LA GUERRE ENTRE LOUIS XIII ET MARIE DE MÉDICIS

1619-1620

 

CHAPITRE V. — OCCUPATION DU MAINE PAR L'ARMÉE ROYALE ; SA CONCENTRATION DÉFINITIVE. - PRÉLIMINAIRES DE RÉCONCILIATION.

 

 

Pendant que le grand prieur de Vendôme s'en allait à Caen au-devant de son déplorable échec, les compagnons de voyage qu'il avait laissés à Baugé sous la protection de Marillac s'acheminaient de là vite sur Angers, et non certes à la plus grande satisfaction de Marie de Médicis, qui ne voyait qu'à contre-cœur arriver à elle, avec les Soissons, César de Vendôme. C'est que, durant les troubles de sa régence, elle n'avait que trop éprouvé contre elle-même la mobilité du prince qui tirait de partout à lui l'aliment des convoitises du sang d'Henri IV. Et c'est par là que, jusqu'au jour de la fuite des Soissons, Luynes avait sans relâche tenté le duc de Vendôme, non seulement en prodiguant à son frère les pensions et les abbayes, mais en promenant sur lui-même autant que sur les Bourbons et les Guises, sa diplomatie tournante d'alliances matrimoniales. Aussi Marie de Médicis trouvait-elle en Bretagne le duc de Vendôme trop près des Montbazon qui n'agissaient sur lui que par Luynes ; et de là cette clause de l'état général qui commettait dans cette province, jusqu'au jour de son propre ralliement à Louis XIII, le maréchal de Brissac à la surveillance d'un si douteux allié. Par une suite de cette utile précaution et dans les vues actuelles de la reine-mère, nulle part, ce semble, le duc de Vendôme n'eût été mieux qu'en Anjou sous sa propre surveillance, ou plutôt sous celle de Richelieu jaloux d'assurer la cohésion en même temps que de rectifier les allures du parti de sa souveraine. Mais en Anjou César de Vendôme allait retrouver le duc de 11Iontbazon et les ambassadeurs de Luynes qui, jusque sous les yeux de Marie de Médicis, l'y reviendraient périodiquement solliciter en un milieu où ce grand seigneur aussi bruyant que mobile, et aussi artificieux que malléable, une fois gagné, lui-même autour de lui propagerait vite ses propres ébranlements. Il est vrai aussi que l'ambitieuse comtesse qui arrivait en Anjou pouvait bien le raidir lui-même contre les manèges de la cour. Mais Richelieu ne se souciait nullement de voir par là s'étendre au Logis Barrault une cabale si hostile à ses vues modératrices ; et de là dès les origines de l'insurrection, et tant qu'à subir l'arrivée des Soissons, au moins son entente avec la reine-mère à l'effet d'écarter de l'Anjou les Vendôme. Aussi lorsque, en venant débattre en Anjou avec Marie de Médicis l'époque de la venue d'Anne de Montafié près d'elle, Senneterre avait, en son nom et en vue de ce voyage, stipulé l'adjonction des compagnons de sa fuite, il avait fallu toute la considération de celle qu'on envisageait comme rame du parti, pour n'exclure pas d'auprès d'elle ce cortège[1]. En revanche, lorsqu'à Angers l'on apprit en même temps que l'arrivée des Soissons à Vendôme la marche sur Caen de l'armée royale, ce fut au Logis Barrault un nouveau prétexte aussitôt saisi de distraire d'Anne de Montafié ses compagnons de route, en envoyant l'un au secours du gouverneur Prudent, et en assujettissant l'autre à la garde des frontières menacées du Maine. Et ce ne fut qu'après avoir désespéré de retenir sous les murs de Caen le grand prieur ou d'arrêter sur le chemin d'Angers le duc César, que Marie de Médicis dut se résigner à faire aux nouveaux venus son meilleur visage. Dès que, le 8 juillet, elle les sut arrivés par la porte Saint-Aubin, elle alla en carrosse au-devant d'eux. Et, après avoir reçu dès la première rencontre deux baisemains de la comtesse et une révérence de son fils, à son tour elle embrassa le jeune prince en lui disant : Je vous baise comme mon troisième fils. C'est, en effet, à ce titre autant qu'à celui de chef nominal de l'insurrection, que Louis de Soissons dut la magnifique hospitalité qui lui avait été préparée par Marie de Médicis au Logis Barrault à côté de sa mère, tandis que le duc de Vendôme allait rejoindre leur précurseur, le duc de Nemours, chez le lieutenant-particulier qui les hébergea en son hôtel princier de la place des Halles.

Mais ni l'apparente cordialité d'une telle réception, ni les compliments et les harangues officielles de bienvenue ne dissimulaient aux yeux des plus clairvoyants ce qu'Anne de Montafié apportait avec elle de principes néfastes à l'insurrection angevine. A cet égard, aux sages pronostics dont le président Jeannin avait accompagné sa libre sortie de Paris en Anjou s'associait l'intuition géniale du prélat qui avait fourni à la criminelle voyageuse, à partir de l'étape du Lude, l'escorte de Marillac. Non que d'abord et de loin, avant de juger Anne de Montafié funeste à Marie de Médicis, Richelieu ne l'eût estimée dangereuse pour lui-même. Et de là, vis-à-vis de Bien-ville, cette diplomatie de temporisations opposable encore moins, pour ainsi dire, à Luynes qu'aux Soissons. Mais à peine les hôtes accueillis en Anjou à son corps défendant eurent-ils pris place au conseil de la reine-mère, que Richelieu put se rassurer pour lui-même en constatant que le parti qui s'autorisait du nom de sa souveraine avait reçu dans son sein, avec son complément de personnel, ses germes de dissolution. Dès le jour, en effet, de la fuite des Soissons et des Vendôme, et en anticipant sur la date de leur réception au Logis Barrault, nous avons entrevu déjà tout ce qu'ils y introduisaient de divisions. Ce n'était pas assez qu'au quartier-général angevin Chanteloube entravât Richelieu, que d'Angers à Angoulême des incompatibilités de hiérarchie, et que d'Angoulême à Bordeaux des jalousies d'accaparement aient isolé de l'état-major général le duc d'Épernon et aient scindé d'avec le duc d'Épernon le duc de Mayenne. Mais, dans toute la zone et à tous les degrés de cette hiérarchie insurrectionnelle, la seule apparition du duc de Vendôme était une provocation de discordes. Jusqu'au sein de la colonie qu'il amenait des bords du Loir éclata bientôt la zizanie entre un prince que le sang d'Henri IV haussait sur un ton de commandement royal, et la dominante comtesse en voie d'élever contre un Bourbon sur les premiers degrés contestés du trône l'incrimination de bâtardise. Il est vrai que, pour n'exciter pas de ce chef au Logis Barrault Anne de Montafié à s'avantager de l'infirmité de sa propre naissance, Vendôme affecta de ne vouloir gouverner que sous elle et par elle. Mais, en écartant d'elle tous ceux qu'elle eût souhaité voir partager avec lui ce gouvernement sous ses ordres, et sous prétexte de lui assurer par ses calculs d'élimination une obéissance sans contrôle, Vendôme trahit sa prétention de la vouloir encore plus diriger que servir. C'est ce qui n'échappa point à la comtesse lorsqu'elle voulut mander près d'elle le duc de Mayenne. Il n'est sorte de manèges dont Vendôme n'usât pour le tenir à distance, en infirmant la teneur des appels à son adresse par des atténuations de style ou des contremandements subreptices[2]. Tant il redoutait que l'évocation d'un si chevaleresque soutenant d'Anne de Montafié ne déjouât près d'elle ses artifices, et que le souvenir ravivé de son assistance dans la querelle de la serviette ne primât le souvenir plus récent de l'hospitalité de Vendôme !

Pour tenir tète au duc de Mayenne, et en général à tout ce qui tentait d'approcher des Soissons, César de Vendôme eût naturellement souhaité pouvoir s'appuyer sur son frère. Mais, vu les affinités du sang, il mesurait la consistance du grand prieur sur la sienne propre, à part même ce que lui avaient là-dessus enseigné les expérimentations de la veille. Car on se demandait si, en retenant dans sa fuite le récent brevet de pension tiré des mains de Luynes, le grand prieur ne s'était pas assuré dans la prévision d'une imminente palinodie un pont de retraite. Et. en effet, peu de jours après, vis-à-vis de la Cour n'avait-il pas paru prendre à tâche de justifier cette précaution déloyale sous les murs honteusement désertés du château de Caen ? Il est vrai que, sur ce chapitre, à son retour de Falaise à Angers, et pour se laver de tout soupçon de trahison ou seulement de défaillance, le grand prieur rejeta vite sur le gouverneur Prudent la responsabilité de l'échec qui enlevait à Marie de Médicis toute la Normandie. Mais jusque dans la cabale des Soissons un toile s'éleva contre cette accusation. En revanche, et par une riposte aux incriminations fraternelles, le grand prieur rappela au gardien naturel du bassin du Loir l'abandon des frontières du Maine, qui avait précédé même la désertion du boulevard de la Basse-Normandie. Bref, au Logis Barrault autant qu'au Louvre, on désapprit à compter sur un Vendôme. Et les deux frères unis jusqu'ici dans les solidarités de la bâtardise et dans la complicité d'Anne de Montafié tournèrent leurs aigreurs contre eux-mêmes.

Avec l'affluence des immigrations parisiennes s'étendait au Logis Barrault le champ des divisions. En sa qualité d'un des plus dévoués aides-de-camp d'Anne de Montafié en même temps que d'un allié des deux maisons de Savoie et de Guise, le jeune duc de Nemours avait, dans la diplomatie insurrectionnelle, figuré comme un naturel intermédiaire entre les deux postes de Bordeaux et de Turin. Par une suite des mêmes agissements qui préparaient en Anjou la libre concentration de l'état-major de la reine-mère, un peu avant l'arrivée à Angers de la colonie des Soissons, le 2 juillet, on y avait vu déjà arriver comme en avant-garde le duc de Nemours. Mais aux premières délibérations qui suivirent au Logis Barrault le complément de l'état-major insurrectionnel, le prince qui n'avait paru jusqu'ici dans un parti indigne de le posséder qu'à titre d'entremise ou d'escorte, y personnifia vite le côté le plus inoffensif de cette domination de rebelles. Sa loyauté, son désintéressement et sa modération relatives y tranchèrent vite sur les perfidies et les violences de l'escouade dont il avait ouvert la marche. Et, bref, au quartier-général angevin le duc de Nemours s'était érigé en chef du groupe le plus en harmonie avec les sympathies de la province ; d'un groupe s'autorisant même plus particulièrement du nom de Marie de Médicis. Car on distinguait en Marie de Médicis la libéralité native d'une administration florentine d'avec la tyrannie et les fiscalités imputables aux exploiteurs de sa révolte. Et tout en confondant dans ses acclamations de bienvenue les deux noms de Marie de Médicis et du duc de Nemours, la population angevine associait dans un même anathème la nouvelle cabale des Soissons et des Vendôme et, que dis-je, aussi de Marillac. Car, en dépit de sa docilité intermittente à l'égard des conceptions modératrices de Richelieu, nous avons vu que celui qui, dix ans après, le lâchera si fatalement pour lui-même à la journée des Dupes, était dès lors bien loin de lui appartenir sans réserve ; et que l'homme qu'attendait l'échafaud vengeur des palinodies de cette fameuse journée sous l'accusation capitale de concussion, était dès lors au Logis Barrault maintenu par son avarice en une oscillation d'expectative aux confins de tous les groupes distincts ; et c'est par là que, dès le voyage du Lude à Angers et dans leurs spéculations d'anarchie, les Vendôme captèrent l'inconsistant officier en tarifant sa connivence. Mais, en dépit de ce trafic de complicités, l'allié de Marie de Médicis ne pouvait s'engager sans retour avec une coterie en grande partie désavouée d'elle. Et le client de l'évêque de Luçon, le consort intéressé des Lacochère et des d'Argouges ne pouvait accepter que sous bénéfice d'inventaire un programme de guerre civile dicté aux Soissons par Chanteloube. En un mot, par la fluidité même de ses allures et par ses alternatives de volte-face, Marillac, partout où il avait donné un peu de prise, échappait vite à toute appropriation définitive. Et, tandis qu'en ce mémorable journal où s'alimente notre récit, Marillac prône l'œuvre de Richelieu avec la chaleur d'un séide, autour de lui les populations pressurées par les Vendôme le maudissent comme leur complice.

D'autres que Marillac, sans velléité d'usurpation et sans affiche de dissidence ou de réserve, grâce à ces jalousies entretenues sciemment en Anjou par les conférences de Blainville, s'y ménageaient en silence une rentrée en cour entre Richelieu et Chanteloube. C'est ce qui se décela aux premières promulgations insurrectionnelles qui suivirent chez nous l'arrivée des Soissons. Lorsqu'en effet, à dater de ce jour, on leur eut présenté un manifeste dicté par les Soissons à la reine-mère, en les invitant à y joindre leurs signatures à la sienne, ces déserteurs occultes, par là mis en demeure de se proclamer irréconciliables, déclinèrent une aussi compromettante démarche en prétextant la convenance d'un effacement révérentiel devant le nom de leur souveraine. Mais ils ne trompèrent point ceux qui ne les avaient par là provoqués que pour les mieux sonder ; et leur défaite en les démasquant les isola du parti qui les répudiait.

Ainsi le parti de Marie de Médicis par ses propres affluents nourrissait ses divisions. Chaque famille et chaque coterie s'y insurgeait contre elle-même. Les trahisons y répondaient aux calomnies, les soupçons aux reproches, les réserves aux accaparements, les ombrages aux initiatives. Et, avec de telles inconciliabilités, comment régir un conseil dont tous assiégeaient la porte ? Il est vrai qu'en ne la faisant qu'entrouvrir on n'y eût du moins laissé s'introduire que les éléments d'une discussion régulière. Mais la reine-mère ne se sentait pas de force à braver là-dessus des griefs d'exclusion. Seulement, en croyant résorber en elle par l'universalité de son accueil tous les ferments extérieurs d'opposition, Marie de Médicis ne les transforma chez elle qu'en une agitation tumultueuse ; et en évitant dans sa cour l'odieux d'un aparté, elle tomba dans le discrédit d'un chaos.

Pour maintenir dans son quartier-général un peu d'adhésion dans la confiance et un peu d'harmonie par la hiérarchie et la discipline, il eût fallu que Marie de Médicis dominât le parti qui s'autorisait de son nom. Mais la reine-mère était aussi faible que glorieuse, aussi paresseuse que tracassière. A la place d'un vrai génie de gouvernement, il n'y avait en elle que des instincts et des besoins d'intrigue. Moins habituée à organiser qu'à emprunter des cabales, moins apte à leur fournir un programme qu'à les armer de prétextes, il semble que dans son grand rendez-vous insurrectionnel, au lieu de se ranger sous ses ordres on soit venu de partout la revendiquer, l'exploiter ou la compromettre. En réalité elle était la proie de tout ce qui s'ameutait autour d'elle.

Pour s'imposer dans cette insurrection sous les armes, et en mettant à part les ducs de Rohan, d'Épernon et de Mayenne, distraits ou écartés de l'Anjou par des sollicitudes de sectaire, des réserves d'autonomie ou des diversions extérieures, il eût fallu dans l'entourage direct de la reine-mère le prestige professionnel et permanent d'un vrai homme de guerre. Mais, à commencer par Louis de Soissons, et malgré tout ce qui se décelait en lui déjà du vainqueur de la Marfée, son tout jeune âge[3] et le besoin de conserver en sa personne un titre d'indiscutable suprématie, l'éloignait des champs de bataille. Il fallait aussi mettre de côté le courageux mais médiocre et valétudinaire duc de Nemours. Et quant aux Vendôme on vient de rappeler la désertion simultanée des murs de Caen et des frontières du Maine. Après eux, et en tète des maréchaux de camp, il y avait le vieux Boisdauphin qui s'était jadis signalé dans les rangs de la ligne en disputant vigoureusement à Henri IV, à titre de gouverneur de Sablé, les frontières du Maine. Mais depuis la soumission de ce vétéran des guerres de religion, dix années de paix l'avaient alourdi. C'est ce dont s'était aperçue dès sa régence Marie de Médicis elle-même, durant la campagne des mariages espagnols. Car au lieu d'y prévenir en Guyenne la jonction comminatoire des deux armées rebelles de Rohan et de Condé, Boisdauphin avait laissé ce dernier prince franchir impunément sous ses yeux, dans son équipée méridionale, tous les fleuves qui le séparaient des Pyrénées. C'est dire à quel point l'allié usé du duc de Mercœur était d'avance voué à l'inanition, dès que reparaîtrait sur les rives de la Loire celui qui l'avait naguère si impunément franchie devant lui. et qui y reviendrait cette fois dans le cortège d'un roi vainqueur. Et pour secouer de sa torpeur le vieux Boisdauphin il ne fallait compter sur aucun de ses trois collègues, Senneterre, Marillac et Saint-Aignan. Car on ne peut oublier que Senneterre avait inspiré au grand-prieur sur la route de Caen son mouvement rétrograde. Et malgré d'indéniables aptitudes, outre le décri qui s'attachait à son avarice, il y avait chez Marillac toute l'inconsistance d'un aventurier doublé d'un beau diseur. Quant à Saint-Aignan, cet ardent complice de la fuite des Soissons n'offrait pour garantie que la juvénile témérité des bravis.

Avec tant d'inaptitudes et de contradictions, le nombreux personnel groupé autour de Marie de Médicis lui était bien plus un embarras qu'une ressource. Resserrés dans l'étroit espace que mesurait alors la cité angevine, ils en encombraient les logis, ils en consommaient les vivres, ils en dissipaient les finances. En l'absence d'un ralliement de principes, par la quotidienneté de leur contact au lieu de cimenter leur union ils entretenaient leurs froissements. Au lieu de s'échelonner entre la Seine et la Loire par la Normandie et le Maine, ainsi que l'eût souhaité la reine-mère, ils attirèrent sur eux en Anjou comme à plaisir, et sans leur pouvoir opposer une assez mûre résistance, avec la libre intégralité des forces royales à la fois leur châtiment et leur ruine.

La ruine de Marie de Médicis, ce n'est certes pas ce que voulait le plus sérieusement dévoué de ses serviteurs. Car, dans sa haute sollicitude pour le salut de sa souveraine, Richelieu, tout en entamant son parti, lui constituait une armée ; et de la même main dont il extirpait son venin il condensait sa force. Dans cette fermentation générale de l'état-major de Chanteloube, sans plus y risquer désormais des représentations rejetées d'avance, et plus que jamais depuis les ombrages excités dans l'état-major du Logis-Barrault par ses conférences avec Blainville[4], aux intervalles des délibérations générales il en dégageait les moins défectibles éléments d'un vrai conseil de guerre : ici disputant le variable Marillac à la corruption des Vendôme ; et là réveillant dans Boisdauphin les restes de l'ancien ligueur du Maine. Et d'ailleurs, sur toute la ligne de défense érigée autour de l'apanage de la reine-mère, et parmi des soubresauts d'oscillation sans trêve entre les paniques et les bravades, il rappelait infatigablement son mot d'ordre de l'état général : résister sans provocation Non que certes il y réussit toujours. Mais au moins, lorsqu'eut passé sous ses yeux un manifeste élaboré au Logis-Barrault, comme nous avons vu, dès après l'arrivée en Anjou des Soissons, comme un signal de leur installation près de la reine-mère et comme une dernière sommation en vue de l'éloignement de Luynes, et lorsqu'au pied d'un document aussi comminatoire il eut constaté autour du nom isolé de sa souveraine presque une universelle désertion de signatures, Richelieu près d'elle trouva beau jeu pour incriminer ceux qui, après lui avoir dicté ce qu'elle avait eu le courage de signer seule, en rejetaient toute la responsabilité sur elle ; et il l'induisait par là, de concert avec Marillac, à rengainer des foudres qui une fois lancées allaient retomber sur elle seule.

Mais, non content d'élaguer d'un théâtre d'hostilités où lui seul tenait à rester sur la défensive toute démarche gratuitement irritante, Richelieu poursuivait d'un camp à l'autre et jusqu'après le rappel de Blainville, une diplomatie de réconciliation entretenue parallèlement avec Luynes. Car si nous avons vu Luynes, sur ce chemin de la Normandie où Condé poussait Louis XIII, s'effacer si bénévolement devant son fougueux collègue ou plutôt devant le génie de la guerre, ç'avait été pour se replier sur son vrai terrain, qui était celui des Montbazon et des Blainville, avec la préméditation d'une revanche. Et à cet égard Luynes croyait avoir épuisé toutes les chances actuelles d'une pacification de la maison royale, quand, à la veille même de l'entrée du roi en campagne, avait reparu à ses yeux le plus originaire en même temps que le plus autorisé des médiateurs.

A la veille de l'octroi de l'Anjou à Marie de Médicis et en plein soulèvement des huguenots du Béarn, nous avons vu le nonce Bentivoglio s'élever contre une démarche qui, par la coalition des griefs et la proximité des places fortes, menaçait de solidariser cette reine offensée avec tout le protestantisme méridional. Et faute d'avoir pu là-dessus rien conjurer, il s'était replié dans une sage réserve, en attendant que la réalisation de ses pronostics le ramenât avec un crédit renouvelé dans le champ de ses primordiales entremises. C'est dire que, dès qu'à ses yeux la vraie portée des compromissions tacites de Marie de Médicis avec l'assemblée de Loudun eut apparu dans l'établissement à Angers du duc de Rohan, Bentivoglio jugea le moment venu de rentrer en scène, en y assurant à son rôle officiel, par la production d'un mandat exprès du pape Paul V, encore moins d'opportunité que de relief[5]. Et sous le bénéfice d'une aussi suprême recommandation, avec le tendre et belliqueux Louis XIII, Bentivoglio reprit en l'agrandissant le thème des objurgations spirituelles du cardinal de Retz, de l'archevêque de Sens et du père Arnoux, à l'effet de détacher par l'attraction filiale Marie de Médicis de l'hétérodoxie de ses alliances, pour agir ensuite dans tout l'essor d'une croisade européenne, à la fois par les deux armées désormais libres de la Loire et de la Champagne, contre les protestants insurgés du Béarn et de l'Allemagne. Il est vrai qu'en insistant trop sur ce dernier dérivatif souhaitable des ardeurs guerrières de Louis XIII, par là entraîné militairement dans l'orbite de la maison d'Autriche, et cela quand la conclusion de la paix d'Ulm venait de laisser cette dominante puissance seule aux prises avec les calvinistes de Bohème, Bentivoglio risquait de trahir des affinités espagnoles avec la reine-mère, et par là d'achever de compromettre aux yeux de Luynes sa mission déjà soupçonnée. Aussi, pour dissiper de ce chef les préventions qu'un jour lui avouait Luynes dans l'épanchement d'un dîner intime, et pour pallier ses ouvertures ultramontaines, Bentivoglio ne se borna pas à nier la correspondance secrète du pape Paul V avec Marie de Médicis qui, dans l'explosion de ses griefs, affirmait-il, ne trouverait jamais en lui que la qualité de père commun ; ni à innocenter ses propres colloques avec l'ambassadeur d'Espagne qui ne souhaitait, l'affirmait-il, que le maintien en France du régime actuel ; ni même à se déclarer inaccessible aux calomnies qui de partout lui revenaient contre Luynes sur ses usurpations d'omnipotence royale, et qu'il ne lui rapportait qu'à lui seul à titre d'un salutaire avis d'y dérober toute prise. Il s'ingénia de plus à ne lui représenter son rapprochement avec la reine-mère, ou plutôt avec Richelieu, que comme une garantie d'équilibre, à lui si importuné des envahissements de Condé, pour la souveraineté de sa faveur. C'était là, même avec des mains italiennes, toucher Luynes à la corde sensible. D'ailleurs Luynes avait été, comme nous avons vu, après. Henri IV le principal auteur du rétablissement du catholicisme en Béarn ; et dans la négociation de la paix d'Ulm, aux débuts de la guerre de trente ans, il n'avait isolé militairement la maison d'Autriche qu'en face d'un réciproque isolement des protestants de Bohême. Aussi le national mais catholique précurseur de Richelieu, le docile pénitent du père Arnoux, ne pouvait en définitive voir d'un mauvais œil une ingérence romaine qui, sur le terrain de notre querelle intestine, où de plus en plus dominait le génie de la guerre, le piquait d'honneur en vue d'une revanche de diplomatie. Aussi, et vu l'échec à Angers des deux démarches de Montbazon et de Blainville, avec le pieux groupe d'entremise spirituelle Luynes voulut de sa meilleure foi substituer à des députations précaires ou suspectées une ambassade à la fois plus impartiale, plus solennelle et plus stable.

Mais tout en composant les éléments, il fallait décider Marie de Médicis, en pleine conflagration d'hostilités, à recevoir cette haute ambassade à demeure chez elle. Et, à cet effet, à qui pouvait-on mieux s'adresser qu'à l'homme en quête au Logis-Barrault d'un point d'appui permanent contre la cabale chaque jour renaissante de Chanteloube ? Et de la part de la cour, auprès de Richelieu quel plus digne négociateur que celui qui, avant d'aller relever en Anjou sa mission de salut, en le ramenant originairement d'Avignon à Angoulême et d'Angoulême à Angers lui en avait assigné le théâtre ? Une fois Richelieu réacheminé et réinstallé auprès de Marie de Médicis, une fois Marie de Médicis pourvue de l'apanage le plus convenable aux vues du grand médiateur rattaché à sa suite, le père Joseph, avec la flexibilité d'un génie où s'alliaient si heureusement la diplomatie et le mysticisme, aussi bien que le mysticisme et l'apostolat, s'était vite réfugié dans l'effacement claustral. Mais du fond de sa cellule de capucin, il n'avait pas perdu de vue un seul jour, depuis la récidive insurrectionnelle en Anjou de la reine-mère, la pacification du royaume. Car à ses yeux c'était là le préliminaire obligé d'un armement général contre l'hérésie. Et dépassant même, dans le feu de son prosélytisme, le panorama des sollicitudes sociales du nonce et de son pieux groupe, l'ami du chevaleresque duc de Nevers, le continuateur d'Urbain II, de sainte Catherine de Sienne et de saint Pie V, n'envisageait encore, dans l'extermination de l'hérésie, que l'acheminement de toute la catholicité vers une croisade européenne contre l'islamisme. Aussi, pour cette réconciliation définitive de la maison royale de France, d'où devait sortir à ses yeux le salut spirituel du monde, le père Joseph à l'autel, sous le cilice et dans les larmes, ainsi que l'avait fait, disent ses biographes, Judith pour la conservation de Béthulie, le père Joseph chaque jour s'offrait en holocauste en assumant sur lui, pour la délivrance de la chrétienté, tout ce qu'on peut humainement souffrir. Et c'est dans de telles effluves d'immolation que le cardinal de Retz et l'archevêque de Sens le vinrent un jour surprendre, afin de lui déterminer son vrai champ d'apostolat. Car à l'heure actuelle, pour le père Joseph la vraie œuvre de sacrifice et le vrai don de lui-même c'était le voyage d'Angers. Suivant eux, c'était là qu'il devait aller décider par Richelieu Marie de Médicis à fixer auprès d'elle une ambassade définitive, une ambassade dont l'autorité s'imposât par l'immuabilité de son siège, la consécration de ses pouvoirs et la largeur de ses convenances. Et en effet, en tête de cette majestueuse ambassade figurait en première ligne ce même archevêque de Sens, dont relevait hiérarchiquement par la suprématie diocésaine sagement exercée toute la maison de France[6]. Et après l'archevêque de Sens, la raison d'État avait pour organe le président Jeannin, en qui l'on vénérait le plus loyal et le seul désintéressé des vieux ministres réintégrés d'Henri IV. Le président Jeannin était d'ailleurs demeuré toujours l'ami dévoué de Richelieu jusqu'après l'élévation de Luynes, et jusque dans la diversité des rôles que leur avait assignés à tous deux cette révolution de palais, ils avaient trop concordé en leurs diagnostics des vices du parti de la reine-mère pour ne chercher pas à l'en dégager ensemble. Ensemble, d'ailleurs, aussi bien qu'avec l'archevêque de Sens, Richelieu et le président Jeannin agiraient sur la reine-mère avec une bien persuasive assistance. Car la grave députation qui venait s'impatroniser en Anjou et où figuraient l'église, la magistrature et la noblesse, y amenait avec elle avec sa garantie, à la fois son escorte et sa parure. Du moins tels nous y apparaissent les deux collègues répondant aux noms des ducs de Montbazon et de Bellegarde. Le duc de Montbazon, ce n'est plus ici le Montbazon malheureux du voyage d'Orléans. En revenant loyalement en Anjou, et cette fois à la suite de l'archevêque de Sens, s'offrir en otage des promesses réitérées de son gendre, aux yeux de la reine-mère il ravivait l'agréable souvenir de l'hospitalité de Cousières. Et quant au duc de Bellegarde, si dès le début de notre querelle jutes tine on avait tant cherché à plaire à Marie de Médicis en l'introduisant dans les conseils du Louvre, ce n'était que par une suite des mêmes vues qu'on le versait de là dans ce groupe qui venait si solennellement au-devant d'elle ; et le gracieux cavalier qui l'avait jadis amenée de Florence à Henri 1V, était un des mieux préparés à la ramener cette fois d'Angers à Louis XIII.

Mais nous n'en sommes encore qu'à la démarche préparatoire sollicitée du père Joseph, qui là-dessus demeura longtemps perplexe. Avec ce qui s'alliait en lui de l'ardeur d'un missionnaire à la prudence d'un homme d'État, il se demanda s'il ne compromettait pas tout l'avenir de son apostolat en une stérile entremise, là où la voix même du médiateur qu'il avait mandé de si loin à Angoulême et avec qui on lui parlait d'aller s'aboucher à Angers, était presque une voix perdue. Et cependant, aux yeux du père Joseph tout l'avenir de son apostolat gisait aussi dans la réconciliation de la maison de France. Marie de Médicis était sur le chemin du Béarn, de même que l'armée de Champagne était sur le chemin de l'Allemagne, et la France et l'Allemagne, une fois solidarisées dans l'orthodoxie, allaient s'embrasser sur la route de Constantinople. Encore une fois, le voyage d'Angers c'était le salut du monde, ainsi que le père Joseph l'avouait ingénument dans l'illumination de son enthousiasme au père Ange de Mortagne, cet illustre confident de ses angoisses tour à tour et de sa résolution finale. Ô mon ami, lui avouait-il en s'ouvrant à lui de tout ce que pouvait sur son grand cœur cette pénétrante perspective de dompter l'hérésie par la concorde, ô mon ami, que ne peut ce trait sur une âme qui veut sauver les autres ? En me souvenant de cette parole du Sauveur, que  sa vie et sa viande était d'accomplir la volonté de son père, j'étais possédé d'un mouvement de zèle si violent contre l'hérésie, que dans mes soupirs, ma nourriture c'était sa ruine. Dans ce but, je dévorais comme un loup enragé toute douleur expiatoire. Mais j'avais beau m'ingénier à rechercher la souffrance, tout ce que je ressentais de plus rigoureux c'était de m'imaginer la perte des âmes éternellement privées du bonheur d'aimer Dieu ! Je vous assure qu'aucune des peines que j'aie jamais ressenties n'est comparable à ce que m'a fait éprouver cette considération de l'hérésie aggravée et perpétuée par la discorde. Mais dans l'intensité de mes tourments, je me sentais tout-à-coup soulagé par la certitude que Dieu s'apaisait en me choisissant comme un instrument de salut. Il est vrai qu'il me fallait pour cela jeter dans le péril sans réserve, et j'y courus sur cet appel du prophète : Tollite me in mare et cessabit a vobis.

Bien en prit au père Joseph de cette immersion propitiatoire dans l'océan des agitations insurrectionnelles. Car, lors même qu'à son passage au sanctuaire des Ardilliers de Saumur et dans l'élan d'une invocation votive à la Vierge il n'eût pas été, dit-on, surnaturellement favorisé d'une vision prophétique du succès de sa sainte démarche, à Angers rien ne l'y pouvait mieux confirmer que l'affable accueil de Richelieu et de la reine mère. C'est que si Richelieu devait au père Josèphe son l'appel d'Avignon, Marie de Médicis lui devait la fondation à Angers des Calvairiennes ; et cela même autant que l'entremise de Richelieu était à l'adresse de leur pieuse souveraine une recommandation bien persuasive. Aussi, même à travers ce champ de bataille des Ponts-de-Cé qui nous sépare encore du dénouement de la guerre civile, les biographes du père Joseph l'ont-ils dès lors envisagé tour à tour comme un mercure céleste arborant le caducée, ou mieux encore comme la colombe portant en son bec le rameau d'olivier. Car, dès ses premières ouvertures et grâce au secret qui lei concentra toutes entre Richelieu et la reine-mère, afin de prévenir par là au Logis-Barrault l'interposition prohibitive de l'intransigeante cabale, mais non sans la précaution préparatoire d'une vague harangue d'apaisement débitée par Richelieu le 3 juillet au château d'Angers devant Marie de Médicis escortée de tout son état-major, la reine-mère ouvrit au groupe réconciliateur qui venait s'asseoir à ses foyers, à la fois toute la largeur de son hospitalité et de sa confiance.

Aussitôt l'archevêque de Sens, averti d'un si heureux événement par un exprès du père Joseph, en sa qualité de chef de la députation désignée pour le voyage d'Angers, convoqua pour le départ ses collègues. D'abord ils allèrent recevoir les instructions de la cour qui, dans la reprise et dans l'élargissement des négociations de Blainville, leur donna le plein pouvoir de traiter à toutes les conditions compatibles avec l'honneur du roi et la sûreté de l'État. De là ils passèrent chez le nonce, aussi peu rassuré qu'eux sur le succès immédiat de leur démarche, mais dont le regard plongeait au-delà du champ de bataille des Ponts-de-Cé avec la patience des prévisions éternelles de Rome, et qui, partant, leur dut communiquer au moins son lointain espoir. Puis le nonce remit à l'archevêque de Sens à l'adresse de Marie de Médicis, avec l'approbation et avec les dernières exhortations et les pleins pouvoirs de Luynes, une lettre à la fois habile et mesurée dans les termes, mais au fond forte et pressante. Il y rappelait à la reine-mère les malheurs de la guerre civile qu'elle avait déjà plusieurs fois éprouvés. Il la lui représentait comme aisée à déclarer et difficile à clore ; comme également funeste aux deux partis en lutte, et comme méritant le châtiment que Dieu inflige à ses auteurs, mais qui retombent sur le peuple. Il répondait d'ailleurs de la bonne volonté du roi qui exhortait sa mère à le venir retrouver, afin d'unir toutes les forces du royaume contre les calvinistes. Mais d'autres sollicitudes devaient rappeler à Paris une reine qui avait marqué son passage au pouvoir par une égale avidité de réaction catholique et de suprématie maternelle et qui, après la disgrâce de Sully et la conclusion des mariages espagnols, avait châtié de l'emprisonnement de la Bastille l'hostilité des ingérences collatérales. Et ici le nonce, usant vis-à-vis de Condé des mêmes précautions de réticence[7] dont le père Joseph usait à Angers contre la cabale de Chanteloube, et tour à tour avivant contre l'homme en qui s'incarnait près du roi le génie de la guerre, les méfiances distinctes de Luynes et de la reine-mère, afin de mieux rapprocher ces deux ennemis par l'affinité des ombrages dans sa diplomatie de réconciliation ; l'avisé Bentivoglio, dis-je, ajoutait à la lettre déposée aux mains de l'archevêque de Sens une instruction verbale visant surtout en Marie de Médicis l'ancienne régente, menacée de le redevenir en pleine guerre civile par la vaillance hasardeuse de Louis XIII, qui séparait seul du trône le mineur Gaston. En invoquant devant Marie de Médicis l'hypothèse d'un malheur qui la devait officiellement rappeler à la tutelle du royaume, mais dont l'excluait alors son éloignement insurrectionnel, l'archevêque de Sens lui devait là-dessus faire entrevoir les accaparements adverses d'Henri de Bourbon. Car, en vertu de sa prépondérance militaire de premier prince du sang, et avec les rancunes d'un dauphin frustré capable tour à tour d'incriminer leur naissance et d'aventurer leurs jours dans le péril éternisé des champs de bataille, Henri II de Bourbon détenait en la personne des deux fils d'Henri IV tout l'avenir de la maison de France. Mais cette seule détention en elle-même, à ne l'envisager que comme l'acheminant à usurper sur elle au cas d'une vacance du trône d'inviolables prérogatives de famille, devait décider Marie de Médicis à venir vite reprendre entre ses deux fils reconquis son ancienne place au Louvre.

Après avoir imprimé à la nouvelle ambassade son caractère, après avoir assorti ses éléments et lui avoir assuré auprès de Marie de Médicis une hospitalité préjudicielle, après avoir déterminé son mandat, il restait à discipliner sa marche. A cet égard, au sein d'une ambassade mise en mouvement par l'initiative officielle du nonce, le premier rang appartenait à la religion, et le nonce lui-même eût pris la conduite d'un aussi mémorable cortège pour se transporter auprès de la reine-mère, ainsi qu'il le lui déclarait dans sa lettre d'exhortations, sans l'assujettissement d'un ministère qui le retenait loin d'elle. Au moins à sa place on n'eût pu trouver d'autorité spirituelle plus haute à lui déléguer que l'archevêque de Sens et, pour l'indiscutabilité de sa prééminence honorifique sur ses collègues, il ne s'y voyait pas de plus sûre garantie que la judicieuse abnégation de l'homme le plus politiquement qualifié pour la disputer. Nous avons par là désigné le président Jeannin. Lors de l'avènement de Luynes, le président Jeannin avait été le seul des vieux ministres réintégrés d'Henri IV à ne pas s'alarmer du maintien éventuel de Richelieu au pouvoir, et si, malgré ce bon esprit, il n'avait pu l'arrêter sur le chemin de Blois et d'Avignon, au moins l'illustre négociateur de la longue trêve entre l'Espagne et les Provinces-Unies, qui au service d'Henri IV avait donné trop pleinement sa mesure d'homme d'État pour jalouser dans son octogénariat en des temps nouveaux l'essor d'une génération nouvelle, l'illustre et vénérable Jeannin n'avait pu voir d'un œil chagrin l'évêque de Luçon, par les étapes d'Angoulême et d'Angers, se rapprocher du Louvre. Et cela même avait été une convenance de plus pour l'enrôler dans une négociation qui finalement devait en effet, et par Marie de Médicis, ramener Richelieu au pouvoir. Or, si Jeannin se résignait d'aussi bonne grâce à subir au Conseil la supériorité déjà si manifeste de l'homme également redouté de Luynes et de Chanteloube, et de Villeroy et de Sillery, aussi bien que des Soissons, de Rohan et des Vendôme, combien plus bénévolement, dans la mesure plus circonscrite de son rôle diplomatique actuel, devait-il s'incliner devant le prestige inoffensif de la délégation papale. Aussi n'avait-on pas trop compté sur le patriotisme du président Jeannin en lui demandant, lors de son entrée dans l'ambassade dont il allait être le vrai guide, en faveur du prélat dont la présence en sanctifiait la portée, un sacrifice de préséance.

Une fois l'ambassade mise en mouvement avec son programme et sa coordination, il restait à en éclairer la marche. Or, en fait d'informations aux abords du quartier-général angevin, rien ne valait l'étape déjà si interrogée et pour lors un peu moins suspectée de Saumur. Car, depuis l'entrée du roi en campagne, le besoin de s'appuyer militairement sur Duplessis-Mornay, en vue de resserrer de plus en plus la reine-mère sur le bassin de la Loire, avait peu à peu, et au moins jusqu'à l'imminente réouverture des guerres de religion, rapproché de la cour le surveillant en définitive si considéré des frontières orientales du siège de la révolte. Aussi, pour entretenir Duplessis-Mornay dans ses inclinations royalistes, lui avait-on rendu un peu de confiance et, tout en renforçant sa garnison, on laissait toujours venir à lui comme à un oracle initiateur, toutes les ambassades de réconciliation. Et quand on y voit après tant d'autres députations stationner encore, les 10 et 11 juillet, celle sortant d'avec le nonce, on se demande si l'on doit davantage apprécier dans sa hiérarchie la déférence du président Jeannin envers l'archevêque de Sens, ou dans ses démarches préparatoires la condescendance du prélat métropolitain de la famille royale envers le pape des Huguenots. A première vue pourtant, et malgré son recouvrement de faveur au moins relative, le dernier homme à qui devait s'adresser pour son orientation diplomatique aux portes d'Angers la délégation ultramontaine, c'était Duplessis-Mornay, comme intéressé ce semble, en sa solidarité de sectaire, à traverser une réconciliation que l'entremise de Rome transformait en un préliminaire de guerre sainte. Mais, cette guerre de religion, on la pouvait plutôt conjurer en désarmant par la soumission de Marie de Médicis tout le protestantisme méridional, appuyé militairement sur elle. Et c'est en ce sens-là même qu'avait toujours opéré dans notre querelle intestine Duplessis-Mornay. Dans la persévérance de son attitude modératrice envers ses coreligionnaires, il n'entendait se solidariser qu'avec leur résistance légale. Aussi, non content de s'isoler des assemblées insurrectionnelles de la Rochelle et de Loudun, non content même de soustraire sa citadelle de Saumur aux accaparements stratégiques d'Henri de Rohan, ou de détacher du camp de la réforme par l'entremise maternelle le duc de la Trémouille, Duplessis-Mornay, comme nous l'avons vu, s'était presque entendu avec Richelieu pour enlever à ces mêmes coreligionnaires la possession de la reine-mère. Or, là où avaient passé les ingérences hardies mais mesurées de l'évêque de Luçon, son collègue clans l'épiscopat, en une simple démarche de consultation officieuse, pouvait impunément risquer son prestige hiératique. D'ailleurs cette anomalie d'une entrevue d'un prince de l'Église avec l'oracle du calvinisme était en grande partie couverte, grâce à l'intermédiaire d'un homme déjà également digne d'être apprécié dans la composition de la nouvelle ambassade angevine, à la fois par l'abnégation et le dégagement de son rôle. Car, à voir, dans les colloques d'éclaircissements tenus au château de Saumur, le président Jeannin entre l'archevêque de Sens et Duplessis-Mornay, il semble que ce religieux et libéral personnage ne s'était effacé d'un côté que pour mieux s'ouvrir de l'autre. Car cet ancien ligueur doublé de parlementarisme et de diplomatie anti-espagnole, cet ami commun de Concini et de Luynes, et surtout cet intermédiaire heureux de rapprochement entre Luynes et Duplessis-Mornay, était alors dans son groupe diplomatique le mieux préparé à écouter le loyal gouverneur de Saumur avant d'aller à Angers persuader par Richelieu Marie de Médicis.

Cependant, une fois la reine-mère résolue d'accueillir l'ambassade due à l'initiative pontificale, Louis XIII, dans l'annonce même et pour la justification de sa prise d'armes, et tour à tour par l'organe du Mercure français et devant les Parlements de Paris et de Rouen, avait officiellement publié leur voyage, qui coïncidait avec son entrée en campagne. Mais dans cette promulgation nécessaire avait failli avorter tout le fruit du secret gardé au Logis-Barrault en la démarche originaire du père Joseph. Car la députation, qui ne s'était là-dessus mise en mouvement que le 3 juillet, ne touchait pas pour cela au but de son voyage. Et autre chose était pour la reine-mère d'agréer un principe ou d'introduire chez elle ses nouveaux hôtes. C'est ce dont elle s'aperçut quand autour d'elle s'ébruita leur approche. Justement le grand prieur de Vendôme revenait de sa triste équipée de Falaise. Or, pour pallier un recul si préjudiciable à leur domination insurrectionnelle, c'était à qui, dans la cabale des Soissons animée toujours des jalousies éveillées contre Richelieu sur le passage de Blainville, se raidirait le plus contre les messagers de réconciliation qui déjà frappaient à leur porte, et dans la délibération tenue au Logis-Barrault sur l'annonce de leur arrivée, en excipant de ce grief tiré du mystère qui vis-à-vis de tout autre que de Richelieu avait plané sur leur mission, et en désignant captieusement l'entrée du roi en campagne comme un signal de toute rupture de diplomatie, ils exigèrent de la reine-mère qu'on ne les laissât pénétrer dans Angers que pour les y retenir prisonniers. Ils savaient bien, ces perfides conseillers, que Marie de Médicis à elle seule ne les dominait pas assez pour leur imposer, par le libre accueil de l'importune ambassade, les suites d'une décision prise au rebours de leurs calculs et surtout en dehors d'eux. Et, d'autre part, Richelieu et même Blainville, que l'arrivée de ses successeurs relevait de son mandat, mais qui avait ordre de ne pas partir d'Angers avant de les y voir librement, remontraient à Marie de Médicis l'infamie de n'accueillir chez elle que pour y maltraiter une députation consacrée. Aussi, de guerre lasse et séance tenante, la reine-mère vite se rejeta vers ce moyen-terme de dépêcher aux ambassadeurs déjà rendus à Saumur Blainville, qui les devait voir là plus à l'aise, et qui pour la sauvegarde de leur liberté menacée à Angers leur devait interdire de passer outre. Par bonheur Richelieu, à qui la reine-mère n'osa qu'après coup et dans un de ses retours prévus d'intime confiance[8] avouer sa faiblesse, y sut vite remédier, grâce à l'expédition d'un second courrier qui devança aux portes de Saumur[9] le contremandement de la veille. En contrecarrant d'ailleurs aussi résolument et de sa seule autorité s'imposant à sa souveraine, les verdies prohibitifs de la cabale adverse, Richelieu s'appuyait sur le vœu de la population angevine déjà lasse de la tyrannie des Vendôme. Car cette tyrannie d'exploiteurs, que venait détrôner l'ambassade du nonce, était leur seule audace. Mais les foules pressées par leurs exactions relevaient la tète à la vue de leurs vrais libérateurs. Aussi ceux qui pour un peu plus auraient mis leurs tètes à prix, durent subir le 11 juillet leur entrée triomphale. Et par là s'établirent entre Richelieu et le père Joseph, à ce foyer où ils lui avaient tour à tour ménagé et retenu leur place, et sous l'escorte de bienvenue de la municipalité urbaine, les inviolables gages d'une paix prochaine[10].

Mais jusque dans nos murs on eût dit qu'une délégation si fort discutée y venait chercher sa pierre d'achoppement. En remontant au dernier voyage à Angers de Blainville, nous nous rappelons que le principal grief articulé contre Marie de Médicis par ce rigoureux ambassadeur avait été la perpétration par le marquis de la Valette du désarmement de Metz. Indépendamment de ses disculpations verbales fournies là-dessus à Blainville, même après l'entrée de Louis XIII en campagne, Richelieu détermina la reine-mère à renvoyer à son quartier-général l'écuyer Charmel, pour lui en fournir une réitération plus expresse. Et si, en traversant Paris, Charmel n'y avait tenu par une déviation de son mandat des colloques inquisitoriés avec les suppôts des Soissons et de Chanteloube ; si vis-à-vis de Louis XIII, par là déjà prévenu contre l'objet de sa mission et d'ailleurs impatient d'entrer en campagne ; si vis-à-vis de ce jeune Mars déjà armé de pied en cap, Charmel avait su se borner aux termes de sa justification, il en eût obtenu tout au moins un plus favorable accueil. Mais en dépassant la mesure, Charmel sembla n'être venu au quartier-général de l'armée royale que pour y introduire par une porte déjà forcée une négociation de contrebande. Aussi Louis XIII, abordé le 8 juillet le pied dans l'étrier et à peine saisi des justifications officielles, là-dessus coupa court en brusquant son départ.

Sur ces entrefaites était arrivée à Angers l'ambassade conduite par l'archevêque de Sens. Cet événement rouvrait les négociations sous une forme désormais plus suivie, mais qui, en les concentrant au quartier-général angevin, soustrayait à leur vertu suspensive la marche de l'armée royale. Par là les Vendôme et les Soissons étaient renvoyés, pour toute négociation diplomatique, au groupe acclimaté devant eux. Mais, pour avoir essuyé leur venue, ils n'agréaient pas encore leur entremise. Aussi, au risque d'aggraver par une récidive de provocation la rude leçon infligée à l'écuyer Charmel, et cela dans la double occurrence d'une accélération de la marche victorieuse de Louis XIII et de l'établissement fixe en Anjou de la plus autorisée de ses ambassades, et d'ailleurs oubliant sur ce dernier chef leur vote d'exclusion tirée de l'entrée du roi en campagne, songèrent-ils dès le retour de Charmel à réexpédier vers l'armée royale un second estaffier ; non qu'on n'en dût délibérer en présence de Richelieu, de l'homme qui avait introduit dans la place les seules intermédiaires désormais possibles de la réconciliation générale que lui seul voulait sincère ; mais Richelieu, satisfait d'un triomphe qui, s'ajoutant à celui de l'élimination du manifeste des Soissons, en principe lui assurait tôt ou tard le dénouement de la guerre civile, se garda bien d'imposer trop vite à ses adversaires du conseil les hôtes qui y avaient pris place malgré eux. D'ailleurs ce messager qui allait succéder à l'écuyer Charmel, il le voyait d'avance trop radicalement éconduit pour que ceux qui l'auraient lancé contre cette pierre d'achoppement tentassent de s'y reprendre. Aussi lorsque, pour encourir ce dernier avertissement sans réplique, on eut au Logis-Barrault voté par un renchérissement d'inopportunité sur les traces de Charmel l'envoi de Sardini, Richelieu entra dans les vues de ses adversaires en réclamant par cet organe à contre-sens sa proposition en cour déjà si mal accueillie d'un arbitrage des parlements : espérant qu'au moins ces mêmes parlements, depuis qu'ils avaient renvoyé intactes au roi les remontrances épistolaires de Marie de Médicis, seraient en cour vus d'un meilleur œil, et que par là s'atténuerait clans ce chassé-croisé des entremises actuelles, la nouvelle démarche risquée au rebours de celle du nonce, du Père Joseph et de l'archevêque de Sens. La reine-mère remit dont à Sardini, à la place du manifeste concluant à l'éloignement de Luynes, et comme pour en mieux faire accepter aux Soissons la suppression, une vraie pièce d'État où l'ancienne régente, transformée en chef d'opposition, présente à son fils tout un système de gouvernement qui eût fort étonné le maréchal d'Ancre, et auquel ne s'adaptera guère un jour le second ministère de Richelieu. La base de ce système était l'institution, autour de Luynes maintenu au pouvoir, de quatre grands conseils modérateurs pour la religion, la guerre, les finances et les affaires contentieuses. On croit entendre Saint-Simon conseillant au régent de mettre le gouvernement en commissions. Mais le trait le plus marquant de l'instruction de Sardini est la déférence hautement affichée pour l'autorité judiciaire. Déjà nous avons vu la reine-mère et son conseiller flatter la vanité et les prétentions des parlements et s'efforcer de les gagner à leur cause. La lettre actuelle revendiquait les privilèges les plus contraires à l'intérêt général. Par exemple elle voulait que désormais nulle commission ne pût être envoyée en province sans avoir été vérifiée au parlement, ce qui d'un seul coup supprimait les commissaires civils et les inspecteurs de justice et de finances, chargés de signaler et de réprimer les abus et les infractions aux lois, en un mot toute la haute surveillance de l'État, qui surtout depuis Henri IV protégeait dans son essor la royauté nouvelle. Est-ce bien Marie de Médicis ou Richelieu qui parle ainsi, ou Barillon et Broussel ? Non, c'est Richelieu poussant ici trop loin la complaisance pour cette reine insurgée dont il craignait à toute heure de voir lui échapper la confiance ; c'est Richelieu s'exagérant le souci de se faire pardonner par ses adversaires la suppression de leur manifeste ; c'est Richelieu dont cette lettre est l'ouvrage ; on y reconnait la main, sinon les idées et l'autorité du Testament politique.

Mais sur le chemin de Paris à Angers Louis XIII, d'étape en étape, précipitait sa marche avec la vitesse acquise de la victoire. A ses yeux désormais tout ce qui ne passait pas par l'archevêque de Sens et le président Jeannin, sortait de cette officine où s'étaient dénaturées les instructions de Charmel. Et puis, quelque soin qu'eût pris Richelieu d'étouffer le manifeste des Soissons[11], le complot de ce manifeste avait transpiré. Le manifeste, on le voyait déjà partout affiché et nul plus que Louis XIII n'était hanté de ce cauchemar. Aussi, le 14 juillet et à Dives, du plus loin que lui apparut Sardini avec l'exhibition de son mandat et de ses intempestives leçons de gouvernement, Louis XIII crut voir, au revers du chapeau que cet obséquieux agent tenait respectueusement à la main, émerger l'odieux factum tenu là sans doute en réserve, au cas d'un échec prévu de l'ostensible démarche qui en couvrait l'émission, comme une batterie de rechange et, dans l'imagination offusquée du roi le souvenir de Charme] déteignant sur tout ce qui adhérait aux vestiges de son passage, et cette impression s'aggravant du décri des agences antérieures de Sardini dans le camp maternel : Cette lettre, articula-t-il d'un ton courroucé et en visant celle qu'il lui présentait,  cette lettre ne provient pas de ma mère. Vous l'avez écrite à Paris. Et sur les dénégations de Sardini : Je sais ce que je dis. Retirez-vous. Je ne la prendrai pas de vos mains. D'ailleurs, si ma mère a quelque chose à me mander, qu'elle s'adresse aux députés qu'elle a près d'elle.

Marie de Médicis, ou plutôt les Vendôme et les Soissons se rebattirent en effet sur les députés venus pour les entendre sur place ; mais d'abord ce ne fut que pour se venger sur eux de la nécessité d'essuyer leur entremise, et par voie de représailles indirectes du renvoi de Sardini. Car en vain, peu à près cette exécution, Louis XIII envoya à Angers s'excuser de sa brusquerie imputable, l'avouait-il, à des malentendus sur la teneur et la provenance des lettres répudiées : espérant qu'un tel message de réparation confié au jeune comte de Rochefort, fils du duc de Montbazon, réconcilierait les Vendôme avec le groupe diplomatique qui semblait s'y solidariser par l'attache paternelle. Mais aux yeux de nos intransigeants cette adhérence-là même à une délégation réprouvée au point que, dans un simple colloque de relevée avec Blainville, Montbazon leur avait semblé comploter avec lui l'espionnage de ses collègues[12], cette adhérence-là même incriminait le voyage du comte de Rochefort. Aussi, dès qu'ils le surent arrivé en Anjou au château du Verger, domaine du prince de Guémené son beau-père, le duc de Vendôme s'empressa d'en aviser la reine-mère, en la prévenant d'avance contre la visite du jeune prince. Il ne pénètre dans votre apanage, lui insinuait-il avec les faux bruits courus sur sa venue[13] ; il ne pénètre dans votre apanage que pour y cabaler contre vous avec des commissions de recrutement ; et déjà il vous a débauché trois capitaines, et il ne sortira d'ici que pour s'en aller, grâce au pouvoir héréditaire des Rohan dans la Bretagne, confirmer le château de Nantes contre nous dans la résistance, et par là nous resserrer de plus en plus sur le passage de la Loire. Aussi ne laissons entrer dans nos murs cet hôte perfide que pour nous mieux assurer de sa personne. Nous-mêmes l'emmènerons de là à Nantes, où sa tête tombera devant le gouverneur du château qui, sommé de capituler sous la menace de cette exécution, osera demeurer inébranlable. Et quant à cette nouvelle ambassade qui ne nous semble avoir été que l'avant-garde du comte de Rochefort, vu les affinités du sang qui dénoncent ici la connivence du duc de Montbazon et par là celle de ses collègues, il les faut jusqu'à nouvel ordre placer sous bonne garde. D'aussi odieuses exigences excitèrent dans le conseil de Marie de Médicis un tollé d'ailleurs bien prévu des Vendôme, qui ne les élevaient si haut qu'en spéculant sur la faiblesse de Marie de Médicis, afin de lui arracher par la voie d'un compromis encore bien regrettable, au moins l'incarcération du comte de Rochefort à titre de prisonnier de guerre. Il est vrai que dès le lendemain la reine-mère, pour soustraire à ce verdict qu'on venait d'extorquer d'elle le messager venu à lui avec la double qualité de beau-frère de Luynes et de fils du duc de Montbazon, lui envoya signifier au Verger, ainsi qu'elle l'avait fait aux ambassadeurs aujourd'hui devenus ses hôtes, la défense de passer outre. Mais le comte de Rochefort ne vit là sans doute qu'une apparente satisfaction donnée à l'ostracisme des Vendôme, et que suivait de près sans cloute comme à Saumur un courrier de contremandement. Aussi, sans même attendre jusque-là, et sur la foi des conférences ouvertes au Logis-Barrault avec les députés qui avaient son père pour collègue, s'aventura-t-il de suite jusqu'aux portes d'Angers, sans prévoir quo ceux qu'il venait ainsi braver en face l'y attendaient de pied ferme. Car, du plus loin qu'il vit venir à lui dans l'après-midi du 18 juillet et sur les glacis du portail Saint-Michel le comte de Rochefort suivi d'un groupe de créatures, le duc de Vendôme, accourant à lui au galop avec une forte escouade que rendait en ce moment bien nécessaire à Angers la popularité des Guémené, et mettant pied à terre en abordant le jeune prince, l'invita à s'en venir avec lui se divertir au jeu de paume. Mais la partie entre eux à peine entamée, ces mimes sbires qui, depuis leur entrée en ville n'avaient cessé de suivre le jeune homme qu'ils guettaient comme une proie, au moment où il allait pour sa défense dégainer contre eux l'appréhendèrent avec son escorte pour les aller jeter dans les prisons du château d'Angers[14].

Cet affront rejaillissait, par une atteinte détournée à leur privilège d'inviolabilité, sur toute l'ambassade, et dès lors tendait à la rendre irréconciliable avec celle dont l'hospitalité ne leur semblait plus qu'un piège. Et un tel dénouement entrait bien dans les calculs des Vendôme qui, à part même leur soif de vengeance à l'égard des députés qui avaient aux portes d'Angers violé leur consigne, voulaient, en compromettant à leurs yeux leur introductrice, se débarrasser d'eux par la provocation d'une rupture suivie de leur départ. Et en effet tout d'abord le duc de Montbazon, dès le jour de l'arrestation de son fils, après avoir sollicité de Marie de Médicis vainement son rachat, et se voyant là-dessus interdire de sa part toute insistance sous peine de partager son sort, s'esquiva d'Angers comme d'un guet-apens, pour aller par le château du Verger rejoindre à Lisieux le 21 juillet et avertir Louis XIII. Aussitôt, par une solidarisation de sécurité et d'honneur avec ce père outragé, et pour le cas où le château d'Angers garderait plus longtemps son prisonnier, le roi rappela à lui toute l'ambassade. Par là tombait une nouvelle demande d'armistice, avec sollicitation de son retour à Paris transmise au nom de cette ambassade par Blainville. En même temps, par une réplique aux représailles insurrectionnelles des Vendôme, s'exécutait à Paris une dernière razzia de suspects. Puis, sur l'ordre de la reine et de son chancelier reçu le 23 juillet, Bassompierre, qui dans son mouvement de concentration de l'armée de Champagne venait d'investir Dreux, alla de là dès la prise de cette ville, le 25 juillet, par Nogent-le-Roi avec trois cents chevau-légers enlever au château d'Anet, où le duc de Vendôme les avait laissés dans sa fuite, sa femme et ses fils pour les emmener au Louvre, à titre d'otages répondant de la sûreté de Rochefort. Et à ce rapide coup de main s'adjoignait, par un surcroit d'opportunité décisive, l'entremise du prince de Guémené, sollicitant de Marie de Médicis pour son gendre, à la charge de le lui représenter de suite sur son ordre et de lui garantir la neutralité de son gouvernement de Bretagne, l'échange de la sombre prison de la citadelle angevine contre la large et somptueuse captivité du château du Verger. Et, bref, après avoir parlementé avec les Vendôme sur l'étendue de leurs représailles concentrées enfin sur la personne de Rochefort, il fallait encore, jusque dans cette mesure, transiger pour sauver sa tète et élargir sa prison. Le 28 juillet le duc de Vendôme vint lui-même de La Flèche, où venait de se transporter, comme on le verra bientôt, tout l'état-major insurrectionnel, ouvrir les portes de la prison d'Angers. Et sous sa conduite, celui dont le prince de Guémené avait cautionné l'innocence, vint gaiement se placer au château du Verger sous sa bénigne surveillance. En même temps il suffit au duc de Vendôme de lui avoir ouvert les portes de la citadelle angevine pour rentrer en possession des otages d'Anet. Et dès lors l'ambassade qu'avaient touchée d'aussi près les destinées du comte de Rochefort, une fois rassurée de ce chef par son élargissement amiable, revint au Logis-Barrault rouvrir dignement ses séances.

Mais sous la direction aussi soutenue que flexible de Richelieu, ces nouveaux pourparlers du Logis-Barrault ne pouvaient attiédir les préparatifs militaires et, en introduisant en Anjou la plus sacrée des ambassades, Richelieu ne voulait ouvrir avec elle qu'une négociation armée. Il est vrai qu'au moment de l'arrivée en Anjou de l'archevêque de Sens, au nord la marche victorieuse du roi en Normandie et l'investissement du château de Caen, au midi les échecs infligés en Poitou et en Guyenne aux effectifs de Rohan et de Mayenne par les diversions de La Rochefoucauld et de Thémines et à l'orient la rapide organisation de l'armée de Champagne, aggravaient bien la situation militaire de Marie de Médicis. Mais du Poitou lui arrivaient, en dépit de la diversion de La Rochefoucauld, vingt-cinq mille fantassins et six cents cavaliers sous le commandement de la Trémouille. En Guyenne Mayenne, tout en entretenant dans l'Agenois contre Thémines la moitié de ses levées, qui montaient à six mille fantassins et huit cents cavaliers, en expédiait le reste à Angers. En Champagne et jusque dans le voisinage des quartiers de Bassompierre, et partout ailleurs, surtout en Picardie et en Touraine, en Berry et en Bourgogne, en Bourbonnais et en Languedoc, avec l'argent de la reine-mère on activait les levées[15]. Et autour de lui Richelieu s'autorisait de ces efforts désespérés pour redonner du cœur. Aussi, dès le lendemain même de l'arrivée à Angers des Soissons le conseil de guerre, imbu tacitement et de longue main des calculs de Richelieu, avait fait prévaloir au Logis-Barrault, en vue de tout ce que l'on pouvait conjurer de désastres, les plus promptes résolutions.

En pleine menace de l'investissement de Caen, et tout en pressant le duc de Longueville de s'y jeter concurremment avec le grand-prieur, et non sans l'achat préalable d'un armement pour douze cents hommes, on renforça les garnisons de toutes les citadelles du Perche gardant le passage de la Normandie dans le Maine, à savoir la Ferté-Bernard, Dreux et Verneuil. Même dans l'Anjou et le Maine, et tout autour du poste de Château-du-Loir assigné dans la direction du Perche comme rendez-vous général aux recrues de la reine-mère, on étendit d'une rivière à l'autre ce réseau de protection, en fortifiant sur la Loire Beaufort et les Rosiers ; sur le Couesnon, Baugé ; sur le Loir, Durtal et Vendôme ; sur la Sarthe, Alençon et Sablé ; sur la Mayenne et l'Oudon, Château-Gontier et Craon.

La seule ville de Craon, inféodée territorialement à la maison de Condé avant de passer dans l'apanage de la reine-mère, lui opposa quelque résistance. On y avait pourtant envoyé d'Angers le 9 juillet, pour y tenir garnison, deux compagnies des gardes de la reine-mère montant à deux cents hommes de pied sous le commandement de son capitaine des gardes La Roche-Allart ; et on les avait fait suivre de Roche et des Roches-Aulnays, dit baron de Santerre, avec deux mulets chargés d'armes et de munitions sous l'escorte du concierge du château d'Angers Gohier. Mais en vain, pendant que ces troupes se barricadaient dans les faubourgs, le maire Lasnier, qui les avait accompagnées avec le seigneur d'Angrie, au nom de Marie de Médicis essaya de parlementer pour leur introduction : les portes de la ville leur demeurèrent obstinément fermées. Aussi là-dessus, déjà le lendemain 10 juillet sortaient d'Angers, pour aller renforcer les assaillants, le duc de Retz avec deux cents chevaux et quatre pièces de canon, lorsque vers sept heures du soir arrivèrent à Marie de Médicis, sur la présentation du maire Lasnier et de l'échevin Gohier, le seigneur d'Angrie et deux députés de Craon avec un message de soumission. Aussitôt la reine-mère investit du gouvernement de sa nouvelle conquête La Roche-Allard, qui jusqu'à la bataille des Ponts-de-Cé y entretiendra la garnison qu'il y avait amenée et réquisitionnera les paroisses voisines pour l'environner de fortifications.

A l'abri de cette ligne de défense, et lorsqu'au 19 juillet la détresse de Caen s'aggravait du retour malheureux en Anjou du grand-prieur suivi de Thorigny, au conseil du Logis-Barrault on agita l'emploi des forces que la reine-mère avait pu jusqu'ici par des racolements exercés dans un rayon de six lieues réunir autour d'elle, et qui, en en déduisant deux cents hommes par chacune des garnisons réparties entre les bassins de la Loire et de la Mayenne et en réservant six régiments du commandeur de la Porte pour contenir les Angevins déjà mécontents des Vendôme, s'élevaient à environ six mille fantassins et douze cents chevaux. A cet égard, une fois qu'on avait assigné aux forces insurrectionnelles comme rendez — vous général Château-du-Loir, il était naturel de leur ménager en arrière comme point d'appui ou comme retraite le poste voisin de La Flèche, surtout après avoir occupé sur les rives du Loir, en aval et en amont, Durtal et Vendôme. Mais La Flèche était sous le gouvernement de La Varenne, qui n'avait jamais pardonné aux Angevins d'avoir retiré de ses mains les munitions clandestinement enlevées de leur citadelle. Aussi avons-nous vu, lors de la fuite du duc de Mayenne, quelle vigilance vindicative il avait exercée aux confins de l'apanage de la reine-même, et lorsque l'insurrection dont cette fuite n'avait été que le signal, se développait clans tout son horizon de forteresses, ce n'était pas pour La Varenne le moment de se relâcher de la résistance ; et dès lors il semblait à l'entrée du Maine aussi redoutable que l'était vers la Touraine Duplessis-Mornay. Aussi, lorsqu'au Logis-Barrault vint à l'ordre du jour l'occupation de La Flèche, ceux-là sans cloute qui avaient déserté la défense de la Basse-Normandie et des bords du Loir, dissuadèrent la reine-mère de cette démarche. En envisageant même, disaient-ils, le château de Caen dans l'imminence de sa chute, ils supposaient que ce château pouvait bien retenir encore trois semaines l'armée royale. Pendant ce temps ils conseillaient plutôt à Marie de Médicis de se maintenir encore trois semaines dans l'expectative et, au besoin, à aller jusqu'au Poitou se joindre prudemment au duc de Mayenne, lui-même inquiété par Thémines.

Une aussi subite sollicitude pour l'homme qu'ils voulaient à tout prix écarter de l'Anjou, fût-ce en poussant vers lui Marie de Médicis, couvrait mal chez les Vendôme la pusillanimité de leurs consultations. Heureusement, si les Vendôme n'étaient braves que contre des ambassadeurs, en revanche Richelieu clans sa diplomatie de réconciliation était intransigeant sur ce seul chapitre de la défense militaire de sa souveraine. Aux piteuses suggestions de ses antagonistes du Logis-Barrault succédant aux rodomontades originaires, c'était le moment pour Richelieu d'opposer une fois de plus l'indélectibilité de sa hardiesse[16], afin de s'enraciner par là toujours plus avant, à travers le tumulte et l'incohérence des obsessions adverses, dans l'ancienne confiance de sa souveraine. Autant il avait naguère insisté pour insérer aux clauses de l'état général, et dans la phrase encore purement diplomatique de notre querelle intestine, le stricte maintien de la défensive, autant, une fois que les hostilités entamées du côté du roi par l'occupation de la Normandie eurent transformé cette attitude, l'organisateur de l'expédition avortée de Falaise éleva la voix dans le sens d'une démarche qui n'en était que la revanche. En cela d'ailleurs Richelieu s'appuyait sur Marillac, à qui il n'avait pas tenu que le grand-prieur une fois lancé vers Caen ne dépassât Falaise. Mais Richelieu invoquait surtout l'autorité supérieure du duc de Rohan. Il est vrai que, pour être devenu depuis l'assemblée de Loudun l'hôte de Marie de Médicis, Rohan ne lui était pas demeuré de ce chef très assidu. Distrait de la résidence fixe en Anjou par les incubations lointaines d'une guerre de religion qui l'appelaient chaque jour des rives de la Loire et de la Charente à celles de la Gironde et de la Garonne, Rohan ne faisait au Logis-Barrault que des apparitions intermittentes. Mais si ce n'était pas assez pour s'y autoriser avec tout ce que son génie militaire comportait de suite et de plénitude, au moins aux délibérations qui n'y intéressaient pas en lui principalement le sectaire, il s'imposait grâce à l'impartialité relative de son suffrage. Notamment, après avoir contrecarré Richelieu sur l'emplacement stratégique du siège de la révolte, une fois le quartier-général de la reine-mère maintenu sur le bassin de la Loire, Rohan avec Richelieu avait loyalement adopté cette ligne de défense comme une base des plus vigoureuses décisions. Aussi adhéra-t-il d'emblée et fournit-il sans doute plus d'un argument au solide plaidoyer de l'évêque de Luçon en faveur de l'occupation de La Flèche. Vu la configuration matérielle de nos frontières, remontra le judicieux prélat à la reine-mère en face des héros de théâtre qui méritaient de sa part une double leçon de stratégie et de courage, vu la configuration matérielle de nos frontières septentrionales, et après tout ce que nous y avons semé de garnisons sur des rivières d'ailleurs non guéables, le poste de La Flèche est le seul par où l'ennemi puisse désormais nous envahir. Aussi ce poste nous est nécessaire pour compléter de ce côté notre ligne de défense. D'ailleurs la marche sur La Flèche enlèvera à l'ennemi cette audace qu'il a tirée de la fuite de nos amis. En nous tenant avec eux enfermés dans Angers, nous démoralisons la défense du château de Caen, nous livrons à l'ennemi nos garnisons les plus avancées de la Normandie et du Maine, et cette foule d'adhérents que nous possédons encore dans cette zone sont par là rejetés en désespérés dans les rangs de l'armée royale. Au contraire, enlevés par l'élan que nous sollicitons de Votre Majesté, ils afflueront de partout vers elle. A travers tous les fleuves dont nous tenons désormais la clef, les levées de Boisdauphin et de Du Bellay, du comte de Montsoreau et du grand prieur, avec deux régiments récemment levés dans le Maine, arriveront encore moins tôt à Angers qu'à La Flèche. C'est à La Flèche que Votre Majesté redonnera le plus de cœur au duc de Mayenne dans sa lutte contre Thémines ; car c'est de La Flèche qu'au besoin elle pourra repasser plus sûrement vers la Guyenne, avec ce qu'aux bords du Loir elle aura recueilli des contingents de son apanage. Mais surtout l'occupation de La Flèche nous assure celle du Mans, et l'occupation du Mans nous ouvre la route d'Alençon. Or, d'Alençon nous pouvons divertir du siège de Caen l'armée royale, soit en l'attirant de là vers nous, soit en l'allant refouler jusque sous les murs de Rouen, et de là, par un retour de Sa Majesté vers son établissement domanial de Lisieux, la couper d'avec l'armée de Champagne[17].

Ainsi Richelieu, une fois condamné à déduire en cette pressante exhortation les strictes conséquences d'une guerre par lui si sévèrement condamnée dans son principe, au moins y allait le front levé et la poitrine découverte. Il y avait bien là de quoi piquer d'honneur une reine pardessus tout glorieuse, et cela jusque dans l'atmosphère de vaine turbulence où nous avons vu jusqu'ici s'amuser sa paresse. Imbue cette fois de toute la logique et animée de tout le courage de sa révolte, tant qu'à combattre son fils, et dans son fils le sang d'Henri IV, elle voulut paraître relativement digne de le lui avoir transmis, et en ceux-là même qui ne l'avaient pas reçu d'elle et qui venaient de le démentir à Falaise et à Vendôme, tout-à-coup ce noble sang se réveilla. L'annonce même si prévue de la reddition de Caen, en rendant plus urgent dans le Maine le resserrement de notre ligne de défense, ne fit que précipiter l'élan général. Bref, dès au sortir du conseil où ils ont, avec l'aide du duc de Rohan, rallié à eux tous les suffrages, Richelieu et Marillac mandèrent de six lieux à la ronde toutes les troupes disponibles et, dès le lendemain 21 juillet sur les neuf heures du matin, au sortir d'une messe entendue en leur église paroissiale de Saint-Michel du Tertre, les Vendôme et le duc de Nemours, avec le comte de Soissons qui n'était en retard d'aucun élan, s'en vinrent à cheval au Logis-Barrault au-devant de la reine-mère. Secouée de sa pesanteur naturelle, Marie de Médicis, avec son intrépidité d'amazone, accompagnée de Richelieu et escortée de la moitié de ses dames d'honneur, se jeta dans sa somptueuse litière de velours noir. Puis tout l'état-major insurrectionnel s'achemina par la porte Saint-Aubin et le faubourg Saint-Michel vers la Flèche, avec six mille fantassins et douze cents cavaliers, suivis de six canons et de sept charretées de munitions. Et, pendant que Marie de Médicis arrivait dès le soir à Durtal, les six régiments du commandeur de la Porte, distribués par Marillac entre les diverses portes d'Angers, y surveillaient la population urbaine. En même temps, quatre pièces de canon s'établissaient aux Ponts-de-Cé ; la Perraudière allait sur la levée de la Loire à une lieue de Saumur contenir Duplessis-Mornay et tout le reste des troupes en formation devait rejoindre la reine-mère.

Une direction aussi soutenue, en même temps qu'une aussi vigilante répartition des forces insurrectionnelles, produisit vite tout l'effet qu'en attendaient à la fois Richelieu, Rohan et Marillac. Isolé et pris au dépourvu dans un réseau de postes ennemis et intimidé dans sa faible citadelle avec une insignifiante garnison et avec les minces débris d'artillerie échappés aux revendications angevines, La Varenne, après un lointain simulacre de résistance, ne laissa même pas Marie de Médicis dépasser Durtal. A peine l'y sut-il si près de lui, qu'en toute hâte il évacua La Flèche, en se repliant entre la Sarthe et la Mayenne sur son second domaine de Sainte-Suzanne comme sur un poste de revanche.

De son côté, dès son entrée à La Flèche la reine-mère y établit une garnison de vingt compagnies d'infanterie et de six canons, sous le commandement du duc de Nemours. Puis elle envoya le grand prieur et Marillac avec le jeune Soissons, suivis de la compagnie de ses gardes et de celle des chevau-légers, outre deux cents volontaires, tâter sur la Sarthe le passage de la Suze et de là vite reconnaître les faubourgs du Mans, en vue d'une occupation qui érigerait cette ville en un boulevard du Maine. En même temps, pendant que cinquante éclaireurs aux ordres de Brézé et de Rois-Guérin s'avançaient au-delà du Mans jusqu'à Bonnétable, une escouade de onze hommes remontant le Loir poussait jusqu'au Lude, par où La Flèche se liait au rendez-vous général de Château-du-Loir, et un plus gros détachement, dépassant Le Mans dans la direction de la Mayenne, y allait relancer La Varenne jusque dans Sainte-Suzanne, par où la Mayenne se reliait à la Sarthe autant par La Flèche et Beaufort la Sarthe et le Loir se reliaient à la Loire[18].

 

Tandis que la reine-mère, si fière de s'être pour ainsi dire enlevée à elle-même, croyait invinciblement s'affermir dans son premier, hélas ! et dans son dernier triomphe, ce fils qu'elle avait voulu se montrer digne de combattre exploitait contre elle la victoire où venait de s'inaugurer son prestige. A cet égard, au conseil de guerre tenu dès le lendemain de la prise de Caen par l'état-major de l'armée royale sur la marche à suivre, ces mêmes hommes timides, qui avaient voulu coup sur coup retenir dans Paris et écarter du siège de Caen le jeune Louis XIII, revinrent à la charge. Car l'insurrection, disaient-ils, est vaincue ; et l'on tremble pour les jours de Votre Majesté en la voyant s'enfoncer dès lors inutilement dans le cœur du royaume, après l'imprudente magnanimité déployée dans les tranchées du plateau de Saint-Gilles. C'est que, justement, Louis XIII avait par là trop gaiement étrenné le feu de l'ennemi pour écouter désormais dans son conseil d'importunes suggestions de recul. D'ailleurs il avait auprès de lui militairement la contre-partie de ce qu'était Richelieu auprès de sa mère. Depuis la fuite des Soissons, Condé n'avait cessé de chevaucher à ses côtés comme le génie de la guerre, en aiguillonnant d'étape en étape le jeune héros qui ne demandait que son impulsion. Aussi, à la seule ouverture d'une rentrée à Paris, Condé bondit plus haut que jamais. Il nous faut, s'écria-t-il, aller vaincre dans Angers la reine-mère. Nous n'aurions plus à la combattre aujourd'hui si, dès le voyage d'Orléans, au lieu de se retourner de là vers Fontainebleau l'on avilit poussé jusqu'au siège de la révolte. Cette fois, poussons jusqu'au bout notre fortune. Par Alençon et le Mans, et à travers les forteresses des Soissons, marchons droit sur l'Anjou, où d'abord nous occuperons sur la Loire le passage des Ponts-de-Cé, afin d'y prévenir la jonction de la reine-mère avec les ducs d'Épernon et de Mayenne.

Une aussi tranchante consultation, d'ailleurs si conforme aux impatiences royales, coupa court désormais à toute velléité d'un mouvement rétrograde. Mais tant qu'à marcher de l'avant, l'Anjou devait-il être un immédiat objectif ? Avant de tourner de ce côté, ne devait-on pas d'abord achever de s'assurer de la Normandie par l'occupation de Dieppe ? N'était-il pas dangereux de laisser derrière soi, quand le duc de Longueville venait de s'y jeter avec trois mille hommes et d'amples munitions, le poste le plus solide de la Normandie, un poste dominant toute la péninsule du Cotentin et s'avançant de plusieurs milles dans la Manche vers l'Angleterre ? Il est vrai qu'au sortir de Caen ce n'était pas avec une armée réduite par l'établissement de garnisons sur le bassin reconquis de la Seine, et non encore jointe à l'armée de Champagne, qu'on pouvait tenter de forcer la plus solide place de Normandie. Mais le duc de Longueville était-il plus disposé que le grand prieur de Vendôme à s'enfermer dans la citadelle qui était le centre de son refuge et qu'il eût surtout fortifiée de sa présence ? En tout cas, n'y allait-il pas de l'honneur du roi à ne pas négliger Dieppe ?

Pour rappeler au roi la seule ville qui, dans toute la Normandie, ne se fût pas encore ouverte devant lui, on l'attaquait par son faible. Aussi Louis XIII qui, sur l'impulsion de Condé, s'élançait déjà vers l'Anjou comme d'urgence, à peine entendit-il prononcer le nom de Dieppe, qu'il se retourna vers ce poste qu'on Fallait soupçonner de juger trop redoutable, en hésitant s'il devait avoir plus à cœur l'intégralité ou l'accélération de sa victoire. Heureusement, sur les entrefaites arriva une lettre de soumission, cette fois aussi définitive qu'on pouvait l'attendre du duc de Longueville. Il s'excusait de ne pas venir lui-même, en ne voyant point à la Cour de sûreté pour sa personne, vu la puissance de ses ennemis. Il protestait de son obéissance qui bientôt apparat trait, et il se défendait de toute entreprise insurrectionnelle. Par une aussi spécieuse formule mis à même de se dispenser honorablement de marcher sur Dieppe, Louis XIII n'eut plus qu'à se livrer au souffle d'Henri de Bourbon, pressé de le voir en Anjou prévenir la jonction des forces de la reine-mère avec celles du duc de Mayenne, qu'on évaluait à cieux mille hommes ; car, insistait-il, cette jonction serait dangereuse pour l'armée royale, même réunie à l'armée de Champagne en grande partie débauchée, lors du désarmement de Metz, par le marquis de la Valette. Avant toutefois d'accourir en Anjou et jusqu'à ce que le variable duc de Longueville vînt justifier près de lui sa démarche épistolaire, Louis XIII, à l'effet non plus de forcer son asile mais de surveiller ses démarches, expédia de Pont-Audemer le 13 juillet au duc d'Elbeuf l'ordre de se maintenir avec l'assistance de la Châtre, et avec l'effectif de sept mille hommes de pied et mille cavaliers, sur le territoire de Dieppe.

Après avoir pourvu à la sûreté de ses derrières, l'armée royale, une fois acheminée vers l'Anjou, devait s'assurer chemin faisant, à travers la zone insurgée et en vue de l'accomplissement de ses derniers desseins, à la fois toute sa liberté de développement et de concentration. Aussi cette armée qui, au lendemain de la reddition de Caen, grâce à ses affluents quotidiens, et même en en déduisant les garnisons du bassin de la Seine et le détachement préposé à la surveillance de Dieppe, comptait seize mille fantassins, dont dix mille hommes des régiments, quatre mille des gardes et deux mille suisses, cette armée fut dès lors jugée assez forte pour subir sans péril une provisoire scission. En conséquence, vers sa droite le roi lança devant lui le maréchal de Créqui par Alençon et le Mans sur la route directe de l'Anjou. Lui de son côté, tout en nettoyant le Perche, s'en alla vers sa gauche par Lisieux, Orbec, Laigle et Mortagne, au-devant de l'armée de Champagne qui, après avoir franchi la Seine et longé la Beauce et le Gâtinais, le devait venir rejoindre sur le bassin de l'Eure, entre Nogent et Chartres. Et tous ces éléments, ramenés l'un vers l'autre, se devaient finalement relier sur la Loire aux portes d'Angers.

En conformité de ces calculs qui assuraient à l'armée royale dans sa condensation définitive à la fois l'élasticité et l'essor, Créqui, dès le 19 juillet, avec dix compagnies des gardes, marcha sur Alençon, dont le gouverneur Belin, fraîchement installé clans ce poste le plus voisin de son apanage par Marie de Médicis, lui était un fervent homme-lige. Heureusement Belin, malgré son mandat de tirer de là douze cents hommes pour le service de sa souveraine, n'avait nulle prise sur une population plus immédiatement affirmative que celle de Caen dans son royalisme, et que de faibles murailles séparaient seules de ses vrais libérateurs. Aussi, à peine Créqui se fut-il approché de leur ville, où Belin n'avait pu rallier que cinquante hommes, que Bourgthroude et Bouville, qui s'en allaient par Alençon rejoindre à Angers, en la solidarité du désarroi, Thorigny et les Vendôme, au souvenir de la rapide soumission de Rouen exhortèrent leur hôte, dès que le vainqueur entrerait dans la place par une des portes, à l'évacuer par la porte opposée. On ne se le fit pas dire deux fois ; et Créqui, une fois arrivé à travers la ville ainsi désertée jusqu'au pied du château, n'y trouva plus qu'un exempt des gardes de la reine-mère qui l'attendait de par le roi pour la lui ouvrir.

A peine en possession d'Alençon, Créqui ne prit que le temps d'y établir comme garnison l'une de ses dix compagnies de gardes, sans même laisser le reste de son armée traverser une ville dont il récompensait la fidélité en l'exonérant de cette contribution de passage. Et il alla droit au Mans répondre aux appels d'une population qui, rivalisant avec les Alençonnais et par l'organe du gouverneur Marigny en fait de spontanéité dans le royalisme, l'avait envoyé conjurer de les venir en leur détresse, vu la fragilité de leurs murs, assister contre l'escouade de Marillac et du grand prieur de Vendôme accourus de La Flèche vers eux par la Suze et le Pont-de-Gènes. Là-dessus, en franchissant d'une traite les dix lieues qui séparaient Alençon du Mans, Créqui y entra juste au moment où le grand prieur y arrivait par la direction opposée ; et vite il alla clans cette direction-là même le prévenir sous le bénéfice d'un rapprochement et de la vigilance nocturne de toute son armée, en logeant et en barricadant au faubourg de Pontlieue, sis aux bords de l'Huisne, sous le commandement de Montalan, deux cents mousquetaires et carabiniers du régiment d'Arnauld. Il est vrai que le grand prieur, averti des mesures prises pour garnir et fortifier ce poste, accourut avec deux cents cavaliers et quelques arquebusiers pour les rompre, et par là enlever un faubourg qui lui livrait par la route de La Flèche l'entrée du Mans. Mais malgré sa supériorité numérique, il se heurta contre une résistance qui, encouragée par le voisinage de toute l'armée de Créqui, le décontenança. Dès qu'il eut vu tomber à ses pieds Beauregard, tué d'une mousquetade, avec quatre de ses hommes d'élite et plusieurs chevaux, il reflua vite vers La Flèche, trop heureux que Créqui n'ait pas eu sous sa main de la cavalerie pour l'atteindre et l'écraser dans sa fuite. Mais, refoulés vers La Flèche avec le détachement qui revenait de sommer en vain La Varenne dans Sainte-Suzanne, Marillac et le grand prieur n'y aggravaient que trop le découragement de Marie de Médicis, informée déjà de la perte d'Alençon par Bourgthroude.

Pendant que Créqui s'établissait au Mans pour y arrêter définitivement les progrès de Marie de Médicis, Louis XIII parti de Caen évoluait vers l'armée de Champagne en recueillant à chacune de ses étapes d'occupation des bulletins de victoire. Le 22 juillet, il apprenait à Lisieux l'occupation d'Alençon. Le 25, à Laigle, et parallèlement à l'annonce de l'entrée de sa mère à La Flèche et de son entreprise sur le Mans, en revanche il apprenait son échec devant Sainte-Suzanne et par ailleurs la réduction de Verneuil, que Tresnel avait occupée sans résistance et dont il avait rasé les fortifications dressées entre le château et la ville. Le 27, à Mortagne, il apprenait l'occupation de Dreux par Bassompierre. Le 28, à Bellême, il apprenait à la fois celle de la Ferté-Bernard qui commandait sur l'Huisne la route de Paris au Mans, et qui s'ouvrit à la première sommation de Desplan ; et dans la Guyenne celle de Moissac par Thémines. Le 29, à Bonnétable, on l'informait de celle de Vendôme et de l'établissement définitif de Créqui au Mans par l'enlèvement de Pontlieue. Et tandis que les députés de toutes ces villes, avec l'annonce de leur soumission, déposaient leurs clés à ses pieds, toute la noblesse environnante du Maine et du Perche, ainsi que Louis XIII l'apprenait aussi dès le 22 juillet en sa première étape d'Argence, renvoyait à la reine-mère ses blanc-seings et ses provisions pour des levées insurrectionnelles.

Et la force des armes n'avait pas même à provoquer partout les démarches royalistes. Dés le 13 juillet était arrivé d'Auvergne à Louis XIII le prince de Joinville qui, en l'informant d'un surcroît d'émigration criminelle en la personne du cardinal de Guise, accouru à Angers sur les traces des Soissons et des Vendôme, là-dessus déclinait chaleureusement toute solidarité fraternelle. Le 22 juillet à Mortagne et le 23 à Lisieux, c'étaient tour à tour les gouverneurs de Bretagne et de Languedoc, Brissac et Montmorency, qui, par deux franches démarches épistolaires, rassuraient la Cour sur leurs longues hésitations. En même temps, de tous les parlements de France arrivaient à Louis XIII intégralement closes ainsi qu'ils les avaient reçues eux-mêmes de Marie de Médicis, ses séditieuses remontrances. A Lisieux, celles à l'adresse du parlement de Toulouse, accompagnant la lettre de soumission du. duc de Montmorency. A Laigle, celles à l'adresse du parlement de Rennes, qui, même en ne le supposant pas disposé de lui-même à les lui renvoyer intactes, l'eût été par les exhortations du duc de Brissac. A Bonnétable, celles à l'adresse du parlement de Bordeaux, aussi ferme contre le duc de Mayenne, grâce à l'intégrité de son premier président de Gourges, que l'avait été celui de Rouen contre les Bourgthoude[19].

De gré ou de force toute la correspondance insurrectionnelle rentrait aux mains de ceux dont on y complotait la ruine. Pendant que de toutes parts affluaient à l'état-major de l'armée royale les formules ou les démarches de l'obéissance, le 26 juillet, à Nevers, on arrêtait deux voyageurs surveillés depuis longtemps et signalés de loin sous les noms de Pacha et de Deufin, comme deux émissaires de Marie de Médicis et du duc de Nemours. Aussitôt un ordre d'écrou du duc de Nevers les consigna dans les prisons de la ville ; et, concurremment à l'expédition à Paris de leurs ballots suspects, le chevalier du guet procéda à leur interrogatoire. On ne sait ce qui en sortit, non plus que de l'instruction criminelle entamée consécutivement le 5 août pour complicité de malversations contre le prévôt de Nevers. Mais les fouilles pratiquées à Paris dans les valises le 26 juillet au soir par les commissaires Lorieux de Champagny et Chevallier, et dont un procès-verbal dressé par Chazeu parvint de suite au quartier général de l'armée royale, révélèrent des provisions de lettres de change de 50.000 livres sur Lyon et de 3.000 livres sur la Bourgogne et les états du duc de Nemours, avec commissions en blanc pour des levées militaires dans la Bourgogne et le Dauphiné. Il s'y joignait justement des exhortations séditieuses de Marie de Médicis à l'adresse du gouverneur du Dauphiné Lesdiguières tenté par l'intermédiaire de son influente femme ; et à l'appui de ces dernières menées, et par une suite de pratiques épistolaires de la magistrature, des remontrances à l'adresse du parlement de Grenoble. Enfin venaient des lettres de la reine-mère et de la comtesse de Soissons à l'adresse du prince de Piémont Victor-Amédée, qui eussent bien pu échapper à l'interception. Car depuis l'entremise salutaire de l'inébranlable Lesdiguières entre les cieux cours de France et de Savoie, et surtout depuis que la fortune des armes s'était déclarée contre Marie de Médicis, le prudent Victor-Amédée avait peu à peu converti ses adhésions primitives aux appels réitérés de sa belle-mère en de respectueux échappatoires. C'est ce qu'en contre-partie des agissements de Lesdiguières le nouvel ambassadeur de Turin à Paris et le jésuite Monod, confesseur de la duchesse Christine, à l'envi représentaient à Louis XIII, en l'exhortant à bon droit, pour entretenir Victor-Amédée en ses plus récentes dispositions par d'opportuns ménagements, à laisser circuler sans entraves entre la belle-mère et le gendre, ce qui désormais ne serait plus qu'une correspondance de famille.

Tout en recueillant chemin faisant à la suite de Louis XIII les bulletins de soumissions et de victoires, avec lui et dès l'étape de Laigle nous avons dévié de l'itinéraire qu'au sortir de Caen et dans la direction de l'armée de Champagne il s'était d'abord tracé vers Chartres. C'est qu'avec la réduction de Verneuil et les démarches royalistes du parlement de Rennes, à Laigle il avait appris, comme nous avons vu, l'entrée de sa mère à La Flèche. Et à l'idée de voir cet asile suprême du grand cœur paternel violé par une soldatesque rebelle, il avait tressailli d'indignation filiale. Pour affranchir de ces menaces de profanation des cendres si chères, héréditairement animé de leurs plus chaudes palpitations il se détourna brusquement du rendez-vous assigné primitivement sur les bords de l'Eure à l'armée de Champagne, et après avoir établi seulement dans cette dernière zone, à Châteaudun, sur l'itinéraire de Bassompierre, le 26 juillet, un poste intermédiaire de ralliement, il alla par Mortagne, Bellême et Bonnétable rallier l'aile droite établie au Mans avec Créqui sur la route directe de La Flèche.

Tout en reportant ainsi d'une extrémité à l'autre de la zone insurgée sa manœuvre de concentration, et cela en face et à proximité de celle dont l'élan guerrier n'avait que plus haut soulevé contre elle le sang outragé d'Henri IV, Louis XIII voulut relever ses triomphes militaires de l'autorité comminatoire de son langage officiel. Le 28 juillet, dans une déclaration datée de Mortagne[20], et en réplique sans doute à ce manifeste des Soissons qui avait transpiré malgré l'interception de Richelieu, Louis XIII, opposant à la reine-mère une fière justification de tout ce qu'il avait été pour elle depuis la chute du maréchal d'Ancre, mais la distinguant charitablement des rebelles qui la gouvernaient et dont il la venait délivrer, et opposant à ces mêmes rebelles nominativement désignés[21] la double énumération de ses griefs et de ses victoires, afin de leur montrer mieux par là sa longanimité et sa clémence avec sa force ; Louis XIII offrait l'amnistie à tous ceux qui viendraient à ses pieds déposer dans un mois leurs armes, sauf à traiter le reste en criminels de lèse-majesté et en perturbateurs du repos public.

Cependant Vitry et Cadenet qui, dès le 27 juillet et sur les traces de Créqui, étaient allés en avant-garde au Mans pour y sonder au point de vue d'une réception les dispositions un moment suspectées à l'Hôtel-de-Ville, revinrent là-dessus, et non sans avoir en route dévisagé de prime abord les cinquante éclaireurs de Brézé, presser Louis XIII de s'acheminer vers le chef-lieu et le boulevard du Maine. C'est qu'en fait d'impatience de le voir, au Mans on rivalisait avec les populations du Maine et du Perche. Aussi Louis XIII y envoya d'abord dès le 29 juillet Condé en avant-garde. Puis le lendemain 30, à peine eut-il franchi la banlieue de cette ville devenue son quartier général, que dans un rayon de deux lieues il y vit devant lui force cavalcades de bienvenue, avec la casaque de taffetas incarnat, l'écharpe blanche liée d'azur et la plume au vent. Et ce flot brillant l'enleva sans peine pour ne le déposer qu'au Mans et à l'Hôtel-de-Ville, vers quatre heures du soir, par un soudain rassérènement du ciel. Mais sous cette éclaircie propice Louis XIII ne fit que distribuer vite aux autorités tour à tour et à la foule ses sourires et ses largesses. Puis, après avoir envoyé le 1er août, sous le commandement de Ducoudray, une garnison de cinquante hommes au poste voisin de Saint-Mars-la-Jaille, le lendemain 2 août il alla reposer ses troupes au faubourg de Guislard, en attendant à ce nouveau rendez-vous du Mans substitué à celui de Chartres la venue de Farinée de Champagne.

Depuis son envoi dans cette dernière région, Bassompierre, sous la ferme protection du duc de Nevers, et avec la fertile et brillante prestesse et l'entrain avantageux des Villars, des Belle-Isle et des Dumouriez, n'avait cessé d'y développer ce noyau d'armée établi d'abord, lors des troubles religieux de la Bohème, en observation diplomatique sur les confins de l'Allemagne, mais, depuis la récente paix d'Ulm, rendu à toute la liberté de ses opérations intestines, et il est vrai sur ces entrefaites entamé par les pratiques du gouverneur de Metz Lavalette. Mais Bassompierre y allait mettre bon ordre. Dans son but de réorganisation militaire, arrivé par Château-Thierry et Châlons-sur-Marne dès le 3 juillet à Vitry, et après y avoir constaté durant toute la journée du 4 en une grande revue la solidité morale et, sauf deux compagnies, l'intégralité numérique du premier élément essentiel de son armée, à savoir le régiment de Champagne, Bassompierre, avec l'aide du bailli du Bar Couvonges, le compléta vite par des levées de Vitry et de Saint-Dizier, de la vallée d'Aillan et du Bassigny. Puis, de Vitry arrivé par Sainte-Menehould à Verdun dès le 10 juillet, et pressé là, dès le 7, par une lettre du roi qui lui annonçait sa marche sur Rouen et lui ordonnait d'accourir vers lui par Montereau en sa nouvelle étape, il se tourna vers un second élément vital de son armée bien plus atteint par les d'Épernon ; 'et grâce au zèle de la municipalité de Verdun et des officiers Vaubecourt, Des-fourneaux et La Fresnaye, et en y mettant de sa bourse un écu par soldat, il remonta le régiment de Picardie non moins vite que celui de Champagne avec un millier d'hommes des levées de Verdun, de Beaulieu et de Clermont-en-Argonnes et avec des emprunts aux garnisons échelonnées en Champagne, depuis Mouzon, Troyes et Châlons jusqu'à Chaumont, Reims et Sens.

Une fois pourvu de la totalité de son effectif de remonte, Bassompierre, qui dans la complexité du péril se souciait au même degré de hâter la concentration de ses troupes et de ménager leur moral, leur traça vers le rendez-vous général l'itinéraire le plus rapide par les plus restauratrices étapes. Ainsi les détachements de Mouzon et de Donchery devaient s'acheminer à Montereau par Sezanne, Bourbonne, Villenauxe et Provins ; ceux de Vitry par Saint-Dizier, Ligny et. La Fère-Champenoise ; ceux de Bassigny par Troyes, Nogent, Bray et Pont. Et tout cela en des journées de dix lieues, fournies aux heures les plus fraîches du matin et du soir, avec halte sous la canicule au bord des rivières et à l'ombre des chariots de vivres. Car avec la même munificence qui venait de nous improviser une armée, Bassompierre lui assurait à la fois l'essor, la subsistance et le bien-être.

Ce n'est pas que dans ce mouvement de concentration il y eût lieu de dégarnir à fond les frontières orientales de la Champagne, vu les complicités limitrophes du duc de Lorraine dans la désagrégation de l'aile gauche de la grande armée royale. Car cet allié secret, mais bien vite démasqué des d'Épernon ; à l'effet de pallier ce qu'ils obtenaient de lui en fait de complaisances criminelles, abusait par trop des privilèges héraldiques d'une neutralité applicable seulement. aux conflits d'une puissance à l'autre, et non pas aux divisions intestines d'un royaume où sa tenure féodale le rangeait du côté de son souverain contre des rebelles. C'est ce que Bassompierre avait charge de représenter par lui-même et par son lieutenant Comminges au duc de Lorraine, en soutenant contre la félonie de ce vassal, de tout l'armement des citadelles voisines de son fief, et de toute la force du régiment de Vaubecourt maintenu en Champagne, des menaces sérieuses de déclaration de guerre.

Non content de conjurer ainsi aux avenues de son quartier-général l'épidémie des désertions, et tout en fixant dans son attachement son personnel à travers les fatigues du voyage par d'opportunes caresses, Bassompierre opposait aux réfractaires la plus répressive en même temps que la plus impartiale énergie. Il confirma d'abord en une juste mesure les ordres d'écrou provisoire lancés contre les réfractaires avant son entrée en Champagne. Et comme les d'Épernon s'étaient attaqués surtout aux officiers au point d'en débaucher au moins quatre-vingts, en vue de se refaire d'inébranlables cadres il disposa de leurs emplois sans retour, et en leur interdisant même, au cas où la guerre actuelle aboutirait envers eux à la paix la plus miséricordieuse, tout espoir de réintégration. Car Louis XIII n'étendait point aux rebelles jusque-là ses promesses d'amnistie ; et d'ailleurs, encore moins jaloux de réprimer la révolte que de récompenser le zèle et l'industrie dans l'obéissance, il laissait à Bassompierre en ce remaniement de son état-major toute latitude pour y établir ses créatures. Mais Bassompierre était trop habile courtisan pour prendre au mot une si large faveur, et les seules désignations conformes aux préférences pressenties du souverain remplirent ses commissions en blanc.

En s'en prenant surtout dans sa propagande d'insurrection militaire aux officiers de l'armée royale, la cabale de La Valette ne pouvait négliger l'homme qui venait les châtier dans leur désertion ou les maintenir dans la discipline. Le 11 juillet, à Vitry, vers cinq heures du soir, arrivait à Bassompierre un courrier du duc de Guise l'avertissant de la défection de son frère le cardinal. Avant de s'en aller rejoindre en Anjou les Soissons et les Vendôme, le cardinal de Guise, en cela sans cloute mû par les d'Épernon, et avec une provision de dix mille écus, s'en venait en Champagne intriguer pour Marie de Médicis. Là-dessus Bassompierre, après avoir transmis cet avis à la garnison par là plus particulièrement menacée de Saint-Dizier, et après avoir resserré autour de lui le groupe des officiers de Vitry, avec eux entrait vers six heures en un lieu de rendez-vous général chez une dame de Flénicourt. Tout à coup un Villedonnay, capitaine au régiment de Piémont, accouru vers lui en poste et le tirant à part dans le jardin de cette hôtesse, le pria de recevoir à souper le cardinal de Guise, dont il lui annonçait la campagne insurrectionnelle. Voilà Bassompierre ébahi de voir là-dessus un homme s'ouvrir si hardiment à lui, qui représentait à Vitry la personne du roi et y commandait en chef une armée royale ; ébahi aussi de ce qu'un cardinal de Guise se livrait à lui pieds et poings liés. Car le service du roi l'obligeait, lui Bassompierre, en ce flagrant délit de révolte, à s'assurer de sa personne. Et cependant Bassompierre avait été sous la régence l'homme-lige de toute la maison de Guise ; et ici il avait affaire à un prince revêtu de la pourpre romaine. Aussi, incertain si cet hôte aussi criminel que considérable ici méritait avant tout ses rigueurs ou ses égards, il flottait là-dessus entre deux écueils, lorsque s'échappant par un brusque détour : Monsieur, répliqua-t-il vivement à Villedonnay, je pense que vous vous moquez en m'annonçant l'arrivée de Monsieur le cardinal. Je sais qu'il est en son gouvernement de Normandie, qu'il tient à Sa Majesté. Il est trop avisé pour avoir déserté son poste, ou (ce qu'à Dieu ne plaise), à l'en supposer coupable, pour s'aller constituer prisonnier en une ville de l'obéissance du roi, et qui a pour garnison royale tout un régiment sous mes ordres. Je ne vous crois donc point, et je pense que vous me voulez plutôt donner une fausse alarme ; mais je la reçois telle que vous me la donnez. C'était en dire assez à qui l'eût su entendre. Mais au contraire Villedonnay là-dessus jura qu'il ne disait que la pure vérité ; que dans trois heures le cardinal serait à Vitry, et qu'il ne l'avait devancé que pour lui préparer chez son interlocuteur une plus honorable réception. Encore une fois je ne vous crois point, lui répartit Bassompierre. Monsieur le cardinal ne peut trouver chez moi qu'un fort mauvais souper. Mais je vous répète qu'il est un aussi bon serviteur du roi que vous êtes, vous, un médisant. Et savez-vous bien que vous parlez à celui qui, s'il vous en croyait, serait obligé de vous jeter en prison ; et là il vous en cuirait, à vous capitaine d'un vieux régiment. Là-dessus Villedonnay redouble ses serments, et l'autre reprend de plus belle : Je ne saurais trop vous répéter que je ne vous crois point. Mais si ce que vous me dites est vrai, vous ferez bien de ne vous point trouver là où j'ai la puissance en mains, car je vous mettrais tous les deux en un lieu où je pourrais répondre de vous. Sur ce ton péremptoire Villedonnay détala, pour une revanche dans la direction de Saint-Dizier. Mais la garnison de ce poste dûment avertie, et d'ailleurs excellemment composée de la compagnie des chevau-légers du duc de Guise commandée par son cornette Courtois, à son tour demeura inébranlable.

Cependant Bassompierre, après avoir congédié son état-major, s'enfermait avec son courrier, quand on l'informe que décidément le cardinal arrive, et qu'un échevin s'en va lui ouvrir la porte. C'est qu'à son arrivée à Vitry, où il devait d'abord séjourner à peine deux jours, mais où la moitié des habitants adhérait par le protestantisme au duc de Bouillon, Bassompierre s'y était imprudemment fié à la municipalité en déclinant d'entrée son offre des clés de la ville. Et voilà qu'aujourd'hui ces clés se retournent contre lui-même, en allant introduire dans la place un complice des Bouillon et des La Valette, un factieux qui n'y avait droit à d'autre hospitalité que les murs d'une prison. Aussitôt Bassompierre, qui se croit trahi, prend avec lui une partie des officiers qu'il vient de congédier, avec dix suisses et le corps de garde posé devant son logis ; il s'en va installer sur la grande place, avec la compagnie de Comminges amenée par son lieutenant Boulac, ce premier noyau de résistance, prêt à faire feu sur les rassemblements suspects. Puis il entre chez le lieutenant-général Pigeolet qui, en déclinant tout à l'heure pour une raison de santé son invitation au diner général qui avait clos sa grande réunion d'officiers, avait encouru ses soupçons. Heureusement il le trouve dans la situation rassurante d'un homme au lit sans lumière, et qui, secouant sa migraine et sur un ton de franchise qui s'impose à la vigilance scrutative de son chef, lui renouvelle ses protestations de fidélité scellées dans une embrassade. Et vite Bassompierre l'expédie à son tour sur la grande place, avec ordre d'envoyer chemin faisant consigner en leurs quartiers toutes les autres compagnies de la garnison. Lui-même accourt vers la porte ; et d'abord, rencontrant en route l'échevin qui l'allait ouvrir, il l'arrête en lui demandant de qui il en a reçu l'ordre. L'autre, interdit, implore sa grâce. Mais Bassompierre l'avertit que dans une heure il le fera pendre, et en attendant il l'emmène à sa suite sous la garde de ses suisses. Arrivé à la porte, il y voit le corps de garde sous le commandement de Plaisance, l'officier le plus suspecté de l'armée de Champagne ; il y voit sur le pont-levis le cardinal en stationnement d'expectative ; il y voit les remparts garnis d'une tourbe de factieux qui le hèlent, pour lui annoncer l'arrivée de l'échevin qui lui doit ouvrir. Mais Bassompierre, écartant cette foule, s'en va droit à Plaisance, et de son ton le plus sévère : Vous agissez contre vos ordres en laissant ouvrir la porte en un lieu de garnison, et après l'établissement d'un corps de garde. Pourquoi ne m'avez-vous pas envoyé informer de la présence du cardinal ? Vraiment il est heureux que je sois accouru, sans cela vous l'eussiez introduit ici. Prenez garde à vous ! L'autre balbutie de mauvaises excuses. Mais cependant Bassompierre installe sur les remparts l'escouade qu'il avait trouvée de garde à son logis, et sur son ordre Des Estangs somme les étrangers d'évacuer le pont-levis, sinon l'on tire sur eux. Là-dessus on entend s'écrier : Dites à Monsieur de Bassompierre que c'est Monsieur le cardinal de Guise. Mais, sur l'ordre de Bassompierre caché derrière lui, Des Estangs, le déclarant couché et invisible, réitère sa sommation. Et cette fois le cardinal s'esquive, pour aller essuyer la même déconvenue tour à tour aux portes de Saint-Dizier et de Reims.

Pour conjurer son retour, une fois qu'il a disparu, Bassompierre, se démasquant, revient au corps de garde réduit à quinze hommes par les pratiques du fils de Plaisance qui a emmené le reste à Metz, et il le remonte avec vingt des hommes tirés de la garde de son logis. Il y adjoint même le vieil et inébranlable officier Dupont, sous prétexte d'en renforcer le commandement, mais eu réalité pour surveiller et contrebalancer Plaisance. Et après ce surcroît de précautions il ne lui restait qu'à voir sur la grande place et sous l'énergique concentration de Pigeolet, toute la garnison sous les armes. Quant à l'échevin que depuis l'interception des clés de contrebande il entraînait à sa suite, après l'avoir laissé vingt-quatre heures sous le coup d'une sentence de mort et partant dans les plus salutaires angoisses, eu égard aux pressantes sollicitations en sa faveur il pouvait désormais sans peine le relâcher, sous le bénéfice d'une verte réprimande.

A peine Bassompierre s'était-il débarrassé des importunités du cardinal de Guise, à peine avait-il ainsi fixé dans l'obéissance royale une des plus fortes places de la Champagne, que, par une récidive de la cabale des La Valette, il voit s'ériger devant lui avec moins d'audace et de fracas une bien plus captieuse épreuve. Dans la soirée du 13 juillet, au sortir de Vitry et en l'étape de Poivre, Bassompierre reçut la visite d'un huguenot appelé Despense, qui, après avoir soupé avec lui, à son tour l'emmena dans le jardin de leur hôte. Là, après avoir stipulé ses sûretés d'épanchement, Despense se déclara à Bassompierre comme l'agent du duc de Bouillon qui admirait, disait-il, sa diligence et son industrie dans la levée et l'organisation de ses troupes. Mais, poursuivait Despense, mon maitre s'étonne de l'animosité qui en cela vous pousse contre la reine-mère. Êtes-vous donc si fort l'obligé de Luynes ? Il ne s'agit point ici de défendre ou d'attaquer le roi ou l'État, mais de savoir si l'un ou l'autre seront régis par celle qui a si bien gouverné la France durant la minorité de son fils ou par trois marauds[22] qui ont accaparé l'autorité avec la personne de Sa Majesté ; non que mon maitre n'approuve en principe votre résolution de vous tenir toujours au gros de l'arbre, et de suivre non le parti le meilleur et lé plus juste, mais celui où réside la personne du roi et où il y a le sceau et la cire ; mais d'y aller avec cette véhémence qui dépasse les ordres, niais de vous y ruiner pour aider des ingrats à perdre une ancienne bienfaitrice qui vous a vous-même tant choyé, et tout cela dans le seul intérêt de ces trois parvenus qui ont poussé en une nuit comme trois champignons, et qui, une fois sauvés par votre mérite, en prendront ombrage au point de vous fouler aux pieds et de vous perdre à votre tour, voilà ce qui nous semble tout à fait déraisonnable. Qui vous demande de consommer votre patrimoine en recrutements de surérogation et de précipiter si fort votre jonction à l'armée royale ? Sans trahir votre mandat qui vous donne à cet effet un délai de trois semaines, en tout honneur demeurez ici dans l'expectative jusqu'à l'expiration de ce terme, avec vos seules levées de commande ; et je m'engage au nom de mon maitre à vous verser dans le plus inviolable secret cent mille écus. A cette brusque ouverture si perfidement amenée, et où se démasquait dans l'ombre tout le génie de la tentation, Bassompierre se redressant de son plus haut en face de son interlocuteur : Je ne puis me fier à vous, s'exclama-t-il, dès lors que cette sûreté que vous avez prise de moi pour me parler franchement, vous l'employez à me circonvenir. Monsieur le duc de Bouillon me méconnaît-il au point de me croire tant soit peu corruptible ? Ce n'est point l'animosité contre la reine-mère, ajoutait Bassompierre qui n'oubliait pas son titre de colonel général des Suisses datant des faveurs de la régence, ce n'est point l'animosité contre la reine-mère, c'est ma passion pour le service du roi qui m'emporte bien au-delà de mes ordres. La reine-mère ! Je suis naturellement son plus ardent serviteur. Mais là où il y va du salut de l'État je ne reconnais plus personne. Je voudrais même voler pour arriver plus tôt là où Sa Majesté m'appelle. Et plaise à Dieu que tout mon bien y passe, pourvu que son autorité s'en relève ! Au surplus il est heureux qu'avant d'entrer en matière vous ayiez avec moi stipulé vos sûretés. Il ne tient qu'à cela que sur l'heure je ne vous appréhende pour vous emmener prisonnier à Châlons. Et là-dessus Bassompierre, tournant le dos à son émissaire interloqué, brusqua son départ.

Avec cette volubilité d'allures, qui le soustrayait autant que son adresse et sa vigueur aux entreprises adverses, on ne s'étonnera pas de voir Bassompierre dépasser comme en se jouant les instructions officielles dans sa marche vers l'armée royale. Le 14 juillet, à Châlons et à la Ferté-Champenoise, et le 16 à Provins et à Montereau, Bassompierre y enleva vite les bulletins de victoire de Louis XIII, en recueillant d'une main les nouvelles recrues échelonnées devant lui d'étape en étape, et en cassant de l'autre les compagnies suspectes. Et tandis qu'au grand quartier général on ne s'attendait à le voir arriver à Montereau que dans quinze jours, il entrait dès le 21 à Étampes. Aussi lorsqu'il s'en vint de là à Paris régler l'adjudication des vivres pour l'achèvement de son voyage, la jeune reine Anne d'Autriche, qu'il alla saluer la première et qui par l'éveil de sa bonne grâce rivalisait conjugalement avec les manifestations guerrières de Louis XIII, lui demanda du ton du plus aimable ébahissement s'il arrivait en courrier ou en général.

Tant qu'à avoir ainsi mesuré au pas de course et à l'applaudissement général ce champ d'opérations militaires allant des confins de la Lorraine à ceux du Perche, Bassompierre, avec l'impulsion de la vitesse acquise, entendait immédiatement se déverser dans le grand courant de cette armée royale déjà si voisine. Aussi lorsque, au conseil de guerre tenu aux portes d'Étampes et en conformité des ordres d'Anne d'Autriche, on lui eut suggéré l'opportunité du siège de Dreux, Bassompierre objecta que le roi, maitre de Caen et réduit à ses gardes et suisses et à six cents cavaliers par l'établissement des garnisons de Normandie et l'envoi de Créqui en détachement sur Alençon, allait se voir sur la lisière du Maine aux prises avec de bien autres faces que les siennes ; qu'il comptait donc sur l'arrivée à bref délai de l'armée de Champagne ; qu'il y allait du salut de la cause royale, et qu'au surplus une fois grâce à ce renfort cette grande cause victorieuse, on verrait le parti de la reine-mère entrainer Dreux dans sa chute. Et comme en dépit de ces fortes considérations on insista sur l'imminente occupation de cette dernière place, Bassompierre, jaloux de décliner d'avance la responsabilité d'une imminente levée de siège — car d'un moment à l'autre le roi pouvait l'appeler à lui d'urgence —, envoya provoquer à Paris et proclama sur place l'ordre réitéré d'une marche sur Dreux. Et, tout en se réservant sur la Normandie une porte échappatoire, il se fit amener de Paris cinq canons dans la direction de son objectif officiel, et massa toutes ses forces autour d'Étampes. De là, le 24, il se transporta d'Étampes à Nogent-le-Roi, où le vint relancer une députation de Dreux qui l'assurait des sentiments royalistes de leur ville, malheureusement comprimés par la garnison de son solide château qui, sous le gouvernement de l'Écluselle, venait de se renforcer de cinquante hommes amenés par Vimoy, lieutenant des gardes du comte de Soissons. Mais, ajoutaient-ils, Vimoy ne tire pas de cet avantage une telle hardiesse que, eu égard à la célérité victorieuse de votre approche, il ne souhaite pas vivement de vous aller trouver, moyennant l'offre d'un sauf-conduit. Enhardi de son côté par ces dernières ouvertures, mais sans négliger de se montrer bon prince : Dès demain à la pointe du jour, reprit vivement Bassompierre, j'arriverai en vos faubourgs. De là vous me laisserez entrer chez vous seulement avec trente hommes ; et tout en expédiant dès lors à sou adresse le sauf-conduit que vous me demandez, avec les canons qui me suivent de près je vous affranchirai de la tyrannie des rebelles.

Là-dessus Bassompierre donna rendez-vous pour le lendemain 25 juillet, à une heure avant le jour, au régiment de Picardie dans le faubourg de Dreux où il le devait venir rejoindre, tandis que le régiment de Champagne devait simultanément investir le château par le côté opposé donnant sur la campagne. Pendant ce temps une compagnie de carabins devait aller, toujours dans la direction et aux environs de Dreux, incendier la villa de l'Écluselle, avec rétention comminatoire de sa femme et de ses enfants en otage. Mais il y avait à Dreux un vieux et respectable gentilhomme, oncle de l'Écluselle, venu pour dissuader son neveu d'une résistance inutile en une place faible et devant une armée royale à proximité de Paris. Dès l'annonce de la marche des carabins vers la villa de son neveu, et tout en se croisant en route avec les régiments de Picardie et de Champagne, cet honnête vieillard accourut solliciter de Bassompierre qui les suivait de près, un sursis dans l'exécution de la villa avec distraction en sa faveur d'un des plus précieux otages. C'était la femme de l'Écluselle qui, parallèlement à l'envoi du sauf-conduit à l'adresse de Vimoy, monterait au château pour en rapporter dans cieux heures, grâce à ses instances conjugales écoutées Glane l'anxiété paternelle, de positives assurances de soumission. Là-dessus Bassompierre se fit longtemps prier pour ne céder qu'aux intercessions d'une partie de son état-major. Puis, arrivé vers les deux heures du matin aux portes de Dreux, il y établit le régiment de Picardie en en détachant cent hommes et vingt chevaux pour entrer aux faubourgs. Devant lui naturellement les portes d'elles-mêmes tombèrent ; car il y avait là pour lui souhaiter la bienvenue cent cinquante bourgeois sous les armes. Lui de les réconforter avec de chaudes félicitations sur leur vigoureuse attitude et de provoquer de leur part, grâce à l'initiative d'une acclamation relancée par toute son escouade, l'écho de Vive le Roi ! Puis il fit barricader et s'offrit à garder lui-même l'avenue de communication entre le château et la ville. Mais même lorsque cet envahissement subreptice apparut au grand jour en vue du château, l'artillerie braquée là clans cette direction demeura muette. C'est que sur les entrefaites l'Écluselle, ébranlé par les sollicitations conjugales et ses soucis de famille et de villégiature, et éclairé par Vimoy sur l'impossibilité d'une sérieuse résistance, enfin s'exécuta. L'on battit la chamade ; et dès que la capitulation eut livré à Bassompierre la citadelle insurgée ; après en avoir rasé les fortifications élevées du côté de la ville, et tout en y respectant le mobilier des Soissons, il y établit comme gouverneur Saint-Quentin, capitaine du régiment de Picardie.

Après cela Bassompierre ne prit que le temps d'aller le 26 juillet par Nogent-le-Roi enlever à Anet et transférer au Louvre la femme et les fils du duc de Vendôme à titre d'otages de la sûreté de son prisonnier angevin Rochefort ; et dès le soir il arrivait à Vendôme. De là, en effet, l'étaient venu quérir jusqu'à Dreux les deux capitaines du régiment de Navarre, Geoffres et de Boulay. Dans l'abandon où les avait laissés ce même duc de Vendôme pour n'aller exécuter à Angers que des prouesses de perfidie, ils n'attendaient pour se soumettre que l'apparition des armes royales. Après avoir renvoyé, sous la conduite de Préau et sous l'escorte d'un trompette, ces deux officiers avec ordre de lui tenir prêts quarante hommes pour les introduire dans la citadelle dégarnie de ses huit cents hommes de garnison expédiés de la veille sur La Flèche, Bassompierre détacha vers eux une partie de sa cavalerie commandée par d'Elbène, lieutenant des chevau-légers de Monsieur, et qui n'eut qu'à se montrer pour que l'infime corps de garde des quinze hommes restés au château, croyant cette escouade suivie de toute l'armée royale, aussitôt lâchât prise. En même temps le gouverneur éperdu s'en allait en Anjou rejoindre la reine-mère, tandis qu'une députation de la municipalité allait jusqu'à Bonnétable déposer aux pieds du roi les clés de la ville.

Désormais Bassompierre n'était plus séparé de Louis XIII que par les trois étapes de Brézolles, de Longni et du Theil. Avec l'appui, ou grâce au ralliement du poste protecteur de Châteaudun, il les franchit au vol pour arriver dès le 31 juillet à Conneré. De là, tout en envoyant Des-fourneaux loger à Yvré-l'Évêque, son armée enfin s'élevant à huit mille fantassins, six cents cavaliers — sans compter les compagnies de la reine non encore revenues de l'escorte des otages d'Anet —, il accourut dès le soir au Mans. Et à cette heure fortunée où se revirent pour la première fois depuis la fuite des Soissons le conquérant de la Normandie et du Perche et l'improvisateur de l'armée de Champagne, on devine sous quels embrassements confluèrent les deux grands courants de l'armée royale. Car ce jour-là et aux portes de l'Anjou, cette grande armée atteignait l'apogée de son rapide développement dans la concentration de ses forces et dans la solennité restauratrice d'une halte suprême.

Dans ce recueillement militaire et dans le feu montant de son aurore de victoires, Louis XIII sentait en lui chaque jour croître et se déterminer le vrai soldat des tranchées du plateau de Saint-Gilles. Chaque jour la marche des troupes, le bruit du canon et le va-et-vient des officiers échangeant devant lui des avis contre des ordres, en lui fécondaient la germination d'Henri IV. Après avoir essuyé sous la citadelle de Caen le feu de l'ennemi, et à la veille d'aller disputer à sa mère l'asile du grand cœur dont sa réconciliation seule la rendait digne de lui en avoir transmis les battements, il versait la lumière dans les conseils de son état-major. L'œil fixé sur des cartes, il y interrogeait la configuration du sol au point de vue du libre déploiement de son armée et de la prompte communication de ses quartiers, en relevant tout ce qui y apportait chemin faisant d'obstacles, ou un bois, ou une haie, ou un ruisseau gonflé par une pluie d'orage. En cette zone de l'Anjou sillonnée de rivières, il y reliait entre eux d'avance en ses calculs, par des garnisons ou des ponts de bateaux, les bassins de la Mayenne, de la Sarthe et du Loir.

Mais à l'entrée d'un réseau dont la perméabilité était alors sa grande sollicitude et en face de l'ennemi qui en occupait encore l'entrée, il y avait lieu pour l'armée royale, une fois bien reposée dans sa condensation, à se reconnaître, à se dénombrer et à se produire avec ce qu'elle offrait maintenant de définitif en son classement et en ses cadres. A cet effet, le 4 août, et après avoir dépassé dans la direction de La Flèche avec l'étape de la Suze le bassin de la Sarthe, Louis XIII et Bassompierre, à dix heures du matin, parurent ensemble en la lande du Gros-Gatignon, sise entre Foultourte et le Pont-de-Gênes, à une lieue de La Flèche. Et là s'opéra sous leurs yeux la montre générale des deux grands contingents de Normandie et de Champagne fusionnés désormais l'un dans l'autre en la seule et grande armée où gisaient toutes les destinées de la cause royale. En première ligne, c'était l'infanterie, composée des régiments des gardes et des suisses, de Piémont et de Picardie, avec ceux de Rambures et de Vaubecourt. Ensuite venait la cavalerie, composée des gendarmes du roi et des chevau-légers, avec les compagnies du duc d'Anjou et de Condé, d'Elbeuf et d'Oppène, de Cou-tenant et d'Elbène, et les carabiniers d'Arnauld. Le tout formant seize mille hommes et quinze cents cavaliers flanqués de six pièces de campagne sous le commandement général de Condé et sous le lieutenant-général Praslin, assistés de quatre maréchaux de camp en la personne de Bassompierre, Créqui, Nérestan et Tresnel.

Mais au-dessus de cet état-major d'élite planait la mine résolue du jeune Louis XIII, si ravi du déploiement total de cette armée elle-même s'inspirant de.sa confiance, qu'en vain Henri de Bourbon, en sa qualité de son mentor militaire et en entrant dans ses calculs actuels, lui opposa, au cas de l'attaque projetée sur La Flèche par cette plaine angustiée où ses forces évoluaient avec plus d'éclat que d'aisance, maintes objections topographiques. Le jeune roi, renvoyant à l'homme personnifiant près de lui le génie de la guerre ces effluves qui à travers la Normandie l'avaient poussé jusqu'au Mans, et répudiant des supputations où il risquait d'infirmer son élan, insista pour rompre à tous les accidents du sol qu'il traversait dans sa marche une armée si légitimement sûre d'elle-même[23]. Et en effet rien que cette assurance ouvrait à Louis XIII l'apanage maternel.

 

Dès le lendemain de son arrivée à La Flèche, Marie de Médicis avait appris tour à tour de Bourgthroude et de Belin, au cours de leur marche rétrograde sur Angers, la perte des deux postes de Caen et d'Alençon, et l'arrivée de Créqui au Mans. Puis elle avait vu refluer vers elle, un peu moins honteusement mais aussi tristement qu'il l'avait fait de. Falaise à Angers, et encore plus fatalement pour sa cause, le grand prieur de Vendôme. Car pour Marie de Médicis l'échec de Pontlieue, surtout après la dépossession de la Normandie, c'était la perte du Mans ; et avec le Mans elle perdait le plus solide boulevard de l'insurrection dans le Maine. Néanmoins elle était encore soutenue par l'élan qui l'avait amenée si loin du siège de son apanage. D'autre part lui arrivaient consécutivement de nouveaux renforts amenés par les marquis de Sablé et de Thouarcé, par la Roche-Bariteau, Courbouzon et Montsoreau et surtout les dix compagnies du régiment de Mercœur tirés de la garnison du poste évacué de Vendôme. Aussi la reine-mère ne voulut pas sembler trop vite décontenancée. Sans désemparer, sur l'avis d'un premier conseil de guerre où furent rejetées bien loin des insinuations de capitulation ou de recul, elle fit retrancher les armées de La Flèche vers le Mans, et envoya la cavalerie par brigades de dix chevaux battre l'estrade jusqu'au Pont-de-Gênes et à la Suze.

Mais voici coup sur coup un surcroît de sinistres nouvelles. Ce sont les redditions de Verneuil, de Vendôme, de La Ferté, de Dreux ; et puis c'est à son tour l'acheminement au Mans de Bassompierre avec l'armée de Champagne. Une telle aggravation d'échecs modifiait les sollicitudes des défenseurs de La Flèche. Et quand déjà Louis XIII menaçait de si près ce poste essentiel avec l'avantage de l'occupation du Perche ajoutée à celle de la Normandie, et avec toutes les ressources de la cause royale, la plus saine partie de l'état-major des rebelles, sans renoncer encore à lui disputer La Flèche, au moins songeait à dérober aux revendications filiales celle qui, une fois l'élan suprême donné au parti marchant à la suite, sans l'abandonner n'avait plus qu'à rentrer dans son inviolabilité de mère et de reine. En d'autres termes, sans dégarnir La Flèche, et pendant qu'on y retiendrait sous ses murs l'armée royale, Marie de Médicis ne devait-elle pas au plus vite refluer sur Angers, afin d'y rallier en sécurité pour la protection de l'Anjou les contingents de la Saintonge et de la Guyenne ? C'est ce que soutenaient autour de la reine-mère et par l'organe si autorisé de Richelieu, les hommes jaloux de concilier sa dignité personnelle avec l'intérêt de sa cause[24], en regard de ceux qui ne la voulaient retenir auprès d'eux si loin d'Angers que pour autoriser par là leurs défaillances ou satisfaire leur jalousies. Autoriser leurs défaillances. Car les Yen-dôme, qu'on reconnaît bien à ces calculs depuis les désertions de Caen et de Vendôme, et surtout le duc César, intimidé par la récente détention des otages d'Anet ; les Vendôme, dis-je, en enveloppant avec eux la reine-mère dans l'imminente capitulation de La Flèche, d'un coup terminaient une guerre qui, à peine déclarée, sous leur ostentation d'intransigeance leur devenait à charge. Satisfaire leurs jalousies. Car par là, du même coup, ils conjuraient l'invasion à Angers du duc de Mayenne, jusqu'ici tenu par eux si artificieusement éloigné de leur ombrageuse cabale, niais qui, sur l'appel désespéré que lui aurait adressé des rives de la Loire Marie de Médicis, et à le supposer affranchi en Guyenne des diversions orientales de Thémines, serait accouru de Bordeaux pour leur disputer autant qu'à Richelieu et d'accord avec les Soissons, l'accaparement de Marie de Médicis. Et ils le devaient encore plus redouter pour eux-mêmes que ne le faisait l'évêque de Luçon dans l'intérêt bien entendu de la reine-mère[25]. Car dans cette hypothèse où Marie de Médicis se réacheminerait seule sur Angers, en laissant derrière elle les Vendôme préposés avec la plus grande partie de son état-major à la garde de La Flèche, Richelieu qui, pour le maintien de son crédit auprès de la reine-mère s'était attaché à ses pas pour ne la jamais perdre de vue ; avec elle rétrograderait vers un poste où l'éloignement au moins temporaire des cabales de Chanteloube retenues derrière lui, coïnciderait avec la venue du duc de Mayenne. Et dès lors, à la veille de cette dernière phase de la guerre civile, en ses calculs d'un ferme modérateur, pour l'évêque de Luçon quelles chances d'exclusive appropriation sur le seul des rebelles qui autour de lui personnifiait au même degré la loyauté et la force I Et voilà pourquoi Richelieu, tout en plaidant toujours pour la défense d'une ville vers laquelle il avait poussé Marie de Médicis, une fois cette ville grâce à son élan mise sur un pied d'énergique résistance, insista victorieusement pour le départ de sa souveraine.

Aussi, dès le lendemain 30 juillet, Marie de Médicis reprit la route du chef-lieu de son apanage avec le jeune Soissons, l'évêque de Luçon et les dames de la cour, en laissant à La Flèche comme garnison, sous le commandement du duc César, toute l'infanterie montant à un millier d'hommes par l'affluente garnison du poste évacué de Vendôme, et sous le commandement du grand prieur les deux cents cavaliers refoulés du champ de bataille de Pontlieue. Avant de s'éloigner néanmoins d'un poste d'où elle emmenait Richelieu, et suivant encore en cela son conseil, pour n'y pas laisser tout à fait seuls les Vendôme livrés à leurs alternatives de défaillances et de despotisme, la reine-mère avait laissé auprès d'eux toute la représentation possible de l'homme qui après l'avoir, poussée au départ se rembarquait avec elle, en la personne du duc de Nemours assisté de Marillac et de Saint-Aignan. Il est vrai que, dans cette combinaison de contrôle, s'alluma de suite un conflit d'autorité entre le jeune seigneur originairement préposé au commandement en chef du poste occupé d'hier par sa souveraine et qui y personnifiait dans sa famille même, âme de la résistance, et le prince [... six lignes de texte illisible...] Et pour mieux assurer même dans cet équilibre d'hiérarchie, d'homogénéité des résolutions, elle fit jurer à tout son état-major de tenir bon jusqu'à la dernière extrémité devant l'armée royale. Car elle allait, disait-elle, assurer une prompte arrivée de secours par la Loire, en y prévenant Louis XIII dans l'occupation des Ponts-de-Cé ; et au besoin au-delà de ce poste elle irait jusqu'à Montreuil-Bellay donner la main aux contingents les plus voisins des ducs de Rohan, de Roannez et de la Trémoille.

Mais à peine Marie de Médicis avait-elle quitté La Flèche, que les batteurs d'estrade y vinrent de plus belle redonner l'alarme, en annonçant après l'arrivée de Créqui au Mans celle de Condé, précurseur immédiat de Louis XIII. Et il n'en fallut pas davantage aux trembleurs pour oublier leurs serments de la veille. Car en un troisième conseil de guerre aussitôt convoqué, et en la présence de Marillac et des dues de Caudale et de Montsoreau, le duc de Vendôme, qui n'avait plus auprès de lui Marie de Médicis pour la lier en mi dénouement radical à la capitulation de La Flèche, et qui par là se voyait contraint d'afficher la frayeur qui le pressait d'en sortir, opina tout haut pour l'évacuation générale du poste commis à sa garde. C'était, criait-il sur le ton du commandement en chef qui lui avait été dévolu ce jour-là même, c'était une folie de vouloir hasarder en une mauvaise place toutes les forces de la reine-mère, en laissant sa personne seule à Angers. La garde de Lui Flèche, pas plus que celle de Durtal, ne nous sont utiles, puisque du Lude à Château-du-Loir la rivière en amont est presque partout guéable, et que par là les ennemis peuvent aller s'établir entre La Flèche et Angers. De plus, l'armée de Champagne, qui n'est pas toute arrivée au Mans, peut en deux jours transporter ses ponts de bateaux de Vendôme à Langeais, et de cette rive droite de la Loire descendre à notre insu jusqu'à Sorges en vue des Ponts-de-Cé. Ne nous exposons donc pas, en nous attardant ici davantage, à être en tant de directions coupés d'avec Sa Majesté qui, après nous avoir laissés tous ici, et en attendant le ralliement à Angers de ses forces méridionales, reste seule en face de l'ennemi[26]. Outre la peur de tomber en dehors de sa souveraine aux mains du roi pour y être traités plutôt en rebelles qu'en prisonniers de guerre, on voyait bien se trahir chez les Vendôme dans cette ouverture d'évacuation l'empressement d'aller à Angers traverser le tête à tète de Marie de Médicis avec le duc de Mayenne ; et, outre les grandes raisons tirées des vrais intérêts de Marie de Médicis, c'est à l'inverse dans le même ordre d'idées que ceux qui à La Flèche représentaient bien qu'inégalement Richelieu, insistèrent pour y prolonger la résistance. Notre déguerpissement, répliquèrent-ils, ne se peut opérer si vite que les batteurs d'estrade n'en transmettent l'avis à l'ennemi assez à temps pour qu'ils le viennent sûrement traverser, je ne dis pas seulement en coupant d'avec Angers notre infanterie. Mais même, vu la configuration du pays sillonné de rivières, cent fantassins y peuvent arrêter au sortir de la Flèche cinq cents chevaux. D'autre part les ennemis ne peuvent être ni assez imprudents pour risquer sur la Loire le faible pont de bateaux de Vendôme, ni ne sont assez puissants pour l'essayer si près de La Flèche, pour peu qu'on leur y oppose une ferme contenance. Il ne leur reste donc que les passages de La Flèche et de Durtal. Or, ces deux postes, qui par la rive droite du Loir ont entre eux une sûre communication, seront facilement disputés à une armée dépourvue de vivres et de munitions. Au surplus, poursuivait Marillac en montrant habilement par là à la cabale adverse qu'aux yeux de Richelieu et des siens, en la préoccupation de se maintenir à La Flèche l'idée de conserver cette place à la reine-mère primait encore celle de disputer la reine-mère aux Vendôme ; admettons une inégalité dans la répartition du personnel de notre état-major entre Angers et La Flèche ; admettons qu'à cet égard il y ait ici une surabondance en regard de l'isolement que subit à Angers la reine-mère. Pour rétablir là-dessus l'équilibre, messieurs les princes avec Boisdauphin et plusieurs autres seigneurs, peuvent s'acheminer à Angers avec le gros canon, pourvu qu'avec ce que nous avons ici d'effectif deux maréchaux de camp y demeurant pour garder le passage de La Flèche et de Durtal. Mais, eu égard aux lois de la guerre, c'est une hérésie capitale, et dans le service de la reine-mère c'est une félonie que d'abandonner sans coup férir une place munie de remparts et de fossés défendus par une suffisante garnison ; une place où résident les destinées de notre cause[27].

En somme, en regard de cet empressement de Vendôme à déserter La Flèche, et malgré leur désir d'aller par là disputer Marie de Médicis à tout ce qu'elle avait emmené à Angers avec elle ou à tout ce qui l'y devait venir rejoindre, Marillac de ce côté leur laissait volontiers le champ libre, dès qu'à ce prix s'éliminait du conseil de guerre une contagieuse opposition à sa croisade de résistance. Par contre, les Vendôme ne voulaient quitter La Flèche qu'en en emmenant avec eux toute la garnison, afin d'avoir au moins des complices de leur défaillance, et de ne laisser pas s'éterniser derrière eux une lutte qui leur devenait importune dès que par là s'ajournaient les capitulations suprêmes. Ils voyaient bien qu'en leur ouvrant dans la direction d'Angers la porte de La Flèche, Marillac, de guerre lasse, et tant qu'à en dégarnir la défense, ne cherchait qu'à se débarrasser d'eux. Aussi se gardèrent-ils bien là-dessus de le prendre au mot. Car en restant auprès de Marillac et de Nemours dans de telles conditions, ils le gênaient encore plus sûrement qu'ils n'eussent fait à Angers l'évêque de Luçon. Seulement, pour couvrit leur jeu, et en attendant que la précipitation des événements qui menaçaient leur citadelle remit à l'ordre du jour avec plus d'opportunité les suggestions de la peur, ils se raidirent vite dans toute l'attitude d'indéfectibilité prêchée par leur collègue. Et conformément même au désir de Marillac qui, tant qu'à les voir reprendre pied à ses côtés, au moins les voulait rattacher bien vite à l'observation de leurs serments de la veille, avec Boisdauphin ils signèrent dans ce sens à l'adresse de la reine-mère le bulletin des dernières décisions du conseil. Tout ce que, dans l'ouverture si ostensiblement rétractée par cette démarche, ils avaient obtenu de Marillac, ce fut en toute hypothèse l'immédiate évacuation du gros canon estimé trop difficile à déplacer dans la précipitation d'une retraite générale, et qu'on chargea sur un pont de bateaux pour l'emmener à Angers sous l'escorte de deux cents hommes. On se réserva seulement quelques pièces roulantes d'un moyen calibre trouvées céans ou venues de Durtal et également aptes à la défense d'une place et à la protection d'une retraite. Et cependant s'entretenaient toujours les démonstrations militaires aux avenues de La Flèche.

Mais voilà que dès le soir, pendant que l'état-major est à souper chez le duc de Vendôme, et comme si dans sa confirmation même des serments de la veille il avait prévu ou évasivement préparé ce coup de théâtre, voilà que l'éclaireur de Rieux vient annoncer cette fois l'arrivée au Mans de Louis XIII, la montre générale de ses forces entre Foultourte et le Pont-de-Gênes et de là sa marche directe sur La Flèche. Et, bien entendu, voilà Vendôme, qui ne venait de comprimer officiellement que pour mieux propager dans l'ombre ses croissantes défaillances ; voilà Vendôme qui revient à la charge pour sonner la retraite avec des clameurs qui se répercutent de proche en proche. Ici encore Marillac, avec un groupe d'inébranlables que l'imminence du péril électrise et que le crescendo des trembleurs irrite, crie à la honte et au scandale, en rappelant les flétrissures infligées coup sur coup et à tort ou à raison aux capitulations du duc de Longueville à Rouen, de Prudent en la citadelle de Caen, de Bélin à Alençon ; et à ses côtés Caudale et Saint-Aignan s'offrent de demeurer seuls sur les remparts de La Flèche avec mille ou quinze cents hommes. Mais à travers la faconde usée de Marillac, le torrent des déserteurs grossit et déborde. Et dans ce branle-bas d'une évacuation générale complotée de si loin, et qui désormais s'impose même aux indéfectibles isolés dans leur intrépidité, tout ce que Marillac peut obtenir, c'est que la cavalerie s'en aille loger à Baugé pour incommoder de là au moins en détail, dans sa marche désormais assurée sur Angers, l'armée royale jusqu'aux tètes de pont de La Flèche et de Durtal. Et pendant que les Vendôme abandonnent à cette armée qui se condense d'aussi près derrière eux, leur dernière étape de déguerpissement pour détaler avec le montant d'une contribution de douze cents écus (car c'est là toute la tracé de leur passage à La Flèche), Marillac accourt en avant-garde à Angers pour préparer Marie de Médicis à l'annonce d'un désastre qui l'atteignait jusqu'au cœur de son apanage[28].

 

 

 



[1] Marillac : la part de Madame la Comtesse Senneterre vient [en concertant avec Marie de Médicis sa sortie de Paris] donner espérance de Monsr de Vendosme, lequel l'on eust volontiers refusé, à cause de sa légèreté trop éprouvée, mais l'on n'ausa pour le respect de la dame qui le présentoit.

[2] Marillac : La Reyne, qui souhaitoit Mons. du Mayne, pour commander ses armes soubs Mons. le comte, en avoit fait sentir quelque chose, et témoigné beaucoup espérer en luv. Mons. de Vendosme qui n'avoit pas envie de se voir soubs ce commandement, et qui avoit sur Monsieur et Madame la comtesse un ascendant, faisoit porter par l'un et par l'autre, quelques contrarietez à cela, il empeschoit que les depesches pour les faire venir ne fussent plus chaudes.

[3] Il n'avait que dix-sept ans.

[4] Marillac : [Durant les conférences de Brissac, entre Richelieu et Blainville] le temps se perdait pour tous. Bornés pour les bons amys de Mons. de Luçon qui firent sur ce sejour d'Angers assez de gloses et de discours pour jeter de luy quelque soubçon et de la reyne mesme dans l'esprit de ses alliez.

[5] Et même parallèlement à cette démarche du nonce à Rome devait s'exercer l'entremise personnelle du pape Paul V auprès de l'ambassadeur de France.

[6] On avait songé un instant à lui adjoindre, comme représentation ecclésiastique, l'archevêque de Sens, le cardinal de La Rochefoucauld. Mais ce prélat, plus vénérable qu'habile, avait laissé de sa négociation pour l'établissement de l'apanage de Marie de Médicis un trop médiocre souvenir, pour qu'on le réexpédiât dans ses missions diplomatiques aussi délicates que celle déférée à l'archevêque de Sens.

[7] Ici entendons-nous bien. Malgré le vif désir que dut éprouver le nonce de cacher à Henri de Bourbon la formation et le départ d'une ambassade attentatoire à ses vues de domination militaire, on ne pouvait là-dessus à son égard, et ainsi que Richelieu le dut faire à Angers vis-à-vis des Soissons et des Vendôme, observer un mystère incompatible avec sa prééminence au Conseil du roi. Mais du moins on lui pouvait celer les instructions secrètes d'une telle ambassade. Et certainement Condé ne fut pour rien dans la composition de son personnel, ainsi qu'on peut l'affirmer en dépit du témoignage au général sérieux, mais ici absolument isolé de Fontenay-Mareuil.

[8] Marillac : [Depuis l'affluence à Angers des grands seigneurs mécontents], toutes les résolutions de là en avant furent prises... sans qu'en bien ny en mal qui en succédera on puisse donner nulle part à Mons. de Luysson, car sa voix de la en avant ne fut pas trop puissante. Il le fut tousjours auprez de la Reyne sans diminution de confiance. Mais elle-même fut contrainte de s'accommoder souvent aux opinions de la grande cabale.

[9] Au carrefour de la Croix-Verte.

[10] Richelieu, pp. 68-69. — Fontenay-Mareuil, p. 147. — Mercure Français, pp. 275-281. — Vitt. Siri, pp. 95, 99-112, 117, 120, 135, 139, 140, 142-144, 149. — La Nunz. di Fr., 6 et 11 mai, 17 et 21 juin ; 1er, 9, 15 et 22 juillet ; 11 août. — Lettres du cardinal Bentivoglia, 3, 9 et 22 juillet. — Dispacc. degl. amb. ven., 7 juillet. — Arnaud d'Andilly, 11 et 12. — Marillac, pp. 33 et 34. — F. fr., 3795, f° 93 et suivants, 97-98 : 3802, f° 54. — F. Colbert, n 98. pp. 76-77, 79-80. — Roncoveri, pp. 310-313. — Malingre, p. 610. — Dupleix, p. 134. — Le P. Griffet, pp. 259-261. — Levassor, pp. 534, 565, 567-568. — Bazin, pp. 365-366. — La vie du R. P. Joseph, capucin (Mss. du Dupré-Babain, dont la copie nous a été obligeamment communiquée par le R. P. provincial des capucins), pp. 466-471. — Le véritable Père Joseph, capucin, pp. 139-141. — Lettre du Roy à la Reyne sa mère, envoyée par les sieurs ducs de Montbazon et de Bellegarde, archevêque de Sens et président Jeannin. — A Paris, 1620, juste, la copie imprimée à Paris chez Fleury Bourrigaut en l'Esle du Palais, et Isaac Mesnier, rue Saint-Jacques. — Avec permission MDCXX. — Harangue à la Royne mère du Roy contre les plaintes de Messieurs les princes faicte à sa Majesté sur les affaires de ce temps, prononcée en la présence de toute sa cour, par messire A. S. D. P. D. R., évêque de Luçon, au château d'Angers, le 3 juillet 1620. A Paris, chez Isaac Mesnier, rue Saint-Jacques, 1620. Avec permission. — Lettres de messire Philippes de Mornay, pp. 373, 378, 383, 387. — Vie de messire Philippes de Mornay, pp. 533-535. — Mme d'Arconville, p. 55-59. — V. Cousin, octobre 1861, pp. 634 et 635 ; mai 1862, pp. 306 et 308. — Rer. and. Fand., de M. Ménard, p. 95. — Jehan Louvet, 1855, t. I, pp. 27-30. — Archives anciennes de la Mairie d'Angers, BB. 65, pp. 160-162.

[11] On ne trouve nulle part la teneur de ce manifeste, ce qui tient sans doute aux précautions prises par Richelieu pour en conjurer la divulgation.

[12] Marillac : Blainville qui avoit charge expresse de les voir arriver [l'archevêque de Sens et ses collègues], avant que partir... Mons. de Montbazon, que deuils le partement de Blainville est demeuré auprès de la députation [de l'archevêque de Sens] comme le quatrième député ou comme espion des autres pour son gendre.

[13] Rochefort n'arrivait certainement qu'avec la mission d'excuse de Louis XIII. Luynes était alors trop intéressé au rétablissement de la paix pour avoir pu, au moment meute de l'arrivée à Angers de l'ambassade de l'archevêque de Sens, investir son beau-frère d'un mandat qui en compromettait si gravement les démarches.

[14] Avec un fils du duc de Nemours enlevé à Paris dès le 23 juillet avec sa nourrice par la duchesse de Luynes.

[15] Richelieu, pp. 75-76, 78-80. — Rohan, p. 156. — Bassompierre, pp. 137 et 139. — Mercure français, pp. 309-317. — Viti. Siri, pp. 170-173. — La Nunz. de France, 29 juillet et 1er août. — Lettres du cardinal Bentivoglia, 5 août. — Dispacc. de gl. amb. ven., 22 juillet, 1er et 4 août. — Arnauld d'Andilly, f° 12 et 14, 16 et 17. — F. Colbert, 98, pp. 77, 81 et 82. — F. fr. 3795, f° 97-98, 102 ; 3802, f° 54-55 ; 18a5, P 23 ; 3812, f° 38-41. — Coll. Dupuy, f° 178 et 179. — Arch. des aff. étra., F. fr., 773, f° 67. 69 et 213. — Roncobonveri, pp. 315 et 323. — Gramond, pp. 286 et 287. Malingre, pp. 632, 633, 635. — Levassor, pp. 281-282. — La déclaration de la reyne-mère au roy, à Paris, chez Isaac Mesnier, rue des Mathurins, 1620. Avec permission, p. 5..— Coppie de la lettre du Roy, à MM. les ducs de Montbazon et de Bellegarde, archevêque de Sens et président Jeannin pour le revenir trouver incontinent icelle reçue. — XXe jour de juillet 1620. — A Caïn. — Le voyage du roy en Normandie, pp. 24 et 26. — Jehan Louvet, pp. 27 et 28, 30. — Rangeard, Mss. 893, p. 363. — Mairie d'Angers, Arch. anciennes, EE., Guerre entre Louis XIII et la reine-mère, pièce n° 2. — Mme d'Arconville, pp. 61, 62, 61. — Le véritable P. Joseph, p. 138. — V. Cousin, mai 1862, pp. 306, 308-310. — Le Logis-Barrault, p. V. Pavie, p. 20.

[16] Marillac : [Au moment où se prit dans le conseil de Marie de Médicis la résolution de la marche sur La Flèche], déjà la plupart ne parlaient plus de la guerre que pour parvenir à la paix, et sy le courage de la reyne, qui commença bien à paroistre dans les premières difficultez, ne leur eût tourné la bride, je crois qu'ils la fussent allé demander à genoux. ils n'en auraient parlé devant elle, mais bien à Mons. de Luçon, et avec tant d'instance que souvent il en rougissoit pour eux.

[17] V. au n° X des pièces justificatives.

[18] Richelieu. p. 81. — Fontenay-Mareuil, p. 148. — Mercure français, pp. 307, 309, 323. — La Nunz. de Fr., 1er août. — Lettre du Cardinal Bentivoglio, 5 août. — Dispacc. degl. amb. ven., 31 juin, 2 juillet, 4 août. — Marillac, pp. 28, 31-33-35-36, 38-41. — Coll. Dupuy, 92, f° 178-179. — F. fr., 3802. f 57 ; 3812, f° 43. — A. d'Andilly, f° 16 et 17. — Arch. des aff. étr., f. fr., 773, f° 187. — Malingre, pp. 645-646. — Le P. Griffet, p. 264. — Levassor, pp. 586-587. — Bazin, p. 366. — H. Martin, p. 160. — Ludocici XIII rimarerium, p. 14. — Mme d'Arconville. p. 67. — Lettres et mém. de messire Philippes de Mornay, p. 384. — V. Cousin, novembre 1861, p. 719 ; mai 1862, pp. 311-312. — Jehan Louvet, pp. 29-30. — Mairie d'Angers, archives anciennes, EE, p. 2. — Rangeard, Ms. 893, pp. 362365. — Notice de Michel Courjaret, vicaire de Nielles en Craonnais, insérées par lui dans un des registres de cette paroisse 1610-1621 (Revue de l'Anjou, novembre-décembre 1875), pp. 322-323. — Notice sur Château-Gontier, p. Bonneserre de Saint-Denis (Le Mans, Monnoyer, 1871), p. 239.

[19] Le conflit entre le parlement de Bordeaux et le duc de Mayenne avait amené à Bordeaux les meules scènes que nous avons vu se dérouler au parlement de Rouen. Nous nous interdisons de les relater pour ne pas retomber dans d'inévitables redites.

[20] Et enregistrée le 6 août.

[21] Dans cette déclaration n'étaient cependant compris nominativement ni le duc de Bouillon, qui par la clandestinité de ses menées y dérobait toute prise, ni le cardinal de Guise, par un ménagement pour tous les collatéraux de sa branche engagés si avant dans la cause royale.

[22] Luynes et ses deux frères Cadenet et Brantes.

[23] Richelieu, pp. 81-82, et notice de Petitot, passim. — Fontenay-Mareuil, pp. 146-149. — Rohan, p. 516. — Bassompierre, pp. 136, 138-139 et 175-178 de la coll. Pat. — Brienne, p. 342. — Mercure français, pp. 319-323 325-328. — Vitt. Siri, pp. 163, 165-168, 172, 171-175, 181. — A. d'Andilly, f° 14, 16, 17-18. — Journal de Jean Herouard, p. 247. — La Nunz. de Fr., 27 juillet, 1er et 11 août. Lettres du cardinal Bentivoglio, 22 juillet et 5 août. — Disp. degl. amb. ven., 14 et 22 juillet, 1er, 4 et 5 août. — Marillac, pp. 40-43, 46. — F. fr. 3802, f° 52, 55-57 ; 3812, f° 41, 43-44, 49, 50 ; 3814, f° 72. F. Colbert, t. V, p. 71. — Dupleix. pp. 136-137. — F. fr., divers, 25,022 : Faultes remarquées en l'histoire de Louis XIII, par Scipion Dupleix, par Monsr Bassompierre, p. 203. — Arch. des aff. étr., f. France, n° 773. — Roncoveri, pp. 316, 318-320. — Gramond, pp. 293-7295. — Malingre, pp. 643-650. — P. Griffet, p. 264. Levassor, pp. 587-590, 583-584. — Bazin, pp. 366-367. — Martin, p. 160. — Dareste. p. 67. — Ludovici XIII, Itinerarium, pp. 8, 15-16. —  Lb.36 1451 : Recueil véritable etc., pp. 15-18. — Le voyage du roy en Normandie, p. 24. — Lb.36 1441 : La réduction des villes et châteaux de Dreux et Verneuil, au commandement et service du roy, le 25 juillet 1620, Paris, chez Isaac Mesnier, rue des Mathurins, 1 20. Avec permission, p. 12. — Lb.36 1447 : La prise de la ville des Ponts-de-Cé, etc., p. 5. — L'armée du roy en la ville du Mans, ensemble la Harangue faite à Sa Majesté au nom des habitants de ladite ville, Paris, chez Isaac Mesnier, jouxte la coppie, imprimée au Mans, 1620, passim. — Mme d'Arconville, pp 62-63. 67-69. — V. Cousin, mai 1862, pp. 309-312. — Lettres et mém. de Philippes de Mornay, lettres de juillet et août passim. — Vie du cardinal de Richelieu, p. 85 et passim. — Histoire de Henry de la Tour d'Auvergne, duc de Bouillon, p, M. Marsollier, La Have. 1719, pp. 218-221 — Le duc de Bouillon, d'après des documents inédits, p. Auguste Langeel, Revue des Deux-Mondes, janvier-février 187, p. 168. — Jehan Louvet, Revue d'Anjou, 1855, t. II, p. 35. — Rangeard, pp. 363-365, 368 — Rev. and. Pand., de Cl. Ménard, p. 95.

[24] Marillac : [Occupation par l'armée royale de Dreux, La Ferté-Bernard et Vendôme]. Ce fut alors aveq grande raison que Monsr de Lusson et les plus affidez serviteurs de la Reyne, cognurent qu'elle n'était pas sûrement à la Flèche et eurent impatience de les retirer. Les meilleures et les plus fidèles oppinions voulaient que cette personne sacrée se retirât au-delà de Loire pour attendre sûrement ses forces et ses amys, que la Flèche, Angers et le Pont-de-Cé, aveq ce qu'elle avoit d'infanterie sur pied, disputassent à ses ennemys leurs portes, leurs ponts et la campagne... Elle assembloit de quoy les venir secourir...

[25] Marillac : Les uns ne se voulaient point joindre à Monsr du Mayne, pour divers rapports, les autres ne pouvoient consentir dabhandonner leurs terres et leurs femmes. Ceux qui étoient entrez en la guerre par interests ny trouvant pas leur compte jugèrent que cet elongnenient de la reyne elongneroit la paix. et ceux de qui le courage et la vie craignoient la corde ou le fer ne respiroient qu'un traité, et ne scavoient pourtant à quel expédient se porter.

[26] Marillac : Les partisans de la retraitte soustenoient estre folie très importante de hazarder dans une mauvaise place toutes les forces que la Reyne avait pu assembler, et laisser sa personne seule à Angers, ils tenoient la garde de ce passage et de celuy de Durtal inutile, puisque depuis le Lude jusques en Chasteau-du-Loir, la rivière était gueable en quelques endroits, et que par là les ennemys se pouvoient mettre entre Angers et la Flèche. Ils présupposoient que l'armée de Champagne non encore toute avancée vers le Mans, pourroit couler de Vendosme à Langeais en deux jours, et de là par Veau jusques à Sorges, avant que l'on en pût avoir advis, la peur lui faisoit desjà imaginer un pont en une nuit fait... sur Loire par des bateaux descendus de Vendosme et l'armée ennemye par cette traverse aux portes des Ponts-de-Cé...

[27] Marillac : Les autres au contraire.... assuroient que cette diligence [pour la retraite] ne se pouvait faire telle que l'avis n'en vînt par les bateurs d'estrade assez à temps pour rendre l'entreprise infructueuse et dommageable pour eux, qu'il n'estoit pas imaginable que l'infanterie prétendit à un tel dessein, et que de la cavalerie il n'en falloir rien craindre en Angers, puisque cent hommes de pied, par la composition du pays, en pouvoient arrester sur le cul cinq cens de cheval, que les ennemys ne pouvoient être assez imprudents pour entreprendre un pont sur la Loire par les bateaux de Vendôme trop faibles et trop petits pour cela, ny assez puissants pour le faire si près de la Flesche, pourveu que l'on fit seulement contenance de s'y opposer. Partant qu'il ne leur restait autre chemin que celui de la Flesche ou de Durtal, lesquels pourroient facilement estre disputez contre une armée qui manquast de canons et de munitions, puisque ces deux places auraient par un des costez de la rivière un genre de communication l'une aveq l'autre qui ne leur pouvait estre ostée. Elles confessaient bien qu'a la vérité trop de gens de qualité s'estaient arrestez à cette commission, et que c'estoit fort considérable que la reyne eût une partie auprès d'elle en telle conjecture, aussi conseilloient-ils que les princes, le maréchal de Boisdauphin et autres seigneurs, s'en retournassent avec le gros canon à Angers, et qu'il demeurât seulement deux maréchaux de camp pour commander les trouppes et deffendre les deux passages le plus longtemps qu'ils pourroient, mais qu'ils ne pouvoient conclure que ce ne fût un très grand crime contre le debvoir de la guerre et contre le service de la reyne, et une lasche action que d'abandonner sans combat, sans dispute et sans sang une place formée de murs, de remparts et de fossez bien fournie d'hommes, qui étoit la clef de la bonne et de la mauvaise fortune du party.

[28] Richelieu, pp. 81.82. — Fontenay-Mareuil, pp. 148-149. — A. d'Andilly, f° 17. — Marillac, pp. 40-47. — F. fr., 3795, f° 107 ; 3812, f° 44 ; Coll. Housseau, t. II, an. 1620. — Arch. des aff. étr., F. fr., 773, f° 187. — Lb.36 1454, p. 16. — P. Griffet. p. 264. — V. Cousin, mai 1862, p. 312.