HISTOIRE DE JULES CÉSAR

LIVRE TROISIÈME — GUERRE DES GAULES D’APRÈS LES COMMENTAIRES

CHAPITRE ONZIÈME.

AN DE ROME 703 — Livre VIII des Commentaires[1]

 

 

— I — Expédition contre les Bituriges et Carnutes

La prise d’Alésia et celle de Vercingétorix, malgré les efforts réunis de toute la Gaule, devaient faire espérer à César une soumission générale ; aussi crut-il pouvoir laisser, pendant l’hiver, son armée se reposer paisiblement, dans ses quartiers, des rudes travaux qui avaient duré sans interruption tout l’été précédent. Mais l’esprit d’insurrection n’était pas éteint chez les Gaulois, et, persuadés par l’expérience que, quel que fût leur nombre, ils ne pouvaient en masse lutter contre des troupes aguerries, ils résolurent de diviser l’attention et les forces des Romains par des insurrections partielles provoquées sur tous les points à la fois, seule chance de leur résister avec avantage.

César ne voulut pas leur donner le temps de réaliser ce nouveau plan, il confia le commandement de ses quartiers d’hiver à son questeur Marc-Antoine, partit de Bibracte la veille des calendes de janvier (25 décembre) avec une escorte de cavalerie, alla rejoindre la 13e légion, qui hivernait chez les Bituriges, non loin de la frontière éduenne, et appela à lui la 11e, qui était la plus proche. Ayant laissé cieux cohortes de chaque légion à la garde des bagages, il parcourut le pays fertile des Bituriges, vaste territoire où la présence d’une seule légion était insuffisante pour arrêter des préparatifs d’insurrection.

Son arrivée subite au milieu d’hommes sans défiance, dispersés dans les campagnes, produisit le résultat qu’il en attendait. Ils furent surpris avant d’avoir pu rentrer dans leurs oppidums, car César avait sévèrement défendu tout ce qui leur aurait donné l’éveil, surtout l’incendie, qui ordinairement trahit la présence inopinée de l’ennemi. On fit plusieurs milliers de captifs ; ceux qui parvinrent à s’échapper cherchèrent en vain un asile chez les nations voisines. César, par des marches forcées, les atteignait sur tous les points, et obligeait chaque peuple à s’occuper de son propre salut plutôt que de celui des autres. Cette activité maintint les populations fidèles, et, par la terreur, engagea les douteuses à subir les conditions de la paix. Ainsi les Bituriges, voyant que César leur offrait un moyen facile de recouvrer sa protection, et que les États limitrophes n’avaient subi d’autre châtiment que de livrer des otages, n’hésitèrent pas à se soumettre.

Les soldats des 11e et 13e légions avaient, pendant l’hiver, supporté avec une rare constance les fatigues de marches très difficiles, par un froid intolérable. Pour les en récompenser, il promit, à titre de butin, 200 sesterces à chaque soldat, 2.000 à chaque centurion. Il les renvoya ensuite dans leurs quartiers d’hiver, et retourna à Bibracte après une absence de quarante jours. Pendant qu’il y rendait la justice, les Bituriges vinrent implorer son appui contre les attaques des Carnutes. Quoique de retour depuis dix-huit jours seulement, il se remit en marche à la tête de deux légions, la 6e et la 14e, qui avaient été placées sur la Saône pour assurer les approvisionnements.

A son approche, les Carnutes, instruits par le sort des autres peuples, abandonnèrent leurs chétives cabanes, qu’ils avaient élevées sur l’emplacement des bourgs et des oppidums ruinés dans la dernière campagne, et se dispersèrent de tous côtés. César, ne voulant pas exposer ses soldats aux rigueurs de la saison, établit sou camp à Genabum (Gien), et logea ses soldats, partie dans les cabanes restées intactes, partie dans les tentes, sous des appentis couverts de chaume. La cavalerie et l’infanterie auxiliaire furent envoyées à la poursuite des Carnutes, qui, traqués de toutes parts et sans asile, se réfugièrent dans les pays limitrophes[2].

— II — Campagne contre les Bellovaques

César, après avoir dissipé des rassemblements et étouffé les germes d’une insurrection, pensa que l’été n’amènerait aucune guerre sérieuse. Il laissa donc à Genabum les deux légions qu’il avait avec lui et en donna le commandement à C. Trebonius. Cependant. plusieurs avis des Rèmes l’informèrent que les Bellovaques et les peuples voisins, ayant à leur tête Correus et Commius, réunissaient des troupes pour faire irruption sur le territoire des Suessions, placés, dès la campagne de 697, sous la dépendance des Rèmes.

Il crut alors de son intérêt comme de sa dignité de protéger des alliés qui avaient bien mérité de la République. Il retira de nouveau la 11e légion de ses quartiers d’hiver, ordonna par écrit à C. Fabius, campé chez les Rèmes, d’amener chez les Suessions les deux légions qu’il commandait, et demanda à Labienus, qui était à Besançon, une des siennes. Ainsi, sans prendre lui-même aucun repos, il répartissait les fatigues entre les légions, autant que le permettaient la situation des quartiers d’hiver et les nécessités de la guerre.

Ce corps d’armée réuni, il marcha contre les Bellovaques, établit son camp sur leur territoire et envoya de tous côtés de la cavalerie, afin de faire quelques prisonniers et de connaître par eux les projets de l’ennemi, Les cavaliers rapportèrent que l’émigration était générale, et que le petit nombre d’habitants qu’on rencontrait étaient restés chez eux, non pour se livrer à l’agriculture, mais pour espionner les Romains. César, en interrogeant les prisonniers, apprit que tous les Bellovaques en état de combattre s’étaient rassemblés sur un point, et qu’à eux s’étaient joints les Ambiens, les Aulerques[3], les Calètes, les Véliocasses, les Atrébates. Leur camp se trouvait dans une forêt, sur une hauteur entourée de marais (le mont Saint-Marc, dans la forêt de Compiègne) ; leurs bagages avaient été mis en sûreté dans des bois plus éloignés. Plusieurs chefs se partageaient le commandement ; mais la plupart des Gaulois obéissaient à Correus, à cause de sa haine bien connue contre les Romains. Depuis quelques jours, Commius était allé chercher du secours chez ces nombreux Germains qui demeuraient dans les pays limitrophes (probablement ceux des bords de la Meuse). Les Bellovaques prirent le parti, d’un commun accord, de livrer bataille à César, si, comme le bruit en courait, il se présentait avec trois légions seulement, car ils rie voulaient pas risquer d’avoir plus tard sur les bras toute son armée. Si, au contraire, les Romains marchaient avec des forces plus considérables, ils comptaient garder leur position, et se borner, par des embuscades, à intercepter les vivres et les fourrages, très rares dans cette saison.

Ce plan, confirmé par plusieurs rapports, partit à César plein de prudence et bien opposé à la témérité ordinaire des barbares. Il mit donc, pour les attirer an combat, tous ses soins à dissimuler le nombre de ses troupes ; il avait avec lui les 7e, 8e et 9e légions, composées de vieux soldats d’un courage éprouvé, et la 11e, qui, formée de jeunes gens d’élite comptant huit campagnes, méritait sa confiance, quoiqu’elle ne pût être comparée aux autres pour la bravoure et l’expérience de la guerre. Afin de tromper les ennemis en ne leur montrant que trois légions, seul nombre qu’ils voulussent combattre, il disposa en ligne les 7e, 8e et 9; les bagages, peu considérables d’ailleurs, furent placés en arrière sous la protection de la 11e légion, qui fermait la marche. Dans cet ordre, qui formait presque un carré, il arriva à l’improviste en vue des Bellovaques. A l’aspect inattendu des légions qui s’avançaient en bataille et d’un pas assuré, ils perdirent contenance, et, au lieu d’attaquer, ainsi qu’ils se l’étaient promis, se contentèrent de se ranger devant leur camp, sans quitter la hauteur. Une vallée plus profonde que large (magis in altitudinem depressa quam late patente) séparait les deux armées. En présence de cet obstacle et de la supériorité numérique des barbares, César, quoiqu’il eût désiré le combat, renonça de son côté à l’attaque, et plaça son camp en face de celui des Gaulois, dans une forte position (camp de Saint-Pierre-en-Chatre (in Castris), dans la forêt de Compiègne[4]). Il le fit entourer d’un rempart de douze pieds d’élévation, surmonté d’ouvrages accessoires appropriés à l’importance du retranchement (loriculamque pro ratione ejus altitudinis[5]), et précédé d’un double fossé de quinze pieds de large, à fond de cuve[6] ; des tours à trois étages furent construites de distance en distance, et reliées par des ponts couverts, dont la partie extérieure était munie de clayonnage. De cette manière le camp se trouvait protégé non seulement par un double fossé, mais encore par deux rangs de défenseurs, dont les uns, postés sur des ponts, pouvaient, de cette position élevée et abritée, lancer leurs traits plus loin et avec plus d’assurance, tandis que les autres, placés sur le vallum, plus près de l’ennemi, étaient garantis par les ponts des traits plongeants. Les entrées furent défendues au moyen de tours plus hautes et fermées par des portes.

Ces formidables retranchements avaient un double but augmenter la confiance des barbares en leur faisant croire qu’on les redoutait ; permettre ensuite de réduire la garnison du camp lorsqu’on irait chercher au loin les approvisionnements. Pendant quelques jours il n’y eut pas d’engagements sérieux, mais de légères escarmouches, dans la plaine marécageuse qui s’étendait entre les deux armées. Néanmoins la prise de quelques fourrageurs ne manquait pas d’enfler la présomption des barbares, accrue encore par l’arrivée de Commius, quoiqu’il n’eût ramené que cinq cents cavaliers germains.

Les ennemis demeurèrent renfermés une longue suite de jours dans leur position inexpugnable. César jugea qu’une attaque de vive force coûterait trop de sacrifices ; un investissement seul lui parut opportun ; mais il exigeait des troupes plus considérables. Il écrivit alors à Trebonius de faire venir le plus tôt possible la 13e légion, qui, sous les ordres de T. Sextius, hivernait chez les Bituriges ; de la réunir à la 6e et à la 14e, que le premier de ces deux lieutenants commandait à Genabum, et de le rejoindre lui-même à marches forcées avec ces trois légions. Pendant ce temps il employa la nombreuse cavalerie des Rèmes, des Lingons et des autres alliés, à protéger les fourrageurs et à empêcher les surprises. Mais ce service quotidien finit, comme il arrive souvent, par se faire avec négligence, et, un jour que les Rèmes poursuivaient les Bellovaques avec trop d’ardeur, ils tombèrent dans une embuscade. En se retirant ils furent enveloppés par des fantassins au milieu desquels périt Vertiscus, leur chef. Fidèle aux moeurs gauloises, il n’avait pas voulu que sa vieillesse le dispensât de commander et de monter à cheval, quoiqu’il s’y soutînt à peine. Sa mort et ce faible succès exaltèrent encore les barbares, et rendirent les Romains plus circonspects. Néanmoins dans une des escarmouches qui avaient lieu sans cesse à la vue des deux camps, vers les endroits guéables du marais, l’infanterie germaine que César avait fait venir d’outre-Rhin pour la mêler à la cavalerie se réunit en masse, franchit audacieusement le marais, et, trouvant peu de résistance, s’acharna tellement à la poursuite des ennemis, que la frayeur s’empara non seulement de ceux qui combattaient, mais encore de ceux qui étaient en réserve. Au lieu de profiter des avantages du terrain, tous s’enfuirent lâchement, ils ne s’arrêtèrent qu’à leur camp, quelques-uns même n’eurent pas honte de se sauver au delà. Cette défaite produisit un découragement général, car les Gaulois étaient aussi prompts à se démoraliser au moindre revers qu’à s’enorgueillir au plus léger succès.

Les jours se passaient ainsi, lorsque l’ennemi apprit l’arrivée de Caius Trebonius avec ses troupes, ce qui portait à sept le nombre des légions. Les chefs des Bellovaques redoutèrent alors un investissement pareil à celui d’Alésia et résolurent de quitter leur position. Ils firent partir de nuit les vieillards, les infirmes, les hommes sans armes, et la partie des bagages qu’ils avaient conservée avec eux. A peine cette multitude confuse, embarrassée d’elle-même et de ses nombreux chariots, fait-elle en mouvement, que le jour la surprit et qu’il fallut mettre les troupes en ligne devant le camp pour donner le temps à la colonne de s’éloigner. César ne crut utile ni d’engager le combat avec ceux qui étaient en position, ni de poursuivre, à cause de l’escarpement de la montagne, ceux qui se retiraient ; il résolut cependant de faire avancer deux légions pour inquiéter l’ennemi dans sa retraite. Ayant remarqué que la montagne sur laquelle les Gaulois étaient établis se reliait à une autre hauteur (le mont Collet), dont elle n’était séparée que par un vallon de peu de largeur, il fit jeter des ponts sur le marais ; les légions y passèrent et atteignirent bientôt le sommet de cette hauteur, que protégeaient de chaque côté des pentes abruptes. Là il rassembla ses troupes, et se porta en ordre de bataille jusqu’à l’extrémité du plateau, d’où les machines mises en batterie pouvaient atteindre de leurs traits les masses ennemies.

Les barbares, rassurés par l’avantage du lieu, étaient prêts à accepter le combat si les Romains osaient attaquer la montagne ; ils craignaient d’ailleurs de retirer successivement leurs troupes, qui, divisées, auraient pu être mises en désordre. Cette attitude décida César à laisser vingt cohortes sous les armes, à tracer en cet endroit le camp et à le retrancher. Les travaux terminés, les légionnaires furent rangés devant les retranchements, et les cavaliers répartis aux avant-postes, avec leurs chevaux tout bridés. Les Bellovaques eurent recours à un stratagème pour opérer leur retraite. Ils se passèrent de main en main les fascines et la paille sur lesquelles, suivant l’habitude gauloise, ils s’asseyaient, tout en conservant leur ordre de bataille, les placèrent sur le front du camp, puis, vers la fin du jour, à un signal convenu, y mirent le feu. Aussitôt une vaste flamme intercepta aux Romains la Vue des Bellovaques, qui se hâtèrent de fuir.

Quoique l’incendie empêchât César d’apercevoir la retraite des ennemis, il la soupçonna. Il fit avancer ses légions et envoya la cavalerie à leur poursuite ; mais il ne marcha que lentement, dans la crainte de quelque piége, les barbares pouvant avoir l’intention d’attirer les Romains sur un terrain désavantageux. Les cavaliers d’ailleurs n’osaient pénétrer à travers la fumée et les flammes aussi les Bellovaques purent-ils franchir impunément un espace de dix milles et s’arrêter dans un lieu extrêmement fortifié par la nature, le mont Ganelon, où ils assirent leur camp. Ainsi établis, ils se bornèrent à placer souvent de la cavalerie et de l’infanterie en embuscade, et causèrent un grand tort aux fourrageurs romains[7].

— III — Combat sur l’Aisne

Après plusieurs rencontres de ce genre, César sut par un prisonnier que Correus, chef des Bellovaques, avec 6.000 fantassins d’élite et 1.000 cavaliers choisis, préparait une nouvelle embuscade dans les lieux où l’abondance du blé et du fourrage semblait devoir attirer les Romains. Sur cet avis, il envoya en avant la cavalerie, toujours chargée de protéger les fourrageurs, lui adjoignit des auxiliaires armés à la légère, et lui-même, avec un plus grand nombre de légions qu’à l’ordinaire, les suivit le plus près possible.

L’ennemi s’était placé dans une plaine (celle de Choisy-au-Bac) d’environ mille pas en tout sens et entourée d’un côté par des forêts, de l’autre par une rivière d’un passage difficile (l’Aisne). La cavalerie connaissait les projets des Gaulois ; se sentant appuyée, elle marcha résolument, par escadrons, vers cette plaine, que des embûches enveloppaient de toutes parts. Correus, en la voyant arriver ainsi, crut l’occasion favorable à l’exécution de son plan, et attaqua d’abord les premiers escadrons avec peu de monde. Les Romains soutinrent vaillamment le choc sans se concentrer en masse sur le même point, ce qui, dit Hirtius, arrive ordinairement dans les combats de cavalerie, et amène toujours une fâcheuse confusion. Là, au contraire, les escadrons restèrent séparés, combattirent isolément, et lorsque l’un d’eux s’avançait, ses flancs étaient protégés par les autres. Correus fit alors sortir du bois le reste de sa cavalerie. Un combat acharné s’engagea de toutes parts, sans résultat décisif, jusqu’à ce que l’infanterie ennemie, débouchant de la forêt en ordre serré, fit reculer la cavalerie des Romains. Les soldats armés à la légère, qui précédaient les légions, se placèrent entre les escadrons et rétablirent le combat. Après un certain temps, les troupes, animées par l’approche des légions et l’arrivée de César, jalouses d’obtenir seules l’honneur de la victoire, redoublèrent d’efforts et eurent l’avantage. Les ennemis, au contraire, découragés, se mirent à fuir ; mais ils furent arrêtés par les obstacles mêmes qu’ils avaient voulu opposer aux Romains. Un petit nombre s’échappa cependant en traversant la forêt et la rivière. Correus, inébranlable devant cette catastrophe, refusa obstinément de se rendre et tomba percé de coups.

César, après ce succès, espéra que, s’il poursuivait sa marche, l’ennemi, consterné, abandonnerait son camp, qui n’était qu’à huit milles du champ de bataille. Il passa donc l’Aisne, non sans de grandes difficultés.

Les Bellovaques et leurs alliés, instruits par les fuyards de la mort de Correus, de la perte de leur cavalerie et de l’élite de leur infanterie, craignant à chaque instant de voir paraître les Romains, convoquèrent, au son des trompettes, une assemblée générale, et décidèrent, par acclamation, d’envoyer au proconsul des députés et des otages. Les barbares implorèrent leur pardon, alléguant que cette dernière défaite avait ruiné leur puissance, que la mort de Correus, instigateur de la guerre, les délivrait de, l’oppression, car, pendant sa vie, ce n’était point le sénat qui gouvernait, mais une multitude ignorante. A leurs prières César répondit que l’année précédente les Bellovaques s’étaient soulevés de concert avec les autres peuples gaulois, mais qu’eux seuls avaient persisté dans la révolte. Il était trop commode de rejeter ses fautes sur ceux qui n’existaient plus ; mais comment croire qu’avec le seul secours d’une faible populace un homme eût eu assez d’influence pour exciter et entretenir la guerre contre la volonté des chefs, la décision du sénat et le voeu des gens de bien ? Toutefois le mal qu’ils s’étaient attiré à eux-mêmes lui était une suffisante réparation.

La nuit suivante, les Bellovaques et leurs alliés se soumirent, excepté Commius, qui s’enfuit dans le pays d’où il avait tiré récemment des secours. Il n’avait pas osé se fier aux Romains, en voici la raison : l’année précédente, en l’absence de César, T. Labienus, averti que Commius conspirait et préparait une insurrection, crut pouvoir, sans être taxé de mauvaise foi, dit Hirtius, réprimer sa trahison. Sous prétexte d’une entrevue, il envoya C. Volusenus Quadratus avec des centurions pour le tuer ; mais, lorsqu’ils furent en présence du chef gaulois, le centurion chargé de frapper manqua son coup, et ne fit que le blesser ; de part et d’autre on tira l’épée : Commius put échapper[8].

— IV — Dévastation du pays des Éburons

Les peuplades les plus guerrières avaient été vaincues, et aucune ne songeait plus à la révolte. Cependant beaucoup d’habitants des pays nouvellement conquis abandonnaient les villes et les campagnes pour se soustraire à la domination romaine. César, voulant arrêter cette émigration, répartit son armée dans différentes contrées. Il appela à lui le questeur Marc-Antoine avec la 12e légion, et envoya le lieutenant Fabius avec vingt-cinq cohortes dans une partie opposée de la Gaule (dans les pays situés entre la Creuse et la Vienne), où l’on disait que plusieurs peuples étaient en armes, et où le lieutenant Caninius Rebilus, qui commandait avec deux légions, ne paraissait pas assez fort[9] ; enfin il prescrivit à Labienus de venir de sa personne le rejoindre, et d’envoyer dans la Cisalpine la 15e légion[10], que celui-ci avait sous ses ordres, afin d’y protéger les colonies de citoyens romains contre les incursions subites des barbares, qui avaient attaqué, l’été précédent, les Tergestins (habitants des environs de Trieste).

Quant à César, il se rendit avec quatre légions sur le territoire des Éburons pour le ravager ; comme il ne pouvait pas s’emparer d’Ambiorix, toujours errant, il crut devoir mettre tout à feu et à sang, persuadé que ce chef n’oserait jamais revenir dans un pays sur lequel il aurait attiré une si terrible calamité : les légions et les auxiliaires furent chargés de cette exécution. Ensuite il dirigea Labienus, avec deux légions, chez les Trévires, qui, toujours en Guerre avec les Germains, n’étaient jamais maintenus dans l’obéissance que par la présence d’une armée romaine[11].

— V — Expédition contre Dumnacus

Pendant ce temps, Caninius Rebilus, qui avait été d’abord désigné pour aller chez les Rutènes, mais que des insurrections partielles avaient retenu dans la région située entre la Creuse et la Vienne, apprit que de nombreuses bandes ennemies se réunissaient chez les Pictons ; il en était informé par des lettres de Duratius, leur roi, qui, au milieu de la défection d’une partie de son peuple, était resté invariablement fidèle aux Romains. Il partit aussitôt pour Lemonum (Poitiers). En route, des prisonniers lui firent connaître que Duratius y était enfermé et assiégé par plusieurs milliers d’hommes sous les ordres de Dumnacus, chef des Andes. Rebilus, à la tête de deux faibles légions, n’osa pas se mesurer avec l’ennemi, il se contenta d’établir son camp dans une forte position. A la nouvelle de son approche, Dumnacus leva le siège, et marcha à la rencontre des légions. Mais, après plusieurs jours d’inutiles tentatives pour forcer leur camp, il revint attaquer Lemonum.

Sur ces entrefaites, le lieutenant Caius Fabius, occupé à pacifier plusieurs peuplés, apprit de Rebilus ce qui se passait dans le pays des Pictons ; il se porta sans retard au secours de Duratius. L’annonce de la marche de Fabius enleva à Dumnacus tout espoir de faire face en même temps aux troupes enfermées dans Lemonum et à l’armée de secours. Il abandonna de nouveau le siège en toute hâte, croyant qu’il ne serait pas en sûreté s’il ne mettait la Loire entre lui et les Romains ; mais il ne pouvait passer ce fleuve que là où il existait un pont (à Saumur). Avant de s’être réuni à Rebilus, avant même d’avoir aperçu l’ennemi, Fabius, qui venait du nord et avait fait diligence, ne douta point, d’après les renseignements des gens du pays, que Dumnacus, effrayé, n’eût pris la route qui menait à ce pont. Il s’y dirigea donc avec ses légions, précédées, à une courte distance, par sa cavalerie. Celle-ci surprit en marche la colonne de Dumnacus, la dispersa et retourna au camp chargée de butin.

Le lendemain, pendant la nuit, Fabius envoie de nouveau sa cavalerie en avant avec ordre de retarder la marche de l’ennemi, de manière à donner le temps à l’infanterie d’arriver. La rencontre a lieu bientôt entre les deux cavaleries ; mais l’ennemi, ne croyant avoir affaire qu’aux troupes de la veille, range son infanterie en bataille pour soutenir ses escadrons, lorsque tout à coup paraissent les légions en ordre de combat. A cette vue, les barbares sont frappés de terreur ; le trouble se met dans la longue file de leurs bagages, et ils se dispersent. Plus de 12.000 hommes furent tués, tous les bagages tombèrent au pouvoir des Romains.

Il ne s’échappa de cette déroute que 5.000 fuyards ; ils furent recueillis par le Sénonais Drappès, le même qui, à la première révolte des Gaules, avait rassemblé une foule d’hommes perdus, d’esclaves, de bannis, de brigands, pour intercepter les convois des Romains. Ils se dirigèrent sur la Narbonnaise avec le Cadurque Lucterius, qui déjà, comme on l’a vu au chapitre précédent, avait tenté une invasion semblable. Rebilus se mit à leur poursuite avec deux légions, pour éviter la honte de voir la Province souffrir quelque dommage d’un ramassis d’hommes aussi méprisables.

Quant à Fabius, il conduisit ses vingt-cinq cohortes contre les Carnutes et les autres peuples dont les forces avaient déjà été diminuées par l’échec qu’ils venaient de subir avec Dumnacus. Les Carnutes, quoique souvent battus, n’avaient jamais été complètement soumis ; ils donnèrent des otages ; les peuples armoricains suivirent leur exemple. Dumnacus, chassé de son territoire, alla chercher un refuge au fond de la Gaule[12].

— VI — Prise d’Uxellodunum

Drappès et Lucterius, apprenant qu’ils étaient suivis de Rebilus et de ses deux légions, renoncèrent à pénétrer dans la Province ; ils s’arrêtèrent chez les Cadurques, et, avec leurs bandes, se jetèrent dans l’oppidum d’Uxellodunum (Puy d’Issolu, près de Vayrac), place extrêmement forte, autrefois sous la dépendance de Lucterius, qui ne tarda pas à en soulever les habitants.

Rebilus parut aussitôt devant la ville, qui, entourée de tous côtés de rochers escarpés, était, même non défendue, d’un accès difficile à des hommes armés. Sachant qu’elle renfermait une telle quantité de bagages que les assiégés n’auraient pu les faire sortir secrètement sans être atteints par la cavalerie et même par l’infanterie, il partagea ses cohortes en trois corps et établit trois camps sur les points les plus élevés. Ensuite, autant que le permettait le petit nombre des cohortes, il fit travailler à une contrevallation. A la vue de ces dispositions, les assiégés se rappelèrent le désastre d’Alésia, et craignirent un semblable sort. Lucterius, qui avait été témoin des horreurs de la disette pendant l’investissement de cette ville, se préoccupa surtout des vivres, et, du consentement de tous, laissant 2.000 hommes à Uxellodunum, il partit la nuit avec Drappès et le reste des troupes pour aller s’en procurer.

Au bout de quelques jours ils réunirent, soit de gré, soit de force, de nombreux approvisionnements. Pendant ce temps, la garnison de l’oppidum attaqua à plusieurs reprises les redoutes de Rebilus, ce qui obligea celui-ci d’interrompre le travail de la contrevallation, qu’il n’aurait pu d’ailleurs défendre faute de forces suffisantes.

Drappès et Lucterius vinrent se placer à dix milles de l’oppidum, dans l’intention d’y introduire peu à peu les vivres. Ils se partagèrent les rôles. Drappès resta avec une partie des troupes pour protéger le camp ; Lucterius chercha à faire entrer de nuit des bêtes de somme dans la ville par un sentier étroit et boisé. Le bruit de leur marche avertit les sentinelles Rebilus, informé de ce qui se passait, fit sortir des redoutes voisines les cohortes, et au point du jour tomba sur le convoi, dont l’escorte fût massacrée. Lucterius, échappé avec un petit nombre des siens, ne put rejoindre Drappès.

Rebilus apprit bientôt par des prisonniers que le reste des troupes sorties de l’oppidum se trouvait avec Drappès à une distance de douze milles, et que, par un hasard heureux, aucun fuyard ne s’était dirigé de ce côté pour lui porter la nouvelle du dernier combat. Le général romain envoya en avant toute la cavalerie et l’agile infanterie germaine ; il les suivit avec une légion sans bagages, laissant l’autre à la garde des trois camps. Arrivé près de l’ennemi, il sut par ses éclaireurs que les barbares, négligeant les hauteurs, selon leur habitude, avaient placé leur camp sur les bords d’une rivière (probablement la Dordogne) ; que les Germains et la cavalerie les avaient surpris, et que déjà on en était aux mains. Rebilus alors s’avança promptement à la tête de la légion, rangée en ordre de bataille, et s’empara des hauteurs. A l’apparition des enseignes, la cavalerie redoubla d’ardeur ; les cohortes se précipitèrent de toutes parts, les Gaulois furent pris ou tués, le butin fut immense, et Drappès tomba au pouvoir des Romains.

Rebilus, après cet heureux fait d’armes, qui lui conta à peine quelques blessés, revint sous les murs d’Uxellodunum. Ne redoutant plus aucune attaque du dehors, il se mit résolument à l’œuvre et continua la contrevallation. Le jour suivant Fabius arriva suivi de ses troupes, et partagea avec lui les travaux du siége.

Tandis que le midi de la Gaule était le théâtre de graves agitations, César avait laissé le questeur Marc-Antoine avec quinze cohortes chez les Bellovaques. Pour ôter aux Belges toute idée de révolte, il s’était rendu dans les pays voisins avec deux légions, s’était fait donner des otages et avait rassuré les esprits par des paroles bienveillantes. Arrivé chez les Carnutes, qui s’étaient soulevés les premiers l’année précédente, il reconnut que le souvenir de leur conduite entretenait chez eux de vives alarmes, et résolut d’y mettre un terme en faisant tomber sa vengeance sur le seul Gutruatus, l’instigateur de la guerre. Celui-ci fut amené et livré, et, quoique par nature César fût porté à l’indulgence, il ne put résister aux instances tumultueuses de ses soldats, qui rendaient ce chef responsable de tous les dangers courus et de toutes les misères subies. Gutruatus mourut sous les verges et fut ensuite décapité.

C’est dans le pays des Carnutes que César apprit, par des lettres de Rebilus, les événements survenus à Uxellodunum et la résistance des assiégés. Quoiqu’une poignée d’hommes renfermés dans une forteresse ne fût pas très redoutable, il jugea nécessaire de punir leur opiniâtreté, de peur que les Gaulois n’acquissent la conviction que, pour résister aux Romains, ce n’était pas la force qui leur avait manqué, mais la constance, et que cet exemple n’encourageât les autres États, possédant des places avantageusement situées, à recouvrer leur indépendance.

Partout, d’ailleurs, dans les Gaules, on savait que César n’avait plus à exercer son commandement que pendant un été, et qu’ensuite on n’aurait plus rien à craindre. Il laissa donc à la tète de ses deux légions le lieutenant Quintus Calenus[13], lui ordonna de le suivre par étapes ordinaires, et avec la cavalerie il se porta à grandes journées vers Uxellodunum.

César, en arrivant à l’improviste devant cette ville, la trouva complètement investie sur tous les endroits accessibles. Il jugea qu’elle ne pouvait pas être prise de vive force (neque ab oppugnatione recedi videret ulla conditione posse), et, comme elle était abondamment pourvue de vivres, il conçut le projet de priver d’eau les habitants. La montagne était entourée presque de toutes parts par un terrain très bas ; mais d’un côté existait une vallée traversée par une rivière (la Tourmente). Comme elle coulait au pied de deux montagnes escarpées, la disposition des lieux ne permettait pas de la détourner et de la conduire dans des fossés plus bas. Il était difficile aux assiégés d’y descendre ; les Romains en rendirent les abords encore plus dangereux. Ils placèrent des postes d’archers, de frondeurs, et amenèrent des machines qui tiraient sur toutes les pentes donnant accès à la rivière. Les assiégés alors n’eurent d’autre moyen, pour se procurer de l’eau, que d’aller puiser à une source abondante qui sortait du rocher au pied de la muraille, à trois cents pas du cours de la Tourmente. César résolut de tarir cette source ; à cet effet il n’hésita pas à tenter une laborieuse entreprise : en face du point où elle jaillissait, il fit avancer contre la montagne des galeries couvertes, et, sous leur protection, construire une terrasse, travaux accomplis au milieu de luttes continuelles et d’incessantes fatigues. Quoique les assiégés, de leur position élevée, combattissent en toute sûreté et blessassent beaucoup de Romains, ceux-ci ne se laissaient pas décourager, et continuaient leur tâche. En même temps ils creusèrent une galerie souterraine qui, partant des galeries couvertes, devait aboutir à la source. Ce travail, poursuivi à l’abri de tout danger, s’exécutait sans que l’ennemi s’en aperçût ; la terrasse atteignit une hauteur de soixante pieds, et fut surmontée d’une tour à dix étages, qui, sans égaler l’élévation de la muraille, résultat impossible à obtenir, dominait cependant la source. Ses approches, battues du haut de la tour par des machines, devinrent inabordables ; aussi dans la place beaucoup d’hommes et d’animaux périrent de soif. Les assiégés, épouvantés de cette mortalité, remplirent des tonneaux de poix, de suif et de copeaux, les roulèrent enflammés sur les ouvrages des Romains, et firent en même temps une sortie pour les empêcher d’éteindre l’incendie ; bientôt le feu s’étendit aux galeries couvertes et à la terrasse, qui arrêtaient : les matières inflammables. Malgré la difficulté du terrain et le péril croissant, les Romains ne cessaient de lutter avec persévérance. L’action se passait sur une hauteur, à la vue de l’armée ; des deux côtés de grandes clameurs se faisaient entendre ; chacun rivalisait de zèle, et plus on était en évidence, plus on s’exposait aux traits et au feu.

César, perdant beaucoup de monde, voulut, pour faire diversion, simuler un assaut : il ordonna à quelques cohortes de gravir de tous côtés la montagne en poussant des cris. Ce mouvement effraya les assiégés, qui, dans la crainte d’être attaqués sur d’autres points, rappelèrent à la défense des murs ceux qui incendiaient les ouvrages. Les Romains purent alors se rendre maîtres du feu. Cependant le siège se prolongeait ; les Gaulois, quoique épuisés par la soif et réduits à un petit nombre, ne se lassaient pas de se défendre avec vigueur. Enfin la galerie souterraine ayant atteint les reines de la source, celle-ci fut captée et détournée. Les assiégés, la voyant tout à coup tarie, crurent, dans leur désespoir, à une intervention des dieux, cédèrent à la nécessité et se rendirent.

César pensa que la pacification de la Gaule ne serait jamais terminée si la même résistance se rencontrait dans beaucoup d’autres villes. Il lui parut indispensable de répandre l’effroi par un exemple sévère, d’autant plus que la douceur bien connue de son caractère, dit Hirtius, ne ferait pas imputer à la cruauté cette rigueur nécessaire. Il fit couper les mains à tous ceux qui avaient porté les armes, et les renvoya comme témoignages vivants du châtiment réservé aux rebelles. Drappès, qui avait été fait prisonnier, se laissa mourir de faim ; Lucterius, arrêté par l’Arverne Epasnactus, ami des Romains, fut livré à César[14].

— VII — Fouilles faites au Puy d’Issolu

Les fouilles faites au Puy d’Issolu, en 1865, ne laissent plus aucun doute sur l’emplacement d’Uxellodunum.

Le Puy d’Issolu est une haute montagne située non loin de la rive droite de la Dordogne, entre Vayrac et Martel ; elle est isolée de tous les côtés, excepté vers le nord, où elle se relie, par un col de 400 mètres de largeur (le col de Roujou), à des hauteurs appelées le Pech Demont. Son plateau, que couronne une ceinture de rochers à pic, domine, presque de toutes parts, le terrain bas environnant. C’est ce qu’exprime l’auteur du VIIIe livre de la Guerre des Gaules, par ces mots : Infima vallis totum pæne montem cingebat in quo positum erat prœruptum undique oppidum Uxellodunum. Ce plateau, de 80 hectares de superficie, présente des ondulations très marquées : sa pente générale s’incline du nord au sud, dans le sens de la longueur du massif ; son point culminant est à 317 mètres au-dessus du niveau de la mer, et il s’élève de 200 mètres au-dessus des vallées qui l’entourent.

Tout le versant oriental de la montagne, celui qui regarde Vayrac et la Dordogne, est surmonté de rochers, qui ont jusqu’à 40 mètres de hauteur : aussi aucune opération n’a eu lieu de ce côté pendant la durée du siège. Seul, le versant occidental a été le théâtre des divers combats. Ses pentes ne sont pas inaccessibles, principalement entre le village de Loulié et le hameau de Léguillat, mais elles sont assez abruptes pour que l’auteur latin ait pu dire : Quo, defendente nullo, tamen armatis ascendere esset difficile. Au pied même de ce versant, et à 200 mètres au-dessous du point culminant du plateau, coule la Tourmente, petite rivière de 10 mètres de largeur, encaissée entre ce versant et celui des hauteurs opposées (Flumen infimam vallem dividebat, etc.). Une telle disposition des lieux, aussi bien que la faible pente de la Tourmente (1 mètre pour 1.000 mètres), ne permettait pas de dériver cette rivière (Hoc flumen averti loci natura prohibebat, etc.).

Il n’y a aucune source sur le plateau du Puy d’Issolu ; mais il en sort plusieurs des flancs de la montagne, dont une seule, celle de Loulié, est assez abondante pour subvenir aux besoins d’une nombreuse population. C’est cette dernière source que les Romains parvinrent à détourner. A l’époque du siège, elle jaillissait du flanc de la montagne, à 25 mètres au-dessous du mur de l’oppidum et à une distance de 300 mètres environ de la Tourmente. Ces 300 mètres font 200 pas romains. On voit donc qu’il faut, dans le texte latin, remplacer le mot pedum par celui de passuum. On voit aussi que le mot circuitus (VIII, 41) doit se prendre dans le sens de cours de la rivière.

Les Commentaires portent (VIII, 33) que Rebilus établit trois camps dans des positions très élevées. Leurs emplacements sont indiqués par la nature même des lieux : le premier, se trouvait sur les hauteurs de Montbuisson ; le deuxième sur celles du château de Termes ; le troisième en face du col de Roujou, sur le Pech Demont. Il résulte des fouilles que les Romains n’avaient pas retranché les deux premiers, ce qui se conçoit, car les hauteurs à l’ouest du Puy d’Issolu sont inexpugnables. D’ailleurs, les Romains n’étaient pas à Uxellodunum dans la même situation qu’à Alésia. Là ils avaient devant eux 80.000 combattants et sur leurs derrières une armée de secours très nombreuse ; ici, au contraire, il ne s’agissait que de réduire quelques milliers d’hommes. Le camp en face du col de Roujou demandait à être protégé, parce qu’il était possible à des troupes de descendre du plateau du Puy d’Issolu vers le col de Roujou, qui, situé à 50 mètres plus bas, donne un facile accès sur les hauteurs du Pech Demont. Les fouilles ont fait retrouver, en effet, une double ligne de fossés parallèles, qui barrait le col en arrière et formait en même temps une contrevallation.

Les Gaulois ne pouvaient sortir de la ville que par ce col et par le versant occidental de la montagne. Il importait de savoir, d’après cela, si les Romains firent une contrevallation le long de la Tourmente, sur les pentes des hauteurs du château de Termes et de Montbuisson. Malheureusement le chemin de fer de Périgueux à Capdenac, qui traverse l’emplacement où la contrevallation aurait pu être établie, a dû faire disparaître les traces des travaux romains : les fouilles pratiquées au-dessus de cette ligne n’ont rien donné.

La découverte la plus intéressante est celle de la galerie souterraine[15]. Jusqu’au moment où les fouilles furent commencées, une partie des eaux de pluie qu’absorbe le plateau du Puy d’Issolu venait jaillir près du village de Loulié par deux sources. La première source sort d’un ravin et correspond au thalweg du versant ; quant à l’autre, on reconnaissait facilement, à l’aspect des lieux, qu’elle avait été déviée de son cours naturel. Les fouilles ont montré, en effet, qu’elle est produite par les eaux qui coulent dans la galerie romaine. Cette galerie a été rouverte sur une étendue de 40 mètres. Elle fut creusée dans un massif de tuf, de près de 10 mètres d’épaisseur, produit pendant les siècles antérieurs à César. Sa forme est celle d’un plein cintre supporté par deux pieds-droits ; ses dimensions moyennes sont de 1m,80 de hauteur sur 1m,50 de largeur. Les vases, entraînées par les eaux et accumulées depuis l’époque du siège d’Uxellodunum, avaient presque comblé la galerie, ne laissant plus au sommet de l’intrados qu’un vide, en forme de segment de cercle, de 0m,50 de corde sur 0m,15 de flèche. C’est par ce vide que coulait l’eau au moment des fouilles.

Avant d’arriver au tuf, les premiers travaux souterrains des Romains eurent lieu dans les terres franches, qu’ils durent étayer : des fragments de blindage ont été retrouvés, les uns engagés dans les limons siliceux, corrodés ou réduits à l’état de pâte ligneuse, les autres pétrifiés par leur contact prolongé avec des eaux chargées de sédiments calcaires. Une assez grande quantité de ces blocs pétrifiés et des débris de bois recueillis dans l’intérieur de la galerie sont déposés au musée de Saint-Germain.

La galerie ne mène pas directement à la source qui existait du temps des Gaulois. Les mineurs romains, après avoir cheminé droit sur une longueur de 6 mètres, se virent en présence d’une épaisse couche de marne bleue du lias : ils se jetèrent sur leur gauche pour éviter de l’entamer, et s’avancèrent de 4 mètres encore, en suivant la marne, qu’ils laissèrent à droite. Arrivés à la fin des marnes, une assise de roche dure d’un mètre d’épaisseur les obligea à redresser la galerie et à la relever, afin de franchir ce nouvel obstacle sans sortir des tufs, qui devaient nécessairement les conduire vers la source. A partir de ce second retour, la galerie côtoyait la séparation des tufs et des marnes. Elle montait rapidement jusqu’à la limite des dépôts de tuf. Aussi sur ce point des blindages furent-ils nécessaires. C’est là surtout que les blocs de pétrification présentaient un caractère particulier : les uns gisaient renversés dans la galerie, traversés par des alvéoles à section rectangulaire, qui indiquent les dimensions et la mise en oeuvre ; les autres, à base arrondie, sont de véritables pieds-droits d’étais encore debout sur le roc.

Indépendamment des fouilles faites pour retrouver les fossés et la galerie souterraine, il en a été pratiqué d’autres sur le versant de Loulié, dans le terrain qui avoisine la source. Elles ont fait découvrir des débris nombreux de poterie gauloise et d’amphores, et, ce qui a été une nouvelle confirmation de l’identité du Puy d’Issolu avec Uxellodunum, des débris d’armes en tout pareils à ceux des fossés d’Alésia[16]. Sous les éboulements qui se sont produits depuis dix-neuf siècles sur le versant de Loulié, on a également constaté toutes les traces de l’incendie décrit dans les Commentaires. On reconnaît ainsi, sur le terrain, l’emplacement de la terrasse et des galeries couvertes qui prirent feu.

— VIII — Soumission complète de la Gaule

Pendant que ces événements s’accomplissaient sur les bords de la Dordogne, Labienus, dans un combat de cavalerie, avait remporté un avantage décisif sur une partie des Trévires et des Germains, fait prisonnier leur chef et soumis ainsi ce peuple, toujours prêt à appuyer les insurrections contre les Romains. L’Éduen Surus tomba aussi en son pouvoir ; c’était un chef distingué par son courage et sa naissance, et le seul de cette nation qui n’eût pas encore mis bas les armes.

César dès lors considéra la Gaule comme entièrement pacifiée ; il voulut, cependant, aller lui-même dans l’Aquitaine, qu’il n’avait pas encore visitée et que Publius Crassus avait conquise en partie. Arrivé à la tête de deux légions, il obtint sans difficulté la soumission complète de ce pays : toutes les peuplades lui envoyèrent des otages. Il se rendit ensuite à Narbonne avec un détachement de cavalerie et chargea ses lieutenants de mettre l’armée en quartiers d’hiver. Quatre légions, sous les ordres de Marc-Antoine, Caius Trebonius, Publius Vatinius et Q. Tullius, furent établies dans le Belgium ; deux chez les Éduens, et deux chez les Turons, sur la frontière des Carnutes, pour contenir toutes les contrées qui touchent à l’Océan. Les deux dernières prirent leurs quartiers d’hiver sur le territoire des Lémovices, non loin des Arvernes, afin qu’aucune partie de la Gaule ne fût dégarnie de troupes. César resta pela de jours dans la Province, présidant à la hâte les assemblées, statuant sur les contestations publiques et récompensant ceux qui l’avaient bien servi. Mieux que personne il avait eu l’occasion de connaître les sentiments de chacun, puisque, pendant le soulèvement général de la Gaule, la fidélité et le secours de la Province l’avaient aidé à en triompher. Ces affaires terminées, il alla rejoindre ses légions dans le Belgium, et prit ses quartiers d’hiver à Nemetocenna (Arras).

Là, on lui apprit les dernières tentatives de Commius, qui, continuant la guerre de partisans à la tète d’un petit nombre de cavaliers, interceptait les convois des Romains. Marc-Antoine avait donné à C. Volusenus Quadratus, préfet de la cavalerie, la mission de le poursuivre ; celui-ci s’en était chargé avec empressement, dans l’espoir de mieux réussir cette fois que la première ; mais Commius, profitant de l’ardeur emportée avec laquelle son ennemi s’était jeté sur lui, l’avait blessé grièvement et s’était échappé ; cependant, découragé, il avait promis à Marc-Antoine de se retirer dans le lien qui lui serait indiqué, à condition de n’être jamais forcé de paraître devant un Romain[17]. Cette condition acceptée, il avait donné des otages[18].

La Gaule était désormais soumise ; la mort ou l’esclavage lui avaient enlevé ses principaux citoyens. De tous les chefs qui avaient combattu pour son indépendance, deux seuls survécurent, Commius et Ambiorix. Exilés loin de leur patrie, ils moururent ignorés.

 

 

 



[1] Ce livre, comme on le sait, est écrit par Hirtius.

[2] Guerre des Gaules, VIII, 5.

[3] Sous-entendre Éburovices.

[4] On a objecté que le mont Saint-Pierre n’était pas assez grand pour sept légions ; or, comme César n’eut pendant longtemps avec lui que quatre légions, le camp fut approprié à ce nombre. Plus tard, au lieu de se tenir sur la défensive, il voulut, comme à Alésia, investir le camp gaulois ; c’est alors seulement qu’il fit venir trois autres légions. La contenance des différents camps retrouvés est au contraire très rationnelle et en rapport avec le nombre de troupes mentionné dans les Commentaires. Ainsi le camp de Berry-au-Bac, renfermant huit légions, avait quarante et un hectares de superficie ; celui de Gergovia, pour six légions, avait trente-cinq hectares, et celui du mont Saint-Pierre, pour quatre légions, vingt-quatre hectares.

[5] Non solum vallo et sudibus, sed etiam turriculis instruunt... quod opus loriculam votant (Végète, IV, 28).

[6] On voit par les profils des fossés retrouvés qu’ils ne pouvaient pas être à parois verticales ; l’expression d’Hirtius nous fait croire qu’il entendait, par lateribus directis, des fossés non triangulaires, mais à fond de cuve.

[7] Guerre des Gaules, VIII, 17.

[8] Guerre des Gaules, VIII, 23.

[9] Rebilus n’avait d’abord qu’une légion ; nous croyons, avec Rustow, que la 10e, qui séjournait à Bibracte, était venue le rejoindre. Il est dit (VII, 90) que Rebilus avait été envoyé chez les Rutènes ; mais il résulte d’un passage d’Orose (VI, 11) qu’il fût arrêté en route par une multitude d’ennemis et courut les plus grands dangers. Il resta donc près du pays des Pictons, où Fabius vint à son secours.

[10] Quelques manuscrits portent à tort le n° 12.

[11] Guerre des Gaules, VIII, 25.

[12] Guerre des Gaules, VIII, 31.

[13] Voir sa biographie à l’Appendice D.

[14] Guerre des Gaules, VIII, 44.

[15] Elle est due aux recherches persévérantes de M. J. R. Cessac, assisté, plus tard, par la commission départementale du Lot.

[16] Nomenclature des objets trouvés au Puy d’Issolu : 1 fer de dolabre, 36 fers de flèches, 6 fers de traits de catapulte, fragments de bracelets, dent d’ours (amulette), grains de colliers, anneaux, lame de couteau, clous.

[17] D’après Frontin (Stratagèmes, II, XIII, 11), Commius se réfugia dans la Grande-Bretagne.

[18] Guerre des Gaules, VIII, 48.