LIVRE QUATRIÈME — RÉSUMÉ DE
— I — Guerre contre les Belges Les victoires de César avaient éveillé parmi les Gaulois
des sentiments d’admiration, mais aussi de défiance ; ils ne voyaient pas
sans crainte qu’il avait suffi de six légions pour disperser deux invasions
comptant chacune 100.000 combattants. Il y a des succès qui par leur éclat
inquiètent même ceux qui en profitent. Presque toute Informé en Italie de ces préparatifs, César lève deux
nouvelles légions, rejoint son armée en Franche-Comté, et se décide
sur-le-champ à envahir le pays des Belges. Les premiers qui se présentent sur
sa route sont les Champenois. Surpris de son arrivée subite, ils se
soumettent, lui offrent même des subsides et des auxiliaires. César peut
ajouter à huit légions et à ses troupes légères les contingents de Reims, et
les joindre à ceux de Les Belges, dont l’armée occupe, sur la rive droite de Mais les coalitions des peuples du Nord se succèdent comme
les vagues de la mer ; après les Helvètes, les Germains ; après les Germains,
les Beauvaisins ; après les Beauvaisins, les habitants du Hainaut. Ceux-ci se
sont réunis sur Pendant qu’il achevait la conquête de Avant de partir pour — II — Retour de Cicéron Reprenons le récit des événements survenus à Rome à partir
des calendes de janvier 697 ( Lentulus mit en délibération la question du rappel de l’exilé[2]. L. Aurelius Cotta, consulaire estimé, déclara que le bannissement de Cicéron, prononcé à la suite de violences inqualifiables, portait en lui-même la cause de sa nullité ; que dès lors il n’était pas besoin de loi pour revenir sur un attentat contre les lois[3]. Pompée combattit l’opinion de Cotta, et soutint qu’il fallait que Cicéron dût son rappel non seulement à l’autorité du sénat, mais encore à un vote populaire. Il ne s’agissait plus que de présenter un plébiscite aux comices. Personne n’y faisait opposition, lorsque Sextus Atilius, tribun du peuple, demanda l’ajournement[4], et, par ces manoeuvres dilatoires si familières aux Romains, força le sénat à remettre la présentation de la loi au 22 du même mois. Le jour venu, les partis s’apprêtèrent à appuyer leur opinion par la force. Q. Fabricius, tribun du peuple, favorable à Cicéron, chercha, dès le matin, à s’emparer des rostres. Clodius n’était plus tribun, mais il disposait toujours de la populace. Aux agitateurs de profession à sa solde il avait joint une troupe de gladiateurs appelée à Rome, par son frère Appius, pour les funérailles d’un de ses parents[5]. La troupe de Fabricius fut facilement mise en déroute ; un tribun, M. Cispius, s’était à peiné présenté, qu’on le repoussa. Pompée eut sa toge couverte de sang, et Quintes Cicéron, qu’il avait amené au Forure pour parler au peuple en faveur de son frère, fut obligé de se cacher ; les gladiateurs se précipitèrent sur un autre tribun, P. Sextius, et le laissèrent pour mort. La lutte fut si vive, dit Cicéron[6], que les cadavres encombrèrent le Tibre, remplirent les égouts ; le Forum se trouva tellement inondé de sang, qu’on fut dans la nécessité de le laver avec des éponges. Un tribun fut tué, la maison d’un autre menacée d’incendie. La stupeur devint générale, et il fallut ajourner encore la délibération. C’était par l’épée que tout se décidait dans Rome bouleversée et avilie. En effet, pour amener le retour de Cicéron, le sénat se vit contraint d’opposer l’émeute à l’émeute, et de se servir de P. Sextius, rétabli de ses blessures, ainsi que de Milon, qui avait organisé militairement une bande armée en état de tenir tête aux séditieux[7]. En même temps, il espéra intimider la plèbe urbaine en faisant venir à Rome, de tous les points de l’Italie[8], les citoyens sur lesquels il comptait. De plus, les mêmes hommes qui excitaient, deux ans auparavant, Bibulus à entraver toutes les mesures de César en observant le ciel[9], défendaient maintenant, sous peine d’être considéré comme ennemi de la République[10], ces manoeuvres religieuses qui suspendaient toutes les délibérations. Enfin la loi de rappel fut rendue. Cicéron rentra dans Rome la veille des nones de septembre ( — III — Pompée est chargé des approvisionnements Dès les premiers moments de son retour, Cicéron mit tous ses soins à augmenter l’influence de Pompée et à le réconcilier avec le sénat. La disette dont souffrait l’Italie cette année lui en fournit l’occasion. Le peuple se souleva tout à coup, se porta d’abord à un théâtre où se célébraient des jeux, puis au Capitole, en proférant des menaces de mort et d’incendie contre le sénat, auquel il attribuait la détresse publique[11]. Déjà en juillet, lors des jeux apollinaires[12], une émeute avait éclaté pour le même motif. Cicéron, par son éloquence persuasive, calma la foule irritée, proposa de confier à Pompée le soin des approvisionnements et de lui conférer pour cinq ans des pouvoirs proconsulaires en Italie et hors d’Italie[13]. Les sénateurs, effrayés, adoptèrent sur-le-champ cette mesure. C’était, comme à l’époque de la guerre des pirates, donner au même homme une puissance excessive sur toute la terre, ainsi que le disait le décret. On lui adjoignit quinze lieutenants, au nombre desquels fut Cicéron[14]. Mais la création de cette nouvelle charge n’apaisa pas les impatiences de la multitude. Clodius cherchait à persuader au peuple que la disette était factice, et que le sénat l’avait fait naître pour avoir un prétexte de rendre Pompée le maître de toutes choses[15]. Il ne laissait échapper aucune occasion de susciter des troubles. Quoiqu’on eût donné à Cicéron plus de deux millions de sesterces[16] d’indemnité, et décidé que sa maison serait rebâtie à la même place, Clodius, qui voulait empêcher cette réédification, en vint plusieurs fois aux mains avec Milon, dans des luttes semblables à des combats en règle, leurs adhérents portant des boucliers et des épées. Chaque jour voyait une émeute dans les rues. Milon jurait de tuer Clodius, et Cicéron avouait plus tard que la victime et le bras qui devait frapper étaient désignés d’avance[17]. — IV — Fêtes à l’occasion des victoires de César Ce fut vers la fin de l’année 697 que parvint à Rome la nouvelle des succès prodigieux de César contre les Belges ; ils y excitèrent le plus vif enthousiasme. Dès que le sénat en fut informé, il vota, pour les célébrer, quinze jours d’actions de grâces[18]. Ce nombre de jours n’avait encore été accordé à personne. Marius en avait obtenu cinq, et Pompée, vainqueur de Mithridate, dix seulement. Le décret du sénat fut rédigé en termes plus flatteurs qu’on ne l’avait fait pour aucun général ; Cicéron lui-même s’associa à ce haut témoignage de la reconnaissance publique[19]. — V — Émeutes à Rome Malgré ces démonstrations, il existait toujours dans une certaine caste une haine sourde contre le vainqueur des Gaules : au mois de décembre 697, Rutilius Lupus, nommé tribun pour l’année suivante, proposa de révoquer les lois de César et de suspendre la distribution des terres de la Campanie[20] ; il se répandit en accusations contre ce général et contre Pompée. Les sénateurs se turent ; Cn. Marcellinus, consul désigné, déclara qu’en l’absence de Pompée on ne pouvait rien décider. D’un autre côté, Racilius, tribun du peuple, se leva pour renouveler les anciens griefs contre Clodius[21]. Afin de déjouer les prétentions de ce dernier, qui aspirait à l’édilité, et qui, une fois nommé, eût été inviolable, les consuls désignés demandèrent qu’il fût procédé à l’élection des juges avant celle des édiles. Caton et Cassius s’y opposèrent. Cicéron saisit avec empressement l’occasion de fulminer contre Clodius ; mais celui-ci, qui était sur ses gardes, se défendit longuement, et, pendant ce temps, ses adhérents, s’attaquant aux gens de Milon, excitèrent un tel tumulte sur les marches du temple de Castor, où le sénat tenait séance, que le Forum devint un nouveau champ de bataille. Les sénateurs s’enfuirent ; tous les projets furent abandonnés[22]. En présence de ces collisions sanglantes, les élections pour l’édilité et la questure n’avaient pu avoir lieu ; d’ailleurs Milon et Sextius empêchaient, par vengeance personnelle, le consul Q. Metellus de convoquer les comices. Dès que le consul indiquait un jour d’assemblée, les deux tribuns déclaraient aussitôt qu’ils observeraient le ciel ; et, de peur que cette cause d’ajournement ne suffît pas, Milon s’établissait de nuit dans le Champ de Mars avec son monde en armes. Metellus essaya de tenir les comices par surprise[23], et se rendit de nuit au Champ de Mars par des rues détournées ; mais il était bien surveillé. Avant d’arriver à la place, il fut rencontré et reconnu par Milon, qui lui signifia, en Vertu de sa puissance tribunitienne, l’obnonciation, c’est-à-dire la déclaration d’un empêchement religieux à la réunion des assemblées populaires[24]. C’est ainsi que finit l’année 697. Pendant ces luttes sans dignité où chaque parti se
déshonorait par la violence, César avait, en deux campagnes, sauvé l’Italie
de l’invasion des barbares et vaincu les peuples les plus belliqueux de |
[1] Cicéron, Pour Sextius, 38.
[2] Cicéron, Discours pour sa maison, 27 ; Pour Sextius, 34.
[3] Cicéron, Pour Sextius, 34 ; Des Lois, III, 19.
[4] Cicéron, Pour Sextius, 34.
[5] Cicéron, Pour Sextius, 35. — Dion Cassius, XXXIX, 7. — Plutarque, Pompée, 51.
[6] Cicéron, Pour Sextius, 35 ; Premier discours après son retour, V, 6.
[7] Cicéron, Des Devoirs, II, 17 ; Pour Sextius, 39. — Dion Cassius, XXXIX, 8.
[8] Cicéron, Deuxième discours après son retour au sénat, 10 ; Discours pour sa maison, 28 ; Discours contre Pison, 15.
[9] On voit que le pouvoir d’observer le ciel existait encore malgré la loi Clodia.
[10] Cicéron, passages cités.
[11] Cicéron, Lettres à Atticus, IV, 1.
[12] Asconius, Commentaire sur le discours de Cicéron pour Milon, p. 48, éd. Orelli.
[13] Dion Cassius, XXXIX, 9. — Plutarque, Pompée, 52.
[14] Cicéron, Lettres à Atticus, IV, 1. — La proposition de Cicéron fut amplifiée encore par C. Messius, tribun du peuple, qui demandait pour Pompée une flotte, une armée et l’autorisation de disposer des finances.
[15] Plutarque, Pompée, 52. — Cicéron, Discours pour sa maison, 10.
[16] Lettres à Atticus, IV, 2.
[17] J’ajouterai que, dans l’opinion publique, Clodius est regardé comme une victime réservée à Milon (Cicéron, Sur la réponse des aruspices, 3). — Ce discours sur la réponse des aruspices est de mai, juin ou juillet 698. Voyez aussi ce qu’il dit dans sa lettre à Atticus, de novembre 697 (Lettres à Atticus, IV, 3).
[18] Plutarque, César, 23. — Guerre des Gaules, II, 35.
[19] Mais pourquoi, dans
cette occasion surtout, s’étonnerait-on de ma conduite ou la blâmerait-on,
quand moi-même j’ai déjà plusieurs fois appuyé des propositions qui étaient
plus honorables pour César que nécessaires pour l’État ? J’ai voté en sa faveur
quinze jours de prières : c’était assez pour
[20] Cicéron, Lettres à Quintus, II, 1.
[21] Cicéron, Lettres à Quintus, II, 1.
[22] Cicéron, Lettres à Quintus, II, 1.
[23] Cicéron, Lettres à Atticus, IV, 3.
[24] Cicéron, Lettres à Atticus, IV, 2-3 ; Lettres à Quintus, II, 1.