SOMMAIRE. — I. - Considérations générales sur la nécessité de connaître le latin pour savoir le français. — II. - César. - Son caractère. - Ses Mémoires. — III. - Sujet des Mémoires de César. - Intérêt de ce sujet pour un lecteur français. — IV. Des qualités des Mémoires de César. I. — CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LA NÉCESSITÉ DE CONNAITRE LE LATIN POUR SAVOIR LE FRANÇAIS. En montant dans la chaire d'éloquence latine, au sortir d'un enseignement qui avait pour matière l'histoire de la littérature française[1], je ne change pas de sujet. Je vais reconnaitre les premiers modèles de l'esprit français, et visiter la plus abondante des sources de notre langue. Étudier le latin, c'est en effet reculer l'étude du français jusqu'à ses éléments primitifs, jusqu'à l'origine d'où notre langue a tiré les grands caractères qui l'ont faite héritière de l'universalité des, langues grecque et latine. Je ne fais pas ici une spéculation arbitraire, je ne parle pas de mon chef : j'exprime un fait dont tous les esprits cultivés en Europe sont d'accord, et que les plus éminents attesteraient tous en langue française, s'ils y étaient conviés. Et ce fait est une réponse invincible à ceux qui veulent retrancher le latin de l'éducation publique, ou, ce qui revient au même, ne lui faire que la part d'une connaissance accessoire. Regardez ce qu'ils proposent de vous dérober : la connaissance de votre langue ! Un de mes collègues et amis, dont vous avez applaudi souvent le savoir ingénieux et sûr, M. Ampère, a dit devant vous : Les mots latins sont la langue française elle-même ; ils la constituent. Il ne peut donc être question de rechercher quels sont les éléments latin du français. Ce que j'aurai à faire, ce sera d'indiquer ceux qui ne le sont pas. Et encore : La grammaire française est
entièrement latine. Le fond du vocabulaire l'est également. L'immense majorité
des mots français a une origine purement latine. Ainsi, voilà ce qu'on veut que vous ignoriez. C'est plus de la moitié de votre langue ; à moins qu'on ne prétende savoir une langue quand on ne la sent pas. Or, on ne sent une langue qu'autant qu'on en perçoit, la force étymologique. Cela est d'une vérité saisissante, pour un très-grand nombre de mots dont l'origine est une image qui peint la pensée, et non simplement un signe arbitraire qui ne fait que l'indiquer. Fermer les livres latins, ce serait fermer la plupart des livres français aux plus beaux endroits. En effet, les plus délicates beautés d'expression de nos grands écrivains sont le plus souvent latines. Quelques-uns d'entre eux ont le tour d'esprit entièrement latin par exemple Montaigne, qui, à l'âge de sept ou huit ans, se déroboit, dit-il, de tout autre plaisir pour lire les Métamorphoses d'Ovide, d'autant que le latin lui estoit langue maternelle. Et il ajoute (tout le passage
est bon à citer) : Car des Lancelot du Lac,
des Amadis, des Huons de Bordeaux, et tels fatras de livres à
quoy l'enfance s'amuse, je n'en cognoissoys pas seulement le nom, nv ne foys
encores le corps, tant exacte estoit ma discipline. Ses précepteurs,
parmi lesquels étaient. Buchanan et Muret, deux savants supérieurs, craignoient, dit-il, de
l'accoster, tant il avoit le latin prest et à main[2]. Je sais qu'on peut ne pas lire Montaigne ; mais, si on le lit, on n'en peut tirer plaisir et profit qu'à la condition de savoir la langue dans laquelle il a pensé d'abord, et qui a été sa langue maternelle. Au XVIIIe siècle, tous les écrivains sont marqués de l'empreinte latine : les meilleurs ne sont-ils pas les plus latins ? Descartes compose d'abord en latin, puis se traduit lui-même ou se fait traduire en français. Pascal, Bossuet, ont transporté dans le français les plus grandes hardiesses du latin. Nicole, traduisant les Provinciales en latin, trouvait des analogies pour chaque phrase. Quelques volumes théologiques de Bossuet sont tout entiers en la ! in, et tout ce qu'il y a mis de philosophie morale semble extrait de Cicéron ou de Sénèque. Plus tard, Rollin s'excusera naïvement d'écrire ses histoires en français, n'étant pas sûr que le latin ne nous soit pas, comme dit Montaigne, plus maternel que le français. N'allons pas jusqu'à cette superstition ; mais ne fermons pas les yeux à cette coexistence et à cette pratique simultanée des deux langues chez tous les écrivains d'élite aux XVIe et XVIIe siècles, et, sauf exceptions, au XVIIIe. J'attribue à des études latines ou trop faibles, ou abandonnées irrévocablement au sortir des écoles, l'indifférence dommageable qui fait négliger ces grands écrivains. Ce n'est pas la matière qui s'est refroidie. Cette matière n'est-elle pas d'un intérêt éternel ? Il s'agit de l'homme, de ses passions, de ses misères, de l'obscurité de sa destinée. Nous ne cesserons de nous y intéresser qu'en cessant de nous intéresser à nous-mêmes. Nos infidélités envers nos grands maîtres viendraient plutôt de l'idée que d'autres en ont su davantage sur ce sujet, ou qu'ils y ont découvert du nouveau. Mais la principale cause est que, ne sentant pas, faute de savoir, toute la force de leur langue, nous n'arrivons pas à saisir toute leur pensée. Une partie nous en échappe. Or, cette par-Lie en est souvent le point vif. Nous glissons donc sur telle beauté délicate et cachée qui saisira et charmera un lecteur instruit dans la langue ; telle note que nous n'avons pas entendue va le remuer-au plus profond de son âme. N'est-ce pas aussi faute de posséder ou d'entretenir cette connaissance des origines et des traditions de notre langue, que nous-mêmes nous parlons ou écrivons avec si peu de propriété et de précision ? Quand cette connaissance manque, l'on parle ou l'on écrit d'après l'usage. Mais, s'il est vrai que l'usage soit le régulateur des langues, encore faut-il, comme l'a fait Vaugelas, distinguer le bon usage du mauvais. Or, aux époques où l'usage est mauvais, — et qui peut nier qu'il n'y ait de ces époques ? — tout ce qu'on reçoit de l'usage, qui alors n'est que la mode, est mauvais ou au moins défectueux. Ainsi, de notre temps, nous aimons beaucoup tes, mots qui font image, et il s'est établi à cet égard mi usage funeste la langue. On craint d'en trop peu dire ; soit qu'on parle ou qu'on écrive, on vise au mot qu'on juge le plus expressif, et qui nous donnera la réputation fort recherchée d'avoir beaucoup d'imagination et une âme passionnée. De là ces mots qui prétendent faire voir avec les yeux du corps, que dis-je ? faire toucher du doigt les pensées, et qui sont ou sans proportion avec le sujet, ou en contradiction avec le caractère et le tempérament de ceux qui s'en servent. D'où vient ce vice, sinon de l'ignorance où l'on est de l'étymologie de ces mots ? On sait seulement qu'ils plaisent, et cela suffit. Mais combien de temps plairont-ils ? Le temps que durera telle mode d'habit. On pourra parler successivement dans sa vie cinq ou six langues à la mode ; on n'aura jamais eu de langue à soi. Faut-il donc être savant pour parler ou pour écrire avec justesse ? Sans doute. Et à quelle époque en a-t-il été autrement ? Croyez-vous que cette simplicité et cette pureté irréprochable de nos bons écrivains ne leur ait conté aucune étude, et qu'une langue si parfaite ait coulé de leur plume sans effort ? Non ; tous ces hommes ont été savants en leur langue ; ils étaient rompus à la comparaison du français et du latin, et, comme le musicien consommé, ils savaient la valeur de toutes les notes avant de faire chanter l'instrument. A la vérité, il ne s'agit pas pour nous d'être de grands écrivains ; mais nous pouvons et devons désirer d'être des personnes capables de se rendre compte de leurs pensées. Or, c'est à la condition de posséder, dans une mesure appropriée, le savoir de ces grands maîtres de la langue. Quand on parle et qu'on écrit, non d'après l'usage auquel nous attire l'esprit d'imitation, mais d'après la connaissance qu'on a du sens des mots, on parle avec justesse, et, quand il le faut, on écrit bien. Une étude élémentaire, je ne dis pas philologique, du latin, nous apprenti donc d'une part à mieux sentir les beautés de notre langue, d'autre part à ne point parler ni écrire au hasard. Ce sont ces deux avantages que veulent nous enlever les ennemis des études latines. Ils obtiendraient plus qu'ils ne veulent : ils nous amèneraient à ignorer le génie même de notre pays. Cette gravité, ce sens pratique, cet air de grandeur qu'on admire dans les productions du génie français, ce sont des qualités romaines. Il y a un mot qui sonne à l'égal du fameux civis Romanus sum, c'est le mot : je suis Français. C'est une pensée romaine de vouloir que la société française serve de type à toutes les autres ; c'est, une ambition romaine de vouloir que Paris, comme Rome, soit la capitale de l'univers. Je sais qu'il y a des esprits qui voient dans cette ressemblance une marque d'imitation et une livrée de servitude, comme si l'on imitait. la raison, le sens pratique, comme si la grandeur se copiait. Qui donc a empêché les autres nations de prendre ces caractères ? Rome, en mourant, n'avait point désigné d'héritier. Chaque peuple a pu l'être ; mais celui-là-seul a hérité de Rome qui s'est trouvé de taille à reprendre ses idées, son esprit d'universalité, et cette ardeur de civiliser qui n'est que le désir de faire prévaloir partout le juste sur l'injuste, le droit sur la force, l'esprit sur la matière. Ces jaloux de l'originalité d'une nation, qui aimeraient mieux la voir dans l'étroite dépendance du sol qu'elle habite, que s'en rendant libre par la pensée, qui auraient préféré l'esprit gaulois à l'esprit français, ne s'aperçoivent pas qu'ils sont plus imitateurs que les partisans des études latines, car ils imitent un goût à la mode, et qui passera comme il est venu ; et nous, amis du latin, nous nous rangeons à notre tour, après nos aïeux et nos pères, et par la libre adhésion de notre jugement, à une tradition antique, à la plus vivace de nos coutumes nationales, et nous ne voulons pas retrancher l'une des deux mamelles nourricières qui ont allaité tout ce qui, depuis trois cents ans, a été grand et fort dans notre pays. Les Romains, qui cependant n'avaient pas une' médiocre idée d'eux-mêmes, étaient moins jaloux de leur originalité nationale que ces personnes ne le sont de la nôtre. Dans l'éducation de leurs enfants, l'étude de la langue grecque précédait celle, de la langue maternelle. C'est dans le même esprit qu'ils formèrent successivement leur constitution militaire d'un choix de règles et d'usages empruntés aux peuples qu'ils avaient vaincus. Vous semble-t-il donc que la légion romaine ait manqué d'originalité ? A la vérité, dans les rapports de Rome avec les autres peuples, la langue latine était seule admise ; on haranguait en latin la Grèce vaincue, et on sut mauvais gré à Cicéron d'avoir parlé un jour en grec aux Athéniens. Nous, nous n'avons à cet égard aucune violence à faire à personne. Plus heureux que les Romains, qui imposaient le latin par la force, les autres nations nous empruntent le français pour communiquer entre elles, et dans les grands conseils de l'Europe c'est dans la langue de nos ambassadeurs qu'on délibère et qu'on prend les résolutions. Pourquoi ce soin de la langue grecque chez les Romains ? était-ce donc imitation ? abdication du génie national ? Non, pas plus que chez nous l'étude du latin n'a été une abdication de l'esprit français. La lumière était de ce côté ; leurs yeux la virent et en furent charmés. La Grèce vaincue, dit Horace, se rendit maitresse de son farouche vainqueur. Gracia capta ferum victorem cepit... Les Romains reconnurent que ce qu'ils cherchaient était trouvé ; ils ne s'avisèrent pas qu'en fermant systématiquement leurs oreilles et leurs yeux aux séductions de la Grèce captive, ils arriveraient par leurs propres forces, et après quelques générations de plus, à la même perfection des arts, avec la gloire de leur originalité sauvée. ils étaient impatients de s'approprier ces richesses de l'esprit ; ils en pressaient la conquête, et le plus entêté de ce qu'on appelait alors le vieux Latium, le plus ennemi de la mode qui fût au monde, Caton l'Ancien, apprenait le grec à quatre-vingts ans. C'est à l'exemple de Caton qu'au temps de la renaissance des vieillards se pressaient autour des chaires nouvellement créées, ne voulant pas mourir sans s'être retrempés et rajeunis dans ces vives sources de tout savoir humain. Avant cette époque, et pendant toute la durée du moyen âge, notre nation n'avait pas été un seul jour sans communication avec le latin. Dans l'enfantement si laborieux de la France, le peu qui perce de lumières de philosophie et de droit vient du latin. C'est en latin que sont consignées toutes les paroles par lesquelles on se lie et on enchaine sa volonté, serments, promesses, garanties civiles et politiques ; c'est dans cette langue que disposent les mourants et que les morts sont obéis. Les docteurs et les philosophes se servent du latin pour parler à la conscience de l'homme et pour l'entretenir de sa nature et de sa destinée ; quelques-uns même mûrissent avant le temps par la vertu de cette culture latine, et témoignent à la fois et de notre aptitude à penser en latin, et du noble désir qu'éprouve l'homme, à toutes les époques, de savoir tout ce qui a été su de l'homme. Au temps de la renaissance, une grande faveur attire les esprits à l'étude de la langue grecque ; en la persécutant comme langue schismatique, nous eût faits Grecs par esprit d'opposition, si nous avions pu l'être ; Mais le génie latin l'emporte sur le génie grec, et le premier écrivain supérieur où la France d'aujourd'hui admire une première image de son propre esprit, c'est Montaigne, qui, à huit ans, parlait le latin à embarrasser Muret et Buchanan. Cette vie en commun des deux langues pendant tant de siècles n'est pas, remarquez-le bien, l'ouvrage de la force imposant un langage étranger au génie d'un pays qui le repousse. La conquête un jour apporta dans les Gaules un langage nouveau. Les idiomes germaniques y firent irruption à la suite des Francks. Le latin, qui était vaincu, leur résista et les conquit. Je sais bien que ce latin, que les Francks trouvèrent établi, avait été introduit par la conquête dans les Gaules devenues romaines, et que l'épée de César nous l'avait inoculé ; mais nous ne l'avons reçu si facilement que parce qu'il convenait à notre génie, et j'oserais dire parce que nous y avons reconnu notre bien. César, en un endroit de ses Mémoires, parle de l'habileté des Gaulois à imiter les inventions romaines. Apparemment il n'a pas, pensé les rabaisser par là ; car qu'imitaient-ils des Romains, sinon ce que les Romains avaient, imité des peuples grecs ou italiques, c'est-à-dire les-moyens d'attaque et de défense ? Vaincus et incorporés à l'empire, ils imitèrent bientôt sa langue, la jugeant meilleure pour rendre leurs pensées. La conquête des Saxons par Guillaume de Normandie fut plus complète et plus radicale que celle des Gaules par César ; la veille, l'Angleterre était Saxonne : te lendemain, elle se trouva Normande : et pourtant le saxon a prévalu dans la langue anglaise. En Gaule, les choses se sont passées autrement. On subit l'administration de Rome, on alla au-devant de sa langue. D'après le portrait que César a tracé des Gaulois, on comprend tout d'abord comment l'aversion naturelle pour les conquérants ne leur fit pas haïr la langue victorieuse. Peuple ingénieux, vif, mobile, les Gaulois avaient trop d'idées pour leurs grossiers idiomes ; les Romains leur apportèrent de quoi exprimer ces idées ; ils naquirent ainsi à la vie intellectuelle le lendemain de la vie barbare. C'est donc le français qui recevrait le coup le plus rude, soit d'une diminution du temps que l'on consacre au latin dans le cours des études, soit d'une modification quelconque qui le réduirait aux proportions d'une étude accessoire. Si le français est en effet la langue de la civilisation moderne, la langue dans laquelle se font les affaires de l'esprit humain, son autorité doit are de quelque intérêt pour nous. C'est la plus belle partie de notre domaine ; c'est par là que nous ne cessons pas de faire des conquêtes dans le monde au profit de la raison. Eh bien, ôtez à cette langue le prestige de son antiquité ; que reste-t-il pour la défendre ? La grammaire ? Belle barrière contre l'usage, quand l'usage est devenu une fureur de changement ! Opposer la grammaire A l'usage, c'est opposer un pédagogue à un fougueux jeune homme. Les vocabulaires ? Il en est un officiel que recommande l'autorité du corps illustre dont il est l'ouvrage ; mais croit-on au Dictionnaire de l'Académie ? On consulte beaucoup plus ces vocabulaires industriels qui étendent la langue et engendrent indéfiniment des mots, flattant ainsi notre penchant A croire que nous avons plus d'idées que la langue n'a de signes pour les exprimer. N'est-ce pas une recommandation, pour un dictionnaire, de contenir plus de mots que ses devanciers ? La glorieuse Aiche quand on en peut promettre plusieurs milliers ! Il reste les exemples des chefs-d'œuvre. D'abord, il n'est pas inouï qu'on les ait contestés. Ils le seront bien plus encore le jour où l'on n'apprendra plus la langue sur laquelle ils se sont modelés, et où leurs beautés ne seront plus senties. Mais fût-on d'accord pour y voir les vraies traditions de la langue, ce ne serait pas trop pour protéger cette langue de l'autorité de deux traditions réunies, son origine et ses chefs-d'œuvre : ce sont deux lignes de défense derrière lesquelles je la trouverais plus à l'abri. Elle est si belle, cette langue française, par sa sévérité même qui fait qu'elle né soutient que des choses sensées, efficaces, durables ; par son honnêteté, oserais-je dire, qui la rend rebelle au charlatanisme, à la déclamation, à tout ce qui va au delà du vrai ; par sa clarté, qui nous force à tirer nos pensées du fond de nous-mêmes, et à les amener à la pleine lumière ; elle est si amie 41e notre liberté, dans sa rigueur même, en défendant notre raison, par laquelle seule nous sommes libres, contre les servitudes de notre imagination et de notre tempérament ! Nous l'avons, non point produite tout entière, mais reçue en grande partie de la plus grande nation de l'antiquité et transformée par le génie qui nous est propre, sans lui ôter les qualités qu'elle tient de son origine ; nous devons la rendre au genre humain, avec ce qui nous est venu de la ville éternelle et avec ce qui lui est venu de nous. Héritière d'une langue universelle, ne la. laissons Pas déroger de son privilège d'universalité. Le dirai-je ! c'est l'amour du français qui m'attache au latin ; et c'est, à cause de cette parenté directe des deux langues que je considère les chaires de latinité au Collège de France comme des chaires nationales. II. — CÉSAR ; SON CARACTÈRE ; SES MÉMOIRES. Je commencerai par les historiens et par le premier, dans l'ordre des temps, qui ait laissé un monument historique complet, César. Mon plan ne me l'eût pas indiqué que mon penchant m'eût amené vers lui. C'est en effet par César que le latin s'est introduit dans notre pays. C'est lui qui a montré à ce pays, devenu la France, une première image de la civilisation dans le spectacle d'une armée disciplinée marchant comme un seul homme sous la conduite d'un chef de génie. Nos souvenirs des cinquante dernières années nous ont familiarisés avec la matière et avec le héros. N'avons-nous pas épuisé toutes les calamités et toutes les grandeurs de la Rome contemporaine de César ? Guerre étrangère, guerre civile, une vieille société détruite et remplacée, un essai d'empire universel, un autre César, rien n'ii manqué à la ressemblance. Nous avons notre histoire pour annoter les Mémoires de César. L'étude de ces Mémoires offre un double intérêt : l'homme, l'intérêt du sujet. Quel homme fut à la fois plus extraordinaire et plus séduisant ! Il ne parait pas un moment étourdi par sa fortune, ni pressé, ni inégal. N'est-ce pas même parce qu'il n'est point impatient, qu'il fait toutes choses si à point ? Véritable héros, quand son âme s'attache à un objet, son corps ne lui est d'aucun obstacle. Ainsi ce délicat dont Sylla suspectait la tunique à la ceinture lâche, et qui relevait comme les femmes les bords de sa toge, pour n'en point gâter les franges, traversait les fleuves à la nage, marchait la tête découverte, par l'orage et la pluie, faisait cent milles en un jour, se frayait un passage à travers les neiges des Cévennes, et conduisait une armée où les pâtres se traçaient à grand'peine un sentier. Avec le inonde entier sur les bras, il n'est jamais tendu ni haletant, et, si l'on me passe l'expression, dans les moments les plus pressants il trouve toujours du temps à perdre. Pendant que les Égyptiens le tiennent assiégé dans un quartier d'Alexandrie, il se fait enseigner l'astronomie par leurs prêtres, dans de doctes festins où il savait être plus sobre qu'Alexandre. Plusieurs fois le vieux parti républicain a eu sur lui l'avantage du temps, si décisif à la guerre ; mais César savait de ses ennemis plus que leurs desseins, il savait leurs caractères et leurs humeurs, et sa fortune fut surtout sa connaissance parfaite de ce que ses ennemis pouvaient oser. Il aimait les lettres, non par distraction ni pour affecter tous les genres de supériorité, mais d'un amour vrai, que l'étude et la pratique avaient rendu savant et délicat. On ne lui eût pas dit, comme à l'autre César assistant à une œuvre de musique et n'y remarquant que le bruit : Votre Majesté aime la musique qui ne l'empêche pas de s'occuper d'affaires. César n'avait pas d'affaires quand il s'occupait de lettres. Qui croirait qu'au plus fort de ses difficultés, entre la guerre d'Afrique, où mourut Caton, et la-seconde guerre d'Espagne, où devait mourir le fils de Pompée, il trouvait du loisir pour réfuter par écrit l'apologie que Cicéron avait faite de Caton ? Si ce n'était qu'un acte politique, je m'en étonnerais moins ; mais il y avait là mie lutte littéraire : l'art V était la véritable cause ; le sujet n'en était que le prétexte. La preuve, c'est que les deux rivaux se complimentent réciproquement. César avoue que la lecture répétée de l'ouvrage de Cicéron l'a rendu plus abondant. Cicéron, à son tour, loue César de la beauté de sa pièce, sans flatterie, écrit-il à Atticus, et pourtant de façon que rien ne lui fût plus agréable à lire[3]. La mort, même de ce grand homme a quelque chose, de touchant, par son mépris pour les avis qu'il avait reçus d'une conjuration contre sa vie. Était-ce magnanimité, et ce sentiment qui faisait dire à Danton, menacé du bourreau de Robespierre : Il n'oserait ? Ou n'était-ce pas plutôt indifférence et fatigue après avoir épuisé toutes les fortunes humaines ? J'inclinerais à le croire, parce que c'est une grandeur plus rare que la première. L'effort violent qu'il aura eu à faire pour sauver sa vie, le sang qu'il eût fallu répandre, ces meurtres que n'aurait pas justifiés sa légitimité de si nouvelle date, auraient pu faire ressembler à un tyran vulgaire le plus magnanime des hommes. Cette mort, arrivait d'ailleurs si à propos ! car, plus lieu-Feux que l'autre César, celui-ci mourut son œuvre achevée, et cette œuvre lui survécut. En poignardant son vainqueur, la vieille aristocratie romaine laissa sa vie dans la blessure. Ses vices, quoique détestables, même aux yeux de la morale de son époque, n'ont pu le rendre odieux. C'est qu'on sent qu'il les dominait, et que c'étaient moins des entraînements pervers que des servitudes de son temps et de son rang dont il tirait parti en s'y laissant aller. Ainsi, il se servit de ses débauches, tantôt pour se dérober à Sylla, qui le devinait et qui voulait, en le tuant, en délivrer par avance le parti de l'ancienne république, tantôt pour se faire des partisans parmi la jeunesse licencieuse et obérée. Lui-même s'obérait pour prêter, donnant à ses créanciers hypothèque sur ses futures victoires ; mais, dans aucun genre de corruption, César n'innova. Il se servit des mœurs d'alors ; il ne les fit pas. Le seul vice où il ail surpassé ses contemporains, ce sont ses dettes, dont le chiffre épouvante ; mais une partie de l'odieux en doit être renvoyé aux prêteurs d'argent, lesquels, en prenant des gages sur son ambition, l'irritaient et la dépravaient. J'admire même qu'à une époque où nulle force morale ne soutenait personne, ni le respect des vieilles formes républicaines que leur impuissance avait déshonorées, ni la religion qui n'était plus qu'un usage, ni la conscience publique que les violences avaient pervertie, il ait été meilleur que son temps, même dans ses vices. Cruel à la guerre, il ne le fut ni autant ni aussi souvent que le droit de la guerre d'alors le lui aurait permis, et il le fut de sang-froid, par une politique qu'on fait bien de trouver mauvaise, plutôt qu'en homme passionné qui cède à la colère ou la vengeance. Cette sorte de cruauté qu'engendre le dépit ou la faiblesse, il la laissa au parti de Pompée, lequel osa menacer ses adversaires des exterminations de Sylla, sans que César y répondit par la menace des représailles de Marius. Dans ce petit nombre d'hommes rares entre tous que compte l'histoire, et au-dessus desquels il ne s'élève aucune tête, le seul peut-être qui ait du charme, c'est César. Sa grandeur est toujours aisée et naturelle : nul effort pour paraître ; rien d'emprunté ni de théâtral ; nul air de parvenu, même au faite du pouvoir suprême, où il semble être arrivé comme de plain-pied. Il n'y a pas un héros duquel on puisse dire, comme de César, qu'il ne le fut ni trop en public, ni trop peu dans le privé. De là ce charme que ses contemporains ont senti, et que sentent encore, après dix-huit siècles, ceux qui lisent ses écrits. J'en vois 'l'aveu, ou plutôt j'en reconnais l'impression claie la correspondance de Cicéron, lequel- se débattit plusieurs années entre la séduction du vainqueur des Gaules et les engagements de sa vie passée, n'osant pas s'interroger sévèrement là-dessus, ayant besoin des autres pour haïr César, n'ayant qu'à être de son avis pour l'aimer. Il en a fait en plusieurs endroits des éloges qui pourraient se résumer en ce mot de charme, qu'il semble n'avoir pas osé écrire. Il faut prendre garde que cette séduction ne corrompe notre jugement. Faisons donc toutes les réserves sur les vices de ce grand homme ; mais, cette précaution prise, ne craignons pas de l'admirer. L'admiration pour les grands hommes est bienfaisante : c'est la seule chose qui nous apprenne notre mesure ; car, de même que nous ne sentons jamais mieux notre petitesse qu'en passant devant quelque édifice élevé, de même, quand, par le commerce des lettres, nous avons fréquenté quelqu'un de ces hommes qui dépassent la commune portée, nous nous diminuons dans notre propre estime, ce qui est le commencement.de se connaître. Dans la vie de ces hommes qui sont appelés grands, non parce qu'ils sont parfaits, mais parce que relus qualités l'ont emporté sur leurs défauts, ne nous attachons pas.aux mauvais côtés ; ils nous donnent sur ceux que nous jugeons des avantages qui nous trompent, et, si l'admiration nous aide à nous connaître, la critique nous porte à nous estimer au delà de notre prix. Est-il sage d'ailleurs de résister à l'opinion du genre humain ? De quoi se souvient-il dans la vie des hommes supérieurs ? Des qualités, des grandes actions, du bien. Au contraire, ou il oublie le mal, ou, après l'avoir blâmé par la bouche de l'histoire, il le leur pardonne en reconnaissance de la force morale qu'il tire de leurs exemples et des impressions d'héroïsme et, de grandeur qu'il en reçoit. III. — SUJET DES MÉMOIRES DE CÉSAR. - INTÉRÊT DE CE SUJET POUR DES LECTEURS FRANÇAIS. Voilà quelques traits de l'homme que nous avons à étudier dans les Mémoires de César ; voici le sujet : Si je regarde la guerre des Gaules, quel sujet est plus près de nous ? Nos pères ont été la matière même des victoires de César ; c'est sur le sol que nous habitons qu'ils ont résisté au double ascendant de la civilisation et du génie. Paris a été l'un des champs de bataille oh les Gaulois ont lutté contre Rome. César y tint l'assemblée de la Gaule confédérée : qui sait ? peut-être sur l'emplacement des Tuileries ou du Louvre. Au nord de Paris était un vaste marais ; c'est derrière ce marais que le vieux chef des Parises, Camulogène, s'est défendu contre l'habile lieutenant de César, Labienus. Ici, à cette place où nous sommes, Labienus a eu son camp. Il y a sans doute dans cet auditoire quelques descendants de chacune des vaillantes nations qui disputèrent à l'épée de César, à la discipline romaine, à la civilisation, et toutes les forces humaines réunies, ce sol que leurs divisions livrèrent, et où leur union a formé la première nation des temps modernes. Quoique nous soyons les vaincus, dans les Mémoires de César, nous pouvons nous complaire au récit de nos défaites plus glorieuses que bien des victoires. Grâce à César, tout ce qui, dans ce monde, a une connaissance des lettres latines, sait qu'il y a dix-huit siècles les Gaulois donnaient les premiers exemples de ce courage proverbial qui nous a fait appeler par nos ennemis mêmes les premiers soldats du monde. Nous trouvons, comme inhérent à ce sol qui fut celui de la France, le sentiment de l'honneur national, déjà vif et énergique avant même qu'il y eût une nation, et cet amour de la gloire, notre passion, notre patriotisme à nous, notre travers peut-être. Il y a d'ailleurs deux causes engagées dans la lutte entre Rome et la Gaule : l'indépendance gauloise et la civilisation. L'une ne nous touche guère moins que l'autre ; car si nous nous intéressons, comme descendants des Gaulois, aux efforts et aux souffrances de la Gaule défendant son indépendance ; comme la première des nations civilisées, nous faisons des vœux pour que la civilisation triomphe. Nous sommes Gaulois contre les Romains envahissant la terre d'autrui ; nous sommes Romains contre la Gaule barbare. Que les Gaulois succombent bravement, c'est assez pour la gloire de nos origines ; mais la raison veut qu'ils succombent. Voilà ce qui fait des Mémoires de César sur la guerre des Gaules un livre unique : le vainqueur n'y intéresse pas moins que le vaincu. Est-il besoin de dire quel intérêt nous offrira l'étude des Mémoires sur la guerre civile ? Quel plus beau sujet à n'y regarder que le héros, soit qu'on le suive au delà du Rubicon après huit années de guerre et de victoires dans les Gaules, commençant sans reprendre haleine sa campagne. contre l'univers romain, courant de l'Italie en Espagne, de la Grèce sur les rives du Nil et de la Propontide, enlevant l'empire du inonde au pas de course ; aussi hardi qu'en Gaule, aussi peu surpris, par l'imprévu, sans nul air de précipitation, même dans cette rapidité prodigieuse qui le faisait arriver avant la nouvelle de sa marche ; toujours le même mélange d'audace et de prudence, de témérité et de profondeur de calcul ; mais cette fois avec le monde connu pour théâtre, l'empire pour prix du combat, et un danger plus capital que celui de périr ; soit qu'on cherche à pénétrer par quels motifs laisse toujours ses actions parler pour lui et raconte ce qu'il a fait, rarement pourquoi il l'a fait ; si c'est raffinement, pour paraître d'autant plus qu'il se dérobe davantage, ou calcul politique, pour ne pas rendre toute réconciliation impossible, ou plutôt si ce n'est pas magnanimité naturelle, pour ne pas accabler à la fois ses ennemis du récit de leurs défaites et de l'apologie de ses victoires ! L'intérêt redouble quand, de l'étude intime de l'homme passant, à l'étude de l'événement, on recherche, dans les discrètes indications de César, les causes et les caractères des guerres civiles ; combien, dans ces grandes crises des États, au milieu des ressentiments des colères, des espérances, des illusions, de toutes les passions humaines exaltées jusqu'à la fureur, la modération est périlleuse et impuissante ; quel ascendant y a la réputation ; comme toutes les combinaisons des sociétés humaines, lois, coutumes, croyances, discipline, tout fait place à mi seul homme qui tient lieu un moment de tout. Nous aussi, nous avons souffert de la maladie qui travaillait Rome au temps de César, et c'est par ce trait de ressemblance que les Mémoires sur la guerre civile nous louchent de si près. Nous aussi, nous avons vu tout un ordre social disparaitre, et un homme remplaçant toutes choses, lequel a disparu lui-même pour s'être cru plus fort, que ce qu'il avait Si la guerre des Gaules nous intéresse comme Français, la guerre civile nous intéresse comme fils de la révolution et de l'empire. César, a dit M. de Chateaubriand, est l'homme le plus complet de l'histoire, parce qu'il a le triple génie du politique, du guerrier et de l'écrivain. Nous l'étudierons sous ce triple aspect. Le politique, non dans toute la suite de sa vie : je ne fais pas un cours d'histoire ; mais dans tout ce que ses Mémoires en laissent voir, et qui peut en être pénétré à travers la réserve de ses récits. Je n'ai à chercher César que dans ce qu'a écrit César. De même, toutes les parties du guerrier ne sont pas de mon sujet. Il y a un César pour les gens de guerre ; je me garderai bien d'y toucher. Le César que nous avons à étudier, c'est le guerrier dont tous les esprits cultivés ont une idée générale, où il entre plus de sentiment que de science. C'est ainsi que, sans être stratégistes, nous avons une, autre idée d'Alexandre que de César, d'Annibal que de Scipion, du grand Frédéric que du roi de Suède, de Turenne que de Condé. Rechercher les traits généraux sous lesquels apparaissent aux imaginations populaires les hommes que la guerre a rendus grands ; admirer par quelle puissance un seul homme fait mouvoir de si grands corps, et, comme parle Plutarque dans la Vie de César, se fait de son armée un corps dont il est l'âme ; comment ces masses, auxquelles il a permis hier le pillage et le carnage, il les rendra demain modérées et humaines ; comment il sait les retenir et les précipiter ; par quel langage il les calme ou les exalte ; s'il a eu quelque manière constante de faire la guerre, ou s'il a eu toutes celles que demandaient. le lieu, le moment, le genre de combat et d'ennemis ; quelles fautes il a faites, non de tactique, mais de conduite, et quelle part il a laissée à la fortune ; quel il s'est montré dans la victoire, et quel dans les revers ; enfin tout ce qui est de l'homme dans le guerrier ; — c'est par ces points que les hommes de guerre peuvent être jugés dans le cabinet ou du haut de la chaire du professeur ; c'est dans ces limites que nous jugerons César, en nous abstenant de tout ce qui regarde l'art de la guerre, s'il est vrai que, pour les hommes de la trempe de César, il y ait un autre art de la guerre que la discipline avec un chef de génie, en la main duquel elle est un moyen d'exécuter les plans les plus divers, les plus inattendus, les plus rebelles à toute théorie. IV. — DES QUALITÉS LITTÉRAIRES DES MÉMOIRES DE CÉSAR. Quant à l'écrivain, il nous appartient tout enter. C'est l'écrivain qui nous révélera le politique, quelquefois même en voulant le cacher ; c'est l'écrivain qui nous peindra le guerrier dans toutes les situations de la vie militaire. C'est dans l'écrivain que nous aurons à étudier l'éloquence, c'est-à-dire l'expression de la vérité propre à toutes les parties de l'histoire, récits, descriptions, harangues publiques, opinions dans les conseils, portraits, réflexions. Quelques-unes y sont traitées en perfection ; d'autres seulement indiquée ; nous rechercherons par quelles raisons. Les premières pourront être comparées à des modèles analogues dans nos historiens militaires, et nous aurons peut-être sujet de rapprocher César et Napoléon. Dans cette appréciation littéraire de César ; nous avons un guide excellent : c'est Cicéron. Le jugement qu'il a porté des Commentaires est exquis. Il a eu, certes, quelque belle statue grecque en vue, quand il en louait la nudité, la pureté et les grâces : Nudi enim sunt, recti, et venusti[4]. E il ajoute : Rien n'est plus agréable qu'une brièveté correcte et qui fait voir toutes choses. Plus haut, dans le même traité, il fait dire à Atticus, parlant de la latinité de César : César est peut être de nos orateurs celui qui parle la langue latine avec le plus d'élégance ; et il ne le doit pas seulement aux habitudes domestiques : il n'est arrivé à cette admirable perfection que par des études variées et profondes, et par beaucoup de soin et d'application[5]. Nous ne ferons que développer un si beau texte. C'est à l'éternel honneur de Cicéron que, dans l'embarras de ses relations avec César, dans l'incertitude de ses sentiments sur ce grand homme, ayant à parler de l'auteur des Commentaires, César vivant et régnant, il n'ait rien retenu par ressentiment, ni rien outré par flatterie, et qu'un contemporain ait jugé comme la postérité. Nous pèserons ce jugement, et en mettrons fous les termes en regard du sujet ; et nous tache cons de sentir à notre tour cette nudité pure et gracieuse, cette élégance, fruit de l'éducation domestique et de l'étude, et cette perfection de l'art qui consiste à cacher l'homme derrière le sujet, Fauteur derrière l'homme. L'étude de qualités qui se dérobent, pour ainsi dire, n'attire pas tous les esprits, et il n'est guère ordinaire qu'on admire un style qui ne parle pas aux yeux, et un auteur qui se cache. Tel qui nous étale, dans les excès de son langage, sa vanité, ses illusions, ses exagérations, est quelquefois plus goûté du public que tel qui ne veut nous faire voir, dans une langue simple et honnête, que ce qu'il conçoit de plus pur et de plus sain dans une aine rendue libre et forte par l'étude et la réflexion. La simplicité, la brièveté lumineuse, l'élégance ne sont pas de mode de notre temps où, dans une grande abondance de talents et d'écrivains, il en. est trop peu qui cherchent le secret de ces qualités dans les profondes études, dans le soin et l'application dont Atticus louait César. Les jeunes gens surtout sont médiocrement sensibles à ces beautés, pour ainsi dire, intérieures et secrètes. Et ce n'est pas d'aujourd'hui seulement : entendez les plaintes d'un habile commentateur du XVIe siècle, Vossius, sur le peu de goût de la jeunesse de son temps pour César : Il n'est que trop vrai, dit-il, ô douleur ! que la jeunesse fréquente assez peu ce noble et divin auteur ; ou si quelques-uns l'ont dans les mains, ils ne le lisent que pour la pureté du latin, moins sages que ces enfants qui n'aiment pas les feuilles de l'arbre jusqu'au point d'en dédaigner les fruits[6]. C'est encore aujourd'hui le double sort des Commentaires de César : on ils sont négligés tout à fait, ou, s'ils sont lus, c'est pour la langue toute seule, et pour en louer l'élégance de la même façon que j'entends quelquefois louer l'harmonie de Racine. Comme si l'élégance dans César, et l'harmonie dans Racine, au lieu d'être des qualités distinctes et absolues, n'étaient pas l'effet général d'un style qui exprime toutes choses en perfection. S'arrêter à l'élégance dans César et à l'harmonie dans Racine, c'est non-seulement ne pas connaitre ces divins auteurs, c'est ne pas- se rendre compte de l'impression qu'on en reçoit. Nous irons au delà : nous chercherons si cette impression d'élégance ne vient pas de la réunion de toutes les qualités de l'écrivain, et nous analyserons notre plaisir, afin qu'il tourne en exercice salutaire pour notre jugement. Je sens qu'en ce qui touche l'appréciation spéciale et profonde de la latinité dans César, je ferai souvent regretter l'humaniste célèbre auquel je succède. Des études partagées, un âge qui me laisse à apprendre bien plus que je n'ai appris, me mettent bien loin de M. Burnouf. Philologue d'élite, grammairien populaire, traducteur habile, il savait l'origine, l'histoire et les acceptions de chaque mot, dans les deux langues qui ont été universelles avant la nôtre, le grec et le latin. Cet enseignement des langues anciennes, dont l'affaiblissement abaisserait notre pays, lui doit ses meilleures méthodes. De son modeste auditoire sont sortis, fortifiés et éprouvés, bon nombre d'habiles maîtres, qui l'ont eu tour à tour pour professeur dans les collées, ici pour maître de perfectionnement, ailleurs pour juge des concours où ils ont gagné le droit d'enseigner. Loin d'être jaloux des souvenirs qu'il a laissés dans cette chaire, je me consolerai de mon insuffisance par la pensée qu'elle entretiendra quelques sentiments reconnaissants pour un homme qui a rendu tant de services aux choses qui durent. Le temps, d'ailleurs, diminuera celles de mes imperfections qui peuvent, être corrigées par l'étude et la volonté. La chaire ne doit pas moins former le professeur que l'auditoire. Vous m'y aiderez, si vous voulez bien montrer du goût, pour des études qui n'ont pas la faveur du dehors, et si vous appariez ici ce que vous serez toujours sûrs de trouver dans le professeur : cet amour du vrai et du beau qui doit être, à toutes les époques, la marque de tous les esprits bien faits et de tous les honnêtes gens. HISTOIRE DE JULES CÉSAR[7]. Le sujet de ce livre, quoique populaire, est si étendu et si complexe, et le livre lui-même est un si grand travail, qu'on a peur de n'être pas assez préparé à le juger. Ce qui m'a donné la confiance, d'en parler ici, c'est que, si loin que je remonte dans les souvenirs de ma vie littéraire, j'ai été un curieux des choses romaines. Des travaux écrits, un enseignement de plusieurs années ont occupé, sans la rassasier, cette curiosité. L'ancienne Rouie ost un monde où j'avais assez longtemps vécu pour garder le désir d'y revenir à la suite d'un guide qui m'y fit voir les mêmes hommes et les mêmes choses de plus près, et, si je n'ose me dire un juge compétent de tout ce qui s'écrit sur c grand sujet, je me donne du moins comme un des lecteurs les plus prévenus pour ceux qui s'y exercent, et les plus disposés à admirer ceux qui s'y distinguent. En ce qui regarde César, il y a bien longtemps, que j'ai pris parti pour un César qui pour la grandeur a quelques traits de ressemblance avec celui que nous présente son nouvel historien. Je reprochais à Lucain, du droit que s'attribuent les critiques de gourmander même les morts, d'avoir 'choisi Pompée pour héros de son poème, et je restituais à César le caractère et la grandeur d'un héros d'épopée. Que j'aie pris un extrême plaisir à lire un livre qui débat de nouveau cette grande gloire, à revoir tous les personnages qui lui font cortège, Pompée, Cicéron, Crassus, Caton, reparaissant pour rendre leurs comptes devant un de leurs juges naturels ; que j'aie trouvé profit à voir mes jugements rectifiés ou confirmés, et toute chose rendue plus claire et phis vivante, et que je le dise, personne ne s'en étonnera. Et maintenant, quand il serait vrai que j'ai été heureux de voir réussir dans une œuvre si difficile, et s'y faire une gloire d'écrivain, le prince à qui je dois, comme Français, ma part dans les satisfactions publiques de mon pays, comme particulier, le rétablissement de mon foyer et la sécurité de mon travail ; quand il serait vrai que ma reconnaissance pour le prince ne me gâte pas le talent de l'écrivain, je ne ferai ni à moi ni à personne le tort de m'en défendre. IAvant d'aborder l'époque de César, l'auteur a esquissé, dans un premier livre, sous le titre de Temps antérieurs à César, une histoire de Rome depuis son origine. Il recherche et fait ressortir dans le passé, il note et caractérise tous les faits qui ont amené Rome de la royauté à la république, de la république à l'empire, et ont rendu César nécessaire... Non qu'il ait voulu faire des six premiers siècles de Rome un piédestal pour son héros ; mais il est très-vrai, et c'est à la fois l'unité et la première beauté de l'ouvrage, que, dès les commencements de home et dans toute la suite de son histoire, aux plus beaux moments de la république comme à son déclin, on voit se dégager et devenir de plus en pins sensible la loi qui pousse les destinées romaines à finir par le gouvernement d'un seul. Dans cette première partie, l'historien de Jules César est de l'école de Montesquieu. Il s'est nourri de cette moelle. Il ne faut donc pas s'étonner si bon nombre de faits sont expliqués de la même l'acon par Montesquieu et par lui. Le moyen d'arriver à la vérité en écrivant l'histoire, dit-il, c'est de suivre les règles de la logique. Si j'entends bien le mot, la logique est ici la nature des choses, et c'est parce que les deux historiens des choses romaines sont martres en la connaissance de la nature des choses, qu'ils s'accordent souvent dans l'explication des mêmes faits. Montesquieu a de génie cette connaissance des choses ; il l'a aussi par l'étendue et la profondeur du savoir ; mais il l'a, il faut bien le dire, avec l'insuffisance de l'érudition de son temps, et avec les pièges de la spéculation. L'historien de Jules César y ajoute les lumières de son temps et de sa condition, sa part de la science générale que nous ont donnée à si grand prix nos révolutions, son expérience personnelle des hommes et de leurs mobiles. La spéculation pure a ses subtilités, ses ardeurs ; on n'y échappe pas toujours à la tentation de l'ingénieux ; c'est un faible de Montesquieu ; il fait quelquefois de son esprit son plaisir, il jouit de sa pensée. L'historien de Jules César pèse et contrôle la sienne. Je ne parle pas de ce supplément d'instruction que fournissent aujourd'hui à l'historien des choses romaines les travaux accumulés, depuis Montesquieu, par toutes les sciences auxiliaires de l'histoire, philologie, archéologie, géographie, épigraphie. L'historien de Jules César leur a demandé tous leurs secrets. Il ne voudrait pas être loué de cet avantage ; qu'il soit loué pourtant, sinon d'avoir pu tout ce qu'il a fait, du moins de l'avoir voulu. De cette information plus complète sur les choses que Montesquieu et l'historien de Jules César expliquent de la même manière, il résulte un degré de précision de plus dans l'explication dernière. On parlait dans ma jeunesse d'un de nos savants les plus illustres qui s'était donné la tâche de recommencer les expériences de ses prédécesseurs pour en confirmer l'exactitude, et pour y croire tout ensemble sur la foi des inventeurs et sur la foi de son propre contrôle. C'est par un travail du même genre que l'historien de Jules César s'approprie tout ce qu'il confirme de Montesquieu. C'est du Montesquieu vérifié. Quelquefois il l'amende. Par exemple, Montesquieu, parlant de Sylla, qui, le premier des généraux romains, entra dans Rome à main armée : Sylla, dit-il, enseigna aux généraux romains à violer l'asile de la liberté. La phrase est belle ; mais n'est-ce pas là une de ces fleurs que Montesquieu reproche à Tite-Live de jeter sur les énormes colosses de l'antiquité ? Car, qu'y a-t-il de moins vrai de la Rome où, depuis quarante ans, les votes des lois étaient des guerres civiles, et le lieu des comices un champ de bataille ; où les Gracques avaient péri, Tibérius avec trois cents des siens, Caïus avec trois mille jetés en prison et étranglés ; où déjà Marius avait médité ses proscriptions, et Sylla ses représailles ? Quand Sylla entra dans Rome à main armée, il n'y avait plus de liberté à violer ; mais on s'y accoutumait peu à peu à désirer qu'il s'y établît une tyrannie assez maîtresse pour se modérer. Ce que Sylla enseigna aux Romains, l'historien de Jules César le dit avec une justesse expressive : il leur enseigna que Rome était désormais sans défense contre l'audace d'un soldat heureux. C'est la différence d'une vérité à un trait. IIVoici le point où l'historien de Jules César se sépare de Montesquieu. Montesquieu, à Rome, est un Romain de l'ancien régime. Son idéal politique est la constitution aristocratique à son beau moment, alors que le commun intérêt de la grandeur du pays tenait unis les nobles et le peuple, les uns conservant leur crédit par leurs vertus, l'autre modérant ses prétentions par son bon sens. Il s'est fait une première image du sénat, se défendant par sa sagesse, sa justice, et l'amour qu'il inspirait pour la patrie. Le jour où cette image s'altère, où il faut bien reconnaître que ce grand sénat n'est plus qu'une oligarchie sans vertus, il s'attriste, il perd courage, et il prononce le mot de décadence. Naturellement, il a peu de goût pour les chefs du parti populaire. Dans ses Considérations, les Gracques ne sont pas male nommés. Il détourne les veux pour ne pas voir Marius. Les grandes qualités de César l'ont touché ; mais il parle plus volontiers de ce qu'il appelle ses vices, et, de tous ses actes, il ne loue guère que ses règlements sur les monnaies et sa loi somptuaire. Il a des expressions d'estime pour ses meurtriers, et le gouvernement de César lui parait un crime hors d'étal d'être puni autrement que par un assassinat. Ce qui montre jusqu'où va sa prévention pour les chefs du parti aristocratique, c'est que la singularité de Sylla semble l'attirer comme ferait la vraie grandeur. Il a parlé deux lois de Sylla[8]. Sévère, dans les Considérations, pour les fureurs de ses succès, mais favorable à ses lois, qu'il juge très-propres à ôter les désordres qu'on avait vus, il souffre, dans le Dialogue de Sylla et d'Eucrate, que Sylla se vante d'avoir rétabli la liberté romaine, et il semble se rendre garant de cette bravade en ne la faisant pas réfuter par Eucrate. Autres sont les jugements de l'historien de Jules César sur ces mêmes hommes, parce que tout autre est son idéal politique. Il est à Rome plus libéral que républicain, et, j'osais le dire, plus humain que Romain. Son idéal politique est un gouvernement qui répare les maux que la constitution regrettée par Montesquieu a engendrés ou n'a pu prévenir. II est artisan de tous ceux qui souffrent de l'impuissance et des excès de l'oligarchie. Il est pour les Italiens contre le dur esprit qui leur interdit la cité ; pour les nations sujettes de Rome, contre les violences et les rapines de leurs maîtres ; il veut rendre aux campagnes les agriculteurs que la noblesse y a remplacés par ses esclaves ; il veut distribuer aux prolétaires les terres du domaine public pour en faire des agriculteurs ; il veut offrir Rome au monde. Aussi ne s'afflige-t-il que modérément des choses qui ont rapproché Rome de cet idéal, et, tout. en donnant des regrets à la merveilleuse époque de son agrandissement par le patriotisme des deux partis, au moment où Montesquieu déplore une décadence, il salue une transformation. De là sa sympathie pour les chefs du parti populaire. Mais venu sympathie est pure de partialité. S'il réhabilite les Gracques de l'omission de Montesquieu, s'il loue leurs efforts pour redresser les injustices et réformer les abus, il blâme Tibérius d'avoir été touché de la vaine popularité, et d'être des hommes qui ne voulant qu'une réforme commencent à leur insu une révolution. Marius est admiré comme grand capitaine et loué pour avoir été naturellement porté au bien et à la justice ; mais, s'il faut parler de la soif du pouvoir qui le rendit vers la fin de sa vie cruel et inexorable, l'historien sait trouver les paroles qui flétrissent. Partial pour la cause populaire, il n'a que de la justice bienveillante polo ceux qui la défendent. IIICette période des Gracques, de Marius et de Sylla, est une de celles où l'on attend un historien des choses romaines. Montesquieu n'y a pas touché. Est-ce la difficulté qui lui a fait peur ? Il n'y a pas d'apparence. Il était cloué d'une force de regard à pénétrer même de plus épaisses ténèbres. Est-ce qu'il a senti qu'il lui faudrait peut-être renier son idéal et abandonner une constitution qu'on était réduit désormais à violer pour la défendre ? Quoi qu'il en soit, il a -laissé la Liche à d'autres. L'historien de Jules César a traité ces temps confus avec une prédilection visible, et s'est appliqué à y mettre la lumière et la vérité. Cela se conçoit. Là est le nœud de l'histoire romaine ; là se débat et s'établit ce qu'on pourrait appeler la légitimité de César. Rome avait mis 72 ans à se rendre maîtresse de l'Italie, 133 ans à conquérir le monde. Un si prodigieux travail l'avait épuisée. Aux vertus de la conquête succédaient les inévitables vices de la possession. De la richesse étaient nés le luxe et l'avarice. Les descendants des généraux laboureurs avaient mis la charrue de leurs pères aux mains de leurs esclaves. Le peuple des campagnes, dépossédé, avait reflué sur Rome et en avait grossi la populace. Les esclaves en nombre immense et les affranchis en nombre sans cesse croissant, formaient une nation dans la nation. L'étroite cité antique était assiégée à la fois par des forces matérielles et par des idées : par les Italiens, qui, selon les fortes expressions de l'historien de Jules César, s'étaient fatigués de concourir à la grandeur de l'empire sans participer aux droits des citoyens ; par des croyances philosophiques et des religions nouvelles, par des souffrances exaspérées, par des besoins qui ne souffraient pas de délai. Dans une ville où tout était faction, même le gouvernement, qui pouvait porter remède à un mal si profond ? Les deux partis qui se disputaient le pouvoir y étaient également impuissants. Il manquait au parti aristocratique l'esprit de sacrifice ; au parti populaire, un amour du peuple pur de toute recherche de popularité ; à tous les deux un chef de génie. Où il n'y avait ni vertus pour consentir à une transaction, ni un chef de génie pour assurer à l'une ou à l'autre cause une victoire durable, il ne restait plus aux Romains qu'à s'entre-tuer dans des guerres de place publique, que tout le monde pouvait commencer et que personne ne pouvait finir. Marius et Sylla eurent le malheur d'y être vainqueurs tour à tour ; ils y ajoutèrent les vengeances particulières et la lâcheté des meurtres après le combat : je ne veux pas d'autre preuve que ni l'un ni l'autre n'était un grand homme. Le tableau de cette lamentable période n'est lus à faire après l'historien de Jules César. C'est un des meilleurs morceaux du livre, dans le genre, propre à l'auteur et original, de narrations rapides terminées par des considérations qui en donnent la morale. Les événements y sont expliqués par leurs vraies causes, et quelques-unes de ces causes sont rendues plus frappantes par des comparaisons tirées des temps modernes, à la façon de Montesquieu, et avec le même à-propos inattendu et concluant. Les guerres étrangères, racontées dans leurs traits principaux, sont appréciées par leur contre-coup sur l'état intérieur de home, qui désormais ne perd pas moins aux victoires qu'aux défaites. Rien d'ailleurs dans ce récit ne sent la thèse. Les faits ne s'imposent pas comme des arguments ; ils se déroulent dans une clarté tranquille, et viennent successivement, chacun à son tour et à son heure, donner la double autorité de la vérité et de la vraisemblance à l'opinion qui fait à César l'honneur mérité d'appeler mission ce qu'il appelait sa fortune. IVPour cette première partie de son livre, l'historien de Jules César n'aura pas de contradicteurs. Il en a eu, il en aura pour la seconde. Ce n'est ni sur le savoir que se l'ont les réserves — ce livre est le dernier mot de la science historique sur César ; — ni sur le récit, où l'histoire se complète si heureusement par la biographie ; ni sur à style, dont la simplicité nerveuse est d'un si bon exemple en un temps où les écrivains prodiguent la métaphore : c'est sur le rôle même de César. Dans la pensée de l'historien, César a une mission. Le propre d'une mission, c'est que l'homme prédestiné qui l'a reçue de la Providence agit par inspiration plutôt que par calcul. Une main cachée le conduit vers les destinées qu'il ignore. Il succède à tout ce qui se laisse mourir il hérite de tout ce qui tombe en déshérence. Il a une grande cause ; il la sert, il ne s'en sert pas. Il ne fait pas faire de fautes à ses ennemis, il profite de celles qu'ils font. Il n'attaque pas, il se défend ; il n'usurpe pas, il prend une place vacante. Son ambition — car il faut bien qu'il ait de l'ambition, puisqu'il est homme — consiste à être attentif à toutes choses, et à se tenir prêt pour sa fortune. Je suis de ceux qui, dans la fortune de César, donnent plus de place aux calculs, et le veulent aussi grand avec plus de mélange. Il faut donc que j'accepte ma part des critiques éloquentes que son historien adresse à coite opinion. J'ai cru César doué de la faculté de diriger les hommes et les choses à sa volonté, et de rendre chacun à son insu complice de ses profonds desseins ; je l'ai cru, et j'aurais regret à ne plus le croire. César, dès sa jeunesse, songe au pouvoir comme a un but d'ambition commun à tous les jeunes patriciens ; né dans le parti populaire, il y songe comme à un moyen de défendre sa cause ; Sylla, qui prend ombrage de ses seize ans, l'avertit qu'il y doit songer comme à un moyen de défense personnelle. Dans cette carrière, dès le début si dangereuse, il a des compétiteurs et des adversaires. Supérieur à tous, il s'est bientôt mesuré, il s'est comparé à chacun d'eux. Il a vu ce qu'il pouvait en espérer ou en craindre. Dans la vie de lutte à laquelle il est destiné, les connaître le mène invinciblement à se servir d'eux. Mais César n'est point pressé. Il sait attendre son moment. Il est le plus jeune, il a devant lui des consulaires : avant de les supplanter, il pense à les égaler, et, pour les égaler, il les aide à monter plus haut. C'est là l'esprit de la fameuse alliance entre. Pompée, Crassus et César, appelée à tort, comme le remarque l'historien de César, le premier triumvirat. L'œuvre n'était, pas facile. Jamais alliés n'avaient eu à se pardonner plus de torts. Pompée, outre un fonds de chagrin contre tout ce qui s'élevait, et ce premier étonnement d'un aîné en puissance et en crédit qui voit tout près de l'atteindre un plus jeune que lui, Pompée avait à oublier une, récente injure[9]. Entre César et Crassus il y avait du sang versé dans les proscriptions. César était neveu de Marius, et Marius avait fait périr le père et le frère de Crassus. Entre Crassus et Pompée, il y avait la jalousie de Crassus. L'alliance inique ne l'avait point calmée, et César, après avoir rapproché ces deus ; hommes, eut à les tenir liés l'un à l'antre, et tous deux à lui, par les intérêts malgré les sentiments. L'œuvre réussit : je devrais dire le chef-d'œuvre, si je regarde plus la chose que la personne ; car le jour où, recevant des secours d'oie elle avait le moins à en attendre, la cause populaire, aidée par Pompée et Crassus, n'eut plus à craindre d'autres obstacles que la tiédeur de leur concours ou leurs tardifs regrets, ce jour-là elle fut victorieuse, et son défenseur maure de Rome. Il le fut moralement. J'ai bien de la peine à croire que, devenu, par le triumvirat, consul et gouverneur des Gaules, il n'ait pas eu l'idée de l'être en réalité. Cependant l'historien de Jules César ne veut pas qu'il y ait pensé, même au sortir du consulat, quand il partit pour prendre possession de son gouvernement. Pour lui prêter une ambition à si long terme, il faut, dit-il, supposer qu'il ait joint au don de prévoyance le don de prophétie. Il est très-vrai qu'il ne pouvait prévoir ni la mort de Julie, ni celle de Crassus, ni le meurtre de Clodius. Mais peut-être avait-il pensé que Julie vivante n'était pas un lien indissoluble entre Pompée et lui, et que Crassus, revint-il vainqueur des Parthes, serait toujours l'homme que nous représente l'historien de Jules César, plus propre à servir d'instrument à l'élévation d'un autre qu'à s'élever au premier rang. Quant à la mort de Clodius, la prévoir eût été prescience ; mais prévoir des morts violentes de magistrats en l'état, d'anarchie où la république était tombée, et le contre-coup de ces morts dans toute l'Italie, c'était s'attendre à l'inévitable. Je voudrais bien aussi garder l'idée que César, engagé dans la guerre des Gaules, avais dû prévoir que, durant toute cette guerre, la fortune lui serait fidèle. Un tel homme, menant contre une nation barbare une armée romaine et toute la réputation du nom romain, ne pouvait pas douter qu'il n'en vint à bout. Il avait la foi de l'homme de guerre qui a du génie. Il avait la foi du général Bonaparte montrant à ses soldats l'Italie comme une terre promise. Il eût été bien difficile, dit Montesquieu, que quelque armée qu'il eût commandée, César n'eût été vainqueur. César s'était dit cela. Il avait d'ailleurs de bonnes raisons pour voir que les esprits, à Rome, resteraient favorables à ses desseins. Il y laissait sa cause, et cette cause était assez forte de sa propre force et de la faiblesse des pouvoirs qui se succédaient au gouvernement sans gouverner, pour s'aider toute-seule, sou chef absent. Mais César n'était absent que de sa personne. Il était présent par les lois de son consulat, par ses victoires, par ses séjours aux portes de Rome, par tout ce qu'il envoyait, après chaque campagne, d'espérances et de craintes. Pourquoi, écrivait Cicéron à Quintus, lieutenant de César en Bretagne, pourquoi vous ai-je donné peu de détails sur les affaires publiques ? C'est que je sais que, petites ou grandes choses, on écrit tout à César[10]. César savait tout, pour prévoir tout. VIl semble que ce rôle ne le diminue pas. La mission subsiste ; seulement elle s'accomplit par le moyen humain de l'ambition et au prix de ses faiblesses. Les temps l'ont l'ambition plus ou moins pure. Il y a dos époques ai elle se confond si entièrement avec la mission, qu'elle y disparaît ; il y en a d'antres où le mal est si universel, qu'il en arrive quelque chose jusqu'à la main qui le répare. Telle était l'époque de César. Ce qui fait sa gloire si grande, c'est que sou ambition ne s'est pas donné toutes les licences où l'invitaient les mœurs de son temps, et que, dans un pays qui s'attendait, chaque malin au retour des proscriptions, et qui craignait dans Pompée même un Sylla, faisant ainsi juger de ses mœurs par ses terreurs, il en soit venu, de bienfaits en bienfaits, et de pardons en pardons, jusqu'à rendre une conjuration possible, et mourir assassiné de la main de ses obligés. Entre les deux manières dont peut s'expliquer la conduite de ce grand homme, il est beau que celle qui honore le plus son caractère moral ait pour défenseur un chef d'empire. Celui-là seul de qui viennent de telles missions sait ce qui s'y mêle de l'homme aux inspirations du prédestiné ; mais croire qu'il ne s'y mêle rien de mesquin est d'un grand cœur ; et je félicite mon temps et mon pays de voir sur le trône de France un historien qui ne souffre pas qu'il se soit fait de grandes choses par d'autres moyens que les grandes vues et les grands sentiments. Quand un souverain se fait auteur, et qu'il écrit un livre pour ses contemporains et les témoins de son règne, il semble que l'on doive s'attendre à ce que l'auteur s'y montre plus que le souverain, et le souverain que l'homme. Dans l'Histoire de Jules César, ce qui se montre le plus, c'est l'homme, et ce qui se montre le moins, c'est l'auteur. Le souverain parle à son pays comme à un compagnon de fortune et à un ami. Son livre est plein de confidences qui honorent l'un et l'autre. L'exemple est rare d'un chef de gouvernement qui emploie son loisir à écrire une œuvre de savoir et de style ; il est plus rare, si même il n'est unique, d'un prince qui, en plein règne, en pleine puissance, dans un livre destiné à durer par le rang et par le talent de l'écrivain, enseignera à quel prix les pouvoirs se font aimer et obéir, se lie par ses jugements sur les pouvoirs passés, et donne des droits sur lui à toutes les idées vraies, à toutes les espérances sensées, à tous les maux réparables. VIDans les éloges qu'on donne universellement au second volume de cette histoire, j'ai entendu des personnes de pin regretter ce que la composition y laisse à désirer. Ce regret m'a édifié. J'aime voir qu'on défende l'art de la composition, même contre un écrivain couronné. C'est en effet un grand art, et c'est un art français par excellence. Il n'y a là ni invention arbitraire des rhéteurs, ni routine d'école, comme se plaisent à le dire ceux que toute règle incommode : c'est une de ces convenances naturelles qui précèdent les rhétoriques et les écoles, et qui veulent qu'un livre soit composé, comme elles veulent dans la musique la justesse des accords, dans les arts plastiques la forme et les proportions. Elles n'ont pas été imposées à l'esprit humain par le génie d'un écrivain ou par le caprice d'un grand artiste : c'est l'esprit humain qui les a imposées à tous les artistes et à tous les écrivains, comme les seules voies par où l'on arrive sûrement à l'instruire et à le persuader. De ces convenances sont sortis les genres et les règles propres à chacun. Or, la première règle de l'histoire, c'est de mettre sous les veux du lecteur, en maint les tableaux au récit, l'ensemble de la vie d'un peuple, dans toutes ses grandes manifestations intérieures et extérieures, et de présenter les choses à la fois dans leur succession et leur liaison. Le génie de notre pays, encore plus exigeant sur ce point que les anciens, a ajouté à ces convenances de l'esprit humain des délicatesses particulières. Il a fait à l'historien une condition si expresse de l'art de composer, qu'à l'ouvrage historique où manque cette condition il semble qu'il manque la principale beauté du genre. Le Siècle de Louis XIV, de Voltaire, en est un exemple. Le caprice qui a séparé de l'histoire civile et politique l'histoire militaire, et des événements généraux les particularités et les anecdotes, a fait rejeter au second ordre, par de très-bons juges, un livre tout plein de beautés du premier. Si l'on m'eût demandé, avant la publication du nouveau volume, ce que je penserais d'un plan où les faits militaires seraient racontés et discutés dans une première partie, résumés et appréciés dans une seconde, puis rapprochés synoptiquement, année par année, des événements intérieurs de Rome, j'aurais fait des objections. De même, si, avant d'avoir lu le Siècle de Louis XIV, on m'eût demandé ce qui vaudrait le mieux d'une succession d'histoires partielles et séparées ou d'une histoire fortement liée, faisant marcher toutes choses dans le même temps, de ce pas aisé et majestueux que réglait le grand roi, j'aurais, sans hésitation, non-seulement préféré la seconde méthode, mais critiqué la première. La lecture m'a fait changer d'avis, et, comme il ne me reste, pour dernière impression de l'Histoire de Jules César, aussi bien que du Siècle de Louis XIV, que l'idée d'une œuvre qui remplit son objet, et qu'on ne recommencera pas, force m'est de reconnaître qu'il y a dans le génie de l'écrivain pénétré d'un grand sujet, qui veut nous faire voir les choses et les hommes du même œil que lui, le secret d'un art libre et personnel qui le mène plus sûrement à son but, et nous à sa suite, que l'observance superstitieuse de certaines prescriptions d'esthétique. VIIDans la première partie, que l'auteur a intitulée les Campagnes, il semble s'être proposé de rendre sensible à tous les lecteurs ce que Cicéron a dit des Commentaires, qu'ils sont, comme de belles peintures placées dans un beau jour[11]. Ce qu'il veut surtout mettre en lumière, c'est le génie d'un grand capitaine. Il y emploie toutes les sciences dont s'aide l'historien moderne pour élucider les questions d'histoire, la philologie, l'archéologie, la topographie. Par la réunion de tous ces secours et par l'usage que l'auteur en a fait, l'Histoire de Jules César marque le point le plus élevé qu'ait atteint de nos jours la critique historique. Où ces sciences ne fournissent pas à l'auteur les motifs de décider et laissent matière au doute, il se détermine par les raisons de bon sens, et par cette longue fréquentation de l'homme qui lui fait retrouver les pas de César là même où le temps et la main des hommes en ont effacé les vestiges. Des savants distingués l'ont aidé dans ce grand travail, et il ne laisse pas ignorer au public ce qu'il leur doit. Je suis sûr de ne pas diminuer leur part, ou plutôt d'exprimer leur pensée, en disant qu'outre le mérite supérieur de l'exécution, l'historien de Jules César a eu celui d'inspirer et de diriger les recherches, de soulever les doutes féconds, d'appeler la pioche de l'archéologue là où elle pouvait heurter quelque débris historique, et non-seulement de guider, mais d'entraîner ses auxiliaires. C'est le mérite du général qui ne fait rien sans armée, mais sans lequel la meilleure armée n'est pas sûre de la victoire. Aucun genre d'élucidation ne manque à cette partie toute utilitaire du volume. Les distances y sont mesurées, le rapport du temps aux distances évalué les heures comptées, les termes de guerre et de siège expliqués, les armes d'attaque et défense décrites, les lieux et les mouvements des armées rendus visibles par des cartes et des plans et, quand il y a lieu, par des dessins pittoresques, les noms modernes mis à côte des noms anciens. On comprend de quel intérêt doit vitre pour la France d'aujourd'hui un travail qui suit à la trace les marches de César, et indique avec précision les lieux où ce qui fut ta France, il y a dix-huit siècles, a été aux prises avec lui. Des souvenirs plus ou moires mêlés de fables qui nous en étaient restés, est née comme une sorte d'orgueil de localité qui a produit bon nombre de faux camps de César. Il y a eu, dans nos provinces, avant l'ère de l'érudition précise, une première archéologie qu'on pourrait appeler une archéologie césarienne. Les archéologues de clocher, aujourd'hui versés dans tant de choses, n'ont été dans l'origine que des curieux d'antiquités qui, se piquaient d'avoir trouvé quelque trace de César. Avoir été visité par César est un titre estimé très-haut, témoin tous ces mémoires de nos académies de province pour déterminer, soit un champ de bataille, soit l'emplacement d'un oppida gaulois ; témoin les controverses récentes sur Alise, auxquelles ne mettra peut-être pas fin le travail si péremptoire de l'historien de Jules César. Il y a, au fond de ces querelles, du patriotisme de bon aloi. La France ne se montre pas, en général, de ce qui la diminue. Elle sent qu'avoir tenu tête pendant huit ans à la puissance romaine, menée par le plus grand homme de l'antiquité, ne fait pas tort à un pays qui fut autrefois le centre et le noyau de la Gaule, et que ce doit être en effet un titre d'honneur pour une localité d'avoir arrêté, ne fût-ce qu'un seul jour, un tel conquérant. Je viens de nommer Alise. C'est pour élucider toutes les questions qui s'y rattachent que l'historien de Jules César a déployé le plus de ressources. Qu'on imagine ce que peuvent ajouter la force d'une démonstration technique et à la vérité d'un récit des planches représentant la topographie d'Alise, l'aspect actuel du mont Auxois, les coupes des fossés du camp de César, remplacement de ses tours, les engins de défense qu'il avait inventés pour suppléer à l'infériorité du nombre. On voit les lieux : de lecteur on devient archéologue et presque juge des choses de guerre, tout au moins spectateur très-ému de ces combats où la Gaule, trop tard unie par le danger, succombe sous le génie d'un homme. Me sera-t-il permis de dire pourquoi j'y ai pris un intérêt particulier et personnel ? Il y a vingt ans, je faisais au collège de France des leçons sur les Commentaires de César. En fait de documents, je n'avais que la carte de Walkenaër, le plan topographique d'Alise par Turpin de Crissé, ses notes d'une érudition si peu sûre, et peut-être quelques mots du duc de Rohan. Né sur l'extrême frontière du pays qu'occupaient les Mandubiens, et dont Alise était la cité principale, j'avais à cœur de laisser à mes auditeurs un bon souvenir de ma leçon sur le siège d'Alise. Pour m'y préparer, j'allai sur les lieux. Député d'un arrondissement limitrophe, les archéologues des deux localités avaient bien voulut m'y donner rendez-vous. Nous parcourûmes le champ de bataille. Mon César à la main, j'expliquais le texte ; tout le monde le commentait. Qu'Alise Sainte-Reine fut bien l'Alésia de César, nul de nous n'en doutait. Nous remarquions bien quelques légères différences entre les descriptions de César et l'état présent des lieux ; mais notre patriotisme local ne se troublait pas pour si peu. En tout cas, nous étions bien sûrs d'en avoir trouvé l'explication. Parfaitement édifié, j'apportai dans ma chaire toute cette science prise sur les lieux, et, du mieux que je pus, en m'aidant de la parole pour expliquer et du geste pour décrire, je racontai le siège et tous ses incidents. Il faut bien que j'en demande pardon à ceux de mes auditeurs d'alors, s'il en est qui liront ceci. Qu'ils aillent apprendre le vrai siège dans l'Histoire de Jules César, et qu'en me laissant à moi seul la confusion, ils partagent avec moi le plaisir que j'ai pris à voir mes plans renversés, et, à la place de mes hérésies en topographie militaire, la vérité telle qu'elle sort du savoir et de la compétence. On ne se console de s'être ainsi trompé que par le souvenir de ce qu'on a pris de peine pour avoir raison, et surtout par le profit que tire un esprit sincère de la vérité, même quand elle le contredit. Le récit des Campagnes n'était pas une petite difficulté dans une histoire de Jules César. Comment raconter après lui ses expéditions, à moins de le traduire ? Mais traduire, quoique la besogne n'en soit indigne de personne, n'est pourtant pas l'affaire d'un empereur écrivain. La pensée toute militaire de cette partie a suggéré à l'auteur la seule sorte de récit qui y convint. Il s'agit moins en effet de raconter les expéditions que de les expliquer. L'auteur abrège donc les détails qui ne servent pas à son propos, développe ceux qui y servent, garde les grandes lignes, traduit, avec la brièveté lumineuse de l'original, les passages où le meilleur des éclaircissements était de laisser la parole au grand capitaine. L'historien de Jules César n'a pas prétendu nous dispenser de le lire. Il a plutôt voulu nous aider à le lire de plus près. On sent d'ailleurs dans ces récits mêlés de discussions le talent du narrateur, sans lequel il n'y a point d'historien, et dont ce second volume nous offre un modèle achevé ; c'est le récit de la campagne de Crassus chez les Parthes. Les amis des lettres anciennes ne seront pas les derniers apprécier le secours que reçoit, d'éclaircissements si abondants et si variés, l'explication des Mémoires de César. Par là ce grand travail critique historique est un service rendu à nos humbles études. J'espère, en dépit des opinions nouvelles qui veulent chasser de nos lycées l'antiquité classique, en dépit du respect humain qui la défend si mollement, j'espère que le temps n'est pas proche encore où l'on fera des études libérales, sans latin et du latin sans César. Par la simplicité du style et la pureté de la langue, les Commentaires sont un livre unique pour les latinistes de tous les degrés, et celui qui les a écrits à la gloire, qu'il n'avait guère prévue, d'être dans le monde moderne l'instituteur le plus populaire de la société éclairée. Mais cette simplicité et cette pureté, qui charment les esprits mûrs, échappent aux jeunes gens, surtout aux époques où ils entendent vantelles figures et glorifier la métaphore. Il est heureux qu'une explication rajeunie par la science et le talent leur rende plus intéressant un livre qu'il est si important de retenir entre leurs mains. Parmi louanges que lui vaudra l'Histoire de Jules César, il ne peut pas être indifférent à l'auguste père du prince impérial que, grâce à lui, nos enfants prennent désormais plus d'intérêt aux Commentaires de César et moins de peine au latin. VIIIC'est au livre IV que, sous le titre d'Évènements, la seconde partie du volume résume-les huit campagnes des Gaules, en apprécie l'importance politique et morale, et les rapproche synoptiquement, année par année, des événements intérieurs à Rome. Si ce travail de rapprochement n'était tas l'œuvre sincère d'un auteur qui traite à fond son sujet, je dirais que l'art de l'apologétique n'a jamais été plus loin. Aucun arrangement n'était plus propre à faire valoir la cause et la personne de César. Il parait et il brille, comme sur deux théâtres différents, en Gaule, par les grandes choses qu'il y accomplit ; à Rome, par le vide qu'y fait son absence. L'effet est grand ; il n'a coûté aucun effort, ni demandé aucun artifice. Le livre ne donne à César que la place qu'il a dans l'histoire. Le propre de l'apologétique est de sentir le plaidoyer ; et quel est le plaidoyer qui n'enfle pas les choses et ne grandit pas le client ? Une conviction lentement formée, bien différente de la conviction improvisée du plaidoyer, est l'âme de ce livre, et l'historien n'a loué César que de la façon dont César voulait être loué, par ses actions. J'ai cité le récit de la campagne et du siège d'Alise comme le morceau capital de la première partie ; le morceau où cette expédition est résumée dans la seconde, en est le digne pendant. En quelques pages saisissantes, où les mêmes traits
servent à résumer et à peindre, l'auteur apprécie cette campagne qui offre, dit-il, à
l'historien la scène émouvante de peuplades jusqu'alors divisées s'unissant
dans une même pensée nationale, et s'avinant pour reconquérir leur
indépendance au philosophe le triomphe de la
civilisation contre les efforts les mieux combinés et les plus héroïques de
la barbarie ; au soldat le magnifique
exemple, de ce que peuvent l'énergie et la science de la guerre chez un petit
nombre eu lutte avec des masses sans organisation et sans discipline.
On voit successivement s'ébaucher à la hâte, sous la pression de l'extrême
danger, à la voix d'un homme supérieur, cette confédération qui ne survivra
pas à ses premiers revers ; le péril que fait courir à César l'union de vingt
peuplades en une seule armée commandée par un jeune capitaine que César seul
pourrait empêcher de devenir un grand capitaine ; l'échec du chef romain
devant Gergovie ; la situation de ces six légions enfermées
dans leur camp, isolées au milieu d'un pays insurgé, séparées de tout secours
par des neuves et des montagnes, immobiles cependant et inébranlables, en
face d'un ennemi : victorieux qui n'ose pas poursuivre sa victoire dans
cette extrémité, les ressources du génie de César perçant le pays ennemi pour
rejoindre, a plus de cent lieues de là sur les bords de l'Yonne, son
lieutenant. Labienus, alors encore fidèle ;
de son côté, et comme grandissant, à l'école d'un plus grand que lui,
Vercingétorix, de l'Océan au Rhône, communiquant à tous les cœurs le feu sacré qui l'enflamme,
et du mont Beuvray (près d'Autun), comme centre, faisant rayonner son action jusqu'aux
extrémités de la Gaule les combats, un moment suspendus, recommençant
avec un acharnement nouveau ; Vercingétorix défait, en voyant ce qui lui
reste de cavaliers :, appeler au secours par toute la Gaule, et s'enfermant
lui-même dans Alise, où César l'assiège, assiégé bientôt ; son tour par les
80.000 hommes qui défendent la ville, et par 250.000 hommes de l'armée de
secours ; les prodiges de valeur de part et d'autre, avec l'avantage, du côté
des Romains, du génie, de la discipline et de la fortune ; enfin, la lutte suprême
où l'épée de César dissout la confédération et où succombe l'indépendance de
la Gaule. Dans ce morceau admirable, les raisons dont se sert l'historien pour expliquer les laits éclairent du même coup le passé et le présent. D'où est née la confédération gauloise ? De l'oppression étrangère, qui forme les nationalités bien plus que la communauté d'idées et d'intérêts. Le vaillant jeune homme qui l'a suscitée et qui la commande, Vercingétorix, est un de ces chefs comme il ne manque jamais de s'en révéler lorsque éclate un mouvement national. S'il échoue, c'est qu'il n'est donné ni à l'homme le plus éminent de créer en un jour une armée, ni à l'insurrection populaire la plus générale de former tout à coup une nation ; c'est, en outre, que la Gaule n'a pas d'infanterie à opposer au général romain ; car l'organisation militaire reflète, toujours l'état de la société, et où il n'y a pas de peuple, il n'y a pas d'infanterie. Ce caractère tout moderne des réflexions donne une singulière beauté au passage suivant, où l'historien tire la moralité de cette campagne fameuse, des huit années de la guerre des Gaules. Ce siège, dit-il, si mémorable sous le point de vue militaire, l'est bien plus encore sous le point de vue historique. Auprès de ce coteau, si aride aujourd'hui, du mont Auxois, se sont décidées les destinées du monde. Dans ces plaines fertiles, sur ces collines maintenant silencieuses, près de 400.000 hommes se sont entrechoqués, les uns par esprit de conquête, les autres par esprit d'indépendance ; mais aucun d'eux n'avait la conscience de l'œuvre que le destin lui faisait accomplir. La cause de la civilisation tout entière était en jeu. La délaite de César eût arrêté pour longtemps la marche de la domination romaine, de cette domination qui, à travers des flots de sang, il est vrai, conduisait les peuples à un meilleur avenir. Les Gaulois, ivres de leurs succès, auraient appelé à leur aide tous les peuples qui cherchaient le soleil pour se créer une patrie, et tous ensemble se seraient précipités sur l'Italie. Ce foyer des lumières, destiné à éclairer les peuples, aurait été détruit avant d'avoir pu développer sa force d'expansion. foule, de son côté, eût perdu le seul chef capable d'arrêter sa décadence, de reconstituer la république, et de lui léguer, on mourant, trois siècles d'existence. Ainsi, tout en honorant la mémoire de Vercingétorix, il ne nous est pas permis de déplorer sa défaite. Admirons l'ardent et sincère amour de ce chef gaulois pour l'indépendance de son pays ; mais n'oublions pas que c'est au triomphe des armées romaines qu'est due notre civilisation. Institutions, mœurs, langage, tout nous vient de la conquête. Aussi sommes-nous bien plus les fils des vainqueurs que ceux des vaincus, car, pendant de longues années, les premiers ont été nos maîtres pour tout ce qui élève et embellit la vie ; et lorsque enfin l'invasion des barbares vint renverser l'ancien édifice romain, elle ne put pas en détruire les bases. Cos hordes sauvages ne firent que ravager le territoire, sans pouvoir anéantir les principes de droit, de justice, de liberté, qui, profondément enracinés, survécurent par leur propre vitalité, comme ces moissons qui, momentanément foulées par les pas des soldats, se relèvent bientôt d'elles-mêmes et reprennent vie. Sur ce terrain ainsi préparé par la civilisation romaine, l'idée chrétienne put facilement s'implanter et régénérer le monde. La victoire remportée à Alesia fut donc un de ces événements suprêmes qui décident de la destinée des peuples. IXCette même année 702, tandis que César achevait d'abattre la Gaule sous les murs d'Alise, que se passait-il dans l'intérieur de Rome ? Clodius était assassiné. Des débris des bancs du sénat, de ses tables et de ses registres, on lui dressait un bûcher dont le feu réduisait en cendres la curie Hostilia et la basilique Porcia. La maison de son assassin, Milon, était menacée d'incendie, et Milon lui-même, chassé de la tribune par les adhérents de Clodius, échappait à grand'peine, déguisé en esclave, du milieu de ses gladiateurs massacrés pêle-mêle avec tous les citoyens ou étrangers que distinguaient la richesse de leurs vêtements ou leurs anneaux d'or. Pompée, déclaré seul consul, faisait des lois dont il s'exceptait. Corruption pire que les violences de la place publique, et qui lui a mérité cette flétrissure de la main de Tacite : Pompée auteur et violateur des ses lois[12]. Quant à la classe gouvernante, voici un trait qui peint ses mœurs. Scipion, beau-père de Pompée, et devenu son collègue au consulat, malgré le discrédit d'une accusation de brigue, outrant la sévérité pour se racheter du soupçon, avait rendu à la censure le pouvoir à peu près sans limites qu'elle exerçait dans le passé. Le moment venu d'y nommer, tel était dans le sénat le nombre des membres exposés à s'en voir chasser pour actes tombant sous la juridiction censoriale, que personne ne voulut de la place au prix des haines que devaient attirer au censeur tant d'expulsions. Grâce à l'ordre qui, dans ce résumé, place les expéditions de l'an 702 à la suite des événements intérieurs, c'est au sortir d'émeutes sanglantes et d'hypocrisies législatives, et comme impatients de respirer un air plus pur, que nous sommes ramenés de Rome en Gaule, pour y voir s'accomplir grandes choses par de grands dévouements. Et l'effet de ce rapprochement est de nous disposer, comme à notre insu, à partager l'avis de l'historien, lorsque, dans une dernière partie en Corme de conclusion, il justifie avec éclat le coup d'audace et de génie par lequel César se rendit maitre du gouvernement de son pays. XSi des faits, tels que les expose et les explique l'historien, il résulte : Qu'un bouleversement était la seule issue à l'anarchie où Rome était tombée ; Que le seul homme capable de gouverner la république ne pouvait y être assuré ni de sa liberté, ni de sa vie ; Que la provocation la guerre civile fut le fait, non de César, mais du parti aristocratique et de son chef Pompée ; Que César avait pour lui le droit et la majorité ; Si, dis-je, ces choses sont prouvées, la cause de César est gagnée, et le changement qui substitua l'empire à la république prend son vrai nom de révolution nécessaire. Est-il vrai, d'abord, qu'en l'année 704 la seule voie de salut pour Rome fût un bouleversement ? Nul doute n'est possible. Le règne de la violence n'avait pas commencé en l'année où périt Clodius ; il continuait en s'aggravant. Depuis le départ de César pour les Gaules, le Forum n'avait été qu'un champ de bataille où les compétiteurs se disputaient les magistratures avec des troupes régulières de clients ou d'esclaves en armes, et selon la forte expression de l'historien, tout le monde avait à l'intérieur une armée, excepté la république. L'année même où il quitte Rome (696), Clodius y règne ; c'est tout dire. Clodius s'attaquait à tout, même à ceux dont l'imprudence l'avait élevé, emporté à la fois par une turbulence naturelle et par la pire des ambitions, l'amour tic la popularité dans un patricien qui s'est fait plébéien. L'année suivante (697), le rappel de Cicéron mettait aux prises, dans un combat en règle, les partisans de Cicéron conduits par Milon, et les gladiateurs à la solde de Clodius, resté chef de bande après avoir cessé d'être tribun. Pompée eut sa toge couverte de sang. Les cadavres, dit Cicéron, encombrèrent le Tibre et remplirent les égouts, et il fallut laver avec des éponges le sang qui souillait le Forum. Les luttes continuent en 698, et, comme pour inter jusqu'à la dernière chance du retour à l'ordre, les partis réussissent à brouiller les hommes dont raccord était la seule ressource de la république, depuis que les lois n'y obligeaient plus personne. Cicéron est mis en défiance de Pompée les vieilles inimitiés de Pompée de Crassus sont réveillées. L'entrevue au quartier d'hiver de César, à Lucques, au commencement de 699, les réconcilie tous trois. Pompée et Crassus sont nommés consuls ; mais, devant leurs faisceaux impuissants, le sang coule dans les élections pour l'édilité. Pompée en reçoit les éclaboussures, et sa toge encore une fois ensanglantée est rapportée à sa jeune femme, qui de frayeur fait une fausse couche. En 700, s'il n'y a ni émeute, ni sang versé, il a le scandale public d'un marché écrit, par lequel les candidats au consulat achetaient l'appui des consuls en exercice par la promesse de leur faire obtenir, à leur sortie de charge, les provinces qu'ils désiraient, et, dans le cas d'inexécution, à leur paver 400.000 sesterces. L'année finit sans élections. On ne trouvait déjà plus qu'un moyen d'échapper à des comices sanglants : c'était de n'en pas tenir du tout. Il plut à Pompée qu'il y en eût l'année suivante. Il ambitionnait de les présider comme interroi ; Caton s'y opposa, et Pompée n'insista pas. On a là l'esprit de sa politique. Il n'osait pas être dictateur, et il préparait tolites choses pour la dictature. On a vu, dans les premières pages de cette étude, ce qui se passait à Rome en l'année 702. L'année suivante, si l'ordre règne au Forum, ce n'est pas qu'il y ait dans Rome un pouvoir capable de le maintenir ; c'est qu'il ne s'y trouve personne qui ail intérêt à le troubler. En l'année 704 commence une sorte de siège régulier de la position de César. Toute la politique du parti gouvernant est de tâcher d'échapper à sa fortune. Dans cette ruine de la chose publique, Caton, dit l'historien de Jules César, trouvait à blâmer tout le monde, peut-être parce que tout le monde était blâmable. J'oserais ôter ce mot peut-être et voir dans ce tout le monde César lui-même, trop intéressé, pour n'en être pas un peu complice, à un état de trouble auquel il pouvait seul mettre fin. Tout au moins par les amis qu'il se ménageait à Rome, et qui, sans doute, ne croyaient pas gâter ses affaires en ébranlant le gouvernement dans les mains de ses ennemis. Sans compter que, parmi ses amis, quelques-uns était notoirement à sa solde, tels que les tribuns Antoine et Curion, qui, en quittant Rome en l'année 704 pour se retirer auprès de lui, semblèrent lui apporter les lois elles-mêmes du pays, violées en leurs personnes, et donnèrent à son entreprise le caractère d'une révolution légale[13]. César avait donc travaillé de ses mains aux ruines qu'il devait réparer. J'en fais la remarque, non-seulement parce que je la crois vraie, mais par un sentiment de fierté, pour mon propre pays, sauvé, il y a soixante-sept ans, par un grand homme pur de tout le mal qui avait réduit la France à la nécessité d'être sauvée. XIQue dans cette Rome, où le parti dominant trop faible pour gouverner, était assez fort polit lui nuire, César, revenant de la guerre des Gaules, courût risque de la liberté et de la vie, les preuves en sont nombreuses. Il avait affaire à des ennemis qui ne rougissaient pas de promettre au chef germain, Arioviste, l'amitié du peuple romain, s'il les délivrait de César par un assassinat. Veut-on savoir ce que pensait Caton, et avec Caton tout le parti aristocratique, de ces victoires de l'année 700, qui avaient refoulé au delà du Rhin les bordes germaines ? Le peuple voulait qu'on en reinercii les dieux Caton demandait qu'on livrât le chef romain aux barbares, le vainqueur aux vaincus. On accueillait avec joie les finisses nouvelles de ses prétendus échecs. Des consuls, se jouant des de son consulat, faisaient battre de verges des colons qui tenaient de ses lois le droit de cité romaine. Une accusation capitale l'attendait à l'arrivée, s'il rentrait à Rome désarmé et en simple particulier, et déjà au dire de Suétone, on lui préparait, comme à Milon, un tribunal entouré d'hommes en armes, non pas apparemment pour le protéger contre la violence, mais pour permettre à ses juges de le condamner en sécurité. Provoqué par tant d'inimitiés, quand tout l'invitait à attaquer pour se défendre, été le véritable instigateur de la guerre civile ? Quelque dessein qu'on lui prête, soit qu'il n'ambitionnât un second consulat que pour y continuer, dans le cercle légal, les œuvres du premier, soit qu'il visait plus haut, la paix faisait ses affaires. A la vérité, la guerre les faisait également ; mais la guerre a des chances. Elle en avait eu pour lui dans la Gaule, contre des ennemis que Rome qualifiait de barbares ; que serait-ce dans une lutte de Romains contre Romains ? Il ne pouvait pas être partout de sa personne, et quelques-uns de ses lieutenants avaient été battus. Tout compte fait, n'ayant plus besoin de la guerre pour s'acquérir un renom milliaire, il devait préférer la paix comme lui offrant les mêmes avantages, avec les mauvaises chances de moins. Il n'en était pas de même pour Pompée. La paix ne lui laissait que les mauvaises chances. Il ne pouvait pas vouloir de la paix. Lorsque César lui fit proposer de quitter chacun leur commandement, si Pompée l'eût pris au mot, les voilà rentrant tous les deux dans Rome sans armée : Pompée, déconsidéré par l'impuissance de ses deux derniers consulats ; César, entouré de lotit l'éclat que ses victoires avaient jeté sur le sien : l'une, forcé de prendre le lendemain la route d'Espagne où l'appelait son proconsulat, et d'abdiquer, pour ainsi dire, à l'intérieur ; l'autre s'emparant légalement de Rome, d'abord comme candidat au consulat, puis comme consul ; Pompée, sans appui dans le peuple, et mené par une oligarchie qui s, servait et se défiait de lui, César, aimé du peuple, et citer d'un parti qui lui obéissait. La situation de Pompée, c'était la délaite avant la guerre. L'historien de César l'a énergiquement résumée. Pompée, dit-il, était réduit à désirer la guerre civile ; César était forcé de la faire. Comment Pompée ne l'eût-il pas voulue ? D'avance il s'y
croyait vainqueur. Ne s'était-il pas vanté de n'avoir qu'à frapper du pied le
sol de l'Italie pour en faire sortir des légions ? La même vanité aveuglait
son parti. C'est merveille, écrivait Cicéron,
que la fureur qui s'était emparée non-seulement des
méchants, mais des soi-disant bons : Ils brûlaient de combattre, eu dépit de
moi qui leur criais vainement qu'il n'y a rien de pire que la guerre civile[14]. A ce moment,
César occupait Rimini, Pesaro, Ancône, et les pompéiens venaient de quitter
nome. Trois ans après, quand tout était consommé, Cicéron écrivait à Varron,
un savant et un sage que le goût de l'érudition et l'amour des livres avaient
préservé de ses troubles d'esprit, sinon de ses tristesses : Je ne sais en vérité ce que j'aurais à blâmer dans tout
ceci, si ce n'est l'origine même des choses. Tout dépendait alors de la
volonté des hommes. Vous étiez absent ; moi, j'ai vu nos amis appeler la guerre
de tous leurs vœux, et César moins la désirer que ne pas la craindre[15]. Au reste, ils devaient vouloir la guerre, ceux qu'on vit, après l'échec de César à Dyrrachium, oublier les accidents si communs à la guerre, et, joyeux connue s'ils n'avaient à redouter aucun changement de la fortune, annoncer par lettres et par messages leur victoire à tout l'univers[16]. Ce sont les mêmes qui, à la veille de la bataille de Pharsale, se disputent la succession de César et les biens de ses amis, désignent les consuls pour les années suivantes, et, au lieu de s'occuper des moyens de vaincre, ne pensent qu'à ce qu'ils feront de la victoire. Ils s'en croyaient si assurés, qu'après la bataille trouva dans leur camp, dressés pour les recevoir en triomphateurs, des tables à trois lits, des buffets chargés d'argenterie, des tentes couvertes de gazon frais et décorées de montrant, disent encore les Commentaires, par les recherches de ce luxe frivole, combien ils doutaient peu du succès[17]. Des gens ainsi infatués n'avaient plus depuis longtemps le pouvoir d'être justes. XIILe droit n'était pas plus de leur côté que la justice. C'est un point que discute, en quelques pages, aussi neuves que concluantes, l'historien de Jules César. La lumière est faite désormais sur une question qui paraissait obscure même à Cicéron. D'après l'ancienne loi, le commandement de César eût dû expirer avec l'année 704. Le sénat, où il comptait tant d'ennemis, n'avait garde d'oublier cette échéance. Dès les premiers mois de l'année, on y proposait de lui nommer un successeur. Cependant, l'année 704 finie, et la suivante commencée, César restait encore à la tête de son armée. C'est que l'usage avait été changé pour lui. S'il est vrai que l'ancienne loi le rappelait à Rome, un plébiscite, rendu sur la proposition des dix tribuns, et appuyé par Pompée et Cicéron, lui permettait de briguer le consulat quoique absent. Or, les comices consulaires devant avoir lieu au mois de juillet 705, ou bien cette permission de briguer le consulat, quoique absent, ne signifiait rien, ou elle voulait dire que, du mois de janvier au mois de juillet, c'est-A-dire dans le temps que durait légalement. la brigue, César était autorisé à rester dans sa province : et comment y rester, sinon à la tête de son armée ? C'est bien ainsi que l'entendait Cicéron, lorsque, voyant César revendiquer le bénéfice du plébiscite, il écrivait à Atticus : Accorder à César cette faculté, c'était lui accorder du même coup le droit de garder sa province et son armée. A quoi il ajoute : Il faut, ou lui tenir compte d'un privilège qui lui a été conféré par la loi, ou lui faire la guerre[18]. On la lui faisait par des illégalités avant de la lui faire par les armes. Dès l'année 703, on enjoignait aux consuls désignés d'engager, à leur entrée en charge, la question du rappel de César : au sénat, d'en délibérer d'urgence, même les jours maudits ; aux tribuns, de ne pas user de leur droit d'intercession, sous peine d'être déclarés ennemis de la république. On violait les lois favorables à César, on n'exécutait pas les lois défavorables à Pompée. Ainsi, le sénat avant décrété le licenciement simultané des armées de César et de Pompée, les consuls refusèrent de l'exécuter, pour ne pas ôter à Pompée la sienne. Et l'un d'eux, trouvant, plus court de se passer de la loi que de la violer, alla de sa personne, sans sénatus-consulte, ni plébiscite, commander à Pompée de lever des troupes et de veiller au salut de la république Avec le droit qui vient de la loi, César avait la force morale qui vient de la majorité. A Rome, tous les bienfaits de son premier consulat et tout cc qu'on espérait du second parlaient hautement pour lui. Hors de Rome, sa popularité était immense. On put le voir par l'accueil que lui firent les villes municipales à son premier retour de la Gaule subjuguée, par ces portes tendues de feuillage, ces arcs de triomphe, celle affluence des femmes et des enfants dans les temples, ces victimes immolées, ces tables dressées, ces riches et ces pauvres rivalisant les uns de magnificence, les autres d'empressement[19]. À l'heure même où le sénat le déclarait ennemi public, il a, écrivait avec dépit Cicéron, onze légions, de la cavalerie tant qu'il en voudra, la Gaule transpadane, la populace urbaine, tous les tribuns, tout ce qu'il y a de jeunesse corrompue. Six dus auparavant, répondant à ceux qui s'opposaient à une prolongation de son commandement, Cicéron avait dit : Ceux-là s'il en est, qui n'aiment point César, n'ont aucun intérêt à le rappeler de sa province ; car c'est le rappeler à la gloire, au triomphe, aux félicitations, au rang suprême dans le sénat, à la reconnaissance de l'ordre équestre, à l'amour du peuple[20]. C'est bien de la même popularité qu'il s'agit aux deux époques ; mais, selon la disposition de Cicéron, en 697, c'était, celle d'un grand homme ; en 704, c'est telle d'un factieux. Même la majorité du sénat n'avait pas toujours manqué à César ; témoin le double rejet, d'abord en 703, puis en 704, de la proposition de le rappeler. Il n'en faut pas conclure que cette majorité fût à lui comme le peuple de home et l'Italie. Il avait pour lui, à certains jours, dans le sénat, le bon sens et l'esprit politique ; il n'avait pas le fond des cœurs. Les assemblées n'ont pas de gai !, pour les grands capitaines, et peut-être n'ont-elles pas tort. Le sénat pensait moins il complaire à César qu'ii ne pas lui donner de griefs ; on voulait éviter de le ficher, sans le favoriser. Le fond des cœurs se montra le jour où, sur cette motion de Curion : Pompée et César doivent-ils désarmer tous les deux ? 370 voix contre 22 votèrent, pour l'affirmative. Mais toutes choses dès lors tournaient tellement de son côté, que tout vote.qui n'était pas pour Pompée était nécessairement pour César. Tels sont les points que traite, dans les trois derniers chapitres de ce volume, l'historien de Jules César, ou plutôt telles sont les vérités historiques qu'il démontre avec une abondance et un choix de preuves, une force de raison et une élévation de langage qui mettent de son côté tous les esprits désintéressés. L'impression qui demeure, c'est que l'acte de César s'emparant de la dictature, au lieu d'être une usurpation, est un acte de légitime défense, une réparation dos lois violées en la personne des tribuns et en la sienne. El cet acte parait si nécessaire, qu'on partage l'énergique conviction de l'historien disant que refuser à la société romaine en dissolution le maitre qu'elle demandait, à l'Italie opprimée un défenseur de ses droits, au monde courbé sous le joug un sauveur, eût été non un acte d'abnégation, mais une désertion devant l'ennemi. L'entreprise de César est, dans l'antiquité, le plus
mémorable exemple de ces dictatures populaires où, s'il m'est permis de citer
ce que j'écrivais il y a quelques années, soit
fatigue, soit crainte de l'anarchie, un peuple se donne un chef pour sortir
de l'abîme ou pour n'y point tomber. Sans doute ce chef s'est désigné par son
génie et imposé par sa résolution au choix du peuple ; mais, en s'emparant de
la dictature, il ne prend que ce qu'on lui offre. C'est une nation aux abois qui
dépose tous ses pouvoirs aux mains d'un grand homme. Ces mains sont prêtes,
il est vrai, à les recevoir ; mais elles ne reçoivent que ce que la nation y
met[21]. XIIISur l'acte patriotique par lequel César se rendit maitre du gouvernement de son pays, je n'ai pas de peine à nie ranger à l'opinion de son historien. C'est, fortifiée de raisons nouvelles, celle que je professais moi-même en 1845, dans la chaire d'éloquence latine, au Collège de France. J'ai parlé du plaisir qu'éprouve un esprit sincère à se voir redressé par un plus habile ; se voir justifié et confirmé est peut-être un plaisir encore plus délicat. On me pardonnera de n'y pas être indifférent. Mais si, à l'égard de César, j'abonde dans le sens de son historien, et si je n'hésite pas à passer le Rubicon à sa suite, j'ose ne pas accepter tout son jugement sur Cicéron, et, vérités ou préjugés, j'essayerai d'en donner les raisons. Il y a deux manières d'être sévère pour les personnages historiques : l'une, c'est de l'être jusqu'à l'injustice ; l'autre, c'est d'avoir trop raison contre eux. Tel est le genre de sévérité dont l'historien de César me paraît user envers Cicéron. Il n'est que trop vrai que Cicéron y donne matière par les contradictions de sa vie publique. Il commence par appuyer toutes les propositions favorables à César. C'est avec son approbation qu'en 647, après la guerre des Belges, le sénat vote quinze jours d'actions de grâces aux dieux, cinq jours de plus que pour Marius après sa victoire sur les Cimbres et pour Pompée après la guerre de Mithridate. Quand César obtient dix lieutenants, un subside pour la solde de quatre légions, non-seulement Cicéron a opiné dans ce sens, mais il a réfuté les contradicteurs, et il a eu la main dans la rédaction des décrets. En l'année 700, alors que, de sénateur bien disposé pour. César, il est devenu un de ses amis personnels, que de protestations d'amitié, que de louanges flatteuses, quelle abondance de reconnaissance pour les procédés mémorables et vraiment divins de César envers lui ! Quelles énumérations des qualités éminentes et merveilleuses du vainqueur des Gaules ! Sans compter un poème composé en son honneur et heureusement perdu, et tout ce qu'un homme d'une imagination vive peut mettre de complaisance pour lui-même à se vanter d'une amitié illustre ! Il ne manquait pas de gens qui, avant connu ses premiers sentiments pour César, soupçonnaient peut-être sa nouvelle amitié d'arrière-pensée. Avec quelle ingénuité il leur déclare que s'opiniâtrer dans ses sentiments n'est pas d'un homme sensé ; que, pour son compte, il a lu, appris et reconnu dans les écrivains, et par l'exemple des hommes les plus sages et les plus célèbres, qu'on doit prendre des opinions conformes à la diversité des circonstances et au bien de la paix[22] ! Entre César et lui, le lien se resserre de jour en jour par la réciprocité des services. Et, dans cet échange, celui qui reçoit le plus, c'est Cicéron. Il rebâtit sa maison avec de l'argent que lui prête César. César a des places et des gr ces pour tous ceux que lui recommande Cicéron ; et c'est peine de voir ce dernier se parer, comme d'un hommage à sa gloire, de ce crédit qui l'embarrassera quelque jour comme une faute[23] ! Dans le cours de la dictature, il n'accepte pas les offres de César[24], mais il se laisse rechercher par ses amis. Il n'en a pas de plus proche. S'agit-il d'écrire au dictateur, il choisit, parmi tous les genres de protestations, la seule peut-être dont l'eût dispensé César, trop maître de tout désormais, et trop homme d'esprit pour ne pas comprendre la dignité et ne point pardonner la liberté des regrets. Je n'en suis plus, dit-il, à écouter les grands qui nie conseillent de chercher dans l'opposition quelque occasion de gloire. En vain murmurent-ils à mon oreille ces paroles d'Hector : Je ne mourrai pas lâchement et sans gloire, mais après-quelque grand exploit dont parlera la postérité. Laissons là les grands mots
d'Homère. Je m'en tiens à cette maxime d'Euripide, c'est la bonne : Je hais le sage qui ne sait pas l'être pour lui-même[25]. Le froid des citations ajoute à l'inopportunité Tune déclaration qu'on ne lui demandait pas. Vers la fin de l'année 709, César, à son retour d'Espagne, lui rend une visite dans sa villa près de Pouzzoles. On lui sert un somptueux dîner. En convive qui avait pris un vomitif le matin, nous dit Cicéron, il mange et boit avec gaieté. L'hôte et le convive font assaut de mots aimables. Pourquoi dette visite et pourquoi cette invitation ? J'ai peur que l'une n'ait pas été inopinée, et que l'autre n'ait été un peu trop pressante. A quelque temps de là Cicéron, dans la maison même de
César, dont il était l'hôte à son tour, prononçait son discours pour le roi
Déjotarus, où se lit cet éloge du dictateur : Vous
vous laissez facilement fléchir, César, et c'est assez qu'on vous fléchisse
une fois. Nul n'a reçu de vous son pardon, qui ait senti qu'il vous restât
quelque ombre d'inimitié..... Avec vous nous
n'avons point connu les effets ordinaires des guerres civiles. Vous êtes le
seul dont la victoire n'a coûté la vie à personne hors du champ de bataille.
Rien de vulgaire ne vous sied. Votre pitié n'a pas besoin d'être sollicitée
par des discours. Elle va elle-même au-devant des suppliants et des
misérables. Cependant, au mois de mars de l'année suivante, de la même plume qui venait de tracer ce bel éloge de César vivant, il écrivait de César lâchement assassiné : J'ai peur, Atticus, que ces ides de mars ne nous aient donné que la joie de la haine satisfaite. Et au même : L'arbre a été coupé, et non déraciné. Et à Cassius : Nous avons été délivrés d'un roi, non d'un règne. Nous tuons le roi, et nous respectons toutes les volontés royales[26]. Et ces horribles paroles, qui contristeront à jamais tous ceux qui aiment Cicéron : Que ne m'avez-vous invité au festin des ides de mars ! répétées avec cette variante aggravante : Que j'eusse voulu être invité à ce beau festin des ides de mars ![27] Je comprends qu'à voir cette suite de protestations finir par l'expression d'un regret si sauvage, un admirateur de César éprouve une de ces indignations qui disposent mal à être juste ; et quant à moi, qui ose prendre la défense de Cicéron, je ne sais, à cet endroit de sa vie, que baisser la tête. XIVOn s'explique d'ailleurs que Cicéron ne gagne pas à être fréquenté par les hommes qui ont la charge et le génie du gouvernement. Il ne se peut guère qu'il la longue il ne porte, pas un peu la peine de ce que leur ont suscité d'embarras ou causé d'ennui, dans la personne des gens auxquels ils ont eu affaire, les défauts que l'histoire reproche à Cicéron, l'irrésolution, les amitiés douteuses, la disproportion des talents et des prétentions, la vanité enfin, ce faible sur lequel sou génie a jeté une sorte d'illustration et dont sa gloire a fait un type. Le commerce des simples lettrés lui est plus favorable. Plus ils le pratiquent, plus ils lui deviennent indulgents. Et tandis qu'aux yeux de l'homme qui commande aux autres, ses défauts prennent les proportions de difficultés de gouvernement, aux yeux du lettré qui ne cherche dans les livres que les plaisirs de l'esprit et la science générale du cœur humain, ces défauts ne sont que des faiblesses, les unes nées de sa situation, les autres accompagnement peut-être inévitable de ses grandes qualités. Selon, qu'il a pour juge un grand politique ou un simple lettré, ces défauts prennent des noms différents ; et même dans ceux qui, pour tout le inonde, ne s'appellent que d'un seul nom, le lettré cherche et croit trouver des circonstances atténuantes. Je prends la vanité, par exemple. Il ne semble guère facile d'atténuer la vanité de Cicéron. Elle est proverbiale. Elle le rendait incommode, même à ses amis : combien plus à ses ennemis ! et elle exposait un si grand esprit à la moquerie, chose pire que la haine. N'était-ce que ce travers commun à tant d'hommes distingués, par lequel ils se savent moins de gré de ce qu'ils valent que de ce qu'ils croient valoir ? Regardez-y de près. La vanité de Cicéron n'est qu'une trop grande inclination à s'approuver de ce qu'il a fait de bien, et l'excès du bon témoignage que se rend une conscience honnête. Elle lui vient moins de l'idée qu'il se fait de son esprit que de l'opinion qu'il a de ses actions. Non que Cicéron ait médiocrement estimé son esprit. N'eût-il à sa charge que ce vers qui, dit-on, choquait si fort Pompée, où il met la toge au-dessus de l'épée, et l'éloquence au-dessus des lauriers militaires[28], ce serait déjà trop. Mais, cette vanité-là il ne l'a que par boutades, et il l'a si humaine, qu'elle ne le rend ni injuste, ni envieux, ni avare de louanges pour les grandi talents oratoires du présent et du passé. Sa vraie vanité, le faible à la fois et le ressort de.sa vie, c'est d'être un bon citoyen. Que demande-t-il à Luccéius, dans cette lettre fameuse où il le sollicite d'écrire son histoire et, puisqu'il a toute honte bue, dit-il avec grâce, d'en dire un peu plus qu'il n'en pense, pour qu'il jouisse de son vivant de la petite gloire (gloriola) qu'il a méritée ? Est-ce l'éloge de ses talents d'orateur ou d'écrivain ? Non. Ce qu'il veut, il l'explique : c'est l'histoire de son consulat, c'est Rome sauvée de Catilina. Pardonnons-lui une faiblesse qui lui a peut-être plus servi que nui. Dans un temps où les sages se moquaient des dieux des ancêtres, où la morale était moins une règle des mœurs qu'une spéculation d'esprit qui n'obligeait à rien, la vanité même, en l'absence d'un principe de conduite supérieure, pouvait être une lumière pour la conscience. Il semble qu'elle ait eu ce caractère chez Cicéron. Elle en eut du moins les bons effets. Tandis qu'il s'évertue à se louer, il s'engage de réputation à faire des choses louables. À force d'aimer la gloire, il s'attache plus fortement duce qui donne la vraie. Peut-être aussi, par un sentiment secret de sa faiblesse, cherchait-il jusque dans sa vanité une force contre lui-même, et, comme ceux qui, surpris par la nuit, chantent pour se rassurer, peut-être se donnait-il du courage en s'admirant. Il est une autre faiblesse de Cicéron qui l'empêcha d'être résolument de son parti, et même, par moments, de son avis, et qui lit que, ne s'attachant à personne, il parut passer de l'un à l'autre par intérêt. L'homme de gouvernement appellera cette faiblesse versatilité. Car quel autre mot, que versatile s'applique mieux à un personnage qui ne sait être ni ami ni ennemi : presque courtisan de Pompée et de César en leur présence, et sous la séduction de leurs avances, et, sitôt qu'il est, loin d'eux, leur juge plus que sévère ; qui les loue en public et médit d'eux dans le privé ; l'hôte de l'un et le convive de l'autre, et ne se donnant gué potin se reprendre ? Le lettré regarde ce que lui rapporte cette conduite ambiguë, et, peu à peu, Cicéron lui parait plutôt irrésolu que versatile. En effet l'idée de versatilité est inséparable de l'idée d'un intérêt présent et évaluable. L'homme versatile est ce sage de la Fontaine qui crie, selon le temps : Vive le roi, vive la ligue ! ou ce politique qui, selon le mot anglais, retourne son habit, et qu'on voit, le lendemain de la défaite de son parti, debout au milieu du parti vainqueur. L'image est-elle vraie de Cicéron ? Pompée vaincu, que tire-t-il de la victoire de César ? Il avait pensé un un jour à lui demander une légation libre en Grèce, pour aller surveiller à Athènes l'éducation de son fils. Au moment d'en parler, il trouve qu'il faut attendre bien longtemps une audience de César, et il y renonce. Le temps de la dictature, c'est le temps de sa plus grande fécondité littéraire. De 708 à 710, et jusque dans les premiers mois de l'année qui vit le meurtre de César, les œuvres succèdent aux œuvres. Quand il s'interrompt de ses travaux, dont la diversité, la liberté et la grâce témoignent d'une si grande force d'âme, c'est pour solliciter de César la rentrée en grâce d'un exilé, et faire servir le crédit de civilité que lui donne le dictateur au salut de quelque vaincu des guerres civiles. Pour lui-même, s'il n'a pas la vertu de taire les offres qu'on lui fait[29], il a du moins celle de les refuser, et il prend un plaisir amer à se faire plus disgracié qu'il n'est. Je suis mort, je suis mort il y a longtemps, écrit-il à Atticus (mars 709) : c'est pour cela que je cherche la solitude[30]. Les esprits versatiles n'ont pas de ces tristesses généreuses ; mais c'est le mal des honnêtes gens irrésolus. Nul n'en a plus souffert que Cicéron, parce qu'aucun honnête homme ne fut plus irrésolu. Je cherche comment il eût pu ne l'être pas, ou en quoi il est si coupable de l'avoir été. Il avait contre lui jusqu'à son extrême pénétration, et ce qu'on pourrait appeler son trop de lumières ; car c'est surtout pour avoir trop bien vu qu'il a été empêché d'agir. Sauf ces mobiles mystérieux qui restent cachés même à ceux qu'ils ont fait mouvoir, et qui, découverts un jour par la philosophie de l'histoire, nous paraissent comme la trace du doigt de Dieu dans les choses humaines, je ne sais pas ce que Cicéron a ignoré ou n'a pas vu des hommes et des choses de son temps. Les défauts de ses amis comme les qualités de ses ennemis n'ont pas de témoin plus sagace. Il nous aide même à découvrir cc qui lui a échappé, et il n'y a pas jusqu'à ses préventions qui ne soient encore une sorte de lumière. Je doute qu'aucun homme ait possédé à un plus haut degré ce don de la clairvoyance, cette acuité du regard intérieur, comme lui dit Luccéius, par laquelle il pénétrait les choses les plus cachées[31], et perçait des obscurités au fond desquelles il lui arriva plus d'une fois d'entrevoir, pour terme de sa vie, la mort violente. Don admirable, pourvu que les lumières soient les guides de la volonté, et que le même homme qui sait voir soit capable d'agir ! Cicéron ne fut pas cet homme-là Il est d'un parti, et la seule chose par laquelle un homme de parti est actif et consistant, il ne l'a point : il est sans esprit de parti. Il aime la gloire, il n'aime pas l'action, dont elle est le prix. Par la fatalité des temps où il a vécu, il n'y avait plus de place pour une autre sorte d'action que la guerre, et le premier parmi les hommes d'action ne pouvait être qu'un chef d'armée. Or Cicéron, en cela le moins Romain de ses contemporains, n'avait ni les talents ni l'humeur d'un homme de guerre. Il le fut un jour, dans son proconsulat de Cilicie, mais si peu, que sa vanité même ne s'y est pas laissé prendre, et qu'il eut le bon sens de ne chercher dans un commandement militaire que l'illustration des vertus civiles. Entre César et Pompée, Cicéron n'est qu'un avocat entre des gens d'épée : inter armatos togatus. Incapable de commander, trop illustre pour suivre, et, faute d'une épée victorieuse, n'étant même pas le troisième, que lui restait-il, qu'à osciller de' Pompée à César, tour à tour attiré vers le premier par ses opinions, vers le second par ses lumières, et, après avoir travaillé à leur fortune dans la pensée qu'il les égalait en les élevant, se retirant d'eux tour à tour, avec le tort d'être infidèle, sans qu'on lui fit l'honneur de le regarder comme ennemi ? J'ai dit, combien il eut à souffrir de cette irrésolution ; ses lettres à Atticus, de janvier à juin 707, en offrent une peinture poignante. Ceux qui sont prévenus pour une seule manière de faire ce qu'on tient pour son devoir, la manière des héros, la manière cornélienne, ont beau sujet de prendre en pitié les combats, les incertitudes, les contradictions de Cicéron, la longue angoisse de cet homme qui se relève, puis retombe, qui, à mesure que le devoir approche, essaye de ne pas le voir, le discute, le nie, en rabaisse les motifs, veut se persuader que c'est duperie ; qui établit une sorte de compte en partie double des services qu'il a rendus à Pompée et de ceux qu'il en a reçus ; qui débat sa dette, et s'efforce de croire que Pompée est son débiteur. C'est là en effet Cicéron, mais non tout Cicéron. Il y en a un autre fort différent, comme il y a une autre manière, moins héroïque, plus humaine, de faire son devoir, qui est comme une victoire lente, intermittente, avec reculades et retraites, de la conscience sur l'instinct de la conservation. Ce Cicéron-là plus à aimer qu'à admirer, qu'on plaint, qu'on ne condamne pas, qui tout à l'heure cherchait à prendre le change sur son devoir, à se le cacher, à y échapper, maintenant l'embrasse comme un refuge, sent la honte de ses incertitudes, demande à sa gloire passée, à ses livres, aux exemples des grands hommes, à sa plume, des secours et des lumières pour choisir entre l'honnête, qui est si clair, et, l'utile, qui est si obscur ; et, finalement, termine la lutte par la bonne résolution, et fait la même chose que les héros, sans le secours des forces naturelles qui, tout d'abord et d'un premier élan, portent ceux-ci aux actes héroïques. XVLe caractère de Cicéron offre un dernier trait, qui, selon le point de vue où l'on se place, peut s'appeler de deux mots également justes. C'est son attitude devant le danger. L'homme de gouvernement n'hésitera pas à qualifier de pusillanimité la défaillance du grand orateur, le jour où, défendant Milon devant un tribunal que Pompée avait fait entourer de gens armés, il se trouble, s'embarrasse, et, faute du courage de l'avocat, perd le procès de son client. Le même mot ne paraîtra pas trop sévère pour caractériser, soit le coup de main clandestin de Cicéron, profitant de l'absence de Clodius pour aller en force au Capitole briser les tables où étaient gravés les actes de ce tribun ; soit, après le passage du Rubicon, quand le sénat distribue les postes de défense entre les divers proconsulaires, le choix que fait l'ancien proconsul de Cilicie des côtes de Naples comme le point le plus éloigné de César, et le plus rapproché de la mer par où l'on pouvait lui échapper. Cependant, même dans ces actes, où l'homme de gouvernement est si en droit de trouver Cicéron pusillanime, la prévention du lettré ne le trouvera que timide. Si, dans la défense de Milon, sa parole hésite, ce n'est pas seulement qu'il s'effraye de la nouveauté d'un tribunal jugeant sous la protection du glaive, c'est qu'il a sujet de douter que la protection lui soit plus amie que l'émeute. Quand il va mettre en pièces les registres du tribunat de Clodius, celui-ci n'est pas mort, il n'est qu'absent. Il revient en effet, il se plaint, on devine de quel ton, et Cicéron lui répond qu'il a cassé ses actes comme contraires aux lois qui interdisent le tribunat aux patriciens ; et s'il a été timide en faisant le coup en l'absence de Clodius, il est courageux en maintenant l'acte, Clodius présent[32]. Enfin, sur ce choix des côtes de Naples, pourquoi ne croirais-je pas ce qu'il en dit à son secrétaire si chèrement aimé, Tiron, que, s'il s'est fait attribuer le poste de la Campanie, c'est comme le moins important et celui d'où ses lettres et ses exhortations peuvent avoir le plus d'effet sur César[33] ? Vaut-il mieux croire qu'il cherche à faire illusion à son secrétaire sur sa pusillanimité ? Il n'y a pas de pusillanimité, il n'y a même plus de timidité, dans son départ pour la Grèce, après que César, revenant de Brindes à Rome, l'eut sollicité de sa personne de rester en Italie, et quoique aux yeux d'un tel solliciteur une prière refusée pût paraitre un acte d'hostilité. Et lorsque, deux ans plus tard, demandant à César la grâce de Ligarius, il lui disait : La guerre était commencée, César, elle était presque terminée, lorsque, par un libre mouvement de ma volonté, je suis allé me joindre à ceux qui étaient armés contre vous ; ces belles paroles sont d'un homme qui n'avait pas à se souvenir d'avoir eu peur, ni qui risquât d'être contredit. La preuve qu'il n'était pas pusillanime, c'est qu'il ne le parut point, même après ses longues hésitations, à ceux qu'il était allé rejoindre. Témoin Caton, qui, le voyant arriver au camp de Pompée, lui dit qu'il eût mieux fait de rester en Italie et de s'y accommoder aux événements ; que là il eût été plus utile à sa patrie et à ses amis, et que c'était sans raison qu'il se faisait l'ennemi de César et le compagnon des périls de Pompée[34]. Je ne parle pas de ce qui fut l'acte le plus courageux de sa vie, sa mort. Je ne fais pas l'apologie de Cicéron ; je crois d'ailleurs que, dans des luttes suprêmes comme celle où il fut 'engagé, et où la mort violente est suspendue sur là tête de tous les combattants, il peut y avoir un genre de courage plus rare et plus méritoire à défendre sa vie qu'à la livrer, comme la victime du sacrifice, au fer d'un meurtrier politique ! XVIPour le lettré qui ne prend point parti dans ces luttes, et qui se plaît indistinctement au commerce de tous ces grands personnages, comme à autant de types illustres de la nature humaine, une chose recommande particulièrement la mémoire de Cicéron : c'est par lui que nous connaissons les plus beaux côtés de César. Parmi les historiens qui ont parlé de ce grand homme, les uns, comme Salluste, ne nous en ont pas dit tout ce qu'ils en savaient. D'autres, comme Velléius Paterculus, par la façon dont ils ont cru le glorifier, n'ont fait que se rabaisser eux-mêmes ; ou, comme Suétone, l'accommodent au goût des curieux de scandale et lui ôtent l'auréole. Ses grandes qualités n'ont pas eu de juge plus intelligent, de spectateur plus touché que Cicéron. Par qui, sinon par Cicéron, avons-nous su, dès le collège, et pour ne l'oublier jamais, qu'à défaut de ses fleuves et de ses montagnes, l'Italie pouvait avoir pour barrières les victoires de César dans les Gaules[35] ; que, sous son administration, les peuples alliés étaient pleinement et véritablement libres[36], qu'il était doux et avait horreur du sang[37] ; qu'il goûtait singulièrement les esprits distingués[38] ; qu'il portait dans les compétitions civiles, avec une noblesse hors de pair, l'amour de la gloire et une grande âme[39] ? Otez Cicéron, et voilà l'occasion manquée pour César de montrer à quel point il était sensible à l'éloquence, et combien il dut goûter le plaisir de pardonner le jour où, entendant le grand orateur, qui l'intercédait pour Ligarius, on le vit, à un magnifique passage sur la bataille de Pharsale, se troubler, changer de couleur et laisser tomber de ses mains tremblantes les papiers qui condamnaient Ligarius ! Aux grands traits de caractère de César s'ajoutait un trait particulier, le plus humain de tous et le moins romain : il avait du charme. On le croit sans peine d'un écrivain qui a tant de goût. Et quel goût ! Cicéron lui-même ne l'eut pas si fin. C'est à la fois un don de nature dans l'homme de génie, et un fruit de l'éducation dans le patricien. L'excellens nobilitas du descendant de Vénus y est pour moitié. Ce qu'un tel goût est à l'esprit, le charme l'est au caractère, et il n'est pas surprenant que les deux dons se soient rencontrés chez le même homme. Mais, si nous le savons, c'est grâce à Cicéron, qui, plus qu'aucun autre de ses contemporains, a senti le charme de César, et qui seul en a parlé. Il a trouvé, pour le caractériser, un mot exquis, nouveau d'acception, comme le fut, au temps de Racine, le mot de charmes, le jour où ce grand poète le mit hardiment dans la bouche de Roxane parlant de Bajazet ; c'est suavis. Il le répète en plusieurs endroits. Il se plaît au mot, parce qu'il a été pris par la chose. Ainsi s'achève, sous sa plume délicate, le portrait de César. Ce visage fin, sévère et fatigué que nous représente la statuaire, Cicéron y a mis la grâce. Cc mérite d'avoir si bien peint César, tout en le craignant, et senti le charme de l'homme, peut-être sans l'aimer, cette impartialité naïve de l'observateur et du peintre dans le trouble presque continuel des préventions contradictoires de l'ami ou de l'adversaire politique, n'a pas peu contribué à me faire aimer Cicéron. Si c'est une erreur de jugement, je n'ai pas peur qu'elle me fasse-tort aux yeux de l'historien qui vient de justifier-avec tant d'éclat l'admiration du monde pour Jules César. Tout en distinguant les génies, les œuvres et les causes, toujours placé l'un près de l'autre, dans la région sereine des choses de l'esprit, ces deux hommes, la gloire de leur temps et l'honneur de la nature humaine ; et je demande à l'historien de Jules César de mettre la mémoire de Cicéron sous la protection de ces belles paroles, par lesquelles débute le livre IV : Des écrivains que la gloire irrite se plaisent la rabaisser. Ils semblent vouloir infirmer le jugement des siècles passés. Nous préférons le confirmer en disant pourquoi la renommée de certains hommes a rempli le monde. Ce que l'historien dit si bien au profit de César, tous les amis de l'antiquité et de la vérité le tiendront pour dit au profit de César et de Cicéron. XVIISauf ces réserves sur Cicéron, je suis, pour tout le reste, du même avis que l'auteur de l'Histoire de César, et je lui fais hommage de cet accord comme de la seule façon dont je puisse le louer. Je ne sais rien de mieux à dire d'un livre sinon qu'il m'a donné constamment le plaisir voir éclairci tout ce que j'avais soupçonné, exprimé tout ce que j'avais pensé. Je hasardais un jour devant M. de Chateaubriand cette définition de l'écrivain de génie : C'est, disais-je, celui qui dit ce que tout le monde pense. M. de Chateaubriand voulut bien ne pas trouver ma définition mauvaise. L'Histoire de Jules César n'a pas besoin qu'on rappelle parmi quelles préoccupations et dans les loisirs de quelle vie elle a été composée. On n'a que faire de la recommander de la grandeur des travaux dont elle a été la noble distraction. C'est le livre d'un auteur qui veut être jugé pour ce que vaut son œuvre, et si l'autorité pratique de certaines maximes de gouvernement, la hauteur habituelle des points de vue, quelques confidences échappées d'un cœur trop plein, ne trahissaient la plume d'oie il est sorti, l'auteur ferait oublier le souverain. Pour mon compte, je l'ai lu en lettré, comme l'ouvrage d'un des premiers parmi mes pairs, et c'est en lettré que je l'admire pour le lustre qu'il a jeté sur la littérature de mon temps et de mon pays. Comme œuvre d'érudition, aucun livre ne répond mieux à toutes les conditions de la critique historique. Il est tout entier pris aux sources. Rien n'y est de seconde main. Rien non plus n'y est, de trop : bon exemple donné aux érudits, qui profitent parfois du devoir d'être complets pour se permettre d'être longs. Ce livre si savant est en même temps une œuvre d'art par la proportion, l'intérêt, par ce genre d'agréments sévères et cette marche dramatique que nous voulons même d'une œuvre de raisonnement, et dont aucune matière ne dispense l'écrivain qui veut se faire lire. Prévenu, comme je le suis, pour les modèles sévères, on trouvera tout simple que j'aie goûté particulièrement, pour l'autorité qu'en reçoivent nos vieilles règles, la simplicité nerveuse de ce style, une absence de recherche qui est moins d'un écrivain qui la dédaigne que d'un penseur qui l'ignore, enfin cette langue des bons auteurs où les images ne sont que le dernier degré de la propriété et de la justesse. Vu du côté de la politique, c'est un livre plein de leçons pour les gouvernements qui veulent vivre. Il leur apprend, par le détail approfondi et le tableau expressif des causes qui minaient le gouvernement aristocratique à Rome, qu'il faut ne pas s'entêter ni s'opiniâtrer, savoir se défier des traditions les plus respectables le jour où elles s'incorporent dans des abus ; garder ce qui en est vivant, et rompre avec ce qui en est caduc ; voir de loin à l'horizon les intérêts nouveaux, et, le moment venu, leur faire leur place au soleil ; se convaincre enfin qu'au milieu des idées qui changent, des mœurs qui se renouvellent, des souffrances et des espérances qui travaillent les sociétés humaines, un gouvernement est tenu de ne pas vieillir. Chose très-remarquable, ce livre, qui semble une apologie de César, est peut-être le livre qui indique avec le plus de sincérité et de précision ce qu'il eût fallu faire pour rendre sa dictature inutile, et pour renfermer sa grandeur dans le cercle légal de la constitution de son pays. C'est là le cachet d'impartialité supérieure dont l'Histoire de Jules César est marquée. S'il s'y trouve des paroles d'admiration passionnée pour les hommes, grands entre tous, auxquels la Providence confère la tutelle des sociétés que de mauvais gouvernements ont menées aux abîmes, toute la partie politique n'est qu'un long enseignement des moyens de ne pas rendre cette tutelle nécessaire. Ni révolution, ni dictature, mais l'étude continuelle et la pratique résolue du vrai progrès, parmi les impatiences qu'excite, et les séductions qu'exerce le faux progrès : tel est l'esprit de ce bel ouvrage, et c'est par là qu'il prend une des premières places à côté de ce qui s'est écrit de durable sur les choses romaines pour l'enseignement du monde moderne. |
[1] A l'École normale, où j'ai professé dix ans.
[2] Livre I, ch. XXV.
[3] Lettres à Atticus, XIII, 46, 50.
[4] Brutus, LXXIV.
[5] Brutus, LXXXII.
[6] Vossius, De histor. latin., I, 13.
[7] A vingt années de l'écrit qui précède, dans un jugement sur l'Histoire de César, par Napoléon III, j'ai de nouveau apprécié celui que Chateaubriand a appelé le plus grand homme de l'antiquité. Je donne ici ce travail tel qu'il a paru, eu 1865, dans le Moniteur universel. Il n'y avait pas d'apparence que je fusse tenté d'y faire aucun changement. Je me suis même ôté, pour ce travail, le droit de censure que je garde et que j'exerce sur toutes les réimpressions de mes ouvrages. Si quelques passages que j'aurais pu, dans une révision, éclaircir ou abréger, me laissent des scrupules de goût, en revanche, je n'en ai aucun sur le fond des choses, et ce n'est pas sans quelque douceur que je me rends le témoignage de n'avoir, ni sur César, ni sur son historien, alors sur le trône, rien écrit qui ne soit resté l'expression exacte de ma pensée.
[8] En 1734, dans les Considérations ; en 1743, dans le Dialogue de Sylla et d'Eucrate.
[9] L'intrigue de César avec la femme de Pompée, Mucia. Pompée la répudia.
[10] Lettres à Quintus, III, 1.
[11] Tabulus bene pictus collocatus in bono lumine. Brutus, LXXV.
[12] Suarumque legum auctor idem ac subversor. Annales, III, 28.
[13] C'est une marque d'impartialité, dans la prédilection de l'historien de Jules César pour ce grand homme, non-seulement d'avoir rappelé le fait de cet achat de magistrats, mais d'avoir recherché par quels moyens César pouvait subvenir à de telles dépenses. Sa principale ressource, dit-il, était le produit de 500.000 esclaves de guerre, Gaulois, Germains ou Bretons, dont le chiffre peut être évalué à 95 millions de francs.
[14] Ad Div., XVI, 12.
[15] Guerre civile, III, 23.
[16] III, 83.
[17] Guerre civile, III, 83.
[18] Att., VII, 7.
[19] Guerre des Gaules, liv. VIII, 51.
[20] Discours sur les provinces consulaires, chap. XII.
[21] Nouvelles Etudes d'histoire et de littérature, Considération sur Napoléon Ier.
[22] Discours pour Cn. Plancius, XXXIX.
[23] N'oublions pas toutefois que tout cela se passe dans le temps de l'union la plus étroite entre César et Pompée.
[24] Il songea pourtant à lui demander une légation en Grèce, pour aller surveiller à Athènes l'éducation de son fils.
[25] Ad Fam., XIII, 15.
[26] Ad Fam., XII, 1.
[27]
A Trébonius, un des assassins. Ad Fam., X,
28.
[28] Cedant
arma togœ, concedat laurea linguœ.
[29] Il n'est rien de désirable que César ne m'ait offert spontanément. Ad Div., IV, 13.
[30] Att., XII, 28.
[31] Propter acumen occultissima perspiciens. Ad Fam., V, 14.
[32] Plutarque, Vie de Cicéron, chap. XXXIV.
[33] Ad Fam., XVI, 12.
[34]
Plutarque, Vie de Cicéron, chap. XXXVIII.
[35] In Pison., XXV.
[36] In Pison., LIX.
[37] Pro Sextio, LXIII.
[38] Ad Fam., VI, 6.
[39] In Valicinum, VI-XV.