AUTOUR DE LA REINE

 

LA REINE ET LE COMTE DE FERSEN.

 

 

PÉRIODIQUEMENT revient, devant une opinion curieuse, la question des liens qui ont uni Marie-Antoinette et le comte de Fersen. On veut savoir le secret de deux âmes qui mériteraient cependant, par leur tragique destinée, de voir respecter les intimités de leur cœur. Les documents publiés en Suède, et à Paris par Mme Söderhjelm, les Mémoires du comte de Saint-Priest, édités par le baron de Barante, permettent quelques points de vue nouveaux sur la question, mais tout l'essentiel se trouvait déjà dans les anciens témoignages.

Pour une telle enquête, il faut éliminer non seulement les pamphlets immondes qui se dénoncent d'eux-mêmes comme mensongers, mais aussi les nouvelles anonymes, les anecdotes colportées sous le manteau, qui enferment parfois une part d'exactitude, mais doivent être contrôlées avec tant de prudence. Ces anecdotes empoisonnent encore l'histoire de Marie-Antoinette, comme celle de toutes les femmes célèbres du XVIIIe siècle.

 

La reine Marie-Antoinette a-t-elle aimé M. de Fersen ? A-t-elle correspondu, par une tendresse passionnée, à celle qui lui fut prodiguée plus tard en dévouement ? A-t-elle fait à un homme, d'ailleurs digne d'elle, le don absolu ? Telle est la question posée ; elle est infiniment délicate, et on ne peut s'attendre à la résoudre pour tous les esprits.

Quelle que soit la réponse, elle ne saurait rien enlever à l'auréole traditionnelle de la Reine martyre. L'admirable figure de souveraine que laissent dans la mémoire les années de la Révolution, a su faire oublier la princesse étourdie, frivole et imprudente de Versailles. Que n'absoudraient pas les épreuves des derniers jours ?

Les plus anciens documents que nous possédons sur les origines du sentiment de la Reine remontent au premier séjour d'Axel de Fersen à la Cour de France, l'hiver qui précéda la mort de Louis XV.

Le 10 janvier 1774, le jeune Suédois, qui a dix-huit ans à peine, assiste au bal de la Dauphine ; le 30 janvier, elle est au bal de l'Opéra, avec le Dauphin et le comte de Provence. Fersen écrit dans son journal : Madame la Dauphine me parla longtemps sans que je la reconnusse ; enfin, quand elle se fit connaître, tout le monde s'empressa autour d'elle et elle se retira dans une loge.

Ce sont deux enfants du même âge qui se sont amusés ; il n'y a pas eu la moindre matière à médisance. Tout au plus, cela leur fera-t-il un souvenir commun, quand le comte reviendra en France et sera reçu par la jeune Reine. Il a vingt-trois ans, lors de ce second séjour. Dès le 26 août 1778, il écrit à son père : C'est mardi passé que je me suis rendu à Versailles, pour être présenté à la famille royale. La Reine, qui est charmante, dit en me voyant : Ah ! c'est une ancienne connaissance ! Le reste de la famille ne me dit pas le mot.

Les lettres du voyageur sont remplies d'éloges de la Reine et de reconnaissance pour les bontés qu'elle lui témoigne. Marie-Antoinette faisait le même accueil à la plupart des étrangers de distinction qui lui étaient présentés. Le jeune homme, sentimental et naïf, se montre ingénument touché des moindres choses : La Reine, écrit-il, qui est la plus jolie et la plus aimable princesse que je connaisse, a eu la bonté de s'informer souvent de moi ; elle a demandé à Creutz — ambassadeur de Suède —, pourquoi je ne venais pas à son jeu les dimanches, et, ayant appris que j'étais venu un jour qu'il n'avait pas eu lieu, elle m'en a fait une espèce d'excuse.

Une autre fois, la Reine a voulu le voir chez elle, avec son uniforme suédois, et il a été flatté de cette fantaisie, à laquelle sa prestance élégante se prêtait fort bien. On peut supposer que la Reine a remarqué surtout, en lui, cette réserve, ce sérieux, qui font un tel contraste avec les manières des petits maîtres de Versailles, et qu'elle a su déjà deviner, sous son enveloppe de jeune courtisan, sa générosité et son courage.

Elle a pu comprendre aussi l'extrême admiration qu'elle inspire, et cette nuance d'adoration à quoi les femmes ne se trompent guère. Marie-Antoinette y est particulièrement sensible ; c'est un trait de nature que saisira finement Rivarol, quand il tentera son portrait : Toujours plus près de son sexe que de son rang, elle oubliait qu'elle était faite pour vivre et mourir sur un trône réel ; elle voulut trop jouir de cet empire fictif et passager que la beauté donne aux femmes ordinaires et qui en fait des reines d'un moment.

Le jeune Fersen a des succès à la Cour et à la Ville où il est de plus en plus recherché. Comme son Roi et comme tous ses compatriotes d'alors, il goûte extrêmement la vie de Paris ; il se lie avec les gentilshommes français qui se préparent à l'expédition d'Amérique ; mais il se plaît surtout à Versailles, et on le voit admis promptement dans la petite société particulière de la Reine.

Bientôt, pendant l'hiver de 1779, la Cour note la bienveillance dont il est l'objet ; on ne manque pas, bien entendu, de l'inscrire sur cette liste, tout entière calomnieuse, qu'on s'amuse à dresser à l'occasion des coquetteries de la Reine.

S'il n'y a pas à s'émouvoir de ces propos, voici un document confidentiel et certain, dont il faut peser chaque parole. C'est une dépêche du comte de Creutz à son maître Gustave III. L'observateur est très sûr, sans nul intérêt à dissimuler la vérité ; c'est, avant tout, un diplomate sérieux qui tient à renseigner exactement son souverain.

Creutz écrit, le 10 avril 1779 :

Je dois confier à Votre Majesté que le jeune comte de Fersen a été si bien vu de la Reine que cela a donné des ombrages à plusieurs personnes. J'avoue que je ne puis pas m'empêcher de croire qu'elle avait du penchant pour lui : j'en ai vu des indices trop sûrs pour en douter. Le jeune comte de Fersen a eu, dans cette occasion, une conduite admirable par sa modestie et par sa réserve, et, surtout, par le parti qu'il a pris d'aller en Amérique. En s'éloignant, il écartait tous les dangers ; mais il fallait, évidemment, une fermeté au-dessus de son âge pour surmonter cette séduction. La Reine ne pouvait pas le quitter des yeux les derniers jours ; en le regardant, ils étaient remplis de larmes. Je supplie Votre Majesté d'en garder le secret pour elle et pour le sénateur Fersen.

Lorsqu'on sut le départ du comte, tous les favoris en furent enchantés. La duchesse de Fitz- James lui dit : Quoi ! monsieur, vous abandonnerez ainsi votre conquête ?Si j'en avais fait une, je ne l'abandonnerais pas, répondit-il ; je pars libre et, malheureusement, sans laisser de regrets. Votre Majesté avouera que cette réponse était d'une sagesse et d'une prudence au-dessus de son âge.

Je ne crois pas qu'il soit possible de se tromper à ce récit : il y a bien, en 1779, une grande passion naissante — et combattue.

 

L'expédition à laquelle le jeune Suédois devait prendre part et que commandait le marquis de Vaux fut dissoute et ne partit point. Après un long séjour au Havre, il revint à Paris assez découragé, et ce fut pendant ce séjour qui dura plusieurs semaines que se resserrèrent les liens d'amitié avec la Reine. Il fut admis aux soupers du petit Cabinet du Roi, faveur qui lui fit plus d'un envieux et il obtint, par l'entremise de MM. de Breteuil et de Vergennes, vieux amis de son père, le grade de colonel à la suite du régiment Royal-Deux-Ponts. Une des lettres à son père publiées par le comte Wrangel montre déjà la qualité des sentiments de celle qui devenait aussi sa protectrice : La Reine, qui en a été instruite par le baron de Breteuil, me dit mille choses obligeantes pour vous et pour moi, et ajoute que la France avait de trop grandes obligations à mon père pour ne pas tâcher de faire tout ce qui pourrait lui être agréable, et qu'elle s'en ferait toujours un plaisir. Elle dit ensuite au baron de Breteuil, que s'il y avait quelque chose que je désirasse dans ce pays-ci, elle tâcherait de me le faire obtenir. C'est une princesse charmante. Elle m'a toujours traité avec bonté, mais depuis que le baron lui a parlé, elle me distingue encore plus. Elle s'est presque toujours promenée avec moi aux bals de l'Opéra, et c'est après cela qu'elle a parlé de moi au baron, et qu'il lui a parlé de vous, mon cher père. Les bontés qu'elle a pour moi et cette place de colonel m'ont attiré la jalousie de tous les jeunes gens de la Cour. Ils ne peuvent pas souffrir, ni comprendre, comment un étranger peut être mieux traité qu'eux. Je vais souvent à la Cour ; ordinairement deux ou trois fois par semaine. Et le jeune homme continue en témoignant de sa reconnaissance pour M. de Breteuil devenu son mentor. La Reine, ajoute-t-il, l'appelle toujours mon papa depuis qu'il lui a parlé de moi.

Ce fut avec l'expédition du marquis de Rochambeau que Fersen put enfin partir. Il s'embarqua en mars 178o, à Brest, à bord du Jason. Il joua un rôle de quelque importance pendant cette belle campagne d'Amérique. Dans ses lettres filiales il se montre très épris de son métier. Il n'y est jamais question de la Reine et sa première pensée au retour, en juin 1783, est pour savoir si Germaine Necker est toujours à marier et s'il peut espérer ce riche parti. On sait que le baron de Staël fut plus heureux que lui dans sa recherche.

On le trouve alors assez souvent en France où il a été nommé par le Roi, sur la demande de son propre souverain, colonel du régiment Royal-Suédois. Il se plaît à Paris où il est très goûté des femmes et passe pour un homme à bonnes fortunes, capable assurément d'une passion durable puisqu'il aura pour maîtresse, pendant des années, Mrs Sulivan. Il est un des hommes de confiance de Gustave III, qu'il accompagne dans ses voyages en Europe. Il reprend, naturellement, pendant ses séjours à la Cour de France, sa place dans la société de la Reine.

C'est là que le retrouve la médisance. Comme il n'y a pas à tenir compte des nouvellistes, comme les échos de Trianon sont d'une discrétion parfaite, qui nous dira si l'absence a enflammé le sentiment d'autrefois, ou si le devoir a su l'éteindre ? Tout ce qu'on peut remarquer, c'est que la Reine se retire peu à peu de sa vie de plaisirs et de futilités ; elle souffre alors plus que jamais d'attaques incessantes, de calomnies à peine voilées, et se console de ses amertumes par les joies maternelles et par la fidélité de ses amis, et vraisemblablement aussi par un sentiment plus profond. Le journal de Fersen, dont les années 1776-1791 ont été brûlées par lui, eût permis sans doute bien des précisions.

M. de Fersen ne paraît pas dans l'affaire du Collier. Il est à Versailles le jour de la clôture de l'Assemblée des Notables, et aussi lors des Journées d'octobre ; il écrit à son père, qu'il a été témoin de tout et quel triste voyage il a fait, pour revenir à Paris, dans une des voitures de la suite du Roi. Il ajoute que le peuple a paru enchanté de voir le Roi et sa famille ; la Reine a été fort applaudie, et elle ne peut manquer de l'être, quand on la connaîtra et qu'on rendra justice à son désir du bien et à la bonté de son cœur.

Par des lettres de cette époque, qui ont été recueillies dans la célèbre publication de M. de Klinckowstroem, on peut juger de l'intérêt qu'eût offert, pour les débuts de la Révolution, le journal que nous avons perdu. Fersen vit alors la Reine tous les soirs, et ses entrevues qui se prolongent fort avant dans la nuit et où les événements de chaque jour fournissent matière à d'interminables conversations n'étaient pas sans prêter à de faciles médisances. M. de Saint-Priest, juge un peu sévère, s'en est scandalisé et nous donne ce détail que la porte particulière par où passait le visiteur avait été dégarnie de sentinelles sur les ordres de La Fayette, assez content de compromettre sa souveraine.

Le comte se mit bientôt tout entier au service de la famille royale, et fut pour elle l'émissaire le plus dévoué, le négociateur le plus infatigable et aussi le conseiller des heures difficiles.

Au moment de la fuite de Varennes, c'est lui qui expédie les ordres du Roi, déchiffre les dépêches, pourvoit aux dépenses et aux avances d'argent. Tout le monde, d'ailleurs, connaît son rôle en cette fameuse nuit du 20 au 21 juin 1791, qui le sépara de la Reine, après la sortie de Paris.

A Bruxelles, où il s'est fixé, il ne cesse d'agir en faveur des malheureux souverains ; il expédie leurs lettres confidentielles et les tient au courant des nouvelles politiques, des projets tentés pour leur délivrance. Il fait passer ses avis à Marie-Antoinette par des voies sûres, tantôt dans un paquet de thé ou une boîte de biscottes ; tantôt, dans la doublure d'un chapeau ou d'un vêtement.

Cet ami si ardent n'est pas toujours bien inspiré ; il se fait d'étranges illusions ; mais la Reine l'écoute toujours plus que les autres, et leur correspondance, qui a été publiée et qui est une des plus attachantes qu'on puisse lire, témoigne d'une confiance aveugle et passionnée.

 

Les originaux des lettres de la Reine contiennent, comme on le sait, des mots et des passages raturés avec soin par le destinataire. La publication, faite avec une parfaite loyauté, indique ces mots et ces passages par des points.

Ces ratures mystérieuses, qu'il n'est guère possible d'expliquer, ont été exploitées naturellement contre la vertu de Marie-Antoinette.

Je crois, pour ma part, que les passages détruits sont de pure tendresse. L'examen attentif du contexte, montre bien que c'étaient les plus intimes et qu'ils contenaient des expressions d'affection vive.

Que le sentiment de la Reine pour M. de Fersen était connu et respecté des initiés, nous en avons la preuve dans deux lettres d'elle au comte Valentin Esterhazy. Elles datent précisément de l'époque douloureuse qui suit le retour de Varennes, et Ernest Daudet les a insérées dans sa préface aux mémoires d'Esterhazy. Celui-ci, ne l'oublions pas, est du très petit groupe de Trianon, et, en même temps, un des principaux obligés de Marie-Antoinette, un de ceux qui lui doivent tout et sur la fidélité de qui elle peut compter absolument.

Le 11 août 1791, prisonnière aux Tuileries, elle lui écrit sa position affreuse, son isolement, le besoin qu'elle a de recevoir des nouvelles ; elle prie qu'on lui en envoie quelquefois en chiffres ; elle ajoute, enfin, sans nommer personne : Si vous lui écrivez, dites-lui bien que bien des lieues et bien des pays ne peuvent jamais séparer les cœurs ; je sens cette vérité tous les jours davantage. Pour la Reine et ses amis, lui, c'est M. de Fersen.

Le 5 septembre, elle fait tenir à Esterhazy deux anneaux d'or, de ces anneaux fleurdelisés qui portaient une devise royaliste :

Je suis charmée de trouver cette occasion pour vous envoyer un petit anneau qui, sûrement, vous fera plaisir. Il s'en vend prodigieusement ici depuis trois jours, et on a toutes les peines du monde à en trouver. Celui qui est entouré de papier est pour lui ; faites-le bien tenir pour moi. Il est juste à sa mesure, je l'ai porté deux jours avant de l'emballer. Mandez-lui que c'est de ma part. Je ne sais où il est ; c'est un supplice affreux de n'avoir aucune nouvelle et de ne savoir même pas où habitent les gens qu'on aime...

 

On peut maintenant, si je ne me trompe, donner leur signification véritable à quelques passages des lettres à Fersen qui ont échappé à la vigilance de la destruction, par exemple dans celle du 7 décembre de cette année. La Reine parle à son ami de l'indiscrétion de Coblentz, des fâcheux projets de M. de Mercy et des dangers qui l'environnent elle-même. Elle ajoute :

Il est absolument impossible que vous veniez dans ce moment ; ce serait risquer notre bonheur, et quand je le dis, on peut m'en croire, car j'ai un extrême désir de vous voir.

On pensait, jusqu'à ce jour, que ce désir n'avait jamais été exaucé. Un fragment nouveau du journal de Fersen, qui vient d'être publié par Mme Soderhjelm, nous a appris un voyage secret de Fersen à Paris en février 1792. Il avait à s'entretenir avec les souverains français des matières les plus délicates, donner ses avis et prendre leurs ordres. Il part pour Paris le ri février avec son ordonnance, déguisé en courrier diplomatique et porteur de dépêches fabriquées pour le roi de Portugal. Arrivé le lundi 13 à 5 heures et demie, il cherche d'abord à rencontrer Goguelat, secrétaire de Marie-Antoinette, qui ne rentre chez lui qu'à 7 heures. Aussitôt, il se rend aux Tuileries et y entre par la porte réservée, qu'il n'a pas franchie depuis près de huit mois, courant plus d'une fois le danger d'être arrêté sur le trajet. Ici son journal note : Allé chez Elle ; passé par mon chemin ordinaire ; peur des gardes nationaux ; son logement à merveille ; resté là. On devine l'accueil empressé des femmes de chambre de la Reine autour du visiteur inattendu et comment celle-ci s'oppose à le renvoyer dans la nuit, les périls de la sortie étant plus grands que ceux de l'entrée. Après une longue, très longue causerie, le voyageur achève la nuit dans l'appartement. Il a le temps dans la journée du lendemain de recueillir tous les détails de la fuite de Varennes, tous les éclaircissements sur la situation présente et d'exposer les plans de son maître Gustave III, qui conseille au souverain français de tenter une nouvelle évasion. Marie-Antoinette a déjà discuté de tout avec lui lorsqu'il est admis auprès du Roi, le mardi 14, à six heures du soir. Nous avons tout le détail de ses conversations avec Leurs Majestés qu'il quitte en leur laissant croire qu'il poursuit son voyage vers l'Espagne, jusqu'à Orléans ou Tours, pour donner vraisemblance officielle aux prétextes de son voyage. En réalité, il ne quitte point Paris ; il se rend dans la maison de M. Crawford où il reste à l'insu de celui-ci, caché par Mrs Sullivan. Il quitte sa maîtresse le 21 et repart pour Bruxelles sans avoir revu la Reine, n'ayant pu recevoir d'elle qu'un billet d'adieu et des papiers politiques.

L'épisode qui vient d'être brièvement raconté peut donner lieu à des interprétations diverses. On y voit quelles circonstances obligèrent Fersen à dissimuler à la Reine plusieurs détails de son voyage, et en même temps quelles preuves nouvelles de dévouement il lui donnait en risquant sa vie, compromise depuis Varennes, pour apporter à la famille royale une dernière espérance de liberté. Cette suprême entrevue, même avec le mystère un peu choquant du séjour chez Mrs Sullivan, fait une page émouvante de cette histoire. Elle est la dernière accalmie avant les péripéties qui vont se précipiter et mener ces cœurs aux dernières épreuves.

Le journal de Fersen continue. On y voit surtout les efforts suprêmes tentés par son dévouement, ses démarches sans trêve auprès des princes, de l'Empereur, du Roi de Prusse, des électeurs allemands, sa correspondance avec Gustave III et la grande Catherine. La catastrophe du 21 janvier l'accable ; mais il garde jusqu'à la fin l'espoir de sauver la Reine.

Le 20 octobre 1793, à Bruxelles, il apprend l'exécution. Il va pleurer avec Mme de Fitz-James, avec le baron de Breteuil : C'est le 16, à onze heures et demie, que le crime a été commis, et la vengeance divine n'a point éclaté sur ces monstres ! C'est le mot des royalistes, de ceux, du moins, qui ont aimé la Reine.

Le lendemain, dans cette âme de feu, l'émotion s'exalte ; elle devient trop forte et laisse éclater l'aveu :

Je ne pouvais penser qu'à ma perte ! Il était affreux de n'avoir aucun détail positif, qu'elle ait été seule dans ses derniers moments, sans consolation, sans personne à qui parler, à qui donner ses dernières volontés. Cela fait horreur. Les monstres d'enfer ! Non, sans la vengeance, jamais mon cœur ne sera content.

 

LE COMTE AXEL DE FERSEN, miniature de HALL