desquels on ne pouvait plus actuellement revenir. Et de telles arrhes de crédit filial, s'ajoutant à la clause qui laissait à Marie de Médicis le gouvernement du château des Ponts-de-Cé, la devaient encore plus toucher qu'un versement promis de six cent mille francs pour l'acquit de ses dettes, et l'assurance de l'élargissement gratuit des prisonniers de guerre[24].

Aussi est-ce avec une pleine confiance que, dès que le traité, dressé dans sa forme définitive à huis clos entre Richelieu et Luynes, eut été aux Ponts-de-Cé, le 10 août, à huit heures du soir revêtu des signatures requises, Louis XIII expédia vers sa mère, pour le lui présenter avec la plus affectueuse lettre de compliments, Bellegarde et Bérulle, escortés du maréchal de Créqui et de dix capitaines de sa garde. Et, dès le lendemain matin, 11 août, Marie de Médicis lui retourna, par Richelieu et Sourdis, la mémorable charte de réconciliation avec la réciprocité de son paraphe, cette fois indélébile.

C'était bien là l'œuvre du premier des deux messagers qui apportaient ainsi à Louis XIII, dans sa plus fraiche consécration, pour ainsi dire le rameau d'olivier émergeant de sa victoire. Et c'est ce que s'empressa de reconnaître en leur audience de réception le souverain qui recouvrait avec eux tout entière Marie de Médicis. Jusqu'ici, et tout en appréciant de plus en plus avec Luynes la droiture et l'efficacité du rôle ingrat embrassé par Richelieu dès l'ouverture de la guerre civile auprès de sa mère, Louis XIII s'était interdit, non pas de récompenser un jour, mais d'avouer publiquement son entremise afin de ne le pas discréditer dans le parti auquel il affectait de s'identifier pour sa désagrégation plus sûre. Mais cette œuvre glorieuse une fois accomplie, on ne le pouvait trop vite dégager, puisqu'on ne le dégageait plus qu'impunément des soupçons essuyés dans l'apparente fausseté de ses démarches au regard de ce parti qui n'ignorait plus d'avoir eu en lui l'auteur de sa ruine, mais qui lui devait pardonner de ne l'avoir désarmé et dissous qu'en lui conquérant l'amnistie. Aussi, en pleine solennité de cette audience de réception qui suivit le retour aux Ponts-de-Cé de Richelieu avec le traité revêtu de l'auguste complément de ses formes sacramentelles, Louis XIII proclama bien vite et bien haut qu'il lui devait tout ce que lui redevenait sa mère. C'était lui montrer en même temps tout ce qui lui revenait avec elle. C'était assigner à l'homme qui la lui ramenait au Louvre, par le pont-levis teint du sang de Concini, son poste de réintégration dans ses conseils. C'était conférer d'avance à celui en qui toute la France tenait dans le char de triomphe attelé déjà pour la rentrée maternelle s'opérant avec son escorte, c'était conférer d'avance à Richelieu l'immortalité de ce qu'on a appelé son second ministère, mais qui ne sera au fond que la confirmation d'un règne dont l'avènement de Luynes n'avait que traversé le préambule. Mais toutes les assurances de réhabilitation et toutes les perspectives ménagées d'un rappel dans la souveraineté de sa faveur, Louis XIII voulait que Richelieu s'en sentit redevable à l'ambassade qui l'avait si heureusement assisté dans sa mission médiatrice. Voilà pourquoi, en le félicitant, avec Condé et Luynes, de tout ce qu'il avait opéré dans sa mère, Louis XIII lui déclara délicatement le savoir non seulement par Luynes, mais aussi par ses éminents auxiliaires Duperron et Bellegarde, Jeannin et Bérulle. Il voulut que Richelieu sût qu'en retour de l'hospitalité et de l'acclimatation qu'il leur avait si courageusement assurées au Logis-Barrault, ils ont contribué à l'ovation et à l'accueil qui l'attendaient au Louvre. Il voulait que, dans cet enchaînement de gratitudes et dans cette réciprocité de services, Richelieu, sur l'horizon de cette pourpre qui se déployait devant lui, fraternisât tour à tour avec le passé et l'avenir d'un règne où Henri IV rejoignait Louis XIV. Il voulait que tour à tour Richelieu harmonisât dans la 'peine fusion de bienvenue la régence et Luynes, la clémence et la victoire, la diplomatie, la cour et la religion. Il voulait que dans cette accolade générale se resserrât le nœud de ses grandeurs.

 

Et maintenant on conçoit qu'un événement d'une aussi haute portée et d'un aussi radieux augure que l'irrévocable achèvement du traité des Ponts-de-Cé ne pouvait se propager trop vite. Aussi, dès le 11 août, Louis XIII envoya à Paris le sous-gouverneur du duc d'Anjou, Contades, pour en aviser la reine et des courriers expédiés tout à la fois à Saumur et en Bretagne, en Champagne et à Lyon, en portèrent les articles à Duplessis-Mornay, à Brissac, à Nevers, à Alincourt, puis aux gouverneurs de toutes les provinces où partout les parlements les enregistrèrent.

En même temps comment oublier le corps diplomatique, à commencer par son plus auguste membre, le nonce Bentivoglio, qui pouvait à si juste titre, entre Richelieu et Luynes, revendiquer la paix comme son œuvre ? C'est à ce point que son ambassade, en escortant le 9 août Richelieu dans son voyage aux Ponts-de-Cé pour la sollicitation de cette heureuse paix, semblait n'y avoir déployé qu'autour de lui tout son personnel pour qu'on la vit plus dignement remonter à sa source. Car, à l'extrémité de leur voyage au sein du quartier général de Louis XIII transformé en un suprême rendez-vous d'intercession générale, on eût aimé voir surgir, comme prêt à marcher au-devant de sa propre délégation, celui qui en était à la fois la source et l'auréole, le principe et le couronnement. Nous avons vu au début de la guerre civile, et après la formation concomitante de l'ambassade réconciliatrice attachée à ses étapes pour en mieux observer les péripéties ; nous avons vu le nonce Bentivoglio y laisser agir seuls ses plénipotentiaires pour se renfermer à Paris dans l'immobilité hiératique de son expectative officielle, afin de ne compromettre pas par son adhérence ostensible à l'un des deux camps opposés de la maison royale, sa liberté et son ouverture de persuasion sacerdotale. Mais, dès que, sous les drapeaux de Louis XIII, la cause royale eut aux Ponts-de-Cé triomphé sans appel, Bentivoglio, ce semble, n'eût demandé qu'à y joindre le souverain confirmé par la victoire, afin de hâter le dénouement de pacification qui devait ramener tout entier, grâce à l'affranchissement de ses effluves martiales, ce pénitent du Père Arnoux aux sollicitudes primitives d'une guerre sainte. Car ce soulèvement du protestantisme datant, comme nous avons vu, du rétablissement du catholicisme en Béarn, et enté à Loudun sur l'insurrection de Marie de Médicis sans que Richelieu en ait pu détacher que nominalement sa pieuse souveraine, à travers la félicité des réconciliations actuelles menaçait dangereusement de lui survivre. Le plus opiniâtre, le plus énergique et militairement le plus redoutable des soutenants de la reine-mère, mais un soutenant qui lui adhérait moins par des subordinations d'homme lige que par ses accaparements de sectaire et qui lui offrait moins l'assiduité d'une protection directe que les aversions lointaines d'une stratégie volante, Henri de Rohan se rappelait trop avoir vu s'attacher à la disgrâce de Sully et aux mariages espagnols le nom de Marie de Médicis, pour la suivre dans sa réconciliation avec l'instigateur de l'édit de Béarn. Aussi, dès qu'il vit dans l'imminence de sa défaite Marie de Médicis prête à poser les armes pour se rapprocher de Louis XIII et de Luynes, Rohan s'isola de sa soumission pour s'aller retrancher, en continuateur intransigeant des Coligny et des Nassau, dans cette zone d'hérésie adossée aux remparts de Montauban et de La Rochelle, et allant de la Charente et des Pyrénées aux Cévennes. Aussi, en face de cette transformation radicale de la guerre civile où la religion seule restait en cause, ce n'eût pas été trop de l'entremise personnelle du plus éminent représentant du catholicisme en France, pour ériger aux Ponts-de-Cé la réconciliation de la maison de France en un ralliement de croisade. Et voilà pourquoi, le 9 août, nous eussions, dis-je, aimé voir Bentivoglio recueillir et grouper autour de lui, sur l'avenue des Ponts-de-Cé, toute la diplomatie angevine. Mais la diplomatie avait remédié à la victoire plus vite que ne l'eût attendu Bentivoglio, même en s'abstenant d'envisager de loin cette victoire à elle seule comme un gage de paix, ainsi qu'il l'avait fait le 10 août dans l'audience d'Anne d'Autriche. Dès le lendemain, il était de toutes parts avisé de la conclusion et saisi de la teneur du traité des Ponts-de-Cé, à savoir non seulement par Contades, qui était accouru à lui dès au sortir du Louvre, mais encore par le cousin de Luynes, Modène, par le secrétaire de Marie de Médicis, Bouthillier, par le résident Florentin accrédité près d'elle sous le nom de Bartholini, et aussi, et non certes avec moins d'empressement, par le Père de Bérulle.

En retour ce pontife, que le nonce, et avec lui Duperron, Bérulle et le Père Joseph avaient représenté dans leur entremise ; en retour le pape Paul V, à qui le nonce avait de suite transmis par le cardinal-neveu Borghèse, avec les allegata de sa première dépêche, le texte même du traité consommant son œuvre ; en retour le pape Paul V en épancha vite son allégresse en brefs de félicitations à Louis XIII, à Anne d'Autriche et à Marie de Médicis ; puis, sur les suggestions du nonce, à Condé et à Luynes. Mais cela ne dispensait pas Bentivoglio de ses démonstrations personnelles. Non seulement par le retour de Contades il félicita Louis XIII d'avoir en sa clémence triomphé de la victoire elle-même. Mais, tout en s'ouvrant de son allégresse à tout le corps diplomatique, après les deux reines et après Condé et Luynes, Bentivoglio complimenta entre autres Retz et Jeannin, Montbazon et Bellegarde. Mais spécialement dans l'ambassade angevine il n'eut garde d'oublier et Duperron, pour qui il demandait à Rome, autant que pour Richelieu et La Valette et en vue d'une digne continuation du lustre fraternel, le chapeau de cardinal ; et puis Bérulle, qu'en même temps il exhortait à tourner contre les huguenots répudiant la paix des Ponts-de-Cé, l'éveil guerrier de Louis XIII.

Une paix où Rome avait joué un si grand rôle, parce qu'il y allait de l'avenir du catholicisme en France, ne pouvait manquer d'y avoir partout, dès après sa promulgation officielle, une célébration religieuse. C'est à quoi avait vite pourvu d'abord à Angers Richelieu, sur l'ordre de Marie de Médicis. Le 11 août, dès que la reine-mère y eut reçu au château les congratulations du présidial en robes rouges et de la municipalité escortée de ses sergents et hallebardiers en casaques écussonnées aux armes de la ville, qu'en leur assistance, au son du gros bourdon appelé le gros Guillaume, elle se rendit à la cathédrale de Saint-Maurice, dont on avait revêtu le portique des blasons festonnés de toute la maison de France et de la ville, et dont les voûtes disparaissaient sous de riches tapisseries. Elle y prit place à la droite du maître-autel, sous un poêle et sous un dais de velours violet à franges et à crépines d'or, avec les Soissons et tout leur état-major rangé à ses pieds, et les autorités de la ville siégeant en face d'elle. Puis aussitôt, dans le sanctuaire tout illuminé de cierges, la maîtrise du chapitre entonna le Te Deum. En même temps éclataient des volées d'artillerie répercutées jusqu'aux Ponts-de-Cé, comme pour y accompagner dans la vieille église de Saint-Aubin encore ensanglantée de l'hécatombe du combat de la veille, mais d'une hécatombe aujourd'hui s'érigeant, oserions-nous dire, en un holocauste de propitiation de paix, le même hymne d'actions de grâces[25].

Et maintenant, une fois la paix, sous l'invocation liturgique du dieu des armées, revêtue de sa consécration suprême, il ne restait plus qu'à en percevoir le fruit dans la réalisation de ses clauses. A peine s'éteignaient les feux de joie allumés dans la soirée du Te Deum, à peine éclosait la Poésie d'actions de grâces[26] à l'unisson de l'allégresse religieuse, que dans les deux camps opposés de cette guerre civile dont on fêtait le dénouement sous toutes les formes, s'accomplissait, avec l'élargissement réciproque des prisonniers opéré dès le 11 août, le désarmement général. A cet égard, celui qui ne voyait plus désormais en Marie de Médicis vis-à-vis de lui qu'un recommencement d'amour Maternel, fut le premier à s'exécuter avec la bonne grâce de la plus révérencieuse victoire. Dès le 15 août Louis XIII expédia à tous ceux de ses généraux dont il ne se réservait pas l'emploi dans l'imminente guerre de religion, un ordre de licenciement. Le seul duc de Nevers, vu le voisinage hostile et encore suspect du gouverneur de Metz La Valette, devait demeurer en Champagne sous les armes, bien que sur la stricte défensive, jusqu'à ce que le duc d'Épernon ait ratifié un traité trop urgent pour qu'on y ait attendu sa signature, mais que lui ferait vite accepter l'offre du chapeau de cardinal à l'archevêque de Toulouse. En attendant, Louis XIII, que la capitulation de la veille semblait n'avoir investi du château des Ponts-de-Cé que pour en mieux assurer la remise à sa légitime suzeraine, en ordonna au maréchal de Praslin, le 13 août, l'évacuation immédiate, en vue de la réinstallation désormais inoffensive et effectuée dès le même jour, d'une garnison maternelle.

Dès que ce fut manifestée par là vis-à-vis d'elle une confiance filiale qui, en retour, engageait la sienne propre, Marie de Médicis décréta avec Richelieu et Marillac, préposés à leur exécution, les licenciements réciproques. En conformité de cette mesure, accueillie à Angers dans la dilatation et les transports d'un soulagement universel, afflua le 13 août dans cette prairie de Saint-Serge, où nous l'avons déjà vue il y a six semaines étaler son insolente parade, toute l'armée insurrectionnelle. Ces hordes, que l'inaction de la paix menaçait d'ériger par l'extravasement de leurs frénésies contrariées en un fléau de plus, ainsi qu'on voit à chaque amputation se multiplier et se redresser les cents têtes d'une hydre, on ne leur pouvait trop tôt infliger à tout prix un désarmement radical. Ces hordes exécrées, que la paix vouait à une oisiveté si venimeuse, il n'y avait pas à marchander leur déguerpissement ; et une ville qui n'avait encore dù qu'à l'entremise du Père Joseph un peu de libre respiration eus leurs étreintes, ne les pouvait assez vite rejeter de son sein sous le nom de peste et d'opprobre. Seulement l'intégralité des licenciements demeurait encore subordonnée à deux événements d'ailleurs très prochains : le passage de l'armée royale sur la rive gauche de la Loire et la réunion de Marie de Médicis à Louis XIII. En attendant, la comparution de toute l'armée insurrectionnelle dans la prairie de Saint-Serge était motivée par la liquidation d'une dernière montre. Là, dès que les truands déconfits des Vendôme, des Boisdauphin et des Saint-Aignan s'y furent pressés autour d'un vaste comptoir dressé sur les bords de la Maine, des sergents de bande parcoururent les rangs, en versant dans tous les morions tendus sur leur passage, avec la solde du mois courant, un écu supplémentaire à titre de gratification d'adieu. Puis, sous le déchaînement des huées et des malédictions populaires, les soldats d'un premier régiment s'en allèrent tous défiler par le faubourg Saint-Michel, quatre à quatre et tête basse, pour y déposer leurs armes. Et dès le lendemain 14 août ils durent détaler, sous peine d'être roués vifs dans les vingt-quatre heures[27].

Et maintenant que plus rien d'irritant ou de suspect, ou d'odieux ou de sinistre ne s'érigeait plus entre les deux camps opposés de la maison royale, maintenant que tout y conviait au rapprochement et au fusionnement de tout ce qu'avaient disjoint les intransigeances et les répulsions de la guerre civile, Marie de Médicis n'avait plus qu'à correspondre aux avances filiales en répliquant à la clémence par la justice, aux amnisties et aux grâces par les réhabilitations. Tandis que, dès après la signature de la paix, les chefs rebelles accouraient à Louis XIII qui les accueillait d'une si bonne grâce que s'ils eussent combattu pour sa cause, tandis qu'en route se croisaient avec eux tous les prisonniers de la reine-mère élargis sans rançon, Marie de Médicis, en rappelant de son exil le 13 août le maire Lanier[28], consommait en sa personne la restauration de toutes les garanties protectrices, par elle-même si outrageusement méconnues, de son inviolabilité angevine. Elle affirmait par là combien Lanier eût mérité de s'associer à la gloire du Père Joseph dans le salut d'une ville qui avait été tour à tour pour elle l'asile suprême de sa disgrâce et le théâtre de sa soumission triomphale. Au moins Lanier y rentrait avec l'auréole de la persécution endurée pour cette cause royale où résidait seule sous l'égide municipale, ainsi que le proclamait aujourd'hui son rappel, la sécurité de sa souveraine. Et ces soudards défrisés qui avaient si impudemment extorqué à Marie de Médicis sa sentence d'ostracisme, n'avaient plus sur son passage qu'à rentrer sous terre, dès que cette ville qui les avait vomis de son sein recouvrait par là, pour les lui restituer en se rouvrant devant lui, ses clefs, ses portes et ses armes.

Mais quand, d'Angers aux Ponts-de-Cé, la libre circulation se rétablissait au chant des Te Deum ; quand, entre les deux camps de la guerre civile, tombaient les tranchées et les barricades ; quand, à l'envi, les chefs rebelles se dépassaient aux avenues du quartier de Louis XIII ; quand Lanier, à travers les ovations populaires de sa rentrée à Angers, venait recevoir de sa souveraine en personne, avec son apologie justificative, ses congratulations de bienvenue, qui désormais interdisait à cette mère et à ce fils, sous le nom desquels seuls s'était engagée cette guerre civile dont ils abolissaient jusqu'au souvenir ; qui désormais interdisait à Louis XIII et à Marie de Médicis, que ne séparaient plus ni le champ de bataille des Ponts-de-Cé, ni les ponts-levis de Blois et du Louvre, ni Luynes et Condé plus que les Soissons et les Vendôme ; qui désormais leur interdisait la suprême démarche où se scellerait leur concorde et qu'ils appelaient de tout l'affranchissement de leurs vœux : se rejoindre et se revoir ? Et, pour une aussi pressante entrevue, quel plus digne théâtre que celui que leur offrait, au cœur même de l'Anjou, une hospitalité toute royale ? A deux lieues des Ponts-de-Cé, sur la rive gauche de la Loire et en un magnifique donjon, s'incarnait dès lors, avec un légitime orgueil, l'illustration déjà consacrée des Brissac. Le représentant actuel de cette prestigieuse race venait, on l'a vu, de raviver l'éclat du nom héréditaire en maintenant habilement dans la cause royale son gouvernement de Bretagne, tandis que s'enregistrait au Parlement l'érection de sa terre de Brissac en duché-pairie. Or, dès la publication de la paix des Ponts-de-Cé, comment Charles H de Cossé-Brissac eût-il pu mieux couronner de tels services et inaugurer son nouveau relief domanial qu'en transfigurant, au gré du souverain qui ne demandait qu'à y retrouver et à y fêter sa mère, le château qu'immortalisera cette munificence en l'élysée des réconciliations de la veille ? Aussi est-ce du plus grand cœur que Louis XIII emprunta à son fidèle et à son heureux serviteur ce somptueux cadre de réception, afin d'y convier celle qui, de son côté, pour y accourir, n'attendait que ce signal. Et, dès son arrivée au château de Brissac, le 12 août, Louis XIII expédia Modène pour y donner rendez-vous à Marie de Médicis, en s'ingéniant même, dans son impatiente tendresse, à élaguer tout ce qui pouvait enchaîner loin de lui les effluves maternelles. C'est qu'autour de Louis XIII on se demandait si, à l'annonce d'une entrevue où il recouvrerait sa mère, l'intransigeante cabale, à si grand'peine ralliée à la paix générale, n'obséderait pas Marie de Médicis d'un réveil de méfiances en lui dépeignant, sous le prétendu mensonge officiel des protocoles de la veille, le rendez-vous de Brissac comme un piège où on lui forgerait des chaînes d'or en les immolant, eux, sur l'autel de la concorde. Et c'est pour conjurer de tels soupçons que, dans son invitation même, Louis XIII voulut épuiser vis-à-vis de sa mère les provocations de confiance, en lui offrant d'acheminer sur Angers et d'y consigner en otages, durant son voyage et son séjour à Brissac, tout ce qu'à la fois il y détenait, à son égard, de plus redoutable et de plus cher, en la personne de Condé et du jeune duc d'Anjou. Certes on ne pouvait, ce semble, plus adroitement consommer la vraie libération de cette mère si obstinément emprisonnée dans ses rancunes et ses cabales ; on ne pouvait plus victorieusement l'arracher aux derniers tentacules se redressant sur son chemin que par une démarche qui à la fois si péremptoirement nantissait ses méfiances et sa tendresse. Mais, quoi ! livrer un Gaston à la future Marie de Médicis de la journée des dupes ! C'est que, dans l'adolescent gracieux qu'elle couvait de ses prédilections instinctives, qui pouvait entrevoir les tragiques séductions du complice de Chalais et de Montmorency, de Cinq-Mars et du duc de Lorraine ? Qui les pouvait entrevoir, quand on croyait à peine risquer davantage en la remise concomitante d'Henri II de Bourbon ? Henri II de Bourbon ! Qui assurait qu'au Logis-Barrault, sous la main de cette reine relevée par lui-même de sa ruine avec une si soudaine courtoisie, on n'allait pas voir s'intervertir grièvement les orientations pratiquées par Luynes sous le donjon de Vincennes ? Et, même au lendemain de la paix des Ponts-de-Cé, pour une récidive insurrectionnelle en l'atmosphère des Chanteloube et des Vendôme, quelle amorce dangereuse s'introduisait en la personne d'un prince qui portait dans son sang, avec la fougue si malléable et si aventureuse de sa race, les orages d'une guerre sainte et d'une fronde !

Mais plus l'offre de Louis XIII nous semble imprudente, plus l'invitation qu'elle recommandait auprès de Marie de Médicis la captait et l'engageait sans retour, parce que, en une telle extrémité des condescendances filiales, tout ce qui pouvait survivre ou tout ce qu'on pouvait réveiller en elle des anciennes défiances recevait le coup de grâce. Se livrant donc tout entière à un appel sans réplique, et dans sa réciprocité de délicatesse ne retenant des avances transmises par Modène que la sincérité qu'elles portaient en elles, elle le renvoya avec cette déclaration qu'aucun soupçon ne troublait sa joie d'aller dès le lendemain retrouver son fils à Brissac, qu'elle ne demandait d'autre garantie que la parole du roi pour la sécurité d'un voyage qui la fixerait pour jamais auprès de sa personne, et que là elle ne chercherait qu'à lui complaire et à prier Dieu pour la prospérité de son règne. Et, en effet, dans sa nouvelle identification de tendresse avec celui qui ne l'avait que si filialement vaincue, elle ne s'était point lassée d'entretenir Modène sur ce chapitre de la cause royale où l'orgueil maternel lui interdisait toute rancune. Mais il tardait à Marie de Médicis d'en entretenir de vive voix ce fils qui ne croyait jamais sacrifier assez de gages de sûreté pour la revoir. Aussi, dès que, au reçu de son message d'adhésion, Louis XIII lui eut expédié, pour un plus digne acheminement vers lui, son propre carrosse avec la promesse de s'avancer au-devant d'elle, Marie de Médicis, enlevée d'ailleurs par l'élan de Richelieu, que pressait le désir d'aller avec elle sceller et voir couronner son œuvre, s'y précipita pour l'y suivre[29].

 

 

 



[1] C'est sans doute aux fraîches confidences qui émanèrent là de Bellegarde que nous devons les seules explications plausibles de son désastreux attardement du matin au Logis-Barrault, telles que nous les avons adoptées d'après le récit de son interlocuteur Bassompierre. Et ne nous étonnons pas de l'absolu silence observé là-dessus par Richelieu, si soigneux de nous dérober tous les échecs infligés à ses entremises aussi bien qu'à ses expectatives personnelles.

[2] Parmi les autres informations officielles émanées de Louis XIII à l'adresse des gouverneurs de provinces, signalons le mémoire qu'il adressa le 8 août à Duplessis-Mornay, et où abondent des particularités qui nous l'ont fait adopter comme l'une des sources du combat des Ponts-de-Cé.

[3] Investi officiellement le 19.

[4] S'il faut en croire même Marillac, Louis XIII aurait songé à honorer particulièrement sa résistance par l'érection d'un mausolée.

[5] Une aussi délicate attention de Louis XIII envers l'illustre blessé lui aurait été fatale, à ne s'attacher qu'à cette boutade de Bassompierre : Après la signature de la paix des Ponts-de-Cé, le 10 août. Louis XIII vint visiter au faubourg M. de Nérestan qui, pour le grand coup qu'il avoit, n'étoit pas en trop mauvais état. Se fût garanti, si l'on l'eût laissé entre les mains du chirurgien Lyon  mais les autres bourreaux de chirurgiens importunèrent tant le Roi comme il étoit à Brissac, que le septiesme jour d'après sa blessure, étant en bon état, on lui ôta des mains pour le mettre entre celles des chirurgiens du Roi où il ne vécut que deux jours.

[6] Nérestan décéda le 30 août, en un lieu appartenant à l'infirmier de Saint-Aubin. Conformément à ses dernières volontés, son corps, préalablement embaumé, fut transporté en son pays natal de Champagne, en un couvent de Carmes de sa fondation, et son cœur déposé dans la chapelle du couvent des Récollets, adossé si pittoresquement ah rocher de la Baumette, à une lieue d'Angers, sur la rive gauche et au bord de la Maine. On y lisait jadis, devant le grand autel, sur une lance de cuivre, cette glorieuse épitaphe :

Icy gist le noble et invincible cœur de Philibert de Nérestan, chevallier de l'ordre du roy, conseiller en son Conseil d'Estat et privé, capitaine de cent hommes d'armes en ses ordonnances, et grand-maistre des ordres de Notre-Dame du Mont-Carmel et de Sainct-Lazare de Jherusalem, de Bethléem, de Nazareth de deçà et de delà la mer, et mareschal de camp aux armées de Sa Majesté qui, en continuant ses généreux exploitz pour le service du roy, fort blessé d'un coup de mousquet aux Ponts-de-Cé, le 7e aoust et mourut le 30 dudit mois 1620, Requiescat in pace.

Lequel, ayant mille témoignages de sa générosité rendus pour le service de nos roys et pour le bien commun de toute la France, fist veoir courageusement aulx yeux du roy et de toute la Cour que le plus grand de ses désirs estoit d'employer sa vye à son service. Sa mort fust le sceau de cette fidélité, lorsqu'en la journée des Ponts-de-Cé sa valleur ayant entonné les plus valleureux par les admirables effects de son courage qui le portoit toujours aux endroicts plus hazardeux. Enfin, après mille honorables blessures dont le sang lui a autrefois arrosé aultant de lauriers, il reçut la dernière d'une mousquetade pour comble de ses triomples aulx yeux et aulx regrets de son roy et de la Cour, à la perte de la France et aux larmes de son filz qui combattoit vaillamment auprès de son père, le reçut entre ses bran lorsqu'il fut esbranlé du coup, hélas ! regrettable à toute la France, parce qu'aulx efforts de ses armes, dans la carrière d'ung soleil, ceux qui s'opposèrent à luy se virent defaicts, Leurs Majestez heureusement réunies et la province tremblante toute assurée. Là, l'invincible Nérestan trouva son lict d'honneur, et le champ de sa mort sera pour jamais le champ de sa gloire. — V. spécialement sur ce qui se rattache aux souvenirs laissés par Nérestan à la Baumette : Louvet (loc. inf. cit.) ; Bruneau de Tartifume, Philandinopolis, 3e partie, f° 78. — C. Port, art. Baumette, et M. Aimé de Soland, Revue Angevine, 1er décembre 1895, pp. 61-68.

[7] Bassompierre, pp. 141-142. — Fontenay-Mareuil, pp. 151, 153, 156. — Arnauld d'Andilly, pp. 21-22. — Merc. fr., pp. 336 v. 337 r. — Vitt-Siri, t. XXXV, pp. 189-193, 195-196. — Journal d'Herouard, p. 218. — La Nunz. di Fr., 8, 10, 11 août (allegata). — Lettres et mém. de messire Ph. de Mornay : lettres du roi des 8 et 11 août ; lettres de Duplessis-Mornay à Sceaux des 7, 8, 9, 14 août. — Disp. degl. amb. ven., 22 juillet, 4 et 22 août. — Marillac, pp. 54, 71, 74, 75. — Bibl. nat., fr. 3796, f° 82 ; 3802, f° 61-62 ; 3814, f° 58, 66-67 ; 3817, f° 59 ; Colbert, t. V. 98, pp. 57-58, 125-126 ; Coll. Dupuy, 92, p. 179 v. — Arch. des aff. étr., 772, p. 217 ; 773, f° 169, 187-189. — Matt. de Mourgues, Lumières, etc., pp 84, 345. — Mairie d'Angers, Arch. anciennes, EE, 2e série. — Louvet (Revue de l'Anjou), t. II, pp. 48-49, 54-55. — Rer. and. Pand., f° 95 v. — Rangeard, p. 374. — La prise du Pont de Sé, etc., pp. 11, 13, 14. — Lb36 1447, p. 7. — Lb36 1448, pp. 5-6. — Lb36 1449 : L'offre de la paix à la Reyne-mère du Roy de la part de Sa Majesté après la prise du Pont de Sé. Ensemble ce qui s'est faict et passé entre les députez de part et d'autre (Paris, chez M. Alexandre, rue de la Calandre, MDCXX), pp. 8, 10, 11. — Lb36 1453 : Lettre du Roy envoyée à M. de Hallincourt portant advis de la paix (Lyon, 1620). — Lb36 1454, passim. — Lb36 1455, 12, 13, 14. — Lb36 1458, p. 1. — L'heureux succès des armes du Roy (1620), p. 1. Ludovici XIII Itinerarium, pp. 22-23. — Roncoveri, pp. 316, 326, 328. — Gramond, pp. 292, 301, 328. — Malingre, pp. 663-666. — Dupleix, pp. 133, 139, 141. — Le P. Griffet, p. 266. — Levassor, pp 587, 591, 593 et passim. — Mme d'Arconville, pp. 68, 73, 75. — V. Cousin, Journal des Savants, septembre 1861, p. 540 ; mai 1862, passim. — Bazin, p. 366. — H. Martin, p. 161. — Dareste, p. 68. — Le prince de Balzac, seconde lettre du même au cardinal de Richelieu.

[8] Parmi ceux qui assistèrent le P. Joseph dans sa démarche, citons encore la duchesse de Nemours, avec Du Bellay et Montsoreau.

[9] Combien il serait à souhaiter que, en souvenir d'un aussi inoubliable épisode de notre histoire angevine, le nom du Père Joseph s'attachât à l'une des rues de la cité qui lui doit son salut !

[10] Marillac : Elle estoit dans sa chambre parmi... le reste de sa cour, travaillant de parole et de contenance à chasser l'epouvante qu'ils avaient apportée, retablir dans les courages quelque prétention de revange, sa hautle vertu tarchoit de se communiquer à toute la compagnie.

[11] Marillac : [Marie de Médicis] avecq Madame la comtesse et Monseigneur de Lusson, en qui l'effroy n'avoit point trouvé de place, et Marillac se retira en un cabinet pour resoudre ce qu'il tenoit à faire ; il luy estoit bien forcé de reduire son conseil a sy peu de gens, car de ceux qui avoient accoustumé d'en estre ou les uns avoient le dessein de la vendre ou de l'abbandonner, ou les autres encore la peur dans le ventre.

[12] Sur l'emplacement de ce qu'on appelle aujourd'hui le boulevard ou rue des Lices.

[13] Cette touchante particularité nous est du moins attestée, à défaut de titres authentiques, par la plus respectable tradition.

[14] A cet égard, le greffier Louvet signale, peut-être à tort, quelques capitaines de la ville, le président du présidial, l'avocat du roi Ménage et plusieurs autres particularités innomées.

[15] Marillac : Il fut mis sur le tapis d'attacquer ceste mesme nuit les faubourgs et la ville des Ponts-de-Cé... Il restoit des trouppes fraîches... quatre mille hommes de pied, la ville garnye de huit cens chevaux. Il ny avoit entre Angers et le Pont de Cé aucunes trouppes ennemyes, on pouvoit jetter sans allarme, par la bouche du Mayne, tel nombre de gens que l'on eût voulu dans le chasteau assiégé.

[16] Son régiment [celui de Marie de Médicis], celuy du commandeur de la Porte, celuy du Plessy de Juigny, laissez dans Angers, feroient la deffense de la place sous la charge dudit commandeur... Sa Majesté, dès le lendemain au point du jour, accompagnée des Princes et des Princesses qu'elle ne voullut pas abbandonner, s'en iroit soubz le secret et sa cavalerie passer la rivière à Ancenis. Que le duc de Roannois seroit adverty de la venir prendre à Maulevrier aveq cinq cens chevaux qu'il avoit en campagne de ce costé là, et Mons. de Rohan de luy venir au devant par cette routte, que l'advis seroit donné du passage. Rendez-vous pour le point du jour au tertre de Saint-Nicolas... A certaines conditions... la paix se pou-voit accepter, et autres non, mais le choix s'en delvoit faire au delà de la Loire... Il falloit remettre de la traitter dans le hault Poitou et au milieu d'une puissante armée... ce seroit la donner en la recevant, comme à Angers, vu l'estat ou estoient les affaires, ce seroit la recevoir honteusement. Bref, le meilleur conseil estoit de passer sans délai la rivière, là luy faire response [à Luynes].

[17] Marillac : Mons. de Vendomes, que les travaux de la journée passée pouvaient avoir endormy, ne se laissa voir qu'à sept heures ; il prevoyoit beaucoup de difficultez à ce dessein [le passage d'Ancenis], de grandes incommoditez pour une personne royale, il presageoit par le retour de Mons. le Grand... quelque matière à un expedient plus doux et plus seur, il en conseilloit habilement l'attente, il en appeloit Mons. de Lusson a son ayde ou a garand du succez.

Faut-il ajouter, aux contradictions élevées par Vendôme contre l'ouverture de Richelieu, celles émanées de la comtesse de Soissons ? Du moins, au dire de Richelieu, c Madame la comtesse appréhendait, à ce qu'elle témoigna, que M. du Maine, qui se flattait de l'espérance de l'épouser, l'y contraignît entre ses mains. s Mais cette réflexion, due surtout à un homme intéressé à voir se multiplier contre son impulsion de commande les plus opportunes résistances, nous semble peu sérieuse. Tout roman à part, plus que jamais, depuis sa scission d'avec les Vendôme, Anne de Montafié dut aspirer se rapprocher du duc de Mayenne.

Pour retenir Marie de Médicis sur la pente de sa propre impulsion et en conjurer toutes les suites afin de ne s'en réserver que le mérite ostensible, Richelieu, suivant Matthieu de Mourgues, serait allé jusqu'à avertir secrètement Lunes du passage d'Ancenis ; et de là, suivant lui, l'envoi dans cette direction de la cavalerie royale. Mais l'unique source de cette allégation qui d'ailleurs, dans la suite des historiens de seconde main, n'a pas passé au-delà des Levassor et de Mme d'Arconville, nous semble par trop infectée de calomnie.

[18] Marillac : Comme la Reyne montait en carrosse, Mons. le Grand arriva. — Richelieu, pp. 89-94. — Marillac, pp. 69-72, 74-75. — Fontenay-Mareuil, pp. 152.-153. — Arnauld d'Andilly, f° 21. — Matth. de Mourgues, Lumières, etc., p. 34. — Jean Louvet, pp. 31-32, 36-37, 39, 42-46 ; 35, 63, 55-58, 63. — Mairie d'Angers.

[19] Telle est du moins, dans l'histoire de Richelieu, sur ce chapitre énigmatique du chapeau de cardinal, la donnée que nous avons cru devoir adopter comme la plus vraisemblable entre les assertions confuses, lorsqu'elles ne sont pas malveillantes, de tous les historiens de seconde main, et le silence absolu qu'observent là-dessus à l'envi et le traité des Ponts-de-Cé, dont on ne sait pas même si ce fui là, comme on l'a dit, un des articles secrets, et les mémoires de Richelieu aussi bien que ceux de ses contemporains, et la correspondance de Richelieu et de Luynes.

En ce qui est notamment du silence de Richelieu, en voici l'explication jusqu'ici la plus plausible : Ayant vu, nous dit Victor Cousin, les accusations de toutes parts provoquées par les brillants avantages qu'il tirait du traité du 10 aoûtle cardinalat et l'alliance matrimoniale dont nous parlerons tout à l'heure, entre Richelieu et Luynes, Richelieu crut y répondre merveilleusement ou plutôt le mettre à néant dans les mémoires composés bien après les événements, en taisant absolument et la promesse du chapeau de cardinal qui lui fut faite alors, et en affirmant que loin d'avoir cherché l'alliance de Luynes, il s'efforça de l'éviter en prévoyance des soupçons qu'elle ne pouvait manquer d'inspirer. En sorte que ces incroyables réticences ne sont au fond qu'une apologie déguisée sous l'air superbe habituel à Richelieu.

On conçoit l'embarras de Richelieu à s'ouvrir sur une transaction qui fournit à ses ennemis leur principal thème de calomnies. Mais, dans ces réticences, n'y a-t-il pas aussi la honte et le dépit d'y avoir cru figurer comme la dupe de Luynes ? Et, en effet, si Richelieu finit par atteindre la pourpre, ce ne fut pas du vivant de Luynes ; d'où l'on a pu soupçonner que, plus s'imposait à Luynes l'exécution des promesses envers l'homme qui ne lui avait été si nécessaire à Angers que pour lui devenir redoutable au Louvre, et plus il se dérobait à lui dans ses ajournements échappatoires. Et c'est ce que semble expliquer dès le lendemain de la bataille des Ponts-de-Cé sa précaution de ne laisser nulle part des traces de cette promesse purement verbale qui, aux mains de Richelieu, se serait érigée contre lui en une trop pressante mise en demeure. Mais si, par là, un titre a failli aux poursuites ambitieuses de Richelieu au point de s'être cru le jouet d'tine mystification, au moins les armes n'ont pas failli à sa vengeance. Il ne s'est pas borné dans ses Mémoires à opposer aux réserves de la défiance les réticences de l'orgueil déçu et ne s'est nullement astreint, en nous dérobant la source de son fiel, à en comprimer les extravasements. Et de là, sur tout le chapitre de la guerre entre Louis XIII et Marie de Médicis, son acharnement à empoisonner toutes les démarches de Luynes envers la reine-mère, envers celle qu'il s'évertuait à ne sauver qu'en la rapprochant de lui. C'est au point qu'il n'est que trop heureux que là-dessus sa correspondance de Richelieu avec Luynes démente ses Mémoires. Ajoutons que c'est de la même dérivation de fiel qu'émane l'amer dédain de l'allusion fugitive de Richelieu à son alliance matrimoniale avec Luynes.

En ce qui est de l'entente de Condé avec Luynes sur l'offre du cardinalat à Richelieu, elle nous semble résulter de l'empressement avec lequel Condé informa le nonce, dès le 19 août, du départ de la présentation pour Rome.

D'autre part, le prompt départ pour Rome de la présentation de Richelieu n'atteste nullement l'empressement et l'impatience de Luynes à satisfaire Richelieu. L'on sait comme, là comme ailleurs, sous la couverture des présentations officielles, se dissimulaient des contreparties d'agissements occultes qui en tenaient en échec l'issue normale ; et là gisait, au regard et d'après les soupçons de Richelieu, le mauvais vouloir des atermoiements de Luynes.

[20] Presque tous les historiens donnent cette date du 9 août, c'est-à-dire du surlendemain seulement de la bataille des Ponts-de-Cé. Nous avions d'abord préféré l'attestation locale du greffier Louvet, renforcée de cette considération que Marie de Médicis, informée dès le lendemain matin (samedi 8), de la prise du château des Ponts-de-Cé et des favorables dispositions de Louis XIII en vue d'une paix honorable, n'a pas dû s'exposer à les laisser refroidir en remettant au lendemain (dimanche 9) une démarche d'une aussi prompte réalisation que l'envoi aux Ponts-de-Cé de Richelieu et de Sourdis. Mais il fallait bien à Marie de Médicis un délai de vingt-quatre heures, qu'elle envoya sans doute faire agréer à Louis XIII, pour réunir et pénétrer de ses intentions le personnel intégral de sa délégation diplomatique. Et, quant au greffier Louvet, avec la spécialité de ses informations officielles il enregistre avec moins de précision les éphémérides du Logis-Barrault que celles de la municipalité et du présidial.

[21] L'on y fait aussi parfois figurer le P. Joseph. Sans garantir là la certitude de son assistance, nous la considérons au moins comme très-vraisemblable.

[22] Sauf Bassompierre qui, malgré ses courtoisies de vainqueur et son insistance chevaleresque à sauver la vie de Saint-Aignan, trouva le traité des Ponts-de-Cé trop indulgent envers les principaux chefs rebelles, et là-dessus manifesta hautement en face de Luynes sa vive désapprobation. Et cette liberté de langage eût été, paraît-il, un des griefs invoqués, peu après, par le susceptible et ombrageux Luynes, pour élaguer le hardi courtisan qui lui disputait la faveur royale. De là l'ambassade de Bassompierre en Espagne et sa négociation du traité de Madrid relatif à la liberté des passages de la Valteline.

[23] L'on n'excepta de l'amnistie des serviteurs de Marie de Médicis que son pamphlétaire Mathieu de Mourgues. Et encore cette exception ne fut-elle pas formellement stipulée dans le traité des Ponts-de-Cé. Luynes se contenta de l'assurance de son éloignement temporaire d'auprès de la reine-mère.

[24] Mercure français : 1° La Déclaration d'innocence sera donnée pour la Reyne Mère du Roy, et descharge en sa faveur pour ceux qui l'ont assistée ; 2° Le traité d'Angoulesme sera exécuté de part et d'autre en toutes ses parties et conditions ; 3' Les charges et gouvernemens seront rendus exceptés ceux auxquels le Roy a pourveu dont leur a donné mémoire ; 4° Le Roy n'empeschant pourtant à la Reyne sa mère duser pour ce subject de la supplication en la faveur de ceux qui sont contenu au mémoire qui a esté donné ; 5° Seront aussy payez les Estats et gages.qui appartiennent aux gouverneurs et autres restablis en vertu des présents articles, de mesme façon que ceux qui ont suivy le Roy ; 6° Seront données descharges de tous les deniers royaux qui ont esté pris et enlevez ; 7° Sera permis à toutes sortes de personnes et de quelque qualité et conditions qu'ils soient, qui ont suivy le party de la Reyne Mère du Roy, d'exercer librement la fonction de leurs charges, aller et venir à la cour, ou séjourner en leurs maisons et gouvernements, avec entière et pareille liberté que ceux qui ont suivy et servy le party du Roy ; 80 Tous prisonniers seront delivrez sans rançon de part et dautre ; 9° Sera rendue la maison de Pont de Sé entre les mains de qui la Reyne voudra ; 10° Sera rendu Dreux à M. le Comte, Vendosme à M. de Vendosme, qui fera osier les fortifications faictes depuis son absence de la cour, ensemble la ville de Verneuil, Sablé à M. le Mareschal de Boisdauphin, et la Ferté-Bernard à M. de Mayenne ; 11° Seront restablis toutes sortes d'officiers en toutes leurs charges et fonctions de part et dautres en vertu de la Declaration de la reyne-mère s'ils n'en demandent de particulières ou des lettres de cachet sur la générale ; 12° Les compagnies de chevaux-légers de M. le Comte et autres princes qui ont suivi la Reyne Mère, leur seront rendues, comme avant les mouvements, et à l'advenir entretenues comme celles des autres qui ont servy le Roy depuis le premier juillet. Toutes poursuites et condamnations seront cessées à l'égard de ceux qui ne se seront point deffendus ; 13° Seront donnez à la Reyne Mère du Roy trois cens mille livres dans le commencement de l'année prochaine pour ayder à acquitter ses dettes ; 14° Moyennant lesquels articles, de la part de la Reyne Mère et desdits Princes, qui l'ont assistée, seront remises les places et autres officiers des villes, gentilshommes et autres, en pareil estat qu'ils estoient auparavant le premier jour de janvier passé ; 15° Seront aussi payez les entretenements et pensions de ceux qui ont suivy la Reyne mère du Roy d'oresnavant, et de la mesme façon que celles qui ont suivy le Roy.

Journal de Jean Louvet : Memoire des places et charges auxquelles le roy a pourveu durant ces presents mouvements, et n'y seront restabliz ceulx qui les avoient auparavant. — Le gouvernement de Caen ; le chasteau de Verneil demeurera rayé ; maistre de camp de la cavalerie légère ; tous les capitaines qui sont allez à Metz ou ailleurs, auxquels le roy a pourveu ; le gouvernement de Chasteaugontier à M. de Vesse ; le régiment de Suze ; le vieux pallais de Rouen. Faict aux Ponts-de-Cé, le onziesme aoust 1620. Signé Louis, et plus bas : Pottier.

[25] Le Te Deum fut chanté aux Ponts-de-Cé le 13 août, et les actions de grâces au temple protestant de Saumur le 14.

[26] Actions de grâces de la France à Dieu, de la bénédiction de la paix, par le sr de Nerveze (Paris, chez Toussaint de Bray, rue Saint-Jacques, aux Epées Maures, et en la boutique du Pallais, en la Gallerie des Prisonniers, 1620, avec permission).

[27] Pendant ce temps, le 12 août, à Craon, le gouverneur de Marie de Médicis, La Roche-Allard, en licenciait la garnison pour y faire place à une garnison royale qui y entra le 22.

[28] Dès ce même jour, Marie de Médicis avisait de ce rappel la municipalité angevine. Voici la teneur de ces deux lettres telle que nous les fournissent à Angers nos archives municipales.

Et d'abord la lettre à Lasnier :

Monsieur Lasnier, je vous faict ce mot pour vous dire que je seray tres-aise qu'incontinent que vous l'aurez reçu, vous vous acheminiez en cette ville pour y venir reprendre le rang auquel les charges que vous y avez vous obligent, votre présence y est nécessaire. C'est pourquoy je désire que vous y soyez au plus tost. Ceste lettre n'estant pour d'autre fin, je ne la feray plus longue que pour prier Dieu, Mr Lasnier vous tenir en sa sainte garde. A Angers, le XIIIe jour d'aoust 1620.

Suit la lettre aux échevins et habitants d'Angers pour la réception de leur maire :

Chers et bien amez, le sieur Lasnier, lieutenant général et maire de vostre ville, estant ces jours passez absent pour certaines occurences, nous avons bien voulu vous tesmoigner par ces lignes que comme nous avons subject de bien juger de ses actions passées, aussy nous avons très agréable son retour. Et desirant selon le plaisir du roy, nostre tres honoré sieur filz, qu'il reprenne la fonction ordinaire de ses charges, nous assurant que vous serez tres bien aises de luy recepvoir. Nous ne ferons nostre lettre plus longue sinon pour prier Dieu chers et bien aimez, qu'il vous tienne en sa slle garde. Escrit à Brissac, et XIVe jour d'aoust 1620.

[29] Richelieu, pp. 94-95 et Lettres Coll. Avenel, pp. 652 et 654, v. et n. — Bassompierre, pp. 142-143, 147. — Fontenay-Mareuil, pp. 150-153. — Brienne, p. 343. — Montglat, pp. 27-31. — Armand d'Andilly, pp. 21-22. — Merc. fr., pp. 337-339. — Vitt. Siri, pp. 127-128, 161, 165, 196-198, 202-203, 212. — La Nunz. di Fr., 29 juillet, 8, 10, 11, 16, 19, 20 août ; 23 septembre, 21 octobre, 3 et 18 novembre. — Lettres et mém. de messire Philippe de Mornay, 12, 14, 21 août ; lettres du roi, 11 août. — Dispacc. dégl. amb. ven., II, 22 août. — Marillac, p. 75. — F. fr., 3802, f° 61-62 ; 3812 f° 53 et passim. — F. Colbert, t. V, 98, f° 73, 75, 77, 82, 256. — F. fr., divers, 25022. Mairie d'Angers, arch. anc., EE. — Jean Louvet. pp. 54, 56, 58, 61. — Rer. and. Pand., f° 95. — Rangeard, 376-378. — Barthemy Roger, pp. 487-488. — Bodin, p. 251. — Matt. de Mourgues, Lumières, etc., pp. 33-35. — Lb36 1449, pp. 30, 36. — Lb36 14453. Lb36 1454, pp. 30, 36. — Lb36 1455, p. 21. — Cérémonie royalle en la ville d'Angers unziesme d'aoust 1620. Aux actions de grâces de l'heureuse amyable reconciliation du Roy avec la Reyne sa mère, pp. 7-14. — Lb36 1457 : L'entrevue du Roy et de la Reyne sa mère au château de Brissac, contenant les choses les plus mémorables passées au pourparler de leurs Majestez, Paris, chez Joseph Bouillerat, vieille rue Draperie, 1620, avec permission, pp. 5, 10. — Lb36 1459. — Ludovici itinerarium, pp. 24-25. — Roncoveri, pp. 324, 328-330. — Gramond, pp. 301, 303 et passim. — Malingre, pp. 665-668. — Dupleix, pp. 131, 138-140 et passim. — Le P. Griffet, pp. 268-270. — Levassor, pp. 579-580, 585-586, 593-595, 597, 633. — Mme d'Arconville, pp. 6567, 75-77, 82. — V. Cousin, octobre 1861, p. 631 : mai 1862, pp. 306, 309-313 ; juin 1862, pp. 334-336, 342, 344, 346. — Aubery, pp. 18-19. — Leclerc, pp. 77-78, 89-91. — Notice sur Richelieu (Coll. Pet.), pp. 34-37, 39. — Le P. Hervé, pp. 20-22. — Gouget, pp. 151-159. — Batterel, n° 84 et passim. — Lepré-Balain, p. 47. — Hist. de la vie du duc d'Epernon, p. Girard, passim. — La duchesse d'Aiguillon, p. Bonneau-Avenant. pp. 79-80. — Chron. craonnaises, p. Bodard de la Jacopière, p. 356. — Bazin, pp. 368-369. — H. Martin, p. 163. — Dareste, p. 368.