LIVRE QUATRIÈME — RÉSUMÉ DE
— I — Difficultés de la tâche de César Dans le livre qui précède nous avons reproduit, d’après les Commentaires, le récit de la guerre des Gaules, en essayant d’élucider les questions douteuses et de retrouver les lieux, théâtre de tant de combats. Il ne sera pas maintenant sans intérêt de rappeler les traits saillants des huit campagnes du proconsul romain, en écartant tous les détails techniques. Nous examinerons en même temps ce qui se passait, pendant cette période, sur les bords du Tibre, et les événements qui amenèrent la guerre civile. Des écrivains que la gloire irrite se plaisent à la rabaisser. Ils semblent vouloir ainsi infirmer le jugement des siècles passés ; nous préférons le confirmer en disant pourquoi la renommée de certains hommes a rempli le monde. Mettre en lumière les exemples héroïques, montrer que la gloire est la légitime récompense des grandes actions, c’est rendre hommage à l’opinion publique de tous les temps. L’homme aux prises avec des difficultés qui semblent insurmontables, et les domptant par son génie, offre un spectacle toujours digne de notre admiration ; et cette admiration sera d’autant plus justifiée, que la disproportion aura été plus marquée entre le but et les moyens. César va quitter Rome, s’éloigner des débats du Forum, de
l’agitation des comices, des intrigues d’une ville corrompue, et prendre le
commandement de ses troupes. Laissons donc un moment de côté l’homme
politique et ne considérons que l’homme de guerre, le grand capitaine. Le
proconsul romain n’est point un de ces chefs barbares qui, à la tête de
hordes innombrables, s’abattent sur un pays étranger pour le ravager par le
fer et le feu. Sa mission n’est point de détruire, mais d’étendre au loin
l’influence de Ainsi, combattre deux à trois cent mille Helvètes et Germains,
dominer huit millions de Gaulois, maintenir — II — Campagne contre les Helvètes César part de Rome, vers le milieu de mars 696, et arrive
en huit jours à Genève. Aussitôt les Helvètes, qui s’étaient donné
rendez-vous sur les bords du Rhône pour le 94 mars, jour de l’équinoxe, lui
demandent la permission de traverser En rendant le Rhône infranchissable, en rattachant à sa
cause le peuple qui occupait tout le cours de Dès que César a connaissance de ce projet, son parti est
aussitôt pris : il prévoit qu’un long temps s’écoulera avant que les Helvètes
obtiennent le passage à travers des pays inquiets d’hôtes si nombreux ; il
calcule qu’une agglomération de 368.000 individus, hommes, femmes et enfants,
emportant sur des chariots pour trois mois de vivres, sera lente à se mouvoir
; il se rend dans Il y avait dans l’agglomération helvète un peuple renommé
par sa valeur, les Boïens ; César permet aux Bourguignons de les recevoir au
nombre de leurs concitoyens et de leur donner des terres an confluent de
l’Allier et de — III — Campagne contre Arioviste La victoire remportée près de Bibracte a, d’un seul coup,
rétabli le prestige des armes romaines. César est devenu l’arbitre des
destinées d’une partie de Avant de recourir aux armes, César, qui, pendant son consulat, avait fait déclarer Arioviste allié et ami du peuple romain, entreprit d’essayer sur lui des moyens de persuasion. Il lui fit demander une entrevue et ne reçut qu’une réponse hautaine. Bientôt, informé que, depuis trois jours, le roi germain a passé ses frontières à la tête d’une nombreuse armée, et que, d’un autre côté, les cent cantons des Suèves menacent de franchir le Rhin vers Mayence, il part de Tonnerre en toute hâte pour se porter à sa rencontre. Arrivé vers Arc-en-Barrois, il apprend qu’Arioviste se dirige avec toutes ses troupes sur Besançon. Il tourne alors à droite, le prévient, et s’empare de cette place importante. Sans doute qu’à la nouvelle de la marche de l’armée romaine Arioviste ralentit la sienne et s’arrêta dans les environs de Colmar. Après être resté quelques jours à Besançon, César se met
en route vers le Rhin, évite les contreforts montagneux du Jura, prend par
Pernnesières, Arcey, Belfort, et débouche vers Cernay dans les plaines
fertiles de l’Alsace. Les deux armées ne sont plus qu’à 24 milles l’une de
l’autre. César et Arioviste ont une entrevue ; elle ne fait qu’accroître leur
mutuel ressentiment. Ce dernier conçoit le projet de couper la ligne
d’opération des Romains, et, passant près des lieur où est aujourd’hui Mulhouse,
il Vient, par un mouvement tournant, se placer sur le ruisseau de la petite
Doller, au sud de l’armée romaine qui, campée sur Ainsi, dans cette première campagne, César, par deux
grandes batailles, avait délivré César met ses troupes en quartiers d’hiver dans — IV — Suite du consulat de L. Calpurnius Pison et d’Aulus Gabinius Tandis que les armées augmentaient au dehors la puissance
de Le récit des événements de Home, pendant les huit années
du séjour de César dans les Gaules, ne nous offrira plus qu’une suite non
interrompue de vengeances, de meurtres et de violences de toute nature.
Comment d’ailleurs maintenir l’ordre dans une si vaste cité sans une force
militaire permanente, lorsque chaque homme important se faisait suivre par
ses clients ou par ses esclaves en armes, et qu’ainsi, à l’intérieur, tout le
monde avait une armée, excepté — V — Menées de Clodius Clodius, dont l’imprudent appui de ceux qu’on a appelés plus tard triumvirs avait augmenté l’influence, ne cessa pas, après le départ de César, de rechercher une vaine popularité et d’exciter les passions mal assoupies. Non content d’avoir, au commencement de son tribunat, rétabli ces associations religieuses, commerciales et politiques, qui, composées en majorité de la lie du peuple, étaient un danger permanent pour la société ; d’avoir fait des distributions de blé, restreint le droit d’exclusion des censeurs, défendu de prendre les auspices ou d’observer le ciel le jour fixé pour la réunion des comices[10], provoqué l’exil de Cicéron, il tourna son inquiète activité contre Pompée[11], que bientôt il irrita profondément en enlevant, pour le rendre à la liberté, un fils de Tigrane, roi d’Arménie, fait prisonnier dans la guerre contre Mithridate, et gardé comme un gage de la tranquillité de l’Asie[12]. En même temps il poursuivait en justice quelques amis de Pompée, et répondait aux représentations qui lui étaient adressées, qu’il était bien aise d’apprendre jusqu’où allait le crédit du grand homme[13]. Celui-ci songea alors à rappeler Cicéron pour l’opposer à Clodius, de même que, peu de mois auparavant, il avait suscité Clodius contre Cicéron. On le voit, le système de bascule politique n’est pas nouveau. — VI — Pompée consulte César sur le retour de Cicéron Dans ces circonstances, l’opinion de César était d’un grand poids. Pompée lui écrivit pour le consulter[14], et P. Sextus, un des nouveaux tribuns désignés, se rendit dans les Gaules pour connaître ses dispositions[15]. Il paraît certain qu’elles furent favorables[16], car, dès les calendes de juin 696, deux mois à peine depuis le décret qui avait frappé Cicéron, un tribun du peuple, L. Ninnius, demanda son rappel dans le sénat. Cette proposition allait être adoptée, quand un autre tribun du peuple, Ælius Ligus, intercéda[17]. Le sénat, irrité, déclara qu’il ne prendrait en considération aucune affaire politique ou administrative avant d’avoir statué sur le retour de Cicéron[18]. On juge par là combien l’assemblée avait à coeur le succès de cette mesure, et combien, en la soutenant, Pompée flattait les sentiments de la majorité. — VII — Pompée se croit menacé par un esclave de Clodius Un incident singulier acheva de le rapprocher du sénat : le 3 des ides de sextilis (5 août), un esclave de Clodius laissa tomber un poignard sur le passage de Pompée, qui entrait dans la curie ; arrêté par des licteurs et interrogé par le consul A. Gabinius, l’esclave avoua que son maître lui avait ordonné d’assassiner le grand citoyen[19]. Ce projet d’attentat, plus ou moins sérieux, produisit cependant assez d’impression sur Pompée pour l’empêcher pendant longtemps d’aller au Forum et de se montrer en public[20]. Les demandes en faveur de Cicéron se renouvelèrent, et le 4 des calendes de novembre (20 octobre), huit tribuns du peuple, la plupart dévoués à Pompée, proposèrent formellement dans le sénat le rappel de l’exilé. De ce nombre était T. Annius Milon, homme violent, audacieux et sans scrupules, en tout semblable à Clodius, mais son adversaire déclaré. Clodius et son frère, le préteur Appius, parvinrent encore à faire échouer cette motion[21]. Enfin, pour comble d’audace, le fougueux tribun, vers la fin de ses fonctions, osa s’attaquer à César et essaya de faire révoquer les lois juliennes ; mais cette tentative resta impuissante devant l’éclat des succès remportés sur les Helvètes et sur les Germains. |
[1] Plutarque, Marius, 19.
[2] Mémoires de Napoléon Ier, Révolte de Pavie, VII, 4.
[3] Pour la plus claire
intelligence du résumé, nous avons adopté les désignations modernes des
différents peuples de
[4] Cicéron, proconsul en Cilicie, retira la somme de 12 millions de sesterces (2.280.000 fr.) de la vente des prisonniers faits au siège de Pindenissus (Cicéron, Lettres à Atticus, V, 20).
[5] Julien (Cœsares, p. 72, éd. Lasius) fait dire à César qu’il avait traité les Helvètes en philanthrope et reconstruit leurs villes brûlées.
[6] C’est probablement à cette époque que les chefs de l’Auvergne, et peut-être Vercingétorix lui-même, ainsi que le dit Dion Cassius, vinrent rendre hommage au proconsul romain.
[7] Mommsen, Römische Geschichte, III, p. 291. Berlin, 1861.
[8] Plutarque, Pompée, 51-52.
[9] Lui-même se laissa bientôt amollir par l’amour qu’il avait pour sa jeune femme. Uniquement occupé à lui plaire, il passait des journées avec elle dans sa maison de campagne ou dans ses jardins, et ne songeait plus aux affaires publiques. Ainsi Clodius même, alors tribun du peuple, n’ayant plus pour lui que du mépris, osa se porter aux entreprises les plus audacieuses (Plutarque, Pompée, 50).
[10] Dion Cassius, XXXVIII, 13.
[11] Plutarque, Pompée, 51-52.
[12] Dion Cassius, XXXVIII, 30.
[13] Plutarque, Pompée, 48 et 50.
[14] Pompée va enfin s’occuper de mon rappel ; il n’attendait qu’une lettre de César pour en faire faire la proposition par un homme à lui (Cicéron, Lettres à Atticus, III, 18). — Si César m’a abandonné, s’il s’est joint à mes ennemis, il a manqué à l’amitié, et m’a fait tort ; j’ai dû être son ennemi, je ne le nie pas ; mais si César s’est intéressé à mon rétablissement, s’il est vrai que vous ayez pensé qu’il était important pour moi que César ne fût pas contraire, etc. (Discours sur les provinces consulaires, 18).
[15] C’est alors que P. Sextius, tribun désigné, se rendit auprès de César pour l’intéresser à mon retour. Je dis seulement que, si César fut bien intentionné pour moi, et je le crois, ces démarches n’ajoutaient rien à ses bonnes dispositions. Il pensait (Sextius) que, si l’on voulait rétablir la concorde entre les citoyens et décider mon rappel, il fallait s’assurer du consentement de César (Cicéron, Pour Sextius, 18).
[16] Pompée prit mon frère à témoin que tout ce qu’il avait fait pour moi, il l’avait fait par la volonté de César (Cicéron, Lettres familières, I, 9).
[17] Cicéron, Pour Sextius, 31 et suiv.
[18] Cicéron, Pour Sextius, 31.
[19] Plutarque, Pompée, 51. — Cicéron, Pour Sextius, 32 ; Sur la réponse des aruspices, 23 ; Pour Milon, 7. — Asconius, Commentaire sur le discours pour Milon, p. 47, édit. Orelli.
[20] Plutarque, Pompée, 51. — Cicéron, Pour Milon, 7. — Asconius, Commentaire sur le discours pour Milon, p. 47, édit. Orelli.
[21] Cicéron, Lettres à Atticus, III, 23. - Dion Cassius, XXXIX, 6.