Mais pour Richelieu ce n'était pas tout d'avoir rendu d'avance en Anjou, par l'introduction et la mise en œuvre de l'ambassade du nonce, le désastre des Ponts-de-Cé diplomatiquement remédiable. Tout en réconciliant Marie de Médicis avec Louis XIII, Richelieu ne renonçait pas à partager avec elle le péril de sa défense. Et sous le bénéfice d'une aussi courageuse attitude, ce désastre des Ponts-de-Cé même, il n'eût pas tenu à lui de le conjurer dès le principe de son impatronisation angevine, grâce à ce qu'il y avait attaché de garanties protectrices par les investitures militaires de son état-major de famille. On y voit en première ligne figurer son oncle Amador de la Porte, institué par lui, comme nous avons vu dès le trépas tragique du marquis de Richelieu, gouverneur du château d'Angers. En [...][1], dès après l'évacuation de La Flèche, Amador [...] assuré que tôt ou tard Louis XIII, une fois [...] dernier poste, en poursuivant de là sa marche [...] ou comme but immédiat de sa campagne [...] complément de la victoire qu'il allait chercher aux Ponts-de-Cé l'occupation du chef-lieu de l'apanage qu'il y avait organisé avec Richelieu[2] les fortifications urbaines, mais surtout la défense de la citadelle [...] sa garde, et dont les hautes tours massives dominant par-dessus le port Ligny et le quai Loricard[3] le long de la Maine entre les deux barrages des Haute et Basse-Chaine[4]. D'abord, le 24 juillet, il dégagea ces tours de l'encombrement d'édicules parasites[5]. Puis, en vertu de l'ordonnance du 2 août, prescrivant en général les travaux de défense urbaine sous peine de cent livres d'amende [...] aux pauvres de l'hôpital, il réquisitionna les [...] de la banlieue avec leurs pics et pelles en vue d'y [...] dans un intervalle des tours, sur l'escarpement [...] servant d'assiette au château, une plate-forme[6] pour le service de son artillerie. Car l'arsenal du château Angers, même après les détournements qu'y avait jadis [...] le gouverneur sortant, Fouquet de la Varenne, n'était pas demeuré vide. Nous avons vu d'abord qu'une partie de l'armement chargé sur ses fourgons délictueux avait été arrêtée par la municipalité angevine sur le chemin de La Flèche. Et même ce qui avait échappé à cette revendication tumultuaire, les Angevins ne l'avaient pas perdu sans retour. Il est vrai que, dans la répartition du contingent non intercepté du larcin de la Varenne entre les diverses citadelles du Maine, tout ce qui était allé garnir l'arsenal de Sainte-Suzanne s'y devait immobiliser jusqu'au dénouement de la guerre civile dans la résistance royaliste. Mais la portion de ce contingent dévolue à La Flèche, lors de l'évacuation précipitée de ce boulevard du bassin du Loir par Fouquet de la Varenne devant l'entrée en campagne d'abord si heureuse de Marie de Médicis, était par là retombé aux mains de son légitime possesseur. Et avec le refoulement consécutif sur Angers de la reine-mère, en sa retraite intégralement escortée de tout son matériel d'occupation provisoire du poste si vite reconquis par l'armée royale, au moins s'était partiellement regarni l'arsenal de son dernier refuge. D'ailleurs le château d'Angers n'avait recouvré avec les épaves de son artillerie un peu de ses sûretés primitives, que pour les communiquer à la ville gisant sous son ombre protectrice. De là les batteries qu'on lui dut emprunter pour garnir une plate-forme dressée le 3 août, en amont du quai Ligny et toujours sur les bords de la Maine, au port Ayrault, entre le canal de la Saulaye[7] et l'abbaye de Saint-Serge ; une plate-forme solidement gazonnée et d'où ces batteries commandaient l'intervalle entre la route de Paris, par où pouvait déboucher sur Angers l'armée royale, et l'extrémité de l'île Saint-Aubin, au confluent des trois rivières. tour à tour occupées par elle, du Loir, de la Sarthe et de la Mayenne. Autour du château d'Angers et de la plate-forme du Port- Ayrault se déroulait l'enceinte de la ville, malheureusement entamée et perforée dans son pourtour et extérieurement obstruée dans une zone marginale de quatorze pieds par l'envahissement des constructions suburbaines. C'étaient là autant de contraventions aux règlements militaires, tombés depuis la ligue en désuétude, d'une cité que les péripéties de la guerre civile actuelle remettaient sur le pied d'une place forte. Il en fallait donc ramener les murailles au régime de ce qu'aujourd'hui nous appelons l'état de siège. Aussi, en vertu d'une ordonnance du 31 juillet, on opéra aux frais des délinquants le recrépissage de leurs crevasses, le redressement de leurs crêtes et, faute par les usurpateurs de leur lisière prohibée de s'exécuter d'eux-mêmes dans le délai de huitaine, son radical déblaiement. Mais, dans les directions les plus probables de la venue de l'armée royale, il fallut pousser plus loin les précautions de la défensive. Aussi, à l'entrée des faubourgs Saint-Michel et de Pierre-Lize donnant sur la route de La Flèche, à l'entrée des faubourgs de Hannelou et de Bressigny, et dans ces deux dernières directions jusque par delà le poste avancé de la Madeleine dans la direction de la Loire, on dressa des barricades, on creusa des tranchées, on brûla les maisons, on abattit les murs des vergers et des clos de vignes, on arracha les arbres fruitiers. Mais pour Marie de Médicis la garantie de l'inviolabilité du chef-lieu de son apanage, ce fut longtemps, outre son prestige de reine-mère et grâce à sa popularité de gouvernante, l'amour de ces populations angevines vouées à sa défense tant qu'elle demeurerait au milieu d'elles. Car si, depuis l'ouverture de la guerre civile, nous avons vu les Angevins parfois ébranlés dans leur adhérence à Marie de Médicis, ce n'est que chaque fois que des velléités d'émigration méridionale réveillaient chez eux la crainte de la perdre. Aussi, chaque fois que Marie de Médicis parlait d'échanger pour son refuge les rives de la Maine contre celles de la Charente ou de la Garonne, Richelieu, pour l'en dissuader, lui dut dépeindre son immuabilité comme entretenant chez ses concitoyens d'adoption le mobile de la résistance. C'est que, pour ces Angevins fiers de l'acclimatation de leur souveraine, et prospérant, jusqu'aux imminentes intrusions, sous son règne libéral, leur ennemi ce n'était pas en lui-même le jeune prince à qui elle avait transmis le sang d'Henri IV ; leur ennemi ce n'étaient pas Condé et Luynes en tant qu'ils s'appelaient Condé et Luynes ; leur ennemi c'était quiconque, rien qu'en envahissant l'apanage de Marie de Médicis, attaquait en elle sa triple invulnérabilité de femme, de reine et de mère ; c'était quiconque enfreindrait en elle leur consécration d'hospitalité. En retour de sa palpable identification angevine, c'est en eux que s'incarnait sa plus sûre défense. Aussi, dès l'entrée en campagne de Louis XIII, et avant la concentration de cet état-major des Soissons-Vendôme qui n'y venait usurper sa querelle que pour en fausser le caractère, Marie de Médicis en appela d'abord à ses concitoyens d'adoption pour l'assistance armée dans cette stricte défensive où nous avons vu Richelieu si soucieux de la maintenir. Mais, par égard pour les autorités locales dont elle éprouvait chaque jour le dévouement jusque dans l'indéfectibilité de leur royalisme, elle les voulut préalablement consulter sur l'opportunité de cette démarche en une assemblée extraordinaire tenue le 16 juillet, sous la présidence et au logis du commandeur La Porte, et où assistaient le maire Lanier de l'Effrettière avec ses échevins, le grand doyen du chapitre de la cathédrale Foussée et l'abbé de Toussaint comme députés du clergé, Ayrault, président du Présidial, et un de ses collègues, comme députés de la magistrature, et les capitaines et enseignes de la garde municipale. Tous estimèrent les Angevins dignes d'étre conviés à la protection de leur ville et de leur souveraine. Et, partant, dès ce jour même, on ordonna par toute la ville des visites domiciliaires pour s'enquérir de leur armement, on les organisa en douze compagnies de milice urbaine aussitôt passées en revue dans les prairies de Saint-Serge, on les préposa jour et nuit à la garde des portes et des remparts. Malheureusement ces milices urbaines étaient trop imbues par le gouverneur La Porte et leur maire Lanier des sollicitudes modératrices de Richelieu pour pouvoir, malgré ce qu'elles déployaient de vigilance au poste que leur avait assigné la reine — mère, trouver grâce devant les exploiteurs acharnés à dénaturer leur prise d'armes. Ce que poursuivaient à Angers précipitamment les Vendôme avant l'heure prochaine des dernières défaillances, c'était la subordination de l'autonomie municipale et de ses sollicitudes indigènes de préservation paternelle aux envahissements concussionnaires d'une oligarchie insurrectionnelle. Il est vrai que, depuis l'arrivée au Logis-Barrault des ambassadeurs du nonce, et vu leur identification au prélat qui les y avait introduits par une suite de ses investitures de famille, les Vendôme pouvaient craindre leur entremise en faveur d'une ville dont ces vénérables médiateurs rémunéreraient la courageuse hospitalité par une solennelle protection. Aussi, n'ayant pu ni les écarter du Logis-Barrault ni obtenir de les y surveiller de près, au moins l'irréconciliable cabale voulut-elle étouffer leur voix, en propageant autour d'eux le diapason de son toile de rigueur contre l'objet même de leur délégation angevine. Les ambassadeurs du nonce venaient au Logis-Barrault réconcilier Marie de Médicis avec Luynes : c'était donc directement contre Luynes qu'il fallait chez nous raviver l'animadversion populaire. C'était juste au moment où s'ébruitaient à Angers les démarches de Duperron et de Bérulle au Mans et à La Flèche. C'était aussi lorsqu'à Angers les voûtes des églises des Cordeliers et des Jacobins allaient retentir, le 2 août, de prières publiques où devait officier devant Marie de Médicis son métropolitain le cardinal de Sourdis, avec prédications du curé de Saint-Germain-l'Auxerrois, église paroissiale de son imprescriptible résidence du Louvre, et de son confesseur le père Suffren. Et voilà que tout-à-coup une aussi pleine, une aussi onctueuse émanation de baume pacificateur est contrariée par une soudaine explosion de salpêtre. Le 31 juillet avaient afflué par ballots, aux libraires d'Angers, deux des pamphlets les plus virulents que l'opposition parisienne ait, au début de la guerre civile, fulminés contre le favori du jour. C'était ici le contadin provençal, où, en une parodie des versets de Jérémie, on désignait en Luynes le fléau suscité par Dieu pour le châtiment des péchés d'Israël. Là, c'étaient les veritez très chrestiennes au roi très chrestien, où l'on proclamait les damnables offices du meurtrier de Concini envers Marie de Médicis comme une justification de sa prise d'armes. Mais nous avons vu que, au début de la guerre civile, dans
l'agrandissement silencieux de sa fortune et dans la perspective éloignée de
l'Anjou, il n'y avait eu en la timide et discrète personnalité de Luynes rien
de quoi exaspérer et révolutionner les multitudes. Et, avec l'entrée en
campagne de Louis XIII, Luynes ne s'était approché chaque jour de notre
province qu'en affectant de s'effacer de plus en plus devant l'impétuosité
guerrière de Condé. C'est à Condé que ces perturbateurs à outrance de la
hiérarchie de la maison royale eussent souhaité de s'en prendre. C'est contre
Henri de Bourbon qu'ils eussent déchaîné de préférence la verve incendiaire
de leurs libellistes à gages, s'ils n'avaient vu en lui s'ériger trop
au-dessus des jalousies vulgaires le prestige du sang d'Henri 1V. Mais si ce
prestige du sang d'Henri IV en imposait à ce point aux populations angevines,
en revanche, encore une fois, rien ne les offusquait particulièrement en
Luynes. Luynes, ce n'était pour les Angevins ni une physionomie, ni un nom,
ni un principe. Aussi, chez nous, les foules passaient-elles indifférentes
devant les librairies où s'étalaient les veritez très-chrestiennes
et le contadin provençal, en attendant
l'enfouissement de ces deux pasquinades surannées dans la bibliothèque d'un
de nos plus curieux lettrés d'alors : ou Claude Ménard, ou Pierre Ayrault, ou
Guy de Lesrat, ou Bautru des Matras. Réduit à lui seul, Luynes n'eût donc pas valu chez nous le tumulte et l'agitation d'une levée en masse. Et, pour les Angevins, ce n'eût pas été la peine de dérouiller et de fourbir contre lui les vieilles armes de la ligue, qu'ils n'avaient d'ailleurs pas pour cela vouées à la désuétude. Mais si, lors de l'attentat de Fouquet de la Varenne contre l'arsenal du château d'Angers, ils avaient élevé si haut l'acclamation de leur veto ; si, lors de l'entrée solennelle à Angers de Marie de Médicis, ils avaient étalé sur son passage avec une aussi martiale complaisance l'éclat rajeuni de leurs mousquets et de leurs hallebardes, en cela ils avaient témoigné au service de leur suzeraine moins des sollicitudes d'agression que de sauvegarde. Ils avaient revendiqué et manifesté leur armement pour sa défense et la leur, moins contre les sourdes infiltrations du favoritisme en règne ou contre les attaques du royalisme que contre les ravages de la soldatesque insurrectionnelle. Non que, en cette crise aiguë de notre querelle intestine, il faille comparer la municipalité angevine à ce que sera trente ans plus tard la bourgeoisie parisienne, en cette dernière phase de la fronde aristocratique où, pour la tirer de sa neutralité craintive, il faudra que la grande Mademoiselle aille tourner contre Turenne le canon de la Bastille. En juillet et août 1620, une fois la guerre engagée entre Louis XIII et Marie de Médicis, et une fois Louis XIII lancé si avant par la victoire sur la route d'Angers, nos compagnies urbaines, pas plus que Richelieu, ne renonçaient à soutenir par mesure défensive un siège en règle contre l'armée royale. Seulement elles ne le voulaient que sous l'autorité libérale qui leur avait départi la garde de leur enceinte comme une marque de confiance. A ce rendez-vous d'honneur elles n'entendaient obéir qu'à Marie de Médicis et au gouverneur La Porte. Sous l'égide de Marie de Médicis et du gouverneur La Porte, elles n'acceptaient que le rassurant patronage du maire Lanier de l'Effretière, dont la reine-mère avait déjà en Anjou tant éprouvé le dévouement et la délicatesse, la générosité et les prévenances. Dès le lendemain de la paix d'Angoulême estimée en grande partie son œuvre, et, ce semblait-il alors, pleinement réconciliatrice, Lanier était venu offrir les congratulations angevines à sa nouvelle gouvernante. Peu après, quand celle-ci vint officiellement s'installer au chef-lieu de son apanage, le chef vénéré de la députation municipale accourue de si loin au-devant d'elle n'avait point failli à ses engageantes avances de la veille, en l'éclat des ovations de bienvenue érigées sous ses auspices ; et de là cette mémorable entrée à Angers de Marie de Médicis p, où le nom de Lanier s'est immortalisé chez nous dans les fastes de de nos solennités urbaines. Mais quand les enchantements de ce lever de soleil n'eurent fait place que trop tôt aux sombres réalités de la guerre civile, le brillant ordonnateur de tant d'arcs de triomphe et de cavalcades prodiguées sur le passage de sa souveraine, lui était devenu, par un renouvellement de zèle, le digne serviteur des temps orageux, échangeant à ses côtés le triomphe pour l'épreuve, et la magnificence pour le sacrifice. Dès qu'il eut vu Marie de Médicis arrêtée dans l'organisation défensive de son apanage par la détresse financière, Lanier lui avait ouvert largement sa bourse. C'est lui aussi que nous avons vu, tandis que Richelieu poussait la reine-mère vers La Flèche, lui assurer de son côté, par une énergique démonstration militaire, la possession de Châteaugontier. Mais l'occupation des postes les plus avancés de l'apanage de Marie de Médicis ne le dispensait pas de ce qu'il devait spécialement à la ville confiée à sa tutelle. Demeuré nanti de ses clefs, il en avait voulu tenir hermétiquement les portes closes, surtout celle de Boisnet donnant sur l'un des débouchés probables de l'armée royale. Après avoir sondé de près les dispositions et constaté le dévouement de sa garde urbaine, il en avait échelonné les douze compagnies sur toute l'enceinte et sous des capitaines sûrs. Enfin, dans l'érection des plates-formes du château et du Port-Ayrault, l'on avait vu sous sa chaude impulsion l'aristocratie, la magistrature et le clergé rivaliser le jour avec les paysans de la banlieue dans le maniement des piques, des pelles et des civières, avant de courir la nuit aux remparts. Mais rien de cette vigilance, de cette ferveur et de cette unanimité d'exsudation dans notre patriotisme local ne trouva grâce devant la tyrannie militaire des Vendôme, tant qu'à leurs yeux la municipalité et les milices urbaines ne travailleraient que pour Marie de Médicis et Richelieu, ou seulement pour la préservation de leurs foyers. Les Vendôme n'entendaient soulever que pour eux seuls les populations angevines. Leur levée de boucliers, ils s'en arrogeaient la signification et la portée. Sous le nom de Marie de Médicis, ils ne la concevaient et ne l'admettaient qu'avec leurs propres calculs de dépression et d'infléchissement. Avec eux, il fallait ployer ou rompre. C'est ce que n'éprouvèrent que trop vite les malheureux Angevins quand le dimanche 2 août, à l'issue des vêpres, par une des portes de leur enceinte appelée le portail Toussaint et contigu au Logis-Barrault, tout à coup déboucha un régiment mi-partie de mousquetaires, avec chargement à balles et mèches allumées, et de piquiers armés de bourguignottes, corselets et cuissards. Pendant ce temps, un peu plus loin, au carrefour de la Vieille-Chartre et le long du Logis-Barrault, se tenait aposté le duc de Vendôme à la tête d'une compagnie également prête à faire feu, avec ses mousquets pointés sur leurs fourchettes. Et à mesure que, sous cette protection sans réplique au regard des insultes de la foule irritée, à ses yeux défilaient nos nouveaux envahisseurs, Vendôme, qui semblait la veille n'être tombé de La Flèche avec ses épaves de l'armée rebelle que pour écraser de là plus lourdement dans sa chute les gardiens du dernier refuge de sa souveraine, déchaîna d'un mot ces truands sur tous les quartiers de la ville : ici la Place-Neuve, la rue Saint-Laud et la rue Baudrière ; plus loin les Halles et les quartiers du Pilori, de Saint-Martin, de Sainte-Croix, de Notre-Dame et des Grands-Ponts. Eux aussitôt partout là s'abattirent, enlevant leurs cantonnements haut la main, l'arme au bras. Et ils criaient à tue-tête : Mordieu, tout beau ! en dissipant à coups de fourchettes devant eux les attroupements hostiles. Puis, une fois par là brutalement installés dans la ville qu'au lieu de respecter en hôtes et en amis ils régentaient en vainqueurs, ce ne leur fut qu'un jeu d'en occuper les portes et d'en confisquer les clefs sur leurs gardiens naturels aussitôt débusqués de leurs postes d'honneur. Et encore, par une aussi impitoyable éviction ils ne croyaient pas avoir assez conjuré, de la part de ceux qu'ils refoulaient ainsi de partout sur leurs foyers outragés, toute velléité d'une explosion de revanche. Car, en vertu d'une nouvelle ordonnance extorquée le 6 août à Marie de Médicis, chaque Angevin, sous peine de mille livres d'amende, dut recueillir les armes tombées de ses mains désormais impuissantes dans les arrière-coins de son logis, et les déposer ligotées en faisceau sur le seuil de sa porte, d'où les enlevaient pour les emmener au château des fourgons non moins réprouvés que ceux du marquis de la Varenne. Car les Vendôme attentaient non moins directement que la Varenne à nos inviolabilités municipales. Et d'ailleurs, le château qui devait le regarnissement de son arsenal à l'intervention si patriotique de nos milices urbaines sur le chemin de La Flèche, en retour n'eût pas dû sitôt s'enrichir de leurs dépouilles. Il est vrai que, pour assurer, disait-on, à qui de droit, à l'issue de la guerre civile, la restitution de ces armes si soudainement confisquées, on enjoignit à chaque possesseur d'un des faisceaux gisant ainsi sur la voie publique d'y annexer son nom avec l'inventaire de son contingent. Mais, sur bien des points, de telles garanties conservatoires ne furent qu'une amère illusion ; témoins les malheureux citadins de la Doutre, que le fougueux Saint-Aignan alla brusquement désinvestir de leurs armes éparses, sans y laisser apposer la moindre étiquette distinctive de récolement. Non contents d'avoir envahi, pourchassé, détroussé les frères d'armes devenus leur conquête et leur proie, les Vendôme les voulurent encore bâillonner pour étouffer leurs plaintes. Si encore, en supposant ces plaintes échangées trop dangereusement pour la sécurité de leur domination entre le cœur de la ville et la population suburbaine, s'il n'y avait eu d'autre interception que ces remparts qui ne nous appartenaient déjà plus, ou ce bassin de la Maine qui, depuis la fermeture de ses ponts et le retrait de ses bacs en vertu des règlements de l'état de siège[8], n'en battait que d'un flot plus libre les plates-formes du Port-Ayrault et le pied des tours de la citadelle ! Mais les Vendôme ne serraient pas encore d'assez près les victimes de leur vandalisme. Pendant qu'aux yeux des malheureux Angevins, outragés de ce contraste ironique, les prisons de la justice criminelle s'ouvraient aux sacripants qu'on armait de leurs dépouilles, un circuit de rondes soupçonneuses au point de ne pas même échanger entre elles le mot d'ordre, dans chaque rue et dans chaque avenue des faubourgs dissipait jusqu'à l'ombre des rassemblements. Que dis-je ? En vertu d'ordonnances des 3 et 5 août, au son des cloches de la cathédrale et à neuf heures du soir, il fallut que, sous peine de mort, ces portes mêmes que les Vendôme venaient d'enfoncer avec leurs hallebardes, il fallut que ces fenêtres criblées de leurs arquebusades se refermassent sur ceux dont on interprétait les rencontres comme des conciliabules et jusqu'aux apparitions et aux regards comme des menaces, afin de les murer tous vifs dans le silence et l'immobilité d'une nécropole. Bien entendu que l'organe le plus autorisé chez les Angevins à l'effet de plaider pour la liberté de leurs foyers et le maintien de leur place aux remparts, on l'avait dès l'abord éliminé de la lutte engagée entre les supplantations insurrectionnelles et nos franchises municipales. Depuis l'arrivée à Angers des Vendôme, le maire Lanier avait vite encouru leur inimitié pour sa ferme adhésion à tout ce que Richelieu et La Porte leur y opposaient en fait d'équilibre gouvernemental et de sollicitudes conservatrices. Il est vrai que longtemps la droiture, la vigilance et le désintéressement de son zèle pour la protection militaire de Marie de Médicis, de la souveraine dont eux-mêmes arboraient si haut la querelle, dérobèrent sur Lanier auprès d'elle toute prise à leurs attaques. Mais cet avocat importun de l'autonomie de leur quartier général ne pouvait tenir toujours contre une cabale qui, même sous l'égide de Marie de Médicis, n'avait qu'à si grand'peine épargné Richelieu et tout au moins presque étouffait sa voix. Aussi devons-nous croire déjà Lanier auprès de la reine-mère bien entamé quand, le 2 août, les Vendôme, après avoir envahi notre enceinte et crocheté nos logis, allèrent à coup fuir au Logis-Barrault envenimer là-dessus sa protestation indignée. C'est que là ils opéraient sur un fond d'avance tout préparé par une habile fomentation de griefs antérieurs. Par exemple, en rappelant à Marie de Médicis l'attentat de Fouquet de la Varenne contre nos suretés militaires, eux qui en renouvelaient impunément l'audace, ils avaient sans doute à cette occasion souligné l'inertie de Lanier, estimée alors par nous-même regrettable, mais en définitive bien vénielle au regard de tout ce que lui devait aujourd'hui sa souveraine. Mais rien de ce que devait à Lanier Marie de Médicis n'atténuait le fâcheux effet d'une non moins intempestive mais plus récente négligence dans le service militaire d'une des portes de la ville demeurée vers la fin de juillet, bien qu'une des plus exposées à l'armée royale envahissant déjà l'Anjou, tout un jour dépourvue de garde. En une heure aussi critique, une telle rechute d'infraction aux devoirs les plus sacrés de la tutelle municipale, insinuaient là-dessus au Logis-Barrault les Vendôme avec rechargement de leurs inimitiés, une telle rechute n'était-elle pas sinistrement significative ? Malgré l'ostentation de zèle dont Lanier chaque jour éblouissait sa souveraine, n'y avait-il pas là de quoi raviver et accentuer les anciennes défiances ? Eh quoi ! le premier magistrat de cette cité devenue le seul refuge d'une reine que ses persécuteurs y viennent traquer et cerner de toutes parts, à ce moment-là s'endort tour à tour sur le dégarnissement de son arsenal et la désertion de ses remparts, sans qu'on l'ose taxer là- dessus d'autre chose que d'une grave incurie ! Y a-t-il là deux qualifications possibles ? Que faut-il de plus pour encourir de ce chef l'accusation formelle de trahison ? A moins que, aux yeux de ceux qui veulent à toute force s'illusionner jusqu'au bout sur sa forfaiture, il n'y faille ajouter le retentissement du veto dont il vient d'accueillir d'entrée ce qui n'est de notre part en faveur de la ville placée sous son égide, qu'une démarche protectrice. Car il ne faut pas ici prendre le change, ni intervertir les rôles. Oh ! certes, rien de plus beau, ni de plus chevaleresque, si dans son holà contre les revendications militaires que nous prétendons, nous, exercer à bon droit au cœur de notre place d'armes, Lanier ne s'était proposé que la défense des immunités angevines. Mais, s'il nous y dispute les armes de ses concitoyens, c'est pour livrer à l'ennemi ce que n'en a pas encore enlevé Fouquet de la Varenne. S'il nous y interdit jusqu'à notre place aux remparts, c'est pour livrer à Condé et à Luynes ces portes une fois abandonnées de leurs défenseurs indigènes. Nous, au contraire, nous ne nous substituons à eux dans la défense de leur ville que pour en détourner d'eux et en assumer sur nous seuls, avec les charges et le péril, la responsabilité vis-à-vis de l'autorité royale. Nous ne leur empruntons leurs foyers, leur enceinte et leurs armes, ces armes qu'ils sont assurés de retrouver un jour, que pour les soustraire à l'ennemi qui s'approche et qui déjà assiège nos portes. Que dis-je ? l'ennemi, il est dans nos murs, il y a ici pour ainsi dire un loup dans le bercail. C'est Lanier, c'est ce traître, ce félon qui, mystérieusement, correspond et trafique avec l'armée royale en vue de l'introduire ici et de lui livrer sa souveraine et ses concitoyens pieds et poings liés. Un tel homme est funeste aux Angevins. On ne saurait trop vite rejeter de leur sein cette peste et cet opprobre. La vraie raison de cette désignation à l'ostracisme, aux yeux des Vendôme, c'est que Lanier n'était pas leur homme. A part même cette identification à ces concitoyens qu'en les foulant aux pieds ils l'accusaient de trahir, aux yeux des Vendôme son vrai grief c'était d'appartenir à Richelieu. Car si, pour une exécution radicale à opérer dans la hiérarchie du groupe érigé devant eux comme une aussi redoutable entrave, ils ne visaient qu'un de ses hommes-liges les plus sûrs, ce n'est pas faute d'avoir voulu principalement, dans leur soif de vengeance, en Richelieu marquer une victime. Bien avant de requérir de Marie de Médicis le bannissement de Lanier, bien avant même d'arrêter sur le seuil de l'Anjou l'ambassade du nonce, ou d'en détenir en la personne de Rochefort les plus intimes adhérences, Dieu sait s'ils s'étaient acharnés à entamer Richelieu par un défaut de cuirasse qu'il leur avait toujours su dérober avec sa science précoce des disgrâces, en leur opposant à la fois le resserrement graduel de sa tactique et l'indétermination officielle de son rôle, le relief de ses services et l'impénétrabilité de ses démarches. Et c'est faute de n'avoir su où se prendre en d'aussi insaisissables hauteurs, qu'en rôdant aux extrémités de la phalange modératrice les plus rapprochées d'eux, ils s'étaient rabattus sur un plus tangible adversaire. Et cela sous le couvert de celle dont leur perfidie exploitait la faiblesse. Car Marie de Médicis, en subissant ce joug salutaire de Richelieu dont elle ne leur pouvait plus dissimuler l'acceptation, au moins cherchait à se la leur faire pardonner, pour retenir d'aussi ombrageux soutenants dans son allégeance insurrectionnelle. Aussi, dès que, aux yeux de cette reine aigrie par les désastres et cultivée dans ses aigreurs, eut surgi la sinistre interprétation des manquements évoqués devant elle sous le nom de Lanier, en déversant par cette ouverture sa bile féminine avec ce privilège royal des ingratitudes nécessaires, elle n'eut rien de plus pressé que de livrer aux Vendôme, en la personne de ce serviteur malheureux et par conséquent coupable, ce qui n'était au fond que la rançon de Richelieu ou des ambassadeurs du nonce. Dans les tristes calculs de la reine-mère, Lanier paya pour tout ce qu'elle ne leur pouvait abandonner sans un tollé général. On ne se demanda pas si les irrégularités de service relevées à sa charge étaient imputables à ces négligences subalternes que ne peuvent d'en haut conjurer les plus vigilantes sollicitudes. Et en vain plaidèrent en faveur de Lanier les souvenirs si récents et si compensateurs de son concours dans l'érection de la plate-forme du Port-Ayrault et des retranchements de la Madeleine, dans le dégagement de la citadelle et des remparts. L'adversité l'avait condamné sans appel. Car il n'était pas jusqu'aux officiers de la milice urbaine, de cette milice assurée, grâce à lui, d'aussi solides abris (du moins jusqu'à l'arrivée des Vendôme) qui, à son tour, ne lui jetassent la pierre. Nous ne parlons pas de ceux que la spoliation asservit aux Vendôme au point de les enrôler dans leur chorus. Mais les autres, chez qui les ferments d'exaspération faussaient les griefs, reprochaient à Lanier de les avoir vis-à-vis de leurs envahisseurs, par l'inutile retentissement de son veto, maladroitement compromis, de par la hiérarchie municipale, dans la solidarité des soupçons ; ou encore ils s'en prenaient à lui de leur désarmement, en l'accusant de les livrer aux dénonciateurs mêmes de son royalisme. Après cela, murmuraient-ils, qu'importent ces fameux terrassements pour lesquels, depuis un mois, on réquisitionne sans merci les pauvres villageois de la banlieue jusqu'à travers la récolte de leurs moissons et jusque dans le repos sacré du dimanche, si Lanier ne les a cimentés dans leurs sueurs les plus amères que pour y introduire ou pour y attirer ou Condé ou Luynes, ou les Vendôme. Il est vrai que, s'il a travaillé pour les Vendôme, les Vendôme, dira-t-on, lui en savent peu de gré. Mais c'est qu'alors, pour nous abuser, Lanier joue avec les Vendôme une comédie dont nous ne sommes point les dupes. Bref, dans tout Angers, le nom de Lanier s'érigea tout à coup en une de ces consignes d'anathèmes où se rallie et par où se décharge dans les calamités publiques l'exaspération des cabales les plus adverses. Depuis les galeries du Logis-Barrault jusqu'aux carrefours obstrués d'attroupements furtifs qu'on ne tolérait qu'à la faveur d'un tel mot d'ordre, ce mot de Lanier circulait comme la désignation d'une cible au haro universel. De partout on s'écartait de Lanier comme du réprouvé de l'heure actuelle. C'était à qui le pourchasserait devant lui comme un bouc émissaire[9]. Aussi ne nous étonnons pas si, dès le lendemain de l'irruption à Angers des Vendôme, le 3 août, au Logis-Barrault, Marie de Médicis, en une assemblée générale où assistaient les capitaines des douze compagnie des gardes urbaines, décréta le bannissement de Lanier qui, le lendemain 4 août, ne comparut devant la souveraine que pour s'entendre en pleine face notifier, avec une majesté glaciale, l'arrêt de la veille. Dès le lendemain, 5 août, Lanier dut donc s'acheminer vers l'exil, en secouant la poussière de ses pieds sous ces portes que ce n'était plus un crime d'ouvrir à sa voix dès qu'il ne s'agissait plus pour lui que de les franchir en proscrit ; sous ces portes qu'il ne croyait pas avoir si bien assujetties sur leurs gonds, pour qu'elles se refermassent aujourd'hui plus sûrement derrière lui. Et tout ce qu'à son départ dans la direction de Nantes, ville adoptée pour son refuge, Lanier put obtenir de l'ancienne amie qui, dans son naufrage, le jetait par-dessus bords pour le salut de l'équipage, ce fut de le pourvoir d'une escorte tirée de sa propre garde, afin de le préserver d'un retour offensif de ceux qui, pour un peu plus, lui auraient demandé sa tête, et que n'avait pas encore désarmés son exil. Car, à peine avisés de cette sauvegarde planant sur son départ, les Vendôme virent sans doute là l'interposition du groupe adverse. Sans doute ils y virent surtout ]'œuvre de Richelieu, ce réintégrateur silencieux de leurs victimes au quartier général de sa souveraine abusée. Ils savaient que ces rigueurs extorquées à sa faiblesse, Marie de Médicis en rougissait devant lui et que cette honte seule en était déjà le remède. Ils craignirent même que, dans l'ostensible sacrifice de Lanier, Marie de Médicis ne leur ait donné qu'une satisfaction d'apparat, sous la forme d'un exil si manifestement protégé, et qu'on ne l'eût congédié qu'en le munissant d'avance d'une escorte de rentrée. Et ces mêmes mains qui ne l'avaient, ce leur semblait-il, rejeté dehors que pour le préserver de leurs fureurs, ils les voyaient déjà, sur l'avenue d'Angers la plus opposée au théâtre de sa fuite, tendues vers lui comme dans la direction occulte de son retour. Aussi, dans le lointain problématique de son exil, Lanier ne leur fut pas plutôt apparu avec l'escouade dont l'imminente volte-face, disaient-ils, déconcerterait leur vengeance, que, tout en apostant à Angers une garnison dans son logis, ils envoyèrent de leur côté sous le couvert d'un renforcement des précautions de la reine-mère, et en se réservant de lui faire ratifier encore cette contre-démarche ; ils envoyèrent refouler militairement sur le chemin de son protégé toute velléité rétrograde. Et il fallut enfin la certitude de son arrivée à Nantes, avec tout ce qui l'accompagnait de garanties à la fois de sécurité et de surveillance, pour rassurer tout ce qui chez nous s'intéressait si contradictoirement, et ajoutons-le, si diversement à sa fuite. Car, en leur sympathique indignation, il n'y a pas jusqu'à la famille et aux amis de Lanier, si associés à lui dans la libre mais courageuse persévérance de son royalisme, qui à leur point de vue ne se soient réjouis de la confirmation de son exil. Tant ils l'y voyaient d'avance, aux yeux du souverain déjà si sûr de sa victoire sur l'insurrection maternelle, justifié par la disgrâce. Et, d'ailleurs, pour cet innocent criminel, quelle plus honorable solidarité de châtiment que celle qui l'associait au vertueux évêque d'Angers Fouquet de la Varenne ? Quant à ce frère du gouverneur de La Flèche, aux yeux des Vendôme son sang et son nom c'était, par rapport à Lanier, toute sa prévention de connivence. Mais c'en était assez pour figurer avec lui, sauf son acheminement distinct vers Rome, dans la même sentence d'exil, et pour y grandir avec lui dans le même lustre d'immolation[10]. Pendant ce temps, si dans les sommités officielles du quartier-général angevin le seul commandeur La Porte avait trouvé grâce devant le surmenage insurrectionnel des Vendôme, et s'il y survivait à tout ce dont ils s'étaient si violemment débarrassés en fait de résistances ou réelles ou soupçonnées, c'est que forcément, dès l'immigration angevine de ces monopoleurs de guerres civiles, son inféodation diplomatique à Richelieu et ses affinités conservatrices avec Lanier s'étaient absorbées dans les subordinations absolues de la hiérarchie militaire. Dans le grand armement du parti de Marie de Médicis, le pouvoir purement local d'un gouverneur de citadelle, cette citadelle fût-elle celle du quartier-général de la révolte, s'effaçait devant la suprématie du commandement général. Aussi, du jour de l'entrée à Angers des Vendôme, l'oncle de Richelieu cessait de disposer militairement de la population angevine ; de ce jour force lui fut d'accepter des mains brutales des Vendôme, pour les distribuer dans les remparts et dans les corps de garde expurgés de leurs défenseurs indigènes, les soudards se ruant à leur suite ; et cela sans qu'il lui fat permis d'apprécier si ces hordes blasées sur tant d'évacuations antérieures défendraient mieux le dernier asile de la reine-mère qu'ils n'avaient fait ses avant-postes de La Flèche. Non qu'encore une fois une ville à la défense de laquelle s'associaient des ordonnateurs tels que La Porte et Lanier pût être envisagée comme un poste méprisable. Et ce n'est pas sans une juste appréhension que, dès l'entrée à La Flèche de l'armée royale, et au conseil de guerre appelé à délibérer sur sa direction finale, on avait reculé devant le siège d'Angers. A part même les considérations de convenance filiale et de stratégie générale qui écartaient Louis XIII de la résidence maternelle en vue d'une interception directe aux Ponts-de-Cé du passage de la Loire, on y regardait à l'attaque d'une ville opposant au front de cette armée un périmètre d'enceinte disproportionné avec son effectif actuel ; une ville imprenable du côté de la Maine, et que partout ailleurs sur sa route on allait hérisser de retranchements. Aussi tout ce que, en le supposant acheminé droit sur Angers, Louis XIII y pouvait ambitionner, en attendant que des recrues vinssent renforcer son blocus, c'était le logement dans les faubourgs. Et dès lors le souci de l'y prévenir régla dans l'état-major angevin la répartition de nos nouvelles forces urbaines. Ces forces, tant qu'à les subir de par le droit de conquête au lieu de les accueillir hospitalièrement avec des souhaits de bienvenue, on les munitionna d'abord de cinquante mille livres de poudre. Richelieu, de plus, veillait à leur subsistance[11]. Sous sa direction peut-être, ou certainement avec son concours, dès avant l'arrivée des Vendôme qui s'en adjugèrent le bénéfice, on avait institué au château d'Angers une commission de ravitaillement. On y avait concentré toutes les farines des boulangers de la ville et des meuniers des Ponts-de-Cé. On avait affermé au rabais, le 18 juillet, sur ce stock alimentaire, le fournissement de trente mille pains par jour, du poids de douze onces de deux tiers de froment et d'un tiers de seigle, et du prix de quatorze deniers, avec paiement d'avance à l'adjudicataire. On avait enfin fait pratiquer militairement dans la banlieue d'Angers une grande razzia de bestiaux. Mais Richelieu n'était pas seulement la providence conservatrice des forces d'Angers, il en activait sans cesse le rassemblement[12]. Depuis l'évacuation de La Flèche, elles s'augmentaient chaque jour du refoulement sur Angers de nos garnisons fluviales, surtout celle de Châteaugontier. Ajoutons-y encore les contingents voisins qu'amenèrent Du Bellay, Brézé, la Flosselière et Boisguérin, les barons de Sainte-Gemmes et de Cholet, les marquis de Thouarcé et de Carmen ; Montsoreau et Dufresne, la Durbellière, Carrion de l'Espronnière, Lancreau de la Saudraye et la Crossonnière ; puis les recrues plus éloignées de Retz, de Liancourt, de Vigevano, des Roches-Baritaud et de Bourbonne. Et ces forces, chaque jour les pouvait à la rigueur renforcer par le Poitou, à la suite des quinze cents hommes de Retz et à défaut des commissions capturées de Sardini, au moins le complément du régiment de la Trémouille et, sous la conduite de Rohan et de Saint-Aignan, l'arrivée des effectifs les plus proches de la Loire. Bref, en attendant ces dernières chances de recrutement, il est vrai de plus en plus problématiques, l'armée rebelle, réduite à son rôle final de garnison angevine, s'évaluait, dans la montre générale organisée le 6 août aux prairies de Saint-Serge[13] sous les yeux de Marie de Médicis assistée du duc de Vendôme et de tout son état-major, au chiffre total de sept mille fantassins et de mille cavaliers[14]. En y prélevant huit cents hommes à titre de garnison intérieure, avec un régiment de réserve établi en aval de la Basse-Chaîne, sur la rive gauche de la Maine, et aux prairies de la Baumette, on répartit le reste en garnisons suburbaines, à savoir : le régiment de Marie de Médicis entre les deux têtes du faubourg Bressigny, et le régiment des marquis de Sablé et du Plessis-Juigné avec la seule moitié jusqu'ici réalisée de celui de la Trémouille entre les trois tètes du faubourg Saint-Michel ; car il fallait plus fortement garnir ces deux avenues aboutissant droit aux routes de Trélazé et de La Flèche. Et l'on distribua le reste en compagnies de quatre cents hommes entre les divers autres faubourgs des deux rives de la Maine, à savoir : sur la rive gauche, ceux de Saint-Aubin et de Saint-Serge, sur la rive droite (dans l'Outre-Maine ou la Doutre), ceux de Saint-Jacques et de Saint-Nicolas. Puis, à Saint-Nicolas et sous le grand-prieur, s'établit toute la cavalerie, soit six cents hommes, en vue de relier entre eux tous ces postes d'une rive à l'autre[15]. Sur les entrefaites, et sur le bassin de la Loire, un détachement de la colonne de Duplessis-Praslin était allé de Saumur jusque au-delà des Ponts-de-Cé occuper en garnison fluviale entre Angers et Nantes le poste de Montjean. Plus que jamais, depuis ce resserrement de la perméabilité insurrectionnelle entre la Touraine et la Bretagne, les Ponts-de-Cé, par là devenus l'unique avenue encore libre de nos assistances méridionales, pouvaient être, à sa sortie de La Flèche, adoptés par Louis XIII aussi bien qu'Angers comme son immédiat objectif, et comme le théâtre du dénouement de la guerre civile. Aussi, dès lors, aux yeux de l'état-major du Logis-Barrault, importait-il de distribuer entre les deux postes également essentiels d'Angers et des Ponts-de-Cé les sollicitudes de la défense et le contingent des forces de la reine-mère. Non que, en envisageant aujourd'hui en elle-même, en cette île de la Loire alors appelée Ile-Forte, d'où elle émerge à une lieue d'Angers, la tour pentagonale en tuffeau décorée du nom ambitieux de château des Ponts-de-Cé[16], l'on ne se demande si Marie de Médicis pouvait là sérieusement voir dans la direction du midi la clef de son apanage, et si ce pittoresque édifice, même avec son puissant éperon oriental et sa bordure de mâchicoulis la couronnant en chemin de ronde, valait la peine d'une telle diversion de ses ressources. Mais en 1620 le château des Ponts-de-Cé avait pour sa défense matérielle, outre l'irruption de la Loire dans ses douves, les deux ponts-levis fermant les deux grands ponts de Saint-Aubin et de Saint-Maurille, qu'il commandait et qui le reliaient aux deux rives adjacentes[17]. Sous le bénéfice de cette double sûreté attachée à sa base et à ses flancs, César de Vendôme, qui avait embrassé dans l'enflure de ses présomptions jusqu'à la défense du château des Ponts-de-Cé, dont il partageait, il est vrai, les sollicitudes avec l'excellent gouverneur Bettancourt, César de Vendôme n'y avait pas cru risquer en pure perte, en une suite d'envois remontant au 1er août, près de la moitié de l'effectif insurrectionnel. C'étaient les huit à dix régiments de Retz et de la Flosselière, de Du Bellay et de Boisguérin, des barons de Sainte-Gemmes et de Cholet, des marquis de Brézé, de Thouarcé et de Carmen. En tout, trois mille fantassins et quatre cents cavaliers sous le commandement supérieur de Vendôme, assisté d'une bonne partie de l'état-major du Logis-Barrault, à savoir : les maréchaux de camp Senneterre et Saint-Aignan, Marillac, Boisguérin et Du Bellay. Mais n'oublions pas d'attribuer surtout à l'homme préposé par Richelieu, sous ce nom de Bettancourt, au gouvernement du château des Ponts-de-Cé, son vaste approvisionnement en vivres, il est vrai mal réparti entre le château et l'île attenante ; l'établissement de trois canons au château et d'une batterie de deux fauconneaux, il est vrai servie par de mauvaise poudre, au pont de Saint-Aubin, long de cent soixante toises[18], par où le château communiquait avec la rive droite ; et en amont et en aval de ses douves l'entrave de la navigation, grâce au barrage de la Loire par une estacade métallique[19]. Cependant, pour achever dans la direction d'Angers la défense du passage de la Loire, il y eût fallu sur sa rive droite, à la tête du pont Saint-Aubin et jusqu'au confluent de la rivière aujourd'hui canalisée de l'Authion, retrancher à fond le bourg de Saint-Aubin, formant alors le principal noyau de l'agglomération actuelle des Ponts-de-Cé[20]. Car, en conformité du nouvel itinéraire adopté à La Flèche, au sortir de Trélazé et en passant par le bourg de Sorges c'était en face de Saint-Aubin des Ponts-de-Cé que devait déboucher l'armée royale. Et, tant qu'à ne désespérer pas encore des assistances méridionales, c'était en y arrêtant Louis XIII qu'on pouvait laisser à Rohan, à. Épernon ou à Mayenne, le temps de venir au pied du château qui leur gardait encore ce passage de la Loire, donner la main à la garnison de Bettancourt et, par cette garnison, aux recrues angevines. C'était bien là l'avis de Richelieu. Certes, il n'eût pas tenu à lui de clôturer de partout, à la tête du premier des deux ponts de la Loire, ce bourg de Saint-Aubin, en regard de l'approche de l'armée royale, par une circonvallation infranchissable. Par là, sans doute, ce désastre final de la bataille des Ponts-de-Cé, que sa diplomatie avait d'avance rendu si remédiable, Richelieu l'eût pu même conjurer dès le principe, non plus en accueillant de ce côté les secours trop attardés d'outre-Loire, mais en laissant à l'ambassade du nonce le temps de rapporter utilement au quartier-général de Trélazé, ou au moins à Borges, la signature si décisive et si malencontreusement retardée de Marie de Médicis. Mais, en insistant sur la sollicitude fondamentale du retranchement de Saint-Aubin, Richelieu avait compté sans la diversion infligée à une aussi judicieuse entreprise par les extravagants calculs de Vendôme. Au lieu de concentrer les travaux de défense suggérés par l'évêque de Luçon au point d'attache du château des Ponts-de-Cé avec la rive droite de la Loire, Vendôme, ici s'appuyant sur Marillac capté par ses visions, n'alla-t-il pas s'aviser de prolonger ces retranchements, ayant leur soudure au bourg de Saint-Aubin, jusqu'aux faubourgs d'Angers, afin de joindre ensemble ces deux postes ! En tout, une ligne longue d'au moins une lieue, constituant la base d'un triangle dont la Loire et la Maine eussent formé les deux autres côtés aboutissant, à deux lieues au-dessous d'Angers, à son sommet marqué par le confluent de Bouchemaine. C'est dans ce delta que Vendôme, soucieux de dissimuler ses récidives de défaillances sous la boursouflure de ses conceptions stratégiques, voulait enfermer comme dans un camp inexpugnable toutes les forces de Marie de Médicis, y compris les assistances désormais si problématiques d'outre-Loire. En vain Richelieu, en cela d'accord avec plusieurs officiers de l'armée rebelle, objecta le danger de disperser stérilement à la dernière heure sur cette longue étendue séparant Angers des Ponts-de-Cé, et qu'on ne pourra jamais, suivant lui, toute couvrir à temps, une somme de travaux à diriger toute d'urgence aux avenues de Saint-Aubin. Et même, en envisageant dans son intégralité cette ambitieuse ligne de raccordement, il faudrait, disait-il, pour la garder, un effectif de vingt mille hommes qu'on ne trouvera point à Angers, et dont on ne verra jamais à temps, par son extrémité confinant à Saint-Aubin, le complément méridional. Que dis-je ? En allant jusqu'à supposer dans ce camp Monumental la réalisation de ces vingt mille hommes, comment y assurer leur subsistance, en l'épuisement des finances de la reine-mère, qu'ont toutes consommées ses dernières levées ? Au lieu de les emprisonner là comme en un blocus de famine, que ne les laisse-t-on, en une plus encourageante attitude, tenir librement la campagne ? Malheureusement il suffisait que Richelieu osât effleurer de la plus légère critique l'entreprise de Vendôme, pour réveiller dans sa cabale tous les soupçons de commande, nés de la mise en mouvement de l'ambassade du nonce entre Angers et La Flèche. Aux premières observations que l'énergique inspirateur des La Porte, des Lanier et des Bettancour risqua timidement devant l'étalage des plans à l'ordre du jour, à la face de celui qu'on appellerait aujourd'hui le polytechnicien des évacuations et des reculades, il ne lui sembla battre en brèche son hyperbolique castramétation de fantaisie, que pour mieux introduire par là l'ennemi dans la place. C'est donc pour cela, se récriait Vendôme, qu'en nos dernières délibérations sur l'opportunité d'une émigration méridionale, Richelieu insistait si fort pour retenir à Angers la reine-mère ! En cela tous deux nous étions d'accord. Mais entre nous deux voyez la différence. Suivant moi, la reine-mère ne devait rester à Angers que pour y tendre la main, à travers les Ponts-de-Cé, à Rohan, à Épernon et à Mayenne, tandis que lui ne l'y veut enchaîner que pour l'isoler d'eux par l'interposition perfidement ménagée de toute l'armée royale. En vain alléguera-t-il, pour sa justification et comme gage de l'indéfectibilité de son zèle pour la défense de notre cause, les plates-formes et les palissades de Saint-Serge, de la Madeleine et du faubourg Bressigny, érigées comme un digne pendant aux retranchements des Ponts-de-Cé. Qu'importe si, dans l'aplanissement de l'intervalle, et sous les salves de bienvenue échangées entre les deux rives si ironiquement fortifiées de la Maine et de la Loire, les vainqueurs poussent devant eux leur char de triomphe avec l'escorte de Duperron et de Bellegarde, pendant que pet homme, qui a vendu Condé et à Luynes la souveraine dont il était censé venir ici embrasser la querelle, s'avance au-devant d'eux par cette route qu'il leur a si tortueusement frayée au cœur. de l'Anjou, pour recevoir de leurs mains le prix d'une trahison qui répond à la trahison de Lanier. Pas plus ici que lors du colloque avec Blainville, de l'introduction au Logis-Barrault de l'ambassade du nonce et de l'immobilisation à Angers de Marie de Médicis, Richelieu n'essuyait en pleine face ces vieilles imputations de trahison dont il était plus commode d'accabler de front un Lanier, et dont chacune de ses démarches, quant à lui Richelieu ? ne relançait le refrain derrière lui qu'en un crescendo d'aparté. Mais si ces accusateurs si divers qui s'appelaient tour à tour Rohan ou Vendôme, vu l'intermittence ou dans le huis-clos de leur réquisitoires de secte ou de cabale, lui en dérobaient la résonance directe, avec sa subtilité d'organes aiguisés par la défiance Richelieu en percevait distinctement le murmure. Aussi, dans la délibération actuelle, enleva-t-il soigneusement là-dessus à ses contradicteurs de consigne tout prétexte à recrudescence, en rengainant dès leur premier hochement de tête ses hasardements de critique, avec des allégations d'incompétence officielle qui couvraient sa retraite. Mais, dans ce précautionneux cantonnement de son silence et dans tout le champ mesuré par la chimérique stratégie de Vendôme, Richelieu n'y constata que plus douloureusement une fatale déperdition de labeurs et de ressources. Il n'en gémit qu'avec plus d'amertume en voyant cette bande de travailleurs, réquisitionnés de si loin dans la banlieue d'Angers pour y dresser après les plates-formes de la citadelle les palissades de la Madeleine, aller de là s'égrener sur le fastueux alignement qui prétendait relier ce lointain faubourg aux avenues de Saint-Aubin, au lieu de se masser sur ce dernier point capital. Non que, dans le vaste chantier ouvert à la réalisation des chimères de Vendôme, toute l'œuvre si orgueilleusement décrétée n'eût marché de front depuis les rives de la Maine jusqu'à celles de l'Authion et de la Loire. Mais, vers cette dernière amorce, l'extrême dilatation d'une aussi présomptueuse ligne de défense en compromit la soudure. Et ici celui qui, à l'origine d'une entreprise si démesurément tendue, nous apparaît comme le lieutenant de Vendôme ; ici Marillac, qui néanmoins, jusque dans les avidités concussionnaires qui le rattachaient par intervalles au spoliateur des immunités angevines, maintenait toujours avec Richelieu son libre jeu de volte-face ; ici, dis-je, Marillac, retrouvant cette franche verve de raisonneur dépensée en pure perte sur les remparts de La Flèche, insista-t-il finalement près de Vendôme pour attirer vers Saint-Aubin la concentration des travaux[21] ! Quoi qu'il en soit, dès que, à la date il est vrai bien tardive du 1er août, l'état-major du Logis-Barrault les eut enfin décrétés d'urgence, en évitant de mêler là ce nom de Richelieu qui eût tout gâté, l'on réussit, avec l'aide d'un Guichard, ingénieur favori de Vendôme, et en réquisitionnant sans pitié tous les villageois d'alentour avec leur outillage de culture, à creuser à travers la grande prairie qui, le long de l'Authion, va de Saint-Aubin à Sorges[22], sur une longueur de trois cents toises marquée par l'incendie de logis sacrifiés entre l'église de Saint-Aubin et le confluent de l'ancien Authion et de la Loire, une tranchée flanquée de trois redoutes, et dont la profondeur se mesurait en deçà de son assiette par six pieds de remblai. Mais, à la dernière heure, ce talus n'était rejoint à la Loire que par des barricades dressées mais non remplies ; et le long de sa crête, des solutions de continuité laissaient le soldat à découvert jusqu'aux genoux[23]. C'est que, pour combler ces lacunes, on avait compté sans la brusque apparition de l'armée royale. Non qu'encore une fois, dès leur évacuation de La Flèche, les rebelles, en menant de front en Anjou leurs travaux de défense sur les deux bassins du Maine et de la Loire, n'eussent prévu l'imminente arrivée de Louis XIII en vue d'Angers ou des Ponts-de-Cé. Mais, dans cette alternative, ils avaient hésité jusqu'au 6 août, jour où nous avons vu la cavalerie de Nemours et de Vendôme, sur la route de La Flèche à Angers et entre le Verger et Pellouailles, attaquer de nuit avec une si malheureuse présomption l'armée royale. L'armée royale, d'ailleurs, ramenée par cette alerte à un surcroît de vigilance, s'était tenue jusqu'au matin sur le qui-vive, l'arme au bras, au son de la diane. Précaution d'ailleurs partout justifiée. Car tandis que Vendôme qui, dans l'intervalle de ses complots d'état-major, de ses exécutions de corps de garde et de ses rêveries polytechniciennes, allait et venait sur tout le champ de sa dernière et de sa plus néfaste retraite, pour y rallier les fuyards en un harcèlement de l'armée royale sur son flanc gauche, afin de la couper par là du bassin de la Loire, de son côté Marillac répondait sur la même zone aux mouvements de son tumultueux collègue. A travers ses connivences dans les brigandages de Vendôme, Marillac ne se bornait pas à dénoncer ses paniques et à discuter ses chimères, il rivalisait avec lui d'ubiquité dans l'accumulation des alarmes. Aussi, concurremment avec l'entreprise de Vendôme sur l'aile gauche de Louis XIII, nous voyons Marillac, dans cette même nuit du 6 août, et dans le mystère couvrant l'ambassade simultanée de Duperron et de Bellegarde, accourir d'Angers sur la route de La Flèche jusqu'à Pellouailles, pour y lancer ses grand'gardes en vedettes avancées dans la direction du péril. Et lorsqu'à leurs oreilles se trahit, au lever de la brise matinale et dans l'accélération de la marche de Louis XIII, le grave pronostic des fanfares de la diane mêlées au roulement des tambours, Marillac, tout en maintenant ses gardes dans une ferme attitude, revint vite à Angers avertir en sa qualité de généralissime le comte de Soissons. Ce jeune prince, quand d'abord au Logis-Barrault s'organisa hiérarchiquement l'état-major de l'armée rebelle, y avait été en principe, pour y conserver en son titre de légitime héritier du sang royal un gage d'indiscutabilité dans la suprématie officielle, retenu loin des champs de bataille. Mais chez Louis de Soissons nul privilège ne refoulait un sang voué aux prodigalités insurrectionnelles. En son effervescence juvénile, en fait de prérogatives natales il n'en acceptait d'autres que celle de l'émancipation devant le péril ; et cela surtout quand l'ébullition du même sang royal, même sous le prestige de sa consécration souveraine, poussait contre lui jusqu'aux portes d'Angers le vainqueur de La Flèche. Aussi, dès l'information reçue de Marillac, Louis de Soissons s'esquive sur ses traces avec des forces imposantes empruntées aux réserves angevines, puis, aux approches de Pellouailles, les distribue le long de la route ; et, seul avec le duc de Retz, suivi seulement d'un peloton de mousquetaires, il pousse jusqu'aux grand'gardes. Arrivés là, Retz le veut devancer dans l'attaque ; si bien que Soissons, obligé de réfréner l'élan que lui-même a donné, commande à ses gardes de le retenir. Mais lui, avec six cavaliers, s'évade ; et cependant, comme au bout d'à peine une demie-heure l'on perçoit un peu plus à droite le son de la diane, il s'en va dans cette direction gravir un monticule d'ardoises, d'où il voit s'effiler sur la route de Pellouailles à Trélazé toute la tête de l'armée royale. C'est qu'en effet, dans l'intervalle des deux reconnaissances de Marillac et de Soissons, Louis XIII, opérant, comme nous avons vu, dès Pellouailles vers les Ponts-de-Cé l'infléchissement de sa marche, avant de tourner lui-même sur sa gauche avait envoyé vers cette dernière étape au rendez-vous général de Trélazé, sous le commandement de Bassompierre, toute son avant-garde. A cette vue, Retz aussitôt envoie à deux reprises demander à Soissons de la cavalerie, afin d'aller par des chemins de traverse rompre ce détachement isolé ; et aux deux reprises, Soissons, qui avec le privilège du péril se veut réserver avec toutes ses forces contre le gros de l'armée royale l'initiative de l'attaque, demeure inflexible. Alors autour de lui quelques volontaires impatients violent la consigne pour s'aller joindre aux six cavaliers de Retz. Avec ce renfort Retz côtoie l'avant-garde de Louis XIII pendant une lieue, jusqu'à un carrefour où il dispose dans un logis toute sa troupe, sauf une escouade de cinq ou six carabiniers lancés en amorce au devant de l'ennemi. Mais sur ces entrefaites .un officier de Bassompierre, Fontaine, mestre-de-camp du régiment de Piémont, ayant flairé le piège, envoya un de ses compagnons non loin du logis en embuscade dans un chemin creux, avec une réciprocité d'amorce réciproquement éventée. Et ainsi de part et d'autre on se déprit de ce tâtonnement d'avant-poste, où au moins Retz avait enlevé trois prisonniers qui, en l'avisant de la destination de Trélazé pour le rendez-vous général de dix heures, et de l'assignation de Brain-sur-l'Authion pour les quartiers du soir, lui confirmèrent par là la marche actuelle aux Ponts-de-Cé de Louis XIII[24]. Après tout, cette certitude suffisait à Retz, hors d'état de soutenir sa provocation d'escarmouche sans l'appui dont il s'était d'abord si indocilement affranchi. Et justement, dans l'intervalle de ses deux tentatives si inégalement heureuses de reconnaissance et d'embuscade, Soissons, enfin dissuadé de commettre en détail les forces angevines contre toute l'armée royale, et satisfait d'avoir en face de l'ennemi étrenné son audace en y hasardant à la fois son efflorescence et ses prérogatives, s'était laissé violenter pour une réintégration à Angers sous la surveillance maternelle. Et si, une fois rentrée en possession du jeune rodomont qui se débattait sur son sein contre l'assujettissement de ses ailes, la comtesse lui permit seulement de rôder aux faubourgs pour y guetter le retour de Retz et interroger ses éclaireurs, ce ne fut qu'en l'entourant d'une grave sollicitude. Le vieux doyen perclus de son état-major, le rude et l'avide, mais l'expérimenté Boisdauphin, avait dû, à la veille du dénouement de la guerre civile, laisser tour à tour à Marillac et à Soissons l'honneur d'aller sur la route de La Flèche éclairer l'approche de Louis XIII. Mais ses infirmités ne le clouaient aux remparts qu'en l'y investissant de l'immuable autorité d'un mentor. Aussi, dès que l'adolescent à peine retiré de son échappée de Pellouailles, aux yeux de sa mère eut semblé trahir par de nouveaux trépignements de ce côté sa velléité de récidive, elle ne le crut mettre en de plus sûres mains qu'en celles de Boisdauphin pour enchaîner sa pétulance. Et ensemble, le vétéran blasé sur des élans que paralysait en lui la goutte ou la gravelle, et l'adulte qui, derrière lui, rongeait son frein devant l'horizon dérobé d'un champ de bataille plus sérieux que celui de la querelle de la serviette et peut-être moins tragique que celui de la Marfée ; ensemble, tous deux, Soissons et Boisdauphin, arpentaient d'un pas inégal les contrescarpes de la cité angevine, quand Retz revint à eux avec les avis décisifs de ses prisonniers. C'était bien aux Ponts-de-Cé que devait accourir tout ce qu'Angers recélait encore de forces disponibles. Et aussitôt Boisdauphin et Retz de rétrograder vers le Logis-Barrault pour donner le signal de cette suprême démarche, non sans que le lutin volatil qui sans cesse leur glissait dans la main ne les y voulût devancer encore. Mais au moins, en souriant, on laissa de grand cœur le généralissime imberbe indiquer d'un geste impatient cette route des Ponts-de-Cé qu'on lui interdisait de suivre. L'acheminement aux Ponts-de-Cé de tout le prorata des forces rebelles destiné mais non encore expédié à ce dernier poste, s'imposait tellement à l'état-major du Logis-Barrault que, dans la précipitation de ce départ définitif, on ne songea pas même à en aviser celle de qui en devait émaner l'ordre, et que ce départ devait presque, vu le reflux consécutif d'une partie de la garnison centrale vers les faubourgs méridionaux, en l'immensité de son palais de gouvernante laisser dans le vide. Du moins, vers onze heures, la paresseuse, la stagnante et la somnolente Marie de Médicis n'avait pas encore secoué son interminable léthargie de la matinée quand, pour réveiller les échos de ses antichambres désertées, il fallut les allées et venues de Richelieu et des ambassadeurs du nonce, à leur tour fraîchement débarqués avec les préliminaires de paix en main, mais anxieux du blocus entretenu autour de la chambre à coucher de leur indispensable signataire par d'aveugles consignes d'alcôve. Et lorsqu'enfin la reine-mère ouvrit les yeux pour laisser tomber de sa main engourdie le paraphe qui ne devait, hélas ! arriver que si tard à Trélazé, un courant continu s'était établi depuis longtemps entre les deux garnisons d'Angers et des Ponts-de-Cé. C'est que, après avoir, à l'état-major dés rebelles, recueilli à son débotté les informations de Retz, on dirigea de suite sur les Ponts-de-Cé d'abord le régiment de réserve établi dans les prés de la Baumette ; puis les chevau-légers et jusqu'aux gardes extraordinaires de Marie de Médicis, qui partirent sous la conduite de l'enseigne de Marillac, Gaston de la Mazure. Les seuls gardes du château et des portes demeurèrent attachés à la spécialité de leur service, mais non sans remaniement de leur répartition. Sous la direction de Retz, la garde de la porte Saint-Michel, désormais moins directement menacée depuis la déviation vers Trélazé de l'armée royale, passa en grande partie vers la porte Saint-Aubin sur la route des Ponts-de-Cé. Car, en envisageant toutes les éventualités de la lutte qui allait dans la matinée s'engager sur les rives de la Loire, c'est par cette porte de ville donnant sur le faubourg Bressigny qu'à toute heure l'armée royale pouvait venir des Ponts-de-Cé ou consommer sa victoire ou brusquer sa revanche. Et ainsi, vers les deux extrémités de l'avenue des Ponts-de-Cé et pour ainsi dire vers les deux aboutissements du péril actuel, s'élançait ou de proche en proche s'agglomérait toute la garnison angevine. Solennel ébranlement dont s'isola seule, sur les glacis d'outre-Maine, en un stationnement suspect, la cavalerie du grand-prieur de Vendôme. Tout le jour cette cavalerie, demeurée étrangère à toute idée de départ — car elle n'avait pas même revêtu ses casques —, demeura nu-tête, en plein midi, sur des contrescarpes embrasées, exposée aux insolations de la canicule. Mais cette cavalerie était celle de Pontlieue et de La Flèche, elle appartenait aux Vendôme ; et rien que cette étiquette des Vendôme, aux yeux de l'insurrection angevine, érigeait leur immobilité en un inquiétant problème Si réellement, dans la mémorable journée du 7 août, les Vendôme couvaient une trahison, jusqu'à la dernière heure ils ne s'y évertuèrent que mieux à éblouir là-dessus leur souveraine en rivalisant sous ses yeux, dans l'ostentation de leur résistance, en fait d'enflure ou de tumulte. Aussi, durant toute la matinée, et à la fois à travers le malheureux sommeil de Marie de Médicis et la captivité tutélaire infligée au jeune Soissons, et sur cette route des Ponts-de-Cé jalonnée par ses supputations excentriques d'ingénieur d'apparat, on vit passer et repasser le duc César, qui semblait n'accourir de sa triste équipée du Verger que pour jouer aux Ponts-de-Cé non plus sa revanche, mais sa partie d'honneur ; le duc César, escorté du grand-prieur à qui ce digne frère n'osait plus reprocher, depuis l'évacuation de La Flèche, les reculs de Falaise et de Pontlieue, et qu'on eût dit pressé lui-même d'aller sur les rives de la Loire assigner son vrai poste à sa cavalerie désœuvrée et par lui trop tôt rejointe d'outre-Maine. A côté des Vendôme c'est le duc de Retz, qui n'avait, croyait-on, reconnu de si près sur la route de Pellouailles à Trélazé l'armée royale que pour l'aller aux Ponts-de-Cé plus sûrement combattre. Mais, en fait de témoignages d'attachement à la cause de Marie de Médicis, nous n'avons là que la parade. Laissons passer ce premier groupe de la grande chevauchée générale de l'état-major des rebelles vers son dernier champ de bataille, et allons-y demander un peu plus loin la sincérité. La voici toute chez le duc de Nemours, associé de force à Vendôme dans la solidarité officielle de l'échec du Verger, mais à qui il n'avait pas tenu qu'aujourd'hui encore on arrêtât Louis XIII sous les murs de La Flèche. La sincérité, elle est là toute chez le rude mais l'énergique Boisdauphin, qui décidément, par un éclair passager de rajeunissement guerrier, semble n'avoir, sous les murs d'Angers, enchaîné l'élan précoce de son généralissime que pour lui dérober ses effluves. Plus loin, la sincérité anime le digne cousin de Richelieu, Pontchâteau, et le digne fils d'Épernon, Candale, dont ni la fière diplomatie collatérale ni l'autonomie paternelle ne désavoueront l'ardeur ; elle emporte enfin l'aventureux Saint-Aignan vers l'issue dramatique où il se rachètera de la connivence avec Marillac et Boisdauphin dans les brigandages de Vendôme. Marillac lui-même, partout ailleurs si inconsistant, Marillac, tour à tour au quartier-général angevin l'accusateur et le principal complice des Vendôme, Marillac retrouvait toujours sur les champs de bataille toute sa franchise et sa netteté d'allures. Comme il avait été durant la nuit précédente le premier qui accourut à Pellouailles, dès le retour de Pellouailles, et encore presque à l'aurore, il avait aux Ponts-de-Cé devancé tout le monde. Aussi, grâce à lui, et durant toute la matinée, aux approches du bourg de Saint-Aubin l'on s'ordonna vite pour le combat du jour. Pour la délimitation du théâtre de ce combat plaçons-nous au point de vue de l'armée des rebelles[25]. Adossés à une tranchée joignant en ligne droite l'abside de l'église de Saint-Aubin, avec le cimetière adjacent, à l'embouchure de l'Authion qui, à cette époque antérieure à sa canalisation, se jetait dans la Loire à trois cents mètres au-dessus du pont de Saint-Aubin[26], ils avaient derrière eux les Ponts-de-Cé, et devant eux une grande prairie longue d'un kilomètre, allant vers le bourg de Sorges jusqu'à une butte schisteuse où s'élève le village des Maisons-Rouges. Cette prairie était bornée à droite, c'est-à-dire au sud, par la Loire et l'Authion, et à gauche, c'est-à-dire au nord[27] et du côté d'Angers, par un fossé garni de haies vives. Elle était sillonnée par un ruisseau dont ce fossé forme en partie le lit et dont s'alimentait aux approches du bourg le marais aujourd'hui desséché de la Guilbotte ; et elle était en outre, en parallèle avec la tranchée, coupée au milieu par un rideau d'alisiers et de léards. En conformité de ces dispositions locales, et en s'en tenant toujours à cette sollicitude dominante de la défense de Saint-Aubin, il en fallait surtout garnir les approches. Tout en laissant au château des Ponts-de-Cé la garnison de Bettancourt ; tout en colloquant sur le pont de Saint-Aubin le mestre-de-camp de la cavalerie légère Saint-Aignan et les officiers La Mazure et Gaston avec la gendarmerie de Marie de Médicis, et le cornette Du Thier avec quelques chevau-légers, Marillac, à la faveur du rideau d'alisiers qui masquait les préparatifs des rebelles au regard des éclaireurs de Louis XIII, avait reparti tout ce qu'il avait de forces en mains le long de la tranchée. A savoir, à cette extrémité droite qu'en un intervalle d'inachèvement une seule barricade non remplie rattachait à la Loire, et sous lé feu plongeant de la batterie du pont de Saint-Aubin, il est vrai servie par de mauvaise poudre et mal assise faute d'assujettissement sur une plate-forme, était posté derrière une première redoute le régiment de Carmen avec les gendarmes de Du Bellay et de Retz. Au milieu, derrière une redoute centrale, à couvert d'une barricade fermant une des principales rues du bourg et sur des terre-pleins contigus, six bataillons formés des troupes de Retz, du mestre-de-camp Boisguérin, des barons de Sainte-Gemmes et de Cholet. A gauche, derrière trois lignes de barricades ; sous la haute clôture du cimetière formant avec l'extrémité nord de la tranchée un angle obtus flanqué d'une troisième redoute, le régiment du marquis de Thouarcé. Plus loin, en un coude du fossé bornant au nord la prairie, et auquel nous attacherons du nom du marais voisin l'appellation de la Guilbotte[28], on avait farci la haie, profonde de douze pieds, d'un peloton de cinq cents tirailleurs, malheureusement trop fraîchement levés, mais disposés sous le maréchal de camp Flosselière en deux lignes mi-parties d'arquebusiers et de mousquetaires ; et ils étaient protégés, en avant du fossé, par soixante carabins que flanquaient en deux ailes deux pelotons, chacun de trente cavaliers : le tout formant cent vingt hommes. Enfin en avant de. la tranchée étaient postés trois bataillons. Appuyés à de telles lignes de défense, ces trois bataillons, dès que l'armée royale, par son itinéraire tout désigné de Sorges et des Maisons-Rouges, s'avancerait dans la prairie, la devaient attaquer de front, tandis que, des deux extrémités de la tranchée, s'attacheraient à ses deux flancs à la fois et les tirailleurs de la Guilbotte et, sous la protection de la batterie de Saint-Aubin, la cavalerie des bords de la Loire. Mais pour donner lieu à réaliser un tel plan d'attaque, il fallait supposer que l'armée royale eût dépassé les Maisons-Rouges. Or, une fois les rebelles rangés en bataille au front et aux deux issues de la tranchée, il n'avait pas tenu à Marillac d'envoyer de là devancer l'ennemi dans l'occupation de ce poste dominant la prairie. Dès son arrivée aux Ponts-de-Cé, et peu après la reconnaissance nocturne entreprise par Soissons sur la route d'Angers à Pellouailles et poursuivie par Retz sur celle de Pellouailles à Trélazé, en sens inverse Marillac d'abord ; sans autre but que d'éclairer cette fois par les Ponts-de-Cé les avenues de Trélazé, y avait envoyé à son tour Saint-Aignan prendre langue avec cinquante chevaux. Mais comme, lors de l'équipée tentée sur cet ordre, l'armée royale n'avait pas encore dépassé Trélazé, en cette direction la fougue aventureuse de ce chevalier errant battit dans le vide. Pour achever d'égarer là-dessus les conjectures des rebelles, sur une autre direction d'autres éclaireurs, se méprenant sans doute sur ce détachement de Praslin qui de Saumur aux Ponts-de-Cé balayait le bassin de la Loire, crurent voir au point central de cette zone l'armée royale s'acheminer, pour s'en assurer la perméabilité moins disputée là qu'aux Ponts-de-Cé, vers l'étape fluviale des Rosiers. D'autres, quand déjà l'ennemi a dépassé Trélazé, abusés sur des tâtonnements ou des malentendus qui l'attardent entre Trélazé et Sorges, le croient retourné vers Angers. Et puis enfin, après Saint-Aignan, une escouade de relevée relancée sur ses traces annonce que décidément la tête de l'armée royale s'avance vers Sorges, qu'une lieue seule sépare des Ponts-de-Cé. Marillac n'y tient plus. Emmenant avec lui Nemours, son fidèle tenant de la Flèche, avec un groupe d'élite, il les poste au milieu de la prairie allant de Saint-Aubin aux Maisons-Rouges. Et puis, aidé de son expérience locale et s'accompagnant de Senneterre et de Retz, lui-même pousse à la découverte vers Sorges. Mais à peine a-t-il dépassé les Maisons-Rouges, qu'entre ce dernier poste et l'étape déjà abandonnée de Sorges, au débouché de la forêt de Belle-Poule, Marillac aperçoit toute l'avant-garde de l'armée royale qui, sans doute pour défiler par d'étroits sentiers plus à l'aise, avait rompu les rangs ; car, en tirant de sa droite à sa gauche vers les Ponts-de-Cé, elle forçait le pas en désordre. Aux yeux de Marillac, et pour peu qu'il se sentit en force, avant que l'ennemi eût réformé ses rangs c'était le cas de l'aller arrêter ou même refouler sur la lisière de la forêt, afin de le devancer plus sûrement par là dans l'établissement aux Maisons-Rouges. Il s'empresse donc d'expédier Retz en arrière, pour avertir dans la prairie Nemours, et aller de là jusqu'aux Ponts-de-Cé solliciter de Vendôme, avec une escouade de chevau-légers, le renfort des trois bataillons postés, ainsi qu'on l'a vu, au pied même et en avant de la tranchée. Retz, qui depuis sa reconnaissance de Pellouailles a toujours soutenu au grand jour sa mine martiale ; Retz, qui pour accompagner Marillac avait enfourché au hasard le premier cheval venu, l'embrasse, lui jure de revenir combattre à sa suite. Mais sur les entrefaites, vers midi, Vendôme a reçu de Marie de Médicis, enfin contrainte de divulguer les démarches de ses ambassadeurs — et d'ailleurs l'intransigeante cabale n'a plus le temps d'accourir des Ponts-de-Cé ou des glacis d'outre-Maine au Logis-Barrault pour entraver leur voyage —, Vendôme a reçu de Marie de Médicis, avec l'avis et l'explication de l'envoi à Trélazé de Bellegarde, l'ordre d'un sursis d'hostilités au moins jusqu'à son retour. Et cet ordre, fraichement apparu dans sa promulgation officielle, Vendôme s'est avancé jusqu'au détachement de Nemours, quand il avait presque atteint les Maisons-Rouges, pour le lui transmettre et par là prévenir Marillac. Mais pour Marillac il n'y a point de sursis, dès lors qu'il en croit voir sur l'horizon de Belle-Boule la réciprocité ouvertement enfreinte. Il s'en revient donc vite aux Maisons-Rouges retrouver Nemours, pendant que Vendôme retourne à Saint-Aubin. Et, une fois débarrassés des importunités de ce trouble-fête en. partie double qui, à la fois dans son intransigeance d'exploiteur et dans ses trépidations de couardise, et tour à tour au Logis-Barrault, à La Flèche et aux Ponts-de-Cé, entrave avec une égale inquiétude la diplomatie et la guerre, une fois, dis-je, débarrassés de Vendôme, Marillac et Nemours s'animent à passer outre à l'occupation des Maisons-Rouges. Et au besoin, pour les disputer à l'ennemi qui s'approche, Nemours dispose ses forces en attitude d'agression. C'est à savoir, son groupe de gentilshommes en tête, avec Pontchâteau à sa gauche ; aux deux ailes les gardes de la reine-mère ; puis, un peu en arrière, deux escouades de chevau-légers : le tout en pointe de flèche. On attend cependant, comme point d'appui, les trois bataillons rangés au pied de la tranchée, et qu'on espère que Retz, dont le dernier serment d'indéfectibilité vibre encore aux oreilles de Marillac, lui amènera malgré Vendôme. Mais Retz ne revient pas ; et ces trois bataillons si fiévreusement attendus, évacuant la prairie, ont repassé la tranchée. C'est que sur les entrefaites un grave événement, en désorganisant l'armée rebelle, en précipitait la ruine. A propos de la publication du manifeste, à si grand'peine étouffé par Richelieu, qui suivit à Angers l'arrivée des Soissons, nous avions soupçonné sous une notable défection de signatures bien des négociations clandestines de seigneurs rebelles avec la cour. L'un des plus engagés dès lors dans cette diplomatie de ténèbres, qui le croirait ? c'était l'homme que, avant de le perdre de vue dans la prairie de Sorges, nous venons de surprendre avec Marillac en si haute veine d'éruption chevaleresque. L'ambitieux, le remuant et l'avantageux duc de Retz appartenait à une race déjà brillamment établie en cour, puisque son oncle y siégeait au conseil sous cette pourpre romaine que désormais les Gondi, durant un demi-siècle et jusqu'à l'immortel factieux de la Fronde, se passeront l'un à l'autre comme un lustre de famille. Or, sur cet .horizon d'honneur, l'opulent mais obscur châtelain de Beaupréau voulait à tout prix marquer sa place, en se dégageant de la pénombre de ses bocages et du dédale de ses marais de Vendée. Et à cet égard, voyant trop d'encombrement aux avenues du Louvre, il s'était jeté dans l'insurrection de la reine-mère afin de pouvoir plus vite, grâce aux vieilles privances florentines des Gondi avec les Médicis et dans l'illustre cortège de ses voisins du Poitou, Rohan et La Trémouille, conquérir son relief. Non que pour cela Retz répudiât tout retour vers la cause royale. En prenant place dans l'état-major de Marie de Médicis, il y débattait son rang sans fermer l'oreille d'autre part aux sollicitations avunculaires, entretenant ainsi de mutuels enchérissements sur l'orientation de ses démarches entre deux partis également soigneux de le regagner ou le retenir. Du côté de la cour, on ne sait jusqu'où Retz éleva comme prix de son rengagement des exigences jusqu'à la dernière heure persévéramment rejetées. Mais, dans le camp opposé, il ne réussit pas mieux avec Marie de Médicis. Car d'abord, dans la distribution des grands commandements de l'armée rebelle, on lui préféra Marillac. Et plus tard, quand au Logis-Barrault s'ouvrit avec les ambassadeurs du nonce, avant leur départ pour La Flèche, la discussion des préliminaires de paix, en vain Retz y voulut faire insérer l'article d'une augmentation de ses garnisons de Machecoul et de Belle-Ile. Marie de Médicis s'en dut défendre en alléguant tout haut la tardivité de sa requête. Au fond, c'est que si la reine-mère avait exclu de l'assistance à ces pourparlers du Logis-Barrault, hors les Soissons, toute son adhérence insurrectionnelle, ç'avait été pour ne pas compromettre avec la cour une réconciliation déjà si laborieuse, en laissant de partout s'introduire autour d'elle, au projet de paix dressé pour La Flèche, les plus indiscrètes sommations. Mais là-dessus sa péremptoire fin de non-recevoir ne rebuta point cet équivoque et arrogant séide. Ne s'imaginant pas qu'une paix d'une gestation si ardue, que pour la faire agréer en cour Marie de Médicis on avait cru devoir élaguer les récompenses de ses défenseurs, pût être conclue avant l'imminente bataille dont nous l'avons vu lui-même à Pellouailles dénoncer la menace et signaler le théâtre, Retz espérait par quelque exploit décisif s'imposer à sa souveraine pour enlever d'assaut, en cette liste préparatoire de rentrées en grâce qui jusqu'ici lui demeurait toujours close, une place d'honneur. Et voilà ce que Retz, en étreignant de son accolade forcée en la prairie de Sorges son compétiteur préféré de l'état-major angevin, et en courant de là, en vue de l'occupation des Maisons-Rouges, lui prêter main-forte, voilà ce que Retz escomptait déjà de ses chimères de victoires, quand au pied des tranchées de Saint-Aubin Vendôme l'accosta avec l'avis du voyage à Trélazé de Bellegarde et de l'ordre de sursis de la reine-mère. Aussitôt voilà Retz furieux de ce qu'on l'évince de son champ de bataille pour l'emprisonner dans la défense d'un fossé. Il jure et tempête, s'écrie que cette paix, dont on lui a fait l'affront de l'exclure, il n'en veut pas voir, les bras croisés, se consommer l'œuvre à sa barbe ; que ce serait là boire toute sa honte et que, pour s'y soustraire, il n'a plus qu'à vite déguerpir. Et de suite, sourd aux supplications des amis qui le veulent retenir, en le conjurant d'attendre de pied ferme un ennemi qu'aucun sursis, disent-ils, n'arrête, puisqu'à deux reprises lui-même, à Pellouailles et à Sorges, vient d'en dénoncer — l'approché, il repasse dans la tranchée : A moi ceux qui m'aiment. Sauve qui peut. La paix est faite. Vive le roi ! cria-t-il en relevant son ton engageant d'un geste impératif. A ce signal tout son état-major, ses chevau-légers, son régiment de la Jousselinière et jusqu'aux bataillons de Sainte-Gemmes[29], tambour battant et enseignes déployées, tournent casaque vers la Loire. Mais à peine arrivés au premier des deux grands ponts qui les séparent de la rive gauche, et sur le point d'en franchir le pont-levis, ils le voient se lever devant eux. Et, du haut des créneaux du château, dont la menace de partout les domine, avec l'apostrophe : Arrière, canaille ! s'abat sur eux une soudaine canonnade qui déjà les entame, quand Retz, apercevant au pied même du pont-levis le gouverneur du château Bettancourt qui lui est venu jusque-là barrer le passage, le convie à un secret colloque, soi-disant pour des explications sur sa démarche. L'imprévoyant gouverneur, pour aller s'aboucher avec Retz ou, disons mieux, pour donner plus vite dans le piège, arrête le feu, rabaisse et franchit le pont-levis. Aussitôt, par cette issue imprudemment rétablie soi-disant jusqu'à la rentrée de Bettancourt, que Retz cependant tire à l'écart, nos déserteurs se précipitent et passent outre, et, sous les créneaux silencieux du château, sans encombre atteignent la rive gauche. Pendant ce temps Retz, qui avait toujours maintenu dans son aparté d'amusement le gouverneur abusé jusqu'à l'intégral défilé de ses hommes, par ces traverses abattues devant eux les a rejoints pour les réacheminer vers son domaine de Beaupréau. Il est vrai que peu après, lorsqu'on lui vint dire que cet ordre de sursis, qui lui avait si fort secoué la bile, n'avait point suspendu les hostilités et que fatalement s'engageait la bataille, il se retourna comme pour y aller reprendre sa place. Mais il avait poussé trop loin sa fuite pour y revenir à temps. Et puis son ravivement de griefs envers Marie de Médicis invinciblement le poussait en avant. Et tandis qu'en leur dispersion générale ses hommes tout éperonnés s'empêtraient et s'égaraient dans les inextricables fourrés des Mauges[30], Retz, rejeté seul dans une impasse de trahisons d'où se dérobait de partout à lui son salaire de rebelle ou de transfuge[31], alla vite enfouir ses promesses d'avenir en son noir donjon de Beaupréau, qui ne se rouvrira qu'un demi-siècle après comme un immortel asile au génie errant de la Fronde. Cependant la désertion de Retz, en dégarnissant les tranchées de tous ses chevau-légers et de son régiment de la Jousselinière, en tout quinze cents hommes, y avait créé dans la ligne de défense une criante lacune. Car, à supposer même que l'approche de l'armée royale ne pût être interprétée comme une rupture de la trêve annoncée par Vendôme à Retz jusqu'à la promulgation officielle de la paix que Bellegarde allait chercher à Trélazé, il fallait, en deçà des tranchées, se maintenir dans une imposante défensive. C'est là où s'évertua ce même Vendôme qui ne savait plus quels éblouissements projeter non pas peut-être sur sa trahison, car y a-t-il trahison envers ceux qu'on délaisse sans les frustrer par là de sérieux services ? mais en réalité sur les dernières phases d'une défaillance dont il n'avait pas même la franchise. A peine avisé de l'ordre de sursis de Marie de Médicis, on peut juger avec quel éclat il le proclama dans les tranchées commises à sa garde. C'est que, tout en se prévalant pour ses honteux calculs d'une telle couverture, il l'étalait aux faux intransigeants de sa cabale comme une cible d'anathèmes. Et, sans peut-être avoir par là provoqué sur le chemin de la Vendée le départ de Retz, il se garda bien de le retenir. N'était-il pas trop heureux de voir par là cette reine qui, dans sa diplomatie à huis clos du Logis-Barrault, avait si peu compté en lui ce sang royal qu'il ne tenait pas d'elle, militairement sombrer dans sa ruine, dans une ruine dont lui, Vendôme, au surplus, se lavait les mains encore moins haut, s'il est possible, vis-à-vis de Marie de Médicis que du plus ostensible de ses déserteurs ? Car plus, dis-je, Vendôme s'applaudissait tout bas du départ de Retz, plus il affectait bruyamment d'en pallier les suites. D'abord, en passant tout armé de pied en cap devant les gendarmes de la reine-mère préposés à la garde du pont de Saint-Aubin, il s'approcha du commandant la Mazure et de l'enseigne Gaston, les plus proches mais les inébranlables témoins de la fuite de Retz. L'ennemi approche, leur cria-t-il. Aussi, vous tenant pour gens d'honneur, je viens combattre à votre tête et mourir avec vous. Puis, sans même attendre leur réponse empressée à cette imposante mise en demeure, il passa outre. Et pour combler le vide laissé dans les tranchées par le régiment de la Jousselinière, Vendôme pressa le rappel de ces trois bataillons de la prairie si anxieusement attendus par Marillac en vue de l'occupation des Maisons-Rouges. Avec ce renfort par là si vite retiré à ses sollicitations, échappa à l'ardent maréchal de camp et à son persévérant auxiliaire Nemours ce poste essentiel que leur retraite forcée dut livrer à l'ennemi, pour mieux assurer sa victoire. Car aux yeux des rebelles l'abandon des Maisons-Rouges ne sauvait pas les tranchées de Saint-Aubin. Vendôme le savait bien. Mais d'ailleurs on ne sait ce dont il jubilait le plus, ou de voir échapper avec Saint-Aubin les Ponts-de-Cé à Marié de Médicis, ou de dérober ces fameuses Maisons-Rouges à Marillac et à Nemours : à Marillac qui lui était moins docile sur les champs de bataille que dans les corps de garde ; à Nemours, à qui Vendôme ne pardonnait pas les leçons d'indéfectibilité datées des remparts de La Flèche. Voilà pourquoi, après l'insuffisant regarnissement de la défense des tranchées, au lieu de garder ce poste où désormais se concentrait militairement tout le peu d'espoir de Marie de Médicis, à peine Vendôme eut-il arpenté dans toute sa longueur cette mémorable ligne, en y affichant à tous les vides créés tour à tour par son imprévoyance de stratégie et ses perfidies de cabale son rengorgement de sauveur et de redresseur, qu'avec son petit groupe de complices il s'en alla bien à l'écart se croiser les bras dans la grande prairie qui, en aval des Ponts-de-Cé, confine à Sainte-Gemmes. De là il put contempler à son aise la consommation d'un désastre dont il croyait esquiver le reproche en en dégageant son nom. Mais de flagrantes corrélations fraternelles aujourd'hui de ce chef l'incriminent. A voir du bassin de la Loire à celui de la Maine, et des terrassements de Saint-Aubin aux glacis de Saint-Nicolas, le duc César et le grand Prieur échanger du regard leur muette consigne d'immobilité, on n'en est plus à interroger cette immobilité comme un hiéroglyphe, ou leur silence comme une énigme. Leurs deux infidélités s'enchaînent et s'expliquent. Dès le départ pour Trélazé de Bellegarde, César et le Grand Prieur se sont entendus pour tacher la reine-mère sans qu'on les puisse, croyaient-ils, accuser de la trahir. Mais, d'ailleurs, des Ponts-de-Cé à Sorges et d'un camp à l'autre, pst-destins ces malheureuses tranchées dont on va Voir qu'eut yeux des rebelles on ne sait ce qu'il faut le plus déplorer ou de leurs lacunes, ou de leur abandon, où de leur regarnissement de parade, il semble que la défection et la perfidie se soient, donné la main pour achever d'accabler Marie de Médicis. C'est le montent de revenir à l'armée royale ciné, Sur la route de La Mèche aux Ponts-de-Cé, et sauf l'y entrevoir â de rares intervalles, nous avons cessé de suivre de prés dès l'étape du Verger. Une fois échappée sans encombre eux deux alertes successives du Verger et de Pellouailles, l'armée royale, par le Plessis-Grammoire, Foudon et Saint-Barthélemy, avait, comme nous avons vu, atteint le vendredi 7 août, dés dix heures du matin, le poste de Trélazé. C'est là que les ambassadeurs du nonce, avertis dès La Flèche de la marche aux Ponts-de-Cé de Louis XIII, et à Angers sans doute renseignés par Richelieu sur les dernières étapes de son Itinéraire — car ils se gardèrent d'interroger au-dessus d'eux-mêmes l'état-major angevin, dont ils esquivaient la rencontre pour n'ébruiter pas leur démarche —, c'est lit que lés ambassadeurs du nonce devaient rapporter au pied des préliminaires de paix la signature si anxieusement attendue de Marie de Médicis. En attendant, dès que Louis XIII, parti du Verger dès six heures du matin, eut au rendez-vous général de toutes ses forces rejoint son avant-garde, soucieux d'atténuer la rigneur de l'ultimatum imposé par Condé dès La Flèche aussi bien à sa tendresse filiale aux sollicitudes réconciliatrices de l'entremise sacerdotale, il avait prolongé jusqu'au lendemain le sursis d'hostilités, et, terne par une suite de l'octroi d'une trêve aussi opportune, tes troupes royales ne devaient-elles pas aussi suspendre leur marche ? Ne devaient-elles pas en toute convenance attendre à Trélazé même l'apparition du message qui les y devait désarmer ? C'est du moins la considération que dès l'arrivée à Trélazé insinuèrent à Luynes, pour la faire agréer pour lui à Louis XIII ainsi qu'il avait déjà fait dans doute le sursis d'hostilités, les membres les plus influents du groupe diplomatique de son conseil. En échangeant, lui dirent-ils, dès aujourd'hui cette étape éventuelle de réconciliation contre l'incandescent voisinage des Ponts-de-Cé, dès aujourd'hui vous recherchez une inévitable occasion de combat. Et cependant, nulle part mieux qu'en vous interdisant une aussi imprudente démarche vous ne sauvegardez vos intérêts liés au rétablissement de la paix. Il y va aussi de votre réputation de ne vous pas laisser entraîner malgré vous sur un champ de bataille. Cette dernière insinuation visant l'accaparant et fougueux Henri de Bourbon. Ses implacables artifices de La Flèche, en vue de la plus radicale des solutions militaires de la guerre civile, venaient d'être, ce semble, invinciblement déjouée par la trêve imposée à ses rancunes. Mais, pas plus à Trélazé qu'au Mans et à La Flèche, en rongeant son frein il ne se résignait à baisser pavillon devant Luynes. Sans enfreindre ouvertement la consigne royale d'immobilité, au moins il compléta de l'éluder. Et, ne pouvant lui-même séance tenante, donner le signal de la bataille, il visa de suite à provoquer entre les deux camps comme une escarmouche par où s'entamerait en un fatal engrenage l'action générale. Dans ce but il fallait attirer auprès des tranchées de Saint-Aubin, avec les forces royales, tout leur état-major, afin d'engager par là sans retour la cause royale dans son perfide calcul. Il fallait du même coup mettre entre l'ambassade du nonce, en la supposant d'ailleurs arrivée sans encombre à Trélazé, et un quartier général si brusquement déplacé de cette dernière étape, toute la distance séparant Trélazé de Sorges ou des Ponts-de-Cé. Henri de Bourbon capta donc tour à tour la fibre guerrière de Louis XIII et la vanité politique du favori jaloux d'opérer lui-même sa réconciliation filiale, par l'alternante flatterie de cet insidieux dilemme : Si les ambassadeurs ne nous reviennent d'Angers qu'avec l'annonce d'un échec qui sera en même temps la rupture d'une trêve, en ce cas nous n'aurons jamais assez tôt gagné le champ de bataille où nous attend la victoire. Si, au contraire, ils nous reviennent avec la paix, en s'établissant à l'heure même de sa conclusion au pied des tranchées de Saint-Aubin sans brûler une amorce, on se donne l'apparence de l'avoir imposée rien qu'avec l'épée à la main ; et la diplomatie elle-même peut-elle mieux que dans la force, en même temps que dans l'innocuité de cette péremptoire démonstration militaire, rehausser son triomphe ? Le triomphe de la diplomatie sous les armes ! En poussant cet argument au soldat de cabinet en qui déjà sans doute perçaient les visées à la connétablie, Henri de Bourbon l'attaquait, à cette apogée de son ambition, par son endroit le plus faible. Non qu'aux mains de Luynes, et durant la série de sièges qui marqueront sous Louis XIII nos dernières guerres de religion, le bâton des Montmorency et des Lesdiguières ait jamais paru sous le feu des citadelles huguenotes. Car à chacun de ces sièges la timidité de cet officier de volières et d'antichambres se réfugiera dans l'expédient d'ouvrir de dessous sa tente et comme par des galeries souterraines des intelligences dans la place. Mais en chacun de ces pourparlers occultes on verra aussi, dans une habile sécurité et dans sa coquetterie de favoritisme, notre diplomate empanaché jouer au généralissime. Or ce même alliage de gloriole, de faiblesse et de ruse qui bientôt nous apparaîtra en plein dans les circonvallations de Montauban, chez Luynes nous le percevons déjà dans la grande matinée dont nous retraçons les phases. Sans heurter de front l'impérieuse ouverture de son collègue, Luynes ne l'accueillit que pour s'en adjuger le bénéfice et lui en rétorquer le piège, avec tout l'avantage d'un précautionneux égoïsme sur l'aveugle emportement de la vengeance. Il y trouva le biais de s'isoler des périls et des responsabilités de la victoire sans en décliner le prestige. N'osant suivre Condé jusqu'aux Ponts-de-Cé et ne le pouvant retenir à Trélazé, il le laissa, comme par un dédoublement de la cause royale, s'avancer lui-même à ses risques et entraîner le roi vers son champ de bataille, tout en demeurant lui-même sur place à portée et dans l'expectative de l'ambassade angevine. Par là, d'ailleurs, cet habile courtisan ménageait au souverain dont il attendait au lendemain de la guerre civile le couronnement de sa fortune, la gloire d'un triomphe qui rejaillirait sur sa diplomatie propre. Et quant à Condé, il est vrai que Luynes, en l'associant de force au prestige de la victoire due à sa captieuse initiative, se l'associait à lui-même dans son rengagement de faveur. Mais non certes pour éterniser devant lui au Louvre en sa remuante personne les importunités de la prépondérance. Car, se disait-il, à chacun sa victoire. A l'écart de ce champ de bataille qu'il abandonnait à Condé, et où d'ailleurs il le savait impatient d'aller régner sans contrôle, Luynes se flattait de consommer à lui seul l'œuvre distincte de réconciliation dont Marie de Médicis lui serait à lui, autant qu'à Richelieu, surtout redevable, aussi redevable qu'à jamais offensée contre l'homme si déloyalement acharné à l'humilier et à la perdre. Et ainsi, par un revirement de sa tactique d'équilibre gouvernemental, Luynes, après avoir, au lendemain de sa captivité de Vincennes, orienté Condé contre Marie de Médicis, au lendemain de la victoire des Ponts-de-Cé orientera à son tour Marie de Médicis contre l'homme à qui elle aura toujours à reprocher cette victoire comme une trahison. Dans l'opiniâtreté des rancunes de Marie de Médicis, au grief désormais périmé de l'assassinat de Concini succédera le souvenir d'un désastre dont Luynes aussi bien que Richelieu lui eussent épargné l'amertume sans la violation flagrante des ménagements édictés envers elle par la révérence filiale. Marie de Médicis n'oubliera jamais qu'à ce désastre s'attachera surtout le nom de Condé. Par la même, en s'en prenant de ce qui faillit être sa ruine à celui qui la lui voulut si brutalement infliger, aux conseils du Louvre elle se trouvera toute rejetée du côté adverse. Et ainsi, au point de vue de ses anxieuses sollicitudes de pondération d'influences, on ne peut mesurer mieux toute la garantie souveraine dont s'assurait Luynes, qu'en envisageant au lendemain de la bataille des Ponts-de-Cé tout ce qu'au Louvre Marie de Médicis, escortée de Richelieu, y réinstallerait avec elle. Pour nous en tenir à l'heure actuelle, et conformément au moyen terme suggéré par Luynes entre sa délicatesse filiale et les impatiences de Condé, Louis XIII, toujours décidé à mettre en panne pour toute la soirée, au moins voulut assigner à ses troupes en vue des Ponts-de-Cé leur poste pour la lutte prochaine. Laissant donc à Trélazé, avec Luynes et le ministre des finances Schomberg, son conseil de gouvernement pour y recevoir les ambassadeurs du nonce et au besoin les acheminer vers lui, Louis XIII franchit le groupe des fameuses ardoisières qui ont popularisé le nom de Trélazé. Et après un peu de tâtonnement dans la direction d'Angers, en longeant sur les bords de l'Authion comme nous l'avons vu, devant l'impuissante constatation de Marillac toute la lisière de la forêt de Belle-Poule[32], il arriva jusqu'au-delà de Sorges, où s'ouvrait si inopinément à son occupation incontestée le village des Maisons-Rouges, et à un carrefour de ce village où cette route qui l'amenait de Sorges se bifurque dans les deux directions d'Angers et des Ponts-de-Cé. Car, malgré la déviation imprimée dès Pellouailles à la marche de l'armée royale, à l'étape de Sorges elle ne s'était pas tellement écartée d'Angers, qu'en atteignant le poste gardant le passage de la Loire elle eût perdu de vue les faubourgs du quartier général de la révolte. Aussi, en face des deux mites s'embranchant sur le plateau des Maisons-Rouges, ou, pour mieux dire, à ce point presque également distant d'Angers et des Ponts-de-Cé, un instant l'état-major de Louis XIII revint sur la décision du conseil de guerre de La Flèche en se demandent si, au lieu d'aller devant soi se heurter tête baissée aux tranchées imprévues de Saint-Aubin où affluaient, disaient-ils, toutes les forces angevines, il ne valait pas mieux se rejeter a droite sur leur grand arsenal par là même pris au dépourvu dans son dégarnissement presque intégral. Mais à cet égard, pour dissiper les dernières irrésolutions du jeune roi et militairement le fixer dans son objectif originaire, à ses yeux l'on n'eut qu'à opposer à ce qu'on lui exagérait de la désertion des remparts d'Angers l'inachèvement des tranchées de Saint-Aubin, par là, lui dit-on, s'ouvrait d'elle-même à lui cette vraie solution de la guerre civile dont rien ne le devait distraire. C'est aux Ponts-de-Cé, c'est à ce seul passage qui demeurait encore libre à Marie de Médicis que devait se consommer la dislocation de ses forces ; et du même coup tomberait aux mains respectueusement triomphantes du vainqueur de La Flèche, en toute son inviolabilité, l'asile maternel. Au fond cette consultation suprême était tout ce que demandait Louis XIII pour maintenir jusqu'au bout son élan victorieux dans son rayon d'infléchissement ; et cela, il est vrai, non sans mener de front, per égard pour la divergence des sollicitations dg son état-major, aven l'attaque des Ponts-de-Cé d'inquiétantes bien qu'inoffensives démonstrations d'Angers, et voilà aussitôt le jeune monarque à l'œuvre avec le surcroît de célérité, d'allégresse et d'assurance que lui vient de conférer son nocturne exploit du Verger. Après avoir, dans une lande située au pied et un peu à droite des Maisons-Rouges, dîné sous les ombrages environnant l'élégant manoir de Rivette[33], endossant sous le panache blanc son collet de buffle satiné, Louis XIII monta sur son cheval d'Espagne Ambreville pour armer toutes ses troupes et les ranger en bataille. Cette armée, en en déduisant le détachement qui de Saumur à Montjean balayait le bassin de la Loire, en en défalquant encore ce qu'elle avait depuis La Flèche réparti derrière elle en garnisons fluviales ; cette armée comptait, avec son accompagnement provisoire d'une dizaine de couleuvrines, six mille fantassins et huit cents cavaliers : en tout près de sept mille hommes, fourbus de leur veillée nocturne au Verger et d'une longue route fournie dès l'aurore, presque à jeun, sous la canicule, mais demeurés inébranlables, sauf des défaillances isolées, en leur humeur martiale. Heureux de ces belles dispositions que lui-même entretenait par la bonne grâce et la décision de son exemple, Louis XIII établit d'abord les couleuvrines, sous le fils de Sully, Rosny, général de l'artillerie, sur la butte des Maisons-Rouges. Puis, à l'abri de ce rideau d'alisiers qui, en traversant la prairie de Saint-Aubin, servait à la fois aux deux armées de ligne séparatrice et de protection, Louis XIII établit dans la direction des Ponts-de-Cé un régiment de ses gardes sous le commandement du Sis de Créquy Canaples, et de leur premier capitaine Droué ; les deux régiments de Picardie et de Champagne sous Zameth et Maurevel ; les chevau-légers du roi et de Monsieur sous Contenant et d'Elbene, Lopes et Eures ; quelques compagnies embauchées de Vendôme, du grand Prieur et de Verneuil sous La Boulaye, et enfin les carabiniers d'Arnauld. Le tout sous la conduite de quatre maréchaux de camp : Tresnel, l'habile Créquy, le vieil officier ligueur Nérestan et Bassompierre. En même temps, à la droite des Maisons-Rouges, à une portée de canon des premiers faubourgs d'Angers, sur une ligne d'un kilomètre s'étendant du prieuré de Saint-Augustin[34] au carrefour des Justices[35], où s'embranchent les trois routes d'Angers, de Trélazé et de Sorges, et sous le commandement spécial de Louis XIII assisté de Condé, un deuxième corps, le corps de réserve, composé d'un second régiment des gardes royales, des suisses de Bassompierre et des régiments de Piémont, de Navarre[36] et d'Estissac, faisait tête à Angers en une attitude de fausse diversion propre à arrêter sinon à refouler sur ses faubourgs méridionaux les forces angevines. Bien que, sur les entrefaites, on atteignit cette heure solennelle de midi visée dans l'ultimatum daté de La Flèche, il était toujours bien entendu que, même une fois établie aux Maisons-Rouges et là rangée en bataille, en principe l'armée royale se- maintiendrait dans sa consigne d'expectative. On attendait d'ailleurs d'ici à la nuit suivante, comme complément des dix couleuvrines postées aux Maisons-Rouges, l'arrivée, par la Loire, de l'artillerie d'Orléans et de Saumur ; et c'était une raison de plus pour qu'au moins jusqu'au soir on restât en panne. Mais ce n'était pas pour cela que Condé avait poussé si loin hors de Trélazé l'armée royale. Et en se confinant dans le poste de Rivette, aux confins des deux corps d'attaque et de diversion, il ne s'était pas attaché à Louis XIII rien que pour surveiller en sa personne, ainsi qu'on le faisait à Angers en celle du jeune Soissons, dans les phases de l'imminente bataille le ménagement du sang royal. Sans en comploter davantage — on l'en a sans doute calomnieusement soupçonné — le hasardement machiavélique, Condé, pour attaquer en Louis XIII cette immobilité filiale qui tenait si persévéramment depuis La Flèche ses vengeances en échec, n'avait pas encore épuisé sur lui ses insufflations tempétueuses. A toute force il voulait brusquer la conflagration générale et mettre aux prises les deux armées adverses en attisant les conflits d'avant-garde, à cet égard, il avait beau jeu en l'absence de Luynes, qui ne lui épargnait l'ennui des temporisations que pour le laisser malignement s'enferrer dans sa vengeance. Il avait spécialement beau jeu dans l'indétermination d'une trêve trop soudaine, de trop fraiche date et d'une divulgation trop dangereuse — il s'agit toujours du sursis imparti à La flèche à l'ambassade angevine — pour avoir été entre les deux quartiers généraux l'objet d'un débat en règle et d'une notification mutuelle. Par là cette trêve pour ainsi dire unilatérale lui semblait ouvrir aux belligérants de proche en proche, en des tâtonnements préliminaires d'escarmouche, des échappatoires d'agression décisive. Et c'est dans cette chère perspective qu'à Rivette et vers cette heure de midi assignée, croyait-il, sans appel en la présomptueuse rigueur de son ultimatum, Condé lança vers les tranchées de Saint-Aubin Nérestan et Zameth en une équipée de cavalerie soi-disant de pure observation. Puis, apostrophant impétueusement son état-major : L'armistice octroyé par Sa Majesté aux rebelles, insista-t-il, ne nous lie envers eux qu'à charge de réciprocité. Autrement nous sommes dupes de nos engagements et nous nous livrons à eux pieds et poings liés. Or, en retour du sursis dont hier on leur rapportait de La Flèche la loyale assurance, qu'avons-nous obtenu de leur part ? Ne nous ont-ils donc pas encore, depuis lors, assez harcelés de leurs provocations impunies au Verger, à Pellouailles, à Sorges, aux Maisons-Rouges ? En violant par là tant de fois cette trêve émanée de la mansuétude royale, ils en répudient le bénéfice et en dénoncent la rupture. A cet égard, l'absence de toutes nouvelles de leurs ambassadeurs, à une heure si avancée de la journée, nous en dit assez. Leurs démonstrations pacifiques n'étaient pour nous que les arguments d'un piège. Qu'attendons-nous pour nous en déprendre l'épée à la main ? Nous voici sur leur champ de bataille. Nous n'ayons pas dépassé de si loin Trélazé pour piétiner ici dans une risible expectative. En avant donc ! Ouvrons l'attaque. À ce moment, comme par un ménagement de coup de théâtre, arrive Zameth, qui, après avoir poussé sa reconnaissance jusqu'au pied des tranchées, en rapporte cette constatation décisive : Le fossé n'est ni large ni profond, à en juger par le talus de relevés dont la crête laisse à découvert ses défenseurs jusqu'aux genoux. Le long de la Loire, l'inachèvement de la tranchée laisse un grand espace vide. Mais surtout — car déjà se décelait tout ce que la trahison de Retz avait, dans l'armée rebelle, causé de perturbations et de lacunes —, on voit sur les ponts de la Loire défiler vers la rive gauche les enseignes d'un régiment ; et tout le long de la tranchée un grave remaniement dans la répartition d'un service fraîchement dégarni, s'accuse dans le pêle-mêle d'un entrecroisement de piques. Une si soudaine atteinte à l'organisation primitive, déjà par elle-même si vicieuse, de la défense des Ponts-de-Cé, répondait juste à la véhémence des impulsions adverses. Et pour ainsi dire de ce même souffle impérieux dont il poussait en avant l'armée royale, Condé semblait ouvrir à son élan de trop sûres perspectives pour qu'autour de lui le rapport de Zameth tombât dans le vide. Vite là-dessus on s'achemina de la butte des Maisons-Rouges vers la tranchée de Saint-Aubin, il est vrai non sans encourir, dans le trajet par la prairie médiale, plus d'un sérieux péril. D'abord, en descendant des Maisons-Rouges dans cette prairie par le grand chemin de Sorges aux Ponts-de-Cé, on y lança en avant les enfants perdus, séparés des deux moitiés du reste de l'armée, à droite et à gauche, par deux fossés latéraux qui, au cas d'une attaque imprévue, eussent coupé ainsi en deux reprises leurs communications mutuelles. Pourtant, malgré cette disposition vulnérable, sans doute dérobée aux rebelles par le rideau de léards coupant la prairie, l'armée royale — et par là, jusqu'à nouvel ordre, nous entendons son aile gauche, la seule engagée d'abord directement contre les rebelles — arriva sans encombre à l'aboutissement du chemin de Sorges dans la prairie pour y opérer en sûreté, sous la direction centrale de Créquy assisté de Bassompierre, son déploiement régulier. D'abord on établit au centre, vis-à-vis le front de la tranchée, en cinq bataillons, sous Maurevel, le régiment de Champagne. A droite, vis-à-vis le coude de haie de la Guilbotte, sous Canaples, en cinq bataillons, l'un des deux régiments des gardes. A gauche, à l'extrémité opposée de la tranchée confinant à la Loire, sous Zameth, en cinq autres bataillons, le régiment de Picardie Le tout en quinze bataillons sur une seule ligne, alternés de piques et de mousquets, et qui, à la fois pour un déploiement de front plus imposant et pour une plus libre évolution, observaient des intervalles égaux à leur épaisseur. En tête de chaque régiment, une centaine d'enfants perdus, à savoir : ceux des gardes, sous Dreux et Malissy, assistés de Humières, Paluau, Nesle, Tessy, Valdaigne ; ceux de Champagne, sous le capitaine Guitant ; ceux de Picardie, sous l'enseigne Laprade. Aux deux ailes, le repartissement de soixante-dix cavaliers, sous Contenant et d'Elbene, Dreury, Eure et Lopes. Enfin, tout en arrière, marchaient les dix couleuvrines, composant alors provisoirement toute l'artillerie royale. Telle était au pied des tranchées la distribution, ce semble, définitive des forces royales, quand tout à coup leur principal ordonnateur Créquy s'avisa d'une malencontreuse gloriole qui, en en nécessitant le remaniement, y renouvela le péril. Créquy avait d'abord, dans l'alignement de ces forces le long de la tranchée, assigné au régiment des gardes, de par sa prérogative hiérarchique d'option exercée en faveur de son fils leur commandant Canaples ; il leur avait, dis-je, assigné la droite, en face de cette haie de la Guilbotte recélant le poste le plus avancé de l'ennemi ; et cela sans doute en vue du lustre que leur conférerait là, à première vue, l'initiative de l'attaque. Mais plus tard, jugeant qu'en face des tranchées le vrai poste d'honneur c'était l'attaque de front, il se ravisa pour échanger la droite contre le centre. Mais une telle évolution ne pouvait s'opérer sans un roulement général qui, rejetant du centre à la gauche le régiment de Champagne pour faire place aux gardes[37], par contre-coup reportait de la gauche à la droite dans le poste primitif des gardes le régiment de Picardie. Or, suivant les lois de la guerre, un régiment traversant ainsi pour son déplacement toute la largeur d'un champ de bataille doit passer derrière les troupes que l'implication dans le même circuit déplace le moins, afin de soustraire par là à l'ennemi ce que lui offre de prise, durant ce trajet oblique, marché de flanc et en file. C'est ce qui eut dû obliger le chef des bataillons, de Picardie Zameth, durant son cheminement transversal mesurant toute la longueur des tranchées, à s'abriter derrière la consistance relative observée en son simple écartement du centre à la gauche par le régiment de Champagne. Au lieu de cela Zameth, par une interversion de cette manœuvre de rigueur, allait atteindre et longer le front du rempart vivant et presque immuable qui en face de tranchées l'eût dû couvrir, quand Créquy le voyant presque engagé dans cette fausse démarche, dont le péril s'aggravait des premières volées de l'artillerie du pont de Saint-Aubin : Cousin, cria-t-il à Bassompierre, si l'ennemi charge, nous sommes perdus, Zameth passe devant Champagne. Aussitôt pour l'avisé Bassompierre ce ne fut qu'un jeu d'accourir à toute bride, de retenir dans sa marche latérale le régiment de Picardie jusqu'à ce que, en poussant celui de Champagne perpendiculairement vers la tranchée, il fait en ce sens avancer de toute sa mesure de profondeur. Et, du point de vue de l'itinéraire horizontal des forces périclitantes, en reportant ainsi de droite à gauche tout de qu'au regard du feu plongeant de la garnison ennemie elle leur assurait, par cet avancement vertical, de forces protectrices, Bassompierre n'eût plus qu'à laisser le régiment de Picardie, une fois abrité derrière les troupes dont il avait d'abord si dangereusement côtoyé le front, gagner intact, pour s'y reformer à l'aise, en face de la Guilbotte son poste de rechange. D'ailleurs, en cette critique évolution, au regard de l'armée royale le péril ne gisait pas au cœur même de la tranchée, ou la défection de Retz avait trop récemment désorganisé le service pour n'y paralyser pas vers la plaine désormais toute démarche offensive. Le péril, il n'émanait pas non plus de l'artillerie du pont de Saint-Aubin, quoiqu'elle eût donné dès l'approche de l'armée royale et à sa descente des Maisons-Rouges. C'était, en effet, une artillerie alimentée par de mauvaise poudre, compromise dans la sûreté du tir par le recul des pièces mal assises et la mobilité de leur objectif car jusque dans le chassé-croisé de leur contre-marche finale, les troupes qu'elles visaient dans la plaine l'arpentaient au pas de course ; c'était enfin une artillerie si maladroitement qu'en traversant cette plaine ses boulets dans toute leur portée y dépassaient les têtes de la hauteur d'une pique[38]. Non, le vrai périt, au regard de l'armée royale et en de flagrant bouleversement de sa distribution générale, s'attachait, ce semble, à une revanche directe de l'abandon des Maisons-Rouges. C'en eût été le cas en effet pour Marillac si, dès sa rentrée en ligne, et de ce poste de la haie de la Guilbotte confinant à la dernière et si laborieuse Collocation du régiment de Picardie, il y eût trouvé plus de jour. Mais d'abord il y eût failli pour cela un concours d'attaques visant les royalistes à la fois à leur centre et à leur flanc gauche ; et nous venons de voir ce plan primitif des rebelles déjoué par le départ de Retz. Et puis en avant de cette haie de la Guilbotte devenue pour les rebelles leur unique tête de ligne, et à part son garnissement de cinq cents mousquetaires relégués là désormais sous Flosselière en des expectatives d'embuscade, Marillac n'avait à lancer devant lui que leur protection volante de cent vingt cavaliers. Et cependant aux yeux de Marillac, en une plaine toute rase l'emploi d'une cavalerie tant soit peu forte, au regard de l'armée royale de ce chef si dépourvue, eût été sa plus propice manœuvre. Aussi, dès l'acheminement du régiment de Picardie vers la Guilbotte, Marillac n'osant, depuis le départ de Retz, dégarnir de cavalerie l'issue de la tranchée confinant à la Loire, et par la force de se retourner vers les réserves, quoique bien lointaines, du grand quartier général, songea-t-il à renforcer ses trois escadrons de la brusque arrivée de ces six cents chevau-légers du grand Prieur de Vendôme rivés à Angers en une si déplorable immobilité sur les contrescarpes d'Outre-Maine. Dans ce but, à travers la réserve royale atteignant de proche en proche par Saint-Augustin la route des Ponts-de-Cé à Angers, Marillac expédia au grand Prieur tant bien que mal maintes estafettes ; mais bien entendu, le grand Prieur qui, pour s'exempter de répondre à cet appel, semblait ne demander que son interception, désormais presque consommée, du champ de bataille par les lignes ennemies, ou ne les put recevoir ou ne les voulut écouter ni laisser revenir[39]. En dépit de cette détresse, le collègue de Marillac Senneterre, avec une prudence il est vrai mieux inspirée là que sur le chemin de la délivrance de Caen, ne l'eût qu'à grand peine retenu dans le hasardement de ses trois escouades, lorsqu'enfin Saint-Aignan, chez qui la torpeur où l'avait d'abord jeté cette annonce officielle d'armistice émanée de Vendôme comme une douche glaciale, s'est dissipée au bruit du canon de Saint-Aubin, accourt de son poste fluvial avec trente de ses carabins, et trente autres cavaliers des gardes de Vendôme marchant sous les ordres de Tassau. Avec ce renfort qui double presque la cavalerie, il est vrai trop tard pour rompre le régiment de Picardie qui sur les entrefaites s'est reformé, au moins Marillac, secondé des adroites manœuvres de Senneterre, put refouler une reconnaissance de cavaliers et d'enfants perdus poussée presque au ras de la haie. Et quand là-dessus les bataillons de Picardie l'allaient tout de bon entamer, Marillac, en deux charges vigoureuses dont leurs piques serrées, il est vrai, amortirent le choc, et que suivirent deux reculs d'environ cent pas qui le ramenèrent jusqu'au pied de la haie, au moins leur disputa assez chaudement le terrain pour sauver l'honneur de sa retraite. Acculé même à cette haie, Marillac eût tenté encore une dernière recharge, si derrière lui les mousquetaires eussent répondu à sa protection par plus de consistance. Il est vrai que d'abord, et grâce à la persistance de Senneterre et de Flosselière, à travers les trois escouades déchaînées sur elle l'armée royale essuya de la part de ces mousquetaires, jusque-là silencieux, une décharge assez nourrie pour blesser dans ses rangs le capitaine Devenne et plusieurs chevaux. Mais de ce côté il y eut riposte, renforcée de l'artillerie de Rosny parvenue à deux cents pas de la cavalerie rebelle, et favorisée de ce que lui conférait de sûreté dans le tir l'immobilité de son objectif pelotonné et stationnant dans le tournant de la haie, au lieu qu'à l'inverse la mitraille partant de ce dernier foyer s'égarait dans les larges intervalles de bataillons leur dérobant toute prise dans la continuité de leur marche. D'ailleurs, sur les entrefaites, cette aile droite de l'armée royale qu'après l'arrivée aux Maisons-Rouges nous avons vue aux Justices en attitude de diversion se tourner vers Angers, en voyant de ce dernier côté toute assistance rebelle invinciblement paralysée, avait reporté en grande partie cette diversion vers le préambule de la bataille déjà si fort engagée. Avançant dans cette direction à la dérobée à travers les bocages contigus de Saint-Augustin, du village de Moru et de Rivette jusqu'au revers de la haie de la Guilbotte, en contre-partie de l'attaque directe de l'aile gauche ils y surprirent à dos simultanément les mousquetaires en détresse. Et par là prises entre deux feux, ces levées de trop fraiche date, malgré l'intrépidité de leur chef, vite évacuèrent leur poste, aussitôt occupé par le régiment de Picardie, sans que cette cavalerie, qui d'abord avait si fermement protégé leur embuscade, pût maintenant qu'à grand'peine, à deux cents pas de l'artillerie royale, quoique toujours dans le même ordre et avec la même vigueur, couvrir leur fuite. Après avoir ainsi protégé dans cette fuite tout ce qui pouvait arrêter l'armée royale en sa marche jusqu'au pied de la tranchée, il ne restait plus à Marillac qu'à rentrer dans cette dernière ligne de défense, pour y jouer la partie d'honneur. Non que, en envisageant dans cette mémorable tranchée à la fois les solutions de continuité du parapet et le déficit de la garnison, il pût se flatter d'en repousser de face une attaque directe, favorisée du nouveau point d'appui conquis sous ses yeux. Mais au moins, en répartissant aux deux extrémités extérieures de la tranchée ce qu'il y ramenait avec lui de cavalerie, il pouvait encore à la rigueur non plus conjurer, mais au moins inquiéter de là cette attaque de front par deux diversions latérales. Dans ce but, après s'être attaché avec Saint-Aignan et Pontchâteau, assistés des carabiniers et des gardes de Vendôme, à cette extrémité septentrionale du talus par où il venait de s'y replier, il envoya à l'extrémité opposée son aide-de-camp d'Espoisse consigner Nemours, avec cinquante gentilshommes, le long de la Loire. Malheureusement Nemours allait retrouver là ce mauvais génie qui, depuis l'évacuation de La Flèche, l'obsédait de ses contagions de défaillance. Lors de la défection de Retz nous avons vu Vendôme, en s'érigeant en réparateur de ce désastre, en dégager bruyamment sa responsabilité. Mais sous le fardeau déjà pour lui si lourd des persévérances insurrectionnelles, Vendôme appréhendait moins encore pour son nom le rejaillissant opprobre d'une trahison relative, qu'il ne redoutait pour sa tête les périls d'une catastrophe au lendemain de laquelle, ce lui semblait-il, on ne relèverait sur le dernier champ de bataille de la guerre civile les vaincus Marqués des stigmates de la rébellion que pour les trainer à l'échafaud ou les précipiter dans l'exil. Aussi dès que, de ce cantonnement de la prairie de Sainte-Gemmes où depuis la fuite de Retz il s'immobilisait dans l'expectative ; Vendôme eut constaté après l'évacuation des Maisons-Rouges l'évacuation bien autrement désastreuse de la haie de la Guilbotte, jugeant dès lors la journée perdue pour Marie de Médicis, il ne songea plus qu'à rebrousser chemin à toute bride vert elle, soi-disant tour embrasser Id mission douloureuse de lui annoncer sa ruine, en offrant de l'assister, avec son immuable champion des contrescarpes d'outre-Maine, en la solitude de son dernier asile centre un volte-face sur Angers de Farinée royale, Ici se résoud le problème où s'est figée à nos yeux depuis le matin la corrélation fraternelle des Vendôme. Après avoir tour à tour, avec lite égale malignité, compromis la réconciliation et Militairement provoqué la ruine de Marie de Médicis, les Vendôme déjà voyaient leur souveraine, par l'entremise de Richelieu et de l'ambassade du nonce, diplomatiquement se relever de sa défaite pour rentrer en grâce. Or, aux yeux de ces hommes désormais trop compromis avec la cause royale pour y rentrer seuls avant l'heure de la paix, cette rentrée en grâce de Marie de Médicis était à eux leur seul refuge, En s'affichant près d'elle en chevaliers de la dernière heure, au fond ces vrais déserteurs de son vrai champ de bataille s'abritaient dans la restauration déjà ébauchée de son Crédit maternel pour y tirer à eux, en un rapprochement suprême avec les Soissons et à la veille d'une paix datée des Ponts-de-Cé, les plus larges clauses d'amnistie. Seulement, dans ce brusque volte-face vers Angers du duc César, qui n'avait pas même la franchise de sa félonie, il lui fallait des complices pour s'étayer au Logis-Barrault de leur cortège, sauf à les associer aux escomptes de la paix du lendemain. C'est dans ce but que, à défaut de toute prise sur l'obstination de Marillac et de Saint-Aignan, Vendôme, avisant dans le voisinage de son poste d'expectative l'officier supérieur le plus chevaleresquement accessible au beau mensonge de sa démarche, avisant, dis-je, l'officier qu'en même temps, depuis l'épreuve de La Flèche, il redoutait le plus de laisser derrière lui, vu l'ascendant du grade et du caractère, en l'attitude accusatrice d'une réaction de persévérance ; c'est dans ce but que Vendôme apostropha Nemours pour attaquer en lui cette, persévérance de La Flèche et des Maisons-Rouges avec tout ce que lui conférait d'autorité sur ce gênant collègue, dans la hiérarchie du jour, la suprématie officielle. Cette suprématie même, en ses mains déjà par elle-même si abusive, Vendôme la renforça de cette rhétorique d'un soutenant d'alcôve dont un jour, héréditairement, le roi des Halles voudra éblouir Anne d'Autriche autant que lui-même faisait aujourd'hui Marie de Médicis et Nemours. La journée des Ponts-de-Cé est perdue, lui cria-t-il, en soulignant toujours les forfaitures couvrant la sienne. Ces tranchées dégarnies par la trahison, ne les voyez-vous partout débordées ? Laissons leurs derniers défenseurs s'y opiniâtrer dans l'insubordination d'un aveugle désespoir. La reine-mère, du fond de son dernier asile, qu'à la vérité nous avons dû d'abord déserter, mais pour un poste désormais condamné, à cette heure nous rappelle et nous tend les bras. Auprès d'elle prévenons le vainqueur déjà maitre des Ponts-de-Cé, d'où vite il se retournera vers elle. Sachons sacrifier les Ponts-de-Cé à Angers. Le vrai poste d'honneur, aux yeux de Nemours comme aux yeux de son compagnon Candale, qui l'y retint le plus longtemps possible, c'était de prime abord cette tranchée où l'attachait à ses deux indéfectibles collègues Marillac et Saint-Aignan la solidarité du péril. Aussi Nemours longtemps demeura sourd au spécieux appel de Vendôme, jusqu'à ce qu'enfin la pression d'hiérarchie et l'attrait exercé sur son noble cœur par la majesté royale dans le délaissement de sa détresse, enfin l'emportèrent avec le grave Boisdauphin, par des circuits que commandaient les interceptions médiales, sur le chemin d'Angers. Eux au moins n'avaient point à rougir de ce qu'en eux opérait dans cette fausse direction l'entraînement de la discipline et de la chevalerie. Il en devait seul rougir, l'homme qui ne fourvoyait leur héroïsme et ne confisquait leur élan que pour la justification de sa fuite. Mais dans sa fuite leur cortège, dont il dégarnissait ce dernier champ de bataille de Marie de Médicis où ils ne demandaient qu'à mourir avec lui pour leur souveraine ; ce cortège lui est moins une sauvegarde qu'un reproche. En rentrant à sa suite au Logis-Barrault, Nemours et Boisdauphin attesteront à Marie de Médicis que, même après le départ de Retz, sans Vendôme il n'a pas tenu à eux qu'on ne lui sauvât les Ponts-de-Cé. Ils n'y renonçaient point encore, ceux que non seulement Vendôme, mais Nemours, mais Boisdauphin et du Bellay, mais bien d'autres engagés sur leurs traces, laissaient derrière eux inébranlables. Plus s'éclaircissait autour d'eux dans la tranchée la ligne de défense, plus Marillac et Saint-Aignan s'y attachaient et s'y multipliaient. A peine Marillac avait-il sur la route d'Angers perdu de vue Nemours, que se réservant toujours, ainsi qu'à Pontchâteau, la garde extérieure de l'extrémité nord du talus, mais y scindant d'avec lui Saint-Aignan, il l'était allé à l'extrémité opposée réinstaller le long de la Loire au poste demeuré vacant par le malfaisant soutirage de. Vendôme. En avant et à proximité de ce dernier poste, parmi les ouvrages improvisés là pour combler les lacunes de la tranchée, s'étendait un jardin fossoyé et palissadé qui en dominait l'accès. Comme l'armée royale, à la faveur de fourrés contigus, menaçait d'occuper cette nouvelle tête de ligne aussi sûrement qu'elle venait de faire à l'extrémité opposée celle de la Guilbotte, Marillac détacha de son poste central, pour l'y expédier sous la protection de Saint-Aignan, le baron de Cholet avec un détachement de mousquetaires. Sur ces entrefaites, on rappelle Marillac à l'extrémité nord ; et de la on lui montre en arrière de l'armée royale. qui dans sa marche lui offre pour la troisième fois cette prise, son artillerie embourbée au passage du marais desséché mais fangeux de la Guilbotte, où elle git comme abandonnée avec ses charretiers rebutés et trente cavaliers sous le commandement de Loppe. Sur-le-champ Marillac, convoitant cette proie, allait faire couler furtivement par le lit du ruisseau de la prairie, pour la lui amener, soixante des mousquetaires de Flosselière à peine rentrés en ligne, avec quarante piquiers sous la conduite du capitaine Beuchy, quand derrière lui on sonne l'alarme. Là-dessus Marillac de retourner, vers la Loire, à Saint-Aignan. Car Saint-Aignan, malgré l'escarmouche entretenue avec le régiment de Champagne en avant du jardin méridional et malgré les semonces et les brimades prodiguées à ses lâches défenseurs, n'en a pu conjurer l'évacuation non plus qu'un ébranlement consécutif au centre de la tranchée. Autre malheur, Marillac, en revenant de l'extrémité nord à Saint-Aignan par le centre, y a à peine raffermi Boisguérin, que tout à coup — car il ne suffit plus à tous les bruits d'alarme qui se croisent sur sa tête —, que tout à coup, à cette gauche qu'à peine il a perdue de vue, éclate un bruissement que, dans sa familiarité pittoresque, il compare à une volée de pigeons que le chasseur a fait lever dans le champ voisin. D'est le régiment du marquis de Thouarcé, posté aux murs du cimetière clôturant en retrait à cette gauche le parapet de la tranchée, qui à son tour détale. Cep, une fois logé au poste si voisin de la Guilbotte, le régiment de Picardie n'avait eu qu'à aborder de là de plain-pied et en masse serrée les trois barricades fermant l'avenue de ce cimetière. Le commandant des enfants perdus, Laprade, enlève la première barricade ; à son tour Zameth franchit la seconde ; puis de la troisième, qui cède d'elle-même, avec quelques canons enfin dégagés de la Guilbotte on entame le cimetière. En même temps, de l'autre côté de la tranchée, l'armée royale, débordant à la fois à ses deux extrémités, avec l'appui du jardin palissadé que la fuite de Cholet vient de livrer au régiment de Champagne, comme un pendant de la haie livrée par le régiment de Flosselière au régiment de Picardie ; l'armée royale envoie, sous Contenant et d'Elbène, sa cavalerie ralliée des deux ailes, et sur les entrefaites renforcée de réserves détachées de l'aile droite, par les bords ouverts de la Loire tourner la redoute méridionale. En vain Saint-Aignan, qui à toutes les avenues envahies de la tranchée renouvelle la même fermeté de contenance, a opposé aux abords de cette redoute à la cavalerie royale toute celle qui, dans ce quartier de la trahison, a échappé aux entrainements de Retz et de Vendôme. Encore une fois brisé là dans son choc, Saint-Aignan, voyant cette cavalerie ennemie dépasser déjà la redoute, se replie derrière la tranchée pour y reformer vite ses escadrons, afin d'y surprendre en flanc les assaillants dans le désordre qui suivra l'escalade du talus. Car ce moment approche. En voyant l'armée royale nantie des deux extrémités de la tranchée, et une fois les fourrés adjacents nettoyés des derniers tirailleurs attardés dans la plaine, Créquy, toujours en éveil au poste médial adopté par lui pour son régiment des gardes comme un poste d'honneur, jugea le moment venu de justifier cette adoption par la vigueur d'une attaque centrale. Opérant sur un développement de ligne allant de la redoute de la Loire à celle du cimetière, Créquy laissa à droite, en retrait de ce dernier poste, le régiment de Picardie attaché à sa clôture verticale. Ensuite il rappela à lui, de leur jardin palissadé, pour en renforcer à gauche son régiment des gardes, les bataillons de Champagne. Puis il lança en avant les enfants perdus, se retourna vers ses officiers entraînés à sa suite jusqu'à trente pas de la tranchée, et la leur désignant d'un geste impératif : J'espère, Messieurs, leur cria-t-il, que nous y logerons aujourd'hui. En même temps, apercevant en arrière une partie encore embourbée de cette artillerie qu'a failli surprendre Marillac, et avisant à ses côtés en Bassompierre, cet industrieux génie qui surgissait dans tous les mauvais pas comme l'universelle ressource, il l'attaqua de cette brusque interpellation : Cousin, si vous n'allez commander au capitaine qui conduit le canon de forcer les charretiers de s'avancer, ces poltrons-là ne le feront jamais. Bassompierre y court à toute bride. Mais voyant que les troupes, sans attendre leur canon, poursuivent leur marche vers la tranchée, il revient ; et abordant Créquy : Vous n'avez raison, cousin, de me persuader d'aller au canon pendant qu'on court à la charge. Puis il passe aux bataillons de Champagne, en grande partie formés de ses fraîches recrues de Lorraine et de Beauce, et que, partant, il affectionne trop comme son œuvre pour ne les pas piquer d'émulation avec le régiment des gardes, par un retour au poste dont ils leur avaient d'abord dû céder l'honneur. Arrivé à eux, avec une hallebarde tirée des mains d'un sergent il saute de cheval. Monsieur, lui remontra là-dessus son voisin Nérestan, ce n'est pas là la place d'un maréchal de camp. Vous ne pourriez plus faire battre les autres troupes, étant à pied à la tête de celles-là. — Vous avez raison, repartit Bassompierre. Mais ces bataillons-ci, farcis de nouvelles recrues, combattront mieux s'ils me voient à leur tête, fléchiront au contraire s'ils me perdent de vue. Or, les ayant amenés jusqu'ici, j'ai à cœur de les voir bien faire. — Oh ! alors, répliqua Nérestan, vous voyant à pied je ne resterai point à cheval. Et à son tour s'exécutant, d'un bond il rejoint son collègue. Cependant la fuite des bataillons de Thouarcé et de Cholet, et le contournement par la cavalerie royale de la redoute méridionale, avaient communiqué de proche en proche à toute la ligne des rebelles, réduits au nombre d'environ six cents, une telle commotion de panique, qu'une fois arrivés au pied de la tranchée, et après avoir essuyé de leur part une mousquetade mal assurée qui ne pouvait qu'étourdir sur leur débandade, les enfants perdus n'eurent qu'à promener, du bord du fossé sur toute la crête du talus, la projection horizontale de leurs piques pour en éliminer la première ligne de défense. Puis les enfants perdus des gardes, se déployant et franchissant le fossé sous Malissy et Puységur, suivent à l'assaut l'officier de Champagne Comminges, qui, d'un élan à peine ralenti d'une balle qui l'atteint à la jambe, escalade le premier l'escarpe désertée, et de là fièrement prend Bassompierre à témoin de sa prouesse. En même temps, par une brèche laissée au front du talus durant son érection pour la circulation des charrois de terre relevée, un bataillon de Champagne, sous Bassompierre et Nérestan, s'avance. En vain pour lui disputer ce passage Marillac y veut assujettir, avec force gourmades et à coups de plat d'épée, une garnison que l'effarement emporte. Les seuls Flosselière et Boisguérin longtemps tiennent ferme ; puis enfin, avec Boisy et la Trémouille, eux-mêmes cèdent au torrent général, non sans noyer dans le sang ennemi la trace de leur fuite. Mais à la garnison centrale survivaient de suprêmes résistances. Après le contournement de la redoute méridionale par la cavalerie royale, Saint-Aignan n'avait reflué vers la tranchée que pour y guetter en tapinois, dans le creux d'une fondrière voisine, l'opportunité d'un retour offensif. Et de là voyant, dans l'éparpillement des enfants perdus sur les crêtes du talus, se hasarder le premier bataillon de Champagne au-delà de la brèche dont l'étranglement les isolait du reste de l'armée royale, Saint-Aignan, avec La Mazure et quarante chevau-légers répartis tant bien que mal en quatre escadrons, en une furieuse charge de front sur cette téméraire avant-garde la refoule vingt pas en arrière. En récidivant même il l'eût rejetée hors de la tranchée quand Nérestan, propageant autour do lui l'impulsion de Bassompierre, fait mettre pied à terre aux plus intrépides officiers de Champagne t Nesle et Humières, Palluau et Bessay, Renouart et Varmes. Puis il rallie à lui les enfants perdus à mesure qu'ils dévalent par le versant intérieur du remblai, et en en renforçant d'autant son bataillon en détresse : Voici, mes enfants, cria-t-il, voici qui nous va fort occuper. Vite présentez vos piques et tenons ferme. Après qu'ils auront vu ce que nous valons, ils mettront de l'eau dans leur vin. En effet, cette même rangée de piques qu'ils venaient de passer si triomphalement sur le dos du talus, il suffit aux enfants perdus de la redresser, avec le concours du bataillon de Champagne, devant l'insistance forcenée de Saint-Aignan pour rompre sa recharge. Par là grièvement disloqué, Saint-Aignan se rejetait à la gauche de l'ennemi pour y reformer encore les débris de son escouade, quand Marillac, stimulé et dans son ubiquité fertilisé et comme décuplé par la détresse, rappelle à lui, de l'extrémité nord de la tranchée, Pontchâteau qui, depuis la fuite des bataillons de Thouarcé, seul encore y tenait tête au régiment de Picardie ; et il le reporte devant l'attaque centrale avec vingt-cinq chevau-légers pour y relever Saint-Aignan. Quant à lui, reportant du dehors au-dedans de la tranchée son plan originaire de diversion bilatérale, pendant que Saint-Aignan à peine reformé retombe sur le flanc gauche des assaillants qui entrent, lui le va seconder sur leur flanc droit. Sur les entrefaites, par la brèche du talus afflue le reste des deux régiments des gardes et de Champagne. Mais plus loin derechef ils se disjoignent au passage d'un marais[40] qu'a à peine franchi la moitié d'entre eux, que Pontchâteau, qui les guettait là, fond sur cette tête de ligne, malgré sa résistance imprévue l'entame et en abat dix hommes, mais en revanche dans l'âpreté du choc en perd presque le double. D'ailleurs c'est enfin un débordement gênerai, depuis la redoute librement contournée des bords de la Loire jusqu'à le clôture du cimetière qui, vivement canonnée dans son entier délaissement, s'écroule pour livrer passage au régiment de Picardie suivi de presque toutes les réserves de Saint-Augustin, de Moru et de Rivette. Dès lors Marillac et Pontchâteau, déjà coupés d'avec Saint-Aignan, n'échappèrent au débordement universel qu'en se ruant de biais, avec les gendarmes de Du Bellay et la cavalerie de la Mazure, dans la direction d'Angers, sur les traces abhorrées de Vendôme, par les deux seules rues de Saint-Aubin non barricadées, et d'où encore ils ne se dégagèrent du flot envahisseur qu'avec force mousquetades[41]. Et quant à ceux que forcément ils laissaient dans la mêlée, une mêlée telle que les hommes de la cavalerie royale ne s'y distinguaient qu'à leur livrée blanche, acculés au fond du cimetière où se ralliaient toutes les forces royales, ils y vendirent chèrement leur vie en des flots de sang, à plein la nef contiguë et finalement envahie de l'église paroissiale[42]. A peine ralentie dans son élan par cette furieuse hécatombe, où d'ailleurs se sont épuisés contre elle en cette première et déjà décisive phase de la lutte les derniers soubresauts de la résistance, l'armée royale, partant du pied de l'église dont le parvis accédait à la grande rue du bourg[43], n'eut plus qu'à s'y déployer à l'aise, tandis que devant elle et toujours sous l'impulsion de Malissy, les enfants perdus de Picardie et de Champagne pourchassaient les rebelles jusqu'à l'entrée du pont. Pendant .ce temps, à un débouché latéral coupant à angle droit cette grande rue du bourg, Nérestan rompait les dernières barricades. Par ce dégagement transversal se ruaient déjà ses hommes, quand, en montant à leur tête jusqu'au niveau de la grande rue, une mousquetade partie d'une des fenêtres voisines transformées en meurtrières, lui rompit la cuisse. Je suis mort, cria-t-il en tombant comme foudroyé dans son triomphe ; et Bassompierre, accouru à ce funèbre appel, avant d'aller partout ailleurs assurer l'occupation de Saint-Aubin n'eut que le temps de relever Nérestan, pour le remettre à son fils le valeureux Lussan[44]. Épuisé par l'hémorragie, et râlant l'agonie avec l'aide-de-camp Desmarais, autre victime de cette même mousquetade qui avait presque effleuré Bassompierre, on les emporta tous deux au quartier général. Et c'est ce douloureux cortège que rencontrèrent sur le chemin de Trélazé les ambassadeurs du nonce. Ils y crurent voir sans remède s'interposer une double traînée de sang entre cette signature par eux si tardivement enlevée à Marie de Médicis et le dernier espoir de réconciliation filiale. En revanche, en nous reportant à l'irruption de toute l'armée royale à travers la tranchée, nous y avons laissé Saint-Aignan séparé des deux issues si propices à ses collègues par toute l'épaisseur des régiments enfin réunis des gardes et de Champagne. De l'autre côté réduit à prévenir à tout prix dans l'interception du passage de la Loire la cavalerie royale, qui par le revers totalement dépassé de la redoute méridionale le va tout à l'heure cerner, il avait déjà, de son côté, par la grande rue du bourg, avec son escouade écharpée, tourné bride forcément vers les traces de Retz. Tout à coup un de ces infatigables enfants perdus de l'armée royale qui déjà la devançaient dans l'occupation de Saint-Aubin et l'acheminement vers le château, le voyant dans son caracolement effaré chevaucher vingt pas devant ses hommes, frappe de deux coups de pique au poitrail sa monture[45], qui là-dessus en se cabrant se jette à gauche avec son cavalier presque désarçonné en une ruelle latérale[46] plongeant sous la première arche du pont de Saint-Aubin. Par là, et à travers ce premier bras de Loire qui le sépare du château, et qu'en son ensablement graduel l'été presque entièrement dessèche, Saint-Aignan avisait déjà vers la plaine une sûre retraite, lorsqu'en un brusque tournant de la ruelle des degrés qui la rendent impraticable à la cavalerie l'arrêtent tout court. Il remonte vers sa suite. Mais au haut de cette ruelle, par la grande rue où afflue déjà la cavalerie royale, se sont jetés à la traverse les carabiniers d'Arnauld pour lui barrer le passage. N'importe : lui quatrième — car trois hommes seulement de son escouade dans sa funeste échappée l'avaient pu rejoindre —, lui quatrième s'acharne à passer outre. Vite enveloppé, seul encore il se débat, tue un des cavaliers qui le cernent, mais son cheval tombe. Sur les entrefaites passe par là le brave officier Boyer, accouru du quartier général de l'armée royale en estafette, avec une dépêche du roi pour Bassompierre. Je me rends à toi[47], lui crie Saint-Aignan. Là-dessus deux sergents ne l'appréhendent que pour le passer à Boyer qui le réclame, l'emmène et le produit fièrement à Trélazé comme le plus beau trophée de la victoire. Car dans l'impasse sinistre qui lui dérobe toute perspective de refuge, et où, sous l'entrecroisement des traces de Vendôme et de Retz, ne l'assistent plus dans la fraternité du désespoir ni Nemours, ni Flosselière, ni Pontchâteau, ni Marillac, au moins Saint-Aignan, dans le premier acte du drame du 7 août, en sa qualité du dernier soutenant de Marie de Médicis, au pied du château qui seul encore résiste pour elle, figure comme l'illustration de sa ruine. Et c'est bien là ce que saluait en lui son digne adversaire Bassompierre quand peu avant sa capture, l'avisant de loin dans la mêlée avec son armure mi-partie rehaussée d'or, et penché pour relever de terre à la pointe de l'épée son chapeau gris à grand panache, il lui criait : Adieu, Saint-Aignan. — Adieu, Bassompierre, lui répliqua son chevaleresque interlocuteur, sur un ton mélancoliquement répercuté jusque sous l'arche voisine où il ne lui fut pas même donné d'aller ensevelir son malheur. Cependant les royalistes, fiers d'avoir emporté en deux heures les tranchées et le bourg — car il était environ deux heures du soir[48] —, allaient toujours pourchassant les rebelles jusqu'à l'entrée du pont de Saint-Aubin, dont ils trouvèrent le pont-levis abaissé devant eux. C'est que, depuis que le gouverneur du château Bettancourt l'avait si imprudemment franchi sur la foi de Retz pour s'acheminer vers son faux rendez-vous de colloque clandestin, tout le régiment de la Jousselinière avait par là franchi la Loire sans que Retz, qui peut-être, par une suite de sa trahison, ménageait sur ses traces un libre passage à l'armée royale ; sans que, d'autre part, la garnison de l'Ile-Forte, soucieuse de n'intercepter pas la rentrée de son gouverneur ; sans qu'enfin personne, entre Retz et Bettancourt, eût pris sur lui de hausser les traverses ; et cela jusqu'à ce que sur ce pont-levis, où dans leur retraite les derniers défenseurs de la tranchée s'acculèrent pour le disputer aux royalistes à la faveur d'une sortie de cette garnison, une prompte accumulation d'hécatombes en eût rendu la levée matériellement impossible. Aussi lorsque, après s'être longtemps morfondu à Saint-Aubin dans le piège de son expectative, Bettancourt une fois désabusé voulut à perdre haleine regagner son poste, il retrouva bien le tablier toujours abaissé, mais pour ne s'y faufiler qu'à grand'peine, à travers ses obstructions funèbres, dans le torrent envahisseur de l'armée royale. Et cela à la seule faveur d'un incognito qui ne le protégea pas même jusqu'au terme de sa course ; car, à peine reconnu au-delà des traverses, et quand il rejoignait sa garnison, une mousquetade lui perça l'épaule. Cependant les royalistes ont occupé le pont-levis sur les ruines de l'armée rebelle. Sur les traverses enfin débordées ses derniers défenseurs sérieux, Flosselière et Boisguérin, qui n'avaient évacué la tranchée de Saint-Aubin que pour renouveler là, de concert avec la garnison du château, des miracles de résistance, sont tombés, en l'illustre compagnie de Saint-Aignan et avec quinze autres officiers[49], aux mains des vainqueurs. A tant de vivants trophées rehaussés de dix drapeaux, ces heureux vainqueurs ajoutaient l'artillerie du pont aussitôt retournée contre le château dont elle avait si mal défendu l'approche ; et par dessus les parapets ils culbutaient le restant des rebelles. Maintenant, par delà le pont-levis, et par les arches pleines évacuées à leur tour par la garnison de l'Ile, l'armée royale allait passer outre. Mais sur les entrefaites Bettancourt, avec ses deux héroïques collègues Châteauvieux et Saussenaye, eux-mêmes criblés de plaies dans la défense des traverses et se traînant à grand'peine à sa suite, était rentré à temps au château pour y commander de dessus les créneaux sur le pont envahi une plongeante mousquetade, qui y enleva des files entières. Aussi Créquy, soucieux de ne compromettre pas plus loin ce jour-là, avec une armée que déjà derrière lui débandait le pillage, ces trois avantages si décisifs du forcement des tranchées et de l'occupation du bourg et du pont-levis, fit sonner la retraite. Mais tandis qu'en vertu de ce signal les royalistes se ralliaient pour les quartiers de la nuit autour du logis de l'Épinette[50], sis à proximité et à droite du pont-levis, en violation de cette consigne trois lieutenants du régiment des gardes, Malissy, Gazotte et Droué le fils, suivis d'une dizaine d'hommes, franchirent seuls le pont, rompirent les barricades dressées sur l'avenue du château, et, arrivés à deux cents pas et à portée de pistolet de la courtine, se logèrent sur la contrescarpe. Mais là ils sont isolés de l'armée par la mitraille qui sans relâche enfile le pont, au point qu'un détachement qui, malgré tout, les veut par là rejoindre, est aux trois quarts écharpé. Voyant même cette mitraille se renforcer de deux canons du château dont la menace les surplombe, notre petite escouade dépourvue de munitions allait périr écrasée entre les deux garnisons du château et de l'ile. En vain, sur la suggestion de Mouy et en pleine mousquetade, l'intrépide enseigne Lago, pour retourner avertir Créquy, veut repasser le pont à côté du sergent Desrompu : frappé à la hanche, il tombe. Sur ces entrefaites, par un bonheur inouï, l'ancien page des Guise et l'officier des enfants perdus Puységur, qui, lors de la rentrée de Bettancourt au château et dans le pêle-mêle du sauve-qui-peut, en une contre-partie d'incognito s'y est glissé derrière lui, s'installe au service vacant des deux batteries pour en perdre les décharges en coups tirés en l'air. Pendant ce temps, sur les sept heures du soir[51], à la faveur d'une aussi propice diversion d'artillerie, et pendant que ses collègues pourchassent devant eux la garnison de l'île, Droué intercepte par une contre-barricade les sorties du château, puis, s'aventurant sur les traces ensanglantées de Lago, arrive jusqu'à Créquy. Sur cette sommation d'une détresse où la folie de cette avant-garde a tourné en prodiges de décision, Créquy embrasse l'urgence d'y répondre. Jugeant toutefois le pont toujours impraticable — car à la canonnade détournée survit la mousqueterie de l'île — il franchit d'abord au pied de ses arches toute la zone de grèves fixée là en atterrissements immuables. Puis, arrivé au courant rapide et difficilement sondable qui le sépare de l'île, il réquisitionne des bacs par lesquels, à travers les brèches de l'estacade, il introduit dans cette Ile non clôturée cent de chacun des trois régiments des gardes, de Picardie et de Champagne. Par là le blocus du château se consolide et se resserre. Puis la mousquetade de ses créneaux, après avoir consommé toute sa maigre et défectueuse provision de poudre à tuer ou blesser seulement une trentaine d'hommes, tout à coup s'épuise. Alors tout le reste de l'armée, partant de l'Épinette, à son tour passe sûrement par le pont dans l'île ; et le pont-levis se relève sur celte dernière victoire où s'engendre le triomphe du lendemain. Pendant ce temps il s'en fallait qu'avec Saint-Aignan, Flosselière et Boisguérin, tout ce qu'avait épargné dans l'armée rebelle le feu de la bataille fût demeuré la proie du vainqueur. Mais, tandis que les royalistes n'avaient perdu que quatre-vingts hommes en une bataille où l'artillerie des rebelles fut assez nourrie pour former avec la leur un total de quatre cent soixante-trois décharges[52], le bilan nécrologique de la journée accuse dans le camp de Marie de Médicis un chiffre de sept à huit cents hommes[53]. Il est vrai que, en l'atteignant, les vainqueurs n'eussent pu trop déplorer de bien gratuites catastrophes. Parmi les fuyards qui, grâce à la débandade de l'armée royale au passage de Saint-Aubin esquivèrent ses étreintes, un grand nombre, en se jetant de dessus les parapets du pont envahi ou les berges de l'Ile-Forte dans le plein courant de la Loire, s'y engloutirent dans les grèves mobiles, ou, tombant sur l'estacade dressée devant le château, y périrent lacérés par les fourches métalliques. D'autres, en aval des Ponts-de-Cé et à travers la plaine ravagée de Sainte-Gemmes, traqués, disent nos annales, comme loups-garous, expièrent en un hallali de paysans altérés de féroces représailles, tout ce que les exigences de la dérisoire protection des Ponts-de-Cé leur avait infligé de razzias et de corvées[54]. Plus miséricordieux dans la victoire, l'officier qui avec Créquy et Nérestan en partageait la gloire, Bassompierre, y déployait jusqu'aux dernières vicissitudes du combat sa fleur de courtoisie. Avant de soustraire Saint-Aignan aux vengeances de la guerre civile en l'environnant de l'inviolabilité d'un prisonnier de guerre, Bassompierre y avait sauvé ses compagnons de captivité Flosselière et Boisguérin : Flosselière, en l'arrachant aux mains qui ne l'appréhendaient que pour l'immoler ; et Boisguérin qui n'avait pas en vain, en invoquant leur ancienne amitié, déclaré se rendre à lui, car, en cautionnant sa rançon envers son détenteur Droué le père, Bassompierre lui avait acheté la sûreté de sa sauvegarde. En revanche, dans la dernière phase et déjà dans l'apaisement du triomphe, plus maitre de réprimer la cupidité de la soldatesque qu'en plein enlèvement du bourg de Saint-Aubin, où les débandades de la maraude et les rivalités d'accaparement du butin entre les deux régiments de Picardie et de Champagne, en les mettant aux prises, eussent ou compromis ou souillé la victoire, Bassompierre disciplina l'occupation de l'ile en y interdisant sévèrement le pillage. C'était pour que le vainqueur n'eût plus qu'à goûter la satisfaction .du plus pur triomphe, à l'ombre du pont-levis qui en protégeait le couronnement. Ce couronnement que l'armée royale attendait de son triomphe, n'était autre que la reddition du château, dont l'urgence déjà s'imposait à ses défenseurs. Si encore ces défenseurs aux abois, réduits presque avec leur état-major mutilé à une trentaine, eût eu du moins, dans l'épuisement ou l'avarie de ses munitions, assez de vivres pour tenir jusqu'à l'apparition, d'ailleurs si improbable, d'un secours à l'une des deux rives adjacentes ! Mais Bettancourt, nous venons de le voir, avait trop sacrifié à la défense impossible d'une lie ouverte celle de la forteresse où il l'eût dû toute concentrer. Et, par une même sollicitude d'imprévoyante répartition de ses ressources défensives, la subsistance du château ayant suivi le sort de la garnison, avec l'inévitable occupation de l'île tout son emmagasinement extérieur était tombé aux mains des royalistes ; et par là s'était, à l'inverse, alimenté d'autant leur blocus. D'ailleurs ce blocus, une fuis le pont-levis exhaussé, par où l'entamer même en une surprise nocturne, quand, avec la barricade élevée par Droué et Malissy devant la porte du château, il en avait déjà surgi sous la surveillance de Créquy, de Bassompierre et de Tresnel deux autres, l'une du côté d'Angers et l'autre devant la rive gauche de la Loire ; quand à tous ces postes, et autour du pont-levis, on avait doublé les corps de garde ; quand l'artillerie du pont et celle enfin dégagée de la Guilbotte s'allaient renforcer de toute celle provenant d'Orléans ou de Saumur ; quand finalement toute l'armée royale reformée en bataille sur les grèves adjacentes pour y bivouaquer la nuit avec ses inséparables chefs, y semblait moins assiéger une forteresse que garder des prisonniers. Non qu'une telle rigueur d'investissement ait exclu de chez les rebelles toute tentative de secours. A peine retiré du flot envahisseur qui, après le forcement de la tranchée de Saint-Aubin, lui avait failli couper la route d'Angers, Marillac, avec ce qu'il put rallier de fuyards dans la prairie de Sainte-Gemmes, en un retour offensif par la grande rue du bourg et à travers l'affluence des derniers bataillons royalistes avait percé jusqu'au pont-levis non encore enlevé aux rebelles, et y avait même dégagé de la mêlée à leur tour ses collègues Saint-Geny, Navailles, Chassenaye et Châteauroux, qui s'y débattaient en forcenés avec leurs épées sanglantes jusqu'à la garde. Mais sur les entrefaites, une fois les traverses conquises et haussées par les royalistes, s'y voyant seul aux prises avec un imposant corps de garde, force lui fut de se rejeter vers Sainte-Gemmes. Là encore il voulut tâter le fleuve pour s'y frayer jusqu'au château une route guéable. Mais déçu par l'inconsistance des grèves, avec la gendarmerie de Du Bellay rejoint en chemin il rétrograda vers Angers, sans que d'ailleurs l'ait à peine troublé dans sa route le harcèlement vite refoulé de quelques escouades ennemies. Plus heureux d'abord, en la même entreprise distinctement essayée avec vingt hommes, par ce même détour de Sainte-Gemmes et cette fois encore sous un déguisement qui perpétuait autour de la citadelle assiégée le chassé-croisé d'incognitos, le cornette Du Thier avait traversé l'armée royale déjà campée dans les grèves du bras septentrional de la Loire. Puis, par un gué trouvé dès le matin, sous une arche du pont encore libre, parmi les derniers éclats de la mousquetade et les nuages de poussière soulevés par la bataille, il allait subrepticement atteindre l'ile et y rallier la garnison. Car, dans son chimérique espoir, c'eût été là pour lui une base de diversion propice à un retour offensif général des fuyards qui, ralliés dans les faubourgs d'Angers autour des contingents encore frais de Marie de Médicis évalués à quatre mille hommes, seraient venus surprendre à revers l'armée de siège qu'il voyait déjà par là écrasée entre deux feux. Mais Du Thier avait compté sans un refoulement sur Angers des réserves suburbaines de Marie de Médicis par les chevau-légers, demeurés en réserve, de l'aile droite des royalistes. D'ailleurs lui-même, dévisagé sur la grève, essuya une première charge de Cavalerie qui, lui tuant quatre hommes et plusieurs chevaux, le força à la retraite. Puis, en une recharge à fond des carabiniers d'Arnaud qui cette fois abattirent toute son escorte, lui-même tomba de cheval, percé au cou de deux balles qui lui sortirent par l'épaule. Après un long évanouissement, revenu à lui pour s'étonner de son étrange survivance, il fut encore trop heureux d'échapper à la barbarie des paysans de Sainte-Gemmes qui sans cela l'eussent achevé sur place, en se hissant sur un attelage d'artillerie qui le recueillit en prisonnier d'élite, en prisonnier digne d'aller consoler Saint-Aignan, Flosselière et Boisguérin dans la solidarité du malheur. Dès qu'avec Du Thier et Marillac se fut évanoui pour la garnison du château, et malgré l'opiniâtreté de Bettancourt, tout espoir de secours, ils n'eurent plus qu'à céder aux sollicitations de leur hôte travesti Puységur. Soutenant jusqu'au bout, par une contre-partie des incognitos de Du Thier et de Bettancourt, son rôle d'un réfugié de l'armée rebelle qui, en ne traversant qu'à grand'peine les lignes ennemies, les a reconnues infranchissables, Puységur leur persuada vite l'urgence de traiter. Aussi, dès dix heures du soir, aux sommations émanées du pied du château la garnison répondit par deux signaux qui arrêtèrent le feu. Et de suite, tandis qu'après échange de sauf-conduits on allait s'assurer du double agrément de Louis XIII et de Marie de Médicis, entre Bettancourt et l'aide de camp de Créquy de Meux, assisté de neuf capitaines du régiment des gardes, s'ouvrirent des pourparlers qui, le lendemain matin à huit heures, aboutirent à une capitulation signée à la fois du prince de Condé et de Bettancourt, et qui conciliait les exigences de la victoire avec tous les égards dus au courage malheureux. Le château, avec artillerie, drapeaux et bagages, tombait aux mains du roi. En revanche la garnison sortait avec les honneurs de la guerre, balle en bouche, et libre, une fois hors les quartiers de l'armée de siège et en rase campagne, d'allumer ses mèches et de battre le tambour. On la devait même acheminer saine et sauve jusqu'au logis de Marie de Médicis, auprès de laquelle ils pourraient reprendre leur ancien service d'honneur, exclusif pour six mois de toute assistance hostile. La capitulation une fois signée, cet officier royaliste de contrebande qui en avait si vivement auprès des assiégés pressé la conclusion, Puységur en avisa de suite Bassompierre, qui stationnait en expectative à l'extrémité voisine du pont de Saint-Aubin. Puis, dès que se fut opérée à midi l'évacuation de la garnison, ce fut encore Puységur qui, secouant alors son incognito aux yeux de Bassompierre ébahi de son aventure, au pied de la citadelle dont il avait si dextrement conquis le droit de faire les honneurs, lui en ouvrit la porte. Aussit0t, à la suite de Bassompierre et avec les deux maréchaux-des-logis du May et Contenant, entrèrent quarante soldats du régiment des gardes. Et après eux Condé n'eut qu'à franchir le seuil de la forteresse qui marquait le terme de son inexorable triomphe, en criant allègrement : Vive le roi ! Cette acclamation sonnait plus haut et plus juste que ne l'imaginait le prince dont elle émanait ; elle dépassait la portée d'une annonce officielle et concomitante de la prochaine entrée de Louis XIII en cette citadelle qui ne demandait plus qu'à l'accueillir. Une fois les hostilités engagées par la déloyale précipitation de Condé, de l'homme qui en proclamait si orgueilleusement l'heureuse issue, il ne faut chercher ici la victoire uniquement ni dans la conception vicieuse ou l'attaque soudaine, ou le dégarnissement prématuré de la tranchée de Saint-Aubin, ni dans les trahisons, les défaillances ou les discordes de l'état-major, ni dans la fragilité ou l'isolement de la forteresse formant l'enjeu final de la guerre civile. La victoire, elle est bien due aussi au jeune roi qu'avaient dissimulé à peine aux yeux des combattants les ombrages de Saint-Augustin et de Rivette. Demeuré là depuis son arrivée de Trélazé jusqu'au terme de la lutte sur son cheval d'Espagne Ambreville, et, disent les chroniques, armé de pied en cap en Alcide sous son collet de buffle, il s'enivrait de l'odeur de la poudre et du tumulte des armes. Car lui qui, depuis les tranchées du plateau de Saint-Gilles jusqu'aux avant-postes du Verger, n'avait encore vu que des sièges et des escarmouches, il se sentait là à proximité et dans l'atmosphère d'une vraie bataille. Aussi, dans les solidarités du sang royal, rivalisait-il d'impatience refoulée avec son jeune antagoniste Louis de Soissons, au point qu'il avait fallu tout le jour le garder à vue devant les fascinations de l'ouragan déchaîné devant lui, pour le maintenir prisonnier de cette grandeur déjà trop hasardée qui le liait au rivage. Mais en bridant son élan ni Condé, ni Luynes n'avaient intercepté ses effluves de magnanimité, qui opéraient jusqu'aux extrémités du champ de bataille. De son stationnement alternatif des Justices, de Saint-Augustin ou de Rivette, d'où il ne perdait de vue aucune des phases de la lutte[55], il y communiquait partout son impétuosité guerrière, cette impétuosité qui tout à l'heure, de l'Océan aux Alpes, et tour à tour dans la ferveur des guerres de religion et dans la chevaleresque défense de nos alliés d'Italie contre les usurpations de Savoie et d'Espagne, sera l'impétuosité enfin émancipée et toujours conquérante de Riez et du Pas de Suse. Mais dès la journée des Ponts-de-Cé, et en attendant cette apogée rapidement atteinte de sa gloire militaire, dès la journée des Ponts-de-Cé ce sont déjà des élans mêlés d'éclairs. En animant de loin le champ de bataille il y projette de lumineuses suggestions. C'est lui qui, pour y assurer l'agile évolution de ses régiments d'infanterie, y avait mesuré l'intervalle des bataillons ; lui qui, pour appuyer le contournement méridional de la tranchée de Saint-Aubin par l'insuffisante cavalerie de Contenant et d'Elbène, avait tiré de sa réserve et y avait expédié en cette phase critique un renfort décisif, en ne souhaitant, disait-il, que de rompre ses chaînes pour l'aller soutenir. Aussi, dans son irradiation royale et dans ses tressaillantes sollicitudes, Louis XIII avait conquis assez de lustre pour n'en rien envier à tant de héros qui avec lui s'installent dans l'auréole de la victoire : Créquy et Bassompierre, Zameth et Comminges, Malissy, Doué, Puységur et tant d'autres[56]. Et pour ne parler que du héros le plus captivant de cet état-major d'élite, en un souvenir persévérant de la bataille des Ponts-de-Cé et sur la demande de Condé c'est de grand cœur que, deux ans après, Louis XIII investira Bassompierre du bâton de maréchal[57]. Par cette promotion significative eût dû du même coup se relever l'honneur d'une victoire dont sa rapidité même nous a soufflé le prestige, et dont il est temps de ne plus sourire dédaigneusement comme d'un divertissant pas d'armes. Assez longtemps tout ce qui s'y est déroulé dans le camp de Marie de Médicis en fait de charlatanisme dans les plans de défense, ou d'imbroglios dans les désertions, ou d'affolement dans les débandades, a prévalu tour à tour dans la bile sarcastique de cet Agrippa d'Aubigné[58] qu'un si amer désabusement écarta de la guerre civile, ou dans les lazzis de ces amuseurs sans pitié qu'on nomme Bautru et Tallemant[59], sur la portée d'un drame dont ce ne furent là que les intermèdes. Des intermèdes, hélas ! qui ont absorbé le fond, au point qu'à ce drame qui éclate entre le carnage de l'église de Saint-Aubin et les sinistres battues de la plaine de Sainte-Gemmes, s'est invinciblement accolée jusqu'ici l'étiquette si détonante de drôlerie des Ponts-de-Cé[60]. Ah ! certes, jamais ne se serait travesti en thème d'hilarité un aussi grave événement historique, s'il eût surgi dans le camp de Marie de Médicis une autorité assez souveraine pour y concentrer la défense, y régir l'élan, y imposer la discipline ; si ce jour-là rien n'eût écarté des conseils de guerre ou diverti des champs de bataille ou cantonné dans l'indépendance un Richelieu, un Rohan, un d'Epernon, un Mayenne ! Mais même dans l'intrépidité, la vigilance et l'audace d'un Marillac, d'un Senneterre, d'un Pontchâteau et d'un Saint-Aignan, d'un Flosselière et d'un Boisguérin, il y avait encore assez de prestige pour sauver du ridicule en leur infériorité numérique la résistance des vaincus, et rehausser d'autant dans la cause royale l'honneur de la victoire. A un autre point de vue néanmoins cette victoire, due au malheureux contre-temps qui toute la matinée du 7 août a immobilisé dans l'antichambre de Marie de Médicis l'ambassade du nonce, plût à Dieu que dans nos annales militaires elle ne soit pas venu grossir la liste des victoires inutiles ! Inutiles, même pour la gloire de ceux qui y ont attaché leur nom. Afin de s'illustrer sous les yeux de Louis XIII, parmi tant de guerriers dont le lustre a décoré son règne, c'était assez pour Créquy et Bassompierre d'enlever plus tard les barricades du Pas de Suse, auprès desquelles les tranchées de Saint-Aubin n'étaient que jouets d'enfants. Et quant au prince dont la haineuse impulsion, en les déchaînant sur ces tranchées, les y a condamnés à vaincre ; quant au prince qui d'ailleurs n'y a fait qu'égarer confusément dans la mêlée l'impétuosité qui les y avait précipités ; quant au prince qui, .en général, n'a pas porté très heureusement de sa personne sur les champs de bataille le nom d'Henri II de Bourbon, c'est sans avoir encouru depuis les pacifications de Sainte-Menehould et de Loudun nul reproche d'échappées pernicieuses, que cette impétuosité de cabinets, de quartiers généraux et de conseils de guerre eût passé toute héréditairement, en la plus forte éducation militaire reçue au foyer paternel et sauf la transfiguration géniale, au vainqueur de Rocroy, de Norlinguen, de Fribourg et de Lens. Et Vendôme ! Sans la bataille des Ponts-de-Cé Vendôme n'eût point ajouté le burlesque d'une forfanterie doublée de couardise à la noirceur de ses mille rebellions contre la légitimité de sang royal ; et de la longue carrière maritime dont c'est à peine si les exploits couvrent tant d'écarts, on n'eût vu que la maturité brillante, la maturité d'un habile défenseur des côtes de l'Océan contre les entreprises de l'hérésie, de la fronde et de l'Espagne. En revanche, avec Nérestan que de prouesses ensevelies dans le feu d'une bataille qui, d'autre part, n'épargna Marillac que pour ne soustraire pas une goutte de sang à l'échafaud du lendemain de la journée des Dupes ! Inutile, au moins la victoire des Ponts-de-Cé le fut même au point de vue du prince dont les animosités l'avaient rendue inévitable, et l'avaient pour ainsi dire imposée à l'amour filial de Louis XIII. En son cruel triomphe Condé ne se pouvait flatter d'avoir vaincu Marie de Médicis, dès lors que Marie de Médicis, à l'heure même de la bataille engagée à son insu, persistait à la vouloir conjurer par une soumission honorable ; par une soumission dont un malentendu d'alcôve et un embarras de carrosse, en en retardant de deux heures la consécration officielle, ne lui ont pu souffler le bénéfice. Non, Condé a surpris mais il n'a pas vaincu Marie de Médicis, pas plus que ces vrais triomphateurs qui s'appellent Créquy, Bassompierre et Nérestan n'ont vaincu le nonce, Richelieu et Luynes. Comme il nous reste à le voir, ce n'est point à la bataille des Ponts-de-Cé que nous devons la réconciliation de Brissac ; ou pour mieux dire ces deux triomphes réciproques de la guerre et de la diplomatie ne peuvent naturellement s'infirmer dans leur plénitude respective. Et en somme, en envisageant dans la journée du 7 août 1620 tout ce que le jeune monarque forcé d'y vaincre sans y pouvoir combattre, en sa transparente sollicitude pour l'armée qui le sentait si proche d'elle, lui a tout à la fois communiqué d'élan et emprunté de lustre, on ne peut enregistrer sans fierté dans les annales angevines une victoire qui a grandi Louis XIII sans humilier Marie de Médicis. |
[1] [...] : mot(s) illisible(s).
[2] Marillac : [Richelieu] faisait travailler aux fortifications..
[3] Le port Ligny et le quai Loricard sont aujourd'hui confondus dans l'appellation du nouveau quai Ligny.
[4] Note illisible en tout ou partie (FDF).
[5] Note illisible en tout ou partie (FDF).
[6] Note illisible en tout ou partie (FDF).
[7] Aujourd'hui rue Boisnet.
[8] Ordonnance du 31 juillet défendant à tous les basteleurs... de passer hommes ou chevaux au port Ayrault, soit de jour ou de nuit, à peine de confiscation de leurs batteaux et de prison pour la première fois et de pugnition corporelle pour la seconde, avec injonction aux batteleurs de Haute et Basse-Chaisne de retirer leurs batteaux en la ville après sept heures du soir sur pareilles peines.
[9] Je n'ai pu ici que conjecturer les multiples causes de cette disgrâce de Lanier, sur lesquelles nos annales angevines gardent un silence presque absolu.
[10] Dans l'arrêt de proscription dressé contre Lanier et l'évêque Fouquet de la Varenne, figurait aussi entre autres l'élu Chalopin, l'un des plus compromis par son dévouement à Lanier. Chalopin, de son côté, alla chercher son refuge au château de la Plesse, appartenant à la famille de Farcy et situé à deux kilomètres d'Angers, sur la route de la Meignanne.
[11] Marillac : [Richelieu] faisait travailler aux vivres.
[12] Marillac : [Richelieu] faisait travailler à l'assemblée des troupes.
[13] Devant l'église de Saint-Serge et dans la direction du moulin de la Chaussée-Bureau.
[14] Dans cette évaluation, je n'ai pu qu'adopter une moyenne entre les données les plus diverses.
[15] Lettres du cardinal de Richelieu (publ. Avenel), t. I, p. 5b3. — Fontenay-Mareuil, pp. 145-151 : 154-155. — Vitt. Siri, p. 176. — La Nunz. di Fr., 15 juillet et 28 août. — Lettres du cardinal Bentivoglio, 5 août. — Marillac, pp. 20, 47, 48. — Arch. des aff. étr., f. Fr., n° 272, f° 217 — Mairie d'Angers : Archives anciennes, BB. 65, passim. — Archives anciennes non cataloguées EE, 1re série, n° 4. — Journal de Jehan Louvet, 1855, t. I. p, 139 ; t. II, pp. 19, 31-34, 41-47. — Rangeard, pp. 362, 365-368. — Rer. and. Pand., f° 94 v. Lettres et Mémoires de messire Philippe de Mornay, 7 août. — P. Griffet, t. II, p. 266. — Vie du cardinal-duc de Richelieu, pp. 80-81. — V. Cousin, Journal des savants, mai 1862. — H. Martin. p. 161. — Le Logis-Barrault. V. Pavie, Album du Maine et de l'Anjou, t. II. — Hist. de la paroisse Saint-Michel du Tertre d'Angers, p. Louis Rondeau (Angers, 1891), pp. 302-303.
[16] A l'envisager en lui-même, ce château, occupé aujourd'hui par la gendarmerie des Ponts-de-Cé, n'a guère, depuis l'année 1620, changé d'aspect, sauf l'altération infligée à ses ouvrages extérieurs par la grande route d'Angers à Brissac, passant le long de ses douves et au pied de son éperon oriental. L'éraflure observée sur la crête de cet éperon, et certainement due au ravage d'un boulet, ne remonte point à la bataille de 1620, mais seulement aux guerres de Vendée. — Parmi les principales reproductions de ce château, v. entres autres : 1° Le Recueil historique sur l'ancienne province d'Anjou, p. J. A Berthe, mss. 896 de la Bibl. municipale d'Angers ; 2° l'Album du Maine et de l'Anjou.
Quant à l'Île-Forte, son noyau primitif, qui, lors de la bataille des Ponts-de-Cé, ne comprenait guère que l'emplacement actuel de la mairie, s'est jusqu'à nos jours sans cesse développé vers la rive droite de la Loire par des atterrissements graduels jusqu'à l'établissement tout moderne de la prise d'eau de Loire.
[17] Ces deux ponts de Saint-Aubin et de Saint-Maurille ont été détruits de 1854 à 1856, pour faire place aux ponts actuels. On en voit une aquarelle dans le dessin du fonds Gaignières, dont existe une reproduction aux archives de la Préfecture. Il y en a surtout un dessin à la plume du pont Saint-Aubin, très soigné et très exact, de M. Fred. Lemaistre, que son digne détenteur actuel, M. Boutton, conseiller général et maire des Ponts-de-Cé, a mis à ma disposition avec sa gracieuseté habituelle. — Sous la dénomination de pont-levis, il s'agit ici seulement de traverses mobiles que, pour intercepter la circulation des ponts, on poussait sans doute avec des leviers ou des bascules. Le pont-levis du pont Saint-Aubin reposait sur trois arches séparant le bourg de Saint-Aubin des premières arches de pierres. Il pouvait là, moins qu'ailleurs, s'exploiter par une herse, dont les montants eussent trop surchargé ses minces piles ou soutènement, assises sur simples pilotis. C'est la conviction où m'a amené l'examen du dessin de M. Boutton, accompagné de ses judicieuses explications.
[18] Il avait alors, outre les trois traverses en bois dont se formait le pont-levis, dix-sept arches de pierre.
[19] Du moins il me parait impossible d'interpréter autrement ce membre de phrase du Ludovici XIII Itinerarium : Uncis ferreis fornicum ad sistendas naves.
[20] Cette agglomération comprend aujourd'hui, outre le bourg de Saint-Aubin : 1° l'île appelée alors l'île Forte ; 2° le bourg de Saint-Maurille, situé sur la rive gauche de la Loire.
[21] Un certain désaccord final entre Vendôme et Marillac au sujet de l'exécution de la tranchée de Saint-Aubin paraît se trahir dans cette dédaigneuse boutade de Marillac : Un ingénieur de Monseigneur de Vendôme, nommé Guichard, faisait un retranchement à sa fantaisie ; et aussi dans cette affectation de critique : Le soldat y estoit à descouvert jusqu'au genouil, son fossé n'estoit encor que tracé sans profondeur ni largeur considérable. Richelieu, au contraire, nous montre Marillac en absolue persistance d'une entente avec Vendôme. Mais observons ici de suite que, en général, pour ce qui est de sa participation militaire à la défense des Ponts-de-Cé, Marillac n'a que Richelieu pour contradicteur. Or, sur ce chapitre, il faut se défier du vainqueur implacable de la journée des Dupes.
[22] C'est cette grande prairie, coupée à angle droit par le canal de l'Authion et le chemin de fer de Poitiers, et qu'on laisse à sa gauche en arrivant par la grande route d'Angers à Saint-Aubin. Peut-être faut-il y voir un souvenir de la bataille dont elle fut le théâtre dans les dénominations cadastrales, attachées à certaines parcelles, de champ de la bataille, champ de barricades, pré du drapeau, champ du massacre.
[23] Dans ma conviction personnelle, fortifiée de celle de M. Boutton, il n'existe plus aujourd'hui de ces retranchements nul vestige, toute leur assiette ayant été, depuis deux siècles et demi, bouleversée par l'extension du bourg de Saint-Aubin, la canalisation de l'Authion, le redressement de la route d'Angers aux Ponts-de-Cé et l'érection de la levée de Belle-Poule. Il est vrai qu'on a cru voir le fossé de ces fameux retranchements dans un vallonnement d'une profondeur égale à celle que leur donnent les relations contemporaines, et qui sillonne transversalement, à trois cents mètres du- bourg de Saint-Aubin, entre le moulin de Mascille et cette portion de l'ancien lit de l'Authion appelé Fosse de r Authion, la grande prairie par où l'armée royale aborda les Ponts-de-Cé. En ce sens m'avaient d'abord séduit les ingénieuses conjectures (qu'ils ne donnent, il est vrai, que comme telles) de M. l'abbé Bretaudeau, curé de Saint-Aubin, et de M. Leguy, ancien greffier de paix des Ponts-de-Cé et aujourd'hui expert en la même résidence. Mais en examinant de plus près ce vallonnement dans sa forme, sa structure et sa direction, je suis revenu de ma première impression. D'abord, en effet, nulle trace de remblai (et toute tranchée suppose un remblai correspondant) n'en garnit les bords. Et puis ce vallonnement déploie tout son caprice de sinuosités hors de la ligne droite qu'a dû suivre la tranchée de 1620 entre l'église de Saint-Aubin et l'ancienne embouchure de l'Authion. Tout bien considéré, cette légère dépression ne me parait être que le lit d'un des affluents, aujourd'hui desséchés, du ruisseau qui traverse encore cette prairie en toute sa longueur, avant de se décharger à proximité de Saint-Aubin dans le petit réservoir survivant à l'ancien marais de la Guilbotte.
[24] Marillac : Les gardes furent posées [vers Pellouailles] par Marillac comme à la teste d'une armée ennemye en attendant le combat. La nuit se passa sans alarme dans les trouppes d'Angers. Mais non dans celles de M. de Luynes : elles eurent advis du dessein de les attaquer, furent jusques au jour sous leurs armes, aveq la diane. Biles hâtèrent la marche et furent bien trois quarts de lieue dans le grand chemin d'Angers. Puis elles plièrent à main gauche dans la routte de leur rendez-vous général. Marillac... à ce premier son de marche, que le vent aportoit jusques à son corps de gardes avancez fit mettre chacun en estat, envoya l'advis dans la ville, auquel Monseigneur le Comte accourut, il disposa sa plus grande force dans le grand chemin de Pellouaille dans lequel s'entendait le bruit, puis il s'y advança avec quelques mousquetaires pour y reconnoistre ou recevoir les ennemys. Monseigneur de Retz... se trouva là si ardent à combattre qu'il le fallut faire tenir par des gardes de Monseigneur le Comte. Il n'y chemina une demye heure sans reconnoistre par le bruit des tambours que leur routte estoit sur sa main droitte et hors du chemin d'Angers ; partout il renvoya sa mousqueterie, manda à Monseigneur le Comte ce changement et aveq six chevaux s'avança pour prendre langue plus certaine. Une ardoisière un peu élevée luy fit descouvrir la teste des ennemys, dressez dans un grand chemin qui aloit droit à Sorges, et suyvie d'une longue file d'infanterie, sans autres gens de cheval que les chefs et les officiers. Il envoya par deux fois quérir de la cavalerie pour faire quelque charge selon la commodité grande qu'ils en avoient par plusieurs chemins qui se rencontroient traversant la file de cette armée. Mais en vain, le général ne se voulut jamais dessaisir de ce qu'il avait auprès de luy, enfin toutesfois son nombre grossy de quelques volontaires qui luy arrivèrent après avoir costoyé les ennemys prez d'une lieue, il leur fit une légère charge dans un carrefour, dont il ramena trois prisonniers. Par eux, il seul que le rendez-vous général estoit à la plaine de Trelassay, à dix heures du matin, et le quartier du Roy pour le soir à Brin sur Authion, et dès lors on ne doubta plus que le dessein de Monseigneur lé Prince, ne fût sur le Pont de Cé.
[25] Ce théâtre de la bataille des Ponts-de-Cé je l'ai soigneusement arpenté tour à tour en l'agréable société de M. le curé de Saint-Aubin et de M. Leguy, et je ne saurais trop me déclarer redevable de mes constatations locales à leur assistance aussi obligeante qu'éclairée.
Parmi les sources historiques ci-dessous mentionnées, les deux principales sont les récits des deux grands acteurs du combat, qui de leurs camps adverses se contrôlent l'un par l'autre : Bassompierre et Marillac. Quant à ce dernier, je rejette les principaux extraits de son récit aux pièces justificatives, n° XII.
J'ai recueilli en outre sur la bataille des Ponts-de-Cé de précieux indices dans l'iconographie, il est vrai un peu fantaisiste, de ce grand événement. C'est d'abord et surtout un plan assez topique, quoique en plusieurs points contredit par les sources, de l'attaque de la tranchée de Saint-Aubin dans l'Album angevin. Mss. 903 (Bibl. d'Angers), t. I.
Ce sont ensuite les trois estampes, très précieuses et aujourd'hui fort rares, consacrées à l'ensemble de la bataille ; la première représentant le plan de la ville des Ponts-de-Cé, l'autre l'emplacement des troupes durant le combat, la troisième l'entrée de Louis XIII au château. Elles forment une suite composée à la louange de Louis XIII, sur la commande faite par sa veuve la reine-mère Anne d'Autriche au graveur Jean Valdor. Il est vrai que ces pièces, confiées à des mains mercenaires et inexpérimentées, et d'une gravure très grossoyée, ne portent (à part le frontispice où se lit le nom de Ladame aucune signature. C'est seulement le P. Lelong qui, dans sa Bibliothèque historique) les donne comme revêtues de la signature de Valdor. Mais c'est qu'il ne les mentionne qu'en son simple inventaire de la collection de leur possesseur originaire Brevet de Fontette qui, une fois fixé par leur examen sur l'attribution d'un auteur, aura consigné dans des étiquettes concomitantes ce nom de Valdor, absent de la gravure. L'une de ces estampes a été reproduite par E. Morel en ses Promenades artistiques. (Bataille des Ponts-de-Cé, d'après une ancienne estampe), en fac-simile réduit à moitié de grandeur de l'original. — V. en outre Montaiglon, Archives de l'art français, t. I.
[26] Le cimetière, depuis quelques années, a été remplacé par un mail et reporté à un kilomètre plus loin sur la route et dans la direction d'Angers. — L'ancienne et remarquable église, datant du XVe siècle, existe encore intacte.
L'ancienne embouchure de l'Authion se voit encore à trois cents mètres en amont du bourg de Saint-Aubin. La canalisation moderne l'a rejetée presque à une lieue en aval de Saint-Aubin, jusqu'au bourg de Sainte-Gemmes.
La tranchée formait la base d'un triangle dont les deux autres côtés consistaient dans : 1° cette portion du cours de la Loire allant de l'ancienne embouchure de l'Authion au pont Saint-Aubin ; 2° la grande rue de Saint-Aubin, joignant l'église à ce même pont. Le sommet du triangle était formé par le pont-levis fermant l'entrée du pont.
[27] D'Angers à la Loire, la tranchée, à vrai dire, inclinait plutôt vers la direction de nord-ouest à sud-est. Mais tout en tenant à en avertir ici le lecteur, j'ai cru devoir, au cours de mon récit, adopter comme plus expéditives les simples dénominations de nord et de sud.
[28] Ce coude de haie, qui joue un rôle prédominant dans la bataille des Ponts-de-Cé, ne porte nulle part, en nos sources, de dénomination propre. Mais, eu égard à ce que ces sources nous révèlent de sa situation et de sa forme, ce ne peut être que ce coude figuré par le plan cadastral comme le plus accentué de toute la haie septentrionale de notre champ de bataille, en même temps que le plus voisin du marais de la Guilbotte.
[29] La vérité historique m'oblige à citer encore parmi les compagnons de la fuite de Retz cinquante ou soixante gentilshommes, entre lesquels les nommés Bréauté, Custoyoux.
[30] Les quelques fuyards de l'armée de Marie de Médicis dont Etienne Pasquier constate et dont M. Aimé de Soland me confirme le passage au petit manoir de la Crossonnière, appartenant à la famille de Villoutreys et situé sur la rive gauche de la Loire, à une lieue du Pont-de-Cé, entre le bourg de Soulaines et la route de Cholet, n'étaient sans doute que quelques fuyards isolés du régiment de Retz. Nous avons vu figurer un sire de la Crossonnière parmi les officiers de l'armée rebelle.
[31] Sur la désertion de Retz, à première vue si problématique, et si amèrement stigmatisée dans le camp de Marie de Médicis, laissons le judicieux Fontenay-Mareuil nous fournir la note juste : Cette action fut fort blasinée non seulement de la reine-mère, qui n'en parlait jamais que comme d'une trahison, mais encore de la pluspart du monde, qui n'en sçachant pas le particulier, en jugeoit selon les apparences. Mais quand il se fust passé quelque temps et qu'on le vist sans récompense, ceux qui en jugèrent sainement et sans passion creurent bien qu'il ne qui pas fait de concert avec M. de Luynes, pour ne rien avoir, et que s'il luy eust promis quelque chose, il n'auroit pas manqué de lui donner, en la considération oà le cardinal de Retz était auprès de luy. De sorte qu'il falloit nécessairement qu'il eust esté trompé, croyant, comme je viens de dire, la paix faite, et qu'il n'osa retourner, estant déjà trop loin et n'y pouvant arriver que trop tard.
[32] Il ne reste plus aujourd'hui de ce qu'on appelait alors la forêt de Belle-Poule, que ce groupe de taillis entourant le château du maire des Ponts-de-Cé. M. Boutton, à 2 kilomètres en amont de Saint-Aubin, entre la levée de Belle-Poule, longeant la Loire, et le canal de l'Authion.
[33] Le castel de Rivette est devenu aujourd'hui la campagne du Petit-Séminaire Mongazon.
[34] A ce prieuré-cure pittoresque, dépendant jadis de l'abbaye angevine de Toussaint, se rattache la tradition du passage du grand missionnaire de l'Angleterre, saint Augustin, et du miraculeux jaillissement d'une source d'eau vive sous son bâton de voyage. Morel en a donné un dessin dans ses Promenades artistiques.
[35] Ce carrefour était alors, comme son appellation l'indique, le théâtre des exécutions criminelles. Là se dressaient des fourches patibulaires, au pied desquelles Louis XIII dut stationner forcément durant une partie de la bataille.
[36] Régulièrement, vu le rang que lui conférait au jour de la bataille des Ponts-de-Cé dans la distribution générale des forces royales le roulement semestriel, le régiment de Navarre, au lieu d'être relégué aux réserves de Saint-Augustin et des Justices, eût dû occuper le poste le plus saillant, assigné en avant des tranchées de Saint-Aubin au régiment de Champagne. Mais malheureusement Créquy, sous la suggestion d'un amour-propre de famille qui, nous l'allons voir tout à l'heure, faillit compromettre gravement le succès de la journée, profita de l'absence du mestre-de-camp de Navarre Thémines, attaché en Guyenne à sa campagne de diversion du duc de Mayenne, pour lui infliger ce passe-droit en faveur de son beau-frère Maurevel.
[37] Ce même régiment de Champagne, à qui cependant il venait déjà de sacrifier, dans l'assignation des postes de combat, le régiment de Navarre, en considération de son beau-frère Maurevel.
[38] La maladresse d'un des pointeurs exaspéra même contre lui un capitaine de l'armée rebelle qui, parait-il, ou peu s'en faut, déchargea sur lui son pistolet.
[39] Richelieu s'en prend à Boisdauphin de cette immobilité désastreuse de la cavalerie du grand Prieur. Il est vrai que de ce chef certaines complicités d'exploitation insurrectionnelle pouvaient faire soupçonner Boisdauphin de complaisance envers les Vendôme. Mais, d'autre part, la prédominance hiérarchique et les indices de complicité fraternelle incriminent directement le grand Prieur. D'ailleurs on sait avec quel lâche artifice les Vendôme accusent leurs collègues des décisions qu'eux-mêmes leur ont insinuées.
[40] Ce marais, sans doute, faisait suite à celui de la Guilbotte. C'est sur ce groupe de marais que passait alors le pont Bourguignon, aujourd'hui remplacé par cette écluse du canal de l'Authion sur laquelle passe, à l'entrée du bourg de Saint-Aubin, la route d'Angers aux Ponts-de-Cé.
[41] Dans cette évacuation générale des tranchées de Saint-Aubin, Richelieu, tout en glorifiant les dernières résistances de son cousin Pontchâteau, accuse la lâcheté de Marillac. Mais ici le violent contraste entre l'orgueil du népotisme et les ressentiments de la journée des Dupes éveille par trop de défiance au point de vue de l'impartialité des Mémoire. Il est vrai que, d'autre part, nous n'avons pour garant de l'énergique résistance de Marillac en la journée du 7 août, que ses propres déclarations. Mais, en laissant de côté l'incrimination par trop vague de Richelieu, ces déclarations de Marillac ne sont nulle part contredites. Elles cadrent même dans leur précision et leur vraisemblance avec les autres récits contemporains de la bataille des Ponts-de-Cé. Ajoutons que la chaleur même des éloges que Marillac prodigue aux collègues qui, attachés comme lui à la' défense des mémorables tranchées, en ont avec lui partagé l'honneur, nous est une garantie de plus de la sincérité de sa relation.
[42] Ce dernier épisode si lugubre de l'histoire de l'église de Saint-Aubin, je n'en ai trouvé nulle mention dans les sources historiques. Mais à cet égard M. le curé de Saint-Aubin est le gardien le plus autorisé d'une tradition trop vivace pour être révoquée en doute. Et il est le dépositaire d'autant plus sûr de cette tradition qu'il l'a pour ainsi dire recueillie sur place. Car l'ancien presbytère, d'où elle émanait surtout par le clergé intermédiaire, s élevait juste sur l'emplacement de la nouvelle cure, c'est-à-dire juste en face du portail de l'église dont le séparait seule la grande rue de Saint-Aubin.
[43] Cette grande rue est toujours celle qui continue la route d'Angers à Brissac jusqu'à l'entrée du pont de Saint-Aubin.
[44] V. sur le trépas tragique de Nérestan, son épitaphe dans la Trinité de Bruneau de Tartifume (mss. 871 de la bibliothèque municipale d'Angers, t. II, p. 75).
[45] Après le combat, Bassompierre fit vainement rechercher cet enfant perdu, sans doute pour le récompenser de sa prouesse.
[46] Je crois avoir reconnu cette ruelle. Dans la direction d'Angers vers la Loire, ce doit être la dernière de celles par lesquelles la grande rue de Saint-Aubin, du côté gauche, accède au premier bras de la Loire. Elle tourne en spirale, en pente raide, et par des degrés pavés, le long d'un vieux logis datant de l'époque du combat des Ponts-de-Cé, pour aboutir aux vestiges de la chaussée de l'ancien pont, et probablement sous sa première arche.
[47] Par cette démarche spontanée, Saint-Aignan devança son appréhension matérielle. Et c'est sans doute ce que veut dire Bassompierre en déclarant qu'il fut fait prisonnier sans combat. A la prendre trop à la lettre et dans un sens trop absolu, cette affirmation est absolument contredite par le récit fort circonstancié de Marillac.
[48] La durée totale de la bataille des Ponts-de-Cé proprement dite est d'une détermination difficile, vu la divergence de calculs s'appliquant aux phases les plus diverses de la victoire de Louis XIII, depuis le forcement des tranchées jusqu'à la reddition du château. Mais certainement les tranchées et le bourg furent enlevés en deux heures. L'attaque des tranchées, en effet, s'ouvrit à midi ; et n'est vers deux heures, c'est-à-dire peu avant de reprocher à Condé de ne l'avoir pas attendu deux heures, que Bellegarde et ses collègues de l'ambassade angevine rencontrèrent sur le chemin de Trélazé, au sortir de la fraîche conquête du bourg, le convoi sanglant de Nérestan et de Desmarais. — Ajoutons que si, d'une part, deux heures suffirent aux royalistes pour enlever des tranchées si défectueuses, si mal défendues et si soudainement désertées, en revanche il fallut bien à Bellegarde, nanti seulement à onze heures de la signature de Marie de Médicis, trois heures pour la rapporter à Trélazé dans les tâtonnements du circuit pédestre où le condamnèrent les coupures d'une route directe d'environ deux lieues. Par là s'explique la rencontre, à première vue invraisemblable, de l'ambassade angevine et des deux illustres blessés.
[49] Parmi ces officiers, outre Flosselière et Boisguérin il faut mentionner encore, entre les maréchaux de camp, le marquis de Brézé et deux collègues, avec un fils de Boisguérin.
[50] Une dénomination actuelle de l'Epinette m'a paru attachée à l'assiette et aux dehors de cet ancien logis aujourd'hui disparu. Il s'agit d'un espace qui, à droite de l'extrémité septentrionale du pont de Saint-Aubin, s'étend en exploitation maraîchère entre la grande rue de Saint-Aubin, les luisettes bordant la Loire et les bureaux d'octroi.
[51] Cette indication de sept heures marque le dernier terme possible de l'épisode formant le second acte du drame du 7 août, je veux dire l'enlèvement du pont-levis, sans en préciser l'exacte durée. Mais à envisager sur ce pont-levis la résistance acharnée des rebelles, favorisée de la sortie de la garnison de l'île et de l'attardement d'une partie de l'armée royale dans la débandade du pillage, ce nouvel épisode ne put durer moins que l'enlèvement des tranchées. Mettons au moins deux heures. Jusqu'à sept heures, tout le reste du temps se consomma dans le ralliement de l'armée royale au quartier de l'Epinette. A sept heures s'ouvre le troisième acte de notre drame (blocus et occupation du château) par l'acheminement de Créquy vers l'Île-Forte.
[52] Cette perte semble due surtout à l'hécatombe de l'église de Saint-Aubin. Sur la liste des morts les plus regrettables, il faut ajouter à Nérestan et à Desmarais l'enseigne Laprade.
Parmi les blessés dont l'évaluation m'échappe, Vintevalle et Turville avec Guitaut et Comminges furent blessés légèrement.
[53] On accuse un nombre de prisonniers égal à celui des morts. On n'a pas compté les blessés. — D'ailleurs, ici encore, je n'ai pu qu'adopter une moyenne entre les données les plus diverses. Ajoutons que ces évaluations numériques ne sont fournies qu'à propos de la bataille des Ponts-de-Cé proprement dite. Mais celles afférentes spécialement au siège consécutif du château des Ponts-de-Cé, même en ne les y supposant pas comprises, ne peuvent modifier sensiblement le compte général.
Une partie des morts fut, à l'issue même de la bataille, recueillie dans les tranchées, les maisons et les prairies de Saint-Aubin ; et l'on mit les trois jours suivants à retirer le reste du fond de la Loire.
Citons, parmi les morts les plus en vue, un lieutenant de Brézé, capitaine-enseigne d'une de ses compagnies, et le lieutenant de Boisguérin, aussi capitaine-enseigne, trouvés comme empacquetés et ensevelis dans leurs drapeaux ; un capitaine — dont le nom est demeuré pour moi illisible aux anciennes archives EE, non cataloguées, de la mairie d'Angers —, décédé à Moru et enterré en la chapelle existant autrefois dans ce village.
[54] Ces déplorables représailles se sont exercées surtout dans les bois qui environnaient autrefois le domaine de Pouillé, situé à trois cents mètres du bourg de Saint-Aubin, sur l'ancienne route des Ponts-de-Cé à Sainte-Gemmes, et aujourd'hui converti en orphelinat agricole sous la direction de M. le curé de Saint-Aubin, à qui je dois encore cette tradition indiscutée.
[55] D'autre part, hier encore, sur la rive gauche de la Loire et sur la butte où s'élève l'église Saint-Maurille des Ponts-de-Cé, on montrait un if antique sacrifié à de récentes constructions, et du haut duquel Marie de Médicis aurait, dit-on, assisté à la bataille du 7 août. Ce n'est là, bien entendu, qu'une plaisante légende. A part même la tardivité de son lever, suivi d'une prompte interception de la route d'Angers aux Ponts-de-Cé par l'armée royale, à part surtout l'impossibilité de percevoir, du point de vue de Saint-Maurille, absolument rien de la bataille engagée, ce jour-là toutes les convenances retenaient au Logis-Barrault une reine dissuadée d'une émigration d'outre-Loire qui eût seule expliqué sa présence à Saint-Maurille. Pour opérer d'ailleurs cette émigration à travers les lignes ennemies, Marie de Médicis n'avait rien en elle de l'intrépide agilité d'une duchesse de Berry ou d'une grande Mademoiselle.
[56] Après tous les noms évoqués dans mon récit, on peut citer encore un languedocien appelé Cassan, le capitaine Saint-Simon et son lieutenant Desfordes.
[57] Bassompierre, pp. 139, 143, 203 ; Richelieu, t. XXII, pp. 82-90. — Lettres du Cardinal de Richelieu (publ. Avenel), t. I, pp. 606, 626 et n. ; et t. VII (supplément), pp. 435 et 442. — Fontenay-Mareuil, pp. 150-151. — Rohan, p. 516. — Brienne, pp. 342-343. — Mém. de Puységur, publ. Tamisey de Larroque, t. I, pp. 6 et n., 7. — Arnauld d'Andilly, f° 19-20. — Merc. fr., pp. 330-336, 339-340. — Journal d'Herouard, pp. 182-190, 192-195. — La Nunz. di Fr., lettres des 8 et 10 août, datées du Ponts-de-Cé, avec l'allegata de Modène ; et lettres des 12, 22, 24 août, 6 septembre. — Lettres et mém. de mess. Ph. de Mornay : lettre du 7 août ; Mém. du roi à Duplessis-Mornay, 8 août. — Dispacc. degl. amb. ven., 22 août. Marillac, pp. 43, 48-68, 71-75, 82-92, 200. — Bibl. nat. : f° Fr. 3814, p. 67 ; F. divers, 15.022. — Faultes remarquées, etc. pp. 75-76. — Matt. de Mourgues, Lumières, etc., pp. 34236. — Aventures du baron de Fæneste (Cologne, 1721), pp. 207-210, 243, 252-253. — Mairie d'Angers, arch. anciennes non cataloguées, dossier Guerre entre Louis XIII et la Reyne-Mère, malheureusement entamé par des déchirures. — Jehan Louvet, t. II, pp. 36-37, 50, 53-54. — Barthélemy-Royer, Hist. d'Anjou (Revue de l'Anjou, 1852), pp. 482-487. — Rer. and. Pand., p. 95. — Rangeard, pp. 335, 369-373. 374-375. — La prise du Pont de Sé et de son chasteau par l'armée du Roy (Paris. chez P. Roulet, 1626, pp. 5-10, 12. — Lb36 1447 : La prise de la ville du Pont de Sée et la defaitte des Trouppes qui estaient en icelle, contre le service du Roy, ensemble tout ce qui cy est passé et les drapeaux et guidons qui y ont esté apportés à la Reyne par le commandement de Sa Majesté. Le tout selon l'advis qu'en a donné Monseigneur le duc de Montbazon à Messieurs de la Cour du Parlement le unziesme aoust. (A Paris, chez Isaac Mesnier, rue des Mathurins. 1620), pp. 5-7. — Lb36 1448 : Récit véritable de ce qui s'est passé en la prise du Pont de Sé (Paris, chez Nicolas Trennet, demeurant en la rue de Saint-Jean de Latran), pp. 3-6, 8-9. — Lb36 1449, p. 9. — Lb36 1454, pp. 19-20, 22-30. — Lb36 1455, pp. 7-10, 12-17. — Chron. de Michel Courjaret, p. 323. — Barthélemy Roger (Revue de l'Anjou, 1852), pp. 482-487. — Ludovici XIII Itinerarium, pp. 17-22. — Roncoveri, pp. 323-329. — Gramond, pp. 297-301. — Malingre, pp. 65.5-662. — Dupleix, pp. 137-139. — Le P. Griffet, pp. 266-267, 269. — Levassor, pp. 591-592. — Mme d'Arconville, pp. 71-73, 76. — Vie du cardinal-duc de Richelieu, p. Leclerc, pp. 39, 85-88. — La Vie du P. Joseph, capucin, de Dupré-Balain (en copie), f° 472. — Vie du vénérable P. Joseph, capucin, pp. 140-141. — Batterel, mss. de l'Oratoire, t. I, l. III, n° 82. — Henry de Rohan, P. Auguste Laugel (Firmin Didot, 1889), pp. 91-92. — V. Cousin, Journal des Savants, mai et juin, 1862. — Bazin. pp. 357-370. — H. Martin, p. 161. — Dareste, pp. 67-68. — Bodin, Recherches historiques sur l'Anjou, 1847, t. II, pp. 246-252. — L'Anjou et ses monuments, par M. Godard-Faultrier, t. II, pp. 461-462. — Histoire de Saint-Michel du Tertre, par M. Rondeau, passim. — Dict. de C. Port, art. Ponts-de-Cé. — Renseignements fournis par M. le curé de Saint-Aubin des Ponts-de-Cé et MM. Boutton et Leguy.
[58] V. le Baron de Fæneste, sup. cit.
[59] Bautru, nous dit Tallemant, y avoir [au combat des Ponts-de-Cé] un régiment d'infanterie au service de le Reine-Mère, et il lui disait un jour : Pour des gens de pié, madame, en voilà assez ; pour des gens de cœur, c'est une autre affaire.
J'ai déjà dit, ajoute Tallemant, qu'il [Bautru] était à la débâcle du Pont-de-Cé. Quelqu'un qui estimoit fort un M. de Jomelière qui avoit quelque emploi en cette guéritte lui dit : Qu'est-ce qui est plus hardi que Jomelière ? — Les faubourgs d'Angers, répondit-il, car ils ont toujours été hors la ville, et, lui n'en est pas sorti. — Les Historiettes de Tallemant des Réaux (publ. Monnoyer, 1834), t. I, pp. 104-105, 348.
Ajoutons au chapitre des facéties auxquelles a donné lieu la bataille des Ponts-de-Cé une comédie que firent jouer à leurs élèves les Jésuites de La Flèche.
[60] L'on dit encore aujourd'hui : La drôlerie des Ponts-de-Cé, ils sont quatorze à porter une ardoise.