LIVRE TROISIÈME — GUERRE DES GAULES D’APRÈS LES COMMENTAIRES
— I — Expédition contre les Bituriges et Carnutes La prise d’Alésia et celle de Vercingétorix, malgré les efforts
réunis de toute César ne voulut pas leur donner le temps de réaliser ce nouveau plan, il confia le commandement de ses quartiers d’hiver à son questeur Marc-Antoine, partit de Bibracte la veille des calendes de janvier (25 décembre) avec une escorte de cavalerie, alla rejoindre la 13e légion, qui hivernait chez les Bituriges, non loin de la frontière éduenne, et appela à lui la 11e, qui était la plus proche. Ayant laissé cieux cohortes de chaque légion à la garde des bagages, il parcourut le pays fertile des Bituriges, vaste territoire où la présence d’une seule légion était insuffisante pour arrêter des préparatifs d’insurrection. Son arrivée subite au milieu d’hommes sans défiance, dispersés dans les campagnes, produisit le résultat qu’il en attendait. Ils furent surpris avant d’avoir pu rentrer dans leurs oppidums, car César avait sévèrement défendu tout ce qui leur aurait donné l’éveil, surtout l’incendie, qui ordinairement trahit la présence inopinée de l’ennemi. On fit plusieurs milliers de captifs ; ceux qui parvinrent à s’échapper cherchèrent en vain un asile chez les nations voisines. César, par des marches forcées, les atteignait sur tous les points, et obligeait chaque peuple à s’occuper de son propre salut plutôt que de celui des autres. Cette activité maintint les populations fidèles, et, par la terreur, engagea les douteuses à subir les conditions de la paix. Ainsi les Bituriges, voyant que César leur offrait un moyen facile de recouvrer sa protection, et que les États limitrophes n’avaient subi d’autre châtiment que de livrer des otages, n’hésitèrent pas à se soumettre. Les soldats des 11e et 13e légions
avaient, pendant l’hiver, supporté avec une rare constance les fatigues de
marches très difficiles, par un froid intolérable. Pour les en récompenser,
il promit, à titre de butin, 200 sesterces à chaque soldat, 2.000 à chaque
centurion. Il les renvoya ensuite dans leurs quartiers d’hiver, et retourna à
Bibracte après une absence de quarante jours. Pendant qu’il y rendait la
justice, les Bituriges vinrent implorer son appui contre les attaques des
Carnutes. Quoique de retour depuis dix-huit jours seulement, il se remit en
marche à la tête de deux légions, la 6e et la 14e, qui
avaient été placées sur A son approche, les Carnutes, instruits par le sort des autres peuples, abandonnèrent leurs chétives cabanes, qu’ils avaient élevées sur l’emplacement des bourgs et des oppidums ruinés dans la dernière campagne, et se dispersèrent de tous côtés. César, ne voulant pas exposer ses soldats aux rigueurs de la saison, établit sou camp à Genabum (Gien), et logea ses soldats, partie dans les cabanes restées intactes, partie dans les tentes, sous des appentis couverts de chaume. La cavalerie et l’infanterie auxiliaire furent envoyées à la poursuite des Carnutes, qui, traqués de toutes parts et sans asile, se réfugièrent dans les pays limitrophes[2]. — II — Campagne contre les Bellovaques César, après avoir dissipé des rassemblements et étouffé les germes d’une insurrection, pensa que l’été n’amènerait aucune guerre sérieuse. Il laissa donc à Genabum les deux légions qu’il avait avec lui et en donna le commandement à C. Trebonius. Cependant. plusieurs avis des Rèmes l’informèrent que les Bellovaques et les peuples voisins, ayant à leur tête Correus et Commius, réunissaient des troupes pour faire irruption sur le territoire des Suessions, placés, dès la campagne de 697, sous la dépendance des Rèmes. Il crut alors de son intérêt comme de sa dignité de
protéger des alliés qui avaient bien mérité de Ce corps d’armée réuni, il marcha contre les Bellovaques,
établit son camp sur leur territoire et envoya de tous côtés de la cavalerie,
afin de faire quelques prisonniers et de connaître par eux les projets de
l’ennemi, Les cavaliers rapportèrent que l’émigration était générale, et que
le petit nombre d’habitants qu’on rencontrait étaient restés chez eux, non pour
se livrer à l’agriculture, mais pour espionner les Romains. César, en
interrogeant les prisonniers, apprit que tous les Bellovaques en état de
combattre s’étaient rassemblés sur un point, et qu’à eux s’étaient joints les
Ambiens, les Aulerques[3], les Calètes, les
Véliocasses, les Atrébates. Leur camp se trouvait dans une forêt, sur une hauteur
entourée de marais (le
mont Saint-Marc, dans la forêt de Compiègne) ; leurs bagages avaient
été mis en sûreté dans des bois plus éloignés. Plusieurs chefs se partageaient
le commandement ; mais la plupart des Gaulois obéissaient à Correus, à cause
de sa haine bien connue contre les Romains. Depuis quelques jours, Commius
était allé chercher du secours chez ces nombreux Germains qui demeuraient
dans les pays limitrophes (probablement ceux des bords de Ce plan, confirmé par plusieurs rapports, partit à César plein de prudence et bien opposé à la témérité ordinaire des barbares. Il mit donc, pour les attirer an combat, tous ses soins à dissimuler le nombre de ses troupes ; il avait avec lui les 7e, 8e et 9e légions, composées de vieux soldats d’un courage éprouvé, et la 11e, qui, formée de jeunes gens d’élite comptant huit campagnes, méritait sa confiance, quoiqu’elle ne pût être comparée aux autres pour la bravoure et l’expérience de la guerre. Afin de tromper les ennemis en ne leur montrant que trois légions, seul nombre qu’ils voulussent combattre, il disposa en ligne les 7e, 8e et 9e ; les bagages, peu considérables d’ailleurs, furent placés en arrière sous la protection de la 11e légion, qui fermait la marche. Dans cet ordre, qui formait presque un carré, il arriva à l’improviste en vue des Bellovaques. A l’aspect inattendu des légions qui s’avançaient en bataille et d’un pas assuré, ils perdirent contenance, et, au lieu d’attaquer, ainsi qu’ils se l’étaient promis, se contentèrent de se ranger devant leur camp, sans quitter la hauteur. Une vallée plus profonde que large (magis in altitudinem depressa quam late patente) séparait les deux armées. En présence de cet obstacle et de la supériorité numérique des barbares, César, quoiqu’il eût désiré le combat, renonça de son côté à l’attaque, et plaça son camp en face de celui des Gaulois, dans une forte position (camp de Saint-Pierre-en-Chatre (in Castris), dans la forêt de Compiègne[4]). Il le fit entourer d’un rempart de douze pieds d’élévation, surmonté d’ouvrages accessoires appropriés à l’importance du retranchement (loriculamque pro ratione ejus altitudinis[5]), et précédé d’un double fossé de quinze pieds de large, à fond de cuve[6] ; des tours à trois étages furent construites de distance en distance, et reliées par des ponts couverts, dont la partie extérieure était munie de clayonnage. De cette manière le camp se trouvait protégé non seulement par un double fossé, mais encore par deux rangs de défenseurs, dont les uns, postés sur des ponts, pouvaient, de cette position élevée et abritée, lancer leurs traits plus loin et avec plus d’assurance, tandis que les autres, placés sur le vallum, plus près de l’ennemi, étaient garantis par les ponts des traits plongeants. Les entrées furent défendues au moyen de tours plus hautes et fermées par des portes. Ces formidables retranchements avaient un double but augmenter la confiance des barbares en leur faisant croire qu’on les redoutait ; permettre ensuite de réduire la garnison du camp lorsqu’on irait chercher au loin les approvisionnements. Pendant quelques jours il n’y eut pas d’engagements sérieux, mais de légères escarmouches, dans la plaine marécageuse qui s’étendait entre les deux armées. Néanmoins la prise de quelques fourrageurs ne manquait pas d’enfler la présomption des barbares, accrue encore par l’arrivée de Commius, quoiqu’il n’eût ramené que cinq cents cavaliers germains. Les ennemis demeurèrent renfermés une longue suite de jours dans leur position inexpugnable. César jugea qu’une attaque de vive force coûterait trop de sacrifices ; un investissement seul lui parut opportun ; mais il exigeait des troupes plus considérables. Il écrivit alors à Trebonius de faire venir le plus tôt possible la 13e légion, qui, sous les ordres de T. Sextius, hivernait chez les Bituriges ; de la réunir à la 6e et à la 14e, que le premier de ces deux lieutenants commandait à Genabum, et de le rejoindre lui-même à marches forcées avec ces trois légions. Pendant ce temps il employa la nombreuse cavalerie des Rèmes, des Lingons et des autres alliés, à protéger les fourrageurs et à empêcher les surprises. Mais ce service quotidien finit, comme il arrive souvent, par se faire avec négligence, et, un jour que les Rèmes poursuivaient les Bellovaques avec trop d’ardeur, ils tombèrent dans une embuscade. En se retirant ils furent enveloppés par des fantassins au milieu desquels périt Vertiscus, leur chef. Fidèle aux moeurs gauloises, il n’avait pas voulu que sa vieillesse le dispensât de commander et de monter à cheval, quoiqu’il s’y soutînt à peine. Sa mort et ce faible succès exaltèrent encore les barbares, et rendirent les Romains plus circonspects. Néanmoins dans une des escarmouches qui avaient lieu sans cesse à la vue des deux camps, vers les endroits guéables du marais, l’infanterie germaine que César avait fait venir d’outre-Rhin pour la mêler à la cavalerie se réunit en masse, franchit audacieusement le marais, et, trouvant peu de résistance, s’acharna tellement à la poursuite des ennemis, que la frayeur s’empara non seulement de ceux qui combattaient, mais encore de ceux qui étaient en réserve. Au lieu de profiter des avantages du terrain, tous s’enfuirent lâchement, ils ne s’arrêtèrent qu’à leur camp, quelques-uns même n’eurent pas honte de se sauver au delà. Cette défaite produisit un découragement général, car les Gaulois étaient aussi prompts à se démoraliser au moindre revers qu’à s’enorgueillir au plus léger succès. Les jours se passaient ainsi, lorsque l’ennemi apprit l’arrivée de Caius Trebonius avec ses troupes, ce qui portait à sept le nombre des légions. Les chefs des Bellovaques redoutèrent alors un investissement pareil à celui d’Alésia et résolurent de quitter leur position. Ils firent partir de nuit les vieillards, les infirmes, les hommes sans armes, et la partie des bagages qu’ils avaient conservée avec eux. A peine cette multitude confuse, embarrassée d’elle-même et de ses nombreux chariots, fait-elle en mouvement, que le jour la surprit et qu’il fallut mettre les troupes en ligne devant le camp pour donner le temps à la colonne de s’éloigner. César ne crut utile ni d’engager le combat avec ceux qui étaient en position, ni de poursuivre, à cause de l’escarpement de la montagne, ceux qui se retiraient ; il résolut cependant de faire avancer deux légions pour inquiéter l’ennemi dans sa retraite. Ayant remarqué que la montagne sur laquelle les Gaulois étaient établis se reliait à une autre hauteur (le mont Collet), dont elle n’était séparée que par un vallon de peu de largeur, il fit jeter des ponts sur le marais ; les légions y passèrent et atteignirent bientôt le sommet de cette hauteur, que protégeaient de chaque côté des pentes abruptes. Là il rassembla ses troupes, et se porta en ordre de bataille jusqu’à l’extrémité du plateau, d’où les machines mises en batterie pouvaient atteindre de leurs traits les masses ennemies. Les barbares, rassurés par l’avantage du lieu, étaient
prêts à accepter le combat si les Romains osaient attaquer la montagne ; ils
craignaient d’ailleurs de retirer successivement leurs troupes, qui,
divisées, auraient pu être mises en désordre. Cette attitude décida César à
laisser vingt cohortes sous les armes, à tracer en cet endroit le camp et à
le retrancher. Les travaux terminés, les légionnaires furent rangés devant
les retranchements, et les cavaliers répartis aux avant-postes, avec leurs
chevaux tout bridés. Les Bellovaques eurent recours à un stratagème pour
opérer leur retraite. Ils se passèrent de main en main les fascines et la
paille sur lesquelles, suivant l’habitude gauloise, ils s’asseyaient, tout en
conservant leur ordre de bataille, les placèrent sur le front du camp, puis,
vers la fin du jour, à un signal convenu, y mirent le feu. Aussitôt une vaste
flamme intercepta aux Romains Quoique l’incendie empêchât César d’apercevoir la retraite des ennemis, il la soupçonna. Il fit avancer ses légions et envoya la cavalerie à leur poursuite ; mais il ne marcha que lentement, dans la crainte de quelque piége, les barbares pouvant avoir l’intention d’attirer les Romains sur un terrain désavantageux. Les cavaliers d’ailleurs n’osaient pénétrer à travers la fumée et les flammes aussi les Bellovaques purent-ils franchir impunément un espace de dix milles et s’arrêter dans un lieu extrêmement fortifié par la nature, le mont Ganelon, où ils assirent leur camp. Ainsi établis, ils se bornèrent à placer souvent de la cavalerie et de l’infanterie en embuscade, et causèrent un grand tort aux fourrageurs romains[7]. — III — Combat sur l’Aisne Après plusieurs rencontres de ce genre, César sut par un prisonnier que Correus, chef des Bellovaques, avec 6.000 fantassins d’élite et 1.000 cavaliers choisis, préparait une nouvelle embuscade dans les lieux où l’abondance du blé et du fourrage semblait devoir attirer les Romains. Sur cet avis, il envoya en avant la cavalerie, toujours chargée de protéger les fourrageurs, lui adjoignit des auxiliaires armés à la légère, et lui-même, avec un plus grand nombre de légions qu’à l’ordinaire, les suivit le plus près possible. L’ennemi s’était placé dans une plaine (celle de Choisy-au-Bac) d’environ mille pas en tout sens et entourée d’un côté par des forêts, de l’autre par une rivière d’un passage difficile (l’Aisne). La cavalerie connaissait les projets des Gaulois ; se sentant appuyée, elle marcha résolument, par escadrons, vers cette plaine, que des embûches enveloppaient de toutes parts. Correus, en la voyant arriver ainsi, crut l’occasion favorable à l’exécution de son plan, et attaqua d’abord les premiers escadrons avec peu de monde. Les Romains soutinrent vaillamment le choc sans se concentrer en masse sur le même point, ce qui, dit Hirtius, arrive ordinairement dans les combats de cavalerie, et amène toujours une fâcheuse confusion. Là, au contraire, les escadrons restèrent séparés, combattirent isolément, et lorsque l’un d’eux s’avançait, ses flancs étaient protégés par les autres. Correus fit alors sortir du bois le reste de sa cavalerie. Un combat acharné s’engagea de toutes parts, sans résultat décisif, jusqu’à ce que l’infanterie ennemie, débouchant de la forêt en ordre serré, fit reculer la cavalerie des Romains. Les soldats armés à la légère, qui précédaient les légions, se placèrent entre les escadrons et rétablirent le combat. Après un certain temps, les troupes, animées par l’approche des légions et l’arrivée de César, jalouses d’obtenir seules l’honneur de la victoire, redoublèrent d’efforts et eurent l’avantage. Les ennemis, au contraire, découragés, se mirent à fuir ; mais ils furent arrêtés par les obstacles mêmes qu’ils avaient voulu opposer aux Romains. Un petit nombre s’échappa cependant en traversant la forêt et la rivière. Correus, inébranlable devant cette catastrophe, refusa obstinément de se rendre et tomba percé de coups. César, après ce succès, espéra que, s’il poursuivait sa marche, l’ennemi, consterné, abandonnerait son camp, qui n’était qu’à huit milles du champ de bataille. Il passa donc l’Aisne, non sans de grandes difficultés. Les Bellovaques et leurs alliés, instruits par les fuyards de la mort de Correus, de la perte de leur cavalerie et de l’élite de leur infanterie, craignant à chaque instant de voir paraître les Romains, convoquèrent, au son des trompettes, une assemblée générale, et décidèrent, par acclamation, d’envoyer au proconsul des députés et des otages. Les barbares implorèrent leur pardon, alléguant que cette dernière défaite avait ruiné leur puissance, que la mort de Correus, instigateur de la guerre, les délivrait de, l’oppression, car, pendant sa vie, ce n’était point le sénat qui gouvernait, mais une multitude ignorante. A leurs prières César répondit que l’année précédente les Bellovaques s’étaient soulevés de concert avec les autres peuples gaulois, mais qu’eux seuls avaient persisté dans la révolte. Il était trop commode de rejeter ses fautes sur ceux qui n’existaient plus ; mais comment croire qu’avec le seul secours d’une faible populace un homme eût eu assez d’influence pour exciter et entretenir la guerre contre la volonté des chefs, la décision du sénat et le voeu des gens de bien ? Toutefois le mal qu’ils s’étaient attiré à eux-mêmes lui était une suffisante réparation. La nuit suivante, les Bellovaques et leurs alliés se soumirent, excepté Commius, qui s’enfuit dans le pays d’où il avait tiré récemment des secours. Il n’avait pas osé se fier aux Romains, en voici la raison : l’année précédente, en l’absence de César, T. Labienus, averti que Commius conspirait et préparait une insurrection, crut pouvoir, sans être taxé de mauvaise foi, dit Hirtius, réprimer sa trahison. Sous prétexte d’une entrevue, il envoya C. Volusenus Quadratus avec des centurions pour le tuer ; mais, lorsqu’ils furent en présence du chef gaulois, le centurion chargé de frapper manqua son coup, et ne fit que le blesser ; de part et d’autre on tira l’épée : Commius put échapper[8]. — IV — Dévastation du pays des Éburons Les peuplades les plus guerrières avaient été vaincues, et
aucune ne songeait plus à la révolte. Cependant beaucoup d’habitants des pays
nouvellement conquis abandonnaient les villes et les campagnes pour se
soustraire à la domination romaine. César, voulant arrêter cette émigration,
répartit son armée dans différentes contrées. Il appela à lui le questeur
Marc-Antoine avec la 12e légion, et envoya le lieutenant Fabius
avec vingt-cinq cohortes dans une partie opposée de Quant à César, il se rendit avec quatre légions sur le territoire des Éburons pour le ravager ; comme il ne pouvait pas s’emparer d’Ambiorix, toujours errant, il crut devoir mettre tout à feu et à sang, persuadé que ce chef n’oserait jamais revenir dans un pays sur lequel il aurait attiré une si terrible calamité : les légions et les auxiliaires furent chargés de cette exécution. Ensuite il dirigea Labienus, avec deux légions, chez les Trévires, qui, toujours en Guerre avec les Germains, n’étaient jamais maintenus dans l’obéissance que par la présence d’une armée romaine[11]. — V — Expédition contre Dumnacus Pendant ce temps, Caninius Rebilus, qui avait été d’abord
désigné pour aller chez les Rutènes, mais que des insurrections partielles
avaient retenu dans la région située entre Sur ces entrefaites, le lieutenant Caius Fabius, occupé à
pacifier plusieurs peuplés, apprit de Rebilus ce qui se passait dans le pays
des Pictons ; il se porta sans retard au secours de Duratius. L’annonce de la
marche de Fabius enleva à Dumnacus tout espoir de faire face en même temps
aux troupes enfermées dans Lemonum et à l’armée de secours. Il abandonna de
nouveau le siège en toute hâte, croyant qu’il ne serait pas en sûreté s’il ne
mettait Le lendemain, pendant la nuit, Fabius envoie de nouveau sa cavalerie en avant avec ordre de retarder la marche de l’ennemi, de manière à donner le temps à l’infanterie d’arriver. La rencontre a lieu bientôt entre les deux cavaleries ; mais l’ennemi, ne croyant avoir affaire qu’aux troupes de la veille, range son infanterie en bataille pour soutenir ses escadrons, lorsque tout à coup paraissent les légions en ordre de combat. A cette vue, les barbares sont frappés de terreur ; le trouble se met dans la longue file de leurs bagages, et ils se dispersent. Plus de 12.000 hommes furent tués, tous les bagages tombèrent au pouvoir des Romains. Il ne s’échappa de cette déroute que 5.000 fuyards ; ils
furent recueillis par le Sénonais Drappès, le même qui, à la première révolte
des Gaules, avait rassemblé une foule d’hommes perdus, d’esclaves, de bannis,
de brigands, pour intercepter les convois des Romains. Ils se dirigèrent sur Quant à Fabius, il conduisit ses vingt-cinq cohortes contre les Carnutes et les autres peuples dont les forces avaient déjà été diminuées par l’échec qu’ils venaient de subir avec Dumnacus. Les Carnutes, quoique souvent battus, n’avaient jamais été complètement soumis ; ils donnèrent des otages ; les peuples armoricains suivirent leur exemple. Dumnacus, chassé de son territoire, alla chercher un refuge au fond de la Gaule[12]. — VI — Prise d’Uxellodunum Drappès et Lucterius, apprenant qu’ils étaient suivis de
Rebilus et de ses deux légions, renoncèrent à pénétrer dans Rebilus parut aussitôt devant la ville, qui, entourée de tous côtés de rochers escarpés, était, même non défendue, d’un accès difficile à des hommes armés. Sachant qu’elle renfermait une telle quantité de bagages que les assiégés n’auraient pu les faire sortir secrètement sans être atteints par la cavalerie et même par l’infanterie, il partagea ses cohortes en trois corps et établit trois camps sur les points les plus élevés. Ensuite, autant que le permettait le petit nombre des cohortes, il fit travailler à une contrevallation. A la vue de ces dispositions, les assiégés se rappelèrent le désastre d’Alésia, et craignirent un semblable sort. Lucterius, qui avait été témoin des horreurs de la disette pendant l’investissement de cette ville, se préoccupa surtout des vivres, et, du consentement de tous, laissant 2.000 hommes à Uxellodunum, il partit la nuit avec Drappès et le reste des troupes pour aller s’en procurer. Au bout de quelques jours ils réunirent, soit de gré, soit de force, de nombreux approvisionnements. Pendant ce temps, la garnison de l’oppidum attaqua à plusieurs reprises les redoutes de Rebilus, ce qui obligea celui-ci d’interrompre le travail de la contrevallation, qu’il n’aurait pu d’ailleurs défendre faute de forces suffisantes. Drappès et Lucterius vinrent se placer à dix milles de l’oppidum, dans l’intention d’y introduire peu à peu les vivres. Ils se partagèrent les rôles. Drappès resta avec une partie des troupes pour protéger le camp ; Lucterius chercha à faire entrer de nuit des bêtes de somme dans la ville par un sentier étroit et boisé. Le bruit de leur marche avertit les sentinelles Rebilus, informé de ce qui se passait, fit sortir des redoutes voisines les cohortes, et au point du jour tomba sur le convoi, dont l’escorte fût massacrée. Lucterius, échappé avec un petit nombre des siens, ne put rejoindre Drappès. Rebilus apprit bientôt par des prisonniers que le reste
des troupes sorties de l’oppidum se trouvait avec Drappès à une distance de
douze milles, et que, par un hasard heureux, aucun fuyard ne s’était dirigé
de ce côté pour lui porter la nouvelle du dernier combat. Le général romain
envoya en avant toute la cavalerie et l’agile infanterie germaine ; il les
suivit avec une légion sans bagages, laissant l’autre à la garde des trois
camps. Arrivé près de l’ennemi, il sut par ses éclaireurs que les barbares,
négligeant les hauteurs, selon leur habitude, avaient placé leur camp sur les
bords d’une rivière (probablement
Rebilus, après cet heureux fait d’armes, qui lui conta à peine quelques blessés, revint sous les murs d’Uxellodunum. Ne redoutant plus aucune attaque du dehors, il se mit résolument à l’œuvre et continua la contrevallation. Le jour suivant Fabius arriva suivi de ses troupes, et partagea avec lui les travaux du siége. Tandis que le C’est dans le pays des Carnutes que César apprit, par des lettres de Rebilus, les événements survenus à Uxellodunum et la résistance des assiégés. Quoiqu’une poignée d’hommes renfermés dans une forteresse ne fût pas très redoutable, il jugea nécessaire de punir leur opiniâtreté, de peur que les Gaulois n’acquissent la conviction que, pour résister aux Romains, ce n’était pas la force qui leur avait manqué, mais la constance, et que cet exemple n’encourageât les autres États, possédant des places avantageusement situées, à recouvrer leur indépendance. Partout, d’ailleurs, dans les Gaules, on savait que César n’avait plus à exercer son commandement que pendant un été, et qu’ensuite on n’aurait plus rien à craindre. Il laissa donc à la tète de ses deux légions le lieutenant Quintus Calenus[13], lui ordonna de le suivre par étapes ordinaires, et avec la cavalerie il se porta à grandes journées vers Uxellodunum. César, en arrivant à l’improviste devant cette ville, la
trouva complètement investie sur tous les endroits accessibles. Il jugea
qu’elle ne pouvait pas être prise de vive force (neque ab oppugnatione
recedi videret ulla conditione posse), et, comme elle était
abondamment pourvue de vivres, il conçut le projet de priver d’eau les
habitants. La montagne était entourée presque de toutes parts par un terrain
très bas ; mais d’un côté existait une vallée traversée par une rivière ( César, perdant beaucoup de monde, voulut, pour faire diversion, simuler un assaut : il ordonna à quelques cohortes de gravir de tous côtés la montagne en poussant des cris. Ce mouvement effraya les assiégés, qui, dans la crainte d’être attaqués sur d’autres points, rappelèrent à la défense des murs ceux qui incendiaient les ouvrages. Les Romains purent alors se rendre maîtres du feu. Cependant le siège se prolongeait ; les Gaulois, quoique épuisés par la soif et réduits à un petit nombre, ne se lassaient pas de se défendre avec vigueur. Enfin la galerie souterraine ayant atteint les reines de la source, celle-ci fut captée et détournée. Les assiégés, la voyant tout à coup tarie, crurent, dans leur désespoir, à une intervention des dieux, cédèrent à la nécessité et se rendirent. César pensa que la pacification de — VII — Fouilles faites au Puy d’Issolu Les fouilles faites au Puy d’Issolu, en 1865, ne laissent plus aucun doute sur l’emplacement d’Uxellodunum. Le Puy d’Issolu est une haute montagne située non loin de
la rive droite de Tout le versant oriental de la montagne, celui qui regarde
Vayrac et Il n’y a aucune source sur le plateau du Puy d’Issolu ;
mais il en sort plusieurs des flancs de la montagne, dont une seule, celle de
Loulié, est assez abondante pour subvenir aux besoins d’une nombreuse
population. C’est cette dernière source que les Romains parvinrent à
détourner. A l’époque du siège, elle jaillissait du flanc de la montagne, à Les Commentaires portent (VIII, 33) que Rebilus établit trois camps
dans des positions très élevées. Leurs emplacements sont indiqués par la
nature même des lieux : le premier, se trouvait sur les hauteurs de Montbuisson
; le deuxième sur celles du château de Termes ; le troisième en face du col
de Roujou, sur le Pech Demont. Il résulte des fouilles que les Romains
n’avaient pas retranché les deux premiers, ce qui se conçoit, car les
hauteurs à l’ouest du Puy d’Issolu sont inexpugnables. D’ailleurs, les
Romains n’étaient pas à Uxellodunum dans la même situation qu’à Alésia. Là
ils avaient devant eux 80.000 combattants et sur leurs derrières une armée de
secours très nombreuse ; ici, au contraire, il ne s’agissait que de réduire
quelques milliers d’hommes. Le camp en face du col de Roujou demandait à être
protégé, parce qu’il était possible à des troupes de descendre du plateau du
Puy d’Issolu vers le col de Roujou, qui, situé à Les Gaulois ne pouvaient sortir de la ville que par ce col
et par le versant occidental de la montagne. Il importait de savoir, d’après
cela, si les Romains firent une contrevallation le long de La découverte la plus intéressante est celle de la galerie
souterraine[15].
Jusqu’au moment où les fouilles furent commencées, une partie des eaux de
pluie qu’absorbe le plateau du Puy d’Issolu venait jaillir près du village de
Loulié par deux sources. La première source sort d’un ravin et correspond au
thalweg du versant ; quant à l’autre, on reconnaissait facilement, à l’aspect
des lieux, qu’elle avait été déviée de son cours naturel. Les fouilles ont
montré, en effet, qu’elle est produite par les eaux qui coulent dans la
galerie romaine. Cette galerie a été rouverte sur une étendue de Avant d’arriver au tuf, les premiers travaux souterrains des Romains eurent lieu dans les terres franches, qu’ils durent étayer : des fragments de blindage ont été retrouvés, les uns engagés dans les limons siliceux, corrodés ou réduits à l’état de pâte ligneuse, les autres pétrifiés par leur contact prolongé avec des eaux chargées de sédiments calcaires. Une assez grande quantité de ces blocs pétrifiés et des débris de bois recueillis dans l’intérieur de la galerie sont déposés au musée de Saint-Germain. La galerie ne mène pas directement à la source qui
existait du temps des Gaulois. Les mineurs romains, après avoir cheminé droit
sur une longueur de Indépendamment des fouilles faites pour retrouver les fossés et la galerie souterraine, il en a été pratiqué d’autres sur le versant de Loulié, dans le terrain qui avoisine la source. Elles ont fait découvrir des débris nombreux de poterie gauloise et d’amphores, et, ce qui a été une nouvelle confirmation de l’identité du Puy d’Issolu avec Uxellodunum, des débris d’armes en tout pareils à ceux des fossés d’Alésia[16]. Sous les éboulements qui se sont produits depuis dix-neuf siècles sur le versant de Loulié, on a également constaté toutes les traces de l’incendie décrit dans les Commentaires. On reconnaît ainsi, sur le terrain, l’emplacement de la terrasse et des galeries couvertes qui prirent feu. — VIII — Soumission complète de Pendant que ces événements s’accomplissaient sur les bords
de César dès lors considéra Là, on lui apprit les dernières tentatives de Commius, qui, continuant la guerre de partisans à la tète d’un petit nombre de cavaliers, interceptait les convois des Romains. Marc-Antoine avait donné à C. Volusenus Quadratus, préfet de la cavalerie, la mission de le poursuivre ; celui-ci s’en était chargé avec empressement, dans l’espoir de mieux réussir cette fois que la première ; mais Commius, profitant de l’ardeur emportée avec laquelle son ennemi s’était jeté sur lui, l’avait blessé grièvement et s’était échappé ; cependant, découragé, il avait promis à Marc-Antoine de se retirer dans le lien qui lui serait indiqué, à condition de n’être jamais forcé de paraître devant un Romain[17]. Cette condition acceptée, il avait donné des otages[18]. |
[1] Ce livre, comme on le sait, est écrit par Hirtius.
[2] Guerre des Gaules, VIII, 5.
[3] Sous-entendre Éburovices.
[4] On a objecté que le mont Saint-Pierre n’était pas assez grand pour sept légions ; or, comme César n’eut pendant longtemps avec lui que quatre légions, le camp fut approprié à ce nombre. Plus tard, au lieu de se tenir sur la défensive, il voulut, comme à Alésia, investir le camp gaulois ; c’est alors seulement qu’il fit venir trois autres légions. La contenance des différents camps retrouvés est au contraire très rationnelle et en rapport avec le nombre de troupes mentionné dans les Commentaires. Ainsi le camp de Berry-au-Bac, renfermant huit légions, avait quarante et un hectares de superficie ; celui de Gergovia, pour six légions, avait trente-cinq hectares, et celui du mont Saint-Pierre, pour quatre légions, vingt-quatre hectares.
[5] Non solum vallo et sudibus, sed etiam turriculis instruunt... quod opus loriculam votant (Végète, IV, 28).
[6] On voit par les profils des fossés retrouvés qu’ils ne pouvaient pas être à parois verticales ; l’expression d’Hirtius nous fait croire qu’il entendait, par lateribus directis, des fossés non triangulaires, mais à fond de cuve.
[7] Guerre des Gaules, VIII, 17.
[8] Guerre des Gaules, VIII, 23.
[9] Rebilus n’avait d’abord qu’une légion ; nous croyons, avec Rustow, que la 10e, qui séjournait à Bibracte, était venue le rejoindre. Il est dit (VII, 90) que Rebilus avait été envoyé chez les Rutènes ; mais il résulte d’un passage d’Orose (VI, 11) qu’il fût arrêté en route par une multitude d’ennemis et courut les plus grands dangers. Il resta donc près du pays des Pictons, où Fabius vint à son secours.
[10] Quelques manuscrits portent à tort le n° 12.
[11] Guerre des Gaules, VIII, 25.
[12] Guerre des Gaules, VIII, 31.
[13] Voir sa biographie à l’Appendice D.
[14] Guerre des Gaules, VIII, 44.
[15] Elle est due aux recherches persévérantes de M. J. R. Cessac, assisté, plus tard, par la commission départementale du Lot.
[16] Nomenclature des objets trouvés au Puy d’Issolu : 1 fer de dolabre, 36 fers de flèches, 6 fers de traits de catapulte, fragments de bracelets, dent d’ours (amulette), grains de colliers, anneaux, lame de couteau, clous.
[17] D’après Frontin (Stratagèmes, II, XIII, 11), Commius se
réfugia dans
[18] Guerre des Gaules, VIII, 48.