LIVRE TROISIÈME — GUERRE DES GAULES D’APRÈS LES COMMENTAIRES
— I — Ligue des Belges. César s’avance de Besançon vers l’Aisne Les éclatants succès remportés par César sur les Helvètes
et les Germains avaient délivré César apprit ces événements dans Dès que les fourrages furent assez abondants, il rejoignit
ses légions, probablement à Besançon, puisque, on s’en souvient, elles
avaient été mises en quartiers d’hiver clans Son armée comptait huit légions, dont six anciennes et
deux récemment levées dans Après avoir assuré les vivres, César partit de Besançon,
dans la seconde quinzaine de mai, passa Les Rèmes furent le premier peuple belge qu’il rencontra
sur sa route (qui proximi Galliœ ex Belgis sunt).
Frappés de sa soudaine apparition, ils envoyèrent deux députés, Iccius et
Andecumborius, les premiers personnages du pays, pour faire leur soumission,
offrir des vivres et toute espèce de secours. Ceux-ci lui apprirent que tous
les Belges étaient en armes, que les Germains d’en deçà du Rhin s’étaient
joints à la coalition ; quant aux Rèmes, ils s’étaient refusés d’y prendre
part, mais l’exaltation était si grande qu’ils n’avaient pas pu détourner de
leurs projets belliqueux les Suessions eux-mêmes, qui cependant leur étaient
unis par une communauté d’origine, de lois et d’intérêts. Les Belges, ajoutaient ils, fiers d’avoir été autrefois
les seuls de — II —César à campe à Berry-au-Bac César put luger, d’après ces renseignements, combien était
formidable la ligne qu’il allait combattre. Son premier soin fut d’essayer de
diviser les forces ennemies ; à cet effet, il détermina Divitiacus, malgré
les relations d’amitié qui, depuis longtemps, unissaient les Éduens aux
Bellovaques, à envahir, avec les troupes éduennes, le territoire de ces
derniers et à le ravager. Il exigea ensuite que le sénat des Rèmes se rendit
auprès de lui et que les enfants des principes lui fussent amenés en otage ;
enfin, sur l’avis que Galba marchait à sa rencontre, il résolut de se porter
au delà de l’Aisne, qui traversait la partie extrême du territoire des Rèmes (quod est in extremis Remorum finibus)[7], et de camper
dans une forte position pour y attendre l’ennemi. La route qu’il avait suivie
jusqu’alors menait droit à l’Aisne et la franchissait sur un pont, à l’endroit
où se trouve aujourd’hui le village de Berry-au-Bac. Il se dirigea en toute
hâte vers ce pont, le fit passer à son armée et assit son camp à droite de la
route, sur la colline située entre l’Aisne et Cependant les Belges, après s’être concentrés dans le pays
des Suessions, au nord de l’Aisne, avaient envahi le territoire des Rèmes.
Sur leur route et à huit milles du camp romain était une ville rémoise,
appelée Bibrax (Vieux-Laon)[10]. Ires Belges la
pressèrent vivement ; elle se défendit avec peine tout le jour. Ces peuples,
comme les Celtes, pour attaquer les places, les entouraient d’une foule de
combattants, et, lançant partout une grande quantité de pierres, ils
écartaient les défenseurs des murs ; puis, formant la tortue, ils s’avançaient
contre les portes et sapaient la muraille. Lorsque la nuit eut suspendu l’attaque,
Iccius, qui commandait dans la ville, fit dire à César qu’il ne pouvait tenir
plus longtemps, à moins d’un prompt secours. Vers le milieu de la nuit,
celui-ci fit partir jour Bibrax des Numides, dés archers crétois et des
frondeurs baléares, guidés par les messagers d’Iccius. Ce renfort releva le
courage des assiégés et ôta l’espoir de s’emparer de la ville aux ennemis,
qui, après avoir passé quelque temps autour de Bibrax, dévasté les terres des
Rèmes, brûlé les bourgs et les maisons, se dirigèrent vers les lieux où était
César et s’arrêtèrent, à moins de deux milles de son camp. Leurs feux,
allumés sur la rive droite de Le grand nombre des ennemis et leur. haute réputation de
bravoure décidèrent le proconsul à différer la bataille. Si ses légions
avaient à ses yeux une supériorité incontestable, il tenait à savoir ce qu’il
pouvait attendre :de sa cavalerie, composée de Gaulois. A cet effet, et pour
éprouver en même temps le courage des Belges, il engagea contre eux, tous les
jours, des combats de cavalerie dans la plaine ondulée, au nord du camp. Une
fois certain que les siens ne le cédaient pas en valeur à l’ennemi, il
résolut d’en venir à une rencontre générale. En avant de ses retranchements s’étendait
un terrain avantageux pour ranger l’armée en bataille. Cette position
dominante était couverte sur son front et sur sa gauche par le marais de — III — Combat sur l’Aisne Ces dispositions prises, laissant dans le camp les deux
légions nouvellement levées, pour y servir de réserve au besoin, César mit
les six autres en bataille, la droite appuyée aux retranchements. Ires Belges
firent également sortir leurs troupes et les déployèrent en face des Romains.
Les deux armées s’observaient, chacune attendait pour attaquer avec avantage
que l’autre passât les marais de Déjà les barbares s’approchaient de la rivière, lorsque Sabinus les aperçut des hauteurs de Berry-au-Bac[12] ; il fit aussitôt avertir César, qui, avec toute sa cavalerie, les :Numides armés à la légère, les frondeurs, les archers, passa le pont, et, en descendant la rive gauche, marcha à la rencontre des ennemis vers l’endroit menacé. Lorsqu’il y arriva, quelques-uns avaient déjà traversé l’Aisne. Une lutte opiniâtre s’engage. Surpris au passage, les Belges éprouvent des pertes sensibles ; cependant ils s’avancent intrépidement sur les cadavres pour franchir la rivière, mais sont repoussés par une grêle de traits ; ceux qui étaient parvenus sur la rive gauche, enveloppés par la cavalerie, sont massacrés. — IV — Retraite des Belges Les Belges n’ayant pu ni emporter l’oppidum de Bibrax, ni attirer les Romains sur un terrain désavantageux, ni traverser l’Aisne, pressés d’ailleurs par le manque de vivres, prirent le parti de retourner chez eux, après être convenus de se rassembler de nouveau pour secourir le pays qui serait envahi le premier par l’armée romaine. La principale cause de cette résolution fut la nouvelle de l’imminente invasion de Divitiacus et des Éduens dans le pays des Bellovaques ; ces derniers ne voulurent pas perdre un instant pour voler à la défense de leurs foyers. Vers dix heures du soir, les Belges se retirèrent dans un tel désordre, que leur départ ressemblait à une fuite. César en fut informé aussitôt par ses espions ; mais, craignant que cette retraite ne cachât un piège, il retint ses légions et même sa cavalerie dans le camp. Au point du jour, mieux instruit par ses éclaireurs, il fit partir toute sa cavalerie sous les ordres des lieutenants Q. Pedius et L. Aurunculeius Cotta[13], et les fit suivre par Labienus avec trois légions. Ces troupes tombèrent sur les fuyards et en tuèrent autant que le permit la durée du jour. Au coucher du soleil, elles cessèrent la’ poursuite, et, suivant l’ordre reçu, revinrent au camp[14]. La coalition de ces Belges, si renommés par leur valeur, se trouvait ainsi dissoute. Cependant il importait au général romain, pour assurer la pacification du pays, d’aller soumettre jusque chez eux les peuples qui avaient osé se liguer contre lui. Les plus rapprochés étaient les Suessions, dont le territoire confinait à celui des Rèmes. — V — Prises de Noviodunum et Bratuspantium Le lendemain de la fuite de l’ennemi, avant qu’il fût remis de son effroi, César leva son camp, traversa l’Aisne, descendit la rive gauche, envahit le pays des Suessions, arriva après une longue journée de marche (45 kil.) devant Noviodunum (Soissons), et, apprenant que cette ville avait une faible garnison, il essaya, le même jour, de l’enlever d’assaut ; il échoua, à cause de la largeur des fossés et de la hauteur des murs. Alors il retrancha son camp, fit pousser en avant des galeries couvertes (vineas agere)[15] et rassembler tout ce qui était nécessaire pour un siège. Cependant la foule des fuyards suessions se jeta la nuit suivante dans la ville. Les galeries ayant été approchées rapidement des murs, on établit les fondements d’une terrasse[16] pour passer le fossé (aggere jacto), et l’on construisit des tours. Les Gaulois, étonnés de la grandeur d’ouvrages inconnus, si promptement exécutés, demandèrent à se rendre. Ils obtinrent la vie sauve, à la prière des Rèmes. César reçut pour otages les principaux chefs du pays, les deux fils mêmes du roi Galba, et se fit livrer toutes les armes ; il conduisit ensuite son armée dans le pays des Bellovaques, qui s’étaient enfermés, avec tout ce qu’ils possédaient, dans l’oppidum de Bratuspantium (Breteuil)[17]. L’armée n’en était qu’à cinq milles environ, lorsque tous les vieillards, sortant de la ville, vinrent, en tendant, les mains, implorer la générosité du général romain ; arrivé sous les murs de la place, et pendant qu’il établissait son camp, il vit les femmes et les enfants demander aussi, du liant des murs, la paix en suppliants. Divitiacus, au nom des Éduens, intercéda en leur faveur.
Après la retraite des Belges et le licenciement de ses troupes, il était
retourné près de César. Celui-ci, qui, à la prière des Rèmes, venait de se
montrer clément envers les Suessions, usa, à la sollicitation des Éduens, d’indulgence
envers les Bellovaques. Obéissant ainsi à la même pensée politique d’accroître
aux yeux des Belges l’influence des peuples alliés de Rome, il leur pardonna
; mais, comme leur nation était la plus puissante de Il est curieux de remarquer les relations qui existaient à
cette époque entre fine partie de César marcha ensuite de Bratuspantium contre les Ambiens, qui se soumirent sans résistance[18]. VI — Marche contre les Nerviens L’armée romaine allait rencontrer des adversaires plus redoutables. Les Nerviens occupaient un vaste territoire, qui, par une de ses extrémités, touchait à celui des Ambiens. Ce peuple sauvage et intrépide reprochait amèrement aux antres Belges de s’être donnés aux étrangers et d’avoir abjuré les vertus de leurs pères. Il avait résolu de ne pas envoyer de députés, et de n’accepter la paix à aucune condition. Prévoyant l’invasion prochaine de l’armée romaine, les Nerviens avaient attiré dans leur alliance deux peuples voisins, les Atrébates et les Véromanduens, afin de tenter avec eux la fortune de la guerre ; les Aduatuques, en outre, étaient déjà en route pour se joindre aux coalisés. Les femmes et tous ceux que leur âge rendait impropres au combat avaient été mis en sûreté dans un lieu défendu par un marais et inaccessible à une armée, sans doute à Mons[19]. Les Ambiens soumis, César partit d’Amiens pour le pays des
Nerviens, et, après trois jours de marche sur leur territoire, il arriva
probablement à Bavay (Bagacum),
qu’on regarde comme ayant été leur principale ville. Là il apprit par les
prisonniers qu’il n’était plus qu’à dix milles (15 kil.) de D’après les avis reçus, César envoya en reconnaissance des
éclaireurs et des centurions chargés de choisir un endroit favorable pour l’assiette
du camp. Un certain nombre de Belges récemment soumis’ et d’autres Gaulois le
suivaient et faisaient route avec lui. Quelques-uns d’entre eux, comme on le
sut plus tard par les prisonniers, ayant observé les jours précédents l’ordre
de marche habituel de l’armée, passèrent, de nuit, chez les Nerviens, et leur
rapportèrent qu’après chacune des légions il y avait une longue colonne de
bagages ; que la légion arrivée la première au camp se trouvant séparée des
autres par un grand espace, il serait aisé d’assaillir les soldats encore
chargés de leurs fardeaux (sarcinœ) ; que, cette
légion une fois culbutée et ses bagages enlevés, les autres n’oseraient pas
opposer de résistance. Ce plan d’attaque fut d’autant mieux accueilli par les
Belges, que la nature des lieux pouvait en favoriser l’exécution. Les
Nerviens, en effet, de tout temps faibles en cavalerie (l’infanterie faisait
toute leur force), avaient l’habitude, pour arrêter plus facilement la
cavalerie des peuples voisins, d’entailler et de courber horizontalement de
jeunes arbres dont les branches nombreuses, entrelacées, mêlées de ronces et
de broussailles, formaient des haies épaisses, véritable muraille que rien ne
pouvait traverser, impénétrable même à la vue[22]. Comme ce genre
d’obstacles gênait beaucoup la marche de l’armée romaine, les Nerviens
résolurent de se cacher dans les bois qui couvraient alors les hauteurs d’Haumont,
d’y épier le moment où elle déboucherait sur les hauteurs opposées de — VII — Bataille sur Les centurions envoyés en reconnaissance avaient choisi
pour l’établissement du camp les hauteurs de Neuf-Mesnil. Elles s’abaissent
en pente uniforme jusqu’aux bords mêmes de la rivière. Celles de Boussières,
auxquelles elles se relient, s’arrêtent au contraire à César, ignorant au juste où campaient les Belges, se dirigea vers les hauteurs de Neuf-Mesnil. Sa cavalerie le précédait, mais l’ordre de marelle différait de celui que les transfuges avaient indiqué aux Nerviens ; en approchant de l’ennemi, il avait, selon sa coutume, réuni six légions et placé les bagages à la queue de la colonne, sous la garde des deux légions récemment levées. La cavalerie, les frondeurs, les archers, passèrent César devait pourvoir à tout en même temps. Il fallait élever l’étendard de pourpre pour donner le signal de courir aux armes[24], faire sonner les trompettes pour rappeler les hommes employés aux travaux, rassembler ceux qui s’étaient éloignés, former les lignes, haranguer les troupes, donner le mot d’ordre[25]. Dans cette situation grave, l’expérience des soldats, acquise par tant de combats, et la présence des lieutenants auprès de chaque légion, vinrent suppléer au général et permettre à chacun de prendre de soi-même les dispositions qu’il croyait les meilleures. L’impétuosité des ennemis est telle qu’on n’a le temps ni de revêtir les insignes[26], ni d’ôter l’enveloppe des boucliers, ail même de mettre les casques. Chacun, abandonnant ses travaux, court se ranger en toute hâte sous la première enseigne venue. L’armée, contrainte par la nécessité, était disposée sur la pente de la colline, bien plus d’après la nature du terrain et les exigences du moment que d’après les règles militaires. Lés légions, séparées les unes des autres par des haies épaisses qui interceptaient la vue, ne pouvaient se prêter un mutuel appui ; elles formaient une ligne irrégulière et interrompue : la 9e et la 10e légion étaient placées sur la gauche du camp, la 8e et la 11e au centre, la 7e et la 12e sur la droite. Dans cette confusion générale, où il devenait aussi difficile de porter secours aux points menacés que d’obéir à un seul commandement, l’imprévu domina. César, après avoir pris les dispositions les plus urgentes, s’élance vers les troupes que le hasard lui présente, s’adresse à elles à mesure qu’il les rencontre sur son passage, les harangue, et, arrivé à la 10e légion, il lui rappelle en quelques mots son ancienne valeur. Comme les ennemis n’étaient plus qu’à portée du trait, il ordonne l’attaque ; puis, se dirigeant vers un autre point pour encourager ses troupes, il les trouve déjà engagées. Les soldats de la 9e et de la 10e légion
lancent le pilum et fondent, l’épée à la main, sur les Atrébates, qui,
exténués de leur course, hors d’haleine, percés de coups, sont bientôt
rejetés de la colline qu’ils viennent de gravir. Ces deux légions, conduites
sans doute par Labienus, les culbutent dans Tandis qu’à la gauche et au centre la victoire se
déclarait pour les Romains, à l’aile droite, les 7e et 12e
légions étaient près de succomber sons les efforts de toute l’armée des
Nerviens, composée de soixante mille hommes. Ces guerriers intrépides,
conduits par leur chef, Boduognatus, s’étaient élancés dans Le hasard voulut qu’au même instant les cavaliers et les fantassins armés à la légère, qui avaient été repoussés à la première attaque, regagnassent le camp pêle-mêle ; se retrouvant, sans s’y attendre, en face de l’ennemi, ils se troublent et se mettent de nouveau à fuir dans une autre direction. Les valets de l’armée, qui, de la porte Décumane et du sommet de la colline, avaient vu les Romains traverser la rivière en vainqueurs et étaient sortis clans l’espoir de piller, regardent en arrière ; apercevant les Nerviens dans le camp, ils se sauvent précipitamment. Le tumulte est encore augmenté par les cris d’effroi des conducteurs de bagages courant çà et là épouvantés. Il y avait dans l’armée romaine, parmi les auxiliaires, un corps de ces cavaliers trévires réputés chez les Gaulois pour leur valeur. Lorsqu’ils virent le camp envahi, les légions pressées et presque enveloppées, les valets, les cavaliers, les frondeurs, les Numides, séparés, dispersés, fuyant de tous côtés, ils crurent les affaires désespérées, prirent la route de leur pays, et publièrent partout la destruction de l’armée romaine. De l’aile gauche, César s’était porté sur les autres
points de la ligne. Arrivé à l’aile droite, il avait trouvé les 7e
et 12e légions vivement engagées, les enseignes des cohortes de la
12e légion groupées sur le même point, les soldats serrés les uns
contre les autres et s’embarrassant mutuellement, tous les centurions de la
quatrième cohorte et le porte-drapeau tués ; le drapeau était perdu ; dans
les autres cohortes, la plupart des centurions qui n’avaient pas péri étaient
blessés, et parmi eux le primipile Sextius Baculus, homme d’une rare valeur,
qui bientôt sauvera la légion de Galba dans le Valais. Les soldats qui
résistaient encore étaient épuisés, et ceux des derniers rangs se débandaient
pour se dérober aux traits ; de nouvelles troupes ennemies ne cessaient de
gravir la colline, les unes s’avançant de front contre les Romains, les
autres les débordant par les deux ailes. Dans cet extrême péril, César juge
qu’il ne peut attendre de secours que de lui-même ; arrivé sans bouclier, il
saisit celui d’un légionnaire des derniers rangs et s’élance à la première
ligne ; puis, appelant les centurions par leurs noms, excitant les soldats,
il entraîne la 12e légion en avant et fait mettre plus d’intervalle
entre les files des manipules, afin de faciliter le maniement de l’épée. Son
exemple, ses paroles rendent l’espoir aux combattants et raniment leur
courage. Chacun, sous les yeux de son général, redouble d’énergie, et cet
héroïque dévouement commence à ralentir l’impétuosité de l’ennemi. Non loin
de là, la 7e légion était pressée par une multitude d’assaillants.
César ordonne aux tribuns d’adosser peu à peu les deux légions l’une à l’autre,
de manière que chacune d’elles fit face à l’ennemi d’un côté opposé. Ne
craignant plus d’être prises à revers, elles résistent avec fermeté et
combattent avec une nouvelle ardeur. Sur ces entrefaites, les deux légions d’arrière-garde
qui escortaient les bagages (la 13e et la 14e), informées des
événements, arrivent précipitamment et paraissent en vue des ennemis au
sommet de la colline. De son côté, Labienus, qui, à la tête des 9e
et 10e légions, s’était emparé du camp ennemi sur les hauteurs d’Haumont,
découvre ce qui se passe dans le camp romain : Il jugé, par la fuite des
cavaliers et des valets, de la grandeur du péril qui menace César, et envoie
à son secours la 10e légion, qui, traversant de nouveau A l’arrivée de ces renforts, tout change d’aspect : les blessés se relèvent et se soutiennent sur leurs boucliers afin de prendre part à l’action ; les valets, voyant les ennemis terrifiés, se jettent sans armes sur les hommes armés, et les cavaliers[27], pour effacer la honte de leur fuite, cherchent dans le combat à devancer les légionnaires. Cependant les Nerviens, au désespoir, tentent un suprême effort. Ceux des premiers rangs viennent-ils à tomber, les plus proches les remplacent et montent sur leurs corps ; ils sont tués à leur tour ; les morts s’amoncellent ; les survivants lancent, du haut de cette montagne de cadavres, des traits sur les Romains, et leur renvoient leurs propres pilums. Comment donc s’étonner, dit César, que de tels hommes eussent osé franchir une large rivière, gravir ses rives escarpées et surmonter les difficultés du terrain, puisque rien ne semblait au-dessus de leur courage ? Ils se firent tuer jusqu’au dernier, et soixante mille cadavres couvrirent ce champ de bataille si disputé, où avait failli s’engloutir la fortune de César. Après cette lutte, dans laquelle, suivant les Commentaires, la race et le nom des Nerviens furent presque anéantis, les vieillards, les femmes et les enfants, réfugiés au milieu des marais, ne trouvant plus de sûreté nulle part, se rendirent[28]. En rappelant le malheur de leur patrie, ils dirent que, de six cents sénateurs, il en restait trois, et que, de soixante mille combattants, cinq cents à peine avaient survécu. César, pour montrer sa clémence envers les malheureux qui l’imploraient, traita ces débris des Nerviens avec bienveillance ; il leur laissa leurs terres et leurs villes, et enjoignit aux peuples voisins non seulement de ne pas les molester, niais encore de les préserver de tout outrage et de toute violence[29]. VIII — Siège de l’oppidum des Aduatuques Cette victoire fut remportée, croyons-nous, vers la fin de
juillet. César détacha la 7e légion, aux ordres du jeune P.
Crassus, avec mission de soumettre les peuples maritimes des côtes de l’Océan
: les Vénètes, les Unelles, les Osismes, les Curiosolites, les Ésuviens, les
Aulerques et les Rédons. De sa personne, il se porta, avec les sept autres
légions, en suivant le cours de Dès que les Aduatuques apprirent le désastre des Nerviens, ils retournèrent dans leur pays, abandonnèrent leurs villes et leurs forts, et se transportèrent avec tout ce qu’ils possédaient dans un seul oppidum, remarquablement fortifié par la nature ; environné de toutes parts de rochers à pic d’une grande hauteur, il n’était accessible que d’un seul côté par une pente douce, large de deux cents pieds au plus, défendue par un fossé et par un double mur très élevé, sur lequel ils placèrent d’énormes quartiers de roches et des poutres pointues. La montagne où est située la citadelle de Namur[30] répond suffisamment à cette description. Quand l’armée arriva, ils firent d’abord de fréquentes
sorties et livrèrent de petits combats. Plus tard, lorsque la place fut
entourée d’une ligne de contrevallation de Les Romains avaient occupé la ville ; vers le soir, César
les en fit sortir, craignant les violences que pendant la nuit les soldats
pourraient exercer contre les. habitants. Mais ceux-ci, persuadés qu’après la
reddition de la place les postes de la contrevallation seraient gardés avec
moins de soin, reprennent les armes qu’ils avaient cachées, se munissent de
boucliers d’écorce d’arbre ou d’osier revêtus de peaux à la hâte, et, à — IX — Soumission de l’Armorique par P. Crassus Vers l’époque où finissait ce siège (premiers jours de septembre),
César reçut des lettres de P. Crassus. Ce lieutenant lui annonçait que les
peuples maritimes des côtes de l’Océan, depuis Ces heureux faits d’armes et la pacification de — X — Expédition de Galba dans le Valais Avant de partir polir l’Italie, César envoya Servius Galba,
arec une partie de la cavalerie et la 12e légion, chez les
Nantuates, les Véragres et les Sédunes (peuples du Chablais et du bas et du haut Valais),
dont le territoire s’étendait depuis le pays des Allobroges, le lac Léman et
le Rhône, jusqu’au sommet des Alpes. Son but était d’ouvrir une communication
facile avec l’Italie par ces montagnes, c’est-à-dire par le Simplon et le
Saint-Bernard, où les voyageurs étaient sans cesse rançonnés et inquiétés.
Galba, après quelques combats heureux qui domptèrent tous ces peuples, se lit
livrer des otages, plaça deux cohortes chez les Nantuates, et le reste de sa
légion dans un bourg des Véragres, nommé Octodurus (Martigny). Ce bourg, situé
dans une petite plaine, au fond d’un vallon entouré de hautes montagnes, était
divisé en deux parties par une rivière ( Plusieurs jours s’étaient écoulés clans la plus parfaite
tranquillité, lorsque Galba apprit tout à coup que les Gaulois avaient évacué
de nuit la partie du bourg qu’ils occupaient, et que les Véragres et les
Sédunes se montraient en grand nombre sur les montagnes environnantes. La
situation était des plus graves ; car non seulement Galba rie pouvait compter
sur aucun secours, mais il n’avait pas même achevé de se retrancher, ni
rassemblé des vivres en quantité suffisante. Il réunit un conseil, où l’ont
décida qu’on défendrait le camp, malgré l’avis de quelques chefs qui
proposaient d’abandonner les bagages et de se faire jour de vive force. Mais
à peine les ennemis laissèrent-ils aux Romains le temps de prendre les dispositions
nécessaires. Soudain ils se précipitent de tontes parts vers les
retranchements et lancent une grêle de traits et de javelots (gœsa). Les légionnaires garnissent le rempart et
ripostent. Ayant à se défendre contre des forces qui se renouvellent à chaque
instant, ils sont obligés de combattre tous à la fois et de se porter sans
cesse aux points les plus menacés. Les hommes fatigués, les blessés eux-mêmes
ne peuvent quitter la place. Il y avait six heures que le combat durait ; les
Romains étaient épuisés de lassitude. Déjà les traits commençaient à leur
manquer ; déjà les Gaulois, avec une audace croissante, comblaient le fossé
et arrachaient les palissades. On en était réduit à la dernière extrémité,
quand le primipile P. Sextius Baculus, le même qui avait montré tant d’énergie
à la bataille de |
[1] Inita æstate (Guerre des Gaules, II, 2). — Æstas, d’après Forcellini, signifie l’époque comprise entre les deux équinoxes du printemps et de l’automne.
[2] Voir sa biographie, Appendice D.
[3] Strabon, IV, 171 ; V, 174.
[4] En l’an 642, le consul C. Manlius et le proconsul Q. Gæpion furent battus par les Cimbres et les Teutons, et il périt 80.000 Romains ou, alliés et 40.000 valets (calones et lixœ). De toute l’armée il ne s’échappa que dix hommes (Orose, V, 16). Ces données sont sans doute exagérées, puisque Orose paraît avoir puisé ses renseignements dans Valerius d’Antium, et que celui-ci, selon Tite-Live (XXXIII, 10 ; XYXVI, 38), avait l’habitude de grossir ses chiffres.
[5] Ce trajet, le plus direct pour aller de Besançon chez les Rèmes, est indiqué encore aujourd’hui par de nombreux vestiges de la voie romaine qui joignit plus tard Vesontio à Durocortorum (Besançon à Reims).
[6] Guerre des Gaules, II, 4.
[7] Le mot fines, dans César, signifie toujours territoire. On doit donc entendre par extremi fines les parties du territoire les plus éloignées du centre, et non une ligne indiquant la frontière, comme l’ont pensé certains traducteurs. L’Aisne traversait la partie septentrionale du pays des Rèmes et n’en formait pas la limite.
[8] Les retranchements de cette tête de pont, particulièrement le côté parallèle à l’Aisne, se distinguent encore aujourd’hui à Berry-au-Bac. Les jardins de plusieurs habitants sont établis sur le rempart même, et le fossé apparaît à l’extérieur du village sous la forme d’une large cuvette. Les fouilles ont fait retrouver nettement le profil du fossé.
[9] Les fouilles
exécutées en 1862, en faisant découvrir tous les fossés du camp, ont montré
qu’ils avaient
[10] On a cherché
l’emplacement de Bibrax à Bièvre, Bruyères, Neufchâtel, Beaurieux et sur la
montagne dite le Vieux-Laon. Aujourd’hui que le camp de César est retrouvé sur
la colline de Mauchamp, il n’est plus permis d hésiter qu’entre Beaurieux et le
Vieux-Laon, car, de toutes ces localités, ce sont les seules qui, comme l’exige
le texte, soient distantes de huit milles du camp romain. Mais Beaurieux ne
saurait convenir, par la raison que, quand même l’Aisne eût passé, lors de la
guerre des Gaules, au pied des hauteurs où la ville est située, on ne
comprendrait pas comment les renforts envoyés par César auraient pu traverser
la rivière et pénétrer dans la place, que l’armée belge eût certainement
investie de tous les côtés. Ce lait se conçoit facilement, au contraire, si
l’on place Bibrax sur la montagne de Vieux-Laon, qui présente vers le sud des
escarpements inexpugnables. Les Belges l’auront entourée de toutes parts
excepté au
[11] Guerre des Gaules, II, 8.
[12] Guerre des Gaules, II, 12. — Sabinus commandait évidemment des deux côtés de la rivière.
[13] Voir les biographies des lieutenants de César, Appendice D.
[14] Guerre des Gaules, II, 11.
[15] Les vineœ étaient de petites baraques construites en charpentes légères et revêtues de claies ou de peaux d’animaux (Végète, l. IV, ch. 15). Voyez aussi les dessins de la colonne Trajane.
Dans un siége régulier, les vineœ étaient construites hors de la portée des traits, puis on les poussait en file les unes derrière les autres vers le mur de la place attaquée, c’est ce que l’on appelait agere vineas ; elles formaient ainsi de longues galeries couvertes qui, tantôt placées perpendiculairement au mur et tantôt parallèlement, remplissaient le même office que les boyaux de communication et les parallèles dans les siéges modernes.
[16] La terrasse (agger) était un remblai fait avec des matériaux quelconques clans le but d’établir soit des plates-formes pour dominer les remparts d’une ville assiégée, soit des viaducs pour amener les tours et les machines contre les murs, lorsque les abords de la place offraient des petites trop difficiles à franchir. Ces terrasses servaient aussi parfois à combler le fossé. Le plus souvent les agger étaient faits de troncs d’arbres entrecroisés et empilés comme le sont les bois d’un bûcher (Thucydide, Siège de Platée, II, 76. — Lucain, Pharsale, III, v. 393. — Vitruve, X, 12, Colonne Trajane).
[17] On hésite entre
Beauvais, Montdidier ou Breteuil. Nous adoptons Breteuil comme plus probable,
d’après
[18] Guerre des Gaules, II, 15.
[19] Guerre des Gaules, II, 14-16. — Mons
est, en effet, situé sur une colline complètement entourée de prairies basses
traversées par les courts sinueux de
[20] Selon les érudits,
la frontière entre les Nerviens et les Ambiens était vers Fins et Bapaume. En
supposant que les trois jours de marche de l’armée romaine soient comptés à
partir de ce dernier point, elle serait parvenue, en trois étapes de
[21] Si César était
arrivé sur la rive droite de
[22] Il n’est pas
inutile de remarquer qu’aujourd’hui encore les champs qui avoisinent
[23] Guerre des Gaules, II, 17.
[24] Le signal de la bataille est un manteau de pourpre qu’on déploie devant la tente du général (Plutarque, Fabius Maximus, 24).
[25] Signum dace signifie donner le mot d’ordre. En effet, on lit dans Suétone : Primo etiam imperii die signum exenbanti tribano dedit : Optimam matrem (Néron, 9, Caligula, 56. — Tacite, Histoires, III, 22).
[26] Les soldats portaient soit des peaux de bêtes sauvages, soit des plumets ou ornements désignant les grades. Excussit cristal galcis (Lucain, Pharsale, VII, v. 158).
[27] Excepté les cavaliers trévires, qui s’étaient retirés.
[28] D’après Tite-Live (Epitomé, CIV), mille hommes armés auraient réussi à se sauver.
[29] Guerre des Gaules, II, 28.
[30] D’après les
recherches auxquelles s’est livré le commandant de Locqueyssie dans le pays
qu’on suppose avoir été occupé autrefois par les Aduatuques, deux localités, le
mont Falhize et la partie de la montagne de Namur sur laquelle est bâtie la
citadelle, paraissent seules convenir pour l’emplacement de l’oppidum des
Aduatuques. Mais le mont Falhize n’est pas entouré de rochers sur lotis les
points, comme le veut le texte latin ; la contrevallation aurait eu plus (le
Une autre localité, Sautour, près de Philippeville, répondrait complètement à la description de César ; mais l’enceinte de Sautour, qui renferme trois hectares seulement, est trop petite pour avoir pu contenir soixante mille individus ; l’emplacement de la citadelle de Namur est déjà à nos yeux bien resserré.
[31] Nous traduisons quindecim millium par quinze mille pieds ; le mot pedum, employé dans le membre de phrase précédent, est sous-entendu dans le texte ; d’ailleurs, lorsque César veut parler de pas, il emploie presque toujours le mot pansus.
[32] Guerre des Gaules, II, 33.
[33] Guerre des Gaules, II, 35 — Plutarque, César, 20. — Cicéron, Lettres familières, 9, 17-18.
[34] Ce passage a été
généralement mal interprété. Il a dans le texte : Quœ civitates propinquœ his locis erant ubi
(Crassus) bellum gesserat (Guerre
des Gaules, II, 35). Il faut ajouter le nom de Crassus, oublié par les
copistes, car si l’Anjou et
[35] Guerre des Gaules, III, 6.