Réciprocité d'estime
entre Paoli et Napoléon. — Progrès dis soldats. — Napoléon les harangue. —
Effets des punitions qu'il leur inflige. — Rixe avec les habitants de la
ville. — Napoléon accourt. — Son entretien avec sa mère. — Il se rend au
quartier. — Un officier tombe à ses côtés. — Rapport de Napoléon sur cette
affaire.
Malgré
toutes les démarches, toutes les menées du parti qui avait échoué, Bonaparte
et les siens furent confirmés dans leurs postes. La
bienveillance de Paoli envers la famille Bonaparte, l'estime surtout qu'il
avait conçue pour Napoléon, posèrent bientôt silence à ceux qui se récriaient
contre les violences dont il s'était rendu l'instigateur. Paoli ne se lassait
pas de répéter publiquement, toutes les fois qu'il en avait l'occasion, « que
Napoléon était un homme extraordinaire, que ses talents et son ambition
pouvaient un jour le couvrir de gloire. Rien ne manque à ce jeune homme,
disait-il, pour parvenir. A Athènes, il aurait mérité les honneurs de
l'ostracisme. Cependant, malgré son patriotisme et son zèle ardent pour la
liberté, je n'aurais pas voulu de lui à Sparte ni à Rome. Il aime trop César
pour n'en pas suivre l'exemple, si les circonstances lui en fournissaient
l'occasion. Mais, en Corse, il ne peut que nous être utile ; il ne sera
jamais l'oppresseur de sa patrie. Peut-être en sera-t-il le soutien et la
gloire ! » Paoli
était éminemment physionomiste. Son âme se portait tout entière dans ses
grands yeux, lorsqu'il causait avec quelqu'un qu'il avait intérêt à bien
connaître, comme s'il eût voulu pénétrer dans le cœur, pour en sonder tous
les replis. Il ne se trompait presque jamais dans l'idée qu'il se formait
d'un homme. Il aimait Napoléon et lui accordait sa bienveillance parce qu'il
en avait conçu une haute opinion et le croyait destiné à servir la cause de
la liberté. Ce fut donc Paoli qui fit triompher la cause de Bonaparte.
Cependant il ne se doutait pas alors qu'il donnait l'essor à l'aiglon qui,
sous peu d'années, devait planer sur les Alpes, sur les Pyrénées et parcourir
en triomphateur l'Europe, du nord au midi[1]. Napoléon,
de son côté, était enthousiaste de Paoli : il l'appelait le précurseur de la
révolution, le patriarche de la liberté. Il ne parlait de lui qu'en le
comparant aux plus grands hommes de l'antiquité. Avide de tout ce qui avait
trait à Paoli, il était charmé de rencontrer quelqu'un qui lui parlât de son
gouvernement et de ses guerres. Les bons patriotes, c'est-à-dire ceux qui
avaient combattu pour la cause de la liberté insulaire, étaient pour lui les
hommes les plus respectables. Il suffisait de dire : J'ai connu Paoli,
pour avoir accès auprès de lui. Ceux qui voulaient lui plaire n'avaient qu'à
lui raconter quelques anecdotes sur Paoli ; il en était ravi. Il se proposait
de marcher sur ses traces, et sans doute, avec l'âme noble et fougueuse qu'il
possédait, il l'aurait surpassé en patriotisme, comme il a surpassé en gloire
tous les grands hommes qui l'ont précédé. Lorsqu'en
1790, Napoléon fut chargé d'un mémoire justificatif par la ville d'Ajaccio,
il saisit cette occasion, ainsi qu'on vient de le voir, pour manifester les
hauts sentiments d'estime et de dévouement dont il était pénétré envers
Paoli. Il le regardait comme le héros nécessaire à la liberté et au bonheur
de sa patrie. C'en était assez pour qu'il l'aimât passionnément. Paoli, qui
savait tout ce qu'il avait dit et fait à son sujet, qui voyait en lui les
germes du génie, lui était attaché par l'estime et par la reconnaissance. Si
cette réciprocité d'attachement et de bienveillance n'eût pas été altérée,
ensuite, Dieu sait si notre siècle n'eût pas été perdu, oublié comme tant
d'autres ! La France, arrivée à deux doigts de sa perte, aurait
peut-être succombé sous les coups de l'anarchie. L'Europe n'aurait pas été
étonnée de tant d'exploits guerriers : elle n'aurait point à gémir
aujourd'hui sous les infortunes que là chute déplorable d'un empire colossal
lui a léguées. On dirait que, clans les décrets de l'Éternel, le sort du monde
se rattachait à l'accord ou à la mésintelligence de ces deux grands hommes. Tout
allait à souhait pour Napoléon, qui était alors en garnison à Ajaccio, au
sein de sa famille : il vivait aussi heureux et aussi content que possible.
Quenza étant presque toujours absent, il se trouvait à la tête d'un bataillon
composé de dix compagnies redoutables par le nombre et par la discipline. Il
se plaisait à l'instruire, à lui inspirer ses propres sentiments. Les
dimanches, il le passait en revue, lui faisait faire des évolutions, des
manœuvres et des marches ; il ne négligeait rien de ce qui pouvait former le
soldat et plaire à ses concitoyens. Tous
les jours il visitait les quartiers, s'informait de la moralité, de la
bravoure, des besoins des soldats et causait avec eux, comme s'il eût été
l'un des leurs. Il leur prêchait l'honneur, la probité, l'harmonie, le
courage ; il flattait leur amour-propre, échauffait leur imagination par des
exemples historiques, et excitait leur ambition par tous les moyens
possibles. Les soldats oubliaient souvent qu'ils s'adressaient à leur chef et
lui parlaient en camarades. Ils avaient tant à cœur de lui plaire, que
non-seulement ils faisaient l'exercice sur la place aux heures prescrites,
mais le continuaient au quartier à toute heure du jour. Lorsque Napoléon
allait les voir et les trouvait occupés à l'exercice, ou à d'autres travaux
militaires, il leur donnait des éloges. « Cela va bien, mes amis, disait-il,
dans quelques mois nous serons le premier bataillon de l'armée. Je brûle de
me trouver avec vous sur le continent, au milieu des bataillons français, en
présence de l'ennemi. C'est là que notre courage et notre discipline nous
couvriront de gloire. Nous aurons sans doute pour camarade des braves, car
les Français sont les braves des braves ; mais ils verront que leurs frères
adoptifs méritent bien l'honneur de leur appartenir. Ils seront fiers, ils
s'applaudiront, j'en suis sûr, de nous avoir dans leurs rangs ; ils verront
que nous sommes les fils aînés de la liberté. Nous prouverons à la France que
nous sommes les descendants de Sampiero, d'Alphonse ; nous rappellerons à
l'Europe que Rome, la reine du monde, au faîte de sa grandeur et de sa
puissance, vit ses aigles en fuite, devant la valeur de nos pères. Nous
apprendrons à l'univers que nous sommes les concitoyens de Paoli ; que nous
pouvons encore l'étonner, mériter une place parmi les peuples les plus
vaillants de la terre, en un mot, accomplir la prophétie du philosophe de
Genève. Je veux que nous soyons la troupe sacrée d'Epaminondas. » Napoléon,
comme on peut le penser, ne débitait pas froidement ces allocutions
militaires. Emporté par la vivacité de son enthousiasme, il semblait se
transfigurer en parlant. Son attitude devenait fière ; son front rayonnait ;
son regard était une flamme. Ses soldats, groupés autour de lui,
l'écoutaient, comme s'ils eussent écouté le dieu des armées. Napoléon
prenait part aux réjouissances, aux amusements et aux travaux des soldats. Il
était père et camarade dans l'intérieur du quartier ; chef sévère en public ;
toujours juste, toujours impartial. S'il lui arrivait quelquefois d'être
obligé d'ordonner une légère punition, il en était affecté pendant quelques
jours. Les soldats s'en apercevaient, niais, au lieu d'en abuser, ils
redoublaient de zèle et d'exactitude pour leur service ; d'attachement et de
respect pour lui. Celui qui avait été puni était plus affligé d'avoir déplu à
son chef que de la peine qui, lui avait été infligée. II saisissait la
première occasion qui se présentait pour le lui témoigner, pour l'assurer que
la punition qu'il avait méritée n'avait point altéré son affection, et qu'il
n'y avait été sensible que par la peine qu'il avait causée à son camarade. —
C'est ainsi que les soldats appelaient Bonaparte, parce qu'il disait toujours
camarade. En
moins de deux mois, son bataillon en avait appris autant qu'il l'aurait pu
faire, dans un an, sous un autre chef. Ses ennemis ne pouvaient pas lui
pardonner la bonne réputation qu'il se formait, ni l'attachement des soldats
qu'il s'était gagné. On s'empara avec empressement de la première occasion
pour lui susciter des persécutions. Le jour
de Pâques, 8 avril 1'792, des jeunes gens jouaient sur la place ; tout à coup
des différends s'élèvent entre eux, une rixe éclate. Le poste du séminaire se
présente pour apaiser le tumulte, mais il oublie bientôt qu'il est là pour le
maintien du bon ordre : il s'arroge le droit de donner tort aux uns, raison
aux autres. La populace, indignée de ce qu'elle appelle partialité, entoure
les soldats pour les désarmer ; ceux-ci se défendent : le sang coule de part
et d'autre. Le peuple prend les armes, les soldats courent au quartier et menacent
de brûler la ville, mais Quenza qui est là les retient. Bonaparte
rentrait de la promenade, accompagné du capitaine Ortoli ; il est tout étonné
de voir la foule en mouvement. Des voix criminelles se font entendre : Tirate
alle berette, tirate alle spalline ; « Faites feu sur les bonnets, faites
feu sur les épaulettes. » Ignorant ce qui se passait et se doutant bien que
c'était contre lui et contre son camarade qu'on provoquait la fureur
populaire, il se retire chez lui. Bientôt, ses officiers le rejoignent, lui
apprennent que les quartiers sont bloqués, qu'on menace d'égorger les soldats.
Napoléon, qui jusqu'alors n'avait pas pu se rendre compte de ce qu'il avait
vu, ni de ce qu'il avait entendu, voit d'un coup d'œil le danger, en mesure
l'étendue avec la rapidité de l'éclair, prend la résolution hardie de
traverser la feule et de se transporter au milieu de ses soldats pour courir
un même sort avec eux. « Il faut, s'écrie-t-il, se faire jour l'épée à la
main, gagner le quartier, mourir ou vaincre avec nos camarades. » En
disant ainsi il s'élance hors de son appartement ; ses officiers le suivent ;
sa mère se précipite au bas de l'escalier, se jette entre ses bras tout en
pleurs et le conjure avec toute la force de la tendresse maternelle de ne
point sortir. « Ne t'expose pas, mon fils, à une mort presque certaine ; ne
me ravis pas en un seul jour tout le bonheur que j'ai sans cesse attendu de
toi ; n'empoisonne pas le reste de mes jours ; épargne à ta mère la douleur,
le désespoir de te voir... Oh ! mon cher fils, quels affreux pressentiments
déchirent mon âme !... Tes ennemis... Mais, si tu, ne veux pas te rendre à
moi, cède du moins aux pleurs de tes sœurs et de tes frères qui t'en
supplient[2]. Veux-tu exposer -tes braves
officiers à être massacrés par ces forcenés ? Tes soldats se défendront ; la
populace ne tiendra pas longtemps ; tu pourras les rejoindre plus tard en
toute sûreté. » Napoléon s'arracha des bras de sa mère, mit un baiser
sur le front de ses sœurs et leur dit gravement : « L'honneur m'appelle au
quartier et j'y vais ; je ne transige pas avec l'honneur ; on ne peut fuir sa
destinée ; si je dois périr là-bas il vaut mieux « pour vous pleurer sur mon
cadavre que sur ma honte. » On se
dirige sur le quartier du séminaire, comme étant le plus près de la maison,
comme celui qui, en cas d'attaque, pouvait fournir le plus de moyens de
résistance et assurer un débouché dans la ville. La caserne était plus
éloignée, hors de l'enceinte des remparts ; il aurait été impossible d'y
arriver dans une effervescence presque générale. Le séminaire présentait le
double avantage d'avoir un pied dans la ville, de dominer une des principales
rues et de pouvoir, au besoin, balayer la place Diamant, ainsi que les
approches de la caserne : telles furent les considérations qui déterminèrent
le choix de Napoléon. Les
rues, les places et les croisées sont remplies de monde ; Napoléon, à la tête
de ses officiers, s'avance dans une attitude fière à la fois et modeste, prêt
à mourir ou à pénétrer dans le séminaire. La foule étonnée, confondue,
incertaine de ce qu'il y a à faire, s'ouvre devant cette poignée de braves,
qui pénètrent jusqu'à la cathédrale, au milieu d'une épouvantable rumeur,
mais sans éprouver aucune résistance. Des cris de meurtre éclatent alors dans
le lointain et se propagent comme le souffle de la tempête. Napoléon
tire son épée et veut déboucher dans la rue Notre-Dame, lorsque la demoiselle
Ternano[3], qui voit, de sa croisée, dans
l'embranchement de la rue, plus de cinquante hommes prêts à faire feu à
brûle-pourpoint, lui fait signe d'entrer dans le vestibule de sa maison, d'où
l'on peut aisément, en traversant une basse-cour, gagner le séminaire en
toute sûreté. Napoléon, à qui il tardait de soustraire ses compagnons au
danger qui les menaçait, profite de cet avis salutaire ; mais il n'a pas
plutôt franchi le seuil de la porte qu'une décharge part de l'embuscade ; un
officier tombe criblé de balles à ses côtés. Napoléon
n'écoute plus alors que son courage ; il devient pâle de colère ; il veut
fondre l'épée à la main sur les assassins et tirer à l'instant même une
vengeance éclatante de la perte de son camarade, ou mourir comme lui ; mais
ses officiers l'entraînent malgré lui dans le séminaire, les soldats se
précipitent à sa rencontre. Rassurés pour eux-mêmes, ils tremblent encore
pour leur chef ; chacun veut l'interroger, le toucher pour s'assurer qu'il
n'a pas été atteint. Les
chefs, se trouvant ainsi réunis, s'occupèrent de la défense de leurs
bataillons ; mais loi on ne peut mieux faire que de laisser parler Napoléon
lui-même. MÉMOIRE JUSTIFICATIF Fait par
Napoléon au nom de son bataillon et adressé d'abord au Département,
ensuite au Ministre de la Guerre et à l'Assemblée législative[4]. MESSIEURS, Les
méchants ont un cœur pour nourrir des mauvais sentiments, un esprit pour mal
penser, une langue pour mal parler, et des bras pour mal agir : ils ont
souvent plus de vigueur dans les facultés intellectuelles, et plus de force
dans les nerfs que le juste ; mais celui-ci a pour lui ce sentiment du bien,
qui lui trace une invariable loi de conduite, et donne à son tact et à toutes
ses facultés une extension bienfaisante qui déconcerte les trames les plus
adroitement tissues, les calomnies les plus probables et les plus savamment
accréditées. C'est
parce qu'ils étaient pleins de ces vérités, Messieurs, que les officiers du
bataillon national volontaire d'Ajaccio et Tallano ont négligé de vous
exposer les événements qui se sont passés depuis huit jours ; mais
aujourd'hui, quoique animés par la même confiance, ils croient devoir à vous
et à eux le récit simple et concis des avanies de toute espèce qu'ils ont
essuyées, des assassinats les plus atroces qui ont été commis par suite d'un
complot prémédité de longue main par les malintentionnés. Vous y verrez la
conduite qu'ils ont tenue, vous louerez leur modération ; vos cœurs
s'ouvriront à des sentiments de pitié, et le cri de la justice vous inspirera
de punir les conspirateurs en sauvant la patrie. Depuis
longtemps, le peuple d'Ajaccio était travaillé de toutes les manières par les
malintentionnés ; l'arme principale dont ils se servaient était la religion,
arme redoutable et de tout temps funeste à la liberté des nations,
lorsqu'elle est maniée par des hommes qui ne comprennent pas l'éminente
sainteté de leur caractère. La
municipalité, alarmée des progrès rapides que faisaient les perturbateurs,
demanda au conseil du département, alors assemblé, que l'on mît à exécution
la loi, et que les capucins évacuassent la ville ; le conseil crut devoir
demander l'avis du directoire du district, et celui-ci opina pour que les
capucins restassent. Peu
de temps après, le directoire du département, alarmé de la situation des
esprits, autorisa le procureur général syndic, qui devait se transporter à
Ajaccio, à rassembler par anticipation les quatre compagnies des gardes
nationaux du district de cette ville, qui étaient déjà organisées. Le
procureur général syndic se transporta à Ajaccio ; et crut nécessaire
d'ordonner leur rassemblement. Le
1er mars, sans que les mécontents s'en doutassent, les quatre compagnies
arrivèrent et prirent garnison dans la ville. Les
mécontents s'en alarmèrent à tel point que plusieurs s'embarquèrent pour se
réfugier en Italie. Cette panique dura le temps nécessaire pour recevoir des
encouragements des pays étrangers, où l'on ne peut douter que ne soit le
foyer principal du complot. L'on chercha d'abord s'il ne serait pas possible
de gagner la garde nationale... l'on vit que tout était inutile. L'on essaya
alors de la rendre suspecte aux habitants de la ville ; l'on eut recours à
cet effet à deux grands moyens le premier, ce fut de la discréditer. L'on
entendait tous les jours des personnes de poids crier dans les places
publiques que les paysans avaient insulté telle ou telle personne : tantôt
c'était une femme, tantôt un enfant. Les perfides savaient bien que le
sentiment de l'innocence et de la faiblesse outragées était plus propre que
toute autre cause à soulever les esprits. Plusieurs fois, croyant à la
réalité de ces plaintes, les capitaines se donnèrent du mouvement pour
découvrir les coupables. La
municipalité, touchée des démarches faites par les officiers, leur découvrit
ce qui en était, en leur disant que tout ceci n'était que de la calomnie ;
que c'était un moyen d'intrigue pour discréditer des patriotes que les
méchants craignaient. Le
second moyen dont on se servit, ce fut de saisir toutes les occasions
d'accroître cette espèce d'antipathie qui existe entre les habitants des
villes et ceux de l'intérieur. L'on a entendu des personnes en place crier
publiquement contre le séjour des paysans dans la ville. La municipalité, si
elle veut faire son devoir§ pourra non-seulement témoigner de la vérité de
ces faits, mais encore pourra dénoncer les personnes qui ont joué les
principaux rôles dans toutes ces intrigues, puisque plusieurs fois elle à été
sur le point de dresser procès-verbal contre les principaux auteurs. Lorsque
ces messieurs, par la nonchalance de la municipalité, eurent bien travaillé
le peuple et pris leurs mesures, ils fixèrent au temps des fêtes de Pagnes le
moment de l'exécution : ils furent encore portés à avancer cette époque par
la crainte qu'ils eurent que l'évêque ne vint avec son clergé, ce qui aurait
pu déconcerter leurs mesures. «
Avant tout ils imaginèrent de faire prendre en suspicion le directoire du
département : Ils firent une pétition pour qu'il fût fait une députation à Corté,
afin que le département renvoyât les capucins à Ajaccio : M. Tarteroli et ses
coassociés ne pouvaient pas ignorer qu'il n'était point au pouvoir du
département de transgresser la loi, mais ce n'était que pouf' le raire
prendre lui-même à partie ; l'on s'en expliquait clairement dans la ville. Cette
députation se fit, et le voyage fut calculé de manière qu'ils devaient être
ici samedi au soir. Ils n'y furent pas, par le retard qu'ils eurent à Corté. Le
jour de Pâques, pour la première fois, les prêtres inconstitutionnels
déclarèrent le schisme, se transportèrent au couvent de Saint-François, où
ils officièrent publiquement et paroissialement. La
fermentation des esprits était alors à son comble. Ce pauvre peuple,
travaillé en tous sens, était tellement exaspéré, qu'il était prêt à toutes
les démarches et prompt à faire toutes les folies. Le
dimanche, plusieurs officiers reçurent des avis de se tenir sur leurs gardes,
que l'on en voulait à leur corps, et en général aux patriotes. Ce n'est pas à
des militaire sa craindre la mort... L'on ne fit que rire de ces conseils que
l'on crut dictés par la pusillanimité. Le
lundi, seconde fête de Pâques, devait se faire une procession que la prudence
de la municipalité retardait depuis quinze jours : le corps des officiers des
gardes nationaux fut invité à s'y trouver, mais l'on chercha des prétextes
pour qu'il ne s'y trouvât pas de gardes nationaux de piquet. Le
bruit courait, mais un bruit sourd et inattendu, que le jour de lundi l'on
devait chasser les prêtres constitutionnels de la procession et massacrer les
paysans. Les
chefs du bataillon s'étaient promis à eux-mêmes de prendre des précautions
pour que rien de ceci n'arrivât, lorsque dimanche, jour de Pâques, 8 avril, à
cinq heures de l'après-midi, des citoyens prennent dispute entre eux, et
commencent à se battre à coups de stylet. Les femmes courent en foule au
quartier du séminaire en priant la garde nationale de venir mettre l'ordre.
Le poste de la police sort avec le lieutenant à la tête ; il commence à
séparer les femmes, puis à engager les hommes à l'ordre et à la paix, mais à
l'instant même, les personnes qui se battent depuis un quart d'heure sans
se faire du mal, s'unissent et se jettent sur la garde nationale pour lui
arracher ses armes. Elles parviennent à désarmer trois soldats ; le quatrième
faisant résistance, on le perce de trois coups de stylet, et au même moment
des coups de fusil partent de toutes les fenêtres contre la garde nationale,
avec le cri de ralliement : Addosso alle berette : Les gardes
nationaux ne sont que douze et cherchent à se réfugier au quartier, où ils
arrivent. M.
Quensa, lieutenant-colonel, qui s'y trouve, leur fait observer qu'il n'y a
point de gloire à acquérir contre des citoyens, et il a le pouvoir de les
arrêter. Acte de subordination unique quand on saura qu'il y avait déjà plus
de deux cents volontaires rassemblés ou quartier. M.
Bonaparte, lieutenant-colonel en second, se trouve dans la Grande-Rue ; il
entend crier : Addosso alle berette, il court pour arriver au
quartier ; mais en entendant des coups de fusil, il vole au corps de garde
que le 42° régiment occupe à la porte et enjoint à l'officier de garde de
faire battre la générale ; celui-ci s'y refuse. D'autres personnes dans la
municipalité proposent la même mesure, celle-ci s'y refuse également. L'on
avait cependant entendu plus de cinquante coups de fusil, et les cris étaient
unanimes : Addosso alli Paesani ! Voyant
qu'il n'y avait rien à espérer de ce côté, M. Bonaparte rallie autour de lui
une douzaine d'officiers, et prend le chemin du quartier. La compagnie de
Pietri, qui était logée dans une maison en ville, se présente pour l'escorter
; il la refuse et la fait rentrer, n'ayant pas besoin de l'aspect de la force
lorsqu'il ne m'ait employer que la persuasion, et ne pouvant pas s'imaginer
que l'on pût être assez lâche et assez féroce pour attaquer des citoyens
désarmés et amis. Arrivé
près de la cathédrale, vis-à-vis la maison Ternano, il rencontre un homme
avec deux fusils : c'étaient des mousquets que le capitaine Peretti[5] reconnut appartenir à deux
soldats de sa compagnie ; ce qui lui fit appréhender la mort de ces deux
hommes. Il s'était passé un grand quart d'heure depuis les premiers coups de
fusil. A la fenêtre de la maison Ternano sont des demoiselles qui, tout en
pleurs, font signe de ne pas avancer parce que la cathédrale est prise par
les brigands. Alors
le capitaine Pietri et le lieutenant Pianelli prennent chacun un mousquet de
la main du citoyen, porteur des deux armes, pour se défendre ; un moment
après et à quatre pas plus loin, venant à démasquer la cathédrale, ils voient
un jeune homme qui les met en joue. M. Bonaparte s'avance pour lui parler ;
cet homme féroce parait écouter la raison, retire son fusil, puis, voyant
venir quatre ou cinq de ses camarades qui sortaient de la cathédrale pour le
soutenir, il fait feu et tue le lieutenant Rocca-della-Serra. On entendit
alors partout : Addosso alle berette, addosso alle spallette. Les
officiers sans armes se dispersent. On
refuse dans plusieurs maisons de les recevoir. Une heure après, le capitaine
don Giacomo Peretti est assailli par une quarantaine d'hommes, qui lui tirent
des coups de fusil ; mais il a le bonheur d'échapper à leur férocité. Dans
le même temps, d'autres se transportent à la demeure de M. Ouenza et tirent
trois coups de feu contre les fenêtres, s'encourageant toujours par le mot de
ralliement : Addosso alle berette. Cinq
Talavesi sont désarmés par la foule. Un de Porto-Vecchio se voit
environné, six fusils le mettent en joue, il traverse une rue poursuivi par
les balles, et il arrive au quartier avec ses armes et sans aucun mal. L'adjudant-major,
assailli par vingt-cinq ou trente hommes, se réfugie dans la maison Orto, où
il se barricade, et, à l'abri de la fureur des brigands, il ne lui reste à
craindre que pour les siens. De tout côté il n'entend que le bruit : Addosso
alle spallette. Le
capitaine Giovanni Orsoni se trouve dans la Grande Rue, il entend le cri de
guerre : Addosso alle berette ! Trois personnes lui tirent trois coups
de pistolet. Sans armes, il cherche son salut dans la fuite ; arrivé dans la
rue Cotaneo, il ne lui reste d'autre ressource, pour se garantir des coups de
stylet, que de s'attacher à une femme et de s'en servir comme de bouclier
jusqu'à la maison de M. Cotaneo, où il se réfugie. A peine y est-il entré
qu'il entend les cris redoublés : Addosso ! brûlons la maison ! Nous
finissons le douloureux récit de cette journée. Chaque officier, chaque
soldat eut line injure particulière. Lorsqu'on pense aux horreurs auxquelles
se portèrent les brigands, l'on croirait que ce peuple, si doux par lui-même,
n'était composé que d'anthropophages... Mais l'on sait que le fanatisme, la
superstition amènent toujours des excès. Ils durent être contents les
instigateurs de tant d'horreurs. Ils avaient vu le sang couler, et c'était
pour eux un garant que la discorde était enfin arrivée. Le
corps du lieutenant Rocca-della-Serra resta quatre heures sur le pavé, exposé
aux insultes des brigands. Un de ses parents de la ville se jeta dessus pour
l'embrasser, le réchauffer... Rocca vivait encore ; il put entendre les
menaces que firent à son parent ceux qui venaient de l'assassiner, en disant
qu'ils le tueraient à son tour, s'il ne se retirait sur-le-champ.
Rocca-della-Serra ne mourut qu'une demi-heure après... Il eut le temps de se
voir outrager et de périr de la mort la plus cruelle, sans consolation et
environné d'anthropophages. Sa dernière pensée, qui ne devait appartenir qu'à
Dieu, fut troublée par un sentiment de crainte pour les siens. On l'entendit,
d'une voix éteinte, demander des nouvelles de ceux de son corps et de ses
amis. L'histoire
de cette journée offre plusieurs faits importants. Des hommes se battent à
coups de stylet, ne se font pas de mal, la garde nationale accourt, ils se
réunissent contre elle : de tout côté l'on tire contre les volontaires
nationaux, on les poursuit jusqu'à leur demeure pour les assassiner. Cet
état d'insurrection dure trois heures, et ni la municipalité, qui était
rassemblée ; ni le juge de paix, ni le district ne se donnent aucun mouvement
; ils ne font pas même battre la générale, pas même arborer le drapeau rouge,
pas même sortir dans les rues ! Ignorent-ils
donc, les magistrats, que leurs fonctions veulent du courage et que leur
poste d'honneur, lors-. que les citoyens se battent, est d'être au milieu des
coups. Non, ils ne l'ignorent pas, puisque la municipalité s'est toujours
montrée avec courage au milieu du danger... Pourquoi ne l'a -t-elle pas fait
cette fois-ci ? Parce que, de ses membres, les uns ont agi par crainte, les
autres par complicité. La
nuit arrivée, les magistrats de tous les corps, qui étaient réunis, déposent
le fardeau des affaires publiques pour aller dormir. L'ont-ils fait par
insouciance ? Ils seraient alors bien coupables... Mais ne l'auraient-ils pas
fait par mauvaise intention ? Qui doit être responsable des événements ? La
sûreté publique est violée, une conspiration s'est manifestée, des citoyens
sont massacrés, et les magistrats, faits pour veiller lorsque les citoyens
dorment, vont dormir quand indistinctement tout le monde veille ! Les
magistrats sont complices, ou, si l'on ne veut pas tirer cette induction de
rigueur, il faudra dire que, voyant la situation désespérée des choses,
chacun ayant par-devers soi des notions de la conspiration qui devait
éclater, toutes les imaginations étaient effrayées, les âmes étaient trop
étroites pour s'élever au niveau des grandes affaires et chacun se cachait. Quelle
a été la conduite du bataillon ? Douze hommes de garde sont sortis, parce qu'on
les a sommés de le faire, en vertu de la loi des 26 et 27 juillet, qui met la
garde nationale soldée en état de réquisition contre les attroupements tout
comme la gendarmerie. Ils sont poursuivis, massacrés de tous les côtés, et
ils patientent et prêtent obéissance à leurs chefs en attendant que les
magistrats se montrent.... Mais la soirée, la nuit, une partie de la matinée
se passent, et l'on ne voit pas de magistrats, et, sans munitions, ils
restent exposés aux insultes et aux outrages. Passons
à la journée du lundi. Après
une nuit orageuse, la douleur dans le cœur, partagés entre les sentiments
d'indignation, de vengeance et leur respect pour la loi, les gardes nationaux
voient arriver huit heures du matin. Les chefs avaient été dans la nuit chez
M. Maillard lui demander de garantir leur bataillon des insultes qu'il
pouvait essuyer ; ils lui avaient demandé un fort détachement pour garantir
la garde nationale des attaques des brigands ; car l'on ne doutait point que
d'après la résolution qu'ils avaient prise de se débarrasser de la garde
nationale, ils ne continuassent à l'attaquer... Voyant que M. Maillard se
refusait à cette mesure de nécessité, ils lui avaient demandé des munitions,
lui promettant que l'on n'en ferait usage que dans le cas où l'on serait
attaqué ; il ne voulut pas leur en donner. Ils lui avaient alors demandé de
retirer la garde nationale dans la citadelle pour la garantir ; il s'y était
refusé également. Seulement il avait promis de s'employer pour amener la
réunion de tous les corps que la peur ou la complicité tenait dispersés, afin
qu'ils prissent quelques moyens pour arrêter la conspiration et réprimer les
brigands. Dans
le fait, à la pointe du jour, il écrivit à tous les corps. A
huit heures, les gardes nationaux, dans la crainte d'être attaqués, mirent
deux sentinelles d'observation dans la petite cour qui avoisine le séminaire
et qui domine la rue de la cathédrale. A
huit heures et demie, trois coups de fusil partirent d'une maison avoisinant
le quartier, traversèrent une chambre du séminaire, allèrent casser deux
bouteilles et se perdre dans une paillasse. Ce fut le signal... Les
volontaires, qui s'étaient retenus jusqu'alors, ne purent plus comprimer leur
indignation... Dans la nécessité de se défendre, abandonnés de tout le monde,
sans Munitions, ils courent aux armes. Le
lieutenant Costa, de la compagnie Bonelli, passa derrière la ville et alla
s'emparer du poste des Capucins, où était un détachement du 42e régiment. Il
se dirigea ensuite vers la tour dite Genovese, et la trouva occupée par sept
à huit citoyens qui à son aspect s'enfuirent et abandonnèrent le poste qu'ils
paraissaient avoir gardé la nuit. Toute
là journée l'on fit feu de part et d'autre. A une heure après midi, voyant
que les gardes nationaux s'étaient emparés des postes et qu'ils s'y tenaient
fermes, résolus à périr pour les conserver, la municipalité arbora le drapeau
de paix et proclama partout que l'on eût à cesser les hostilités. Cependant,
les coupables se promenaient publiquement dans la ville... La suspension dura
peu... Les brigands n'avaient aucun respect pour la municipalité, et ne
reconnaissaient d'autre frein que leurs passions, ni d'autres conseils que
ceux des conspirateurs ; ils prétendaient que la garde nationale sortit de
ses postes et évacuât le séminaire. Ils
profitèrent du moment de la suspension d'armes pour s'emparer de la maison
Benielli, y faire des créneaux et s'y fortifier... Les coups recommencèrent
au faubourg... A cinq ou six heures, on battit la générale, et, dans le même
temps, la municipalité requit M. Maillard de nous faire évacuer le séminaire
et de nous ordonner de nous réfugier à Saint-François. Cette
proposition, si absurde dans les circonstances critiques où nous nous
trouvions, n'était point faite du consentement de la saine partie de la
municipalité ; elle était forcée, violentée par les brigands. Plusieurs fois
ils voulurent déposer le maire et le remplacer par M. Tartaroli ou par M.
Jean-Baptiste Baciocchi. Nous n'obtempérâmes pas à cette réquisition, parce
qu'il était évident que la municipalité n'avait plus aucune autorité dans la
ville puisqu'elle n'avait jamais pu obtenir que l'on cessât le combat au
faubourg, ni dans aucun endroit. Ce
fut dans cette position que la nuit arriva. Comment s'est conduite dans cette
journée la garde nationale ? comment s'est conduite la municipalité ? La
première question de fait est de savoir qui a tiré le premier coup. Nous
pensons bien que nos ennemis, si habiles dans l'art de l'intrigue, ne seront
pas en peine de verbaliser pour nous faire paraître coupables. Si l'on veut
des preuves légales, une grande partie du bataillon fera foi en justice de ce
que nous avançons. Mais
actuellement voyons les probabilités. Si la garde nationale avait tiré, elle
ne l'aurait fait qu'en conséquence d'un conseil tenu la nuit ; si elle avait
pensé à se porter à cette mesure de rigueur, elle se serait emparée de nuit
des postes des Capucins et de la tour Genovese, quand il est constant qu'elle
ne s'est emparée de ces postes qu'après les premières hostilités commencées à
environ neuf heures du matin. Si
la garde nationale avait pris le parti de tirer, elle se fût emparée de la
maison Benielli et du poste de l'Horloge ; elle ne l'a pas fait parce qu'elle
était pleine de confiance dans la justice et que, tout en cherchant à se
mettre à couvert des coups des conspirateurs, elle était résolue d'attendre
les ordres du département dans son poste et les effets des sollicitations que
M. Maillard leur avait promis de faire pour que justice leur fût rendue. Du
côté des brigands, au contraire, on avait pris la modération de la garde
nationale pour de la pusillanimité ; ils l'avaient vue fuir la veille sans
ressortir pour protéger ses frères dispersés et massacrés dans les rues : ils
avaient pensé, suivant le préjugé, que les paysans perdent courage lorsqu'ils
sont en plaine ou dans les villes, et qu'ils ne sont bons que dans les
montagnes. On sait d'ailleurs combien la populace s'enhardit par le succès,
aussi facilement qu'elle s'abat au moindre échec. La
veille elle avait partout maltraité, vilipendé, assassiné la garde nationale,
qui partout avait fui. C'était donc pour eux un fait acquis qu'au premier
engagement sérieux, les paysans évacueraient la ville pour chercher leur
sûreté dans les montagnes. D'ailleurs,
comment peut-on douter que ceux qui avec tant de travail, de peine, de
scélératesse, avaient porté les choses au point où elles en étaient ne
voulussent achever leurs opérations ? Voici comme ils raisonnaient : « La
garde nationale a le cœur ulcéré ; si l'on tire quelques coups de fusil, elle
se croira attaquée en règle ; un des deux : ou elle fuira et évacuera le
séminaire et notre but sera rempli, ou elle résistera et alors, opposant la
force à la force, toute la ville se trouvera attaquée ;... la voilà toute
ennemie déclarée. Les corps administratifs, qui sont obligés de suivre
l'impulsion de la ville, requerront le commandant militaire de la chasser,
et, par une heureuse combinaison, nous verrons les soldats contre les
soldats, les patriotes du continent contre les patriotes de l'île Quelques
Français seront tués, le bataillon se trouvera perdu, et la ville toute d'un
parti pourra se porter aux dernières extrémités. Elle aura pour se justifier
le sang des soldats français qui aura coulé. » Beaucoup de monde se sentait
coupable, beaucoup de monde avait intérêt à brouiller les choses de manière
que le fil en devînt introuvable. Les
brigands tirèrent donc le premier coup ; cela est hors de doute par le fait,
cela est hors de doute par l'évidence. Ils l'ont fait, ils l'ont dû faire, il
était de leur intérêt de le faire. N’oubliez
pas surtout qu'ils avaient pris la nuit la tour Genovese, preuve de
leurs mesures hostiles. Au
milieu de tout ceci, le district ne paraît même pas pour donner avis au
département de ce qui se passe et hâter l'arrivée des secours, pas même pour
se conserver un air d'autorité qui en aurait imposé aux deux partis. Le
district était un tribunal supérieur, indifférent aux localités, au-dessus
des petites liaisons de famille.,. Quel bien n'aurait-il pu faire, s'il eût
été composé de personnes éclairées et amies du repos public ? Il avait en
main l'autorité de requérir la force militaire, il pouvait requérir la garde
nationale de l'intérieur dans la qualité qu'il jugeait nécessaire. N'en
doutons pas, les brigands auraient fléchi le genou devant lui ; le livre de
la loi d'une main, le glaive de l'autre, il aurait tout empêché, tout
rétabli, tout tranquillisé ; mais il s'est conduit bien différemment. Il a
été nul dans toute cette affaire comme corps administra, tif ; une partie de
ses membres ont contribué à mal faire comme individus ; le procureur-syndic
seul n'a jamais abandonné son poste. De la salle du directoire il a employé
tout ce qui était en lui : réquisitions au cou> mandant militaire pour
éteindre le feu et casser les réquisitions ridicules que les brigands
arrachaient à la municipalité ; prières, exhortations, il a tout mis en
œuvre, mais s'il a été insuffisant pour s'opposer au torrent, il on a fait
assez pour avoir satisfait sa conscience et revêtir des formalités de la loi
les opérations de la garde nationale. Vous
le savez, Messieurs, en fait d'administration, le mal qu'un corps supérieur a
laissé faire lorsqu'il pouvait l'empêcher, c'est comme s'il l'eût fait : le
corps du directoire s'est caché au lieu de se trouver à son poste dans la
journée de lundi, et plusieurs de ses membres se comportent depuis longtemps
avec le plus grand scandale. Une
conduite aussi étrange de la part des administrateurs ne peut être dictée que
par la plus condamnable complicité. Un militaire qui laisse prendre son poste
par négligence est condamné à mort... Messieurs, le poste qui est confié aux
administrateurs est de défendre la vie des citoyens, de se prendre de
sollicitude pour la tranquillité publique. La laissent-ils enlever la vie des
citoyens, la laissent-ils troubler la tranquillité publique, sans s'en
soucier, sans employer la force qui est déposée dans leurs mains ? Ils
paralysent l'action du gouvernement, ils sont coupables de tout ; mais ils le
sont bien autrement lorsque leur conduite privée explique leur inaction
publique. Alors plus de loi... Magistrats supérieurs, il faut un remède, ou
le corps politique, attaqué dans ses canaux vitaux, commence par des
convulsions et finit par la mort. MARDI 10 AVRIL. La
journée du lundi, et la nuit du lundi au mardi, avait donné aux nouvelles le
temps de se répandre dans toutes les campagnes. Voilà le récit des scènes
déplorables qu'offre la ville d'Ajaccio. De tout côté des gardes nationaux de
l'intérieur se mirent en marche pour arriver au secours de leurs frères et de
la patrie, car, ne voyant aucune réquisition du district, ils crurent, que
celui-ci était ou prisonnier ou complice, bien sûrs que lorsqu'il existe un
grand mal et que les corps administratifs ne prennent aucune résolution ce ne
peut être que par une de ces deux raisons. Arrivés,
ils se présentent à nous ; nous fûmes touchés de leurs sentiments d'honneur
et de fraternité ; nous les remerciâmes de leur zèle, mais nous leur
observâmes que, n'ayant aucune réquisition, ils se rendraient coupables en
restant, que leurs travaux les appelaient, qu'ils devaient y retourner sans
délai, que si les affaires empiraient, ils seraient convoqués par le département
ou même par nous, si l'absolue nécessité de conserver nos postes nous en
faisait une loi ; mais qu'aujourd'hui notre courage, notre nombre et notre
résolution étaient plus que suffisants pour résister aux ennemis de la
nation. Que
faisaient pendant ce temps les mécontents ? Ils maltraitaient le maire et la
partie de la municipalité qu'ils soupçonnaient de patriotisme. Ils
assiégeaient la salle d'audience par des cris de guerre et dictaient des
réquisitions fanatiques. Les insensés ! toujours suivant leur projet, ils
espéraient voir nos frères d'armes du 42e régiment tourner leurs baïonnettes
et leurs canons contre nous. C'était là leur chimère. Dans
l'après-midi, la municipalité et le juge de paix nous firent prier de nommer
une commission pour se transporter à la citadelle, afin de se concerter sur
les moyens de rétablir dans la ville l'ordre et la tranquillité. La garde
nationale nomma les deux lieutenants-colonels MM. Quenza et Bonaparte, MM.
Tavera, San-Severino, Peraldi et Paul-Antoine Mella, officiers. Ces messieurs
se transportèrent à la citadelle, ils garantirent que leurs corps resteraient
tranquilles attendant la commission du département qui ne pouvait pas tarder,
exigeant seulement qu'on les laissât où ils étaient sans les inquiéter
d'aucune manière, promettant pour les brigands le corps municipal et le juge
de paix, de les tenir dans le respect dû à la loi et à eux. Le
même soir, l'on publia ladite convention dans la ville ; les commissaires du
bataillon accompagnèrent les municipaux, escortés d'un piquet de grenadiers
du 42e régiment ; l'on publia les articles. Arrivés au faubourg, un cri se
fit entendre : Si l'on veut la paix, que les paysans sortent. MERCREDI 11. Dès
le matin, la municipalité nous informa que plusieurs des gardes nationaux
venus à notre secours ravageaient la campagne. M. Bonaparte monta aussitôt à
cheval pour se porter aux postes avancés ; il trouva deux ou trois cents
hommes cantonnés dans le couvent des Capucins, qui demandaient à grands cris
que les coupables fussent arrêtés et que justice fût faite à la garde
nationale, non-seulement sur les instruments des crimes commis, mais encore
sur les conspirateurs. M. Bonaparte les tranquillisa, en les assurant que la
nation entière, qui avait été outragée, saurait prendre une revanche
éclatante, proportionnée à l'offense et surtout à la nécessité de réprimer
les ennemis de la liberté. Un
moment après arriva M. Santo Tavera, membre du district, avec un détachement
de quinze à vingt grenadiers et un drapeau blanc. M. Santo Tavera ne parla
pas en magistrat éclairé ; il dit que, dans les engagements qui avaient eu
lieu, tant pis pour qui en avait été la victime, paroles qui sur-le-champ
occasionnèrent une rumeur, une explosion telles qu'il fallut toute la
prudence des gens de bien qui se trouvaient là, pour l'apaiser. Il demanda
après aux gardes nationaux qui les avaient appelés ?... Ceux-ci lui
répondirent à leur tour : « Pourquoi le district, qui dispose de toute la
force armée, n'avait-il pas réprimé les brigands : qu'eux étaient venus au
secours de la patrie, qu'ils demandaient que justice fin faite et qu'ils
voudraient voir plus de sollicitude dans le directoire. — Qui vous a
appelés, répliqua M. Santo Tavera ?... — Le sang de nos frères
dégouttant sur le pavé de la ville, l'audace des conspirateurs et la
coalition des ennemis de la patrie, répondit avec énergie un garde
national. » A ces mots, M. Santo Tavera s'en retourna la confusion sur
le visage ; il alla faire des rapports pleins de fausseté à la municipalité. M.
Bonaparte se convainquit que les prétendus désastres portés aux campagnes
étaient ou faux ou exagérés. Cependant, comme il était possible que les
bergers profitassent de ce moment pour se répandre dans les villes et dans
les enclos, il proposa, au nom de tous les corps, de faire deux patrouilles
composées de trente hommes de la ville, et de trente des gardes nationaux
soldés. Le
soir, comme la municipalité se plaignait de ce que les farines n'entraient
pas, étant interceptées, M. Ouenza fit un ordre positif et autorisa les
gardes soldées à employer la force pour que les farines entrassent, sans
délai, et les farines entrèrent. Mais la municipalité se plaignait toujours.
Nous proposâmes de remettre tous nos postes au 42e régiment pourvu que la
maison Unie, l'Horloge et d'autres postes lui fussent également remis.
Comment répondit-on à cette ouverture, qui était propre à concilier tout et
qui montrait nos bonnes intentions ? L'on nous envoya la réquisition
d'abandonner le séminaire sous une heure. Dans le fait, l'on tira à six
heures le coup de canon d'alarme. Nous
n'obtempérâmes pas à cette réquisition de la municipalité, parce qu'il était
évident qu'elle était maîtrisée par les brigands, parce que la première loi
est le salut de la patrie et que les intérêts d'icelle demandaient que nous
conservassions nos postes jusqu'à Par-rivée des commissaires du département ;
parce qu'enfin nous avions la réquisition du procureur-syndic qui nous
ordonnait de garder nos postes. La
nuit arrive sur ces entrefaites. JEUDI 12. Le
jeudi matin, nous vîmes braquer des canons contre notre quartier ; nous
comprîmes alors évidemment que M. Maillard nous avait trompés, mais nous
étions sûrs des dispositions et du patriotisme de nos frères d'armes du 42e
régiment ; ainsi les intentions de M. Maillard, si elles étaient mauvaises,
étaient impuissantes. Nous
résolûmes alors de marcher en colonne pour enlever ses canons : il
fallait enfin s'armer de courage puisque les complots avaient eu un plein
succès, et l'on ne pouvait plus en dénouer la trame qu'avec l'épée. Dans
ce moment, nous reçûmes l'avis que vous aviez été nommés, Messieurs,
commissaires du département, et que vous étiez en marche pour prendre la
direction de la force publique... Cette nouvelle fut un coup de foudre pour
les perturbateurs et porta la consolation dans nos âmes : Nous savions que
dans la crise terrible où l'on se trouvait, il fallait de la force, de
l'énergie et même de l'audace ; nous savions qu'il fallait un homme qui, si
on lui demandait, après sa mission, de jurer de n'avoir transgressé aucune
loi, fût dans le cas de répondre comme Cicéron ou Mirabeau : Je jure que j'ai
sauvé la République. Cet
homme, la garde nationale crut le voir représenté par vous, Messieurs ; les
malintentionnés s'étaient enhardis, parce que le bruit avait couru que Bastia
et Bonifacio avaient arboré l'étendard de la rébellion et que dès lors la
force publique se trouvait insuffisante. Ils
se croyaient forts, parce que M. Maillard avait paru les favoriser, en leur
donnant des canons et des munitions, et qu'ils se croyaient sur le point de
massacrer les gardes nationales. Dans
ce danger imminent, nous écrivons à M. Maillard pour nous plaindre de la
conduite qu'il tenait. Ce n'était pas ainsi que la municipalité observait les
conventions stipulées ; ce n'était pas ainsi que lui-même remplissait le rôle
de médiateur qu'il avait pris. Nous lui fîmes part de l'arrivée des
commissaires, de l'autorité que nous avait donnée le directoire de convoquer
les gardes nationaux de l'intérieur, si nous le jugions nécessaire pour
conserver nos postes, et nous lui enjoignîmes que si, sous une heure, les
canons n'étaient pas ôtés des rues, nous expédierions des exprès dans l'intérieur
et nous le rendrions responsable de tout ce qui pouvait arriver. La
destruction de la ville serait imminente et ne pourrait être imputée qu'à
lui. En
peu de temps les canons furent ôtés, les préparatifs hostiles disparurent,
et, en attendant votre arrivée, Messieurs, une suspension d'armes fit augurer
la paix. Depuis le 12 jusqu'au 15, les choses sont restées dans la même
position sauf quelques incidents de nulle valeur. C'est
dans ces trois jours que l'administration du district donne enfin signe de
vie Pour des objets de la plus grande importance, sans doute ? quels sont-ils
? — « Quelques paillasses ont été prises au couvent des Capucins, nous sommes
responsables de ce fait... nous devons réparer cette faute..... » Tant
de puérilité en présence d'événements si graves se peut-elle comprendre ? Le
13, ils nous écrivirent que les boutiques s'ouvriraient, quoique, nous
disent-ils, cela ne regarde pas l'administration. Ainsi, dans une affaire où
le salut de la ville d'Ajaccio a été compromis, où la vie des gardes
nationaux s'est trouvée dans le danger le plus imminent, l'administration du
district ne trouve digne de son attention qu'une chose, qui, de son aveu, ne
la regarde pas, et la disparition de quinze ou vingt paillasses ! Pour
achever de démêler une trame ourdie avec tant d'audace, il est nécessaire
d'observer la conduite des conspirateurs dans les journées des 10, 11 et 12,
celle du corps municipal et enfin celle de M. Maillard. Dans
la journée du 40, par l'intervention de la municipalité, comme nous l'avons
dit, l'on était venu à un traité, par lequel il était statué que la garde
nationale conserverait ses postes et qu'elle resterait dans le même état
jusqu'à l'arrivée des commissaires du département ; par cette seule disposition,
on avait trouvé le secret de calmer tout, de finir tout. Mais
ce ne pouvait pas être le compte des conspirateurs, ou des meneurs des
brigands. Observez bien leurs manœuvres pour faire rompre toutes ces sages
mesures et précipiter dans l'abîme ce peuple aveuglé et à plaindre. D'abord,
ils le dirigent en foule à la municipalité ; là ils menacent et vocifèrent
dans les rues ; les propos les plus sanglants, les plus emportés sont
accueillis par la multitude.... Les boutiques se ferment et les débits de
tabac eux-mêmes ne s'ouvrent plus dès qu'il s'agit de la consommation d'un
garde national ; tout cela malgré l'ordre réitéré de la municipalité, qui
cherche en vain à calmer les esprits, et à faire exécuter la convention. Au
contraire, plus elle se montre modérée, plus elle perd de crédit, parce que
les meneurs la montrent au doigt. Comme la calomnie la plus absurde,
lorsqu'elle est bien conduite, prend la force de la vérité la mieux constatée
dans l'esprit du peuple, on lui fait accroire que la saine partie de la
municipalité est d'accord avec les paysans. Cela bien inculqué, la voilà sans
crédit pour l'ordre. Ce premier pas était nécessaire aux conspirateurs pour
arriver à leurs fins. La
municipalité, qui n'est plus que l'organe des brigands, depuis que les
meneurs se sont introduits dans la salle et l'ont discréditée parmi le
peuple, se plaint que les farines n'entrent pas. Nous lui répondons que, si
l'on croit que ce soit la faute de la garde nationale, celle-ci consent à
remettre entre les mains du 42e régiment les postes de la Barrière, des
Capucins, de Is Tour génoise et du Parc, pourvu que la maison Benielli et
l'Horloge soient dans les mains du même régiment. Les mécontents voient bien
que cette proposition emporte pièce : ils comprennent que nous avons
parfaitement saisi le fil de la trame, s'empressent de le brouiller, afin de
nous commettre aux mains avec le 42e régiment. Ils ensevelissent dans l'oubli
cette proposition si raisonnable faite pour terminer toute discussion et, au
lieu de l'embrasser, la négligent et ne nous en tiennent aucun compte, pour
se livrer à de -nouvelles plaintes, à de nouvelles déclamations. A les
entendre, toutes les campagnes sont ravagées. Nous leur répondons, après une
visite sur les lieux, que ces bruits sont exagérés, mais que toutefois ils
n'ont qu'à nommer une compagnie de 30 ou 40 personnes de la ville, les plus
intéressées à la conservation des campagnes et les moins mêlées dans les
affaires du moment, que nous nommerons de notre côté trente hommes du
bataillon, choisis parmi les plus sages, pour défendre le territoire des
incursions des bergers ; pouvait-on formuler une proposition plus modérée,
plus faite pour les satisfaire ? Mais non, ce ne sont point les campagnes
qu'ils veulent garantir, ce sont les postes qu'ils veulent voir évacuer par
les gardes nationaux, pour être libres d'exécuter leurs projets. Aussi, ne
font-ils pas plus de compte de cette seconde proposition que de la première
et, au lieu de la mettre à exécution, ils nous donnent l'ordre d'évacuer nos
casernes. Pour
leur ôter tout prétexte de violence, nous formons un peloton de choix et
donnons l'ordre de ne rien épargner pour favoriser l'entrée des farines. Cela
ne les empêche pas de nous faire requérir d'abandonner nos casernes, de nous
faire tirer le canon d'alarme et de prétendre nous traiter en révoltés. Le
soir du 14, ils allèrent dormir, la joie dans le cœur, car le canon avait été
tiré, les postes français renfermés à la citadelle ; tout annonçait une
scission et une scène des plus tragiques pour le lendemain. A la pointe du
jour, les canons sont braqués, le signal de la mort, du carnage est prêt à se
donner, le sang des patriotes du continent allait couler. C'était sur quoi
ils fondaient leurs espérances pour se mettre à l'abri de tout. Mais ils ne
savent pas', les insensés, que nos frères du 42e régiment sont hommes
d'esprit, de cœur et animés de sentiments d'honneur. Ils ne savent pas que
lorsqu'il s'agit de combattre des frères et des citoyens, il est permis aussi
à des soldats de réfléchir, de penser et de se souvenir que leurs armes,
destinées aux ennemis de l'État, ne doivent être tournées que contre les
conspirateurs et que les soldats du 42e régiment, venant de France, avaient
déjà assez d'expérience, en fait de révolution et de complot, pour s'être
aperçus que nous étions les amis de la patrie et qu'eux en étaient les
ennemis. Ils ne savent pas que si leurs armes eussent dû se rougir de sang,
elles se seraient teintes du leur. Apprécions
la conduite qu'a tenue M. Maillard. Elle a été, durant cette affaire,
très-circonspecte. M. Maillard paraît avoir eu de bonnes intentions ; il a
fait de grands écarts, qui, à la rigueur, devraient le compromettre. S'il a
fait quelques pas hors de la loi, il en a fait aussi dans le sens du bien et
au delà de son devoir, qui, aux yeux de l'homme juste, se compensent. Les
reproches qu'on lui fera toujours se réduiront à ne pas avoir obtempéré à la
réquisition du procureur syndic, qui, par sa nature, est supérieure à celle
de la municipalité et la rend nulle. On
lui reprochera également d'avoir coopéré aux dispositions partielles
d'attaque qu'a faites la municipalité dominée par les brigands ; il a fourni
des canons et il ne devait pas en fournir. Les armes de la nation ne doivent
jamais, selon la loi, sortir des mains des personnes qu'elle a choisies pour les
leur confier. Si
M. Maillard avait voulu nous regarder comme des rebelles à la loi, il aurait dû
faire ses dispositions militaires, calculer son monde, disposer ses batteries
et monter à l'assaut ; mais jamais confier les canons aux brigands, parce
qu'ils auraient pu en faire l'usage le plus dangereux, parce que la loi ne le
veut pas ; et qui sort du chemin de la loi, agit par caprice, et qui agit par
caprice est mû par l'impulsion de ses passions, et ne peut jamais bien
remplir ses devoirs. Tel
est, magistrats, l'exposé des événements qui ont bouleversé l'ordre et manqué
de ruiner la ville principale de Corse, la plus florissante par sa situation,
son commerce, sa position, et même par le caractère fortement trempé de ses
habitants. Les peuples, vous le savez, sont des vagues agitées par les vents.
Sous une impulsion mauvaise, toutes leurs passions se déchainent. Abandonnés
à leurs propres instincts, ils sont tranquilles, calmes, doux et généreux. Nous
ne nous sommes pas trompés ; nous en avons pour garants la pureté d'intention
qu'inspire l'amour de son pays, l'absence de toute passion, le désir de voir
la patrie tranquille ; et vous, qui ambitionnez sans doute la gloire bien
précieuse d'avoir ramené l'ordre et la confiance avec la justice, avancez
dans votre mission d'un pas ferme, de manière à être maudits et calomniés par
les méchants, plus que personne autre du département. C'est là, messieurs, le
vœu le plus heureux que puisse accepter le magistrat intrépide. Pour
tous les officiers du bataillon qui ont signé l'original, BONAPARTE. Donné le 19 avril 1792, pour copie de l'original. |
[1]
Après avoir vu ses espérances trahies par les Anglais qui s'étaient emparés de
la Corse, Paoli fut forcé d'accepter l'asile qu'on lui offrait à Londres, pour
éviter la guerre civile dans son pays. Mais lorsqu'il apprenait les victoires
du général, du consul Bonaparte, il s'en réjouissait publiquement. Son
patriotisme l'emportait sur toute autre considération. Hélas ! la mort les a
frappés tous les deux sur une terre étrangère, et leur patrie, qu'ils ont tant
aimée, tant honorée, n'a pas encore réclamé leurs cendres ! (30 juillet 1831).
[2]
Toute la famille était accourue et fondait en larmes.
[3]
Aujourd'hui madame Rocca.
[4]
La copie, de laquelle j'ai tiré ce mémoire, se trouve entre les mains de M.
Baciocchi-Adorno, ex-conseiller de préfecture à Ajaccio et porte le titre
suivant : Mémoire fait par les chefs du bataillon d'Ajaccio et présenté au
Ministre et à l'Assemblée législative par Bonaparte, lieutenant-colonel en
second au dit bataillon. (Extrait de l'original, ce 17 septembre
1792, l'an de l'anarchie et de la licence). Elle parait avoir été transcrite de
l'un des originaux déposés aux archives du Ministère de la guerre et de
l'Assemblée législative.
[5]
Peretti d'Olmeto, qui couvrit plusieurs fois Napoléon de son corps, et dont le
courage et la bravoure intimidaient les résultats.