LA GUERRE ENTRE LOUIS XIII ET MARIE DE MÉDICIS

1619-1620

 

CHAPITRE VI. — LA MARCHE DE L'ARMÉE ROYALE DE LA FLÈCHE AUX PONTS-DE-CÉ PRÉLUDE DE LA RÉCONCILIATION FINALE.

 

 

A peine la garnison de Marie de Médicis avait-elle déserté La Flèche, que l'armée royale, le 4 août, par la route de La Suze, y entrait librement : à savoir Condé en avant-garde et à sa suite Louis XIII, qui, pour la première fois depuis son entrée en campagne, arborait là, comme par un surcroît d'hommage chi aux cendres paternelles, après l'héréditaire panache blanc des tranchées du plateau de Saint-Gilles la cornette blanche. Et vite, à l'ombre et comme sous les inspirations émanant du mausolée par là si filialement honoré dans sa prompte délivrance, Louis XIII, avant d'entamer l'Anjou, et tout en assurant derrière lui pour la dernière fois ses conquêtes de la veille, prépara sa marche du lendemain. A cet effet, au premier point de vue il avait d'abord, au cœur de la Champagne, à Rethel, entretenu l'ancienne concentration militaire. Puis, dans les mêmes calculs, passant de là à une autre extrémité de sa capitale tranquillisée, à travers la Normandie encore atterrée du prestige de sa victoire originaire, il avait reversé de Picardie en Bretagne, en vue d'une plus immédiate protection de ses derrières, les recrues les plus septentrionales ; et de là se reportant au centre du Perche, il avait renforcé Châteaudun. Au second point de vue, en plein Maine, et déjà à l'entrée de l'Anjou poursuivant les sollicitudes que dès l'entrée au Mans nous l'avons vu si allègrement embrasser, et tout en prescrivant d'avance à son armée la concentration générale à trois lieues d'Angers, il enleva vite à Marie de Médicis pour les retourner contre elle les postes garnissant les cours d'eau de son apanage, et qui, une fois dépourvus de la protection centrale de La Flèche, ne pouvaient plus tenir pour elle. D'abord, pour s'affermir sur le bassin du Loir, il envoya occuper, en amont et en aval de La Flèche, le Lude et Durtal. Passant de là vers sa droite au bassin de la Sarthe, il envoya sommer dans Sablé le fils du maréchal de Boisdauphin, marquis du même le nom qui, pour une soumission conforme au commandement paternel, n'attendait que ce signal. Sur le bassin de la Mayenne, et sous le double bénéfice de la résistance de La Varenne au poste intermédiaire de Sainte-Suzanne et de l'occupation en aval du poste de Saint- Mars-la-Jaille avec l'escouade volante de Du Coudray, un détachement de l'armée royale entrait à Château-Gontier par la porte septentrionale de Thrée en repoussant vers Angers la garnison de la reine-mère par la porte opposée, qui se referma de suite sur l'approche tardive d'un détachement de secours ; si bien que le gouverneur La Mothe-Ferchaud n'eut plus qu'à suivre le courant indiqué déjà vers la clémence royale par ses devanciers de la Normandie, du Perche et du Maine.

En poursuivant autour de lui l'assujettissement de cette ligne de citadelles qui protégeaient les cours d'eau de l'apanage maternel, et en passant à sa gauche, Louis XIII ne pouvait négliger sur le bassin de la Loire le poste essentiel de Saumur. Mais là il avait affaire à un gouverneur qui, dans l'autonomie en même temps que dans la sincérité de son royalisme, entre les deux camps de la guerre civile avait jusqu'ici dérobé toute prise à l'accaparement exclusif des stratégies adverses. Aussi, d'un côté Louis XIII, à la vérité, songeait-il peut-être dès lors à déposséder de cette place de sûreté au début de l'imminente guerre de religion en la personne de Duplessis-Mornay tout le protestantisme méridional. Mais, d'autre part, il y avait pour lors à ménager dans le gouverneur de Saumur un homme d'où dépendait en grande partie la perméabilité fluviale de l'Anjou. Aussi Louis XIII ne voulait-il pas trop vite enfreindre l'inviolabilité légale d'une citadelle que Duplessis-Mornay d'ailleurs venait de soustraire aux appropriations du duc de Rohan, et où la diplomatie de Luynes, de Richelieu et du nonce trouvait une si hospitalière assistance. Il avait donc seulement, à la date des 30 juillet et 3 août, prié Duplessis-Mornay de lui réquisitionner dans son gouvernement et de lui tenir en réserve tous les bacs de la Loire en vue du transport aux Ponts-de-Cé de quatorze canons qui descendaient d'Orléans et auxquels s'adjoindrait chemin faisant, sauf réintégration ultérieure, toute l'artillerie du château de Saumur. Certes, un dégarnissement même provisoire de l'arsenal de sa citadelle, eh vue d'une attaque immédiate de l'apanage de Marie de Médicis, démentait chez Duplessis-Mornay la persévérance d'une expectative militaire, il est vrai par ailleurs bien rudement éprouvée. Car il y avait près de deux semaines qu'un éclaireur de la reine-mère, La Perraudière, expédié d'Angers vers Saumur par la levée de la Loire, campait là insolemment à une lieue de lui. Mais pour le débusquer de ce poste de provocation il eût fallu que Duplessis-Mornay se départit vis-à-vis de la reine-mère de sa stricte attitude d'une surveillance modératrice, et cela par une démarche offensive. Or c'est cette évolution-là même dont il s'interdisait soigneusement l'initiative en sollicitant là-dessus du roi, pour le dégagement de sa responsabilité, des ordres formels. Et de la part du roi pour l'instant il ne s'agissait à son égard que d'une requête officieuse en vue de la mise en disponibilité de son matériel de guerre. Aussi lorsque, à l'appui des sollicitations royales, arrivèrent à Saumur, le 5 août, le maréchal de camp Lestelle avec Prévot, commissaire d'artillerie, l'ombrageux gouverneur, en leur montrant dans son arsenal ses deux seuls canons transportables, ne déclara s'en dessaisir qu'avec l'articulation de ses réserves, en ne voulant d'ailleurs, pour la sauvegarde des immunités qu'il leur rappelait en invoquant l'édit de Nantes, d'autre sûreté que la parole royale. Après tout, même à l'heure où elle s'exprimait avec une si libre franchise, la déférence de Duplessis-Mornay à des désirs interprétés par lui comme des ordres, recevait son dédommagement. Il y gagnait pour sa banlieue l'affranchissement des insultes de La Perraudière, qui désormais n'eut plus qu'à se replier vite sur Angers avant de se voir pris entre deux feux. Car avec un fort détachement de quatre mille fantassins et de quatre cents chevaux se partageant dès Saumur entre les deux rives de la Loire, Praslin, une fois muni des canons de Duplessis-Mornay ajoutés à ceux qui descendaient d'Orléans, les escortait en aval jusqu'aux Ponts-de-Cé pour y couper Marie de Médicis d'avec ses assistances méridionales.

 

Les Ponts-de-Cé étaient en effet le nœud gordien du parti de la reine-mère. Car depuis son resserrement entre Saumur et Nantes, sur la rive droite de la Loire, Marie de Médicis ne communiquait plus que par les Ponts-de-Cé avec les ducs d'Épernon et de Mayenne. Aussi est-ce aux Ponts-de-Cé qu'elle devait, ce semble, essuyer le coup de grâce. Mais d'autre part Angers renfermait avec la reine-mère tout son état-major. Aussi, une fois parvenu en face du dernier terme de sa campagne, Louis XIII se demanda s'il n'y devait pas plutôt, après avoir détaché seulement Praslin vers les Ponts-de-Cé, viser finalement avec le gros de ses forces le siège même de la révolte. Ajoutons que l'impulsion de la victoire n'avait pas précipité vers l'Anjou Louis XIII plus vite que ne l'y avait attiré l'amour filial. C'est cet amour filial qui lui avait dicté à l'adresse de sa mère les ménagements de la Déclaration de Mortagne, agissant en cela concurremment aux démarches de la diplomatie du nonce. Il est vrai que cette diplomatie, comme nous l'allons voir, venait d'échouer au Mans vis-à-vis de Louis XIII, ou plutôt vis-à-vis de Condé, en la personne de l'archevêque de Sens et du Père de Bérulle. Mais Louis XIII espérait qu'à sa seule apparition sous les murs d'Angers, et avant le premier coup de canon tiré contre le chef-lieu de l'apanage maternel, il y aurait pour lui la revanche définitive de cette dernière rupture du Mans ajoutée à celles d'Orléans et de Tours. Il espérait que celle qui, ce semble, à Angers n'attendait plus pour répondre à ses avances que la double persuasion de la tendresse et de la victoire, enfin lui ouvrirait largement ses deux bras désarmés. A première vue il le pouvait surtout espérer grâce au retour rassurant de l'ambassade angevine réexpédiée, comme nous le verrons encore, d'Angers sur La Flèche. Mais ce que nous ne reverrons que trop entre cette ambassade et Louis XIII, c'est toujours l'interposition de Condé, et à travers Condé Marie de Médicis ne pouvait jamais paraître assez mûre pour une réconciliation définitive ; et dès lors le choix entre Angers et les Ponts-de-Cé n'était plus qu'une question de stratégie ressortant des délibérations d'un conseil de guerre.

Il y eut donc à La Flèche, le 5 août, un conseil de guerre où s'agita avec les seuls ministres la grave question du siège d'Angers. Dans le sens négatif Condé, qui, au fond, redoutait plus qu'il ne l'avouait l'aimantation de Louis XIII vers l'asile maternel, représenta fortement à Louis XIII le danger d'attaquer une place qui, depuis la soumission de la Normandie et du Maine, venait de recueillir en sa large enceinte, baignée de si nombreux cours d'eau, toutes les forces septentrionales du parti de la reine-mère, à savoir, en en déduisant la garnison des Ponts-de-Cé, huit mille hommes de pied et douze- cents chevaux à opposer à une armée assiégeante comptant seulement, en défalquant le détachement de Praslin lancé vers Saumur, seize mille fantassins et douze cents chevaux. Un échec devant les portes d'Angers, ajoutait-on, c'était finalement, avec l'oblitération du prestige inauguré sous les citadelles de Rouen et de Caen, la ruine de la cause royale. Et ici dans ce sens Henri de Bourbon plaçait une nouvelle leçon d'histoire, avec tout ce que sa race professait de dégagement dans l'évocation de ses périodiques révoltes. En remontant dans le souvenir de nos querelles intestines jusqu'à la troisième guerre de religion, et en y empruntant tour à tour le point de vue des deux causes adverses, il rappelait ce que les deux entreprises successives des deux sièges de Poitiers et de Saint-Jean-d’Angély avaient eu réciproquement de funeste. Car tour à tour Louis de Bourbon avait dû lever le siège de Poitiers pour aller essuyer avec Coligny le désastre de Montcontour ; et à l'inverse le vainqueur de Moncontour et de Jarnac avait, sous les remparts inutilement forcés de Saint-Jean-d’Angély, échangé le fruit des deux victoires auxquelles s'est attaché le nom d'Henri de Valois contre le triste couronnement de la paix boiteuse et mal assise. Et si, ajoutait là-dessus Condé, Votre Majesté ne veut s'approcher des murs d'Angers que pour y écraser d'un coup dans son quartier général l'insurrection septentrionale, elle peut l'attirer toute aux Ponts-de-Cé pour l'y vaincre plus sûrement en rase campagne.

Une telle solution, appuyée de la majeure partie du conseil, satisfaisait à la fois en Louis XIII les impatiences guerrières, et, au rebours des prévisions et à l'insu de Condé qui l'écartait d'Angers de peur de la raviver en lui, la délicatesse filiale. Car aux Ponts-de-Cé Louis XIII combattrait de près et à découvert sur un vrai champ de bataille, sans la perdre de vue et tout en la respectant dans sa personne et dans son foyer, celle qui ne lui était pas assez ennemie pour cesser d'être sa mère ; celle dont il semblait inconvenant de forcer l'asile dès qu'on lui insinuait comme prématuré de l'y vouloir fléchir par la tendresse. Aussi, avec sa soudaine détermination, brusquant la levée du conseil : Je ne vous demande pas présentement, dit-il, si je dois attaquer ou respecter Angers. Il s'agit seulement de savoir si ma mère doit, ou non, y demeurer. Si elle évacue Angers pour émigrer en Poitou, il nous faut jeter de ce côté ci de la Loire le fourreau de nos épées pour l'y suivre. Si au contraire elle reste à Angers, nous aurons bientôt la paix. En attendant, je veux m'approcher le plus près possible d'Angers vers les Ponts-de-Cé. Les Ponts-de-Cé sont à la conservation d'Angers d'une telle importance, qu'à peine en approcherons-nous qu'y afflueront toutes les forces maternelles. Et il nous serait malséant, en les ayant là devant nous face à face, de ne leur pas rompre en visière. Allons-y donc, et après avoir vu ce que Dieu nous réserve, aux Ponts-de-Cé nous aviserons au reste.

 

Encore une fois, c'était bien sur le champ de bataille des Ponts-de-Cé qu'on devait aller chercher le dénouement de la guerre civile, dès lors qu'on ne la voulait pas encore trouver immédiatement dans l'ambassade de l'archevêque de Sens, même avec tout ce dont venait de s'élargir sa signification sacerdotale. Car en réalité l'archevêque de Sens ne la résumait pas toute en lui seul. Mais dans cette ambassade, formée sous sa présidence en plein conseil du Louvre, on n'avait d'abord introduit ostensiblement que des noms également acceptés de la Cour et de la reine-mère. On en excluait par là-même un personnage qui, dès les débuts de notre querelle intestine, avait fort contribué avec le Père Joseph à rappeler Richelieu de son exil d'Avignon, mais qui ensuite avait été leur collaborateur moins heureux dans la conclusion de la paix d'ailleurs si fragile d'Angoulême. C'était, en effet, comme nous avons vu, le Père de Bérulle qui, au début de ce premier essai de réconciliation et par une malencontreuse initiative ; c'était le Père de Bérulle qui, au rebours des calculs plus prévoyants du nonce et de Richelieu, en suggérant l'octroi d'une place forte à Marie de Médicis, l'avait armée pour la guerre civile. Aussi, depuis lors, le Père de Bérulle avait-il encouru à la fois la défaveur de Luynes pour avoir en principe tiré de ses mains au nom de la reine-mère des sûretés si vite retournées contre lui, et le discrédit de Richelieu qui, après avoir vainement signalé le péril inhérent à une telle démarche, en conjurait à si grand'peine les ravages. Et néanmoins, précisément dans cette imprudente complaisance du Père de Bérulle à pourvoir sa souveraine d'une citadelle où d'ailleurs il l'assistait dans sa propagation de l'Oratoire aussi activement que faisait le Père Joseph en sa fondation des Calvairiennes, le Père de Bérulle avait tacitement gagné la confiance personnelle de Marie de Médicis, sinon au même degré que Richelieu, du moins à l'égal de son collègue dans l'apostolat angevin. Et voilà pourquoi finalement à la cour on envisageait le Père de Bérulle comme pouvant être, au regard de la députation de l'archevêque de Sens, un auxiliaire formant comme un digne pendant du Père Joseph. Car si le Père Joseph avait été le précurseur d'une aussi solennelle ambassade, pourquoi, se disait-on, le Père de Bérulle n'en serait-il pas vis-à-vis de Marie de Médicis comme le pieux entremetteur et l'interprète ? Ajoutons que le nonce, bien qu'associé d'abord Richelieu clans les graves avertissements provoqués par la dangereuse initiative de Bérulle, au fond, grâce aux tendances de ses sollicitudes officielles, inclinait plus vers la diplomatie spirituelle de l'introducteur du Carmel en France et du fondateur de l'Oratoire, que vers les hardiesses gouvernementales du prélat s'érigeant clans la citadelle une fois concédée malgré lui, en défenseur armé de la reine-mère.

Aussi le plus éminent représentant du catholicisme au royaume déchiré par notre querelle intestine, eût-il souhaité dès l'origine l'adjonction manifeste du Père de Bérulle à l'ambassade présidée par l'archevêque de Sens. Mais, vu les difficultés d'introduire en un conseil où dominait avec Condé le génie de la guerre, des sollicitudes de réconciliation, c'était déjà beaucoup d'y avoir obtenu le départ du prélat métropolitain de la maison royale avec la triple assistance de Jeannin, de Montbazon et de Bellegarde. Qu'eût-ce été si, en plus de telles garanties d'impartialité, et comme pour en infirmer la portée, on y eût officiellement adjoint l'homme qui, dans son inféodation spirituelle à Marie de Médicis, s'était déjà tant aveuglé sur les arrière-pensées de celle à qui il avait voulu n'assurer dans sa disgrâce qu'un asile, mais que dans sa révolte il avait par là munie d'un arsenal ? Et dans cette exploitation criminelle par Marie de Médicis d'un gage de sûreté dont elle lui était surtout redevable, quel champ d'accaparement à exercer par les Soissons et les Vendôme sur leur trop candide complice ! Il n'y avait pas jusqu'à cette anomalie d'une vocation plus ou moins sérieuse d'oratorien couvée dès lors chez le remuant Chanteboube, qui ne dût mettre au Logis-Barrault le Père de Bérulle sous le jour d'un aumônier de sa cabale. Le Père de Bérulle, aux mains de l'état-major de Marie de Médicis, c'était un peu de ce que rêvera plus tard la Fronde au regard de saint Vincent de Paul.

Et cependant, en dépit de ce qu'innocemment il offrait de prise à la cabale de son étrange néophyte, encore une fois l'industrieux et insinuant Père de Bérulle n'en était pas moins à l'ambassade suggérée par le nonce un précieux auxiliaire. On espérait que, d'ailleurs, tout ce qui se mêlait de pieuses illusions à l'ingéniosité de son zèle, cèderait aux représentations du nonce et de l'archevêque de Sens, écoutées dans la docilité hiérarchique et avec la déférence des calculs apostoliques. Dans ce même ordre d'idées et malgré sa naissante disparité d'humeurs avec l'évêque de Luçon, Bérulle ménageait en lui le vrai dépositaire de la confiance de Marie de Médicis, sans qu'en retour Richelieu dédaignât de complaire à l'homme qui la viendrait partager avec lui. Et ainsi, grâce à la fois à cette réciprocité d'égards dans le plus intime conseil de Marie de Médicis, et avec son alternance d'affinités avec les groupes extrêmes du Logis-Barrault, Bérulle y deviendrait ainsi un modérateur en partie double ; il servirait de liaison et d'amortissement entre le nonce et Richelieu comme entre Richelieu et Chanteboube.

Mais, pour introduire le Père de Bérulle en une ambassade qui souhaitait son assistance encore moins vivement que la Cour ne l'eût répudiée si on la lui eût de prime-abord proposée en face, il y fallait doucement préparer les — voies souterraines. Ce n'est pas qu'à cet égard Luynes fût longtemps un obstacle. Pour le réconcilier avec l'emploi de Bérulle, il suffit au nonce de le lui représenter comme acceptant beaucoup plus bénévolement que ne le faisaient tous les Chanteboube et les Soissons, auprès de Marie de Médicis le contrôle de Richelieu. Mais ce n'est certes pas par cette soumission à Richelieu que Bérulle se recommandait à l'adversaire le plus déclaré du prélat qui ne poursuivait avec Luynes le retour de Marie de Médicis au pouvoir que pour l'y mieux contrebalancer ensemble et par elle. En d'autres termes, pour l'emploi de Bérulle, le nonce n'eût pu trouver au conseil du Louvre une plus infranchissable fin de non-recevoir qu'en la personne d'Henri de Bourbon contre une ambassade en principe résolue malgré lui et qui, sans les égards dus à sa prééminence gouvernementale, lui serait demeurée sans doute un mystère. Mais le mystère qui à son égard n'avait pu planer sur la composition et le départ d'une aussi solennelle ambassade, en pouvait couvrir le développement. Aussi, tandis que le groupe officiel dont Bérulle devait auprès de Marie de Médicis et d'un commun accord commenter les ouvertures, préparait vers elle sa marche ostensible, on ne lui voulut expédier que clandestinement leur mystérieux collègue, sous le bénéfice d'une date de départ plus reculée et d'un itinéraire distinct, et sous le prétexte d'une retraite éloignée en l'une des maisons provinciales de l'Oratoire.

Mais le plus grand obstacle à la mise en mouvement du Père de Bérulle, ce furent longtemps ses propres dénégations. Car de bonne heure et de très bonne foi il avait vu dans la concession périlleuse que lui devait Marie de Médicis le principe de la guerre civile. Aussi redoutait-il, encore plus que le Père Joseph ne l'avait fait quant à sa restauration des fontevristes, redoutait-il de risquer son avenir d'apostolat en des ingérences où ne l'attendait, croyait-il, qu'une récidive de malheurs. Et à première vue il lui en coûtait aussi de revoir dans Richelieu le censeur et le redresseur de ses démarches, l'homme qui sans doute ne lui saurait nul gré de l'avoir avec le Père Joseph ramené d'Avignon à Angoulême, dès lors qu'après la paix d'Angoulême il lui avait prêché son retour en son évêché de Luçon.

Aussi le Père de Bérulle à son tour se défendit longtemps contre les supplications du nonce. Et pour triompher de sa résistance, outre les ordres du roi suivis d'une lettre des plus' pressantes de Luynes à l'adresse de Richelieu[1], il fallut à Bérulle comme au Père Joseph la perspective d'un renouvellement d'apostolat sous cette forme, déjà pour ce dernier si décisive, d'une préparation par la concorde à la guerre sainte.

Du reste, pour se préparer lui-même à cet élargissement d'apostolat, et toujours sur les traces du Père Joseph, le Père de Bérulle n'avait qu'à rafraîchir son recueillement claustral dans l'échange des agitations urbaines de son laborieux prosélytisme contre la solitude où l'allaient vouer dans son voyage occulte de Paris à Angers ses étapes rurales. Parti de Paris le 7 juillet en l'unique société de son confrère le Père Mathurin Dugué, Bérulle, chemin faisant, abîmé dans ses soliloques spirituels, demeurait sourd aux interpellations les plus discrètes de ce pieux compagnon de route. Insensible aux feux de la canicule, dans le harassement de toute un journée de marche il ne cherchait pas même où reposer sa tête. Un soir seulement, et sur l'instance du Père Dugué, Bérulle se permit, dans une méchante auberge et sur l'appui d'un bahut, le soulagement d'une sieste. Mais lorsqu'à son réveil il vit le confrère qui venait de lui prescrire le sommeil catéchiser à sa porte la jeunesse du village, il s'écria qu'on venait de lui donner là une leçon qui s'imposait même aux évêques pour le salut des âmes, mais que lui-même s'avouait indigne de suivre. C'est que pour lors il appartenait tout entier par la méditation à des sollicitudes de diplomatie sacerdotale qui le suivirent jusqu'au seuil de la ville qui en devait être le théâtre. Et même là, comme pour une digne clôture à cette retraite improvisée à travers champs, le 22 juillet, jour de la fête de sainte Madeleine, il s'enferma dès le matin dans l'église alors consacrée à Angers sous ce vocable, pour y demeurer tout le jour prosterné dans le jeûne et la prière.

Une fois muni de cette restauration spirituelle et sous l'incognito qui le soustrayait jusqu'au terme de son voyage aux proscriptions d'abord encourues par ses collègues officiels, le Père de Bérulle les rejoignit vite au Logis-Barrault[2], où déjà, dès les séances préliminaires, surgit entre eux et Marie de Médicis une discussion capitale. Car, faute d'avoir pu écarter d'auprès de la reine-mère l'ambassade résolue et formée malgré eux, au moins les Vendôme en voulaient au Logis-Barrault surveiller de près les démarches. Aussi, dès l'arrivée des plénipotentiaires avec qui ne les avait certes réconciliés ni le contremandement de Saumur ni l'entreprise sur le comte de Rochefort, nos intransigeants, sous le couvert d'une sollicitude générale pour la considération du parti, exigèrent l'assistance de toute la noblesse insurgée aux conférences dont cet événement donnait le signal, et que l'accueil de cette réclamation eût transformée en un congrès général : sachant qu'ils y figureraient hiérarchiquement avec les Soissons en première ligne. Mais c'est que justement l'archevêque de Sens et ses collègues n'étaient venus à Angers que pour y négocier avec la reine-mère aussi secrètement que possible. Avec la reine-mère et en son nom, Richelieu seul les pouvait et les devait entendre, hors de toute interposition ou tumultueuse ou perfide. Aussi les ambassadeurs dont la cabale de Chanteboube eût répudié de prime abord, sinon empoisonné les ouvertures, tinrent bon pour leur radicale exclusion. Malheureusement, jusque sous la surveillance de Richelieu, Marie de Médicis avait trop habitué son état-major à s'implanter chez elle comme indispensable à tous les conciliabules de la guerre civile, pour qu'elle osât les éconduire des colloques qui en préparaient le dénouement. Elle insista donc pour leur admission. Et là-dessus on allait briser, sans l'adoption d'un plausible moyen terme. Sans admettre aux conférences préliminaires tout ce qui y ferait dégénérer les discussions en une stérile cacophonie, on y pouvait accueillir en la personne des Soissons une représentation du parti assez hiérarchiquement autorisée pour en imposer d'elle-même, non certes universellement. Nous en attestons ceux qui ne s'étaient pas associés à la requête introductive d'Anne de Montafié pour se résigner sur le terrain des prérogatives par là même obtenues, à lui céder le pas. On peut donc affirmer que les Vendôme s'offusquèrent de ce dont bénéficiait seule leur complice ; et tel était le vœu du prélat qui, vis-à-vis de l'état-major des rebelles, ne cherchait qu'à le diviser en y attisant des jalousies de préférence. Pour Richelieu ce n'était là qu'une suite de ses tactiques de dissolution. Après avoir, dès les préambules insurrectionnels d'Angoulême, scindé déjà par là Chanteboube d'avec ses consorts Mosny et Thémines, à l'autre extrémité de la guerre civile et dans la fermentation de Chanteboube on scindait les Soissons d'avec les Vendôme. Il est vrai que les Vendôme étaient par là rejetés dans la voie des récriminations à outrance contre une paix qui n'était pas leur œuvre. Mais nous avons vu les Vendôme, aux derniers jours de l'équipée concomitante de La Flèche, trop désireux de lier leur capitulation à celle de leur souveraine pour désavouer rien de ce qu'avec la députation du nonce elle traiterait sans eux. Force leur fut donc de laisser entre Richelieu et Marie de Médicis Anne de Montafié se débattre seule avec l'ambassade qu'elle gênait de sa présence. Ils se réservaient seulement d'exhaler contre un dénouement à huis clos de la guerre civile, et tout en les sachant d'avance stériles, des murmures qui au moins couvriraient leur lassitude.

Mais tout en interdisant à l'aristocratie insurgée l'entrée des conférences. Marie de Médicis ne renonçait pas à leur en déférer les péripéties dans la quotidienneté des communications verbales. Elle demanda donc. à l'ambassade du nonce pour mander ses adhérents des extrémités du royaume, et puis chaque jour se retourner vers eux et les mettre d'accord entre eux et avec elle sur chacun des articles agités derrière eux, un armistice d'un mois : exigeant que de son côté le roi, déjà maître de Rouen et lancé sur la route de Caen, rétrogradât jusqu'à Rouen et même jusqu'à Paris. Sans espérer fléchir là-dessus un roi que la victoire polissait si impétueusement devant lui, au moins les ambassadeurs voulurent-ils, par la transmission indiscutée d'une telle exigence, pallier à l'égard de tout ce qui en pouvait bénéficier la sévérité de leur verdict préliminaire d'exclusion. Et, vis-à-vis de la cabale de Chanteboube, de même que Richelieu avait voulu se faire pardonner l'entrée en Anjou de la députation pontificale par le message de Sardini, à leur tour l'archevêque de Sens et ses collègues, en adressant au roi par leur prédécesseur Blainville la demande d'armistice, recherchaient l'excuse do leur huis clos. En cela d'ailleurs ils déféraient d'autant plus bénévolement au vœu de leur souveraine, que la résolution avec laquelle finalement Marie de Médicis, pour les introduire chez elle et les y entretenir seule avec Richelieu, avait tour à tour violé la consigne de Chanteboube, et contre Chanteboube maintenu la leur, leur était un gage sérieux d'une paix prochaine. Mais par piailleur nous avons déjà vu parvenir à Louis XIII, parallèlement à leur demande d'armistice, la nouvelle de l'arrestation de Rochefort. Et tel fut l'écueil d'une démarche en elle-même digne d'être mieux accueillie, et qui peut-être sans cela l'eût mieux été que l'équipée de Sardini à Dives.

Il fallait donc pour lors renoncer à arrêter dans sa marche Louis XIII qui, à peine sorti d'avec Blainville, déjà poussait vers le Mans. Et d'autre part, loin de lui pouvoir disputer la citadelle si récemment conquise et presque déjà sacrifiée de La Flèche — car la reine-mère était à la veille de l'évacuer —, on désespérait presque de la résistance d'Angers. Aussi dès l'entrée au Mans de l'armée royale, Marie de Médicis songea-t-elle à en prévenir l'irruption dans son apanage, en franchissant enfin dans la voie des soumissions raisonnables un pas décisif. En offrant de désarmer, et d'aller reprendre à la cour son ancienne place qu'on ne se lassait de lui garantir honorable et sûre, elle se résignait à y retrouver Luynes maintenu en faveur. Mais pour qu'au moins les adhérents qu'elle n'avait pu admettre aux dernières conférences de réconciliation y bénéficiassent de tout ce qu'ils en pouvaient justement espérer, et pour qu'ils n'y pussent envisager à leur égard le huis clos du Logis-Barrault comme Une trahison, elle réclamait pour tout son parti une pleine amnistie. Exigence d'ailleurs bien légitime de la part de celle qui, après tout ce que lui avait été Concini, acceptait de revoir, par delà le pont levis ensanglanté du Louvre, s'éterniser devant elle l'assassin gorgé de ses dépouilles !

Revoir Luynes siéger devant elle en permanence au Louvre ! Une telle résolution prise pour la première fois depuis son départ pour Blois par Marie de Médicis, coïncidait trop avec l'ouverture de ses conférences avec les députés du nonce en l'assistance de Richelieu, pour ne leur en attribuer pas en grande partie l'honneur. Une fois de plus rappelons-nous les instructions verbales reçues du nonce par le chef de son ambassade, à l'effet de rapprocher de Luynes Marie de Médicis contre Henri de Bourbon dans la communauté des méfiances. Or, par derrière le nonce et Marie de Médicis et contre les mêmes envahissements, Luynes et Richelieu se rapprochaient l'un de l'autre. Aussi Richelieu conspirait-il aussi salutairement et aussi efficacement avec le favori du jour qu'avec l'archevêque de Sens pour le rapatriement de la reine-mère au théâtre non renouvelé de sa tragique disgrâce. Mais Richelieu décida surtout Marie de Médicis à revoir Luynes au Louvre en l'entretenant de l'espoir qu'en face de Luynes elle l'y réintégrerait près d'elle.

Une fois cette grave résolution prise par la reine-mère, il s'agissait de la transmettre à Louis XIII. Mais par quel organe ? Après les échecs de Sardini, de Channel et de Blainville, un quatrième et plus important messager allait-il arrêter davantage Louis XIII pressé d'aller dicter la paix à sa mère, déjà en voie d'évacuer La Flèche, au cœur même de son apanage ? En de telles dispositions la seule démarche qu'il ne repousserait pas de prime abord, c'en serait une émanée de cette députation qui la lui avait inspirée, et dont hier il vengeait si haut l'inviolabilité contre les Vendôme dans l'exécution d'Anet. L'ambassade de l'archevêque de Sens pouvait seule arrêter sur le chemin d'Angers l'impétuosité triomphale de Louis XIII, grâce à la vertu suspensive attachée à la consécration de ses pouvoirs. Mais comment une aussi solennelle ambassade concilierait-elle cette extension d'entremise avec sa consigne d'immuabilité ? C'est ce à quoi Richelieu pourvut en scindant momentanément ce groupe si élastique dans sa cohésion et d'une homogénéité si libre. En conformité de ses calculs, tandis qu'à Marie de Médicis devait s'attacher sans relâche la sagesse incarnée dans le président Jeannin pour la confirmer avec lui dans son principe de soumission, en la personne de l'archevêque de Sens et du Père de Bérulle l'autorité sacerdotale accourrait au-devant de l'armée royale pour y fléchir la victoire.

Ainsi donc, pendant que le président Jeannin, et aussi le duc de Bellegarde en attendant son tour de détachement provisoire d'avec la reine-mère, avec Richelieu s'attachaient toujours à ses pas, l'archevêque de Sens et le Père de Bérulle qui, sans doute avec eux, l'avait suivie dans son expédition de La Flèche, allèrent de là au Mans, le 30 juillet, saisir Louis XIII de la grave démarche de sa mère. A cette ouverture Louis XIII, sans relâche combattu dans son élan guerrier par l'amour filial, inclinait vers la miséricorde ; et déjà les armes lui tombaient des mains. Mais tel n'était pas le vœu d'Henri de Bourbon. Il voyait dès le lendemain d'une paix soi-disant prématurée s'installer devant lui au Louvre Marie de Médicis entre Richelieu et Luynes. Tant qu'à se résigner à l'y revoir tôt ou tard, vu la persistance d'un amour filial qui chez Louis XIII jusqu'au bout surnageait dans la victoire, au moins après l'avoir vaincue aux Ponts-de-Cé il la voulait aller de là à Angers lier à son char de triomphe, en foulant à ses pieds les Soissons. Voulant, dis-je, par la continuation de la guerre jusqu'à ses dernières limites, assurer à la fois contre la reine-mère sa domination dans le conseil et contre Anne de Montafié sur les degrés du trône sa priorité d'hiérarchie, Henri de Bourbon insista sur le rejet de l'amnistie générale réclamée par sa souveraine. C'est qu'il estimait Marie de Médicis trop soucieuse de sa considération de chef d'un si grand parti pour lâcher là-dessus de prime abord ses adhérences. Et en effet, conformément au calcul du prince jusqu'au bout si acharné contre elle, dès le rejet qu'essuyèrent de prime abord les propositions de l'archevêque de Sens et du Père de Bérulle, telle fut au quartier général où ils venaient d'aborder la pierre d'achoppement. En vain Luynes, conspirant avec Richelieu pour détacher de ses complices Anne de Montafié, proposa d'excepter de l'amnistie comme on l'avait déjà fait des huis clos du Logis-Barrault en sa qualité de prince du sang le jeune Soissons. Condé n'adhéra ; bien qu'à contre-cœur, à ce moyen terme qui favorisait sa plus mortelle ennemie, que parce qu'il savait justement que Marie de Médicis y opposerait l'intransigeance de son point d'honneur. C'est à quoi ne faillirent point en son nom ses loyaux mandataires, qui, dès le 31 juillet, n'eurent qu'à plus rétrograder sur Angers.

Sur Angers. Car sur les entrefaites, et déjà dès le jour même de leur arrivée au Mans, Marie de Médicis, que devait suivre en cela de si près son état-major, venait d'évacuer le poste où ils l'avaient laissée et où elle eût souhaité attendre leur retour, le poste de La Flèche ; et par là s'était fort aggravée sa situation militaire. Mais jusqu'à la fin elle se refusait à abandonner ceux qui, après avoir rejeté les ambassadeurs devenus ses hôtes pour traiter sans elle, avaient finalement voulu, après l'épuisement de leur premier élan vers La Flèche, ou en l'y retenant avec eux ou on la rejoignant à Angers, lier leur capitulation à la sienne. Il est vrai que dès lors qu'ils avaient préféré traiter d'abord en dehors d'elle, la reine-mère semblait par là irrévocablement autorisée à son tour à négocier sans eux ; et que ceux qui ne l'avaient rejointe qu'en désertant La Flèche, elle les pouvait, aux articles d'une paix qu'eux-mêmes rendaient par là nécessaire, les lâcher à leur tour. Sans doute c'est là d'abord ce que dut penser Richelieu, par une suite des calculs qui, aux antichambres de la diplomatie finale de réconciliation, avaient semé dans l'état-major angevin la jalousie des entrées do faveur. Et sans doute cette tactique de division, Richelieu l'eût insinuée jusqu'au bout à la reine-mère en lui faisant adopter le moyen terme de l'amnistie partielle si, dans la révolte organisée sous son nom, les Vendôme eussent été seuls en cause. Mais derrière eux il y avait d'autres complices plus intéressants alors même qu'ils ne se recommandaient pas surtout à Marie de Médicis par l'initiative ou la chaleur du protectorat, comme les ducs d'Épernon et de Mayenne. Ceux-là, Marie de Médicis ne les pouvait sacrifier ; et d'autre part, en étendant jusqu'aux extrémités de l'insurrection pour ainsi dire sa sollicitude de sauvetage, elle n'en pouvait dignement distraire, croyait-elle, même ceux-là qui l'avaient d'abord répudiée. En d'autres termes, aux yeux de Marie de Médicis et de Richelieu, pour l'intégralité d'une réconciliation finale, les d'Épernon et les Mayenne sauvèrent les Vendôme. Aussi, jusque dans la double occurrence de l'échec de l'ambassade du Mans et de l'occupation de La Flèche par l'armée royale, Marie de Médicis, avec une inflexibilité qui l'honore encore plus que son élan triomphal vers ce bassin du Loir si vite reconquis sur elle, voulut relancer jusqu'au quartier général de Louis XIII sa réclamation d'une indivisible amnistie.

Mais l'exigence qui venait d'être rejetée au Mans, qui l'oserait reproduire à La Flèche, sinon et toujours les mêmes ambassadeurs ? Eux du moins, un échec ne les pouvait rebuter, parce que, au quartier général où leur délégation prenait sa source et où ils avaient déjà rapporté l'adhésion de Marie de Médicis au maintien de Luynes, on ne pouvait s'offusquer de les revoir. Si d'ailleurs, malgré l'antécédent des rebuffades essuyées par Sardini, Charme ! et Blainville, l'archevêque de Sens et le Père de Bérulle avaient obtenu au Mans de Louis XIII au moins le temps de les écouter, c'est qu'il y avait en eux diplomatiquement de quoi s'imposer dans la plus importune récidive, grâce à l'inviolabilité de leur intercession sacerdotale. Seulement l'insistance qu'autorisait à La Flèche la consécration de leur caractère, n'y pouvait reparaître victorieusement qu'avec un langage renouvelé. Et ce langage, à qui l'emprunter qu'au groupe même dont ils émanaient, comme ce groupe-là émanait de la cause royale ? Ce groupe-là même, qui ne redemandait dans l'amnistie universelle qu'un juste retour du rapprochement de Marie de Médicis et de Luynes, avant de réitérer leur démarche on lui emprunta, dis-je, et toujours sous l'inspiration de Richelieu, le lustre le plus persuasif et comme un accompagnement de la majesté par la grâce.

Laissant donc au Logis-Barrault la sagesse en la personne de Jeannin veiller avec Richelieu en vue du maintien de ses concessions décisives, Duperron et Bérulle repartirent avec l'aimable Bellegarde, particulièrement sympathique à Luynes, qui l'avait mis dans le conseil du Louvre. Ils repartirent pour La Flèche et y arrivèrent le 5 août avec Bellegarde, qui n'avait pas jadis amené de si loin en France Marie de Médicis pour venir aujourd'hui plaider en vain sa cause devant la clémence filiale, au pied du mausolée où cette clémence avait sa source. Louis XIII en effet, déjà ébranlé au Mans par les ouvertures de Duperron et de Bérulle, y devait céder là où elles lui revenaient rehaussées dans leur cadre et leur organe. Il y devait céder à ces avenues de l'apanage maternel où on lui en ravivait le thème ; à cet asile des cendres paternelles qu'il n'avait pas affranchies pour en méconnaître les enseignements ; à ce boulevard du Maine qui lui était à la fois un gage assuré de suprême victoire et un sanctuaire de miséricorde. Aussi, avec tout ce que la sécurité puisée ainsi dans l'occupation de La Flèche, avec tout ce que le rafraîchissement solennel de son culte filial lui conféraient là de mansuétude, Louis XIII, à l'audience qu'eurent de lui les députés le 6 août, en leur considération octroya à sa mère, en retour de son rapatriement à la cour, la rentrée en grâce de toute son adhérence. Et certes de la part de Louis XIII il ne pouvait y avoir de clémence plus désintéressée ; car il en renvoyait à sa mère en grande partie le mérite, en faisant dater de son retour vers lui la réconciliation universelle. Et ainsi dans la maison royale et par là dans tout le champ de notre querelle intestine c'était le triomphe de la clémence sur la victoire ; et dans le conseil du roi c'était aussi le triomphe de la diplomatie sur la guerre.

Oui, c'était bien en principe le triomphe de la diplomatie sur la guerre. Mais le vaincu du jour, mais l'implacable Henri de Bourbon ne se pouvait résigner à un dénouement qui lui dérobait l'assouvissement de ses vengeances. Aussi, sans pouvoir conjurer à La Flèche, ainsi qu'il ne l'avait déjà fait qu'à si grand'peine au Mans, ce qu'on peut envisager comme un préliminaire de la réconciliation finale, avant que celle qui en bénéficiait si largement eût le temps d'y donner sa ratification officielle, il lui voulut infliger militairement son coup de grâce. Tout en déclarant s'associer au verdict d'amnistie plénière émané du conseil qui l'avait enfin voté malgré lui, il renvoya les députés qui venaient de l'obtenir vers Marie de Médicis, afin de retirer d'elle et de rapporter vite sa signature, mais non plus à La Flèche.

Car sans désemparer, au sortir d'avec la députation angevine, et en conformité des décisions du conseil de guerre tenu dès à son entrée à La Flèche, le roi reprenait non plus vers l'objectif originaire d'Angers, mais vers les Ponts-de-Cé, l'élan que n'avaient arrêté sur la route de Paris au Mans ni Sardini, ni Charmel, ni Blainville. Seulement, par un semblant d'égards pour des ambassadeurs bien autrement recommandables, et dès l'étape du Mans beaucoup mieux écoutés, avant l'attaque du poste essentiel qui formait décidément en Anjou la dernière étape de l'armée royale et le terme de sa campagne, Condé, tout en précipitant dans ce sens le mouvement de déviation qu'il venait de lui imprimer, octroya à Duperron et à ses collègues pour aller et venir de Marie de Médicis à Louis XIII avec la régularisation de l'arrangement qu'il s'acharnait à rompre, un sursis de la plus stricte mesure. Après les avoir, en effet, amusés en de vains pourparlers jusqu'au soir, afin de mieux préparer son départ tout en retardant le leur, il ne les congédia que pour sonner le boute-selle avec cet adieu : Revenez-nous trouver dès demain avant midi dans la direction de La Flèche aux Ponts-de-Cé, si vous en voulez revoir la citadelle intacte.

A la rigueur, en allant de suite coucher à Angers et en recueillant dès le lendemain matin à son petit lever la signature de Marie de Médicis, nos trois ambassadeurs la pouvaient rapporter à temps à Louis XIII qui, au moins jusqu'à l'étape de Trélazé, ne les pouvait aller devancer aux Ponts-de-Cé qu'en se rapprochant d'Angers. Mais le minimum de latitude qu'il leur octroyait d'aussi mauvaise grâce, Condé le savait d'avance illusoire, en cette crise aiguë de la guerre civile qui jetait le désarroi dans le quartier général angevin et en obstruait les avenues. Pourtant, dès l'aurore qui suivit leur retour de La Flèche au Logis-Barrault, Duperron, Bérulle et Bellegarde allèrent quérir Richelieu pour pénétrer ensemble au Logis-Barrault jusqu'à Marie de Médicis avec leur message d'urgence. Mais dès le vestibule les insouciantes femmes de chambre de cette reine naturellement si pesante et si paresseuse, asservies à l'immuabilité intempestive de leur étiquette d'alcôve et de leur consigne de routine, leur tinrent toute la matinée la porte close ; et ce n'est que vers onze heures qu'ils purent enfin voir et, séance tenante, engager sans retour par l'octroi de sa signature Marie de Médicis.

Il est vrai qu'avec cette solution, et à ne s'en tenir qu'à des calculs de distance, nos trois ambassadeurs pouvaient encore rejoindre à temps en droite ligne l'état-major de l'armée royale, parvenue au bourg de Trélazé que deux lieues à peine séparaient d'Angers. Mais justement clans cette direction la route était coupée de barricades qui, arrêtant leur carrosse, les condamnèrent à un long circuit par des chemins de traverse[3] ; si bien qu'ils n'arrivèrent dans la soirée au quartier-général de Louis XIII que pour y voir accourir au milieu des blessés ramenés d'un champ de bataille, Bassompierre avec la nouvelle de l'enlèvement des Ponts-de-Cé. Et pourquoi, récrimina là-dessus impétueusement Bellegarde, une fois arrivé au quartier général de Trélazé, pourquoi ne nous avez-vous pas attendu seulement deux heures ?C'était à vous, répartit durement Henri de Bourbon dans le triomphe insolent de ses calculs, c'était à vous d'arriver à l'heure dite, et non pas à nous à vous attendre. Ne vous l'avions-nous pas dit à La Flèche ?

 

Et on avait bien tenu parole. Car, pour en revenir à la brusque clôture de la dernière conférence diplomatique de La Flèche, Condé, profitant de la négligence de l'ennemi qui, dans le désarroi de sa retraite vers Angers, avait négligé de rompre les ponts du Loir ; Condé, à la tête de l'armée royale, avait emmené Louis XIII, le 6 août, dîner au château de Durtal, sauf à échanger dès le soir la splendide hospitalité qu'ils y reçurent du maréchal de Schomberg contre celle qui les attendait plus loin pour la nuit sous les auspices des Rohan, au château du Verger. Et dès son arrivée dans cette dernière étape que cinq lieues seulement séparaient d'Angers, Louis XIII répartit de là en avant sur une zone de deux lieues toute son armée en quartiers détachés, avec l'avant-garde au bourg de Pellouailles. En vain sur ces entrefaites et sous les ordres de Vendôme et de Nemours, la cavalerie ennemie qui, lors de l'évacuation de La Flèche, avait été dirigée de là d'avance sur Baugé pour y guetter et y harceler l'armée royale dans son passage du bassin du Loir à celui de la Loire, en vain, dis-je, la cavalerie ennemie, apprenant qu'entre le Verger et Pellouailles le seul quartier des chevau-légers restait à découvert avec quatre pièces de campagne, accourut pour le rompre. Mais à l'annonce de cette entreprise Louis XIII, avec tout ce qui se développait en lui chaque jour tout à la fois d'intrépidité et de vigilance, se secouant de son sommeil, courut à ses cartes et, après y avoir constaté topographiquement le point faible du poste menacé, il le garnit de cinq cents arbalétriers, détachés de son plus proche quartier, en raffermissant partout ailleurs le service de garde. Et cette seule démonstration dans la direction de Baugé, révélée à l'ennemi par un transfuge, rompit une attaque déjà par ailleurs bien compromise. Car n'oublions pas que les deux chefs d'une telle entreprise c'étaient, en suivant dans leur désignation la hiérarchie du joui : selon le règlement d'alternative rapporté par eux de La Flèche à Angers et d'Angers à Baugé, Nemours et Vendôme ; et que, toujours du même côté, c'étaient de plus en plus les jalousies de commandement et presque déjà les trahisons de la défaillance.

Tandis que du même coup refoulée pêle-mêle jusqu'à Angers, la cavalerie ennemie livrait à Louis XIII à sa gauche avec Baugé tout le bassin du Couesnon, et avec le Couesnon tout le pays insurgé jusqu'à la Loire, par la droite et par le bassin libéré de la Sarthe lui arrivait par l'organe de son gouverneur La Motte Ferchault la soumission de Château-Gontier. Et ainsi donc, de la Mayenne à la Loire, Louis XIII s'assurait toute le perméabilité de l'apanage maternel. Que dis-je ? Au moment de l'arrivée au Verger de la députation de Château-Gontier, le passage même de la Loire par les Ponts-de-Cé déjà presque échappait à Marie de Médicis avec le refoulement sur Angers de la Perraudière et l'arrestation consécutive de Sardini, porteur des derniers messages de rappel de la reine-mère à l'adresse des ducs d'Épernon et de Mayenne avec cent commissions de levées à l'adresse de Montmorency et de Châtillon, et un pouvoir d'Anne de Montafié pour un emprunt de cinq mille livres en faveur du duc de Mayenne. Et une fois par cette double exécution son champ libre assuré jusqu'aux avenues des Ponts-de-Cé, Louis XIII, dès six heures du matin, le 7 août, partit du Verger ; et se jetant à gauche dans cette dernière direction, en reportant chemin faisant ses quartiers de Pellouailles au Plessis-Grammoire et à Foudon, puis à Brain-sur-l'Authion et à Saint-Barthélemy, il arriva, comme nous avons vu, dès dix heures à Trélazé.

Tandis qu'avec cette sûreté de résolution Louis XIII marchait droit au dénouement de sa campagne, au seul retentissement de sa marche déjà s'ébranlait de fond en comble le siège de la révolte. A peine Marie de Médicis, partie de La Flèche sous l'escorte des Soissons, était-elle, le 30 juillet, vers six heures du soir, rentrée à Angers, que Marillac l'y avait rejointe pour lui annoncer, en incriminant de ce chef à bon droit les Vendôme, l'évacuation néfaste à laquelle, en les devançant sur la route d'Angers il avait, disait-il, évité d'attacher son nom, et qui livrait l'Anjou à l'armée royale. Un tel désastre coïncidait malheureusement avec le retour imprévu de l'ambassade vite divulguée du Mans. Aussi, en dépit de l'essai si rassurant de revanche diplomatique tenté vers La Flèche par la même députation renforcée de Bellegarde, il n'en fallut pas davantage pour affoler autour de la reine-mère une population qui, après avoir vu lui échapper coup sur coup la Normandie et le Perche, ne lui avait plus vu de sûreté que dans la conservation de La Flèche ; une population pour qui dès lors la désertion de ce dernier poste n'était de la part des Vendôme qu'un prélude de l'évacuation d'Angers. Si encore, grâce à cette évacuation, les Angevins ne faisaient que se débarrasser des Vendôme et des Boisdauphin, des Marillac et des Saint-Aignan, solidaires ou non, peu leur importait, de la désertion du bassin du Loir ; de ces exploiteurs de révoltes qu'ils avaient trouvés si bien pour eux-mêmes dans l'éloignement de La Flèche, et dont la soldatesque éhontée pressurait leurs patrimoines et violait leurs foyers ! Tant ils s'acharnaient à gruger les populations qui avaient suivi leur foi, avant de les livrer dépouillées au vainqueur qu'ils attiraient sur elles ; tant ils se dépêchaient de les souiller avant de les trahir ! Aussi Dieu sait, de quels vœux les Angevins appelaient le bannissement de cette lèpre. Mais les Vendôme et consorts, qui déjà, lorsque Marie de Médicis avait dû quitter La Flèche, n'étaient restés qu'à si grand'peine derrière elle, ne voudraient certainement pas, se disaient-ils, quitter Angers sans l'emmener à leur suite. Avec elle aussi, émigreraient forcément la comtesse de Soissons et la duchesse de Nemours, dont l'une, par une habileté qui achevait de la séparer des Vendôme, et l'autre par sa sagesse naturelle et son identification conjugale, s'étaient associées à l'administration libérale, et par là même à la popularité de Marie de Médicis. Et dès lors ceux qui s'étaient sans retour inféodés à la reine-mère demeureraient abandonnés seuls à la merci d'un inexorable vainqueur. Et, en définitive, cet abandon-là même qu'ils voyaient déjà consommé de la part d'une reine à laquelle ils n'avaient adhéré qu'en retour de son indéfectible protection ; cet abandon ne les autorisait-il pas vis-à-vis d'elle à rompre toute allégeance ? Et pour eux n'était-ce pas le signal du ralliement à cette grande cause redevenue tacitement, depuis les spéculations insurrectionnelles, celle de toutes les autorités locales, et surtout de la municipalité et du présidial ?

Marie de Médicis voyait ainsi au chef-lieu de son apanage le sol angevin se dérober sous ses pas. Et dès le 2 août ce fut le reste à l'arrivée des Vendôme. L'arrivée des Vendôme, c'était le signal de l'approche d'un vainqueur les suivant de près et contre lequel, en une velléité d'un retour offensif à son étape du Verger, ils ne purent qu'aller rompre follement leur cavalerie. Aussi la reine-mère, dès l'évacuation totale du poste de La Flèche et tout en y en envoyant l'archevêque de Sens avec Bérulle et Bellegarde au-devant de Louis XIII, oscillait dans cette alternative : ou fuir sa colère ou aller regagner sa clémence. En d'autres termes, pour implorer la paix à genoux devant son fils, devait-elle, à la suite des vénérables délégués de l'ambassade du nonce, rétrograder jusqu'à cette ville, où la protégerait dans son magnanime retour de soumission maternelle l'ombre d'Henri IV ? Ou bien, pour renouveler sa lutte s'en irait-elle au devant de ces alliances méridionales qui, en la rejoignant en Poitou avant que Louis XIII ne dépassât La Flèche, lui pouvaient encore sauver avec les Ponts-de-Cé le bassin de la Loire, et avec le bassin de la Loire la seule issue ouverte à une revanche de ses armes ? Et même, tant qu'à opter pour une immédiate réconciliation, mais une réconciliation sous les armes, la plus sûre pour elle, n'en serait-ce pas une datée des rives encore intactes de la Charente ou de la Garonne ? En même temps, cette réconciliation ne serait-elle pas la plus honorable pour toute la maison royale, puisqu'en l'allant sceller loin du fragile poste d'Angers menacé de si près par l'armée royale, l'on déroberait à la France entière le spectacle d'un fils venant, croyait-on avant de s'être assuré de sa marche directe sur les Ponts-de-Cé, forcer sa mère dans son dernier refuge ? En un mot, on ne pouvait à Angers ni avec bienséance conclure la paix, ni avec sûreté prolonger la guerre. Mais si la reine-mère ne croyait pouvoir, autrement que les armes à la main, franchir la Loire, en revanche, une fois décidée à la paix sans conditions, elle devait l'aller chercher dans le miséricordieux asile du cœur d'Henri IV, au lieu de l'attendre au siège ébranlé de sa révolte. Telle était la consultation émise en ce sentencieux dilemme : aut clementiam regis subeundam aut iram fugiendam ; telle était la consultation qu'au moment de son arrestation au Verger l'agent Sardini, envoyé à cet effet vers Duplessis-Mornay le le août avec une lettre de la propre main de Marie de Médicis qui lui rappelait l'ancienne confiance de Henri IV en ses conseils, venait de rapporter de Saumur. Et cette consultation d'ailleurs confirmait les avis qu'avait jadis éventuellement fournis, avec son hospitalité modératrice et durant l'étape diplomatique qui les avait retenus tout un jour chez lui, Duplessis-Mornay à l'ambassade du nonce. Car Duplessis-Mornay, c'était le royalisme à la fois avec tout son dégagement et toutes ses réserves de sectaire. Duplessis-Mornay, c'était le terrain où se croisaient dans leurs allées et venues d'un camp à l'autre les ambassades les plus contraires. C'était l'homme qui, au point de vue de la perméabilité du bassin de la Loire, disputait à la fois à Rohan l'occupation de sa citadelle et à Louis XIII la disponibilité de son arsenal. Duplessis-Mornay, c'était l'homme qui, à travers les confins de son gouvernement si rigoureusement gardé du côté de Marie de Médicis, lui indiquait complaisamment le passage encore aujourd'hui libre des Ponts-de-Cé dans la direction d'Angoulême et de Bordeaux.

L'émigration à main armée vers la Saintonge et la Guyenne, tel était aussi dans le conseil de guerre appelé par Marie de Médicis au Logis-Barrault à statuer sur la consultation alternative de Duplessis-Mornay, l'avis de tous ceux qui souhaitaient avant tout et sincèrement la continuation de la guerre, et principalement le duc de Rohan. Nous nous rappelons que dès les préliminaires de la guerre civile, et faute d'avoir pu obtenir de Duplessis-Mornay sa citadelle de Saumur comme point d'appui d'une marche offensive sur Paris, Rohan, ne jugeant pas sans cette appropriation de Saumur le poste d'Angers tenable en tant que siège de la révolte, avait demandé au conseil de Marie de Médicis le transfert de son quartier général à Bordeaux pour y donner la main, sous la protection nouvelle du duc de Mayenne, à ses anciens coreligionnaires du Béarn. Mais sur ce chapitre Richelieu ayant fait prévaloir contre lui ses prédilections angevines, Rohan s'était rallié de force à la majorité du conseil. En revanche, il suffisait de la perte récente de La Flèche, dont l'occupation malheureusement si précaire avait été en grande partie son œuvre, pour le ramener à son idée fixe d'un refuge méridional. Il revint donc là-dessus à la charge avec l'appui du duc de Mayenne, décidément trop inquiété en Guyenne par les diversions de Thémines pour en distraire au bénéfice de l'Anjou rien de son effectif, et qui dès lors, lors de l'évacuation de La Flèche, dont la nouvelle lui était parvenue autrement que par Sardini, qu'Épernon et lui auraient sans son arrestation croisé sur la route d'Angers, n'avait pu qu'accourir seul pour en emmener avec lui à Bordeaux la reine-mère. Ensemble et tous deux, persistant dans leur alliance hybride bien que chacun avec son tiraillement propre ; ensemble et tous deux conjurèrent Marie de Médicis de soustraire ses forces à l'épidémie de démoralisation sévissant dans l'enceinte du chef-lieu de son apanage. Et cela par quelle voie plus sûre qu'en allant au-delà des Ponts-de-Cé, et de la Loire à la Gironde, avec ce noyau sagement dépaysé rallier les contingents des ducs de Thouars, de Roannès et d'Épernon ; ce qui formerait au total, avec l'effectif de Bordeaux, une armée de trente mille hommes. Or avec trente mille hommes il y avait de quoi défendre sûrement la Guyenne, province assez vaste pour leur subsistance, et assez éloignée de l'Anjou pour que, dans le passage des rives de la Loire à celles de la Garonne, la faveur de Luynes, où gisait le principe sinon le nerf de la guerre civile, mais qu'avec l'émancipation à la fois de la vaillance et des caprices de Louis XIII on supposait déjà chancelante, achevait de s'user.

Tout en préconisant avec Rohan et Mayenne l'idée d'un transfert à Bordeaux du quartier général de la révolte, mais sans vouloir sacrifier à une aussi radicale mesure le chef-lieu de son apanage, un des gentilshommes de l'état-major de la reine-mère s'offrit d'abord chevaleresquement, dans l'hypothèse de son émigration méridionale, à lui garder Angers jusqu'au dernier soupir. Mais on lui représenta que c'était là infailliblement courir à sa ruine. Car ni les garnisons, ni les barricades, ni les rigueurs d'un état de siège ne sauraient, lui disait-où, détacher les Angevins de cette cause royale aujourd'hui redevenue la leur. Et même, en se supposant sûr d'une population qu'on voudrait associer à un suprême effort de résistance, cette population, affamée par la longue concentration chez elle de tout notre état-major et de tous nos cantonnements de réserve, n'aura plus à se ravitailler que par le Poitou ; et par le Poitou elle ne le pourra qu'en dégarnissant dans ce but et dans cette direction la citadelle des Ponts-de-Cé, qui seule encore nous assure contre l'imminente approche de l'armée royale le libre passage de la Loire. En somme, s'obstiner à défendre Angers seul contre l'armée royale, alors que la reine-mère a franchi la Loire, c'est, concluait-on, s'embarquer pour une navigation au long cours sans munitions ni vivres.

Au fond tout ce que la disette, la pénurie et l'hostilité des Angevins fournissaient d'arguments contre l'essai d'une défense désespérée de leur ville une fois évacuée par leur souveraine avait été d'avance prévu par celui qui n'affichait d'aussi héroïques résolutions aussitôt combattues, qu'en parangon d'honneur et avec une jactance de calcul. Se faire valoir auprès de la reine-mère sans péril, grâce à l'honnête porte échappatoire ouverte dans une belle démonstration de rechange, c'est ce qu'avisait notre prudent gentilhomme qui, sur les contradictions par lui-même provoquées vis-à-vis de la reine-mère, se dégagea vite de l'offre de suprême résistance au chef-lieu déserté de son apanage, en se déclarant en revanche également disposé, mais au fond beaucoup plus empressé pour sa propre sécurité à l'escorter dans sa fuite. Mais ce faux brave et ce trop précautionneux cavalier servant de Marie de Médicis doutait fort de l'heureux effet de sa brusque volte-face. Autrement, eût-il craint d'y attacher son nom ? Et pour sauvegarder près de la postérité l'incognito de sa démarche à double portée, Richelieu, cet âpre censeur des défaillances angevines qui se multipliaient autour de lui sans qu'il les pût conjurer, eût-il de lui-même enveloppé ce nom malheureux dans l'humiliante commisération de son silence ?

Plus absolu et plus sincère, sinon plus désintéressé, que le préopinant dans son opposition aux ducs de Rohan et de Mayenne sur cette question capitale du passage de la Loire, le duc d'Épernon, accouru vite aussi lui à Angers dès l'évacuation de La Flèche, remontra que plus que jamais, depuis son départ de ce dernier poste, la reine-mère donnerait à une émigration méridionale l'apparence d'une fuite ; que par là lui échapperait toute la considération dont se relevait encore son parti ; que le spectacle de cette fuite désespérerait toutes les provinces sises entre la Loire et la Garonne, qui ne demandaient qu'à la voir dans Angers jusqu'au bout tenir ferme pour lui demeurer fidèles, mais qui aussi, dès qu'elles se croiraient lâchées par elle, rendraient les armes et livreraient à l'ennemi l'Anjou et la Loire. Si encore pour la reine-mère le bassin de la Garonne c'était le salut ! Mais en y accourant elle tomberait sous la domination du duc de Mayenne, qui ne l'attire à lui que pour traiter, une fois nanti de sa personne comme d'un gage insigne, plus avantageusement avec la cour, et qui à cette paix séparée aura ainsi sacrifié tout le parti en elle. Au fond, ce que le duc d'Épernon redoutait dans une retraite sur Bordeaux, c'était surtout l'avantage que le duc de Mayenne y prendrait sur lui avec l'appropriation de la reine-mère. Mais, dissimulant ses ombrages sous l'affectation d'un recours fraternel à l'homme dont il n'osait systématiquement répudier et dont il craignait d'avoir tôt ou tard à subir l'assistance, Épernon appela Mayenne là où tous deux se disputeraient au moins à armes égales et sur un terrain neutre la prépondérance attachée à la possession de leur souveraine. En d'autres termes le duc d'Épernon insista pour joindre ses troupes d'Angoulême et de Saintonge à celles laissées libres, croyait-il, par la diversion de Thémines, afin d'aller ensemble tous deux à Angers renforcer de leurs trente mille hommes l'effectif de Marie de Médicis, qui, avec un aussi imposant total, pourrait sur le bassin de la Loire dicter la paix à Luynes.

Si, sous d'aussi secourables démonstrations, le duc d'Épernon esquivait si soigneusement la suprématie du duc de Mayenne, pas plus Épernon que Mayenne ne devaient compter sur la déférence hiérarchique d'un Vendôme. Dès l'origine de la guerre civile, César de Vendôme avait toujours prétendu dans l'état-major angevin régner sans partage, en disputant tour à tour le gouvernement de Marie de Médicis à Richelieu et aux Soissons, à Épernon et à Mayenne. II lui avait fallu pour cela s'attacher de bonne heure à la reine-mère pour ne la jamais perdre de vue, et écarter d'elle toute influence rivale. Et, comme nous avons vu, c'est pour cela que, dès l'arrivée à Angers des Soissons, le duc César s'était originairement replié de Vendôme sur Angers, puis y avait d'abord contremandé subrepticement les premiers appels d'Anne de Montafié au duc de Mayenne ; puis, ou peu s'en fallut, avait compromis par l'arrestation de Rochefort Marie de Médicis avec l'ambassade du nonce ; puis ensuite, dès les préliminaires de l'évacuation de La Flèche, avait tour à tour voulu y retenir avec lui ou, pressé aussi de prévenir auprès d'elle en le regagnant à lui les accusations de Marillac, rejoindre à Angers la reine-mère. Mais dans l'hypothèse actuellement agitée d'une émigration méridionale l'y suivre, ou l'y rejoindre, ou l'y laisser s'y acheminer seule, c'était le livrer ou se livrer avec elle à ses hôtes à la fois et à ses détenteurs d'Angoulême et de Bordeaux. Aussi, et contrairement à ce que supposait de lui pour lors la population angevine, Vendôme, pour garder à vue à Angers celle qui lui avait échappé à La Flèche et qu'il ne voulait pas dès lors laisser y revenir se jeter seule aux pieds de son fils ; Vendôme, pour garder à vue à Angers Marie de Médicis, comptait sur les soucis d'autonomie et de diversion qui en éloigneraient Épernon et Mayenne. Il est vrai que, d'autre part, à Angers lui échappait de plus en plus avec la comtesse de Soissons le point d'appui de la popularité angevine. Mais cette popularité, Vendôme ne l'avait perdue qu'en regagnant du même coup par ailleurs, dans la complicité des exploitations insurrectionnelles de la dernière heure et avec leurs bandes de soudards faméliques, Marillac, Boisdauphin, Saint-Aignan ; mais surtout Marillac, qui, après s'être prévalu auprès de Richelieu et de Marie de Médicis de la résistance à La Flèche, en se retournant vers le déserteur de la ligne du Loir avait scellé avec lui une de ses palidonies les plus salariées. Et quant à Anne de Montafié, Vendôme ne la jugeait pas tellement éloignée de lui qu'ils ne se retrouvassent bien près l'un de l'autre sur le terrain de l'opposition à Richelieu. Aussi, en regard des tiraillements contraires des ducs d'Épernon et de Mayenne, Vendôme appuya-t-il le suffrage du moins accaparant mais du plus ombrageux peut-être de ses deux rivaux d'influence, en ce sens du maintien en Anjou du quartier général de la révolte.

Ce n'est pas parce qu'un Vendôme, fût-ce dans le seul but de s'y ménager derrière sa souveraine et en dehors de lui une capitulation plus sûre, optait cette fois dans le sens de ses prédilections angevines, que Richelieu allait de parti pris contrecarrer son suffrage. Richelieu était trop pratiquement gouvernemental pour répudier dans le maniement d'un parti l'emploi, si habilement pratiqué contre lui par ses plus sérieux adversaires, des coalitions de circonstances. A l'affût des scissions qui, en déterminant dans l'état-major angevin chaque jour vers lui des manœuvres alternatives de volte-face, y entretenaient son point d'appui. Richelieu, chaque jour, à la faveur de cette fluctuation de cabales, y renouvelait près de Marie de Médicis sans déplacer son influence. Tour à tour et victorieusement il avait d'abord soutenu avec Chanteloube contre Mosny et Thémines, puis avec Duplessis-Mornay contre Rohan, à la fois l'établissement et le maintien en Anjou de son apanage et par là même de sa place d'armes. C'est encore victorieusement, et c'est toujours avec Duplessis-Mornay contre Rohan que plus tard Richelieu avait fait prévaloir une délimitation orientale de cette place d'armes qui soustrayait aux accaparements insurrectionnels de l'hérésie la citadelle limitrophe de Saumur. A l'inverse, et en opposant cette fois le suffrage rectifié du duc de Rohan aux tiraillements contraires du duc de Mayenne, Richelieu, non content d'avoir pourvu tour à tour à l'immobilisation et à l'assainissement du quartier général de sa souveraine, en avait reporté le hardi mais orthodoxe développement dans la direction septentrionale de La Flèche. Et si, plus tard, lors de l'entrée au Mans de l'armée royale, Richelieu avait cru devoir, sans abdiquer pour cela la défense de La Flèche, avec la reine-mère se replier sur Angers, ce n'avait été que pour y mieux concentrer sur le bassin de la Loire, et en pleine mise en mouvement de la députation du nonce, un suprême effort de résistance. Aussi Richelieu, dans le surcroît de jalousies éveillées dans la cabale de Chanteloube par la divulgation des ambassades du Mans et de La Flèche, s'estima-t-il trop heureux d'opposer au rappel de ce protectorat trop lointain des rives de la Garonne où la Guyenne confinait au Béarn, une ligue de méfiances où l'homme à qui Marie de Médicis devait l'hospitalité primordiale d'Angoulême, s'associait au déserteur des postes de Vendôme et de La Flèche.

Car pas plus que Vendôme et d'Épernon, dont il empruntait les communes répulsions, Richelieu n'entendait se donner pour maitre le duc de Mayenne, qui à Angers eût bien contrebalancé près de lui utilement leur influence, mais qui dans son gouvernement de Bordeaux lui eût imposé comme à eux sa tutelle. C'est à Bordeaux, où il lui eût fallu lui déférer le commandement, que Richelieu eût redouté plus que partout ailleurs pour lui-même au même degré que pour ses collègues, l'humeur libre et dégagée de cet impétueux soutenant d'Anne de Montafié qui, pour peu que l'évêque de Luçon y eût osé en sa présence entrer dans les délibérations de la guerre, l'eût, comme on l'a dit et si l'on peut reproduire ici cette expression vulgaire, renvoyé à son bréviaire. Mais, du reste, pas plus que Vendôme, l'évêque de Luçon n'entendait échanger la domination du duc de Mayenne contre celle non moins altière qui, sous le nom de duc d'Épernon, l'attendait dans sa citadelle d'Angoulême. Rappelons-nous bien que Richelieu n'avait laissé les mécontents se rallier autour de Marie de Médicis que pour prouver à Luynes par cette menace qu'on ne manquait pas impunément de parole à cette reine déçue, et qu'il était dangereux de la tenir éloignée de la cour. Depuis son établissement à Angers, ayant toujours eu ce même but de partager et non d'affaiblir l'autorité royale, Richelieu, tout en armant sa souveraine, s'était toujours évertué à conjurer, puis à éteindre ou au moins à atténuer autour d'elle la guerre civile, qui, par tous ses dénouements possibles, lui devait être à lui, s'il se déclarait le complice des mécontents, si préjudiciable. Ces mécontents succombaient-ils, il était entraîné dans leur chipe. Triomphaient-ils, ces princes, ces généraux auxquels on eût dû la victoire, en auraient seuls bénéficié. Aussi les intérêts de Richelieu ne concordaient-ils avec ceux de Marie de Médicis et de l'État, qu'en s'opposant aux leurs. Et ainsi, pour soustraire à leurs appropriations la reine-mère, et avec elle la solution de la crise actuelle, ne nous étonnons pas de le voir poursuivre, à la faveur de cette réciprocité des méfiances d'accaparement s'exerçant autour de Marie de Médicis, le triomphe de ce qui était dans l'état-major angevin une garantie d'équilibre entre eux et par là de prépondérance pour lui-même. L'immutabilité de sa place d'armes angevine, tel est le principe qui chez Richelieu survivait indéfectiblement à l'occupation de La Flèche par Louis XIII. A ses yeux, Angers était le seul théâtre possible de tous les dénouements éventuels de la guerre civile. C'est à Angers que Marie de Médicis devait ou poursuivre et attendre sa réconciliation définitive, ou jusqu'au bout soutenir la lutte. A envisager dans l'alternative de Duplessis-Mornay l'hypothèse d'une démarche dé soumission vers La Flèche, ce n'était pas Richelieu, qui venait d'en emmener sa souveraine pour la réintégrer plus loin dans son inviolabilité maternelle ; ce n'était pas Richelieu qui l'y allait ramener en suppliante. Et, d'autre part, après l'évacuation générale du poste dont la résistance eût dû survivre à son départ mais qui, une fois déserté par les Vendôme, ouvrait au roi l'entrée de l'Anjou ; après l'évacuation générale de La Flèche ce n'était plus le moment de risquer dans cette direction des bords du Loir, fût-ce en substituant à Angers le point d'appui méridional d'Angoulême et de Bordeaux, un retour offensif. Ce retour offensif, tenté dès le début de la guerre civile et énergiquement soutenu, eût pu conjurer la perte de la Normandie et du Maine si, d'après les calculs de Rohan et dès le jour où le roi quittait Paris, Marie de Médicis eût envoyé sur ses derrières une partie de son armée vers Tours, Orléans et Paris, et une autre partie par le Mans et Alençon du côté de la basse Normandie pour sauver Caen et le duc de Longueville, pendant qu'elle-même serait allée rallier ses contingents du Poitou, de Saintonge et de Guyenne. Mais ce plan, excellent dans les premiers jours de juillet, ne valait plus rien aux premiers jours d'août, et était même devenu impraticable. Car, avant d'aller rejoindre Épernon et Mayenne par les Ponts-de-Cé, cette seule issue méridionale encore pour la reine-mère aujourd'hui libre, il fallait compter avec l'armée royale désormais trop rapprochée des Ponts-de-Cé et trop confiante dans sa supériorité numérique et dans ses premières victoires pour n'y pas devancer et traverser en ce sens l'émigration insurrectionnelle. Mais en admettant, poursuivait Richelieu, en admettant que la reine-mère réussît à devancer aux Ponts-de-Cé l'armée royale, il lui faudra d'abord laisser à Angers une si forte garnison pour y contenir le peuple impatient d'ouvrir au roi ses portes, qu'elle arrivera presque seule à Angoulême et à Bordeaux, où cependant la seule considération d'une sérieuse escorte pouvait imposer à ceux qui n'y ambitionnaient que trop de devenir à la fois ses hôtes et ses maîtres.

Mais quoi ! resserrée ainsi dans Angers, entre Angoulême ou Bordeaux et La Flèche, lequel valait donc mieux pour Marie de Médicis, d'être à la merci de l'hospitalité ou de la victoire ? d'appartenir à Épernon ou à Mayenne, ou de tomber aux mains non pas de Louis XIII ou même de Luynes, mais de Condé' ? C'est ici surtout que Richelieu insistait pour attendre au moins à Angers le résultat du voyage à La Flèche de l'archevêque de Sens, de Bérulle et de Bellegarde. Vous êtes, madame, insinuait-il à la reine-mère, vous êtes maintenant libre de traiter avec le roi ; si vous passez la Loire, vous ne le serez plus. La paix ou la guerre seront alors en la disposition des grands, qui ont l'arme au poing sous votre nom, et qui ne sont pas si faciles à contenter que vous vous l'imaginez. Tant de désastres advenus en France depuis soixante ans, vous doivent être de graves avertissements. Et puis, madame, quand vous aurez passé la Loire, ne pensez pas que le duc de Mayenne soit sitôt à vous. Il est encore bien plus loin que vous des Ponts-de-Cé, et partant encore plus exposé que vous à y être prévenu par l'armée royale. Il songe bien plutôt à vous attirer à Bordeaux qu'à venir au-devant de vous, retenu qu'il est en Guyenne à la fois par les diversions de Thémines et les arrière-desseins d'un parlement qu'on a vu trop empressé de renvoyer au roi vos remontrances non décachetées pour ne supposer pas qu'ils relèveront la tête dès le départ du gouverneur qui avait si cavalièrement comprimé son royalisme. En un mot, aux yeux de Richelieu, pour la reine-mère le parti à la fois le plus honorable et le plus sûr, c'était de ne tirer sa défense que d'elle-même, et dans la possession de soi-même attendre imperturbablement au siège primitif de son apanage la réconciliation sous les armes.

Immobiliser à Angers et à la veille de la bataille des Ponts-de-Cé dans une si digne attitude Marie de Médicis, était-ce la livrer à l'ennemi ? Car telle est l'accusation générale qui, sans relâche, durant deux siècles, et sur ce mémorable champ de bataille des Ponts-de-Cé, a suivi la mémoire de Richelieu. Tous les historiens protestants ou catholiques, frondeurs ou royalistes, qui, en attendant la réaction justificative de nos jours, ont abordé ce champ d'entremise diplomatique si décisive pour Richelieu comme pour la France ; tous, depuis Fontenay-Mareuil jusqu'à Victor Cousin, en y signalant Richelieu entre Louis XIII et Marie de Médicis, lui ont à l'envi jeté la pierre. Oh ! que Richelieu, s'écrient-ils, et surtout Rohan le plus hautement indigné de tous ; oh ! que Richelieu s'est bien gardé de permettre à la reine-mère de passer là où étaient les plus grandes forces, de peur qu'elle ne sortît de sa tutelle ! Il la réduisit à une timide défense, en une ville hostile et presque ouverte, afin de la contraindre à une paix honteuse, qui lui rouvrait à lui l'accès de la cour. Si encore, en retenant Marie de Médicis à Angers, il y avait laissé pénétrer Epernon et Mayenne I Mais il ne leur a même pas permis à eux de la venir rejoindre, sous ce prétexte que leurs gouvernements péricliteraient en leur absence. Mais la vraie raison, c'est qu'ils lui portaient ombrage et qu'il voulait demeurer dans le conseil, pour disposer exclusivement d'elle, seul avec sa souveraine. Autrement comment Marie de Médicis, à la veille du combat où allait se vider sa querelle, eût-elle laissé flotter indécise toute direction militaire ? Comment a-t-elle pu à ce point déroger à son ancienne confiance en des serviteurs aussi loyaux qu'Epernon et Mayenne ? C'est que justement Richelieu lui a interdit de se donner un chef. Ne le pouvant être lui-même, il n'entendait pas que personne le fût à sa place. Sentant bien qu'au lendemain de la victoire, qu'il pouvait seul assurer à la reine-mère, ce chef-là lui deviendrait un despote, il l'a refoulé bien loin de lui en endormant Marie de Médicis sur la perspective des calamités du lendemain. Et puis après cela, dans ses mémoires apologétiques, bien entendu c'est à peine s'il mentionne le plan de campagne si salutaire élaboré entre Rohan et Mayenne ; et au contraire, la défaite de la reine-mère, il l'attribue à tout le monde sans en rien assumer sur lui-même ! Mais la postérité le lui a bien rendu, en perpétuant autour de sa mémoire l'incrimination de trahison.

Du moins ses derniers détracteurs l'ont cru, sans prévoir qu'aujourd'hui désormais, en regardant de plus près à l'apologie si solide de Richelieu[4] soutenue des appréciations si autorisées des Avenel, nous savons là-dessus à quoi nous en tenir. Epernon et Mayenne, Richelieu ne les éloignait pas de Marie de Médicis, puisqu'au contraire et forcément c'était eux qui, après ne l'avoir voulu servir qu'en l'accaparant, faute de l'accaparer s'écartaient d'elle. Entre elle et eux d'ailleurs, il y avait déjà l'interception de toute l'armée royale qui déjà presque atteignait les Ponts-de-Cé. La seule chose qui la pouvait arrêter dans sa marche, c'était l'ambassade de l'archevêque de Sens, de Bérulle et de Bellegarde, dont on devait à Angers attendre le retour. Car s'ils apportaient, comme c'était probable, un message d'urgence, il y allait du salut de Marie de Médicis à ne lui en pas retarder la communication de toute la distance séparant les rives de la Loire des rives de la Charente ou de la Garonne.

L'archevêque de Sens et ses collègues revinrent donc, comme nous avons vu, retrouver à Angers Marie de Médicis avec l'ultimatum daté de La Flèche, mais sans pouvoir à temps rapporter son adhésion d'Angers à Trélazé. Encore une fois dans l'intervalle Marie de Médicis avait perdu cette bataille des Ponts-de-Cé[5] dont il nous reste à relater les phases. Mais nous verrons si avec les Ponts-de-Cé Marie de Médicis a perdu tout le bénéfice de la noble soumission datée de sa place d'armes angevine ; et si elle regrettera d'avoir, à la veille d'un désastre qu'il lui avait rendu là d'avance si remédiable, écouté Richelieu.

 

 

 



[1] Voir au n° XI des pièces justificatives.

[2] Ici se placerait, suivant le biographe Batterel, en cela suivi par Hervé, Gouget et Tabaraud, une longue exhortation du père de Bérulle à Marie de Médicis, mais qu'en même temps Batterel avoue n'avoir trouvé citée nulle part comme émanée directement de lui. Il l'aurait seulement, dit-il, empruntée à une lettre de l'archevêque de Sens à Richelieu, dont Bérulle aurait vraisemblablement au Logis-Barrault et dans sa harangue sacerdotale de bienvenue à l'adresse de la reine-mère, développé les arguments. Aussi, avec l'abbé Houssaye, avons-nous cru devoir rejeter de notre récit un morceau oratoire d'une composition aussi artificielle.

Il en est de même d'un expédient de pacification un instant suggéré par Bérulle au nonce et au cardinal de Retz, mais vite rejeté comme aussi dangereux que l'avait été l'octroi d'une place forte à Marie de Médicis. Nous voulons parler de la remise en otage du jeune duc d'Anjou qui demeurerait en Anjou aux mains des mécontents jusqu'à la réinstallation honorable de la reine-mère au Louvre.

[3] Telle est, selon nous, l'explication la plus plausible du déplorable contre-temps essuyé à Trélazé par l'ambassade angevine. A nos yeux cette explication résulte des deux récits non suspects et combinés ensemble de Bassompierre et d'Arnauld d'Andilly. Après cela n'allons pas, sur la foi des biographes de Bérulle, et par un zèle aussi malentendu qu'inutile pour la mémoire de leur héros, jeter la pierre à ses collègues de l'ambassade de La Flèche, taxés de négligence dans l'attardement de leur retour d'Angers vers l'armée royale. En une heure aussi critique un tel reproche ne peut atteindre des hommes de la considération de l'archevêque de Sens et du duc de Bellegarde, porteur de la signature de Marie de Médicis.

D'autre part, le seul Lepré-Balain, qui d'ailleurs n'est pas le biographe spécial du Père de Bérulle, ne nous peut faire croire qu'un scrupule intempestif de dire sa messe, qui lui attrait pris vers onze heures, c'est-à-dire au montent où il ne restait plus que juste le temps de s'acheminer vers Trélazé pour y arriver avant midi en supposant praticable la route directe, aurait ajourné fatalement avec son voyage celui de ses collègues. D'abord, en vue d'un voyage aussi urgent, et vu la parfaite régularité de ses habitudes sacerdotales le vénérable fondateur de l'Oratoire ne peut avoir attendu si tard pour la célébration de sa messe. Et même dans cette supposition ses collègues, qui n'avaient qu'à rapporter à Louis XIII la signature de sa mère, seraient certainement partis sans l'adjonction d'un auxiliaire qui, pour cette capitale mais simple formalité, ne leur était plus indispensable.

[4] Dans le chorus d'anathèmes que sa conduite a ici soulevée contre lui, Richelieu n'osa pas risquer sous son propre nom l'émission de cette apologie, qu'on ne retrouve même pas dans ses mémoires. Il en a assuré seulement l'insertion au Mercure français comme non émanée de lui. Car on n'y retrouve ni sa signature ni sa désignation nominative. Mais cette dernière précaution-là même d'une défense suspectée dans sa source, et l'habileté supérieure de sa rédaction, en trahissent la secrète provenance. M. Avenel eût donc pu l'insérer dans ses Lettres, instructions diplomatiques et papiers d'Etat du cardinal de Richelieu.

[5] Fontenay-Mareuil, pp. 149-150. — Bassompierre, p. 139-141. Rohan, p. 156. — Brienne, p. 342. — Mercure français, t. IV, pp. 319, 226,330, 338, 339. — Vitt. Siri, t. XXXV, pp. 102, 145-146, 148, 165, 167-170, 176-178, 180-183. — La Nunz. di Fr., 9 et 29 juillet, 8, 10 et 11 août. — Lettre de Cl. Bentivoglio, 9 juillet, 5 août. — Dispacc. degl. amb. ven., 14 et 22 juillet, 1er, 4 et 22 août. — Arnauld d'Andilly, f° 17 et 18. — Marillac, pp. 40, 42, 46-48, 66. — Bibl. nat. f. Fr., n° 3795, 3802, 3812, passim. — Arch. des aff. étr., 773, f° 61, 71 et 72, et spécialement Voyage du Roy en Normandie, 1620, f° 187. — Mairie d'Angers : Arch. anciennes, EE. : Guerre entre Louis XIII et la Reine mère, 2e série. — Journal de Jehan Louvet, t. II, pp. 30, 31, 35, 36, 38, 41, 47, 62. — Rangeard, ms. 893, pp. 360, 362465, 368-369 ; Rer. and. Fand., p. 95. — Lettres et Mémoires de messire Philippe de Mornay : Jeannin à Duplessis-Mornay, 27 juillet ; Duplessis-Mornay à Jeannin, 23 juillet ; la reine-mère à Duplessis-Mornay, 1er août, le roi à Duplessis-Mornay, 30 juillet ; Duplessis-Mornay au roi, 1er et 5 août 1620 Mémoire envoyé par le roi à Duplessis-Mornay, 8 août. — La Vie de messire Philippe du Mornay, pp. 534-537. — Lb.36 1448, pp. 3 et 6. — Lb.36 1454, pp. 1619. — Lb.36 1455 : Récit véritable de ce qui s'est fait et passé en l'armée du roy depuis le trentiesme juillet 1620 jusqu'au traicté avec la Reyne Mère de Sa Majesté, contenant vray les particularitez du combat rendu en la prise du Pont de Cé et le nombre des morts et blessez et des prisonniers (Paris, de l'imprimerie de Fleury Bourriquet en l'Isle du Palais aux Fleurs Royales, 1620, avec permission), pp. 10, 16-18. — Lb.36 1477 : La prise de la ville de Pont de Sé, pp. 4 et 5. — La prise du Pont de Sé et de son chasteau par l'armée du roy après une grande résistance, ensemble la déroute des 3.500 hommes qui estoient dedans, les noms des chefs tant blessez que prisonniers et le nombre des drapeaux pris et apportez dans le Louvre, ainsi la réduction de la ville de Chdteaugontier, surprise de Langey, et autres particularitez. (Paris, Pierre Rocolet, 1620, 14 p. in-12), p. 4. — Chronique de Michel Courjaret (Rev. d'Anjou, novembre-décembre 1875), p. 323. — Chroniques Craonnaises, par Bodard de la Jacopière de Mans, Monnoyer, 1871), p. 356. — Ludovici XIII Itinerarium, p. 17. — Roncoveri, pp. 315, 320-323. — Gramond, pp. 294 ; 295-297. — Malingre, pp. 611, 646, 648, 651-655, 663. — Dupleix, p. 137. — Le P, Griffet, pp. 261 ; 264-265 ; 266-267. — Levassor, t. III, 2e partie, pp. 564 ; 571-573 ; 590-591. — Mme d'Arconville, t. III, pp. 55, 58-60 ; 67-71 ; 74. — Vie du cardinal-duc de Richelieu, par Jean Leclerc, pp. 80, 8285. — Notice sur Richelieu (coll. Pet.), pp. 34-35. — V. Cousin, Journal des savants, octobre et novembre 1861 ; mai et juin 1862. — L'évêque de Luçon et le connétable de Luynes, par M. Avenel (Rev. des Quest. hist., 4e année), t. IX, passim. — Avenel, Lettres, instructions diplomatiques et papiers d'Etat du cardinal de Richelieu, passim. — Arch. nat. carton M. 233, Vie mss. du cardinal de Bérulle, par le R. P. Hervé, pp. 20-21. — Dépositions des Oratoriens sur le cardinal de Bérulle : Mém. du frère Edmond, p. 22. — Tabaraud, pp. 311-312, 314. — L'abbé Gouget, n° 13. — Batterel, n° 78-84. — L'abbé Houssaye, pp. 328-334. — Vie du duc d'Epernon, par Girard, pp. 348-349, 351.  — Lepré-Balain, p. 472. — Seconde partie de l'histoire de Sablé, par Gilles Ménage (Le Mans, Monnoyer, 1844), p. 57. — Bazin, p. 367. — H. Martin, pp. 160-161. — Dareste, pp. 165-167.