A l'âge de quinze ans, elle eut la visite de Madame Geoffrin. Elle portait un grand bonnet de dentelles, une coiffe noire nouée sous le menton, une robe de soie gris foncé ; elle avait au moins soixante ans, et lui dit avec bienveillance qu'ayant ouï parler de son talent et de sa personne, elle avait désiré la voir. Elle eut aussi la visite du fameux comte Orloff, l'un des assassins de Pierre III. C'était un homme grand comme son crime. L'énorme diamant qu'il portait à son doigt le lui fit remarquer. Elle vit aussi Schouvaloff, l'aillant d'Élisabeth de Russie. C'était un homme d'une politesse exquise et d'un ton parfait. Elle fit à cette époque, à Paris, son portrait. Une de ses plus anciennes amies, Madame de Verdun, la mena liner chez le baron d'Holbach ; il y avait chez lui une réunion de philosophes qu'elle ne comprit pas. C'est aussi à cette daine qu'elle dut la connaissance de Mademoiselle Quinault, qui avait été tragédienne et qui, quoique très âgée, était encore pleine d'esprit et de gaieté. Elle raconta qu'allant un matin chez Voltaire avec lequel elle était liée, il lui parla d'une tragédie qu'on devait jouer prochainement et lui dit : Lekain doit mettre une écharpe comme cela, et en faisant ce geste il prit sa chemise et lui montra, sans y penser, Voltaire décrépit. Madame Le Brun alla avec son beau-père et sa belle-mère voir le feu d'artifice de la place Louis XVI, lequel feu causa tant de malheurs, et grâce au hasard qui leur fit prendre les Tuileries, au lieu de suivre la rue Royale qu'ils avaient pris en venant, ils ne se trouvèrent point au nombre des victimes. Le comte Dubarry, le Roué, et le marquis de Choiseul se firent peindre, autant pour voir l'artiste et conquêter son cœur que pour avoir leurs portraits. Ils firent bien des yeux doux ; mais Madame Le Brun et sa mère n'en firent qu'en rire sans les écouter. En 1776, la Reine lui commanda son portrait en pied pour l'empereur Joseph, son frère. C'est le premier portrait qu'elle fit de la Reine. Elle lui en commanda un second pour Catherine II. Ce premier portrait fut fait avec un panier comme on en portait alors à la cour. Elle fit plus tard les portraits de Monsieur et celui de Madame la duchesse de Chartres. Quelque temps après elle peignit Madame du Barry à Luciennes. Son beau-père se retira du commerce et alla demeurer rue de Cléry, à l'hôtel de Lubert, que venait d'acheter M. Le Brun. Bientôt elle fut admise à voir les nombreux et superbes tableaux dont son logement était rempli, et il lui prêta des tableaux du plus grand prix et de la plus grande beauté, ce qui lui servait beaucoup. Au bout de six mois, il la demanda en mariage. Elle fut d'abord loin de vouloir l'épouser, quoiqu'il fût doué d'une figure agréable et bien fait. Sa mère le croyant riche, lui conseilla d'accepter ce parti avantageux et, si elle consentit à cet hymen, ce fut pour se soustraire à la mauvaise humeur et aux instances de son beau-père. Sa mauvaise humeur avait augmenté depuis qu'il n'avait rien de plus à faire. En allant à l'église, elle ne savait si elle devait dire oui ou non. Elle a dit oui pour éprouver d'autres tourments. Portrait de M. Le Brun, très vif, doux, bon, obligeant ; mais étant passionné pour les femmes de mauvaise vie et pour le jeu, ces deux fléaux lui firent perdre sa fortune, ainsi que celle qu'elle avait acquise. A son retour de Russie, elle ne trouva que des dettes énormes à payer, ce qui lui fit maintenir sa séparation avec lui. Comme elle avait été comprise dans l'émigration, M. Le Brun se sépara d'elle pour conserver son avoir. Madame Le Brun était déjà entourée par les artistes les plus célèbres d'alors. Ménageot, qui demeurait dans la même maison et qui voyait presque tous les jours Madame Le Brun, lui donna d'utiles conseils en peinture. Le charme de son esprit et de sa conversation électrisait. C'était peut-être, me dit Madame Le Brun, l'homme de sa société qui avait le plus de grâce et qui était le meilleur de tous. On prétendit alors qu'il retouchait ses tableaux ; mais la calomnie fut bientôt obligée de se taire en voyant leur manière toute différente de peindre au premier Salon. A cette exposition, elle mit le portrait de la Reine vêtue d'une robe de mousseline blanche que les plaisants appelèrent une chemise. Quelques jours après, Madame Le Brun se trouva au Vaudeville et vit une pièce intitulée, croit-elle, la Réunion des Arts. La Peinture y figurait peignant le portrait de la Reine. On aperçut Madame Le Brun et, malgré sa modestie, elle fut obligée, ayant été reconnue, de recevoir une ovation que le parterre lui offrit. Madame Le Brun donna jusqu'à trois séances par jour, et elle travailla tant pour satisfaire la cupidité de son mari, qu'elle en tomba malade. Elle eut des maux d'estomac violents, on lui conseilla de dormir après dîner, ce qu'elle fit depuis jusqu'à sa mort. Madame Le Brun ne sut jamais ce que c'était que de s'occuper du ménage ou de sa fortune. Un jour, Madame la comtesse de Guiche vint pour se faire peindre et lui dit : Mais, Madame, je ne puis vous donner que mille écus. Madame Le Brun lui répondit sans y penser et tout en peignant : Monsieur Le Brun ne veut pas que je fasse un portrait à moins de cent louis. La comtesse se mit à rire et Madame Le Brun reconnut bientôt son erreur. Après deux années de mariage, Madame Le Brun accoucha. Peu après cet accouchement, M. Le Brun mena Madame Le Brun en Flandre. Elle fut à la Haye, où elle vit plusieurs belles collections de tableaux, et s'étant promenée un jour dans les bois avec son mari, ils rencontrèrent le prince et la princesse d'Orange, qui tous deux avaient l'air très commun. Elle alla à Bruxelles et assista à la vente des tableaux du prince Charles. Elle y vit des dames de la cour qui allèrent au devant d'elle et lui firent mille compliments. C'est là où elle vit pour la première fois le prince de Ligne. Il les engagea ü aller voir des tableaux qu'il avait ; il leur fit voir Belœil, où se trouvait un belvédère qui dominait tous les environs. Le prince de Ligne aimait tant nos spectacles de Paris, qu'il partait de Bruxelles et arrivait pour se trouver à l'heure des représentations et retournait aussitôt à Bruxelles. Elle alla, en 1805, à Londres. A son retour de Londres, elle revint par Rotterdam, ou elle fut obligée de rester quinze jours par ordre du frère de Madame Buonaparte, qui y était préfet, et ensuite passa par Bruxelles. En quittant Bruxelles, elle alla en Northoland ; elle y admira des tableaux de Rubens qui étaient aussi beaux que ceux de notre musée. Elle vit les églises d'Amsterdam et elle alla dans la ville de Sardam, renommée par Pierre le Grand et par des maisons, m'a-t-elle assuré, qui avaient deux portes, l'une pour la naissance et l'autre pour la mort. Elle revint à Amsterdam, où elle admira à l'hôtel de ville le superbe tableau des bourgmestres assemblés fait par Wanoll. Ce n'est pas de la peinture, c'est la nature en repos. A Anvers, elle vit chez un particulier, le portrait d'une des femmes de Rubens. On nommait ce portrait le Chapeau de paille. Elle imita ce tableau et fit sur les lieux son portrait au chapeau de paille. Joseph Vernet la proposa à l'Académie royale de peinture. M. Pierre s'y opposa, ne voulant pas recevoir de femmes. Tous les amateurs associés furent pour Madame Le Brun, et on fit ce couplet contre M. Pierre, qui ne voyait que le maniement de la brosse dans la peinture : Au Salon ton art vainqueur Devrait être en lumière ; Pour te ravir cet honneur, Lise, il faut avoir le cœur Do Pierre, de Pierre, de Pierre. Soirées rue de Cléry. — Après son mariage et pendant la Révolution, Madame Le Brun logeait encore rue de Cléry. M. Le Brun avait envahi tons les appartements par les tableaux et ne laissait à sa femme qu'un atelier et une chambre à coucher qui formait aussi salon. C'est pourtant dans cette pièce simplement ornée, que M. de Champcenetz — dont la belle-mère était jalouse de Madame Le Brun — qualifiait d'appartements aux lambris dorés, que Madame Le Brun recevait tout ce que Paris avait de plus grand. M. de Champcenetz assurait même, me raconta Madame Le Brun, qu'elle allumait son feu avec des billets de banque et qu'elle brûlait du bois d'aloès. On venait en foule, autant pour la connaître que pour entendre l'excellente musique qui se faisait chez elle ; car elle y rassemblait les meilleurs musiciens. Le comte de Vaudreuil, grand amateur de musique, le baron et la baronne de Talleyrand, Joseph Vernet, le vicomte de Ségur, le marquis de Cubières ne manquaient pas ces soirées. Des maréchaux de France, entre autres le maréchal de Noailles. Il arriva quelques fois que, les chaises manquant, ne voulant pas déranger Rubens ou Van Dyck qui se trouvait dessus, tous ces grands personnages s'asseyaient par terre. Comme compositeurs étaient Grétry, Sacchini, Martini, qui chantaient leurs opéras avant de les représenter. Pour le chant c'étaient Garat, Azevedo, Richer. Mademoiselle Todi chantait le bouffe et le sérieux dans la perfection. Madame Rivière, belle-sœur de Madame Le Brun, accompagnait à livre ouvert sur le piano. Musique instrumentale : Viotti, célèbre violon, grâce, expression et force. Jarnewik, Mestrino, le prince lIenri de Prusse, grand amateur. Le beau Marin pour la harpe. Piano : Hulmandel, Cramer. Pour la basse, Janson et Duport. Le marquis de Montesquiou et le maréchal de Ségur assistaient à ces soirées, ainsi que le chevalier de Boufflers, le comte d'Angiviller, le comte d'Antrague, le prince de Ligne et le comte de Grammont, à présent duc. Les peintres Robert Hubert, Brongniart, architecte de la Bourse, Ménageot, l'abbé Lebrun-Pindare. Dans les premiers temps de son mariage, elle fit connaissance avec M. Watelet, grand amateur des arts, bon, liant et doux. Elle passa quelques jours à sa campagne de Moulin-Joli, lieu charmant, pittoresque, etc. Avant la Révolution, ce lieu fut acheté par un commerçant nommé Gaudran, qui lui fit faire quelques mauvais changements. Toutefois il l'invita à aller passer quelques jours avec sa famille à Moulin-Joli. Elle y fut et se trouva de compagnie avec Robert Hubert, dont elle fit sur ce lieu même le portrait, beau portrait, etc. et Lebrun-Pindare, qui y fit son Exegi monumentum. On répandit le bruit que Moulin-Joli était à elle et que c'était M. de Calonne qui lui avait donné ; c'est faux. Madame la Maréchale de Boufflers, qui fit ce couplet : Il ne faut pas toujours parler, Citer, Dater, Mais écouter. Il faut savoir trancher l'emploi Du moi (bis). Voici pourquoi : Il est tyrannique, Trop académique, L'ennui (bis) Marche avec lui. Je nie conduis toujours ainsi Ici, Aussi J'ai réussi. 1789. — L'orage de la Révolution s'avançait de plus en plus sur le beau pays de France, et Madame Le Brun en était déjà si affectée que sa santé en souffrait déjà. M. Brongniart, l'architecte, et sa femme, qui étaient de ses meilleurs amis, la trouvèrent si changée et d'une santé si débile, qu'ils ne voulurent pas qu'elle restât au centre de Paris pendant cette effervescence populaire. Ils l'emmenèrent chez eux passer quelques jours et elle accepta avec d'autant plus d'empressement que l'on avait marqué sa maison de la rue du Gros-Chenet, qu'elle habitait seulement depuis trois mois. Brongniart demeurait aux Invalides même. Tous les soins lui étaient prodigués ; mais quel remède est efficace quand l'esprit n'est point tranquille lui-même, qu'il est affecté ! C'est dans cette maison hospitalière qu'elle eut le bonheur de connaître M. de Sombreuil, qui, après avoir fait creuser un souterrain pour y cacher les armes qu'il avait en dépôt, fut trahi sans doute par les ouvriers mêmes qu'il avait employés. On sait quel fût le sort de cet honnête homme et les épreuves cruelles auxquelles fut mis l'héroïsme de sa fille. Peu après, n'étant bien nulle part, pas même chez Brongniart, Madame Le Brun retourna dans sa maison de la rue du Gros-Chenet. Elle y resta peu de temps et se réfugia dans la maison de M. de Rivière, chargé d'affaires de la cour de Saxe, espérant ainsi trouver un asile sûr chez un ministre étranger. Mais, si le domicile de ce diplomate ne fut pas violé, de son domicile on voyait et on entendait les cris et le feu mis iules barricades peu éloignées de la maison. Enfin, elle résolut de quitter la France ; depuis longtemps elle désirait aller à Rome, mais tous les portraits qu'elle était en train de faire l'en empêchaient. Enfin, comme l'horreur marchait à pas de géant et que les libelles et les menaces ne l'épargnaient pas plus que tant d'autres, elle triompha de sa conscience d'artiste, qui la retenait à Paris, et fit les préparatifs de son départ. Sa voiture était chargée et les adieux étaient presque faits, lorsqu'elle vit entrer dans son salon des hommes armés, la moitié ivres, et mal vêtus ; ils lui enjoignirent de ne pas partir et de rester chez elle. Elle était dans une anxiété cruelle, lorsque deux individus d'un air distingué, et d'un langage choisi, quoique mal habillés, lui dirent à demi-voix : Soyez tranquille, nous sommes vos voisins, nous ne voulons aucun mal ; nous voulons vous donner, au contraire, un bon avis ; feignez de rester, faites décharger votre voiture et prenez incognito la diligence. Ce qui fut dit fut fait. Elle retint trois places, pour la gouvernante de sa fille, pour sa fille et pour elle. Mais elle ne put partir que quinze jours après. Ce fut le 5 octobre à minuit, le jour même où Louis XVI et la Reine furent amenés de Versailles à Paris. M. Le Brun, Robert Hubert et Vigée la conduisirent à la diligence qu'ils suivirent jusqu'à la barrière du Trône. Ce fut en passant le Pont-de-Beauvoisin qu'elle commença à respirer. Pour la première fois, elle était heureuse de n'être plus dans son pays, qui n'était plus pour elle la patrie. Toutefois elle se reprocha cette espèce de joie en quittant la France. Elle n'avait point encore vu de hautes montagnes ; l'aspect de celles de la Savoie lui en imposèrent, etc. Le passage du chemin des Échelles la ravit, etc. David. — Madame Le Brun lui reprocha un jour de ne plus venir à ses soirées. Il allégua qu'il n'aimait pas être trouvé avec des domestiques de condition, faisant allusion aux nobles qui sont presque tous courtisans, et il n'y retourna pas. Cependant il loua sans cesse le talent de Madame Le Brun et le portrait de Paesiello fait à Naples. Ayant été mis à l'exposition à côté d'un portrait par David, celui-ci dit à un de ses élèves : En vérité, on croirait mon tableau fait par une femme et celui de Paesiello par un homme. Ayant vu, dans les tableaux de Raphaël et du Dominiquin, des draperies et des coiffures qui légèrement s'entrelaçaient autour des bras et du corps, commune nos écharpes et turbans, elle donna presque toujours l'attitude et l'expression qui convenaient à leur visage. La première personne qu'elle ait peinte sans poudre fut Madame de Gramont-Caderousse, très jolie femme aux cheveux d'ébène. Elle allait ensuite au spectacle sans poudre et donna ainsi le ton aux autres femmes. La Reine s'opposa toujours à se faire peindre autrement qu'en poudre ; elle craignait d'être en but à la satire en se faisant ainsi remarquer. A différentes époques, elle fit le portrait de la Reine. Elle la recevait avec sa bonté et sa grâce ordinaire. Un jour elle manqua un rendez-vous que lui avait donné la Reine pour une séance, parce que Madame Le Brun avait été indisposée ; le lendemain elle y alla pour s'excuser de sa nonvenue. Elle se présenta à l'huissier de la chambre, M. Campan, et lui demanda à parler à la Reine. Celui-ci, arrogant comme tous les gens en place, la reçut avec un air froid et presque colérique et lui dit : C'était hier, Madame, que la Reine vous attendait ; elle va promener aujourd'hui ; vous avez dû voir sa voiture qui l'attend, et certes elle ne s'amusera pas à vous donner séance. Madame Le Brun insista, disant qu'elle voulait seulement prendre les ordres de la Reine et qu'elle se retirait aussitôt. Tout émue et pensant, avec étonnement toutefois, que Sa Majesté s'était fâchée contre elle, par la mauvaise humeur qu'elle endurait par ricochet de la part de M. Campan, elle fut admise. Mais quelle fut sa surprise, quand elle entendit la Reine lui dire qu'elle ne voulait point qu'elle eût fait une course inutilement ; elle décommanda sa calèche pour lui dominer séance. La dernière séance qu'elle eut de la Reine fut à Trianon, pour son grand tableau où elle est représentée avec ses enfants. Elle termina ce tableau pour le Salon de 1787. Ce tableau fut généralement admiré. Le Roi le voulant voir, le lit exposer dans la grande galerie de Versailles et il en manifesta son contentement au comte d'Angiviller, qui proposa au Roi d'accorder à Madame Le Brun le grand cordon noir. Mais celle-ci, ayant appris la proposition du comte, alla le trouver et le supplia de ne point reparler au Roi de cette distinction, car ses ennemis s'en seraient encore servi pour la calomnier. M. d'Angiviller n'en parla plus et, comme de tout temps, à ce qu'il parait, il a fallu demander une distinction pour l'obtenir, Madame Le Brun n'en obtint pas. Elle fit le portrait du jeune prince Henri Lubomirski, qui lui fut payé 12.000 francs. Il était représenté en Amour de la Gloire et tenait à la main une branche de laurier ; il est à genoux devant un laurier. En 1787, elle joua la comédie, à Gennevilliers, chez M. de Vaudreuil, avec Dugazon, Garat, Cailleau, M. de Rivière et sa sœur, Madame Vigée, dans Rose et Colas — Garat, Colas et Madame Le Brun, Rose — et dans la Colonie — Garat, l'Abbé et Madame Le Brun, Marine —. Elle joua devant le comte d'Artois et la cour avec grand succès. La dernière comédie que l'on joua fut le Mariage de Figaro. Beaumarchais sut triompher de M. de Vaudreuil pour faire jouer sa pièce devant le Roi et la Cour. Il faisait très chaud dans la salle, Beaumarchais cassa les carreaux, ce qui fit dire spirituellement à Madame Le Brun qu'il osa devant la Cour casser deux fois les vitres. Ayant fait le portrait de M. de Calonne, la calomnie redoubla encore ; on fit mille histoires absurdes sur le paie-nient de ce portrait. On disait qu'il avait envoyé des bonbons entourés de billets de banque ; on disait même qu'il avait ruminé le Trésor pour faire ce paiement ; elle aurait donc été bien riche ! Le vrai est qu'il lui envoya une boite valant peut-être cinq à six cents francs, avec 4.000 francs dedans. Ce prix n'a rien d'étonnant, quand on saura que Madame Le Brun venait de recevoir de M. de Beaujon, qu'elle avait peint de même grandeur, la somme de 10.000 francs. Le portrait à mi-jambes de M. de Calonne a fait dire à Mademoiselle Sophie Arnould : Madame Le Brun lui a coupé les jambes, afin qu'il reste en place, et la calomnie : Afin qu'il lui reste fidèle. — Madame de Serre lui emprunta sa voiture et ses chevaux et alla passer la nuit avec, chez M. de Calonne, etc. Madame Dubarry. — Trois ans avant la Révolution, Madame Le Brun alla peindre à Luciennes Madame Dubarry. Elle pouvait alors avoir quarante-cinq ans. Son visage était charmant, ses traits réguliers, gracieux, son regard, celui d'une coquette expérimentée ; son teint commençait à se couperoser ; des cheveux cendrés et bouclés ; bel embonpoint, gorge un peu forte, grande sans l'être trop, parlant avec grâce et esprit. Elle fit son premier portrait où elle est représentée en chapeau de paille, en peignoir de baptiste, qu'elle portait été comme hiver. Tout était recherché dans cette maison ; orfèvrerie aux serrures, marbres, plantes rares, etc. Madame Le Brun retourna pour la peindre encore au milieu de septembre 1789. On entendait souvent le canon gronder. Elle eut peur, revint à Paris, après avoir parfait seulement la tète et tracé sa taille et ses bras, et n'y retourna pas. On sait le sort de Madame Dubarry. Le deuxième portrait de Madame Dubarry est où elle est représentée en satin blanc, le bras appuyé sur un piédestal. Le comte de Narbonne avait le troisième portrait ; il l'a offert à Madame Le Brun. |